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Contribuer au niveau local à la lutte contre l’exploitation des travailleurs migrants pakistanais

Au Pakistan, un projet de l’OIT organise des actions de sensibilisation auprès des personnes tentées d’émigrer pour trouver du travail. Il s’agit de leur apprendre à réaliser leur projet sans prendre de risques.

Reportage | 9 septembre 2020
Sher Afsar Khan, artisan du changement au niveau communautaire © Shayan Ali Khan
GENÈVE (OIT Infos) – Sher Afsar est assis au milieu d’une vingtaine de villageois de la localité de Swabi, située au Pakistan, dans la province de Khyber Pukhtunkhwa. Ils écoutent avec attention ce qu’il leur explique à propos de la vie et du travail en Arabie saoudite. Ils racontent ce qui est arrivé à des membres de leur famille, pour le meilleur et pour le pire, qui étaient partis vivre et travailler à l’étranger et posent de nombreuses questions. Par exemple, ils veulent savoir quand et où obtenir un passeport et combien ça coûte. Pour la plupart d’entre eux, c’est la première fois qu’ils entendent parler de migration sécurisée au niveau des démarches à accomplir et des coûts à supporter.

«Je suis heureux de constater un véritable changement dans l’attitude des gens après avoir assisté à mes séances de sensibilisation», explique Afsar. «Cela fait longtemps que les gens du village partent à l’étranger pour trouver du travail et ils ont une vision idéalisée de la vie là-bas à travers ce qu’ils peuvent voir à la télévision et au cinéma. Les agents locaux de recrutement leur promettaient souvent monts et merveilles en leur disant que leur vie allait changer lorsqu’ils commenceraient à gagner de l’argent. Les gens ne disposaient d’aucune information sur les institutions publiques chargées d’intervenir pour protéger les travailleurs expatriés.»

Afsar est «artisan du changement au niveau communautaire» dans le cadre du projet financé par l’UE intitulé Action mondiale pour améliorer le cadre du recrutement de la migration de main-d’œuvre (REFRAME), dont l’objectif est de veiller au recrutement équitable et à une migration sécurisée depuis le Pakistan.

A présent, les gens connaissent leurs droits ainsi que les organismes publics qui peuvent les aider lorsqu’ils rencontrent des difficultés."

Sher Afsar Khan
En effet, la migration de main-d’œuvre depuis le Pakistan est en augmentation constante ces dernières décennies et elle continue d’offrir une possibilité non négligeable d’améliorer les moyens de subsistance à la fois au niveau familial et au niveau local.*

Cependant, l’absence de véritables informations à propos de la migration sécurisée, des canaux de recrutement équitable et des services qui y sont associés constitue une vraie difficulté pour ceux qui envisagent de devenir travailleurs migrants. Sans disposer de renseignements fiables, ils peuvent être victimes de tromperie et même d’abus au moment de leur recrutement, un risque qui peut s’aggraver s’ils passent par des intermédiaires non déclarés ou sans autorisation d’exercer.

«Ce manque d’information – et parfois la volonté délibérée de désinformer de la part de certains acteurs – amènent souvent les travailleurs migrants à payer des frais importants pour être recrutés. Ils deviennent ainsi vulnérables face au danger de la servitude pour dettes», souligne Munawar Sultana, coordinatrice nationale du projet REFRAME de l’OIT.

Afsar acquiesce. «Les gens avaient l’habitude de verser de 200 000 à 250 000 PKR (de 1200 à 1500 dollars des Etats-Unis) aux agents locaux pour obtenir des visas, mais désormais ils paient de 80 000 à 90 000 PKR (de 480 à 540 dollars des Etats-Unis) pour se procurer les mêmes visas. Ils sont donc ravis de cette économie. A présent, les gens connaissent leurs droits ainsi que les organismes publics qui peuvent les aider lorsqu’ils rencontrent des difficultés», explique-t-il. Même si les travailleurs accueillent favorablement cette baisse, l’OIT soutient le principe selon lequel aucun frais de recrutement ne devrait être supporté par les travailleurs.

La réponse du projet REFRAME

Afin de pallier à ce déficit crucial en matière d’information, le projet REFRAME a développé un partenariat avec une entreprise sociale locale appelée Mera Maan afin de former 27 personnes (hommes et femmes) pour qu’elles deviennent des artisans du changement au niveau communautaire. Elles sont chargées d’organiser des séances d’information dans les quartiers depuis lesquels les migrations sont fréquentes.

La formation couvre des thèmes essentiels comme les risques encourus en cas de migration clandestine, les différents canaux et démarches en matière de migration légale, les droits et les devoirs des travailleurs migrants ainsi que les organismes qui peuvent offrir une aide en cas de plaintes ou de procédures juridiques.

Les artisans du changement s’assurent que les séances d’information se tiennent bien dans la langue parlée dans la région, que le contenu correspond bien aux particularités locales et qu’elles sont intégrées dans les structures communautaires régionales en incluant, par exemple, des représentants des autorités locales et religieuses, des travailleurs sociaux, des enseignants, des représentants de la justice et des organisations des environs.

Jusqu’ici, ils ont organisé des séances d’information destinées à plus de 9 800 travailleurs migrants en partance ou de retour au pays, ainsi qu’à leurs familles. L’information circule aussi au niveau communautaire par le bouche-à-oreille, les messageries électroniques et les réseaux sociaux, ce qui a permis de toucher plus de 89 000 personnes environ. Les membres du réseau ont également reçu des demandes pour organiser des séances dans d’autres localités.

Des effets durables

Avec l’appui de l’OIT et de l’Union européenne, le projet REFRAME a permis aux associations locales et à des dizaines de millions de bénéficiaires d’évoluer dans la bonne direction de manière conséquente et de façon concrète en étant bien informés.

«Les travailleurs qui prévoient de s’expatrier se tournent désormais vers des intermédiaires ayant pignon sur rue plutôt que vers des intermédiaires non officiels. Il leur arrive même de contacter le service de Protection de l’Emigration et le bureau de l’Emigration et de l’Emploi à l’étranger afin de vérifier la crédibilité des intermédiaires officiels opérant dans leur région», explique Rooh-ul Ameen, président du Conseil municipal de Samaaji Behbood Raabita, à Swabi.

Rendre les populations autonomes en leur fournissant des informations s’avère un premier pas essentiel pour assurer des conditions équitables de recrutement, une migration sécurisée et l’assurance d’un travail décent pour des millions de travailleurs pakistanais expatriés»."

Munawar Sultana, coordinatrice nationale du projet REFRAME de l’OIT
Les migrants potentiels utilisent également de manière accrue les services officiels. «Auparavant, la plupart des gens ignoraient l’existence du centre public d’information sur les migrations. A présent, de nombreux candidats contactent le numéro vert du centre pour se renseigner sur la marche à suivre avant de trouver un emploi», ajoute Shahzad Murtaza, qui préside le réseau pour l’emploi des jeunes de Multan.

«Rendre les populations autonomes en leur fournissant des informations s’avère un premier pas essentiel pour assurer des conditions équitables de recrutement, une migration sécurisée et l’assurance d’un travail décent pour des millions de travailleurs pakistanais expatriés», conclut Munawar Sultana. «Nous avons hâte de poursuivre cette mission auprès des habitants des régions rurales du Pakistan.»

* State Bank of Pakistan, 2019