Allégations: Les organisations plaignantes allèguent que le gouvernement est
intervenu dans la négociation collective et a imposé un arbitrage obligatoire, mettant ainsi
fin à l’action de grève
- 434. La plainte figure dans une communication datée du 19 août 2013
émanant du syndicat Industri Energi (IE), de la Confédération des syndicats de Norvège
(LO), de la Confédération des travailleurs organisés du secteur des énergies (SAFE) et
de la Confédération des syndicats professionnels (YS).
- 435. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans une
communication datée du 19 décembre 2013.
- 436. La Norvège a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (nº 154) sur
la négociation collective, 1981.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 437. Dans leur communication en date du 19 août 2013, les organisations
syndicales IE, LO, SAFE et YS allèguent qu’en 2012 le gouvernement a violé les
conventions nos 87 et 98, ratifiées par la Norvège, de par son intervention dans la
négociation collective et l’imposition d’un arbitrage obligatoire, bien que les
conditions pour instituer un tel arbitrage ne fussent pas réunies.
- 438. Les organisations plaignantes indiquent que l’IE est affilié à la LO
et que la SAFE est affiliée à l’YS. La SAFE est la seule véritable fédération syndicale
norvégienne des travailleurs du secteur de l’énergie et compte actuellement quelque
11 500 membres travaillant pour des entreprises d’exploitation sur le plateau
continental norvégien, des prestataires de services du secteur pétrolier, des compagnies
de navigation propriétaires de plates-formes de forage, des sociétés d’entretien, des
sociétés de restauration et, à terre, dans les terminaux d’atterrage et de traitement.
L’IE vient en quatrième position des syndicats affiliés à la LO pour ce qui est de la
taille et compte près de 60 000 membres travaillant dans les secteurs industriel et
énergétique en Norvège, organisé verticalement dans l’industrie pétrolière. La LO est la
plus grande confédération syndicale de la Norvège, et plus de 880 000 membres sont
organisés dans des syndicats qui lui sont affiliés. L’YS est une fédération de
travailleurs indépendante sur le plan politique, à laquelle 21 syndicats différents sont
affiliés, et compte au total quelque 227 000 membres répartis dans tous les secteurs
professionnels.
- 439. Les organisations plaignantes affirment que, dans le contexte des
négociations salariales de 2012, elles ont émis un avis de dénonciation de leurs
conventions collectives sur les salaires conclues avec l’organisation d’employeurs,
l’Association pétrolière et gazière de la Norvège (OLF). L’IE a dénoncé les conventions
auxquelles il était partie (la convention d’exploitation («Operatoravtalen»), la
convention de restauration («Forpleiningsavtalen») et la convention de forage
(«Borebedriftsavtalen»)) le 27 janvier 2012. La SAFE a dénoncé la convention collective
pétrolière pour le plateau continental («Oljeoverenskomsten sokkel») le 13 décembre
2011. Toutes les conventions ont pris fin le 31 mai 2012. Les organisations plaignantes
ajoutent que les négociations en vue de nouvelles conventions collectives sur les
salaires ont démarré le 21 mai 2012, mais qu’elles ont abouti à une impasse dès le
22 mai.
- 440. Le 24 mai 2012, les deux syndicats ont donné un préavis d’arrêt de
travail collectif, mais qui ne concernait qu’un nombre limité de membres travaillant
pour trois employeurs, soit 610 membres. Les organisations plaignantes affirment que la
grève n’aurait touché que les installations de quatre champs pétrolifères sur la
totalité des champs du plateau continental norvégien. Le choix d’un préavis d’arrêt de
travail collectif limité a été fait en vue de réduire l’impact de la grève, de façon à
ne pas donner aux autorités de motifs pour recourir à un arbitrage obligatoire, tout en
faisant en sorte également que la grève soit efficace.
- 441. Les organisations plaignantes allèguent que, le 4 juin 2012, l’OLF a
donné un préavis de lock-out collectif à tous les travailleurs syndiqués des
installations du plateau norvégien. Selon les organisations plaignantes, cela aurait
provoqué l’arrêt de toute la production pétrolière et gazière du plateau norvégien, ce
qui aurait eu des conséquences financières graves tant pour les compagnies pétrolières
que pour l’Etat norvégien puisque le lock-out aurait également entraîné l’arrêt de la
fourniture de gaz au continent européen. De l’avis des organisations plaignantes, le
préavis de lock-out avait pour objectif d’exercer une pression en vue d’un arbitrage
obligatoire. En outre, il ressort de leur expérience passée en matière d’arbitrage
obligatoire que, lorsqu’il s’agit de conclure de nouvelles conventions collectives
salariales, c’est le Conseil national des salaires qui, presque toujours, décide des
suppléments techniques aux accords.
- 442. Les organisations plaignantes ajoutent que, le 19 juin 2012, à la
suite de tentatives de médiation infructueuses, un second et ultime préavis d’arrêt de
travail collectif concernant les 610 membres intéressés par le premier avis a finalement
été donné. Le 22 juin 2012, les parties ont entamé une procédure de médiation
obligatoire en application des dispositions réglementaires de la loi sur le règlement
des différends du travail, laquelle médiation a été interrompue le 24 juin 2012, la
grève ayant commencé le jour même. Le 5 juillet 2012, l’OLF a donné un second et ultime
préavis de lock-out collectif, applicable à toutes les installations pétrolières du
plateau norvégien, ce qui aurait entraîné un arrêt total de l’ensemble de la production
pétrolière et gazière. Le lock-out devait prendre effet le 10 juillet 2012.
- 443. Les organisations plaignantes affirment que, après une phase de
médiation volontaire infructueuse, le gouvernement a annoncé, le 10 juillet 2012, qu’il
serait stipulé par décision que les négociations collectives salariales concernant les
questions contractuelles en jeu seraient effectuées par voie d’arbitrage obligatoire. La
grève a pris fin le 10 juillet 2012 et, le 10 août 2012, un décret royal a été
promulgué, assorti d’une ordonnance provisoire concernant l’arbitrage obligatoire du
conflit du travail en question. Le Conseil national des salaires a rendu sa décision
relative au différend le 11 octobre 2012, définissant par là même les dispositions de la
nouvelle convention collective salariale.
