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PLAINTE (article 26) - 1982 - POLOGNE - C087, C098

M. Marc Blondel, délégué travailleur (France), Mme Liv Buck, déléguée travailleur (Norvège)

Clos

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RAPPORT DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE instituée en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail pour examiner la plainte au sujet de l'observation par la Pologne de la Convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et de la Convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949

RAPPORT DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE instituée en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail pour examiner la plainte au sujet de l'observation par la Pologne de la Convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et de la Convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949
  1. Rapport de la Commision d'enquête en PDF (GB.227/3/6, juin 1984)

La procédure de plainte

La procédure de plainte
  1. PARTIE I
  2. Introduction et historique de l'affaire
  3. CHAPITRE 1
  4. Dépôt de la plainte et institution de la commission
  5. Dépôt de la plainte
  6. 1. Par une lettre datée du 16 juin 1982, adressée au Directeur général du Bureau international du Travail, M. Marc Blondel, délégué travailleur de la France, et Mme Liv Buck, déléguée travailleur de la Norvège, ont déposé une plainte en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail (OIT) contre le gouvernement de la Pologne pour non-observation des conventions (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et (n° 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949. La plainte est rédigée dans les termes suivants:
  7. Monsieur le Secrétaire général de la Conférence,
  8. Les délégués travailleurs soussignés à la 68ème session (1982) de la Conférence internationale du Travail déposent par la présente auprès du Bureau international du Travail, en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, une plainte concernant la non-observation des conventions n° 87 et n° 98 par le gouvernement de la Pologne.
  9. La plainte est basée sur les faits suivants
  10. I. Selon les indications fournies officiellement par les autorités à la suite de la proclamation de la loi martiale en Pologne, le 13 décembre 1981, les activités des organisations syndicales ont été suspendues et de nombreux militants et dirigeants du syndicat Solidarité, y compris ceux qui représentaient les travailleurs polonais à la 67ème session de la Conférence de l'OIT (1981), ont été arrêtés et demeurent internés à ce jour. En outre, aux termes de la proclamation de la loi martiale, le droit de grève a été suspendu, et des travailleurs et militants syndicaux ont été poursuivis et condamnés pour faits de grève. Ces décisions et ces mesures constituent, à elles seules, une violation de l'article 4 de la convention n° 87, qui énonce: "Les organisations de travailleurs et d'employeurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative", et de l'article 3, qui prévoit que:
  11. " 1. Les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit d'élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action.
  12. 2. Les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal. "
  13. II. Il apparaît également à la lumière des informations disponibles que des syndicalistes ont été licenciés de leur emploi en raison de leur affiliation et de leur activité syndicales; en outre, des serments de loyauté comportant l'abandon de l'affiliation au syndicat Solidarité ont été exigés sous peine de licenciement, en particulier auprès de certaines catégories de fonctionnaires (ainsi qu'il ressort clairement des instructions émanant du chef de l'Office du Conseil des ministres, le général Janiszewski, en date du 17 décembre 1981).
  14. Ces pratiques constituent une violation caractérisée de l'article 1 de la convention n 98, qui dispose que "les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre les actes de discrimination syndicale".
  15. III. En dépit des demandes formulées par le Comité de la liberté syndicale et le Conseil d'administration du BIT, lors de sa session de février et mars 1982, le gouvernement n'a fourni aucune indication précise sur les allégations formulées par les organisations plaignantes au sujet:
  16. - de la suspension des activités syndicales;
  17. - des mesures d'internement prises à l'encontre d'un nombre très important de dirigeants et membres de Solidarité;
  18. - des condamnations pour faits de grève intervenues après la proclamation de la loi martiale;
  19. - des décès des travailleurs intervenus après l'intervention des forces de l'ordre à l'occasion des conflits du travail;
  20. - des licenciements et pressions qui sont exercés à l'encontre des travailleurs syndiqués à Solidarité.
  21. IV. Il apparaît qu'entre les diverses mesures d'internement décidées par les autorités polonaises (voir les listes soumises au Comité de la liberté syndicale) des tribunaux ont prononcé des sanctions d'emprisonnement, pour plusieurs années, et de suppression des droits civiques, pour activités syndicales et exercice de la grève, contre de nombreux travailleurs; enfin, de nouvelles arrestations semblent avoir eu lieu.
  22. Compte tenu de ces éléments, les délégués travailleurs à la 68 session de la Conférence internationale du Travail soussignés déposent, en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'OIT, une plainte auprès du Bureau international du Travail et demandent la formation d'une commission d'enquête afin d'assurer l'observation effective par le gouvernement de la Pologne des conventions n° 87 et n° 98 qu'il a ratifiées et se réservent le droit de fournir par la suite tous autres éléments à l'appui de la présente demande.
  23. Genève, 16 juin 1982.
  24. (Signé) Marc Blondel, délégué des travailleurs de la France à la 68ème session de la Conférence internationale du Travail
  25. (Signé) Liv Buck, déléguée des travailleurs de la Norvège à la 68ème session de la Conférence internationale du Travail
  26. 2. La Pologne a ratifié les conventions nos 87 et 98 le 25 février 1957. Ces conventions sont entrées en vigueur pour ce pays le 25 février 1958. Les plaignants, M. Blondel et Mme Buck, étaient, à la date du dépôt de leur plainte, délégués travailleurs de leur pays à la 68ème session de la Conférence et, comme tels, habilités à déposer une plainte, en vertu de l'article 26, paragraphe 4, de la Constitution de L'OIT.
  27. Dispositions de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail concernant les plaintes relatives à l'observation des conventions ratifiées
  28. 3.
  29. Article 26
  30. 1. Chacun des Membres pourra déposer une plainte au Bureau international du Travail contre un autre Membre qui, à son avis, n'assurerait pas d'une manière satisfaisante l'exécution d'une convention que l'un et l'autre auraient ratifiée en vertu des articles précédents.
  31. 2. Le Conseil d'administration peut, s'il le juge à propos, et avant de saisir une commission d'enquête selon la procédure indiquée ci-après, se mettre en rapport avec le gouvernement mis en cause de la manière indiquée à l'article 24.
