Europe

Compétitivité et emploi: la quadrature du cercle

Réduire les coûts peut aider un pays à gagner en compétitivité et stimuler ainsi ses exportations. Mais aussi séduisant que cela puisse paraître, les pays de l’UE, qui commercent essentiellement entre eux, ne peuvent tous en tirer un avantage comparatif au même moment.

Analyse | 5 décembre 2012
Philippe Egger, directeur du Bureau de programmation et de gestion de l'OIT
GENÈVE (OIT Info) – La crise économique mondiale a conduit plusieurs pays européens à instaurer des mesures visant à diminuer les coûts pour les entreprises. L’objectif est de donner un avantage-coût aux entreprises exportatrices sur leurs concurrents des autres pays.

Avant l’introduction de la monnaie commune en 1999, les pays d’Europe qui accusaient un large déficit commercial avaient la possibilité de modifier le taux de change de leur monnaie. Aujourd’hui, ce n’est plus possible puisqu’ils partagent tous la même monnaie.

A la place, les pays choisissent d’abaisser les salaires en introduisant la flexibilité à l’embauche et celle du temps de travail, en diminuant les salaires minima et les cotisations de sécurité sociale – généralement celles des employeurs, en restructurant les entreprises et en réformant l’Etat.

Ces mesures font baisser les coûts salariaux tout en augmentant la production par travailleur. Ce ratio, dénommé coûts unitaires du travail, a reculé dans plusieurs pays du sud de l’Europe mais pas en France, en Italie ni au Royaume-Uni. Il s’ensuit que l’Irlande, la Pologne et l’Espagne enregistrent une hausse de leurs exportations.

Tendances des coûts unitaires du travail, 2005=100, sélection de pays.
Source: Eurostat


Parallèlement, les pays européens prennent des mesures pour freiner les dépenses publiques en vue de limiter le recours à l’emprunt pour financer les déficits publics. Des coûts salariaux plus faibles et moins de dépenses publiques ont tendance à réduire la consommation des ménages et de l’Etat.

Plusieurs pays ont mené avec succès ce type de politiques, mais généralement avec l’aide de dévaluations des taux de change et dans des contextes économiques assez différents. Cela fut le cas de la Suède en 1992, de l’Argentine en 2002 et de l’Islande tout récemment.

Aujourd’hui, quand plusieurs pays européens qui sont les principaux partenaires commerciaux les uns des autres appliquent tous les mêmes politiques simultanément, l’effet s’en trouve inévitablement amplifié. En bref, l’austérité coordonnée ouvre la voie à une récession coordonnée. La leçon à tirer est que les politiques qui valent pour un pays ne présentent pas nécessairement le même intérêt pour un groupe de pays hautement interdépendants.

Les coûts sociaux de ces mesures sont vastes et profonds. Le taux de chômage européen n’a cessé d’augmenter – sauf un bref recul à la fin de 2010 – de moins de 7 pour cent au premier trimestre de 2008 à 11,6 pour cent en septembre 2012.

Quelque 26 millions d’Européens sont à la recherche d’un emploi et n’en trouvent pas, sans compter ceux qui ont été découragés de chercher du travail ou ceux qui n’obtiennent qu’un emploi à temps partiel. Cela a fait reculer le nombre de personnes en âge de travailler qui occupent un emploi dans l’Union européenne.

Les jeunes sont les plus durement frappés. Eviter une «génération sans avenir», voilà qui devrait hanter chaque responsable politique européen.

Clairement, des réformes sont nécessaires quand les coûts salariaux augmentent plus rapidement que le rendement par travailleur ou quand les déficits fiscaux ou commerciaux deviennent trop importants. Il est préférable que les réformes soient faites en accordant une large place au dialogue social. Et il existe plusieurs façons de soigner les économies malades notamment en stimulant les investissements, en pratiquant une politique fiscale juste, en innovant, en développant la formation, entre autres.

Plus d’exportations au sein d’une Europe déprimée ne saurait constituer l’unique mesure susceptible de tirer les pays hors de la crise. Les emplois ne feront que se déplacer d’un endroit à l’autre, comme l’ont récemment montré les changements survenus dans l’industrie automobile, avec des usines qui ferment en Belgique, en France et au Royaume-Uni et d’autres qui se créent en Espagne et en Roumanie.

L’un des objectifs de la monnaie commune était précisément d’éviter les dévaluations monétaires compétitives. Un rééquilibrage de l’économie vers la consommation interne dans les pays qui ont de forts excédents commerciaux doit aussi avoir lieu, en commençant par l’Allemagne dont l’excédent sur douze mois dépasse maintenant celui de la Chine.

Pour que la reprise économique s’accompagne d’un retour au plein emploi, il faudra adopter des mesures plus audacieuses, plus équitables et plus fortes que celles qui sont actuellement envisagées par les responsables politiques en se fondant sur des solutions propres à chaque pays et chaque crise.