Institutions de micro finance: Comment financer un changement social durable

Environ 4 milliards de dollars sont investis chaque année dans la microfinance à l’échelle mondiale. Mais alors que les institutions de microfinance doivent s’appuyer sur de solides modèles économiques pour survivre, elles sont confrontées au défi de réaliser des profits tout en créant un changement social durable. Une nouvelle étude de l’OIT guide les praticiens et les donateurs pour les aider à gérer l’équilibre entre sens des affaires et réduction de la pauvreté, en définissant un critère de soutien aux institutions de microfinance.

Article | 21 novembre 2007

Environ 4 milliards de dollars sont investis chaque année dans la microfinance à l’échelle mondiale. Mais alors que les institutions de microfinance doivent s’appuyer sur de solides modèles économiques pour survivre, elles sont confrontées au défi de réaliser des profits tout en créant un changement social durable. Une nouvelle étude (Note 1) copubliée par l’OIT guide les praticiens et les décideurs politiques pour les aider à gérer l’équilibre entre sens des affaires et réduction de la pauvreté, en définissant un critère de soutien aux institutions de microfinance. BIT en ligne s’est entretenu avec Bernd Balkenhol, éditeur de «Microfinance et politiques publiques».

BIT en ligne: Institutions publiques, banques commerciales, ONG … les institutions de microfinance sont relativement diversifiées et difficiles à comparer – qu’ont-elles en commun?

Bernd Balkenhol: Le premier défi consistait à donner un sens à cette diversité d’institutions qui ont des clientèles, des modes de fonctionnement et des cultures d’organisation différents. Mais un fil conducteur traverse toutes les organisations; l’importance de l’efficacité – la capacité à utiliser des ressources rares pour atteindre de la manière la plus efficace des milliers de clients, pour apporter des services de qualité et combler en grande partie le fossé entre l’offre et la demande de produits financiers de base pour les plus pauvres. Dans la microfinance, l’efficacité signifie l’utilisation du moins de ressources possible – en particulier en termes de personnel et de capital – pour distribuer le plus grand nombre de prêts, pour toucher les clients non solvables et fournir tout un éventail de services à valeur ajoutée.

Notre étude a établi quatre différents modèles de performance sociale et financière: le premier groupe d’IMF est notablement inefficace – tant en termes de performance sociale que financière – comparé à ce que réussissent d’autres institutions similaires quant à leur situation géographique, leur forme juridique, les techniques de distribution, les subventions reçues et les structures de personnel. La deuxième catégorie s’adresse à de nombreux ménages pauvres mais est faible sur le plan de l’évaluation financière. La troisième catégorie fonctionne bien pour la rentabilité mais moins en termes d’impact social. Et la quatrième catégorie est performante aux deux sens du terme. Aux deux extrêmes, se trouvent des institutions qui réussissent à atteindre les ménages les plus démunis et les plus isolés tout en réussissant à franchir le seuil de rentabilité, alors que d’autres servent une clientèle mieux lotie, jouissent d’un relatif monopole mais faillissent sur le plan financier.

BIT en ligne: Comment peut-on mesurer l’efficacité des IMF?

Bernd Balkenhol: En microfinance, l’efficacité peut se mesurer à l’aide de plusieurs ratios: la mesure la plus communément utilisée relie les dépenses opérationnelles au portefeuille de prêts en cours; d’autres rapprochent le coût opérationnel total au nombre d’emprunteurs ou le nombre de clients à celui des agents prêteurs; moins souvent, on utilise des mesures telles que la proportion d’agents prêteurs dans l’ensemble du personnel, ou les salaires des prêteurs comparés au salaire minimum, ou encore le temps moyen de traitement d’un prêt.

