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RECLAMATION (article 24) - FRANCE - C081 - 2011 - (Rapport: 2013)

Syndicat SUD Travail Affaires Sociales

Clos

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Rapport du comité chargé d’examiner la réclamation alléguant l’inexécution par la France de la convention (nº 81) sur l’inspection du travail, 1947, présentée en vertu de l’article 24 de la Constitution de l’OIT par le Syndicat SUD Travail Affaires sociales

Rapport du comité chargé d’examiner la réclamation alléguant l’inexécution par la France de la convention (nº 81) sur l’inspection du travail, 1947, présentée en vertu de l’article 24 de la Constitution de l’OIT par le Syndicat SUD Travail Affaires sociales

Décision

Décision
  1. Le Conseil d'administration a adopté le rapport du comité tripartite. Procédure close. (GB.317/INS/12/8, mars 2013).

I. Introduction

I. Introduction
  1. 1. Par une communication reçue en date du 19 décembre 2011, le Syndicat SUD Travail Affaires sociales, invoquant l’article 24 de la Constitution de l’Organisation internationale du Travail, a adressé au Bureau international du Travail une réclamation alléguant l’inexécution par la France de la convention (nº 81) sur l’inspection du travail, 1947.
  2. 2. La convention (nº 81) sur l’inspection du travail, 1947, a été ratifiée par la France le 16 décembre 1950. En outre, la convention (nº 129) sur l’inspection du travail (agriculture), 1969, a été ratifiée par la France le 28 décembre 1972.
  3. 3. Les dispositions de la Constitution de l’Organisation internationale du Travail concernant la soumission des réclamations sont les suivantes:
    • Article 24
    • Toute réclamation adressée au Bureau international du Travail par une organisation professionnelle des travailleurs ou des employeurs, et aux termes de laquelle l’un quelconque des Membres n’aurait pas assuré d’une manière satisfaisante l’exécution d’une convention à laquelle ledit Membre a adhéré, pourra être transmise par le Conseil d’administration au gouvernement mis en cause et ce gouvernement pourra être invité à faire sur la matière telle déclaration qu’il jugera convenable.
    • Article 25
    • Si aucune déclaration n’est reçue du gouvernement mis en cause dans un délai raisonnable, ou si la déclaration reçue ne paraît pas satisfaisante au Conseil d’administration, ce dernier aura le droit de rendre publique la réclamation reçue et, le cas échéant, la réponse faite.
  4. 4. La procédure concernant 1’examen des réclamations est définie par le Règlement relatif à la procédure à suivre pour l’examen des réclamations présentées au titre des articles 24 et 25 de la Constitution de l’Organisation internationale du Travail, tel que révisé par le Conseil d’administration à sa 291e session (novembre 2004).
  5. 5. Conformément à l’article 1 et à l’article 2, paragraphe 1, du Règlement susmentionné, le Directeur général a accusé réception de la réclamation, en a informé le gouvernement de la France et l’a transmise au bureau du Conseil d’administration.
  6. 6. Lors de sa 313e session (mars 2012), le Conseil d’administration a déclaré la réclamation recevable et désigné un comité chargé de l’examiner, composé de Mme Valérie Berset Bircher (membre gouvernemental, Suisse), M. Jørgen Rønnest (membre employeur, Danemark) et M. Sam Gurney (membre travailleur, Royaume-Uni).
  7. 7. Le gouvernement a adressé ses observations dans une communication en date du 7 mai 2012.
  8. 8. Le 8 novembre 2012, le comité s’est réuni pour un examen préliminaire du cas. Le comité s’est réuni à nouveau le 19 mars 2013 pour examiner le cas et adopter son rapport.

II. Examen de la réclamation

II. Examen de la réclamation
  • A. Allégations de l’organisation plaignante
    1. 9. Le Syndicat SUD Travail Affaires sociales allègue que l’autorité française n’a pas respecté l’article 6 de la convention (nº 81) sur l’inspection du travail, 1947, en ne garantissant pas l’indépendance de l’inspection du travail contre toute influence extérieure indue dans le cadre d’incidents fort médiatisés qui ont eu lieu dans le département de la Seine-Maritime en 2010-11, mettant par là même en péril l’action de l’inspection du travail en général.
    2. 10. Le syndicat se réfère notamment aux Principes de déontologie pour l’inspection du travail publiés en 2010 par le ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville, qui définissent l’influence extérieure indue comme «toute manœuvre, pression, intimidation, menace, chantage, voie de fait, diffamation, dénonciation calomnieuse, campagne publique de dénigrement, proposition ou octroi d’avantages en vue d’orienter l’action de l’inspection pour des motifs, directement ou non, étrangers à la mission».
    3. 11. En particulier, l’organisation plaignante allègue que:
      • - Le 3 novembre 2010, une inspectrice du travail de Seine-Maritime, dans le cadre des prérogatives que lui donne le Code du travail, a refusé au président directeur général d’une entreprise (l’employeur) l’autorisation de licencier, pour motif disciplinaire, un délégué du personnel.
      • - Le 5 novembre 2010, l’employeur a présenté à l’inspectrice un recours gracieux qui a donné lieu à une seconde décision de refus de l’inspectrice en date du 18 novembre 2010.
      • - Le 8 novembre 2010, l’employeur a commencé une grève de la faim médiatisée ainsi qu’une campagne de dénigrement de l’inspection du travail dans la presse et sur Internet à travers son blog personnel. L’organisation plaignante cite un grand nombre de propos à ce sujet apparus dans la presse et sur Internet. Elle se réfère en particulier à une série d’articles publiés dans le journal Paris Normandie attestant de la campagne médiatique de l’employeur ainsi qu’aux messages publiés par l’employeur sur son blog.