- 444. De l’avis des organisations plaignantes, le gouvernement a eu
recours à l’arbitrage obligatoire en raison, premièrement, des conséquences financières
d’un lock-out pour l’économie norvégienne et, deuxièmement, des effets néfastes qu’un
arrêt de la production aurait eu pour la réputation de fiabilité de la Norvège en tant
que fournisseur de pétrole et de gaz. Les organisations plaignantes, se référant au
décret royal du 10 août 2012, indiquent qu’il y est expliqué que la décision d’imposer
un arbitrage obligatoire repose sur les motifs suivants: i) même bref, un arrêt de la
production de pétrole et de gaz aurait pu avoir de graves conséquences pour la
réputation de fiabilité de la Norvège en tant que fournisseur de pétrole et de gaz; et
ii) un arrêt complet de la production de pétrole et de gaz aurait eu de graves
conséquences pour l’économie norvégienne, notamment d’importantes répercussions pour les
fournisseurs et de très graves conséquences financières et sociétales. Il est en outre
indiqué dans le décret que le ministère du Travail a conclu qu’il convenait de régler le
conflit du travail entre les organisations syndicales IE, la SAFE, Lederne et l’OLF sans
qu’il y ait d’autre action collective dans la mesure où la négociation entre les parties
était dans l’impasse et que toute action collective risquait fort de se prolonger; il a
donc estimé nécessaire de proposer l’intervention par voie d’arbitrage obligatoire. Il
est précisé dans le décret que la Norvège a ratifié plusieurs conventions de l’OIT
garantissant la liberté syndicale et le droit de grève (conventions nos 87, 98 et 154),
en vertu desquelles toute intervention dans le droit de grève n’est autorisée qu’en cas
de situation critique, en d’autres termes, si la grève menace la vie, la santé ou la
sécurité de la population tout entière ou de franges importantes de cette population. En
outre, l’article 6, point 4, de la Charte sociale européenne comporte une disposition
correspondante qui garantit le droit de grève. Toutefois, l’article 6 doit être lu
conjointement avec l’article G, lequel prévoit des restrictions réglementaires au droit
de grève, nécessaires, dans une société démocratique, pour garantir le respect des
droits et des libertés d’autrui ou pour protéger l’ordre public, la sécurité nationale
ou les bonnes mœurs. Le décret se termine avec le point de vue du ministère du Travail
selon lequel la décision d’imposer un arbitrage obligatoire dans le cadre du conflit du
travail en question entre dans le champ d’application des conventions que la Norvège a
ratifiées et que, s’il est établi que le recours de la Norvège à l’arbitrage obligatoire
ne s’inscrit pas parfaitement dans le cadre des conventions internationales, il estime,
en tout état de cause, qu’il était nécessaire d’intervenir dans le conflit du
travail.
- 445. Les organisations plaignantes soulignent que les conventions nos 87,
98 et 154 ont toutes été ratifiées par la Norvège et que, faute d’avoir invoqué une
quelconque règle d’exception concernant le champ d’application et la portée des
conventions en question, l’Etat est, de ce fait, contraint d’en appliquer les
dispositions. Les organisations font valoir que, en prenant la décision de recourir à
l’arbitrage obligatoire dans le cadre du conflit du travail survenu l’été 2012 entre
l’IE, la SAFE et l’OLF, l’Etat a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de
ces conventions.
- 446. Les organisations plaignantes indiquent que la législation du
travail norvégienne reconnaît le principe de la liberté syndicale, les droits de
négociation collective et le droit de grève. Les procédures de négociation collective
relatives aux travailleurs du secteur privé sont exposées dans la loi (no 9) du
27 janvier 2012 relative aux conflits du travail, qui contient des dispositions
régissant les arrêts de travail collectifs, la médiation obligatoire et l’obligation de
maintenir la paix sociale. Les organisations plaignantes indiquent que, dans le contexte
de négociations collectives sur les salaires, les parties sont en droit d’entreprendre
des actions collectives conformément à une procédure établie, laquelle a été suivie. La
législation norvégienne ne contient aucune disposition générale limitant le droit de
grève. Les éventuelles dispositions limitatives du droit de grève sont adoptées au cas
par cas. D’après la loi relative aux conflits du travail, les syndicats ont l’obligation
de maintenir la paix sociale en cas de négociation collective jusqu’à l’achèvement de la
médiation obligatoire. Si la médiation n’aboutit pas, les deux parties sont en droit
d’instituer des mesures d’action collective telles que la grève, le lock-out ou d’autres
moyens d’action, afin de contraindre l’autre partie à accepter une convention collective
sur les salaires. De l’avis des organisations plaignantes, en recourant à l’arbitrage
obligatoire, le gouvernement a entravé les moyens légaux d’action collective dans le
conflit du travail alors en cours. La Norvège n’a pas de dispositions législatives
permanentes relatives à l’arbitrage obligatoire; les actes imposant l’arbitrage
obligatoire sont promulgués de façon ponctuelle, comme dans le cas présent.
- 447. Les organisations plaignantes affirment que, en l’espèce, la
situation est particulière dans la mesure où l’IE et la SAFE ont lancé une action de
grève très limitée pour éviter toute répercussion financière préjudiciable importante
sur l’économie norvégienne et pour ne pas affecter les livraisons de gaz à l’Europe. Il
est manifeste, selon les organisations plaignantes, que cette action de grève, en soi,
ne pouvait justifier un recours à l’arbitrage obligatoire et que l’on peut donc supposer
que c’est l’OLF qui, en menaçant d’interrompre la production sur tous les sites
pétroliers du plateau continental norvégien, a conduit les autorités à recourir à
l’arbitrage obligatoire. Une telle décision de la part du gouvernement faisait suite à
l’avis de lock-out émis par les employeurs en vue de mettre fin à la grève par
l’imposition d’un arbitrage obligatoire.
