Réunion régionale pour les Amériques du 2 au 5 mai: Étendre la sécurité sociale en Amérique Latine et dans les Caraïbes

Le principal problème relatif aux systèmes de sécurité sociale en Amérique latine et dans les Caraïbes est leur couverture limitée en termes de nombre de travailleurs et d'ayants droit protégés, d'éventail des risques couverts et de qualité de la protection. Dans certains pays, le niveau de couverture a même encore reculé au cours des quinze dernières années, selon le rapport préparé pour la Réunion régionale de l'OIT pour les Amériques. Le rapport fixe un objectif global aux gouvernements et aux partenaires sociaux, celui d'augmenter la protection sociale de 20 pour cent de la population totale de la région entre 2006 et 2015. BIT en ligne s'est entretenu avec Michael Cichon, Chef du Département de la sécurité sociale au BIT.

Article | 3 mai 2006

BIT en ligne: Quelles sont les principales raisons de cette couverture limitée des systèmes de protection sociale en Amérique latine et dans les Caraïbes?

Michael Cichon: La situation peut en partie s'expliquer par la structure des marchés du travail dans la région, avec une composante informelle très forte et des modèles atypiques de travail qui entravent le développement des systèmes de protection traditionnels, tels que les systèmes de sécurité sociale contributifs. Cela conduit inévitablement à des inégalités considérables qui doivent être contrecarrées. Il existe par exemple un "paradoxe de la protection sociale" dans lequel les travailleurs les mieux placés sur le marché du travail sont ceux qui reçoivent la plus forte et la meilleure protection. Le bas niveau de couverture peut aussi être attribué à la nature des systèmes de protection eux-mêmes qui, pour la plupart, sont dépendants du cycle économique et souffrent généralement de déficits s'agissant de la gestion institutionnelle. Ainsi, ils collectent très peu, les cotisations sont souvent détournées et la qualité du service demeure médiocre.

BIT en ligne: Que peut-on faire pour améliorer la situation?

Michael Cichon: Nous avons besoin d'initiatives créatives pour accroître la protection sociale dans la région. De telles initiatives cependant doivent être prudentes du point de vue fiscal et financier car il a été observé que les paramètres qui définissent habituellement les systèmes de protection ne se révèlent pas neutres en termes d'incitation à la création d'emplois. A cet égard, l'objectif global raisonnable que peuvent fixer les gouvernements et les partenaires sociaux serait d'augmenter la protection sociale de 20 pour cent de la population totale de la région entre 2006 et 2015.

BIT en ligne: Comment peut-on atteindre l'objectif fixé?

Michael Cichon: Il existe trois stratégies que les gouvernements et les partenaires sociaux doivent prendre en compte. En premier lieu, des priorités très claires doivent être identifiées dans chaque pays. Une première façon de prioriser le travail dans ce domaine est de prendre en compte la population cible. L'idée serait donc de concevoir et mettre en œuvre des systèmes de protection pour les groupes qui ne sont traditionnellement pas protégés, en particulier les travailleurs de l'économie informelle et du secteur rural ainsi que leur famille. Un autre moyen est de prioriser en fonction du type de risque couvert. Les pays à revenu intermédiaire ou élevé de la région pourraient se concentrer sur la protection chômage alors que les pays à faible revenu pourraient mettre plus particulièrement en avant la fourniture de soins à un plus grand nombre de personnes.

Deuxièmement, des mécanismes de protection rentables peuvent être imaginés qui prennent en considération les caractéristiques hétérogènes du marché du travail de la région. Une stratégie viable consisterait à offrir des programmes d'assistance sans cotisations pour les secteurs les plus informels alors que les mécanismes à cotisations seraient plus appropriés pour les secteurs les plus formels du marché du travail...

Troisièmement, il faut agir pour renforcer les institutions impliquées dans les systèmes de protection existants, de façon à optimiser la gestion de la protection sociale. L'idée est de soutenir les politiques qui ont pour but d'améliorer le processus de collecte des cotisations et de réduire leur évasion, en adoptant des réformes administratives et en apportant une meilleure information aux assurés. Dans le même temps, l'intervention politique discrétionnaire dans les programmes doit être limitée pour éviter que les ressources ne soient utilisées de manière arbitraire et ne servent des objectifs qui ne sont pas directement liés à la protection sociale.