      • - Le 10 novembre 2010, jour où l’employeur devait rencontrer l’inspectrice du travail au sujet du recours gracieux afin d’obtenir l’annulation de la décision de refus, les salariés de l’entreprise ont organisé sur leur temps de travail, et avec l’accord et le soutien de leur employeur, un rassemblement devant les locaux de l’inspection du travail de Rouen et des blocages de la circulation dans la ville.
      • - Parallèlement, le 9 novembre 2010, l’employeur a introduit un recours hiérarchique auprès du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé en vue d’obtenir l’annulation du refus de licenciement. Les salariés ont manifesté à Paris devant les locaux de la Direction générale du travail pour obtenir cette annulation.
      • - En date du 25 novembre 2010, le ministre du Travail a annulé la décision de l’inspectrice du travail et a autorisé le licenciement du délégué du personnel. L’organisation plaignante souligne que le délai normal de traitement de ces recours hiérarchiques est de quatre mois en général et que la décision du ministre était en contradiction avec le rapport de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) de Haute-Normandie, qui lui proposait de confirmer le refus d’autorisation prononcé par l’inspectrice du travail, notamment au vu de «vices de procédure» entachant «de manière substantielle» la demande d’autorisation de licenciement.
    4. 12. Par la suite, le Tribunal administratif de Rouen, saisi par le délégué du personnel, a considéré dans son ordonnance, en date du 30 juin 2011, que la procédure de licenciement était entachée «d’irrégularités» et a annulé la décision du ministre, conformément à une jurisprudence bien établie du Conseil d’Etat en la matière.
    5. 13. L’organisation plaignante ajoute que, dans cette affaire, les pressions exercées sur l’inspectrice du travail ont été multiples. Elle se réfère notamment à certains courriers de députés, à la position officielle de la Fédération française du bâtiment que l’employeur a rendus publics sur son blog, et à l’intervention directe d’un gendarme en contact avec l’employeur, qui n’a pas décliné son identité, pour inciter l’inspectrice à autoriser le licenciement, en se montrant critique vis-à-vis de son action et en allant jusqu’à lui demander de justifier sa décision de refuser le licenciement. Cette intervention est rapportée dans deux documents internes joints à la réclamation: une fiche de signalement d’un incident de contrôle et un compte rendu de la cellule régionale d’urgence et d’appui. L’organisation plaignante se réfère également à la campagne de dénigrement dans la presse orchestrée par l’employeur autour de sa grève de la faim, aux manœuvres de l’employeur pour liguer son personnel contre l’inspection du travail et à la correspondance de l’employeur avec la hiérarchie administrative de l’inspection du travail où il se plaint de harcèlement.
    6. 14. En outre, selon l’organisation plaignante, malgré plusieurs demandes écrites successives adressées par elle-même au directeur régional de la DIRECCTE de Haute-Normandie, y compris sous forme d’une pétition de 150 agents de l’inspection du travail de Seine-Maritime au ministre du Travail, aucun responsable de l’administration du travail n’a souhaité prendre de mesures pour faire cesser ces «influences extérieures indues» ni même les désapprouver.
    7. 15. Le syndicat indique qu’il n’y a eu qu’une seule et timide apparition du responsable de l’Unité territoriale de Seine-Maritime de la DIRECCTE à la télévision régionale ainsi qu’un communiqué de presse adressé par lui au journal Paris Normandie indiquant que «[l’]inspecteur en tout état de cause doit pouvoir prendre sa décision sereinement en l’absence de pression dans le respect des règles de droit, en prenant le temps d’examiner les arguments présentés par l’employeur et le salarié».
    8. 16. Selon l’organisation plaignante, l’administration du travail n’a en tout cas jamais levé l’ambiguïté créée par l’action de l’employeur auprès de l’opinion publique par un soutien officiel franc envers l’inspection du travail, mettant par là même en péril l’indépendance de cette dernière telle que garantie par les conventions internationales, et donc l’intervention des agents de contrôle soumis à ces multiples pressions indues.
    9. 17. Elle note, par ailleurs que, depuis 2007, près de dix procès-verbaux ont été émis par l’inspection du travail à l’encontre de l’employeur, mais le Procureur de la République n’a à ce jour déclenché aucune audience devant le tribunal correctionnel. En particulier, un procès-verbal pour outrage à l’inspectrice du travail, en charge du contrôle de l’entreprise au moment où l’employeur s’est indigné de la décision de refus d’autoriser le licenciement d’un de ses représentants du personnel, a fait l’objet en septembre 2011 d’une décision rapide de classement sans suite de la part du Procureur de la République de Rouen, de manière assez préoccupante.
    10. 18. Selon l’organisation plaignante, l’employeur, fort de ses soutiens médiatiques, politiques et institutionnels, a su mettre l’opinion locale en sa faveur, y compris au sein de son entreprise. Elle considère qu’il y a un risque que le rapport de force dont il bénéficie dans l’opinion publique entrave l’indépendance de l’inspection du travail qui ne bénéficie plus, pour asseoir son autorité, ni d’un soutien hiérarchique de son administration et de son ministère de tutelle ni d’un soutien judiciaire ou pénal de la part du parquet.
  • B. Observations du gouvernement
    1. 19. Dans sa communication en date du 7 mai 2012, le gouvernement indique que la France a mis en place un dispositif législatif et réglementaire ainsi qu’une organisation administrative permettant de garantir l’indépendance de l’inspection du travail, conformément à l’article 6 de la convention no 81 de l’OIT. Ce dispositif a été mis en œuvre à l’occasion de l’affaire qui fait l’objet de la présente réclamation, dans un contexte difficile sur le plan humain pour tous les protagonistes en cause.
