Discrimination au travail.Des lueurs d'espoir et des points noirs

Selon un récent rapport du BIT sur la discrimination au travail - le plus complet réalisé à ce jour - la discrimination sur le lieu de travail perdure dans le monde et prend actuellement des formes nouvelles, plus insidieuses. Certes, les progrès sensibles réalisés dans la lutte contre les inégalités au travail donnent des raisons d’espérer, mais l’apparition de ces nouvelles formes de discrimination assombrit le tableau.

Article | 26 mai 2003

GENÈVE (Le BIT en ligne) - Le tout nouveau rapport du BIT sur la discrimination - élaboré en vertu de la Déclaration sur les principes et droits fondamentaux au travail que l’OIT a adoptée en 1998 - est judicieusement intitulé L’heure de l’égalité au travail 1. Il démontre sans doute possible que si aucune mesure n’est prise, cette heure ne viendra pas de si tôt.

«Ce pourrait être la tâche la plus difficile que la société contemporaine ait à accomplir, mais elle est essentielle pour la paix sociale et la démocratie », écrivent les auteurs. Et le Directeur général, Juan Somavia, de rappeler: « Tous les jours, dans le monde, des centaines de millions de travailleurs sont victimes de discrimination. »

Pour les auteurs, la persistance de la discrimination est imputable aux préjugés, aux idées stéréotypées et aux institutions partisanes qui ont résisté au combat juridique et autre mené depuis des décennies par les gouvernements, les employeurs et les travailleurs pour garantir l’égalité de traitement dans le monde du travail.

Ils montrent que, bien souvent, les victimes de discrimination - surtout lorsque celle-ci est fondée sur le sexe ou la couleur de la peau - se trouvent dans une situation d’inégalité persistante qui les place en marge des catégories mieux loties ou même de leurs semblables qui ont bénéficié de lois et de mesures non discriminatoires.

M. Somavia considère cependant que tout n’est pas négatif. « Nous avons fait des progrès, puisque désormais, la discrimination est pour ainsi dire universellement condamnée et que des mesures antidiscriminatoires sont appliquées dans de nombreux lieux de travail », déclare-t-il. « Il n’en demeure pas moins que la discrimination est une cible mouvante en constante évolution et que nous avons encore un long chemin à parcourir avant de parvenir à l’égalité. »

Discrimination au travail.Des lueurs d'espoir et des points noirs

Aux fins de la convention n°111 de l’OIT, le terme « discrimination » comprend, entre autres, « toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l’opinion politique, l’ascendance nationale ou l’origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession ». Les auteurs du rapport précisent que la discrimination peut perpétuer la pauvreté, nuire au développement, à la productivité et à la compétitivité et générer l’instabilité politique. (Voir la convention n° 111 sur la discrimination (emploi et profession), 1958 et la recommandation qui l’accompagne (n° 111), paragraphe 1a) de l’article 1). En mai 2003, 158 des 175 États membres de l’OIT avaient ratifié cette convention et 160 la convention (n° 100) sur l’égalité de rémunération, 1951.

La discrimination reste chose courante dans le monde du travail. « Même si certaines des formes les plus flagrantes de discrimination au travail se sont atténuées, nombre d’entre elles subsistent et d’autres ont pris des formes nouvelles ou moins visibles », peut-on lire dans le rapport. Ainsi, les migrations internationales conjuguées à la redéfinition des frontières nationales et à l’aggravation des problèmes économiques et des inégalités ont exacerbé la xénophobie et la discrimination raciale et religieuse. Et l’apparition récente de la discrimination fondée sur le handicap, le VIH/sida, l’âge ou l’orientation sexuelle est très inquiétante.

  • La lutte contre la discrimination au travail a donné des résultats inégaux et partiels, même pour les formes depuis longtemps reconnues telles que la discrimination à l’égard des femmes. La discrimination au travail ne disparaîtra pas d’elle-même, pas plus que le marché ne l’éliminera à lui seul.

  • Les inégalités au sein d’une même catégorie de victimes s’accentuent. Dans certains pays, les mesures d’action positive, par exemple, ont contribué à l’émergence d’une nouvelle classe moyenne composée de personnes auparavant victimes de discrimination. Quelques-unes parviennent à se hisser au sommet de l’échelle sociale, mais la plupart conservent des bas salaires et demeurent exclues du reste de la société.

  • La discrimination enferme les gens dans les emplois peu rémunérés de l’économie « informelle ». Les personnes victimes de discrimination sont souvent bloquées dans les pires emplois : elles n’ont accès à aucun avantage, aucune protection sociale et aucune formation et, sans terres ni possibilités d’emprunt, elles sont dépourvues de capital. Dans l’ensemble, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à exercer ces activités généralement invisibles et peu reflétées dans les statistiques.

  • La persistance de la discrimination favorise la pauvreté. Expliquant que la discrimination crée un terrain favorable à la pauvreté, au travail forcé, au travail des enfants et à l’exclusion sociale, les auteurs du rapport affirment que l’élimination de la discrimination est une composante indispensable de toute stratégie de lutte contre la pauvreté et de développement économique durable.

  • L’élimination de la discrimination au travail est bénéfique pour tous - les individus, les entreprises et l’ensemble de la société. L’équité et la justice sur le lieu de travail stimulent l’estime de soi et le moral des travailleurs. Et en retour, une main-d’œuvre motivée et productive dope la productivité et la compétitivité des entreprises.