  32. 3. Si le Conseil d'administration ne juge pas nécessaire de communiquer la plainte au gouvernement mis en cause ou si, cette communication ayant été faite, aucune réponse ayant satisfait le Conseil d'administration n'a été reçue dans un délai raisonnable, le Conseil pourra former une commission d'enquête qui aura pour mission d'étudier la question soulevée et de déposer un rapport à ce sujet.
  33. 4. La même procédure pourra être engagée par le Conseil soit d'office, soit sur la plainte d'un délégué à la Conférence.
  34. 5. Lorsqu'une question soulevée par l'application des articles 25 ou 26 viendra devant le Conseil d'administration, le gouvernement mis en cause, s'il n'a pas déjà un représentant au sein du Conseil d'administration, aura le droit de désigner un délégué pour prendre part aux délibérations du Conseil relatives à cette affaire. La date à laquelle ces discussions doivent avoir lieu sera notifiée en temps utile au gouvernement mis en cause.
  35. Article 27
  36. Dans le cas où une plainte serait renvoyée, en vertu de l'article 26, devant une commission d'enquête, chacun des Membres, qu'il soit ou non directement intéressé à la plainte, s'engage à mettre à la disposition de la commission toute information qui se trouverait en sa possession relativement à l'objet de la plainte.
  37. Article 28
  38. La commission d'enquête, après un examen approfondi de la plainte, rédigera un rapport dans lequel elle consignera ses constatations sur tous les points de fait permettant de préciser la portée de la contestation, ainsi que les recommandations qu'elle croira devoir formuler quant aux mesures à prendre pour donner satisfaction au gouvernement plaignant et quant aux délais dans lesquels ces mesures devraient être prises.
  39. Article 29
  40. 1. Le Directeur général du Bureau international du Travail communiquera le rapport de la commission d'enquête au Conseil d'administration et à chacun des gouvernements intéressés dans le différend, et en assurera la publication.
  41. 2. Chacun des gouvernements intéressés devra signifier au Directeur général du Bureau international du Travail, dans le délai de trois mois, s'il accepte ou non les recommandations contenues dans le rapport de la commission et, au cas où il ne les accepte pas, s'il désire soumettre le différend à la Cour internationale de justice.
  42. .......
  43. Article 31
  44. La décision de la Cour internationale de justice concernant une plainte ou une question qui lui aurait été soumise conformément à l'article 29 ne sera pas susceptible d'appel.
  45. Article 32
  46. Les conclusions ou recommandations éventuelles de la commission d'enquête pourront être confirmées, amendées ou annulées par la Cour internationale de justice.
  47. Article 33
  48. Si un Membre quelconque ne se conforme pas dans le délai prescrit aux recommandations éventuellement contenues soit dans le rapport de la commission d'enquête, soit dans la décision de la Cour internationale de justice, selon le cas, le Conseil d'administration pourra recommander à la Conférence telle mesure qui lui paraîtra opportune pour assurer l'exécution de ces recommandations.
  49. Article 34
  50. Le gouvernement en faute peut, à tout moment, informer le Conseil d'administration qu'il a pris les mesures nécessaires pour se conformer soit aux recommandations de la commission d'enquête, soit à celles contenues dans la décision de la Cour internationale de justice, et peut lui demander de bien vouloir faire constituer une commission d'enquête chargée de vérifier ses dires. Dans ce cas, les stipulations des articles 27, 28, 29, 31 et 32 s'appliqueront et, si le rapport de la commission d'enquête ou la décision de la Cour internationale de justice sont favorables au gouvernement qui était en faute, le Conseil d'administration devra aussitôt recommander que les mesures prises conformément à l'article 33 soient rapportées.
  51. Dispositions de la convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et de la convention (n° 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949
  52. 4. Les dispositions de fond des conventions nos 87 et 98 sont les suivantes:
  53. CONVENTION (N° 87) SUR LA LIBERTE SYNDICALE ET LA PROTECTION DU DROIT SYNDICAL, 1948
  54. .....
  55. Article 2
  56. Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières.
  57. Article 3
  58. 1. Les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit d'élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité, et de formuler leur programme d'action.
  59. 2. Les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal.
  60. Article 4
  61. Les organisations de travailleurs et d'employeurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative.
  62. Article 5
  63. Les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit de constituer des fédérations et des confédérations ainsi que celui de s'y affilier, et toute organisation, fédération ou confédération a le droit de s'affilier à des organisations internationales de travailleurs et d'employeurs.
  64. Article 6
  65. Les dispositions des articles 2, 3 et 4 ci-dessus s'appliquent aux fédérations et aux confédérations des organisations de travailleurs et d'employeurs.
  66. Article 7
  67. L'acquisition de la personnalité juridique par les organisations de travailleurs et d'employeurs, leurs fédérations et confédérations ne peut être subordonnée à des conditions de nature à mettre en cause l'application des dispositions des articles 2, 3 et 4 ci-dessus.
  68. Article 8
  69. 1. Dans l'exercice des droits qui leur sont reconnus par la présente convention, les travailleurs, les employeurs et leurs organisations respectives sont tenus, à l'instar des autres personnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité.
  70. 2. La législation nationale ne devra porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la présente convention.
  71. Article 9
  72. 1. La mesure dans laquelle les garanties prévues parla présente convention s'appliqueront aux forces armées et à la police sera déterminée par la législation nationale.
  73. 2. Conformément aux principes établis par le paragraphe 8 de l'article 19 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, la ratification de cette convention par un Membre ne devra pas être considérée comme affectant toute loi, toute sentence, toute coutume ou tout accord déjà existants qui accordent aux membres des forces armées et de la police des garanties prévues par la présente convention.
  74. Article 10
  75. Dans la présente convention, le terme "organisation" signifie toute organisation de travailleurs ou d'employeurs ayant pour but de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs ou des employeurs.
  76. Article 11
  77. Tout Membre de l'Organisation internationale du Travail pour lequel la présente convention est en vigueur s'engage à prendre toutes mesures nécessaires et appropriées en vue d'assurer aux travailleurs et aux employeurs le libre exercice du droit syndical.
  78. ......
  79. CONVENTION (N° 98) SUR LE DROIT D'ORGANISATION ET DE NEGOCIATION COLLECTIVE, 1949
  80. Article 1
  81. 1. Les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi.