    2. 20. Le gouvernement souligne en outre que la publication en 2010 des Principes de déontologie de l’inspection du travail, comportant une partie spécifique sur l’indépendance, montre l’importance que cette notion revêt au sein du ministère chargé du travail . En particulier, le gouvernement se réfère à la préface de ce document selon laquelle «le principe d’indépendance n’apparaît pas seulement comme un droit des agents concernés mais bien comme une garantie pour les citoyens de pouvoir bénéficier d’un service public organisé qui n’est soumis à aucune “influence extérieure indue”».
    3. 21. Le gouvernement présente les faits comme suit:
      • - Le 3 novembre 2010, une inspectrice du travail de Seine-Maritime a refusé à l’employeur concerné l’autorisation de procéder au licenciement pour faute d’un salarié protégé, délégué du personnel suppléant et membre suppléant du comité d’entreprise, dans le cadre d’une délégation unique du personnel, exerçant les fonctions de charpentier dans l’entreprise depuis 2006, et auquel il était reproché des vols de marchandise.
      • - Le 5 novembre 2010, l’employeur a formé un recours gracieux à l’encontre de cette décision de refus auprès de l’inspectrice du travail et a menacé d’entamer une grève de la faim au cas où sa demande ne serait pas acceptée.
      • - Le 8 novembre 2010, l’employeur a commencé une grève de la faim et a mis en œuvre une campagne médiatisée pour dénoncer la décision de l’inspectrice du travail avec le soutien de ses salariés.
      • - Le 10 novembre 2010, tandis qu’une manifestation de soutien des salariés de l’entreprise concernée se déroule en face de la cité administrative dans l’intention de faire pression sur l’inspectrice du travail, le directeur d’unité territoriale et le directeur adjoint de secteur se sont déplacés dans l’entreprise pour rencontrer l’employeur afin de souligner la nécessité de laisser l’inspectrice du travail instruire le recours en toute sérénité et de lui rappeler les modalités de recours administratifs ouverts.
      • - Le 16 novembre 2010, l’Unité territoriale de Haute-Normandie a transmis un communiqué au journal Paris Normandie qui rappelle les règles applicables en matière de licenciement de salariés protégés et insiste sur le fait que «l’inspecteur en tout état de cause doit pouvoir prendre sa décision sereinement en l’absence de pression dans le respect des règles de droit, en prenant le temps d’examiner les arguments présentés par l’employeur et le salarié». En outre, des interviews de l’administration, allant dans ce sens, ont été diffusées par la télévision locale.
      • - Le 18 novembre 2010, la décision de refus du licenciement a été confirmée par l’inspectrice du travail, qui a soulevé des vices substantiels entachant la procédure de licenciement.
      • - L’entreprise a formé un recours hiérarchique auprès du ministre chargé du travail , en vue d’obtenir l’annulation de la décision de refus du licenciement . Le 25 novembre 2010, le ministre chargé du travail a décidé d’annuler la décision prise par l’inspectrice du travail et a autorisé le licenciement du salarié, au motif que la faute était suffisamment établie à son encontre et qu’il n’existait pas de lien entre les fonctions représentatives exercées par le salarié et le projet de licenciement.
      • - Le 27 janvier 2011, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé a déposé une plainte au Parquet de Paris, en vue d’engager des poursuites à l’encontre des sites Internet et de leurs hébergeurs ayant diffusé des propos susceptibles de caractériser les délits de diffamation publique et d’injure publique envers un fonctionnaire public, en l’occurrence l’inspectrice du travail.
      • - Le 28 mars 2011, en réponse à une lettre de réclamation de l’employeur du 16 février 2011 dans laquelle celui-ci se plaint de l’acharnement des services de l’inspection du travail à son égard, le directeur régional a rappelé à l’intéressé que «les missions et actions de l’inspection du travail ne sauraient être soumises ni à des interventions multiples ni à des menaces d’action en justice».
      • - Le 19 avril 2011, l’inspectrice du travail a procédé à une visite de contrôle de l’entreprise concernée, accompagnée par le directeur adjoint de secteur, afin de réaffirmer le rôle et la présence de l’inspection du travail dans cette entreprise.
      • - Le 22 avril 2011, l’inspectrice du travail a transmis au Procureur de la République de Rouen un procès-verbal pour outrage à l’agent de l’inspection du travail.
      • - Le 11 mai 2011, le directeur d’unité territoriale et le directeur adjoint de secteur ont accompagné l’inspectrice du travail pour un entretien au Parquet de Rouen, en vue de présenter aux magistrats de la juridiction judiciaire le procès-verbal d’outrage et de leur en expliquer les enjeux pour le service.
      • - Le 30 juin 2011, le Tribunal administratif de Rouen a annulé la décision d’autorisation de licenciement du ministre chargé du travail.
      • - Le 21 septembre 2011, le Procureur de la République de Rouen a décidé de classer sans suite le procès-verbal pour outrage de l’inspectrice du travail, estimant que les propos tenus par l’employeur «aussi déplaisants qu’ils puissent apparaître, ne ressortent pas comme ayant porté atteinte à la dignité ou au respect dû à la fonction d’inspection du travail». Le procureur a également considéré que les écrits diffusés par l’employeur à travers son blog n’ont pas été directement adressés à l’inspectrice du travail et ne constituaient pas un outrage à son encontre.
    4. 22. En réponse aux allégations de l’organisation plaignante de manquement par la France aux obligations de l’article 6 de la convention no 81, le gouvernement soutient qu’aucune violation dudit article ne peut être reprochée à l’administration française.
    5. 23. Le gouvernement affirme qu’à l’occasion de cette affaire: i) l’inspectrice du travail a librement pris une décision qui a fait l’objet des voies de recours prévues par la loi; ii) elle a bénéficié d’actions de soutien tant des services du ministère que de sa hiérarchie ; iii) des actions judiciaires ont été diligentées par le ministère à l’encontre des personnes attaquant la réputation de l’inspection du travail.
