Session maritime de la Conférence internationale du Travail (7-23 février 2006): Écrire "l'histoire du travail": l'OIT adopte une nouvelle convention maritime consolidée

La convention du travail maritime consolidée 2006, adoptée par l'OIT aujourd'hui est un instrument juridique mondial, global et pionnier, qui concerne les normes du travail maritime pour les armateurs, les marins et les nations maritimes du monde entier. La nouvelle convention ne va pas seulement répondre au besoin de conditions de travail décentes de plus de 1,2 million de gens de mer dans le monde, mais elle pourrait aussi donner l'élan et l'appui nécessaires pour élaborer des approches similaires, novatrices et équilibrées, dans d'autres domaines. BIT en ligne s'est entretenu avec Cleopatra Doumbia-Henry, Directrice du Département des normes internationales du travail au BIT à propos de la nouvelle convention.

Article | 23 février 2006

BIT en ligne: Comment caractériseriez-vous la nouvelle convention?

Cleopatra Doumbia-Henry: Nous montrons la voie en développant une approche novatrice, intégrée, pour veiller à ce que ce secteur d'activités avance uni et pour assurer un travail décent à tous les marins d'où qu'ils viennent et quelle que soit la provenance du navire sur lequel ils travaillent. Les mandants de l'OIT ont reconnu que des conditions de travail médiocres et une marine de qualité ne pouvaient aller de pair. Nous avons instauré un socle socioéconomique à la concurrence mondiale dans le secteur maritime. Cette concurrence va perdurer mais elle sera fondée sur des règles communes justes et bien établies pour une concurrence loyale et sur la coopération pour les appliquer.

BIT en ligne: Quels éléments clés de cette convention vont affecter la vie des marins et celle des armateurs?

Cleopatra Doumbia-Henry: La nouvelle convention est destinée à atteindre davantage de respect de la part des affréteurs et des propriétaires de navires et à renforcer la mise en vigueur des normes à travers des mécanismes à tous les niveaux, y compris des dispositions relatives aux procédures de dépôt de plainte accessibles aux marins, la supervision par les armateurs et les capitaines des conditions à bord de leurs navires, la juridiction et le contrôle des Etats du pavillon sur leurs bateaux et les inspections des navires étrangers par l'Etat du port. La convention établit les exigences minimales pour les marins qui travaillent sur un navire et contient des dispositions sur les conditions d'emploi, l'hébergement, les équipements de loisirs, la restauration, la protection sanitaire, les soins médicaux, le bien-être et la sécurité sociale.

BIT en ligne: En quoi ces nouvelles dispositions diffèrent-elles de celles contenues dans la multitude de conventions relatives au secteur maritime qui existent déjà?

Cleopatra Doumbia-Henry: Plusieurs nouvelles caractéristiques concernent l'OIT. La structure générale de la nouvelle convention diffère de celle des conventions traditionnelles de l'OIT. Elle se compose de dispositions fondamentales, c'est-à-dire les Articles et Règles, suivies par un Code en deux parties, divisé en cinq titres, dont l'un est dédié au respect et à la mise en application. Les Règles et le Code, qui contient les Normes et les Principes directeurs, sont regroupés sous cinq titres: Titre 1: Conditions minimales requises pour le travail des gens de mer à bord d'un navire; Titre 2: Conditions d'emploi; Titre 3: Logement, loisirs, alimentation et service de table; Titre 4: Protection de la santé, soins médicaux, bien-être et sécurité sociale; et Titre 5: Respect et mise en application des dispositions. Il y a aussi une note explicative pour mieux aider les Membres à appliquer la convention. Autres innovations, les procédures d'amendement et le système de certification des navires.

BIT en ligne: Pourquoi ce secteur est-il si important?

Cleopatra Doumbia-Henry: Le secteur maritime est fortement mondialisé. Quatre-vingt-dix pour cent du commerce mondial s'effectue par voie maritime. La hausse vertigineuse du volume du commerce mondial au cours des cinquante dernières années n'a pas seulement eu lieu en raison de l'abaissement des barrières douanières ou de meilleures télécommunications et infrastructures, elle est aussi le résultat direct de la hausse massive de la productivité dans l'industrie maritime. La vitesse à laquelle les biens sont acheminés partout dans le monde a énormément augmenté et le coût a baissé de façon exponentielle. Sans les armateurs et les marins, il n'y aurait pas de mondialisation telle que nous connaissons aujourd'hui.

BIT en ligne: Comment la convention équilibre-t-elle le besoin de protection des marins avec le besoin de flexibilité du marché du travail maritime?

Cleopatra Doumbia-Henry: Le texte de la convention est allé aussi loin que possible en établissant de claires définitions des droits, tout en laissant la latitude nécessaire au niveau national pour l'octroi de ces droits dans la transparence, la concertation et la responsabilisation. La convention va s'adapter aux nouveaux besoins du secteur, à mesure qu'il évolue. Elle va apporter la garantie d'une application universelle et des mesures de mise en application et va assurer un domaine d'action de référence pour le monde entier.