- 448. Les organisations plaignantes rappellent que la décision d’imposer
un arbitrage obligatoire repose sur, premièrement, le fait que le lock-out aurait eu un
impact négatif considérable sur l’économie norvégienne et d’importantes répercussions
pour les fournisseurs et qu’une telle situation aurait eu des conséquences financières
et sociétales graves et, deuxièmement, le fait que l’arrêt de la production pétrolière
et gazière sur le plateau norvégien aurait altéré la confiance dont jouit la Norvège en
tant que fournisseur de pétrole et de gaz. Ce deuxième point concerne d’abord et avant
tout la sécurité de l’approvisionnement en gaz de l’Europe. Les organisations
plaignantes soulignent que le gouvernement n’a pas indiqué que la fermeture des
installations aurait des incidences en matière de sécurité qui nécessitaient
l’intervention du gouvernement pour un arbitrage obligatoire. Selon elles, les motifs
avancés ne sont, de fait, pas convaincants et, en tout état de cause, insuffisants pour
légitimer un arbitrage obligatoire. De l’avis des organisations plaignantes, une
interruption de l’ensemble des activités du plateau norvégien aurait bien entendu une
incidence sur l’économie norvégienne de par la perte de recettes, ne serait-ce que du
fait que l’Etat en est le propriétaire, et par l’imposition des compagnies pétrolières,
mais ce sont essentiellement ces dernières qui auraient été touchées par la perte de
recettes. En outre, l’IE et la SAFE allèguent que: i) une interruption d’une certaine
durée ne se serait traduite que par un report des recettes (et la situation financière
de l’Etat est suffisamment saine pour qu’il puisse continuer de fonctionner sans
percevoir ces recettes pendant quelque temps); ii) cette absence de recettes n’aurait
pas mis l’économie norvégienne en danger. Selon les organisations plaignantes, les
recettes provenant des activités pétrolières du pays ne sont pas directement injectées
dans l’économie norvégienne, mais sont gérées d’une manière spéciale de façon à éviter
toute conséquence sur l’économie du pays. L’Etat a ainsi, grâce aux recettes du secteur
pétrolier, mis en place l’une des plus grandes fortunes mondiales, le Fonds de pension
gouvernemental-Etranger. En cas de situation critique, l’Etat aurait été en mesure de
prélever des actifs sur ce fonds pour les affecter à ses activités; iii) les
fournisseurs n’auraient pas été gravement touchés par une interruption des activités
pétrolières d’une certaine durée; ni les employeurs ni l’Etat n’ont démontré qu’une
telle hypothèse soit fondée; iv) de surcroît, il est difficile d’imaginer que les
employeurs auraient pu tolérer une perte de recettes de 1,8 milliard de couronnes
norvégiennes (NOK) par jour pendant longtemps; les demandes des syndicats portaient en
grande partie sur la réaffectation d’un fonds détenu par les syndicats et géré
conformément à certaines directives, et elles avaient essentiellement été rejetées non
pas pour des raisons financières mais par principe; et v) bien que la Norvège soit un
gros exportateur de pétrole, un manque à gagner de courte durée, de l’ordre de 5 à
7 pour cent des quantités totales exportées, n’aurait pas eu d’incidence du tout sur la
confiance dans la fiabilité de la Norvège en tant que producteur et exportateur de
pétrole. La Norvège venant au second rang des exportateurs de gaz en Europe, les
acheteurs sont tout à fait conscients des règles qui régissent la négociation collective
entre travailleurs et employeurs dans le pays, système dont les principes généraux sont
bien connus de tous les pays qui s’approvisionnent en gaz auprès d’exploitants du
plateau norvégien. Lors de la conclusion des grands contrats d’approvisionnement en gaz
dans les années quatre-vingt, lesquels représentent une part importante du volume global
des exportations, des dispositions ont été prises en prévision d’éventuelles ruptures
d’approvisionnement à la suite de grèves. Les vendeurs de gaz ont par conséquent érigés
des entrepôts permettant d’avoir des réserves de gaz en cas d’interruption de la
production sur le plateau norvégien. Cela illustre le fait que les acheteurs de gaz
étaient conscients du fait que des interruptions d’approvisionnement peuvent se produire
du fait d’une action de grève et qu’ils ont pris des mesures préventives pour faire face
à de telles situations. C’est plutôt la confiance dans les employeurs eux mêmes qui
aurait été altérée à la suite d’un lock-out insensé qu’ils ont eux-mêmes décidé et qui
touche leurs propres clients.
- 449. Les organisations plaignantes indiquent que, en vertu des
conventions nos 87 et 98, l’Etat norvégien a l’obligation de garantir le droit à la
libre négociation collective, en interdisant tout ce qui pourrait limiter ce droit, y
compris les questions susceptibles d’entraver le droit de s’organiser librement et le
droit de grève. Selon l’OIT, l’imposition d’une procédure d’arbitrage obligatoire peut
être autorisée dans les situations suivantes: 1) si les parties elles-mêmes le
demandent; 2) si le conflit du travail touche des services publics dans lesquels des
fonctionnaires agissent au nom de l’Etat; 3) si le différend touche des «services
essentiels» au sens strict du terme, c’est-à-dire des services dont l’interruption
mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la
sécurité ou la santé de la personne. Selon les organisations plaignantes, aucune de ces
conditions n’était réunie le 10 août 2012 quand le gouvernement a décidé de mettre fin à
l’action collective en recourant à l’arbitrage obligatoire. Elles estiment, de ce fait,
que la décision d’imposer un arbitrage obligatoire constitue une infraction aux
obligations qui incombent à l’Etat norvégien en vertu des conventions susmentionnées.
Cette infraction est d’autant plus grave que le gouvernement devrait être parfaitement
informé des principes juridiques énoncés ci-dessus, et que les raisons invoquées pour
justifier la décision qui fait l’objet du décret confirment qu’il a sciemment fait fi de
ses obligations internationales en ne tenant pas compte de l’interprétation par l’OIT
des circonstances dans lesquelles un arbitrage obligatoire peut être imposé, estimant
que c’est l’Etat lui-même qui décide, lorsqu’il l’estime «nécessaire», d’intervenir par
une procédure d’arbitrage obligatoire en cas d’action collective.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 450. Dans sa communication en date du 19 décembre 2013, le gouvernement
indique que le conflit de 2012 dans le secteur pétrolier est né dans le contexte des
négociations menées en vue de conclure de nouvelles conventions collectives. Les
négociations entre l’OLF et les organisations de travailleurs IE et Lederne sur la
révision des conventions collectives relatives aux installations pétrolières fixes en
mer du Nord ont été infructueuses. Ces conventions couvrent quelque 7 100 travailleurs
en activité sur les installations fixes du plateau continental norvégien et s’appliquent
aux personnes qui travaillent pour les compagnies pétrolières sur les installations
permanentes en tant qu’opérateurs dans les secteurs du forage et de la
restauration.
- 451. Le gouvernement ajoute que la médiation a été interrompue le 24 juin
2012 à 3 h 30 du matin, se soldant par un échec, et que les syndicats ont ensuite engagé
une action de grève à laquelle ont participé 708 de leurs membres. Il s’agissait d’une
grève limitée, qui a conduit à la fermeture du site Oseberg Field Centre et des sites
Heidrun et Skärv et Floatel Superior. Statoil a alors également fermé les plates-formes
Veslefrikk, Huldra, Brage et Oseberg C, puisqu’elles dépendaient de la capacité à
transporter du pétrole et du gaz via le site Oseberg Field Centre. La perte a été de
quelque 15 pour cent de la production pétrolière de la Norvège et 7 pour cent de la
production de gaz, et son coût s’est élevé à 150 millions de NOK par jour en revenus
différés. Le 5 juillet 2012, les employeurs ont donné un préavis de lock-out au reste
des salariés couverts par la convention en vigueur sur le plateau continental (quelque
6 500 travailleurs), avec effet aux premières heures du mardi 10 juillet. L’application
du lock-out aurait entraîné un arrêt complet de la production pétrolière et gazière du
plateau continental norvégien.
