L'épidémie de sida en Inde: "Nous avons plus besoin de travail que de médicaments"

Un des points importants soulevés lors de la quinzième Conférence internationale sur le sida, tenue récemment à Bangkok, concerne le fait que, pour les personnes vivant avec le VIH/SIDA, la possibilité de continuer à travailler représente une aide considérable. Pourtant, il n'est pas toujours facile de continuer à travailler normalement lorsqu'on est malade du sida ou séropositif. Une nouvelle étude du BIT montre précisément que, en Inde, les personnes vivant avec le VIH/SIDA et leurs familles sont confrontées à une baisse considérable de leur pouvoir d'achat due à la hausse des dépenses liées à la maladie. Pour s'en sortir, elles ont donc tendance à rogner sur les dépenses d'éducation et à s'endetter de plus en plus. Face à une telle situation, l'OIT s'efforce de mettre au point des initiatives novatrices visant à enrayer l'épidémie directement dans le monde du travail.

Article | 30 juillet 2004

NEW DELHI - "Nous avons plus besoin de travail que de médicaments", explique Naveen Kumar, un jeune indien qui vit avec le VIH/SIDA. "Travailler nous permet de tenir le coup et nous donne les moyens d'acheter de la nourriture et des médicaments… on peut continuer de travailler pendant des années."

Naveen a participé à un séminaire de formation organisé par le bureau de l'OIT en Inde dans le cadre du projet intitulé "La prévention du VIH/SIDA dans le monde du travail - une action tripartite". Ce projet, qui bénéficie du soutien financier du ministère américain du Travail (USDOL), a pour mission de sensibiliser les mandants tripartites de l'OIT à la gravité de la menace du sida et de leur fournir une assistance technique pour les aider à mettre au point des politiques et programmes destinés à lutter contre l'épidémie dans le monde du travail.

"Pour les personnes comme nous, ce projet sert de tribune à partir de laquelle nous pouvons faire part de nos inquiétudes aux syndicats, aux employeurs et aux gouvernements", ajoute Naveen.

Comprendre le problème

Dans le cadre de la mise en œuvre de ce projet de l'OIT, une étude a récemment été publiée sur "l'évaluation de l'impact socioéconomique du VIH/SIDA sur les personnes vivant avec le VIH/SIDA et leurs familles en Inde". Cette étude, réalisée par des réseaux de personnes malades et séropositives dans quatre Etats du pays, montre que leur situation ne cesse de se détériorer.

En effet, les foyers comptant une ou plusieurs personnes atteintes du VIH/SIDA voient leurs revenus diminuer d'un tiers tandis que leurs dépenses consacrées à l'alimentation et aux médicaments augmentent de mois en mois. Face à cette réduction de leur pouvoir d'achat, ces familles se voient contraintes de moins dépenser pour l'éducation de leurs enfants. Environ 38 pour cent des personnes interrogées dans le cadre de l'étude ont déclaré être obligées de retirer leurs enfants de l'école et de les envoyer travailler.

La plupart des personnes porteuses du virus VIH dépendent d'un emploi régulier pour vivre. Or, comme le montre l'étude en question, la stigmatisation et la discrimination étant monnaie courante dans le monde du travail, la majorité des personnes vivant avec le VIH/SIDA cachent leur séropositivité ou leur maladie à leur employeur de peur de perdre leur emploi.

Manoj Pardesi, qui fait partie du réseau des personnes vivant avec le VIH/SIDA dans l'Etat du Maharashtra, est reconnaissant à l'OIT d'avoir formé les membres de ces réseaux pour qu'ils puissent mener à bien cette étude. "Ce travail de recherche nous a permis de mieux cibler le public que nous devons sensibiliser pour combattre la stigmatisation et la discrimination à l'égard des personnes atteintes par le VIH/SIDA", a-t-il déclaré.

Renforcer la lutte

Le projet que l'OIT met en œuvre en Inde a pour objectif d'apporter un soutien au ministère du Travail, aux organisations d'employeurs et de travailleurs et aux entreprises locales, afin de renforcer la lutte contre le VIH/SIDA dans le monde du travail dans ce pays. Dans la phase actuelle du projet, les activités sont limitées à trois Etats: le Jharkhand, le Madhya Pradesh et le Bengale occidental.