  82. 2. Une telle protection doit notamment s'appliquer en ce qui concerne les actes ayant pour but de:
  83. a) subordonner l'emploi d'un travailleur à la condition qu'il ne s'affilie pas à un syndicat ou cesse de faire partie d'un syndicat;
  84. b) congédier un travailleur ou lui porter préjudice par tous autres moyens, en raison de son affiliation syndicale ou de sa participation à des activités syndicales en dehors des heures de travail ou, avec le consentement de l'employeur, durant les heures de travail.
  85. Article 2
  86. 1. Les organisations de travailleurs et d'employeurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes d'ingérence des unes à l'égard des autres, soit directement, soit par leurs agents ou membres, dans leur formation, leur fonctionnement et leur administration.
  87. 2. Sont notamment assimilées à des actes d'ingérence au sens du présent article des mesures tendant à provoquer la création d'organisations de travailleurs dominées par un employeur ou une organisation d'employeurs, ou à soutenir des organisations de travailleurs par des moyens financiers ou autrement, dans le dessein de placer ces organisations sous le contrôle d'un employeur ou d'une organisation d'employeurs.
  88. Article 3
  89. Des organismes appropriés aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être institués pour assurer le respect du droit d'organisation défini par les articles précédents.
  90. Article 4
  91. Des mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être prises pour encourager et promouvoir le développement et l'utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire de conventions collectives entre les employeurs et les organisations d'employeurs d'une part, et les organisations de travailleurs d'autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d'emploi.
  92. Article 5
  93. 1. La mesure dans laquelle les garanties prévues par la présente convention s'appliqueront aux forces armées ou à la police sera déterminée par la législation nationale.
  94. 2. Conformément aux principes établis par le paragraphe 8 de l'article 19 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, la ratification de cette convention par un Membre ne devra pas être considérée comme affectant toute loi, toute sentence, toute coutume ou tout accord déjà existants qui accordent aux membres des forces armées et de la police des garanties prévues par la présente convention.
  95. Article 6
  96. La présente convention ne traite pas de la situation des fonctionnaires publics et ne pourra, en aucune manière, être interprétée comme portant préjudice à leurs droits ou à leur statut.
  97. Résumé des mesures prises par le Conseil d'administration à la suite du dépôt de la plainte
  98. 5. Lors de sa 220ème session (mai-juin 1982), le Conseil d'administration a été saisi d'un rapport de son bureau au sujet de la plainte, rapport qui contenait entre autres les passages suivants:
  99. Une discussion sur le fond de la plainte ne saurait être envisagée au stade actuel. En effet, il serait incompatible avec le caractère judiciaire de la procédure prévue à l'article 26 et aux articles suivants de la Constitution qu'une discussion ait lieu, au Conseil d'administration, au sujet du fond de plaintes, alors que le Conseil ne dispose pas de considérations du gouvernement contre lequel ces plaintes ont été présentées, ni de l'appréciation objective de l'ensemble du cas de la part d'un organisme indépendant. En outre, une telle discussion serait inappropriée tant qu'une proposition de renvoyer les plaintes devant une commission d'enquête est en attente devant le Conseil d'administration ou tant que l'affaire est encore en instance devant une commission d'enquête. Si une commission d'enquête doit être instituée - ce qu'il appartiendra au Conseil d'administration de décider, en vertu de l'article 26, paragraphe 4, de la Constitution -, c'est lorsque celle-ci aura présenté son rapport sur le fond de la plainte que le Conseil pourra être appelé à prendre des mesures à son sujet.
  100. On se rappellera que le Comité de la liberté syndicale est saisi de plaintes déposées par la Confédération internationale des syndicats libres et la Confédération mondiale du travail. Ces plaintes font l'objet du cas n° 1097, sur lequel le comité a soumis deux rapports intérimaires au Conseil d'administration.
  101. Le Conseil d'administration a déjà décidé que, dans des cas semblables, lorsque diverses plaintes se réfèrent aux différentes procédures établies par l'Organisation pour l'application des conventions et la protection des droits syndicaux, il serait souhaitable de coordonner les procédures et de tenir compte du rôle dévolu au Comité de la liberté syndicale quant à l'examen des plaintes concernant ces cas. Dans le présent cas, la plainte présentée par des délégués à la Conférence au titre de l'article 26 de la Constitution concerne des questions dont le comité est déjà saisi dans le contexte de la procédure spéciale concernant la liberté syndicale. Dans le cadre de cette dernière procédure, le comité examinera le cas en suspens à sa réunion de novembre 1982. Il serait utile que le Conseil d'administration dispose des recommandations du comité sur ce cas et sur la plainte déposée au titre de l'article 26, de façon à pouvoir aboutir à des conclusions sur les mesures à prendre au sujet de cette dernière plainte.
  102. 6. Sur recommandation de son bureau, le Conseil d'administration a alors pris les décisions suivantes:
  103. (a) Le gouvernement de la Pologne devrait être invité par le Directeur général à lui communiquer ses observations sur la plainte pour le 10 octobre 1982 au plus tard.
  104. b) Conformément au paragraphe 5 de l'article 26 de la Constitution, le Conseil d'administration devrait inviter le gouvernement de la Pologne à désigner un délégué pour prendre part aux délibérations du Conseil relatives à cette affaire lors de sessions ultérieures. En adressant cette invitation au gouvernement de la Pologne, le Directeur général devrait lui faire savoir que le Conseil d'administration envisage de procéder à des discussions à sa 221 session, qui se tiendra à Genève en novembre 1982.
  105. c) A sa 221ème session, le Conseil d'administration devrait déterminer si, à la lumière des recommandations du Comité de la liberté syndicale au sujet de la plainte reçue et des informations qui pourraient être fournies par le gouvernement de la Pologne, ainsi que des recommandations du Comité de la liberté syndicale sur le cas dont il est saisi, la plainte doit être renvoyée à une commission d'enquête.
  106. 7. Par la suite, le gouvernement a envoyé des réponses et des informations et le Conseil d'administration a examiné à trois reprises les rapports du Comité de la liberté syndicale au sujet du cas n° 1097 et de la plainte déposée en vertu de l'article 26 de la Constitution.