- 452. Le gouvernement dit que, pour éviter que les événements ne prennent
une tournure désastreuse, tant le médiateur national que le ministre du Travail se sont
efforcés de ramener les parties à la table des négociations. Les parties se sont
effectivement rencontrées, mais en vain. L’affaire semblait être dans l’impasse. Dans ce
contexte, le ministre du Travail a convoqué les parties à une réunion le lundi 9 juillet
à 23 h 30 et les a informées que, afin que le lock-out annoncé n’ait pas lieu, le
gouvernement interviendrait dans le conflit en imposant un arbitrage obligatoire. Comme
suite à la demande du ministre, les travailleurs ont décidé de mettre fin à la grève et
les employeurs de ne pas appliquer le lock-out annoncé. Le gouvernement ajoute que, le
Parlement (Stortinget) ne siégeant pas au moment des faits, il est intervenu par voie
d’ordonnance provisoire le 10 août 2012, conformément à l’article 17 de la Constitution
norvégienne. Aux termes de l’ordonnance, les différends devaient être résolus par le
Conseil national des salaires (composé de neuf membres, dont trois personnes neutres,
deux représentants des plus grandes organisations de travailleurs et d’employeurs et
deux représentants de chacune des parties au conflit). Le conseil a rendu sa décision,
laquelle devait tenir lieu de convention collective entre les parties, le 11 octobre
2012.
- 453. Selon le gouvernement, une escalade du conflit, de par un lock-out
total à compter du 10 juillet 2012, comme annoncé par l’OLF, aurait occasionné un arrêt
complet de la production de pétrole et de gaz sur le plateau norvégien. Le 8 juillet, le
ministère du Travail a reçu du ministère des Finances et du ministère du Pétrole et de
l’Energie une évaluation d’impact relative à une interruption totale de la production,
laquelle est reproduite dans l’ordonnance provisoire du 10 août 2012. Il y est mentionné
qu’un conflit du travail mettant en danger la fiabilité de l’approvisionnement de
l’Europe aurait de graves conséquences à la fois pour la crédibilité de la Norvège en
tant que fournisseur digne de confiance et sur la réputation dont jouit le gaz en tant
que source d’énergie sûre (la Norvège fournit environ 20 pour cent du gaz européen). Un
conflit de cet ordre aurait également de graves conséquences économiques, étant donné
que, en affectant la totalité du plateau continental norvégien, il entraînerait une
réduction mensuelle de la valeur de production du pétrole de 55 milliards de NOK, aux
tarifs actuels du pétrole, et que, la plus grande part de la production étant exportée,
une fermeture totale du site aurait une incidence négative sur la balance du commerce
international de près de 50 milliards de NOK par mois. En outre, la Fédération des
industries norvégiennes avait indiqué que les fournisseurs souffriraient également
beaucoup d’un lock-out sur le plateau et que les prestataires de services de l’industrie
pétrolière devraient probablement mettre à pied 10 000 à 15 000 travailleurs.
- 454. Le gouvernement indique qu’il en a donc conclu que même une brève
interruption de l’ensemble de la production de pétrole et de gaz serait très
préjudiciable à la réputation de la Norvège en tant que fournisseur fiable de pétrole et
de gaz. De surcroît, une interruption totale de la production aurait de graves
conséquences sur l’économie norvégienne, notamment des répercussions majeures sur les
fournisseurs. Le gouvernement a donc décidé que le conflit du travail entre l’IE, la
SAFE et Lerdene et l’OLF devait être résolu sans qu’il y ait d’autres actions
collectives, et a imposé la saisine du Conseil national des salaires à cette fin. Les
négociations entre les parties étant dans l’impasse, on pouvait donc s’attendre à ce que
le conflit se prolonge.
- 455. Selon le gouvernement, le droit d’entreprendre une action collective
n’est pas expressément consacré dans les conventions nos 87 et 98 (que la Norvège a
ratifiées), mais on considère qu’il fait partie intégrante des principes de la liberté
syndicale. Il affirme que conformément aux normes de l’OIT, telles qu’interprétées par
les organes de l’Organisation, les conséquences d’un conflit du travail pourraient être
telles que des interventions dans le droit de grève ou des restrictions en la matière
seraient compatibles avec les principes de la liberté syndicale. Les limitations ou les
interdictions appliquées aux grèves sont donc acceptées lorsque la grève concerne:
1) des fonctionnaires commis à l’administration de l’Etat; et 2) des services essentiels
au sens strict du terme, à savoir les services dont l’interruption mettrait en danger,
dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de
la personne. D’après l’interprétation de l’OIT, ces effets préjudiciables doivent, en
outre, être évidents et imminents.
- 456. Le gouvernement indique que la Norvège a fait de gros efforts pour
se conformer à ses obligations en vertu des conventions de l’OIT. Les actions
collectives sont un moyen d’exercer une pression sur la partie adverse. Tout pays
reconnaissant le droit d’entreprendre des actions collectives doit supporter les
inconvénients et les conséquences préjudiciables que de telles actions occasionnent. Le
gouvernement estime, toutefois, qu’il doit y avoir des limites à l’ampleur des
conséquences que la société doit supporter: le conflit survenu en été 2012 dans le
secteur pétrolier est un exemple de conflit dans le cadre duquel ces limites sont
atteintes. La Norvège a une longue tradition de négociation collective et de conventions
collectives sur l’ensemble du marché du travail. Le droit d’organisation et le droit de
négociation collective sont des éléments fondamentaux du droit norvégien, et sont pris
en compte dans la législation sous forme de règles et de mécanismes de règlement des
différends. Il n’existe aucune restriction juridique quant aux personnes souhaitant
constituer des syndicats et des organisations ou y adhérer, et les autorités ne
s’immiscent pas dans la constitution et les règles régissant les syndicats et les
organisations et leurs activités. Le droit d’entreprendre une action collective fait
partie intégrante du droit à la libre négociation collective. Il n’existe pas
d’interdiction frappant les grèves ou les lock-out sauf dans les forces armées et pour
les fonctionnaires de haut rang, même si ces groupes jouissent néanmoins du droit
d’organisation et du droit de négociation collective. Toutefois, selon le gouvernement,
pour introduire un équilibre dans ce vaste contexte de liberté syndicale et de
négociation collective sans restriction, y compris le droit à l’action collective, un
large consensus s’est dégagé en Norvège selon lequel il appartient au gouvernement en
dernier ressort de faire en sorte que les conflits du travail ne causent pas de graves
préjudices. S’il estime qu’un conflit peut avoir des effets préjudiciables au point de
mettre en danger la vie, la sécurité, la santé de la personne ou des intérêts publics
vitaux, il soumet un projet de loi au Parlement dans lequel il propose d’interdire
l’action collective en question et de saisir le Conseil national des salaires du
règlement dudit conflit.