BIT en ligne: Quel est le rôle des partenaires sociaux dans tout cela?

Michael Cichon: Rien dans cette action ne sera possible sans la participation des partenaires sociaux au dialogue. A cette fin, nous devons promouvoir le dialogue social sur les processus de réforme de la sécurité sociale. Il est important de garantir la transparence de ce processus, et il est donc essentiel de s'assurer que les partenaires sociaux ont accès à une information statistique et qualitative concernant les différents programmes et systèmes de protection sociale; il est aussi vital de bâtir des systèmes pour diffuser l'information et offrir une formation aux partenaires sociaux de manière à améliorer la qualité technique des propositions et des discussions sur la réforme de la politique publique dans ce domaine.

BIT en ligne: Pouvez-vous nous donner un exemple de nouvelles mesures prises pour étendre la protection?

Michael Cichon: L'un de ces exemples ce sont les "Retraites agricoles: l'assurance vieillesse au Brésil". En 1995, le nécessaire a été fait pour introduire un processus de décentralisation étatique et municipale avec de nouveaux systèmes de financement des retraites par l'impôt et par la présence et la régulation d'agents de services de santé privés. Les nouvelles pensions vieillesse ont eu un impact qualitatif et quantitatif. En août 2001, 6 638 711 personnes des régions rurales en bénéficiaient. Ces retraites ont soulagé la pauvreté, couvrant 88 pour cent des personnes âgées qui reçoivent moins de deux fois le salaire mensuel minimum, et contribuent à hauteur d'au moins 50 pour cent du revenu financier des ménages ruraux pauvres.

BIT en ligne: Qu'a fait l'OIT au cours des cinq dernières années pour étendre la protection sociale dans la région?

Michael Cichon: Une assistance technique visant à étendre la couverture de sécurité sociale a été fournie à des pays tels que l'Argentine, le Costa Rica, le Chili, le Nicaragua, le Paraguay, le Pérou et l'Uruguay. Nous avons aussi mené des études sur la situation du travail et de la protection sociale et analysé les données de manière à ce que les gouvernements et les autres autorités puissent promouvoir une réforme institutionnelle et étendre la couverture de sécurité sociale sur la base du dialogue social.

BIT en ligne: Quel a été l'impact de ces activités de coopération technique et de ces études?

Michael Cichon: Les activités susmentionnées ont mené à des réformes dans plusieurs pays. En Argentine, les prestations de sécurité sociale ont été étendues aux groupes affectés par la crise économique (2001-02) et couvrent la vieillesse, le handicap, l'invalidité, les accidents du travail et le chômage. Au Pérou, l'OIT soutient la préparation d'un projet pour renforcer l'Institution de l'assurance maladie, pour étendre la couverture aux groupes de population non protégés et pour améliorer la gestion du système. Au Costa Rica, un accord tripartite a été conclu pour assurer la pérennité du système de retraites dans les années à venir.

Des progrès ont également été enregistrés dans l'extension de la couverture de sécurité sociale à des groupes qui sont traditionnellement exclus ou marginalisés. Au Honduras, avec un fort accent mis sur le dialogue social, de nouvelles méthodes, novatrices, ont été trouvées pour assurer les travailleurs agricoles, les domestiques, les travailleurs à domicile, les travailleurs indépendants, les membres de coopératives, etc. Au Paraguay, la couverture sociale a été étendue avec succès aux domestiques, et au Chili un dialogue intense et un vaste débat se sont tenus sur l'extension de la protection sociale aux travailleurs indépendants. Au Brésil, le gouvernement étend l'assurance chômage aux travailleurs rescapés du travail forcé et de l'esclavage ... pour ne citer que quelques exemples. L'OIT continuera à apporter son appui pour contribuer à étendre, moderniser et renforcer les systèmes existants et développer de nouveaux systèmes de protection sociale.


Note 1 - Travail décent dans les Amériques: Agenda de l'hémisphère 2006-2015, Rapport du Directeur général, 16e Réunion régionale des Amériques, Brasilia, mai 2006.