Inspecteurs du travail: les assassinats de 2004 mettent en lumière le besoin de nouvelles mesures de prévention

Le meurtre de deux inspecteurs du travail en France et de trois inspecteurs et leur chauffeur au Brésil dans le cadre de leur service a attiré l'attention des médias. Mais, selon l'OIT, ces deux exemples extrêmes représentent le sommet de l'iceberg dans le domaine de l'inspection du travail. La semaine dernière, une conférence de haut niveau de l'Union européenne au Luxembourg a plaidé en faveur d'une approche globale de l'inspection du travail qui met en pratique les droits des travailleurs à travailler dans des conditions décentes.

Article | 18 mars 2005

GENÈVE – En septembre dernier, des centaines d'inspecteurs du travail sont descendus dans la rue après l'assassinat de deux de leurs collègues qui ont été tués par balles par un agriculteur français en Dordogne alors qu'ils s'apprêtaient à inspecter les contrats des travailleurs saisonniers employés dans sa ferme.

Au Brésil, l'utilisation de la violence physique contre les inspecteurs du travail n'est pas inhabituelle, selon M. Jukka Takala, Directeur du Programme pour la sécurité au travail du BIT. Il arrive que les inspecteurs du travail circulent à l'intérieur du pays accompagnés par des policiers fédéraux armés. Il est communément admis que le meurtre de trois inspecteurs du travail et de leur chauffeur en janvier 2004 était lié à l'inspection prévue dans une plantation de soja soupçonnée d'employer illégalement des salariés réduits en esclavage.

Le meurtre d'inspecteurs du travail est certes rare mais les menaces, les actes de résistance ou de violence sont fréquents.

«La violence ou des attitudes hostiles à l'égard des inspecteurs du travail sont de plus en plus courants, constate M. Takala. Et ce n'est pas le cas seulement au Brésil ou en France. Les différents indicateurs démontrent que le phénomène est très profond. Evidemment, les inspecteurs ont quelquefois des messages désagréables à donner quand il s'agit de dénoncer des conditions de travail déplorables ou un environnement de travail qui ne répondent pas aux normes. Mais personne ne doit s'en prendre au messager – il ne faut pas juste tirer sur celui qui apporte la mauvaise nouvelle», ajoute-t-il.

Selon M. Takala, la prévention joue un rôle central. «Le plus tôt les problèmes sont réglés, le mieux c'est. On ne peut attendre qu'une catastrophe industrielle comme celle de Bhopal, Tchernobyl, Seveso ou Toulouse arrive. On doit intervenir.»

Avec 134 ratifications, la convention du BIT n° 81 sur l'inspection du travail est une des 185 conventions du BIT les plus ratifiées. Elle est à la base de tout mais ne suffit pas à rendre l'inspection du travail assez efficace.

Selon Gerd Albracht, «seule une approche créative de l'inspection du travail permet d'éviter les problèmes de violence et de donner aux travailleurs le droit de travailler dans des conditions décentes». Et il ajoute que le rôle d'une inspection du travail moderne est d'assurer la paix sociale en favorisant la prévention des accidents et des maladies sur le lieu de travail.

«Dans la bataille pour une mondialisation juste, dit encore M. Albracht, une inspection du travail compétente peut servir à consolider la coopération technique, renforcer le tripartisme et le dialogue social.»

Sur le lieu du travail, les inspecteurs jouent un rôle fondamental dans la mise en œuvre des politiques nationales, de la législation, et des normes internationales de l'OIT. Bien sûr, il faut leur donner les moyens d'agir avec force et cohérence.

«Les droits et devoirs des inspecteurs méritent un large soutien de la part de leur gouvernement», dit M. Takala, «SafeWork, le Programme du BIT sur la sécurité au travail, a développé un plan en dix points pour préparer les inspecteurs aux défis qui se posent à eux.»

M. Takala accueille favorablement l'initiative du ministère français du Travail et de la Solidarité de développer un guide pratique à destination des inspecteurs à propos de leurs droits et devoirs. Le ministère a également créé un groupe de travail multidisciplinaire dans lequel l'OIT est représentée.

SafeWork a par ailleurs développé un manuel sur les compétences sociales permettant aux inspecteurs du monde entier de réduire les tensions et d'atténuer les craintes quand ils effectuent une inspection. Le manuel a été testé auprès des inspecteurs bulgares, en même temps qu'une réforme administrative a été décidée au niveau national, et cela a donné de bons résultats quant à l'efficacité de l'inspection du travail en Bulgarie.

Inspiré par l'expérience bulgare mais aussi vietnamienne et de pays africains, SafeWork met au point un «Système de formation intégrée pour l'inspection du travail» afin de promouvoir l'idée d'une inspection du travail intégrée sur une large échelle et de partager les bonnes pratiques au niveau international.

«Il est important de montrer que l'inspection du travail est non seulement un instrument technique mais aussi un formidable moyen de faire changer de manière innovante le dialogue social en matière de sécurité et de santé au cœur des entreprises.»

Lors de la conférence Union européenne-OIT qui s'est déroulée du 9 au 11 mars à Luxembourg et qui était intitulée «L'unité au-delà des différences: le besoin d'un système d'inspection du travail intégré», le Directeur régional pour l'Europe et l'Asie centrale du BIT, M. Friedrich Buttler, a déclaré que l'OIT et l'UE développeraient ensemble des stratégies cohérentes et durables en matière de prévention sociale, en particulier en matière de protection du travail.

«Prévenir avec efficacité les accidents du travail et les maladies professionnelles demande une implication forte des gouvernements et des organisations de travailleurs et d'employeurs», a précisé M. Buttler, «les fonctions régulatrices des gouvernements sont essentielles pour assurer la paix sociale, la santé et la sécurité ainsi que pour la qualité de vie. L'inspection du travail est un élément clé garantissant une protection sociale pour tous.»

Dans le cadre de cette conférence, quelque 200 travailleurs, employeurs et représentants de gouvernements venant de 75 pays ainsi que plusieurs ministres du Travail et vice-ministres ont discuté les rôles multiples de l'inspecteur du travail qui est à la fois un enquêteur, un facilitateur et aussi un contrôleur faisant face aux défis de la mondialisation.

Les participants à la conférence ont conclu que la mondialisation requiert une approche plus créative, plus globale du fait des changements du monde du travail et des nouveaux risques.

Ils ont également été d'accord pour renforcer le système intégré d'inspection du travail dans le monde, en particulier dans les pays en transition d'Europe.

La conférence de Luxembourg a demandé à l'OIT de créer un site internet sur l'inspection du travail à destination des mandants de l'OIT. Ce site comprendrait des modules de formation, des outils stratégiques et le partage des expériences réussies.

Durant sa présidence de l'Union européenne, le Grand Duché du Luxembourg, en collaboration avec l'OIT fournira une plateforme d'échanges et d'expériences entre les gouvernements et les partenaires sociaux en matière d'inspection du travail.