- 457. Le gouvernement confirme ce qu’avancent les organisations
plaignantes, à savoir que la grève limitée lancée par l’IE et la SAFE, en ce qu’elle ne
touchait que quelques installations, n’aurait pu à elle seule inciter le gouvernement à
recourir à l’arbitrage obligatoire, contrairement à une interruption totale de la
production. Il souligne que son attention portait sur les effets préjudiciables du
conflit, et non sur la question de savoir si c’était une grève ou un lock-out qui en
était la cause. Lorsque les employeurs ont fait part de l’extension majeure du conflit,
le gouvernement a dû prendre en considération ses éventuels effets préjudiciables, qui
étaient tels qu’ils ne pouvaient être ignorés. L’évaluation que doit faire le
gouvernement est la même, que les effets soient occasionnés par une grève ou un
lock-out.
- 458. Quant à l’indication des organisations plaignantes selon laquelle,
contrairement à ce qui s’est produit par le passé, les incidences en matière de sécurité
n’ont pas été invoquées pour justifier l’intervention, le gouvernement affirme qu’une
fermeture des installations pétrolières en mer entraîne toujours des difficultés mais
que les parties exerçant une activité dans ce domaine sur le plateau ont acquis de
l’expérience au cours des années et amélioré les procédures et les méthodes de travail
ainsi que la réglementation sur la sécurité du personnel. Ces facteurs ont entraîné une
baisse des incidences en matière de sécurité connexes à la fermeture des sites. Le
gouvernement maintient, toutefois, qu’une interruption totale de la production de
pétrole et de gaz aurait eu des conséquences économiques de grande ampleur et aurait
gravement nui à la confiance dont jouit la Norvège en tant que fournisseur de pétrole et
de gaz. Selon le gouvernement, il n’est pas exact de dire que les employeurs auraient
été les principaux perdants d’une telle action. En raison de facteurs divers, notamment
la réglementation fiscale, les pertes subies par les employeurs auraient été moindres
comparées à celles de l’Etat et, partant, à celles de la société norvégienne. Par
ailleurs, le gouvernement rappelle que, bien que les conséquences économiques subies par
des tiers au départ ne soient pas jugées pertinentes pour motiver une intervention, il
est plutôt difficile d’admettre que c’est effectivement le cas quelle que soit l’ampleur
des pertes. Pour le gouvernement, la limite était atteinte à la perspective imminente
d’une interruption totale de l’ensemble de la production norvégienne de pétrole et de
gaz. S’agissant des répercussions pour les fournisseurs, dont l’estimation des
conséquences est contestée, le gouvernement indique qu’il n’y avait aucune raison de ne
pas faire confiance à la Fédération des industries norvégiennes, la principale
organisation d’employeurs en termes d’adhérents et d’autorité, lorsqu’elle a mis en
garde contre la possibilité d’une mise à pied de 10 000 à 15 000 travailleurs chez les
fournisseurs. Les fournisseurs norvégiens sont exposés à une vive concurrence sur le
marché international. Enfin, la crédibilité de la Norvège en tant que fournisseur majeur
et fiable de pétrole et de gaz ainsi que la prise en considération des livraisons de
pétrole et de gaz à ses partenaires commerciaux d’Europe ont beaucoup pesé dans
l’évaluation de la situation par le gouvernement. Un arrêt total de la production aurait
un impact sur le marché mondial et, selon le gouvernement, la seule perspective d’un
arrêt total de la production de pétrole et de gaz norvégiens entraînerait une
augmentation du prix de ces hydrocarbures. Le gouvernement réitère qu’il est capital
pour la Norvège de préserver sa réputation de fournisseur digne de confiance, et un
arrêt total de la production pouvait faire courir un risque dans ce domaine. Qui plus
est, à l’argument avancé par les organisations plaignantes selon lequel les acheteurs de
gaz européens ont connaissance du système de négociation collective de la Norvège, le
gouvernement répond que les acheteurs de pétrole et de gaz sont beaucoup plus vigilants
que ne l’affirment les organisations plaignantes. Le gouvernement avait été contacté
quelque temps auparavant pour des informations concernant l’évolution du conflit du
travail. Un blocage total de l’ensemble de la production norvégienne de pétrole et de
gaz aurait des conséquences d’une telle ampleur pour la société norvégienne qu’il serait
impossible de ne pas en tenir compte, et l’intervention du gouvernement devait être
considérée comme entrant dans le champ d’application des conventions de l’OIT.
- 459. En ce qui concerne le passage de l’ordonnance provisoire où il est
dit que «s’il était établi qu’il y ait une contradiction entre les conventions
internationales et le recours par la Norvège à l’arbitrage obligatoire, le ministère du
Travail pense qu’il est nécessaire, quoi qu’il en soit, d’intervenir dans les conflits»,
le gouvernement réfute l’interprétation qu’en font les organisations plaignantes. Cet
énoncé figure dans tous les actes établis en vue d’un arbitrage obligatoire en raison de
conditions légales internes et est nécessaire pour des raisons d’interprétation
juridique d’ordre technique en raison du rang qu’occupe le droit international dans le
système légal de la Norvège. Le gouvernement réitère que, selon lui, l’intervention dans
ce conflit était conforme aux principes de la liberté syndicale consacrés dans les
conventions nos 87 et 98 de l’OIT.
- 460. Le gouvernement indique que l’ordonnance provisoire renvoyait le
règlement du différend devant le Conseil national des salaires, organe d’arbitrage
volontaire permanent institué en vertu de la loi relative au Conseil national des
salaires (loi no 10 du 27 janvier 2012). Le conseil est à la disposition des
organisations de travailleurs et d’employeurs qui souhaitent y avoir recours afin de
régler des différends du travail. Il se compose de neuf membres dont cinq sont nommés
par le gouvernement pour une période de trois ans. Trois des membres permanents sont
neutres, c’est-à-dire indépendants du gouvernement et des organisations d’employeurs et
de travailleurs. Deux membres représentent les intérêts des employeurs et deux membres
ceux des travailleurs. Toutefois, ces derniers agissent davantage en qualité de conseils
et n’ont pas le droit de vote. Les parties à un conflit désignent chacune deux membres
du conseil. Seul un des membres représentant chaque partie et les trois membres neutres
sont appelés à voter. La loi relative au Conseil national des salaires comporte un
ensemble de dispositions prévoyant dans le détail comment le conseil doit traiter les
conflits dont il est saisi. Ces dispositions ont pour objet de faire en sorte que la
procédure soit aussi complète et réglementaire que possible. Les parties sont
accompagnées de représentants habilités agissant en tant que porte-parole et ont le
droit de soumettre aux membres du conseil toutes les informations qu’elles estiment être
pertinentes pour la résolution du conflit. Le conseil lui-même peut obtenir toutes les
informations complémentaires dont il a besoin.