En fait, les institutions peuvent opérer avec des degrés d’efficacité très divers. Une étude de 2005 portant sur 365 institutions de premier plan, par exemple, montre qu’en moyenne les prêteurs consacrent environ 25 cents de dépenses opérationnelles pour chaque dollar d’encours de prêt, mais la mesure varie de moins de 5 cents à plus de 40 cents pour les prêteurs les «moins efficaces». De la même manière, le nombre moyen d’emprunteurs par employé d’une IMF (une autre mesure de productivité) varie de moins de 100 à plus de 500 emprunteurs.

BIT en ligne: Existe-t-il une recette pour être efficace?

Bernd Balkenhol: Il n’existe pas de recette magique. Il faut garder présent à l’esprit que le contexte joue beaucoup sur la performance, ce n’est pas qu’une question de bonne ou de mauvaise gestion. Cependant, pour commencer, il convient de mieux comprendre les moteurs de l’efficacité: le solde moyen des crédits, les coûts salariaux et la productivité du personnel. Etant donné les fonctions de coût en finance, il est toujours payant de s’engager dans des crédits plus importants; l’inconvénient est que l’on risque de perdre la clientèle originale et d’aller vers une clientèle plus haut de gamme au détriment d’un segment plus pauvre du marché. Le second moteur des dépenses opérationnelles, ce sont les coûts de main-d’œuvre. Ils varient énormément selon les pays en raison de la rareté des agents prêteurs qualifiés. Même le troisième facteur déterminant les frais de fonctionnement est parfois difficile à gérer: dans les zones rurales et périurbaines, c’est un véritable défi de servir de 250 à 400 clients.

Pour partie, les dirigeants d’IMF doivent s’adapter aux marchés sur lesquels ils travaillent et considérer la nature de la réglementation et la structure des coûts et des salaires comme des contraintes fixes. Les dirigeants disposent aussi d’une marge de manœuvre; ils peuvent améliorer les primes des agents prêteurs, modifier les techniques de distribution des crédits (par exemple, choisir entre transactions individuelles ou transactions de groupe), ajuster les exigences complémentaires, choisir des combinaisons intégrant des services non financiers et développer des partenariats stratégiques avec des associations et des groupes locaux.

BIT en ligne: L’efficacité est-elle synonyme d’autosuffisance?

Bernd Balkenhol: Ce que nous avons appris en analysant les données est que l’efficacité ne se traduit pas nécessairement par de la rentabilité mais, plus encore, que le fait de chercher à atteindre les plus pauvres ne doit pas être un prétexte à l’inefficacité. L’inefficacité limite la portée et la qualité des services, débouchant sur des occasions manquées. L’efficacité étant une condition nécessaire mais insuffisante pour une pleine rentabilité financière, il demeure un espace pour les politiques publiques. Se concentrer sur l’efficacité aide les donateurs à voir que certaines institutions agissent efficacement mais ne parviennent pas à être rentables en raison des conditions du marché local (en particulier, les coûts salariaux élevés et la faible densité de population) ou en raison d’une décision stratégique de ne pas augmenter les taux d’intérêt et les autres coûts.

Un soutien public de longue haleine peut se justifier, aussi longtemps que les institutions sont en mesure de prouver que leur contribution à la réduction de la pauvreté est rentable. Les donateurs doivent cependant s’assurer que leur soutien ne se substitue pas à d’autres fournisseurs de service, publics ou privés, ou n’empêche pas les IMF de continuer à innover. Nous plaidons pour une réforme fondamentale du système de subventionnement des IMF qui s’appuie sur des «contrats indexés sur la performance», stables et inscrits dans la durée, entre gouvernements/donateurs et IMF. Les institutions doivent poursuivre des objectifs d’efficacité pour lesquels les dirigeants sont appelés à rendre des comptes.


Note 1 - Microfinance and public policy: Outreach, performance and efficiency (Microfinance et politiques publiques: Portée, performance et efficacité), édité par Bernd Balkenhol. Bureau international du Travail, Genève, 2007. ISBN 978-92-2-119347-0. Vous pouvez aussi consulter le site: /public/french/support/publ/intro/index.htm.