  107. 8. Au cours de sa 223, session (quatrième séance), le 27 mai 1983, le Conseil d'administration a approuvé par 44 voix contre 6, avec 5 abstentions, la recommandation du Comité de la liberté syndicale de renvoyer l'examen de l'ensemble de l'affaire à une commission d'enquête, conformément à l'article 26, paragraphe 3, de la Constitution de l'OIT.
  108. 9. Au cours de cette même session (cinquième séance), le Conseil d'administration a décidé par 37 voix contre 5, avec 8 abstentions, que la commission d'enquête serait composée comme suit:
  109. Président: Nicolas Valticos (Grèce), ancien Sous-directeur général du Bureau international du Travail, membre de la Cour permanente d'arbitrage, secrétaire général de l'Institut de droit international.
  110. Membres: Andrés Aguilar (Venezuela), ancien Président de la Conférence internationale du Travail, membre de la Cour permanente d'arbitrage, membre du Comité des droits de l'homme des Nations Unies, membre et ancien président de la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Jean-François Aubert (Suisse), professeur de droit constitutionnel à l'Université de Neuchâtel.
  111. CHAPITRE 2
  112. HISTORIQUE DES RELATIONS ENTRE L'OIT ET LA POLOGNE DANS LE DOMAINE DE LA LIBERTE SYNDICALE
  113. 10. La Pologne a ratifié en 1957 la convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (n° 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
  114. 11. A partir de 1959, la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations a signalé que la loi polonaise sur les syndicats de 1949, obligeant les syndicats à se faire enregistrer auprès du Conseil central des syndicats, nommément désigné par la loi comme un des organes suprêmes de la Confédération des syndicats qui était la "représentation centrale du mouvement professionnel en Pologne", n'était pas compatible avec les dispositions de la convention, en particulier avec le droit des travailleurs de constituer les organisations de leur choix.
  115. 12. En 1973, le gouvernement indiqua qu'un nouveau projet de loi sur les syndicats était en cours d'élaboration et, pendant plusieurs années, le gouvernement a signalé dans ses rapports que les travaux relatifs à ce projet se poursuivaient.
  116. 13. En juillet 1978, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) introduisit une plainte devant le Comité de la liberté syndicale alléguant la non-conformité de la législation syndicale polonaise avec les dispositions de la convention n° 87 ainsi que la persécution et l'arrestation de travailleurs ayant tenté de former des syndicats libres dans la région de la Baltique. Après un premier examen de l'affaire, le Comité de la liberté syndicale estima en novembre 1979 que, "à la lumière des problèmes soulevés dans le cas et des promesses réitérées du gouvernement de mettre sa législation en conformité avec les dispositions de la convention n° 87, l'adoption des amendements nécessaires à la loi sur les syndicats et la clarification de la situation au sujet des autres aspects du cas pourraient être facilitées par l'établissement de contacts directs à cet égard entre le gouvernement et l'OIT".
  117. 14. Le gouvernement de la Pologne accepta cette suggestion du Comité de la liberté syndicale, et le ministre du Travail invita, par une lettre du 26 mars 1980, un représentant du Directeur général à "effectuer une visite officielle en Pologne afin de procéder en commun à une revue d'ensemble de l'application des conventions ratifiées en vue de trouver les solutions aux difficultés rencontrées dans l'application de certaines d'entre elles". La mission confiée à M. Nicolas Valticos, à l'époque Sous-directeur général du BIT, ayant la responsabilité des normes internationales du travail, fut effectuée en Pologne du 5 au 14 mai 1980. Le représentant du Directeur général eut des discussions, notamment, avec Mme Milczarek, ministre du Travail, MM. Obodowski et Biatczynski, sous-secrétaires d'Etat au Travail, M. Secomski, vice-président du Conseil d'Etat, ainsi qu'avec M. Kulaga, sous-secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères. Il rencontra également le président du Conseil central des syndicats et des représentants ;syndicaux dans diverses entreprises, ainsi que des représentants des employeurs polonais. Les personnes rencontrées exprimèrent leur volonté de coopérer avec l'OIT. Le représentant du Directeur général reçut l'assurance qu'on s'acheminait vers la modification de la loi sur les syndicats et son adaptation à la convention. A cet égard, il indiqua aux autorités que le BIT serait prêt à donner des avis au gouvernement sur le projet de nouveau texte qui serait établi, afin d'éviter de nouvelles divergences avec la convention.
  118. 15. A partir de mai 1980, l'évolution sociale en Pologne se précipita et aboutit, le 31 août 1980, à la signature des accords de Gdansk incluant notamment la reconnaissance par le gouvernement des principes énoncés dans les conventions nos 87 et 98. Par la suite, la Diète adopta, le 8 octobre 1980, une loi modifiant la loi sur les syndicats de 1949 en ce qui concerne la question de l'enregistrement des syndicats et permettant à un syndicat d'effectuer son enregistrement, en dehors du registre tenu par le Conseil central des syndicats, auprès du Tribunal de la voïvodie de Varsovie. Concernant les autres aspects de la réforme de la législation syndicale, le Conseil d'Etat institua une commission chargée d'élaborer un projet.
  119. 16. A la suite des difficultés rencontrées par le syndicat Solidarité à faire enregistrer ses statuts (le Tribunal de la voïvodie de Varsovie enregistra le syndicat Solidarité, mais en modifiant certaines dispositions de ses statuts), le représentant du Directeur général, avec l'accord du gouvernement, se rendit de nouveau en Pologne en octobre 1980. Dans une communication ultérieure, le gouvernement indiqua que ces visites avaient été, à son avis, utiles à la recherche d'une solution aux problèmes de l'application des conventions ratifiées par la Pologne. En novembre 1980, avant la réunion du Comité de la liberté syndicale, M. J. Obodowski, vice-ministre du Travail (qui allait devenir ministre du Travail puis vice-Premier ministre), se rendit à Genève où il eut des entretiens privés avec le président du Comité de la liberté syndicale et avec le Directeur général et fut entendu par le Comité de la liberté syndicale. Il informa le comité que, le 10 novembre 1980, le Tribunal suprême avait décidé de confirmer l'enregistrement du syndicat Solidarité sur la base des statuts élaborés par le syndicat, avec les seuls amendements que le syndicat avait lui-même apportés et qui consistaient à leur annexer une partie des accords de Gdansk et le texte des conventions nos 87 et 98 de l'OIT. En mars 1981, la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations a noté avec satisfaction cette évolution législative.
