Ouvrage OIT-CNUCED

La transformation des économies

S’appuyant sur des études de cas, un ouvrage conjoint de l’OIT et CNUCED examine comment les politiques industrielles peuvent transformer les économies afin de créer de meilleurs emplois.

Editorial | 3 février 2015
Irmgard Nübler, Economiste principale à l’OIT et José Manuel Salazar-Xirinachs, Sous-Directeur général de l’OIT pour les politiques

Au cours des dix dernières années, les responsables politiques des pays développés comme ceux des pays en développement ont opéré un changement de cap. La discussion s’est réorientée de la quantité vers la qualité de la croissance, et de la croissance vers le développement économique et social.

Ce réajustement s’est appuyé pour partie sur le fait que, souvent, dans de nombreux pays la croissance ne se traduit pas par de meilleurs emplois, des salaires plus élevés, de meilleurs niveaux de vie et de développement. Il a aussi été motivé par les effets dévastateurs de la crise économique et financière de 2008-09 sur le marché du travail.

Dès lors, transformer les économies pour parvenir à une croissance économique soutenue et partagée et pour créer davantage d’emplois de bonne qualité est devenu un thème central du débat politique aux niveaux national et international. C’est d’ailleurs un enjeu majeur de la discussion relative au cadre de développement durable des Nations Unies pour l’après-2015, tout comme des débats du G20.

Si l’importance de la transformation de la production fait l’objet d’un large accord, les économistes adoptent des points de vue différents quant aux moyens de dynamiser ce processus. Le terme de «politique industrielle» continue de susciter malaises et débats parmi les économistes et les responsables politiques.

L’ouvrage de l’OIT et CNUCED Transforming Economies: Making industrial policies work for growth, jobs and development (Transformer les économies: faire des politiques industrielles un outil efficace pour la croissance, l’emploi et le développement) permet de mieux comprendre le processus d’évolution structurelle et technologique et distille des leçons et principes pour concevoir des politiques effectivement capables de générer une croissance soutenue et partagée, et des emplois de qualité. Le rapport se base sur huit études de cas (Costa Rica, République de Corée, Brésil, Chine, Afrique du Sud, Afrique subsaharienne, Etats-Unis et l’industrie des logiciels en Inde), ainsi que sur des études transnationales et régionales.

Des traditions économiques variées

Plutôt que de se focaliser sur un cadre économique particulier, cet ouvrage analyse diverses approches novatrices récemment nées de différentes traditions économiques, notamment les théories classique, structuraliste, évolutionniste et institutionnaliste. Ces cadres de référence sont présentés comme complémentaires, plutôt que concurrents, pour expliquer les forces qui président aux changements structurels et technologiques et la complexité de ces processus.

Le rapport identifie les «capacités» de production nationales comme un facteur déterminant de la transformation de la production, largement ignoré par les économistes de la théorie économique dominante.

Ces capacités résident dans la base de connaissances de la main-d’œuvre, des entreprises et des sociétés – plus la combinaison des connaissances générales, culturelles et techniques est sophistiquée et diversifiée, plus les routines organisationnelles et les institutions sont «intelligentes», plus l’économie aura le dynamisme nécessaire pour adopter des technologies plus complexes, diversifier son offre de produits, accélérer le rythme de la transformation de la production et créer des emplois.

Leçons tirées de l’expérience

L’une des grandes leçons est qu’il est impossible de conjuguer croissance inclusive et politique d’emploi réussie sans les ancrer dans une stratégie claire en matière de développement productif et d’apprentissage pour le renforcement des capacités, qui intègre aussi la transformation sociale et économique.

Les politiques publiques volontaristes sont essentielles pour doper le dynamisme économique et pour influencer les structures économiques. Après de nombreuses années de conseil politique qui ont provoqué d’innombrables dommages dans les pays en développement, l’accord général sur ce point est une bonne nouvelle.

Il n’existe toutefois aucune approche politique valable pour tous les pays. Les responsables politiques doivent élaborer des stratégies sur mesure pour leur pays, en prenant en compte leur situation spécifique, leurs avantages comparatifs et leurs capacités initiales. Ils peuvent ensuite formuler des politiques de transformation de la production à la lumière des aspirations et des objectifs de développement du pays.

Quatre enseignements importants à retenir des études régionales et par pays pour concevoir et mettre en œuvre une bonne politique industrielle:
  • Le ciblage de certaines activités économiques, industries et technologies a été un élément clé de toutes les stratégies qui ont réussi à promouvoir la transformation de la production. Selon cet ouvrage, la distinction entre mesures verticales et horizontales est floue puisqu’un grand nombre de mesures supposées «neutres» favorisent dans les faits l’un ou l’autre secteur. La question ne consiste donc pas à savoir s’il faut un ciblage mais comment parvenir au meilleur ciblage possible.
  • Seul un ensemble complet, intégré et coordonné de mesures et d’institutions peut répondre de manière adéquate à la multitude de défis liés à l’apprentissage et à la transformation structurelle auxquels sont confrontés les pays qui souhaitent atteindre leurs objectifs de croissance, d’emploi et de développement. Cet ensemble de mesures doit prendre en compte la cohérence des politiques en matière d’investissement, de commerce, de technologie, d’éducation et de formation, qui s’appuient sur les politiques macroéconomiques, financières et de marché du travail.  Surtout, les politiques commerciales et macroéconomiques doivent être en harmonie avec les politiques industrielles. De nombreuses économies prospères ont su utiliser de savantes combinaisons de libéralisation des échanges, de promotion des exportations, d’appui aux industries naissantes, associées à des politiques visant à promouvoir l’investissement et la compétitivité.
  • Fondamentalement, les politiques industrielles doivent relever le défi de stimuler les capacités en accélérant des processus diversifiés d’apprentissage au niveau des individus, des entreprises, de la société et de la main-d’œuvre et de transformer la base des connaissances et les systèmes collectifs d’acquisition de ces connaissances sur lesquels s’appuient les routines et les institutions. Cela suppose une stratégie d’apprentissage intégrée qui recouvre les politiques d’éducation, formation, technologie, commerce et investissement. Elle doit aussi intégrer des institutions permettant de promouvoir l’apprentissage individuel et collectif dans les écoles, les communautés, les processus de production, tout comme dans les réseaux sociaux, professionnels et organisationnels ou dans les chaînes logistiques.
  • Les politiques industrielles ne doivent pas seulement mobiliser les chefs d’entreprise et les dirigeants politiques mais aussi les universitaires, les syndicats et la société civile aux niveaux municipal, régional et national. Tous ces acteurs ont un rôle légitime à jouer et devraient intégrer les comités nationaux de compétitivité, les conseils et comités sectoriels, les réseaux informels des communautés de pratiques et les partenariats public-privé. Tous sont indispensables pour une coordination efficace et pour la formation d’un consensus.