Pour M. Philippe Séguin, nouveau président du Conseil d'administration du BIT: «La priorité de l'OIT est de répondre au besoin de régulation de la mondialisation»

Au lendemain de la 92e session de la Conférence internationale du Travail, l'ancien ministre français des Affaires sociales, Philippe Séguin, a été élu président du Conseil d'administration du Bureau international du Travail (BIT). M. Séguin, délégué du gouvernement français à l'OIT depuis 2002, a été élu par les 56 membres du Conseil d'administration représentant les Etats et les organisations d'employeurs et de travailleurs.

Article | 30 juin 2004

Le Conseil d'administration est le conseil exécutif de l'OIT. Il se réunit trois fois par an pour prendre les décisions sur les mesures nécessaires à la mise en œuvre de la politique de l'OIT, il élabore le programme et le budget à la Conférence pour adoption et élit le Directeur général.

Pour M. Séguin, la priorité de l'OIT est de répondre au besoin de régulation de la mondialisation. Il pense que l'Organisation devrait pouvoir adapter ses méthodes et qu'elle devrait aussi apprendre à collaborer avec les autres institutions des Nations Unies.

GENÈVE - «Les circonstances de mon élection sont intéressantes, commente-t-il d'emblée, l'année qui suit va être décisive: d'abord, le budget va être voté, c'est essentiel. Mais aussi, l'Organisation devra montrer qu'elle peut reprendre à son compte le Rapport sur la dimension sociale de la mondialisation, rendu public en février dernier.» Et d'ajouter: «Après l'analyse du rapport et afin de dépasser les inégalités et les contradictions liées à la mondialisation, il faut rechercher les moyens d'assurer un développement compatible et solidaire des économies nationales ou régionales quel que soit leur niveau de développement.»

Pour Philippe Séguin, en effet, «il n'est plus possible de faire l'impasse sur les implications sociales de la mondialisation. Il faut mettre un terme à cette situation, caractérisée par l'appauvrissement constant des pays les plus pauvres et la remise en cause des acquis sociaux chez les autres. Aujourd'hui le moyen nous est donné de sortir de cette situation. L'OIT doit le saisir.»

L'OIT doit avant tout adapter ses méthodes pour répondre au nouveau contexte international. Elle l'a déjà fait depuis sa création en 1919 et le fera encore. A cet égard, d'après M. Séguin, l'adoption de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail en 1998 a permis à de nombreux pays en voie de développement de bénéficier du soutien de l'OIT en vue de la ratification et de la mise en œuvre effective des normes fondamentales de l'Organisation. Mais, la seule surveillance de l'application des normes est nécessaire mais ne suffit plus.

«La mondialisation montre un besoin de régulation. Une délocalisation pour un pays riche c'est parfaitement envisageable si on donne les moyens de prévoir une alternative en termes de travail, a-t-il estimé. Inversement la libération du commerce international est un facteur positif mais ça n'est pas pour tout le monde si on ne prend pas de précautions. Si vous faites entrer un pays très pauvre et faible sur le marché international, il va se faire ratiboiser. C'est comme, au football, envoyer une équipe de cadets jouer avec des seniors.»

Au cœur des solutions, les efforts des gouvernements, des partenaires sociaux pour reconnaître la prise en compte insuffisante de la dimension sociale et surtout la nécessité d'une plus grande cohérence entre les différentes institutions. «Le système actuel est éclaté entre la Banque mondiale, le FMI, l'OMC, le PNUD, chacun reste sur son pré carré, sur ses prérogatives. Il convient urgemment de demander aux organisations internationales d'assurer en permanence la cohérence de leurs objectifs et des moyens qu'elles mettent en œuvre.»

Quand on parle de systèmes à mettre en place, Philippe Séguin fait volontiers référence à l'idée du Président français, Jacques Chirac, d'un conseil de sécurité économique et social qui se consacrerait à des questions telles la mise en cohérence de l'aide au développement ou la dette des pays pauvres. Cette idée a ainsi été reprise par le BIT. «Il y a des convergences entre les analyses du BIT et les analyses françaisesY On se réjouit d' avoir une main sur la barre à défaut de la tenir complètement», ajoute-t-il avec un sourire.

Reste la question de l'OIT et de son rôle. Quelle légitimité pour l'OIT dans ce domaine? Pour le nouveau président du Conseil d'administration du BIT, elle a une légitimité particulière parce qu'elle est la plus à même de rapprocher la société civile de la société institutionnelle. «En dehors du désordre multilatéral, l'incompréhension qui prévaut entre la société civile et les institutions est cruciale. Le BIT est le seul à être des deux côtés. Ce dont nous nous occupons au quotidien, malgré les apparences, c'est de la vie concrète, pas seulement de celle pays pauvres, mais aussi de celle des pays riches.»

Dans la préface du livre ( Note 1) que Francis Blanchard, ancien Directeur général du BIT, vient d'écrire sur l'histoire de l'OIT de 1974 à 1989, Philippe Séguin croit que les traits constitutifs de l'OIT - son tripartisme, le dialogue social comme instrument fondamental - sont des outils d'une grande force et toujours d'actualité, même s'ils doivent s'adapter au nouveau contexte mondial. L'universalisme a changé, dit-il: alors qu'il s'agissait autrefois d'ajuster les normes entre elles, on est passé maintenant à un universalisme minimaliste, non contraignant. Le volontarisme, application volontaire et non obligée des normes doit s'accompagner d'un suivi vigilant.

«L'OIT doit veiller à cela... L'enjeu est celui de la dignité des hommes. Il y a deux grandes conditions à cette dignité: avoir, des conditions de vie décentes, et avoir les moyens de l'épanouissement personnel dans la liberté et la diversité.»

Un vaste défi que Philippe Séguin est prêt à relever à la tête de la présidence du Conseil d'administration du BIT.


Note 1 - Francis Blanchard, «l'Organisation internationale du Travail», Le Seuil 2004.