  120. 17. L'évolution sociale entre novembre 1980 et mars 1981 amena le Directeur général du BIT à proposer, en mars 1981, au gouvernement l'envoi d'une mission. Le gouvernement ayant accepté cette proposition, le Directeur général se rendit en Pologne du 11 au 14 mai 1981, accompagné de M. Nicolas Valticos, Sous-directeur général, et de M. Bernard Gernigon, chef adjoint du Service de la liberté syndicale; il y rencontra des membres du gouvernement, les représentants des trois organisations nationales de travailleurs (syndicats de branches, syndicats autonomes et Solidarité) et de l'organisation des employeurs ainsi que le président de la commission de préparation de la nouvelle loi sur les syndicats. La discussion porta sur l'ensemble de la situation syndicale et, en particulier, sur le projet de loi concernant les syndicats. Pendant le séjour de la mission du BIT, le syndicat Solidarité rurale fut enregistré le 12 mai 1981, après l'adoption, le 6 mai 1981, d'une loi autorisant l'enregistrement des organisations agricoles.
  121. 18. En juin 1981, à la 67ème session de la Conférence internationale du Travail, dans la délégation de la Pologne, les travailleurs étaient représentés par les trois principales organisations syndicales du pays: syndicats de branches, syndicats autonomes et Solidarité, le siège de délégué travailleur étant attribué au président de la Commission nationale de Solidarité, M. Lech Walesa. En septembre 1981, une délégation du BIT assista au congrès de Solidarité à Gdansk et, en novembre 1981, une session d'étude pour un groupe de syndicalistes des trois centrales polonaises se tint à Genève au BIT.
  122. 19. Le 13 décembre 1981 fut proclamée la loi martiale en Pologne. A la suite de cette proclamation et des mesures prises par les autorités à l'encontre du syndicat Solidarité et de ses militants et dirigeants, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) et la Confédération mondiale du travail (CMT) ont déposé, le 14 décembre 1981, devant le BIT des plaintes en violation des droits syndicaux dans ce pays, dont le Comité de la liberté syndicale a été saisi, conformément à la procédure établie. Vu la nature des allégations, le Directeur général du BIT a immédiatement proposé l'envoi d'une mission du BIT sur place en vue de réunir des informations sur la situation syndicale, y compris sur celle des syndicalistes internés. Le gouvernement a estimé, en réponse à cette proposition, que, dans les circonstances d'alors, il n'était pas possible de recevoir une mission du BIT.
  123. 20. Les 18 et 19 février 1982, une délégation gouvernementale conduite par M. K. Gorski, vice-ministre du Travail, s'est rendue au BIT où elle a eu des entretiens avec le Directeur général et le président du Comité de la liberté syndicale.
  124. 21. Le Comité de la liberté syndicale a examiné le cas à sa réunion de février 1982 et a soumis un rapport intérimaire au Conseil d'administration, dans lequel il a exprimé sa profonde préoccupation devant l'extrême gravité des allégations formulées contre la Pologne; il a souligné la particulière gravité de la suspension des activités syndicales et exprimé le ferme espoir que les organisations syndicales existant en Pologne pourraient reprendre leurs activités le plus rapidement possible, sur la base d'une législation syndicale conforme aux conventions de l'OIT. Il a insisté auprès du gouvernement pour qu'il accepte l'envoi d'une mission sur place du BIT.
  125. 22. Dans une lettre du 4 mars 1982, le gouvernement de la France a exprimé sa vive préoccupation quant à la situation en Pologne et a rappelé son attachement au respect des obligations découlant de la convention n° 87, ratifiée par la Pologne. Le gouvernement de la France se félicitait par ailleurs des dispositions prises par le Conseil d'administration du BIT et se réservait la possibilité de saisir ultérieurement l'Organisation au titre de l'article 26 de la Constitution.
  126. 23. A sa session de mars 1982, la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations a formulé des commentaires dans une observation concernant l'application de la convention n° 87 par la Pologne.
  127. 24. A la suite de la demande du Comité de la liberté syndicale et avec l'accord du gouvernement, M. Nicolas Valticos, accompagné de M. Bernard Gernigon, s'est rendu en Pologne et y a séjourné du 10 au 16 mai 1982. Le représentant du Directeur général rencontra des représentants du gouvernement, des différentes organisations syndicales et M. Lech Walesa, à l'époque en détention.
  128. 25. Ayant examiné le rapport de cette mission et certaines informations communiquées par le gouvernement, le Comité de la liberté syndicale a soumis, à sa session de mai 1982, un nouveau rapport intérimaire au Conseil d'administration. Il a exprimé l'espoir que le parlement polonais pourrait adopter dans un proche avenir un cadre juridique dans lequel des organisations syndicales indépendantes des pouvoirs publics pourraient fonctionner librement et demandé instamment la libération des syndicalistes encore emprisonnés.
  129. 26. Par la suite, dans une lettre datée du 16 juin 1982, M. Blondel et Mme Buck, respectivement délégués des travailleurs de la France et de la Norvège à la 68ème session de la Conférence internationale du Travail, ont déposé une plainte en vertu de l'article 26 de la Constitution contre le gouvernement de la Pologne pour non-observation des conventions (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et (n° 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, toutes deux ratifiées par ce pays.
  130. 27. Les 5, 6 et 7 octobre 1982, une délégation gouvernementale conduite par le directeur adjoint du Bureau juridique du Conseil des ministres a rendu visite au BIT et a demandé un avis juridique au Bureau sur la conformité du projet de loi sur les syndicats avec les conventions n° 87 et 98. Le BIT a alors formulé des commentaires écrits qui ont été transmis à la délégation, puis aux commissions de la Diète chargées de la préparation de la loi. Cette législation a été adoptée par la Diète le 8 octobre 1982, avec quelques modifications. Aux termes de l'article 52 de la loi, l'enregistrement des syndicats existants, y compris Solidarité, fut annulé.
