Recherche de l’OIT

La contribution de la microfinance au travail décent

Un projet de recherche de l’OIT montre comment la microfinance peut aider les petites entreprises à sortir de l’économie informelle et à devenir rentables.

Article | 17 février 2015
Poschetty et sa femme, producteurs de lait à Pulkal, en Inde.
Genève (OIT Info) - Rukhiya est fière de son restaurant Punchiri. Elle lui a donné un nom, elle en est la propriétaire et elle le gère depuis plus de huit ans, à Vadanapilly, dans la région de Thrissur, en Inde. Son commerce, comme tant d’autres dans le monde, n’est pas enregistré officiellement.

Todzhigul est née et a grandi à Douchanbé, au Tadjikistan. Elle est célibataire, mère de quatre enfants, et se bat pour gagner sa vie et subvenir aux besoins de sa famille. L’atelier de couture qu’elle faisait tourner a rencontré des difficultés et a fermé.

Hurmat-Razia fabrique des bracelets à Hyderabad, au Pakistan. Tous les membres de sa famille participent à son activité. Quand un problème de santé a empêché sa belle-mère de travailler, elle a senti qu’elle n’avait d’autre choix que de retirer sa jeune fille de l’école afin qu’elle donne un coup de main.

Poschetty est producteur de lait à Pulkal, en Inde. Sa femme et lui possèdent six bufflonnes qui produisent 20 litres de lait par jour qu’ils vendent pour gagner leur vie. Ils trouvent le travail pénible et parfois dangereux.

 
Comme Rukhiya, Todzhigul, Hurmat-Razia et Poschetty, les entrepreneurs de l’économie informelle et les employés qui travaillent dans ces entreprises sont souvent exposés à des conditions de travail difficiles et dangereuses.

Les outils utilisés pour identifier, prévenir et modifier ces conditions dans l’économie informelle – notamment le dialogue social entre employeurs et travailleurs, l’inspection du travail et autres applications de la législation du travail – ne s’appliquent généralement pas aux entreprises non déclarées comme celles évoquées plus haut. D’autres approches sont nécessaires pour venir en aide à ces entrepreneurs, mais que peut-on faire et comment?

Les institutions financières comme voies d’accès au travail décent

Une nouvelle recherche de l’OIT soutient l’idée qu’on peut atteindre et aider ces entreprises grâce aux institutions de microfinance (IMF). La microfinance pour le travail décent – Améliorer l’impact de la microfinance: Données recueillies par un programme d’action-recherche a été conduite par le Programme de finance solidaire de l’OIT, en collaboration avec l’Université de Mannheim en Allemagne.

Sur de nombreux marchés émergents, les IMF ont une portée importante, fournissant des services financiers à des milliers si ce n’est des millions de petites et microentreprises. Etant donné que leur première relation avec ces entrepreneurs consiste souvent en un prêt, elles sont en mesure d’en tirer parti pour faciliter l’amélioration des conditions de travail dans les entreprises.

De 2008 à 2012, l’OIT a collaboré avec 16 institutions de microfinance pour tester une série d’approches visant à amplifier l’impact social grâce à la prestation de services innovants, financiers et non financiers.

L’élimination du travail des enfants, la promotion de la formalisation des entreprises, la réduction de la vulnérabilité et l’amélioration des performances des entreprises grâce à de meilleures conditions de travail – voilà les objectifs de travail décent que poursuivent les IMF dans le cadre du programme de l’action-recherche «La microfinance pour le travail décent» (MF4DW en anglais).

Au cours d’une étude pilote, les institutions financières ont développé des méthodes innovantes pour combler le déficit de travail décent qui affecte le plus leurs clients. Trois IMF ont lancé un nouveau service financier, neuf autres ont mis en place un service non financier, quatre ont proposé un ensemble de services financiers et non financiers, et une dernière a restructuré ses activités.

Les études d’impact ont montré que toutes les innovations avaient eu des effets sur les résultats ciblés; toutefois, pas toujours avec la même intensité et pas toujours dans le sens voulu.

Ces résultats ont mis en évidence un message essentiel: les IMF peuvent atteindre les résultats souhaités si elles identifient un problème puis se concentrent sur ce domaine particulier pour aider leurs clients.

Des résultats remarquables

  • La fille d’Hurmat-Razia ne devrait plus être retirée de l’école pour remplacer un membre de la famille au travail parce que le Programme national d’appui rural (NRSP) a testé un produit de micro-assurance santé renforcée qui couvre la totalité de la famille. En effet, au Pakistan, cette extension de la couverture santé a fait reculer la fréquence du travail des enfants de 7 pour cent pour les deux sexes et diminuer le risque d’exercer une profession dangereuse de 5 à 6 pour cent.
  • En termes de performance des entreprises, l’association d’une formation pour les femmes entrepreneurs à des prêts à la création d’entreprise a permis d’augmenter le travail indépendant et favorisé l’expansion des activités des femmes entrepreneurs au Tadjikistan. Avec un prêt à la création de 1700 dollars et une meilleure connaissance du monde des affaires acquise lors de la formation à l’entrepreneuriat (tous deux fournis par IMON), Todzhigul a ouvert une épicerie devenue florissante.
  • La recherche fait également état de progrès pour la santé et la sécurité. Poschetty et sa femme ont participé à une formation sur la sécurité et la santé au travail (SST) et sur la productivité organisée par BASIX. Dans cette optique, il a construit un abri pour protéger ses animaux du vent, du soleil et de la pluie, ce qui a permis d’augmenter de 35 pour cent sa production laitière. En Inde, la formation sur la productivité et la SST s’est traduite par une réduction de 11 pour cent des blessures et accidents du travail et par une meilleure productivité, dégageant une augmentation nette de 37 dollars du revenu mensuel.
  • Retour en Inde. Rukhiya est fière d’avoir été l’une des premières à enregistrer son entreprise après avoir suivi le programme de formation de l’ESAF sur la formalisation. L’équipe de l’ESAF a montré à ses clients la voie vers la formalisation en les accompagnant dans le processus de formalisation, notamment en les aidant à remplir leurs dossiers de candidature et à réunir les documents nécessaires. Les interventions de l’ESAF ont accru la sensibilisation aux bienfaits de la formalisation de 93 pour cent et la formalisation elle-même a progressé d’environ 70 pour cent.
  • Aux Philippines, la Fondation Negros women for Tomorrow a aidé ses clientes à réduire leur endettement en introduisant un produit d’épargne d’urgence. Grâce à cela, les difficultés de remboursement ont diminué de 7 pour cent, et le recours à l’emprunt pour rembourser un autre prêt a reculé de 22 pour cent.

En partageant les conclusions et les expériences positives de ce projet d’action-recherche, l’OIT espère que les acteurs de la microfinance, les chercheurs, les décideurs politiques et les bailleurs de fonds opteront pour ces méthodes innovantes afin d’aider davantage d’entrepreneurs et leurs employés à faire l’expérience du travail décent.