Migration de main-d’œuvre

Aider les migrants à tirer le meilleur parti de leur argent

Les envois d’argent des migrants devraient atteindre 436 milliards de dollars en 2014 et 540 milliards en 2016. L’éducation financière peut donc non seulement apporter un appui utile aux familles des migrants restées au pays mais elle aide aussi les migrants à gérer leur propre budget dans leur pays d’accueil.

Reportage | 11 décembre 2014
© Aamir Qureshi / AFP
GENEVE (OIT Info) – Moussé Bao, travailleur immigré de 35 ans en provenance du Sénégal, vit en France depuis 2006.

Comme la plupart des travailleurs migrants, il envoie une part conséquente de son salaire mensuel à Louga, sa ville natale dans le Nord-Ouest du Sénégal, près de la ville côtière de Saint-Louis. Chaque mois, sa mère et sa femme reçoivent environ 500 euros grâce à un service de transferts de fonds.

«Elles ne gardent pas tout l’argent que j’envoie parce qu’on s’attend non seulement à ce que je soutienne mes parents et ma femme mais aussi le reste de ma famille, à savoir mes frères et sœurs», explique-t-il pendant une session de formation en éducation financière organisée à Paris par le Forum des organisations de solidarité internationale issues de migrations, le FORIM, et financée par l’Organisation internationale du Travail (OIT).

M. Bao est arrivé en France il y a neuf ans, un diplôme universitaire de géographie en poche, mais il s’est rapidement intéressé à l’éducation financière et il est devenu formateur. C’est maintenant sa principale activité professionnelle.

Les flux d’envois de fonds vers les pays en développement sont en constante augmentation. Selon la Banque mondiale, ils devraient atteindre 436 milliards de dollars en 2014 et 540 milliards en 2016. Les principaux pays bénéficiaires sont l’Inde, la Chine, les Philippines, le Mexique, le Nigéria et l’Egypte. Beaucoup d’autres pays africains sont aussi très dépendants de ces envois de fonds.

Hélène Eggert, une autre formatrice, travaille aussi bien avec les migrants africains en France qu’avec leurs familles au Cameroun, son pays d’origine. Mme Eggert rentre à Douala, sa ville natale, deux fois par an pour expliquer aux familles d’émigrés qu’elles ne doivent pas trop attendre de leurs proches partis en Europe.

L’éducation financière est utile pour les travailleurs migrants mais aussi pour leurs familles restées sur place afin qu’elles tirent le meilleur parti de l’argent envoyé."

«L’éducation financière est utile pour les travailleurs migrants mais aussi pour leurs familles restées sur place afin qu’elles tirent le meilleur parti de l’argent envoyé», explique t-elle.

Mme Eggert – qui vit en France depuis 1982 – insiste également sur le fait qu’avant même d’apprendre aux migrants comment procéder au mieux pour envoyer de l’argent chez eux, il est souvent nécessaire de les former à gérer leur propre budget.

«La plupart des nouveaux travailleurs immigrés n’ont pas l’habitude de tenir un budget alimenté par un salaire mensuel fixe. Ils ne sont pas forcément familiarisés avec l’argent nécessaire pour vivre en Europe; donc, quand ils subissent la pression de leur famille pour leur envoyer de l’argent, ils arrivent facilement à s’endetter après avoir trop emprunté auprès des sociétés de crédit ou d’autres travailleurs immigrés», précise-t-elle.

«Dans de nombreux pays africains, celui qui a réussi à partir en Europe et à trouver un emploi est considéré comme un héros qui peut sortir sa famille de la misère. Mais ils ne réalisent pas toujours que le coût de la vie dans un pays européen est beaucoup plus élevé qu’en Afrique», ajoute M. Bao. «Quand on approche de la période des vacances ou – dans le cas du Sénégal – quand le moment arrive de célébrer les fêtes religieuses traditionnelles, il est très difficile de résister à la pression de la famille restée sur place d’envoyer encore plus d’argent».

Faire des choix éclairés

La plupart des migrants envoient de l’argent chez eux grâce à des services de transferts financiers qui garantissent une mise à disposition rapide des fonds mais à un certain prix. En moyenne, le coût global pour envoyer des fonds avoisine les 9 pour cent.

Mais de nouveaux moyens de transferts apparaissent peu à peu. M. Bao met en avant la possibilité d’acheter en ligne des denrées alimentaires qui sont ensuite livrées aux familles résidant au Sénégal. De cette façon, les migrants sont certains que leur argent sert à couvrir des besoins vitaux, car la tentation peut être grande de le dépenser dans des activités futiles.

Mme Eggert mentionne également une nouvelle couverture de micro-assurance qui permet de fournir des prestations de protection sociale aux membres de la famille plutôt que de leur envoyer des espèces. Toutefois, ces mécanismes n’en sont qu’à leurs balbutiements.

L’éducation financière peut aussi aider les travailleurs migrants qui planifient leur retour au pays et envisagent de lancer leur propre entreprise.

«Les travailleurs migrants doivent pouvoir faire des choix éclairés quant au moment opportun pour emprunter, la meilleure manière d’épargner ou ce qu’il convient de chercher dans les clauses imprimées en petits caractères dans une police d’assurance», explique Séverine Deboos du Programme de finance solidaire de l’OIT.

L’OIT a élaboré des outils de formation à l’éducation financière comme ceux qu’utilisent Mme Eggert et M. Bao, ainsi que des programmes visant à renforcer les connaissances et les compétences requises pour gérer un budget de manière responsable, y compris les dépenses, l’épargne, l’emprunt et l’investissement.

Des formations ont été dispensées dans des pays comme le Bénin, le Burkina Faso, le Cambodge, l’Ethiopie, l’Indonésie, le Kenya, le Mali, la Mauritanie, la Moldavie, le Maroc, Myanmar, les Philippines et le Sénégal. Des sessions de formation ont aussi été organisées en étroite coopération avec les autorités locales, les partenaires sociaux et les associations de migrants à Singapour, en Malaisie, en Thaïlande, en France, en Espagne et en Italie.

L’OIT a conduit une recherche sur les envois de fonds des migrants et la microfinance, ainsi que des études de faisabilité sur l’utilisation d’une partie des envois de fonds des travailleurs migrants pour développer des produits de micro-assurance santé dans les pays d’origine comme le Mali, le Sénégal et les Comores.

«Les envois de fonds sont l’expression de la solidarité des travailleurs migrants avec leurs familles et leurs communautés. C’est une source de financement privée et autonome qui franchit les frontières et qui peut aussi contribuer utilement à transformer les bénéfices de la migration de main-d’œuvre en facteurs de développement», souligne Samia Kazi-Aoul, du Service des migrations de main-d’œuvre de l’OIT.

«L’égalité de traitement, la non-discrimination et l’accès au travail décent sont indispensables pour améliorer les revenus des travailleurs immigrés et leur capacité à contribuer au développement», conclut-elle.