  131. 28. Au cours de la réunion du Comité de la liberté syndicale de novembre 1982, le vice-ministre du Travail, M. K. Gorski, représentant le gouvernement de la Pologne, a été entendu par le comité qui, à la suite de cette audition, a soumis un nouveau rapport intérimaire au Conseil d'administration. Le comité a prié instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires à la levée de la loi martiale dans un très proche avenir, a formulé des commentaires au sujet de la nouvelle législation et a demandé au gouvernement d'adopter des mesures en vue de la libération des syndicalistes internés.
  132. 29. La loi martiale fut suspendue en Pologne à partir du 31 décembre 1982. A sa réunion de février 1983, le Comité de la liberté syndicale a présenté un nouveau rapport intérimaire. Le comité a estimé que, afin d'élucider les nombreux aspects du cas encore en instance, il serait hautement souhaitable que le gouvernement acceptât une nouvelle visite sur place d'un représentant du Directeur général.
  133. 30. A sa session de mars 1983, la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations a formulé dans une observation des commentaires sur l'application par la Pologne des conventions nos 87 et 98, en particulier en rapport avec la loi du 8 octobre 1982 sur les syndicats.
  134. 31. Du 5 au 8 avril 1983, une mission d'information du gouvernement conduite par M. Karwanski, directeur du Département de la coopération internationale du ministère du Travail, des Salaires et des Affaires sociales, s'est rendue au BIT où elle a eu des entretiens avec le Directeur général et de hauts fonctionnaires du Bureau.
  135. 32. Le 26 avril 1983, le gouvernement a adressé une invitation au Directeur général en vue d'une visite sur place de M. Nicolas Valticos en qualité de représentant du Directeur général. Dans une réponse du 9 mai 1983, le Directeur général, tout en remerciant le gouvernement de l'invitation communiquée à l'intention de M. Nicolas Valticos en vue d'une visite de sa part à titre personnel et en qualité de représentant du Directeur général, a noté qu'il était dans l'intention du gouvernement d'assurer des contacts entre M. Valticos et les autorités polonaises, ainsi qu'avec les représentants des syndicats nouvellement organisés et des employeurs polonais. Le Directeur général a indiqué qu'à cet égard et pour que la visite puisse aboutir aux résultats souhaités il serait essentiel, conformément aux pratiques suivies par le BIT dans des cas analogues, que son représentant puisse également avoir des contacts de nature privée avec des représentants de toutes les parties intéressées, et notamment avec des anciens dirigeants des organisations syndicales qui, en 1981, représentaient les travailleurs de Pologne à la Conférence internationale du Travail. Le Directeur général a indiqué que, si le gouvernement était décidé à accorder les facilités demandées, il prendrait les mesures nécessaires pour que M. Valticos se rende en Pologne.
  136. 33. A sa réunion de mai 1983, le Comité de la liberté syndicale a noté qu'il avait toujours été d'avis que le représentant du Directeur général chargé d'une mission sur place ne saurait mener à bien sa tâche et, en conséquence, être pleinement et objectivement informé sur tous les aspects du cas sans avoir la possibilité de s'entretenir librement avec toutes les parties intéressées. Selon le comité, dans le cas spécifique, les parties intéressées devaient nécessairement comprendre les dirigeants des anciennes organisations syndicales. Le comité a noté avec regret que les demandes d'informations et de visites sur place qu'il avait formulées en février 1983 n'avaient pas été entièrement satisfaites et a recommandé au Conseil d'administration de renvoyer l'examen de l'ensemble de l'affaire à une commission d'enquête, conformément à l'article 26, paragraphe 3, de la Constitution Z. Cette recommandation fut adoptée par le Conseil d'administration par 44 voix contre 6, avec 5 abstentions.
  137. 34. Le gouvernement de la Pologne, dans une déclaration du 31 mai 1983, a rejeté cette décision du Conseil d'administration comme non fondée et indiqué que la Pologne ne participerait pas à la 69ème session de la Conférence internationale du Travail et suspendrait sa coopération avec l'OIT si la décision du Conseil était mise en pratique, en se réservant le droit de prendre les mesures appropriées concernant sa participation à l'Organisation. De même, après la nomination, par le Conseil d'administration, des membres de la commission d'enquête le gouvernement de la Pologne, dans une lettre du 24 juin 1983, a rejeté la décision du Conseil d'administration d'instituer une commission d'enquête concernant la Pologne et a rappelé qu'il suspendait sa coopération avec l'OIT. Le Directeur général, dans une lettre du même jour, a rappelé que la nomination de la commission d'enquête est fondée sur les dispositions de la Constitution de l'OIT et sur les obligations que le gouvernement de la Pologne a librement acceptées en ratifiant les conventions en question.
  138. CHAPITRE 3
  139. ANALYSE DE L'AFFAIRE
  140. 35. La commission a procédé à l'examen des allégations contenues dans la plainte ainsi que des communications envoyées ultérieurement, tant par les plaignants eux-mêmes que par les organisations internationales d'employeurs et de travailleurs et les gouvernements qui avaient été invités à soumettre des informations. Bien que le gouvernement de la Pologne ait décidé de ne pas participer à la procédure de la commission, celle-ci a disposé d'un certain nombre de données, observations et informations fournies par le gouvernement de la Pologne avant la constitution de la commission, en particulier dans le cadre de l'examen du cas n° 1097 devant le Comité de la liberté syndicale, dans les rapports présentés en vertu de l'article 22 de la Constitution de l'OIT et dans les déclarations du représentant gouvernemental à la Commission de l'application des conventions et recommandations de la Conférence internationale du Travail. Dans le présent chapitre, la commission se propose de présenter un bref résumé des éléments ainsi en sa possession.
  141. Allégations des plaignants
  142. 36. La plainte déposée par M. Blondel et Mme Buck portait sur diverses questions liées à la proclamation et à l'application de la loi martiale à partir du 13 décembre 1981. Les plaignants s'étaient référés à la suspension des activités syndicales et aux internements de nombreux militants et dirigeants de l'organisation Solidarité. En outre, précisaient-ils, le droit de grève était suspendu et des travailleurs et syndicalistes avaient été poursuivis et condamnés pour faits de grève. De l'avis des plaignants, ces décisions et ces mesures constituaient une violation des articles 3 et 4 de la convention n° 87.
