Tribune de Guy Ryder

Le travail des enfants n’est pas un jeu d’enfants

Editorial | 8 octobre 2013
Le nombre des enfants qui travaillent dans le monde s’élève aujourd’hui à 168 millions, en recul d’un tiers depuis 2000. C’est à la fois encourageant et inquiétant. Encourageant parce que des enfants de onze ans ont été arrachés à leur condition d’enfants soldats au Myanmar, des filles au Malawi n’ont plus à travailler de l’aube jusque tard dans la nuit à exécuter des tâches domestiques et peuvent maintenant aller à l’école, et des enfants contraints de mendier en Roumanie sont dorénavant en sécurité dans des centres de réadaptation.

Mais cela demeure inquiétant parce que 168 millions c’est encore un nombre considérable. Si l’on regroupait tous les enfants qui travaillent dans un seul pays, ce serait le huitième pays le plus peuplé au monde, plus peuplé que le Bangladesh ou la Russie. Même avec les progrès enregistrés ces dernières années, le monde n’atteindra pas, au rythme actuel, son objectif d’éliminer les pires formes de travail des enfants d’ici à 2016, objectif que s’était fixé la communauté internationale en 2010 à La Haye.

Selon les dernières estimations globales de l’Organisation internationale du Travail, 85 millions d’enfants âgés de 5 à 17 ans dans le monde effectuent un travail qui met directement en péril leur santé, leur sécurité et leur développement. L’immense majorité d’entre eux travaillent dans l’agriculture mais ils sont également présents dans d’autres secteurs, travaillant dans des mines, victimes de trafic et d’abus dans le commerce du sexe, contraints de mendier, exploités comme travailleurs domestiques, obligés de rejoindre des milices ou des armées. A peine moins de la moitié des enfants qui travaillent ont entre 5 et 11 ans et, pour la plupart, ce sont des garçons (bien que les chiffres sous-estiment probablement l’implication des filles dans des formes moins visibles d’emploi comme le travail domestique). L’Asie-Pacifique compte le plus grand nombre d’enfants qui travaillent (78 millions) et l’Afrique subsaharienne enregistre la plus forte incidence du travail des enfants (21 millions). Mais il ne s’agit pas d’un problème de pays pauvre ou en développement; des enfants doivent aussi travailler dans les pays riches, y compris aux Etats-Unis et en Europe de l’Ouest.

Le travail des enfants est un problème mondial qui appelle une réponse tous azimuts. Ce qui veut dire prendre des mesures pour contribuer à réduire la pauvreté, améliorer l’éducation, faire appliquer les lois, améliorer les perspectives d’emploi pour les adultes et veiller à ce qu’il n’y ait rien à gagner à employer des enfants en-dessous de l’âge légal.

Si des choix politiques judicieux sont opérés, une coopération technique et un soutien des donateurs apportés lorsque c’est nécessaire, le travail des enfants peut être éradiqué. Prenez le Malawi, l’un des pays les plus pauvres au monde, environ 30 pour cent des enfants de 5 à 15 ans sont pris au piège du travail des enfants. Des enfants comme Ethel, huit ans, qui doit manquer l’école pour aider ses parents à ramasser la récolte de tabac et qui souffre de migraines et de maux d’estomac.

Le Malawi s’est doté d’un plan national d’action qui associe un système de surveillance, des investissements dans les infrastructures et l’implication de la communauté, depuis les fonctionnaires de districts chargés du travail des enfants, qui ont un pouvoir d’inspection dans les fermes et peuvent arrêter les propriétaires fonciers qui exploitent des enfants, jusqu’aux chefs traditionnels qui font la promotion de l’éradication du travail des enfants. Depuis 2009, le plan est entièrement financé par le ministère du Travail des Etats-Unis et a déjà permis de libérer 5 500 enfants du travail.

Et pourtant, alors même que nous devons redoubler d’efforts, certains pays peuvent se sentir moins encouragés à financer des programmes pour combattre le travail des enfants, précisément parce que les chiffres s’améliorent.

Alors que des dizaines de pays sont rassemblés aujourd’hui à Brasilia, la capitale brésilienne, pour la troisième Conférence mondiale sur le travail des enfants, ils ont une chance unique de montrer ce qu’une mobilisation internationale et des politiques nationales déterminées peuvent accomplir. Ils doivent réaffirmer leur engagement à débarrasser le monde des pires formes de travail des enfants d’ici à 2016 et à l’éliminer totalement d’ici à 2020. Nous avons 168 millions de raisons de le faire.