    6. 24. Sur le point i), le gouvernement observe que, en vertu des dispositions des articles L2411-5 et L2411-8 du Code du travail, l’employeur a sollicité les services de l’inspection du travail en vue d’obtenir une autorisation de licenciement du salarié protégé. Après avoir mené une enquête, l’inspectrice du travail concernée a librement pris une décision de refus du licenciement et elle a confirmé cette décision suite au recours gracieux formé auprès d’elle. Cette décision a été prise conformément au cadre de légalité prévu par le Code du travail et n’a été aucunement influencée par la menace de grève de la faim et les pressions médiatiques exercées par l’employeur.
    7. 25. Le gouvernement se réfère à l’article R2422-1 du Code de travail en vertu duquel l’administré peut contester la décision prise par l’inspection du travail en introduisant un recours auprès du ministère dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Le ministre chargé du travail peut alors confirmer la décision ou bien l’annuler ou la réformer en portant une appréciation différente sur le dossier qui lui a été soumis.
    8. 26. Le gouvernement fait valoir que la possibilité de déposer un recours hiérarchique est un principe général du droit français bénéficiant à tout justiciable qui ne peut donc être considéré comme l’exercice d’une «influence extérieure indue» portant atteinte à l’indépendance de l’inspection du travail. La décision prise par le ministre peut ensuite faire l’objet d’un recours contentieux auprès de la juridiction administrative.
    9. 27. Ainsi, le 25 novembre 2010, la décision d’autorisation du licenciement prise par le ministre chargé du travail a fait l’objet d’une requête en annulation déposée par le salarié protégé concerné auprès du Tribunal administratif de Rouen. Le tribunal administratif a décidé d’annuler la décision du ministre, et ce dernier a implicitement rejeté le recours hiérarchique dont il était saisi. La décision de refus du licenciement prise par l’inspectrice du travail a donc été confirmée, et le salarié concerné pouvait dès lors demander sa réintégration dans l’entreprise.
    10. 28. Sur le point ii), le gouvernement indique que, contrairement aux déclarations de l’organisation plaignante, l’inspectrice du travail a bénéficié d’actions de soutien. En particulier, le bénéfice du dispositif de protection fonctionnelle du ministère du Travail, qui vise à prêter conseil et assistance à un agent public mis en cause dans l’exercice de ses fonctions, a été proposé à l’inspectrice du travail; et celle-ci a été soutenue par sa hiérarchie locale.
    11. 29. En ce qui concerne le dispositif de protection fonctionnelle, le gouvernement se réfère à l’article 11 de la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui prévoit une garantie de protection en faveur des agents à l’occasion de leurs fonctions. Cette protection est justifiée par la nature spécifique des missions confiées aux agents publics qui les exposent dans l’exercice de leurs fonctions à des relations conflictuelles avec les usagers du service public. L’alinéa 3 de l’article 11 de cette loi dispose que «la collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qu’il en est résulté».
    12. 30. En vertu de cette disposition, le ministère du Travail a souhaité organiser le soutien que l’Etat doit à ses agents en situation d’incidents ou de violences, et il a constitué un réseau national d’avocats permettant d’apporter à l’agent concerné des aides et conseils sur le plan juridique et la prise en charge des honoraires de l’avocat désigné par l’agent pour assurer la défense de ses intérêts.
    13. 31. Le gouvernement indique qu’il a aussi mis en place un dispositif de soutien psychologique auprès des psychologues du réseau national de psychologues de l’Institut d’accompagnement psychologique post-traumatique de prévention et de recherche (IAPR) et qu’il a été proposé à l’inspectrice concernée d’en bénéficier. Celle-ci a eu un contact avec un des psychologues du réseau national mais n’a pas souhaité bénéficier de l’assistance d’un avocat dans le cadre de poursuites pénales pour outrage.
    14. 32. S’agissant du soutien de sa hiérarchie locale, le gouvernement affirme qu’il est inexact de dire que l’administration française a gardé le silence, alors que celle-ci s’est toujours efforcée de rappeler le cadre légal d’intervention de l’inspection du travail et la légitimité de son action, notamment à travers un communiqué à la presse et des interviews diffusées par la télévision locale.
    15. 33. Le gouvernement indique que les propos de l’administration ont cependant été peu relayés par les médias qui, dans un Etat de droit propice à la liberté d’expression et d’opinion, ont choisi de privilégier l’aspect sensationnel de l’affaire plutôt que les explications juridiques. A cet égard, le gouvernement souligne que l’exercice de la liberté de la presse et la pression médiatique qui en est résultée ne peuvent néanmoins être considérés comme une «influence extérieure indue» aux termes de l’article 6 de la convention no 81 de l’OIT. Il ajoute que les soutiens exprimés par diverses personnes relèvent également de la liberté d’expression et d’opinion.
    16. 34. S’agissant des pressions qu’aurait exercées un gendarme anonyme selon les allégations de l’organisation plaignante, le gouvernement indique que l’administration ne dispose d’aucune information à ce sujet.
    17. 35. Le gouvernement affirme que l’administration a pris en compte la nécessité d’accompagner l’inspectrice du travail et de rappeler la légitimité des missions de l’inspection du travail, notamment au cours des visites de contrôle à l’entreprise (les 10 novembre 2010 et 19 avril 2011) et à l’occasion de l’entretien au Parquet de Rouen (le 11 mai 2011).