BIT en ligne: L'adoption de la nouvelle convention est l'apogée de cinq années de dialogue social international…

Cleopatra Doumbia-Henry: C'est très important. Le tripartisme et le dialogue social sont des outils clés pour aller au-delà des impasses politiques et idéologiques. Ils peuvent réconcilier les pressions pour la productivité et la compétitivité avec le développement durable et l'amélioration des conditions de vie pour tous. Dans le secteur maritime, nous avons montré comment cela pouvait être fait. La convention du travail maritime 2006 montre que le tripartisme peut apporter des réponses constructives aux défis de ce secteur mondialisé et à la mondialisation de façon plus générale.

BIT en ligne: La nouvelle convention montre-t-elle la voie pour faire face à la mondialisation?

Cleopatra Doumbia-Henry: Oui, vous avez raison. Un grand nombre des défis que le secteur maritime doit relever - et le cadre dans lequel il agit - sont aussi ceux auxquels font face d'autres secteurs d'activité. Partout, les gouvernements essaient de gérer et développer les économies nationales et des secteurs spécifiques, tout en répondant aux demandes d'ajustement de la libéralisation financière et commerciale. Les entreprises elles-mêmes luttent pour réussir, croître et survivre face à l'intensification de la concurrence sur le marché local, régional et mondial. Et les travailleurs ont souvent le sentiment qu'ils écopent de ces tensions. Dans la quête de solutions, il est devenu de plus en plus évident qu'il ne peut y avoir de succès durable avec des solutions purement nationales à des problèmes mondiaux.

BIT en ligne: La convention est aussi un bon exemple de coopération au sein du système multilatéral?

Cleopatra Doumbia-Henry: Le tout premier article de la convention exige des membres qu'ils coopèrent entre eux pour qu'elle soit effectivement appliquée et mise en œuvre. Cela signifie la coopération entre pays et entre organisations internationales et autres organisations intergouvernementales, ainsi qu'avec les nombreuses organisations non gouvernementales intéressées. Cela signifie aussi laisser le champ libre à la coopération entre eux et les partenaires sociaux. Cette convention est en prise avec l'évolution du système multilatéral. Elle correspond au fort mouvement vers une meilleure intégration du travail parmi les organisations du système. Elle a été conçue de manière à ce que les éléments pertinents se coordonnent bien avec les systèmes existants de l'Organisation maritime internationale (OMI). C'est ce qui a guidé la longue coopération entre l'OIT et l'OMI et qui s'est prolongé dans le développement de la convention du travail maritime. Une telle collaboration s'étend aussi aux problèmes quotidiens très pratiques des marins. Par exemple, le Secrétaire général de l'OMI Efthimios Mitropoulos et le Directeur général du BIT Juan Somavia ont récemment écrit conjointement aux Etats du pavillon au sujet de nombreux cas d'abandons pour obtenir leur intervention d'urgence pour résoudre ces questions.

BIT en ligne: Quels sont les prochains défis?

Cleopatra Doumbia-Henry: Ce n'est pas la fin; en fait, c'est tout juste le début. Nous travaillerons dur pour que la convention ne reste pas lettre morte. Le texte a maintenant réuni un large consensus. La ratification et l'application sont les prochains défis. Les perspectives de ratification ont été parties intégrantes de nos discussions, et les préoccupations exprimées ont été traitées dans le développement de l'instrument. Nous pouvons donc raisonnablement espérer une ratification rapide. Mais nous ne tenons pas cela pour acquis. Les mandants de l'OIT et le Bureau international du Travail doivent maintenant se faire les avocats de la ratification auprès des parlementaires, des ministres concernés, de tous ceux qui appartiennent au monde maritime. De même, nous devons reconnaître qu'il existe aujourd'hui différentes capacités de mise en œuvre. De solides partenariats seront nécessaires, ainsi que le financement de programmes de coopération technique là où c'est nécessaire. Pour répondre, nous prévoyons de construire un important programme de coopération technique.

BIT en ligne: En quoi la nouvelle convention va-t-elle affecter l'édiction des normes de l'OIT en général?

Cleopatra Doumbia-Henry: La convention du travail maritime cherche à assurer la pertinence des normes de l'OIT dans cette période de mondialisation de la production et du travail. Ce que nous avons fait pour le secteur maritime pourrait aussi donner l'élan et l'appui nécessaires pour élaborer des approches similaires, novatrices et équilibrées dans d'autres domaines et pour le système d'édiction de normes de l'OIT en général. Il y a de nombreux éléments et d'importantes innovations qui peuvent être utilisés plus largement, par exemple la procédure d'amendement et le processus d'élaboration lui-même.