  143. 37. Les plaignants alléguaient également que des syndicalistes avaient été licenciés de leur emploi en raison de leur affiliation et de leurs activités syndicales, et que des serments de loyauté avaient été exigés sous peine de licenciement, en particulier auprès de certaines catégories de fonctionnaires. Ces pratiques étaient, de l'avis des plaignants, une violation caractérisée de l'article 1 de la convention n° 98. La plainte mentionnait enfin des décès de travailleurs intervenus après l'intervention des forces de l'ordre à l'occasion de conflits du travail et indiquait que de nouvelles arrestations semblaient avoir eu lieu. En annexe figuraient des listes de personnes arrêtées et condamnées.
  144. Observations du gouvernement de la Pologne soumises au Comité de la liberté syndicale
  145. 38. Le gouvernement de la Pologne avait confirmé, dès le 30 décembre 1981, que les activités des syndicats avaient été temporairement suspendues en raison de la proclamation de la loi martiale, conformément à l'article 33, paragraphe 2, de la Constitution de la Pologne. Pour le gouvernement, le recours à cet état d'exception avait pour but d'écarter le danger imminent d'une guerre civile, de rétablir le calme et l'ordre public, d'assurer le fonctionnement normal de l'administration d'Etat et de sauvegarder l'économie nationale de l'effondrement.
  146. 39. Selon le gouvernement, au cours des mois qui avaient précédé proclamation de la loi martiale, le syndicat Solidarité avait outrepassé clairement, non seulement le cadre des accords d'août 1980 signés avec les autorités, mais également celui de ses propres statuts approuvés par le Tribunal suprême le 10 novembre 1980. Des éléments extrémistes avaient orienté Solidarité et Solidarité rurale sur la voie des actions de caractère politique et tendaient toujours plus ouvertement à la prise du pouvoir en Pologne et au renversement du système établi constitutionnellement.
  147. 40. Dès l'adoption des mesures de suspension des activités syndicales, le gouvernement avait indiqué que les limitations qui en découlaient présentaient un caractère temporaire. En février 1982, un "document sur l'avenir du mouvement syndical" avait été élaboré par le Comité du Conseil des ministres pour les affaires syndicales, sur la base duquel une discussion avait été engagée par les travailleurs, notamment par la voie de la presse. En outre, le 3 mai 1982, la Diète avait souligné l'appui des autorités pour la renaissance du mouvement syndical indépendant et autogéré en vue de la protection des conditions de vie et du bien-être des travailleurs. Entre-temps, la représentation des intérêts quotidiens des travailleurs était assurée par des commissions sociales instituées en janvier 1982.
  148. 41. Dans ses observations concernant les internements et condamnations de travailleurs, le gouvernement avait mentionné la promulgation de la "loi d'abolition " aux termes de laquelle nul ne pouvait être condamné pour des activités politiques antérieures au 13 décembre 1981. Pour ce qui est du nombre des internés, le gouvernement avait indiqué que 7 000 personnes avaient été détenues dans les camps. En mai 1982, il restait environ 2 300 internés, les autres ayant été libérés. Toujours selon le gouvernement, les internés bénéficiaient d'un règlement spécial et, à la suite de ses visites dans les camps, le Comité international de la Croix-Rouge n'aurait pas formulé de remarques au sujet des conditions matérielles de détention ou des relations avec les gardiens.
  149. 42. Au sujet des licenciements intervenus à l'encontre de membres de Solidarité, le gouvernement avait estimé que les allégations formulées en ce domaine n'avaient aucun fondement. Il avait observé que la législation polonaise prévoit une large protection contre les licenciements et que ces principes restaient applicables même pendant la loi martiale, sauf dans les établissements militarisés. En outre, l'application par certains pays occidentaux d'un embargo économique et la mise en place d'une réforme de l'économie avaient exigé des transferts de travailleurs qui n'avaient rien de discriminatoire. Dans environ 20 pour cent des cas où les intéressés avaient présenté un recours contre leur licenciement, les organes compétents avaient estimé que ces mesures n'étaient pas fondées et que les travailleurs en cause, dont d'anciens membres et militants de Solidarité, devaient être réintégrés. Enfin, à propos des déclarations de loyauté exigées des travailleurs, le gouvernement avait indiqué que, si de telles déclarations avaient été demandées dans la période qui a suivi immédiatement la proclamation de la loi martiale, ces pratiques avaient été depuis lors abandonnées.
  150. 43. Pour ce qui est des morts violentes de travailleurs à l'occasion de conflits du travail, le gouvernement avait fourni des informations au sujet des événements survenus à la mine de Wujek en décembre 1981, où huit personnes avaient été tuées. L'enquête judiciaire menée par le parquet militaire avait révélé, selon le gouvernement, que les forces de l'ordre se trouvaient en état de légitime défense. En conséquence l'affaire était close.
  151. Développements ultérieurs à la plainte
  152. 44. Après le dépôt de la plainte de M. Blondel et Mme Buck, la situation syndicale en Pologne a connu des développements dont plusieurs communications à la disposition de la commission font état. Ces événements ultérieurs ont modifié les termes de la situation initiale, et la commission se doit d'en tenir compte pour apprécier l'ensemble de l'affaire qui lui est soumise. Les principaux développements concernent l'adoption d'une législation syndicale, en octobre 1982, prévoyant notamment la dissolution des organisations syndicales; la suspension en décembre 1982, puis la levée en juillet 1983, de la loi martiale et l'adoption, également en juillet 1983, d'une loi d'amnistie; la détention et les poursuites judiciaires exercées contre des militants syndicaux, les décès de travailleurs survenus lors d'affrontements avec les forces de l'ordre et des mesures affectant l'emploi de syndicalistes. La commission résumera les informations ainsi en sa possession dans les paragraphes qui suivent.
  153. Législation syndicale
  154. 45. Le gouvernement a promulgué une nouvelle loi syndicale le 8 octobre 1982. Quelques jours avant son adoption, le projet de loi avait été soumis au BIT, qui avait formulé des commentaires à la lumière des conventions nos 87 et 98 et des principes de la liberté syndicale.
  155. 46. Le contenu de la loi syndicale avait fait l'objet de critiques de la part, notamment, de la CISL et de la CMT. Ces critiques ont été largement reprises dans les communications adressées à la commission par ces deux organisations ainsi que par l'Organisation internationale des employeurs (OIE) et la plupart des gouvernements qui ont envoyé des informations sur le fond de l'affaire.