    18. 36. Sur le point iii), le gouvernement indique que le Procureur de la République a décidé, le 21 septembre 2011, de classer sans suite le procès-verbal pour outrage relevé par l’inspectrice du travail, le 22 avril 2011, à l’encontre de l’employeur, au motif que les faits ne lui semblaient pas suffisamment caractérisés pour permettre des poursuites pénales. La décision du procureur était motivée par le fait que les écrits de l’employeur n’étaient pas directement adressés à l’inspectrice du travail et que rien n’indiquait la volonté de l’employeur de porter à la connaissance de l’inspection du travail ces propos. En outre, ces propos ne semblaient pas porter atteinte à la dignité ou au respect dû à la fonction de l’inspecteur du travail. Le gouvernement indique également que, au vue de ces éléments, l’inspectrice concernée n’a pas exercé un recours à l’encontre de cette décision, en vertu des prérogatives prévues aux articles 40-2 et 40-3 du Code de procédure pénale.
    19. 37. Le gouvernement souligne que cette décision s’inscrit dans le cadre légal normal de l’exercice des poursuites judiciaires en France et qu’elle n’est pas de nature à porter atteinte à l’indépendance de l’inspection du travail.
    20. 38. Le gouvernement fait également valoir que, contrairement à ce qu’affirme l’organisation plaignante, le ministère du Travail a mis en place des actions destinées à protéger l’inspectrice du travail et à faire cesser les atteintes à la réputation de l’inspection du travail dans la presse et sur Internet. Notamment, le gouvernement fait état de plusieurs constats d’huissier qui ont été dressés et de plusieurs mises en demeure adressées aux directeurs de publication et aux hébergeurs des sites Internet concernés. De plus, le Directeur général du travail et les directeurs de l’administration générale et de la modernisation des services ont fait usage de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et ont déposé au Parquet de Paris, le 27 janvier 2011, une plainte à la suite de la diffusion sur Internet en novembre 2010 de propos susceptibles de caractériser le délit de diffamation publique commis envers un fonctionnaire, un dépositaire ou agent de l’autorité publique et le délit d’injure publique commis contre une administration publique ou un fonctionnaire public. Cette plainte fait encore l’objet d’une enquête, notamment en raison des difficultés pour découvrir l’auteur d’un des sites Internet concernés.
    21. 39. Le gouvernement souligne que ces actions sont encadrées par les principes généraux et règles de droit applicables, d’une part, à la liberté de la presse et, d’autre part, à la liberté d’expression des protagonistes de l’affaire. Le gouvernement fait donc état de la difficulté de trouver un équilibre idéal entre la nécessité de protéger les agents de l’administration et la possibilité garantie au titre des libertés publiques de débattre publiquement au sein de la société et dans une presse libre.
    22. 40. Pour conclure, se référant à l’ensemble de ces éléments, le gouvernement considère que la réclamation adressée par l’organisation plaignante est infondée.

    III. Conclusions

    III. Conclusions
    1. 41. Le comité a établi ses conclusions en se basant sur les allégations de l’organisation plaignante, les observations communiquées par le gouvernement dans le cadre de la présente procédure, ainsi que les informations précédemment communiquées par le gouvernement dans le cadre des rapports sur l’application des conventions ratifiées au titre de l’article 22 de la Constitution de l’OIT.
  • A. Remarques préliminaires
    1. 42. Le comité est appelé à examiner si, comme l’affirme l’organisation plaignante, dans le cadre de cette affaire, le gouvernement n’a pas respecté les dispositions de l’article 6 de la convention no 81 qui visent à garantir l’indépendance de l’inspection du travail contre toute influence extérieure indue. Cet article est complété par l’article 18 en ce qui concerne les sanctions pour obstruction faite aux inspecteurs dans l’exercice de leurs fonctions.
    2. 43. D’autres faits invoqués par l’organisation plaignante paraissent pouvoir être utilement relevés dans le contexte de la question de la coopération de l’inspection du travail avec les tribunaux et avec la police, couverte par l’article 5 a) de la convention. Cette disposition prévoit que: «L’autorité compétente devra prendre les mesures appropriées pour favoriser une coopération effective entre les services d’inspection, d’une part, et d’autres services gouvernementaux et les institutions publiques et privées exerçant des activités analogues, d’autre part.»
    3. 44. Aux termes de l’article 6 de la convention no 81:
      • Le personnel de l’inspection sera composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service leur assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue.
    4. 45. L’article 18 de la convention prévoit que:
      • Des sanctions appropriées pour violation des dispositions légales dont l’application est soumise au contrôle d’inspecteurs du travail et pour obstruction faite aux inspecteurs du travail dans l’exercice de leurs fonctions seront prévues par la législation nationale et effectivement appliquées.
    5. 46. Le principe contenu dans l’article 6 est un principe essentiel sur lequel repose l’efficacité des systèmes d’inspection. La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations a souligné, déjà en 1957, que cette indépendance ne peut être réelle que si les agents de l’inspection peuvent «faire observer sans crainte de représailles ouvertes ou camouflées que les méthodes dans un établissement donné sont contraires à la loi et doivent être modifiées. Si l’inspecteur, quel que soit son statut officiel, hésite, pour une raison ou pour une autre, à attirer l’attention sur les abus commis dans un établissement et à demander qu’il y soit mis fin, l’efficacité de son travail ne peut qu’en être gravement affectée (Note 1).» Elle a également souligné en 2006 dans son étude d’ensemble sur l’inspection du travail, que des problèmes de sécurité physique – par exemple des menaces, insultes ou agressions physiques – peuvent affecter gravement le fonctionnement de l’inspection du travail (Note 2). Comme l’indiquent les Principes de déontologie pour l’inspection du travail publiés par le ministère du Travail, «l’agent doit être prémuni contre toute influence extérieure indue: les risques et probabilités d’ingérences, de pressions, d’interventions, voire de menaces, peuvent être réels, compte tenu du positionnement du système d’inspection du travail au cœur des relations économiques et sociales» (Note 3).