- 461. Le gouvernement souligne que, en sa qualité d’organe chargé de
l’arbitrage, le Conseil national des salaires est un organe autonome et indépendant qui
traite et résout les conflits dont il est saisi en fonction des éléments qui lui sont
soumis par les parties au conflit. Ainsi, il a de nombreuses caractéristiques en commun
avec un tribunal. De ce fait, il n’est pas lié par la politique gouvernementale en
matière de revenus. Il prend ses décisions de façon indépendante, en toute liberté.
Selon le gouvernement, les organisations plaignantes concernées en l’espèce sont fortes
et influentes, et les travailleurs en activité sur le plateau font partie de ceux qui
sont le mieux rémunérés en Norvège. Ils relèvent du système norvégien de négociation
collective, de coopération et de codétermination. En l’espèce, lorsque le gouvernement
est intervenu, les parties avaient engagé des négociations collectives pour la révision
des conventions alors en vigueur; elles étaient arrivées au terme de la phase de
médiation obligatoire avec le médiateur national, et les syndicats étaient en grève
depuis seize jours pour faire pression à l’appui de leurs demandes. Après l’intervention
du gouvernement, le conflit a été réglé par le Conseil national des salaires, au sein
duquel les parties au conflit étaient également représentées, chacune par deux membres.
On peut donc dire que les organisations de travailleurs ont parfaitement eu la
possibilité de défendre leurs intérêts tant avant qu’après l’interdiction frappant
l’action collective.
- 462. Enfin, le gouvernement indique que, selon lui, l’intervention dans
le conflit survenu l’été 2012 dans le secteur pétrolier est conforme aux principes de la
liberté syndicale. La décision d’imposer un arbitrage obligatoire est compatible avec
les conventions nos 87 et 98, et les organisations de travailleurs ont également eu de
multiples possibilités de sauvegarder leurs intérêts professionnels.
- 463. Le gouvernement transmet également les observations faites par
l’Association norvégienne du secteur pétrolier dans une lettre datée du 21 octobre 2013
selon lesquelles la Norvège a ratifié plusieurs conventions de l’OIT garantissant la
liberté syndicale et le droit de grève (conventions nos 87, 98 et 154) et, conformément
à l’interprétation des conventions par les organes de l’OIT, l’intervention dans le
droit de grève obéit à des règles strictes mais est néanmoins autorisée si la grève met
en danger la vie, la santé et la sécurité de l’ensemble ou d’une partie de la
population. En outre, la Charte sociale européenne contient des dispositions analogues
en son article 6, point 4, qui visent à préserver le droit de grève. Toutefois,
l’article 6 doit être lu conjointement avec l’article G, qui autorise des restrictions
légales au droit de grève, nécessaires, dans une société démocratique, pour garantir le
respect des droits et des libertés d’autrui ou pour protéger l’ordre public, la sécurité
nationale ou les bonnes mœurs. De plus, l’OLF ajoute que, dans une décision datée du
10 avril 1997 (Rapport de la Cour suprême Rt. 1997/580), la Cour suprême de la Norvège a
examiné la validité d’un arrangement provisoire du 1er juillet 1994 concernant
l’interdiction de faire grève dans le secteur pétrolier. Dans cette décision, la cour a
confirmé que le fait de recourir à l’arbitrage obligatoire pour résoudre des conflits du
travail n’est pas contraire aux principes constitutionnels généraux de la législation si
cette action est motivée par la sauvegarde d’intérêts généraux primordiaux. En ce qui
concerne les conventions de l’OIT et la Charte sociale européenne, la Cour suprême a
fait observer que l’interprétation des conventions en matière de droit de grève n’a pas
fait l’objet d’une résolution de nature contraignante et que la Norvège n’a jamais
accepté que le recours à l’arbitrage obligatoire – lorsque des intérêts généraux
primordiaux sont en jeu – soit en violation des conventions. Selon la cour, l’article 11
de la Convention européenne des droits de l’homme ne constitue pas non plus un obstacle
au recours à l’arbitrage obligatoire. L’affaire a ensuite été renvoyée en appel devant
la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans une décision du 27 juin 2002, l’a
rejetée comme étant manifestement dénuée de fondement, c’est-à-dire eu égard aux lourdes
conséquences que la grève aurait pour la société. Mention a également été faite de ce
que le secteur pétrolier avait un statut sans pareil, en vertu duquel l’arrêt des
livraisons de pétrole pourrait avoir des répercussions immédiates et graves pour de
nombreux pays, notamment en Europe.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 464. Le comité note que, dans le présent cas, les organisations
plaignantes allèguent que le gouvernement est intervenu dans la négociation collective
et a imposé un arbitrage obligatoire par la promulgation du décret royal contenant une
ordonnance provisoire le 10 août 2012, mettant ainsi fin à l’action de grève dans le
secteur pétrolier.
- 465. Le comité note d’après la brève chronologie fournie à la fois par
les organisations plaignantes et par le gouvernement que: i) les diverses négociations
engagées en 2012 en vue de nouvelles conventions collectives sur les salaires entre les
syndicats et l’OLF ont été infructueuses et la médiation a été interrompue le 24 juin
2012; ii) les organisations plaignantes ont lancé un appel à une grève limitée le même
jour à laquelle ont participé 600 à 700 membres syndicaux et qui a partiellement affecté
les installations du plateau norvégien; iii) le 5 juillet 2012, l’OLF a émis un avis de
lock-out total (avec effet au 10 juillet 2012), qui devait s’appliquer à plus de
6 500 travailleurs et à l’ensemble des installations du plateau norvégien, entraînant
ainsi une interruption totale de l’ensemble de la production pétrolière et gazière;
iv) la médiation n’ayant pas abouti, le gouvernement a annoncé, le 10 juillet 2012, sa
décision d’intervenir dans le conflit en imposant un arbitrage obligatoire; v) suite à
cela, les syndicats ont décidé de mettre fin à la grève en cours et les employeurs ont
convenu de ne pas mettre en œuvre le lock-out annoncé; vi) le 10 août 2012, un décret
royal contenant une ordonnance provisoire a été promulgué, lequel renvoyait le règlement
du différend devant le Conseil national des salaires.
