Eliminer le travail des enfants: cela vaut le coût

Une étude vient juste d'être publiée par le Bureau international du Travail (BIT) sur les coûts et les bénéfices de l'élimination du travail des enfants dans le monde. Alice Ouédraogo, Directrice des activités d'élaboration des politiques et de sensibilisation au sein du programme IPEC (Programme international pour l'abolition du travail des enfants) explique l'utilité de cette étude pour les pays qui s'appliquent à éliminer le travail des enfants.

Article | 6 février 2004

Question: Pourquoi avez-vous entrepris cette étude, et surtout pourquoi maintenant?

Réponse: La question du travail des enfants est une question qui préoccupe de plus en plus de pays car c'est un indicateur de développement. Avec cette étude, le problème n'était pas de savoir s'il est bon d'éliminer le travail des enfants, la nécessité de le faire est déjà acceptée par tous, grâce au travail que l'OIT, ses partenaires et d'autres acteurs ont accompli pendant de nombreuses années. Depuis longtemps déjà, un certain nombre de pays désireux d'agir contre le travail des enfants se demandent «si c'est quelque chose de faisable, si c'est réaliste et quelles seraient les implications économiques». Cette étude permet de répondre à ces interrogations légitimes et traduit en termes économiques les implications de l'application des conventions no 138 et 182 de l'OIT qui traitent de cette question et qui ont été à ce jour ratifiées par les Etats Membres.

Q: Vous confirmez, dans cette étude, que l'élimination du travail des enfants coûte cher?

R: Je crois qu'il faut être réaliste, les pays qui s'attèlent déjà à cette tâche le savent: oui, éliminer le travail des enfants à l'échelle de la planète a un coût qui ne peut être apprécié à sa juste valeur que s'il est comparé aux bénéfices engendrés. N'oublions pas que cela touche 246 millions d 'enfants et, parmi eux, 179 millions sont exposés aux pires formes de travail. Cette étude estime à 760 milliards de dollars américains sur 20 ans les efforts économiques à consentir pour éliminer le travail des enfants dans le monde. Ce qui coûte le plus cher, c'est de mettre en place un système d'éducation dans les pays en développement et en transition afin de remplacer le travail des enfants par l'éducation universelle. D'autres coûts sont analysés par cette étude. Mais, même si on arrive à des sommes qui sont sans aucun doute conséquentes, il faut préciser que les bénéfices qui en découleraient seraient astronomiques. En effet, selon cette étude, les bénéfices seraient sept fois plus élevés que les coûts engendrés. Il me semble que, dans ces conditions, il est nettement avantageux d'éliminer le travail des enfants.

Q: Est-ce que ce n'est pas choquant de parler du travail des enfants en terme de coûts et de bénéfices?

R: Il faut se placer dans une perspective de comparaison et d'investissement. Si on essaye de comparer les coûts de l'élimination du travail des enfants à d'autres dépenses comme celles occasionnées par les armements militaires ou par le service de la dette, on ne peut que relativiser. En effet, l'étude indique, par exemple, que les dépenses moyennes annuelles requises pour atteindre l'objectif poursuivi représentent environ 5,8 pour cent du service de la dette des pays en développement et en transition. Nous chiffrons les bénéfices en terme de gain pour la société qui se traduisent eux-mêmes par une génération d'enfants mieux formés, capables d'engendrer plus de richesses parce que plus productifs et plus entreprenants. Les bénéfices se traduisent aussi en terme de santé car le travail des enfants, en raison du danger qu'il représente et des risques encourus, a un coût de ce point de vue là, lequel disparaît avec l'élimination du phénomène. Ce que nous disons ici, c'est que le monde gagnerait à éliminer le travail des enfants, c'est une question de développement et un formidable outil de lutte contre la pauvreté. Pour les communautés, pour les pays, aussi bien les pays qui souffrent du problème du travail des enfants que les pays développés, c'est aussi un gage de meilleurs échanges économiques dans l'avenir.

Q: Est-ce que les résultats de cette étude sont réalistes?

R: Absolument. L'étude donne les détails des différentes estimations faites. Elle n'offre pas de recette miracle. C'est une sorte d'étude générique qui donne des indications et identifie des pôles d'intervention pour les différents pays qui veulent obtenir des résultats probants et durables dans leurs efforts pour éliminer le travail des enfants. C'est d'abord une question de volonté politique certes, mais aussi d'investissement. Ce n'est pas un exercice spéculatif mais un guide pour l'action.

Q: Est-ce que ce modèle s'applique à toutes les régions?

R: Les pôles d'intervention autour desquels l'étude s'articule sont l'éducation, le transfert de revenus, les interventions de type non scolaire et les coûts de substitution du travail des enfants. Si on agit sur ces quatre pôles d'intervention, on peut résolument atteindre des résultats significatifs en matière d'élimination du travail des enfants. Je crois que ce qui est important de préciser, c'est que toutes les régions seront bénéficiaires bien qu'à des degrés divers. Selon l'étude, les régions qui en bénéficieraient le plus seraient l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient avec des bénéfices multipliés par 8,4, ensuite vient l'Asie avec un ratio de 7,2, c'est-à-dire que les bénéfices seraient sept fois plus importants que les coûts, ensuite viendraient les autres régions, à savoir l'Afrique subsaharienne, les pays en transition et l'Amérique latine avec un ratio de 5 à 1. Eliminer le travail des enfants est un objectif avantageux sur tous les plans. C'est là la clé de la lutte contre la pauvreté, et la clé vers le développement.


Note 1 - Investir dans chaque enfant. Etude économique sur les coûts et les bénéfices de l'élimination du travail des enfants, Bureau international du Travail (BIT), Genève, décembre 2003. (Version anglaise: ISBN 92-2-115419-X).