    6. 47. Le comité relève que, selon une note du ministère du Travail sur la protection fonctionnelle des agents de l’inspection du travail datée du 2 août 2011, jointe par le gouvernement à sa réponse, qui débute en rappelant l’épisode dramatique du meurtre en 2004 de deux agents de l’inspection du travail par un employeur, les inspecteurs du travail ont à faire face annuellement à plus d’une centaine d’incidents d’outrages, de menaces de mort et d’autres menaces. Par ailleurs, dans son rapport annuel d’activité pour l’année 2011, l’autorité centrale d’inspection du travail fait état de l’augmentation significative des demandes de protection fonctionnelle avancées entre 2010 et 2011 par les inspecteurs du travail suite à des menaces, menaces de mort, violences et voies de fait. Le comité note que, selon les rapports soumis au titre de l’article 22 de la Constitution de l’OIT, suite à l’épisode dramatique de 2004, le soutien des autorités aux agents de contrôle a été inscrit comme un axe majeur du plan de développement et de modernisation de l’inspection.
  • B. Le dispositif juridique et opérationnel
    1. 48. Le comité relève que la France a donné effet aux termes de l’article 6 de la convention no 81, qui visent à garantir l’indépendance de l’inspection du travail contre toute influence extérieure indue, ainsi qu’à l’article 18, à travers plusieurs dispositions législatives et réglementaires et mesures opérationnelles. Il souhaite mentionner les textes pertinents dans le cas présent qui suivent.
    2. 49. Le comité note la décision du Conseil constitutionnel no 2007-561 du 17 janvier 2008, à propos de la recodification du Code du travail, qui rappelle dans ses considérants que «l’indépendance de l’inspection du travail doit être rangée au nombre des principes fondamentaux du droit du travail au sens de l’article 34 de la Constitution».
    3. 50. Le comité note également que, aux termes de l’article D8121-2 du Code du travail, tout agent participant aux activités de contrôle de l’inspection du travail peut saisir le Conseil national de l’inspection du travail (CNIT) de tout acte d’une autorité administrative de nature à porter directement et personnellement atteinte aux conditions dans lesquelles il doit pouvoir exercer sa mission (Note 4)
    4. 51. Par ailleurs, le délit d’obstacle à l’accomplissement des devoirs d’un inspecteur ou d’un contrôleur du travail est prévu et réprimé aux termes de l’article L8114-1 du Code du travail. En outre, aux termes de l’article L8114-2 dudit code: «Les dispositions des articles L433-3, L433-5 et L433-6 du Code pénal, qui prévoient et répriment respectivement les actes de violence, d’outrage et de résistance contre les officiers de police judiciaire sont applicables à ceux qui se rendent coupables de faits de même nature à l’égard des inspecteurs du travail et des contrôleurs du travail.»
    5. 52. La protection fonctionnelle des agents de l’Etat est organisée par l’article 11 de la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires. Aux termes de l’alinéa 3 de l’article 11 de cette loi: «La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté .» Le dispositif juridique, psychologique et organisationnel issu de la loi de 1983 précitée est complété par plusieurs circulaires opérationnelles du ministère du Travail.
    6. 53. Par ailleurs, en 2010, le ministère du Travail a publié les Principes de déontologie pour l’inspection du travail, avec la collaboration du Bureau international du Travail, qui comporte un chapitre sur l’indépendance des inspecteurs du travail.
  • C. La protection de l’inspectrice du travail contre les influences extérieures indues
  • Les pressions exercées à l’égard de l’inspectrice du travail, y compris à travers la campagne de dénigrement
    1. 54. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, les pressions exercées sur l’inspectrice du travail dans le cas précis ont été multiples. Elle allègue notamment qu’aucun responsable de l’administration du travail n’a souhaité prendre des mesures pour faire cesser les pressions indues exercées à travers la campagne de dénigrement de l’inspection du travail et que l’administration n’a jamais levé l’ambiguïté créée par l’action de l’employeur auprès de l’opinion publique, mettant par là même en péril l’indépendance de l’inspection du travail.
    2. 55. Le comité note que le gouvernement ne conteste pas qu’il y ait eu des pressions mais soutient que l’inspectrice du travail a librement pris une décision qui a fait l’objet de voies de recours prévues par la loi, que des actions judiciaires ont été diligentées par le ministère à l’encontre des personnes attaquant la réputation de l’inspection du travail, et que l’inspectrice du travail a bénéficié d’actions de soutien tant des services du ministère que de sa hiérarchie.
    3. 56. Le comité note que les voies de recours légales applicables en la matière ont été dûment respectées et que, en dernière instance, la décision du ministre du Travail qui annulait le licenciement du délégué du personnel a été annulée par le Tribunal administratif de Rouen, rétablissant ainsi la décision de l’inspectrice du travail. Néanmoins, le comité estime qu’il est malheureux que le ministre n’ait pas pris en compte dans cette affaire l’avis de la DIRECCTE, qui faisait état de «vices de procédure» entachant «de manière substantielle» la demande d’autorisation de licenciement.
    4. 57. En ce qui concerne les actions judiciaires à l’encontre des personnes attaquant la réputation de l’inspection du travail, le comité ne traitera pas des décisions prises par les instances compétentes. A ce sujet, il note notamment qu’un procès-verbal pour outrage émis à l’encontre de l’employeur a été classé sans suite par décision motivée du Procureur de la République de Rouen. S’agissant des actions en instance, le comité note que, d’après le gouvernement, le Directeur général du travail et les directeurs de l’administration générale et de la modernisation des services ont fait usage de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et ont déposé au Parquet de Paris, le 27 janvier 2011, une plainte à la suite de la diffusion sur Internet en novembre 2010 de propos susceptibles de caractériser le délit de diffamation publique commis envers un fonctionnaire, un dépositaire ou agent de l’autorité publique et le délit d’injure publique commis contre une administration publique ou un fonctionnaire public. Cette plainte fait encore l’objet d’une enquête, notamment en raison des difficultés pour découvrir l’auteur d’un des sites Internet concernés.