- 466. Le comité note, toutefois, que les organisations plaignantes et le
gouvernement ont un avis différent au sujet de l’interprétation de la nécessité d’une
telle intervention par le gouvernement. Le comité prend note que le gouvernement estime
que sa décision de recourir à l’arbitrage obligatoire pour régler le différend est tout
à fait conforme aux normes de l’OIT et il avance plusieurs arguments à l’appui de cet
avis, indiquant que l’arrêt complet de la production de pétrole et de gaz sur le plateau
norvégien aurait eu de graves conséquences économiques, telles que: i) une réduction
mensuelle de 55 milliards de NOK de la valeur de production et un impact négatif mensuel
de près de 55 milliards de NOK de la balance commerciale internationale; ii) cela aurait
affecté la fiabilité de la fourniture de gaz à l’Europe; iii) cela aurait été très
préjudiciable pour la réputation de la Norvège et la confiance dont elle jouit auprès
des autres pays en tant que fournisseur fiable de pétrole et de gaz; iv) cela aurait eu
des répercussions majeures sur le secteur des fournisseurs (par exemple, la mise à pied
probable de 10 000 à 15 000 travailleurs). Le gouvernement ajoute que, pour assurer
l’équilibre entre les nombreux droits non limités à la liberté d’organisation et à la
négociation collective en Norvège, s’il estime qu’un conflit a des effets préjudiciables
au point de mettre en danger la vie, la sécurité, la santé des personnes ou l’intérêt
vital de la population, il soumet habituellement un projet de loi distinct au Parlement
proposant d’interdire la grève ou le lock-out en question et de saisir le Conseil
national des salaires pour le règlement du conflit. Dans le cas présent, l’arrêt total
de l’ensemble de la production norvégienne de pétrole et de gaz aurait eu, selon le
gouvernement, des conséquences pour la société norvégienne d’une telle ampleur qu’il
faudrait considérer que l’intervention du gouvernement entrait dans le champ
d’application des conventions de l’OIT.
- 467. Inversement, le comité note que les organisations plaignantes
affirment que: i) la grève lancée le 24 juin 2012 ne concernait qu’un nombre limité de
membres syndicaux (610) et affectait les installations de quatre sites sur l’ensemble
des sites du plateau norvégien; ii) l’avis d’arrêt de travail collectif donné était
limité pour réduire l’impact de la grève, de façon à ce que les autorités n’y trouvent
pas motif à imposer un arbitrage obligatoire, tout en faisant en sorte que la grève soit
efficace; iii) la notification par l’OLF d’un lock-out total en réponse à l’avis de
grève a constitué la «demande» d’arbitrage obligatoire des employeurs, demande qui a
presque immédiatement été acceptée par le gouvernement; iv) les motifs invoqués par le
gouvernement pour imposer l’arbitrage obligatoire ne sont pas défendables car ce sont
essentiellement les compagnies pétrolières qui auraient été touchées par la perte de
recettes, dans la mesure où, pour le gouvernement, l’arrêt de la production se serait
simplement soldé par une interruption temporaire des recettes, qui n’aurait pas mis
l’économie de la Norvège en danger et parce que la confiance dont jouit le pays en tant
que producteur et exportateur d’hydrocarbures n’aurait pas souffert vu que les acheteurs
de pétrole et de gaz sont parfaitement au courant des règles régissant la négociation
collective entre les travailleurs et les employeurs dans le pays; v) les motifs mis en
avant sont en tout état de cause insuffisants pour justifier l’arbitrage obligatoire. Le
comité observe en outre que les deux parties concèdent que l’argument des incidences en
matière de sécurité en cas de fermeture des installations n’a pas été invoqué dans le
cas présent.
- 468. Le comité rappelle qu’à de multiples occasions par le passé il a
examiné des cas concernant l’arbitrage obligatoire en Norvège, qui était imposé dans des
secteurs de services non essentiels par une intervention d’ordre législatif dans le
processus de négociation collective, mettant ainsi fin à une action de grève (voir en
particulier les cas nos 1255 (234e rapport), 1389 (251e rapport) et 1576 (279e rapport))
dans le secteur pétrolier. Le comité fait observer que l’ordonnance provisoire du
10 août 2012 interdit de commencer ou de continuer un arrêt de travail dans le secteur
du pétrole et du gaz et renvoie le différend devant le Conseil national des salaires
pour arbitrage obligatoire (aucune information concernant l’issue de cette procédure n’a
été communiquée). Lorsqu’il a examiné le cas de l’imposition d’un arbitrage obligatoire
dans le secteur des services financiers en Norvège [voir le cas no 2545, 349e rapport,
paragr. 1149], le comité a rappelé qu’il était difficile de concilier un arbitrage
imposé par les autorités de leur propre initiative avec le droit de grève et le principe
du caractère volontaire de la négociation. Il est tenu de rappeler que l’arbitrage
obligatoire visant à mettre fin à un conflit collectif du travail et à une grève est
acceptable s’il a lieu à la demande des deux parties au différend, ou si la grève en
question peut être limitée, voire interdite, par exemple dans le cas d’un différend
survenant dans la fonction publique et mettant en cause des fonctionnaires qui exercent
des fonctions d’autorité au nom de l’Etat ou dans des services essentiels au sens strict
du terme, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou
dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. [Voir
Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième
édition, 2006, paragr. 564 et 587.]
- 469. Ce que l’on entend par service essentiel au sens strict du terme
dépend largement des conditions spécifiques de chaque pays. En outre, ce concept ne
revêt pas un caractère absolu dans la mesure où un service non essentiel peut devenir
essentiel si la grève dépasse une certaine durée ou une certaine étendue, mettant ainsi
en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la
totalité de la population. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 582.] Le comité note par
ailleurs que le fait d’établir un lien entre les restrictions aux actions revendicatives
et l’entrave aux échanges et au commerce permet de porter atteinte à une large gamme
d’actions légitimes. Certes, l’impact économique des actions revendicatives et leurs
effets sur les échanges et le commerce sont regrettables; cependant, ils ne suffisent
pas à rendre le service «essentiel» et le droit de grève devrait être maintenu. [Voir
Recueil, op. cit., paragr. 592.] Notant qu’il faut tenir compte des circonstances
particulières prévalant dans un pays, il est rappelé que dans d’autres cas le comité a
considéré que le secteur pétrolier ne constituait pas un service essentiel au sens
strict du terme. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 587.]
