Tendances salariales

Les salaires mondiaux convergent-ils?

Alors que les économies émergentes modifient la dynamique de l’économie mondiale, Philippe Egger, Directeur du Bureau de programmation et de gestion de l’OIT, explique la difficulté de comparer les salaires entre pays.

Editorial | 18 avril 2013
Philippe Egger, Directeur du Bureau de programmation et de gestion de l’OIT
Contrairement à d’autres disciplines, l’économie est loin d’être une science exacte. Il est souvent difficile de trouver des réponses claires concernant des faits et tendances économiques.

Prenons les salaires, par exemple. La moitié des personnes qui travaillent dépendent d’un salaire pour vivre. Ces salaires ont tendance à refléter l’efficacité de la combinaison des facteurs de production – capital, travail et technologie – dans n’importe quel pays. Il importe donc de savoir si les économies évoluent vers de meilleurs salaires pour le plus grand nombre, en particulier dans une économie mondiale très interdépendante.

  Selon le Rapport mondial sur les salaires 2012-13 de l'OIT, au cours de la décennie écoulée les salaires réels – ajustés pour refléter le pouvoir d’achat – avaient doublé en Asie, pratiquement triplé en Europe de l’Est et en Asie centrale, et augmenté de 15 pour cent en Amérique latine. A comparer avec une hausse d’à peine cinq pour cent dans les économies développées. Ces tendances ont confirmé ce que nous savions déjà quant à la direction de l’évolution actuelle des dynamiques régionales mais nous indiquent-elles à quel point les salaires convergent dans le monde?

Des réponses multiples

Répondre à la question n’est pas simple. Les prix des biens et services ont tendance à varier en fonction des pays, tout comme les salaires. Et la comparaison soulève un certain nombre de difficultés.

Plusieurs options sont ouvertes:

L’une consiste à convertir les salaires nominaux en une monnaie unique, généralement le dollar des Etats-Unis, en utilisant les taux de change du marché. C’est la solution la moins souhaitable puisque les taux de change reflètent des rapports de force bien différents des fondamentaux de l’économie. Une meilleure option pour les comparaisons internationales serait de calculer ce que coûterait l’achat d’un panier de produits identiques dans chaque pays – la parité de pouvoir d’achat (PPP en anglais).

Comparer les pays de cette manière aboutit au graphique ci-dessous qui affiche les salaires moyens de 2010 pour un échantillon de 10 pays.

Tableau 1: Salaires mensuels nominaux moyens,
en dollars internationaux PPP, 2010

Source: Base de données mondiale des salaires de l’OIT et FMI.

Ici, nous pouvons identifier trois groupes de niveaux de salaires autour de 700, 1 500 et 3 000 dollars internationaux respectivement, correspondant à trois niveaux de développement ou d’efficacité économique.

Un inconvénient de cette approche est la difficulté de composer un panier de biens identique, valable pour tous les pays.

Une variante de cette méthode consiste à comparer les salaires (une nouvelle fois en utilisant la PPP) pour une profession unique, par exemple un travail non qualifié dans le bâtiment. Un tableau général comparable émerge: les salaires des ouvriers du bâtiment dans les pays émergents sont 3 à 5 fois plus bas que ceux des pays avancés. On constate toutefois d’intéressantes différences dans les conclusions des deux graphiques quand on compare les Etats-Unis avec l’Allemagne et la Turquie avec le Portugal.

Si les tendances des salaires réels mentionnées plus haut devaient se prolonger à l’avenir – une hypothèse discutable – les salaires des ouvriers du bâtiment en Asie et dans les économies développées arriveraient à égalité en 2038.

Tableau 2: Salaire mensuel moyen des ouvriers du bâtiment,
en dollars internationaux PPP, 2010

Source: Base de données ILOSTAT et FMI
(Les données pour la Chine et l’Allemagne sont les salaires moyens dans la construction).

Une autre méthode est possible, basée sur le prix de la denrée alimentaire prépondérante dans chaque région (riz, pâtes, farine de blé ou de maïs), que chaque ménage a l’habitude de consommer. Cela permet de surmonter la difficulté de composer un panier identique de biens à travers différents pays.

Le tableau 3 montre le coût de 5 kg de la denrée courante en pourcentage du salaire moyen. C’est la formule la plus directe possible parce qu’elle évite toute conversion en devises.

Le graphique montre ici une situation bien différente: dans 7 pays, le coût de 5 kg d’une denrée alimentaire courante se situe entre 0,4 et 0,7 pour cent du salaire moyen. Deux pays, l’Indonésie et l’Afrique du Sud, se distinguent par des ratios assez différents qui laissent penser qu’il existe un biais dans la relation entre niveaux de salaires et revenu moyen.

Tableau 3: Coût de 5 kg de denrées alimentaires
en pourcentage du salaire mensuel moyen

Source: Base de données mondiale des salaires de l’OIT; Base de données FAO GIEWS; Eurostat; Bureau des statistiques du travail des Etats-Unis; et Quarterly Food monitor d’Afrique du Sud.

Plus de données nécessaires

Un vaste débat public a eu lieu sur le rôle des facteurs internes par rapport aux facteurs internationaux pour la formation des niveaux de salaire relatifs. Certains prétendent que la mondialisation fait pression sur les salaires à la baisse, tandis que d’autres avancent que les institutions nationales conservent la haute main sur la fixation des salaires.

Afin d’approcher une réponse acceptable, nous avons besoin de comparaisons salariales internationales plus fréquentes couvrant davantage de pays et de professions.