    5. 58. Le comité espère que le gouvernement prendra toute mesure nécessaire pour que l’enquête concernée avance aussi rapidement que possible en vue d’établir les faits, de déterminer s’il existe des actes illégaux, d’identifier les responsables et de mettre en œuvre les procédures légales applicables.
    6. 59. Le comité note en outre les différentes actions de soutien fournies ou offertes par l’administration. Il relève, en particulier, que les supérieurs hiérarchiques ont accompagné l’inspectrice du travail à trois reprises aux fins de l’appuyer, au cours des visites de contrôle à l’entreprise (les 10 novembre 2010 et 19 avril 2011) et à l’occasion de l’entretien au Parquet de Rouen en vue de présenter aux magistrats le procès-verbal d’outrage soumis par l’inspectrice du travail (le 11 mai 2011); que l’Unité territoriale de Haute-Normandie a transmis, le 16 novembre 2010, un communiqué au journal Paris Normandie qui rappelle les règles applicables en matière de licenciement de salariés protégés et souligne que «l’inspecteur, en tout état de cause, doit pouvoir prendre sa décision sereinement, en l’absence de pression dans le respect des règles de droit, et en prenant le temps d’examiner les arguments présentés par l’employeur et le salarié», et une (selon l’organisation plaignante) ou des (selon le gouvernement) interviews de l’administration allant dans ce sens ont été diffusées par la télévision locale; et que, le 28 mars 2011, en réponse à une lettre de réclamation de l’employeur du 16 février 2011, dans laquelle il se plaint de l’acharnement des services de l’inspection du travail à son égard, le directeur régional a rappelé à celui-ci que «les missions et actions de l’inspection du travail ne sauraient être soumises ni à des interventions multiples ni à des menaces d’action en justice».
    7. 60. Le comité regrette néanmoins que les aspects institutionnels, notamment le besoin de soutenir l’autorité de l’inspection du travail aux yeux des employeurs, des travailleurs et de l’opinion publique locale, n’aient pas été adressés de façon plus ferme dès les premiers temps de cette affaire, permettant peut-être d’éviter ainsi les développements malheureux dont il a eu connaissance.
    8. 61. Le comité souhaite rappeler à cet égard l’importance que revêt l’image de l’inspection du travail dans l’opinion publique, en tant qu’autorité respectée, pour mener à bien ses fonctions. Cette importance avait déjà été soulignée en 1948, peu après l’adoption de la convention no 81, dans le cadre de la conférence préparatoire sur la question de l’inspection du travail qui a précédé la Conférence régionale asienne de 1950. Il avait été constaté que, «dans les pays plus développés du point de vue industriel, une opinion publique éclairée, avertie de l’importance que revêt l’application réelle de la législation du travail, crée une atmosphère favorable à l’accomplissement plus efficace des tâches des inspecteurs et contribue à faire de ces derniers des conseillers écoutés qui peuvent compter sur la confiance des employeurs et des travailleurs pour obtenir des résultats satisfaisants». (Note 5)
    9. 62. Dans son observation publiée en 2011 sur l’application de la convention no 81 par la France, la commission d’experts avait noté que «[U]ne relation de confiance est nécessaire à l’instauration du climat de confiance essentiel à la collaboration des employeurs et des travailleurs avec les inspecteurs du travail. Ces derniers doivent pouvoir être craints pour leur pouvoir de verbalisation, mais également respectés et accessibles en tant qu’agents de prévention et conseillers (Note 6)
    10. 63. Le comité partage l’opinion du gouvernement à propos de la difficulté de trouver un équilibre idéal entre la nécessité de protéger les agents de l’administration et la liberté fondamentale de débattre publiquement au sein de la société et dans une presse libre.
    11. 64. Le comité est d’avis néanmoins que, lorsque les pressions exercées à travers les médias ont comme but premier de «dénoncer», comme dans le cas d’espèce selon les termes du gouvernement, une décision de l’inspection du travail, celles-ci peuvent avoir un tel effet préjudiciable aux yeux de l’opinion publique et des parties auprès desquelles l’inspection du travail est appelée à exercer son autorité qu’elles peuvent constituer une entrave à l’exercice de ses fonctions principales de contrôle, conseil et prévention. Faisant référence aux Principes de déontologie pour l’inspection du travail, le comité souligne que «l’indépendance s’exerce dans le cadre d’un ordre juridique constitué par le respect des lois, règlements et dispositions conventionnelles en vigueur ainsi que de la chose jugée» (Note 7)
    12. 65. A cet égard, le comité regrette que, dès les premiers temps de l’affaire, l’administration du travail n’ait pas plus fermement attiré l’attention de l’employeur sur son obligation fondamentale de se limiter strictement aux voies légales de recours et de ne pas utiliser des moyens de pression, qui constituent une influence extérieure indue et pourraient être considérés comme une tentative d’obstruction à l’exercice des fonctions de l’inspectrice du travail, aux termes de l’article 18 de la convention no 81 et des articles L8114-1 et L8114 2 du Code du travail. Le comité considère en outre que les obligations légales de l’employeur auraient également pu être mentionnées plus clairement dans le cadre des communications aux médias, en éclairant ainsi l’opinion publique sur l’importance de l’application du droit du travail et de l’accomplissement efficace de la mission de l’inspection du travail.