- 470. Le comité est sensible aux arguments fournis par le gouvernement
dans le cas présent pour justifier sa décision de soumettre le conflit à l’arbitrage
obligatoire, en particulier les estimations relatives à l’impact négatif sur l’économie
norvégienne, sur l’approvisionnement en pétrole et en gaz des partenaires commerciaux de
la Norvège, sur l’emploi des fournisseurs et sur la réputation de la Norvège en tant que
fournisseur digne de confiance. Le comité fait en outre observer que, selon les
organisations plaignantes et le gouvernement, l’action de grève en soi, parce que
limitée, n’aurait pas abouti à la décision de recours à l’arbitrage obligatoire, et que
c’est la menace par l’OLF d’interrompre la production de toutes les installations sur le
plateau norvégien qui a incité les autorités à y recourir. Comme pour un cas précédent
concernant la Norvège [voir le cas no 2545, 349e rapport, paragr. 1151], le comité se
dit préoccupé par l’affirmation des organisations plaignantes selon laquelle l’avis de
lock-out total émis par l’OLF en réponse à l’avis de grève a constitué une «demande»
d’arbitrage obligatoire par les employeurs, demande qui a presque immédiatement été
acceptée par le gouvernement. Si l’impact que l’annonce d’un arrêt total de la
production pétrolière et gazière peut avoir sur l’appréciation des conséquences de cette
action collective sur la vie quotidienne en Norvège constitue, sans doute, une
circonstance nationale pertinente dont le comité doit tenir compte, il est nécessaire
que de tels impacts dépassent la simple entrave aux échanges et au commerce et aient mis
en danger la vie, la sécurité personnelle et la santé de toute ou partie de la
population pour justifier un recours à l’arbitrage obligatoire. Le comité note que, au
moment où le gouvernement a imposé l’arbitrage obligatoire, l’action revendicative du
syndicat était en cours mais que le lock-out des employeurs, d’une durée incertaine,
n’avait pas encore débuté. Sur la base des informations à sa disposition, le comité ne
peut conclure qu’au moment de la décision du gouvernement les éléments d’impact au-delà
des échanges et du commerce s’étaient concrétisés, justifiant le recours préventif à
l’arbitrage obligatoire et l’interdiction du droit de grève. En l’absence d’information
supplémentaire du gouvernement, le comité conclut que l’acte législatif pris par le
gouvernement interdisant, aux termes de son article 4, de commencer ou de poursuivre un
arrêt de travail pour résoudre le conflit et s’appliquant ainsi à la fois à la grève
alors en cours et au lock-out annoncé était incompatible avec les principes de la
liberté syndicale.
- 471. Le comité est par ailleurs d’avis que, pour répondre aux
préoccupations du gouvernement, il serait souhaitable qu’en cas d’action collective
comme celle à laquelle il a été confronté, qui aurait paralysé un secteur qui, s’il
n’est un service essentiel au sens strict du terme, est toutefois un secteur très
important de l’économie, les parties concernées, avec la participation du gouvernement
si nécessaire, puissent conclure un accord relatif à des services minimums suffisants
pour répondre aux préoccupations du gouvernement face aux conséquences d’un arrêt total
de la production de pétrole et de gaz, tout en préservant le respect des principes du
droit de grève et du caractère volontaire de la négociation collective. [Voir le cas
no 1576, 279e rapport, paragr. 114.] Le comité rappelle qu’un service minimum peut être
maintenu en cas de grève dont l’étendue et la durée pourraient provoquer une situation
de crise nationale aiguë telle que les conditions normales d’existence de la population
pourraient être en danger. Pour être acceptable, ce service minimum devrait se limiter
aux opérations strictement nécessaires pour ne pas compromettre la vie ou les conditions
normales d’existence de tout ou partie de la population, et les organisations de
travailleurs devraient pouvoir participer à sa définition tout comme les employeurs et
les autorités publiques. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 610.] En l’espèce, le comité
regrette que, malgré les recommandations qui lui ont été faites antérieurement et à
plusieurs occasions dans le cadre de cas analogues, le gouvernement n’ait pas négocié un
service minimum dans le secteur avec les parties concernées ou, en cas de désaccord
quant au nombre et aux obligations incombant aux travailleurs concernés, de saisir un
organe indépendant pour statuer sur la question.
- 472. A la lumière des principes énoncés ci-dessus et convaincu qu’un
accord préalable sur ce qui constitue un service minimum à assurer en cas d’action
collective serait plus propice à des relations professionnelles harmonieuses dans le
secteur du pétrole et du gaz, le comité s’attend fermement à ce qu’à l’avenir le
gouvernement fasse tout son possible pour ne pas recourir par voie législative à
l’imposition d’un arbitrage obligatoire ayant pour effet de mettre fin à toute action
collective dans un secteur, à moins qu’il ne soit établir de façon objective que, lors
d’une telle action, le secteur était essentiel, et en tout état de cause à ce qu’il
s’efforce de promouvoir et de donner la priorité à la négociation collective libre et
volontaire en tant que moyen de déterminer les conditions d’emploi dans le secteur du
pétrole et du gaz. A cet égard, le comité encourage le gouvernement à examiner la
possibilité de mettre en place un service minimum dans ce secteur en cas d’action
collective dont la portée et la durée pourraient entraîner des dommages irréversibles.
[Voir cas no 2545, 349e rapport, paragr. 1152.]
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 473. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Compte tenu des
principes énoncés dans ses conclusions, le comité s’attend fermement à ce qu’à
l’avenir le gouvernement prenne toutes les mesures pour s’abstenir de recourir par
voie législative à l’imposition d’un arbitrage obligatoire ayant pour effet de
mettre fin à toute action collective dans un secteur qui, lors d’une telle action,
ne présente pas de menace claire et imminente à la vie, la sécurité personnelle ou
la santé de toute ou partie de la population et qui, en conséquence, n’est pas
essentiel, et en tout état de cause pour promouvoir et donner la priorité à la
négociation collective libre et volontaire en tant que moyen de déterminer les
conditions d’emploi dans le secteur du pétrole et du gaz.
- b) Regrettant que,
malgré les recommandations à cet égard que le comité a déjà faites à plusieurs
occasions, le gouvernement n’ait pas négocié un service minimum dans le secteur avec
les parties concernées, et convaincu que de procéder de la sorte à l’avenir serait
plus propice à des relations professionnelles harmonieuses dans le secteur du
pétrole et du gaz, le comité encourage le gouvernement à examiner la possibilité de
mettre en place un service minimum dans ce secteur en cas d’action collective dont
la portée et la durée pourraient entraîner des dommages irréversibles; à cet égard,
il conviendrait que les organisations syndicales puissent participer, dans une
mesure égale à celle des employeurs et des pouvoirs publics, à la définition du
service minimum, et que tout désaccord quant au nombre et aux obligations des
travailleurs intéressés soit soumis à l’appréciation d’un organe
indépendant.