Dans un premier temps, le projet a réalisé une série d'études d'évaluation sommaire et de consultations avec les acteurs concernés, puis il a conclu des accords avec 55 entreprises locales en vue du lancement d'actions sur les lieux de travail pouvant toucher plus de 100.000 travailleurs. "Notre action a pour but d'institutionnaliser les actions de lutte contre le VIH/SIDA au sein des entreprises afin d'assurer leur durabilité", explique S. Mohammed Afsar, le coordinateur national du projet.

Quant aux syndicats, ils agissent de façon concertée en vue de prendre en compte la problématique du VIH/SIDA dans leurs programmes d'action. Selon R.A. Milttal, Secrétaire général du syndicat Hind Mazdoor Sabha, "les syndicats ont compris que le VIH/SIDA constitue une grave menace pour les travailleurs et qu'il est de leur responsabilité de les protéger". Ce syndicat a récemment créé un groupe de travail chargé d'élaborer une politique et un programme syndical sur le VIH/SIDA. De leur côté, l'OIT et le National Labour Institute (NLI) ont mis au point un manuel de formation à l'intention des syndicats et ont réalisé des programmes de formation destinés aux syndicalistes et aux fonctionnaires gouvernementaux.

Afin d'encourager le ministère du Travail à prendre davantage de mesures pour juguler l'épidémie de VIH/SIDA dans le pays, l'OIT collabore également avec le NLI et le Central Board for Workers Education (CBWE). Elle a notamment mis au point un manuel de formation spécialement destiné à aider les fonctionnaires du CBWE à réaliser des cours de formation sur le VIH/SIDA et à intégrer cette question dans leur programme de formation des travailleurs. En 2003, ce programme a permis de former un nombre total de 210.028 travailleurs, dont 89.819 hommes et 120.209 femmes.

Sensibiliser un maximum de personnes sur le VIH/SIDA constitue un élément décisif de la lutte contre la maladie. A cet effet, le projet de l'OIT a mis au point un ensemble de ressources que les employeurs et les syndicats peuvent utiliser dans le cadre de leurs actions de sensibilisation et de formation. Parallèlement, il s'attache à promouvoir les principes énoncés dans le Recueil de directives pratiques du BIT sur le VIH/SIDA et le monde du travail.

Toutes ces actions ont porté leurs fruits, puisque l'organisme national de contrôle du sida créé par le gouvernement indien, le National AIDS Control Organization (NACO), a désormais approuvé l'utilisation à l'échelon national du Recueil de directives pratiques du BIT dans le cadre des actions de lutte contre l'épidémie menées au sein des entreprises. Il a également produit des films et des affiches destinés aux entreprises et aux syndicats. De son côté, l'OIT, en collaboration avec le réseau national de personnes vivant avec le VIH/SIDA et le NLI, a organisé un séminaire national ayant pour objectif de réduire la stigmatisation et la discrimination liées au VIH/SIDA dans le monde du travail. Par ailleurs, en décembre 2003, elle a lancé un processus de consultation avec les partenaires sociaux et l'association nationale des juristes sur un projet de loi relatif au VIH/SIDA.

Comme l'explique Herman van der Laan, Directeur du Bureau sous-régional de l'OIT pour l'Asie du Sud, "le monde du travail a un rôle essentiel à jouer pour que soient respectés les droits des personnes vivant avec le VIH/SIDA en ce qui concerne l'emploi, la non discrimination, l'égalité de traitement et la protection sociale. Certes, il est très important de pouvoir offrir à ces personnes l'accès aux traitements à un coût raisonnable, mais il est tout aussi important, si ce n'est plus, de leur permettre d'obtenir des revenus réguliers… Nous sommes de plus en plus préoccupés par le fait que les familles des personnes vivant avec le VIH/SIDA réduisent leurs dépenses d'éducation et que leurs enfants sont obligés de se mettre à travailler pour compléter les revenus de la famille… Comme nous l'avons déjà observé dans plusieurs pays gravement touchés par le VIH/SIDA, l'épidémie a pour effet d'augmenter le nombre d'enfants qui travaillent."


Note 1 - "The socio-economic impact of HIV/AIDS on the people living with HIV/AIDS and their families". Pour plus d'informations, consulter la page web: www.ilo.org/public/english/region/asro/newdelhi/aids/index.htm ou contacter le Coordinateur national du projet, S. Mohammed Afsar, en écrivant à safsar@ilodel.org.in