  • Autres questions
  • Les procès-verbaux émis à l’encontre de l’employeur
    1. 66. Le comité note que, selon les allégations de l’organisation plaignante, près de dix procès-verbaux ont été émis par l’inspection du travail depuis 2007 à l’encontre de ce même employeur, mais le Procureur de la République n’a à ce jour déclenché aucune audience devant le tribunal correctionnel. Mis à part le procès-verbal pour outrage (voir paragr. 57 ci-dessus), le gouvernement ne répond pas à ce sujet. Le comité n’a pas suffisamment d’informations pour apprécier les faits relatifs aux autres procès-verbaux et il ne sait pas, en particulier, s’ils ont tous fait déjà l’objet d’une décision.
    2. 67. La question de la coopération de l’inspection du travail avec les autorités judiciaires étant néanmoins une question d’une grande importance pour un fonctionnement pleinement efficace du système d’inspection du travail, le comité souhaite attirer l’attention du gouvernement sur l’observation générale de la commission d’experts de 2007 concernant notamment l’article 5 a) de la convention, qui souligne l’importance de prendre des mesures appropriées en consultation avec les partenaires sociaux afin de renforcer la coopération efficace entre le système d’inspection du travail et le système judiciaire et d’assurer de la part des instances judiciaires la diligence et le traitement au fond que les procès-verbaux des inspecteurs du travail méritent.
  • L’intervention d’un gendarme
    1. 68. L’organisation plaignante allègue que l’indépendance de l’inspectrice a été mise en danger par les pressions qu’aurait exercées un gendarme anonyme deux jours après la décision de refuser l’autorisation de licenciement. Le comité est d’avis que les informations fournies à ce sujet ne sont pas suffisamment précises pour permettre au comité d’examiner cette question. Le comité tient à souligner néanmoins que, en application des articles 5 a) et 18 de la convention no 81, les inspecteurs du travail devraient tout au contraire pouvoir requérir l’appui des forces de l’ordre en cas d’obstruction à l’exercice de leurs fonctions . Ainsi que l’indique l’étude d’ensemble de 2006 sur l’inspection du travail, cette possibilité est d’autant plus importante si des mesures en permettent la mise en œuvre effective et rapide, en particulier pour garantir la sécurité physique de l’agent de l’inspection mais également pour faciliter le déroulement des opérations envisagées (Note 8)

    IV. Recommandations du comité

    IV. Recommandations du comité
    1. 69. A la lumière des conclusions ci-dessus concernant les questions soulevées dans la réclamation, le comité recommande au Conseil d’administration:
      • a) d’approuver le présent rapport;
      • b) d’inviter le gouvernement à tirer les conclusions utiles de ce cas et à continuer à prendre, en consultation avec les partenaires sociaux, toutes les mesures s’avérant nécessaires pour assurer qu’aucune influence extérieure indue sous forme de pression à l’encontre des inspecteurs du travail ne soit tolérée, en faisant usage de toutes les dispositions légales applicables en la matière, et pour veiller à ce qu’il ne soit pas porté atteinte à l’image de l’inspection du travail auprès des employeurs, des travailleurs et de l’opinion publique en général en raison de tels incidents;
      • c) d’inviter le gouvernement à prendre toute mesure nécessaire pour que l’enquête menée dans le cadre de la plainte déposée par le Directeur général du travail et les directeurs de l’administration générale et de la modernisation des services concernant le délit de diffamation et d’injure publique contre un fonctionnaire public progresse aussi rapidement que possible en vue d’établir les faits, de déterminer s’il existe des actes illégaux, d’identifier les responsables et de mettre en œuvre les procédures légales applicables;
      • d) de porter ces conclusions à l’attention de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations;
      • e) de rendre le rapport disponible au public et de clore la procédure ouverte à la suite de la réclamation du Syndicat SUD Travail Affaires sociales, alléguant l’inexécution par la France de la convention no 81.
    2. Genève, le 19 mars 2013
    3. (Signé)
    4. V. Berset Bircher, Présidente
    5. J. Ronnest
    6. S. Gurney
    7. NOTES:
    8. Note 1: Conférence internationale du Travail, 40e session, Rapport de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, Rapport III (Partie IV), (Genève, BIT, 1957), p. 180, paragr. 56.
    9. Note 2: Conférence internationale du Travail, 95e session, Etude d’ensemble de 2006 sur l’inspection du travail (Genève, BIT, 2006), p. 74, paragr. 222.
    10. Note 3: Ministère du Travail, des Relations Sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la ville, Direction générale du travail (DGT), “Principes de déontologie pour l’inspection du travail” (Principles of Deontology for Labour Inspection) (Paris, DGT, 2010), p. 15.
    11. Note 4: Selon les indications données par le gouvernement dans son rapport soumis en 2012 au titre de l’article 22 de la Constitution, le CNIT – créé en 2007 et opérationnel depuis 2008 – est une instance consultative indépendante, dont la vocation première est d’apporter une garantie aux agents participant à des activités de contrôle de l’inspection du travail, quel que soit leur positionnement dans la hiérarchie, afin qu’ils puissent exercer leurs missions en toute impartialité et à l’abri de toutes influences extérieures indues. Les dispositions relatives au CNIT sont codifiées aux articles D8121-1 à D8121-12 du Code du travail.
    12. Note 5: Conférence régionale asienne, Rapport I: L’inspection du travail (Genève, BIT, 1949), p. 9. La Conférence de Kandy avait été convoquée en novembre 1948 en vue de préparer l’examen de la question de l’inspection du travail par la Conférence régionale asienne.
    13. Note 6: Rapport de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, Rapport III Partie (1A), Conférence internationale du Travail, 100e session, p. 586.
    14. Note 7: Ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville, DGT, op. cit., supra, note 3, p. 16.
    15. Note 8: Conférence internationale du Travail, 95e session, op. cit., supra, note 2, p. 56, paragr. 157.
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