Un an après l'adoption de la Recommandation 193 de l'OIT: La relance de l'idée de coopératives

Juin a marqué le premier anniversaire de l'initiative prise par l'Organisation internationale du Travail pour encourager le développement des activités coopératives.

Article | 22 septembre 2003

GENÈVE - Juin a marqué le premier anniversaire de l'initiative prise par l'Organisation internationale du Travail pour encourager le développement des activités coopératives. Cette initiative a pris la forme d'une Recommandation, la 193, adoptée officiellement il y a un an par la Conférence internationale du Travail sous le titre général de "promotion des coopératives". Dans les mois qui ont suivi cette décision, l'équipe assignée par le BIT à l'exécution du projet a commencé à oeuvrer avec les gouvernements et les milieux axés sur ce type d'activités pour traduire dans les faits la Recommandation au niveau national. Le journaliste Andrew Bibby fait le récit des résultats de leur travail.

Cinq millions de litres de lait donnent une énorme quantité de beurre et de fromage: c'est pourtant la quantité traitée quotidiennement par la coopérative de production qui se cache derrière les marques Amul et Dhara, bien connues en Inde. L'entreprise, au chiffre d'affaires de 500 millions de dollars, basée dans l'état du Gujarat, réunit douze coopératives laitières installées dans divers districts: elle permet aux fermiers de quelque 10.000 localités de l'état de bénéficier de la transformation et de la commercialisation de leur lait sur la base d'un système de partage.

Le Dr V. Kurien, président de la coopérative-mère, explique que la clé du succès réside dans la structure coopérative de l'entreprise.

"Nous sommes fiers de travailler dans un mouvement coopératif qui ne tolère aucune distinction de nationalité, de religion, de caste ou de communauté", a-t-il déclaré au cours de la dernière réunion annuelle de la compagnie. Pour lui, la coopération qui s'est instaurée a généré "une amélioration sans précédent" du niveau de vie des fermiers, tout en donnant aux populations urbaines accès à des produits frais et de bonne qualité.

Dans l'autre moitié du globe terrestre se déroule une histoire similaire. Une petite équipe de graphistes, installés sur la côte sud de l'Angleterre, a créé la compagnie Wave. Leur expérience est certes différente de celle des fermiers du Gujarat, mais leur message est remarquablement semblable. Wave s'enorgueillit d'être une coopérative appartenant à ses salariés, créant des emplois et injectant ses profits dans la communauté locale. "Nous avons foi dans l'engagement pris d'oeuvrer au bien-être de ceux qui travaillent dans notre coopérative, de ceux avec lesquels nous commerçons, de notre communauté et de la société en général", explique la compagnie à ses clients.

Pour le Secrétaire du groupe des employeurs à la Conférence internationale du Travail, Antonio Peñalosa ( Organisation internationale des employeurs, OIE), les coopératives peuvent jouer un grand rôle dans l'économie de leurs pays. Dans un certain nombre d'entre eux, elles sont devenues des affaires florissantes, comme, par exemple, le groupe Migros en Suisse, le Groupo Mondragon en Espagne et le Crédit Agricole en France. Ces coopératives sont souvent membres actifs d'organisations d'employeurs et jouent un rôle important dans le développement national.

Les coopératives pèsent d'un poids important dans l'économie mondiale. C'est à quelque 800 millions de personnes que sont estimées, de par le monde, les membres des coopératives, et 100 millions d'entre eux tirent leur subsistance d'entités opérant dans l'agriculture, la finance, l'habitat, le commerce de détail et d'autres secteurs. Pour Iain Macdonald, Directeur général de l'Alliance coopérative internationale (ACI), basée à Genève, les chiffres parlent d'eux-mêmes: au Burkina Faso, les coopératives contrôlent 77 pour cent de la production de coton, à Malte, elles détiennent 90 pour cent des parts dans l'industrie de la pêche, et aux Etats-Unis deux personnes sur cinq sont membres de coopératives.

Les effets de la Recommandation n'ont pas tardé: ils se sont fait sentir au plan national et local au cours des douze mois qui ont suivi son adoption par la Conférence internationale du Travail.

En Afrique du sud, le BIT a contribué à l'élaboration d'une stratégie de développement des coopératives. Une nouvelle loi ad hoc est en voie d'entrer dans la législation nationale, une initiative qui devrait donner un sérieux coup de fouet à l'expansion du système coopératif. La Guinée-Bissau a également adopté une politique nationale de développement des coopératives, fondée sur la Recommandation de l'OIT, et des initiatives semblables sont prises en Ethiopie, en Zambie et au Zimbabwe. Les mouvements coopératifs en Amérique latine ont organisé 10 séminaires nationaux pour familiariser leurs membres avec le nouvel instrument.

La Recommandation a également fait l'objet de débats en Russie - ou la Douma (parlement) a évoqué en décembre dernier le développement des coopératives rurales - et en Chine: la Fédération pan-chinoise des coopératives d'approvisionnement et de commercialisation a eu recours à ce texte pour arrêter un concept de base régissant le futur cadre légal des coopératives.

Les coopératives jouent un rôle important dans la réduction de la pauvreté et contribuent à la mise en oeuvre du programme de l'OIT en faveur du travail décent. Elles peuvent aider à créer des emplois, notamment dans les secteurs économiques et les zones géographiques ou les sociétés conventionnelles ont du mal à dégager des plus-values suffisantes pour fonctionner de manière profitable. Elles sont aussi à même de sauver des emplois en invitant des sociétés en difficulté à se joindre à elles pour sauvegarder leurs activités.

Les coopératives offrent aussi une voie de sortie aux citoyens les plus pauvres à la recherche de services sociaux de base, santé, soins des enfants et des plus âgés, pré-scolarisation, etc...

Elles peuvent enfin être le lien de ceux qui travaillent dans l'économie informelle avec le secteur formel, en les mettant en meilleure position pour participer au processus de décisions et négocier conditions et prix avec les clients.

Au plan international, les coopératives s'identifient par référence à sept valeurs essentielles adoptées par l'assemblée générale de l'ACI en 1995. Celles-ci insistent en particulier sur la nature démocratique des coopératives, en particulier sur le libre accès à tous, sans distinction de sexe, de race, d'opinion politique, de religion ou de statut social. Les coopératives se définissent également comme des entités autonomes contrôlées par leurs membres.

Ce dernier point n'a pas toujours été bien compris par les gouvernements, qui ont parfois considéré le principe de la coopération comme la voie conduisant au développement économique avant de tenter de faire de ces coopératives des instruments de l'état. La Recommandation clarifie ce point et insiste sur le caractère participatif de la coopération. Comme l'a souligné le Directeur général du BIT Juan Somavia devant la Conférence internationale du Travail l'an dernier, "les coopératives ont un rôle d'émancipation en permettant aux couches les plus pauvres de la population de participer aux progrès économiques. Elles offrent des possibilités d'emploi à ceux qui ont des compétences, mais peu ou pas de capital et assurent protection en organisant l'assistance mutuelle au sein des communautés."

L'Alliance coopérative internationale, qui vit elle-même une phase de renouveau, considère la Recommandation de l'OIT comme un instrument précieux pour son activité. "C'est la première fois depuis longtemps qu'une directive politique formelle est produite par une organisation internationale ayant le statut de l'OIT", a déclaré Iain Macdonald. Il lui revient maintenant d'aider à diffuser le message. "L'astuce est d'obtenir que les gouvernements lui prêtent attention", a-t-il ajouté.