Les différentes formes de discrimination : des «cibles mouvantes»

La discrimination fondée sur le sexe est de loin la plus courante. Et les femmes sont de loin les plus touchées. Même si de plus en plus de femmes travaillent, le « plafond de verre » et l’« écart de rémunération » entre les hommes et les femmes sont encore bien présents dans la plupart des pays. En outre, les femmes occupent généralement les emplois les moins bien rétribués et les plus précaires. Leur taux de chômage est plus élevé. La discrimination se manifeste à tous les stades de l’emploi - du recrutement au licenciement en passant par la formation et la rétribution - ainsi que dans la ségrégation professionnelle.

La discrimination raciale, qui perdure elle aussi, touche les migrants, les minorités ethniques, les populations indigènes et tribales et d’autres catégories à risque. L’intensification des migrations internationales a profondément modifié les comportements envers les travailleurs migrants, les immigrés des deuxième et troisième générations et les citoyens d’origine étrangère. C’est parce qu’ils sont perçus comme des étrangers - même s’ils ne le sont pas - que ces travailleurs font l’objet de discrimination.

La discrimination à l’égard des personnes atteintes du VIH/sida et surtout des femmes, est de plus en plus préoccupante. Elle prend différentes formes : tests de dépistage servant à éliminer des candidats à l’embauche et, dans certains pays, contrôle préalable des visiteurs souhaitant effectuer un séjour de longue durée ou encore dépistage systématique des travailleurs migrants. Sont également cités : le licenciement sans preuves médicales et sans préavis ou audition, la rétrogradation, la suppression des prestations d’assurance maladie, la réduction arbitraire du salaire et le harcèlement sexuel.

Le nombre des personnes handicapées, qui représentent actuellement 7 à 10% de la population mondiale, risque d’augmenter avec le vieillissement démographique. La majorité de ces personnes vit dans les pays en développement et le taux d’invalidité est plus élevé dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Très souvent, elles n’ont pas accès au marché du travail, à l’enseignement ni à la formation. Leur taux de chômage atteint 80% ou plus dans beaucoup de pays en développement. Les handicapés sont souvent cantonnés dans des emplois subalternes non qualifiés et sous-payés, qui n’offrent pas ou très peu de protection sociale.

La discrimination fondée sur la religion s’est aggravée au cours de la décennie écoulée. Le climat politique qui règne actuellement dans le monde alimente des sentiments de méfiance et de discrimination entre confessions, qui menacent de déstabiliser la société et d’attiser la violence. Dans le monde du travail, cette forme de discrimination se manifeste par un comportement agressif des collègues ou du personnel d’encadrement envers les personnes de religions minoritaires, le non-respect des rites et des fêtes religieuses, des a priori en ce qui concerne le recrutement ou l’avancement, le refus de l’autorisation d’exercer une activité économique et l’intolérance vis-à-vis des coutumes vestimentaires.

La discrimination fondée sur l’âge augmente elle aussi. En 2050, 33% des habitants des pays industrialisés et 19% de la population des pays en développement - des femmes pour la plupart - auront 60 ans ou plus. La discrimination peut être déclarée, en cas de limite d’âge à l’embauche par exemple, mais elle peut aussi revêtir des formes plus insidieuses qui consistent par exemple à dire aux gens qu’ils n’ont pas de perspectives de carrière ou qu’ils ont trop d’expérience. Il arrive aussi que l’on restreigne l’accès à la formation ou impose des conditions telles que les travailleurs sont pratiquement contraints d’anticiper leur départ à la retraite. La discrimination fondée sur l’âge ne touche pas seulement les travailleurs qui approchent de l’âge de la retraite.

Beaucoup de personnes subissent une «discrimination multiple». Par exemple, au sein des populations indigènes et tribales, qui comptent parmi les plus miséreuses, les femmes sont encore plus défavorisées. L’intensité ou la gravité du désavantage dépend du nombre et de l’interaction des caractéristiques personnelles qui sont des causes potentielles de discrimination. C’est surtout parmi les populations démunies, en proie à une pauvreté chronique notamment, et dans l’économie informelle que coexistent plusieurs formes de discrimination.

L’action de l’OIT

Les auteurs du rapport considèrent que d’un point de vue stratégique, le lieu de travail - usine, bureau, plantation, ferme ou ménage - constitue un point de départ idéal pour la lutte contre la discrimination. Le fait que les personnes les plus diverses soient rassemblées et traitées de façon équitable dans le monde du travail permet de combattre les a priori dans la société tout entière. Les préjugés finissent par s’atténuer et par ne plus avoir cours. Un monde du travail sans exclusion aide à prévenir et à réparer la fragmentation sociale, les conflits raciaux et ethniques ainsi que les inégalités entre hommes et femmes.

Certes, l’interdiction de la discrimination au travail n’en a pas éliminé la pratique. C’est que la législation est indispensable mais pas suffisante ; il faut aussi des institutions qui fassent dûment appliquer les lois, des mesures d’action positive, un enseignement, une formation et des services de l’emploi impartiaux ainsi que des données permettant de suivre l’évolution de la situation. Un tel ensemble de mesures et d’outils est absolument nécessaire, quelle que soit la forme de discrimination visée.

Ce rapport a été élaboré comme suite à l’adoption, en 1998, de la Déclaration de l’OIT sur les principes et droits fondamentaux au travail, par la Conférence internationale du Travail. En réaffirmant le principe de l’élimination de la discrimination dans l’emploi et la profession, déjà proclamé dans la Constitution de l’Organisation, cette déclaration marque la volonté universelle d’éliminer la discrimination dans le monde du travail par le biais de l’égalité de chances et de traitement. En effet, elle impose à tous les États membres de l’OIT le devoir de respecter les principes fondamentaux qui y sont énoncés, même s’ils n’ont pas ratifié les conventions correspondantes.


1 - L’heure de l’égalité au travail. Rapport global en vertu du suivi de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail 2003, BIT, Genève, 2003.ISBN 92-2-12871-0. 20 francs suisses.