  156. 47. Les commentaires ainsi formulés condamnaient, en particulier, la dissolution des organisations syndicales existantes et, notamment, de Solidarité. Il était également estimé que, si le droit de grève était maintenu, les conditions pour l'exercer étaient telles qu'il ne pouvait pas être appliqué en pratique en raison de procédures longues et complexes. Ce droit était en outre refusé à plusieurs catégories de salariés. Ces commentaires relevaient aussi que des limitations étaient imposées quant à la possibilité de pluralisme syndical et à l'interdiction de créer des unions de syndicats et des confédérations, tout au moins pendant une certaine période.
  157. 48. Dans les rapports et observations qu'il avait soumis tant au Comité de la liberté syndicale qu'à la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations et à la Commission de l'application des conventions et recommandations de la Conférence internationale du Travail, le gouvernement avait estimé que la loi syndicale du 8 octobre 1982 était la continuation de ce qui, dans le passé, avait constitué l'acquis positif du mouvement syndical en Pologne. Elle confère, selon lui, de larges prérogatives aux syndicats et accorde le droit de grève en tant que moyen ultime. Les limitations temporaires de certaines prérogatives prévues par la loi, notamment en ce qui concerne les principes du pluralisme syndical et l'abandon des structures syndicales d'avant décembre 1981, étaient, selon le gouvernement, la seule solution possible à la lumière des impératifs de la situation d'urgence prévalant dans le pays.
  158. Suspension et levée de la loi martiale et adoption d'une loi d'amnistie
  159. 49. L'application de la loi martiale a été suspendue à partir du 31 décembre 1982. De ce fait, a précisé le gouvernement, la plupart des limitations imposées par la loi martiale cessaient d'être en vigueur. Ainsi, selon le gouvernement, il était mis un terme aux mesures d'internement, et les droits d'association et de grève étaient rétablis. Par la suite, en juillet 1983, le Conseil d'Etat a levé la loi martiale et la Diète a adopté une loi d'amnistie.
  160. Détentions et poursuites exercées contre des syndicalistes
  161. 50. Cependant, plusieurs communications adressées à la commission relevaient que cette loi exclut de son bénéfice un nombre important de militants de Solidarité dont des listes ont été fournies. Il était également mentionné que certains détenus avaient fait l'objet de graves sévices personnels. En outre, des informations, émanant notamment du plaignant M. Blondel, font apparaître que des dirigeants syndicaux ont été inculpés pour participation à un complot ayant pour but le renversement par la force du système politique en vigueur en Pologne. Pour le plaignant, ces mesures signifiaient que, contrairement aux promesses et décisions annoncées, des responsables syndicaux étaient poursuivis pour des activités antérieures à la proclamation de la loi martiale.
  162. Mort violente de travailleurs
  163. 51. Les informations en la possession de la commission font également état de nouvelles morts violentes de travailleurs, survenues à la suite d'attaques auxquelles se seraient livrées les forces de l'ordre lors de manifestations pacifiques organisées au mois d'août et au mois de septembre 1982 ainsi qu'au mois de mai 1983.
  164. Mesures affectant l'emploi de syndicalistes
  165. 52. Enfin, plusieurs documents mentionnent des mesures de discrimination dans l'emploi exercées à l'encontre de syndicalistes, notamment de ceux qui avaient été internés ou détenus, y compris après l'adoption de la loi d'amnistie.
  166. 53. La commission examinera de façon détaillée, dans une partie ultérieure de son rapport, chacune des questions soulevées dans la présente affaire. Pour qu'elle puisse procéder à un examen aussi exhaustif que possible, la commission, comme les autres commissions de même nature antérieurement instituées au sein de l'OIT, a considéré que son rôle ne devait pas se limiter à examiner des informations fournies par les parties ou à l'appui de leurs thèses, mais qu'elle prendrait en considération toutes les informations dont elle disposerait sur les questions en cause. C'est donc dans cette optique que la commission abordera chacun des points qui font l'objet de l'affaire qui lui est soumise.
  167. PARTIE II
  168. PROCEDURE SUIVIE PAR LA COMMISSION
  169. CHAPITRE 4
  170. PREMIERE SESSION DE LA COMMISSION
  171. 54. Les membres de la commission ont fait, le 14 juillet 1983, une déclaration solennelle en présence de M. Francis Blanchard, Directeur général du BIT. En les invitant à faire cette déclaration, M. Blanchard s'est exprimé dans les termes suivants:
  172. Vous avez été nommés pour constituer une commission d'enquête en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, afin d'examiner des plaintes en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement de la Pologne.
  173. La tâche qui vous est confiée est d'établir les faits sans crainte ni préférence et en complète indépendance et impartialité. Vous siégerez donc, au sein de la commission, à titre individuel et personnel.
  174. C'est à votre commission elle-même qu'il appartiendra de fixer la procédure qu'elle entend suivre. Toutefois, elle pourra, en fixant sa procédure, tenir compte des règles adoptées par les précédentes commissions instituées en vertu de l'article 26 de la Constitution. L'une de ces règles fondamentales est que le rôle d'une commission d'enquête n'est pas limité à un examen des informations que les parties pourraient fournir, mais qu'en outre elle doit prendre elle-même toutes les mesures nécessaires pour disposer des informations les plus complètes et objectives qui soient sur les questions en cause.
  175. Le Conseil d'administration du Bureau international du Travail a approuvé les termes d'une déclaration solennelle par laquelle les membres d'une commission d'enquête s'engagent à exercer tous leurs devoirs et attributions "en tout honneur et dévouement, en pleine impartialité et en toute conscience". Les termes de cette déclaration correspondent à ceux de la déclaration qui est faite par les juges de la Cour internationale de justice.
  176. Je vous invite donc à faire à tour de rôle cette déclaration solennelle.
  177. 55. Les membres de la commission ont alors prononcé la déclaration suivante:
  178. Je déclare solennellement que j'exercerai en tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et en toute conscience, mes devoirs et attributions de membre de la Commission d'enquête instituée par le Conseil d'administration du Bureau international du Travail à sa 223ème session (mai-juin 1983), en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, pour examiner l'observation, par le gouvernement de la Pologne, des conventions (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et (n° 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
  179. 56. Conformément à la décision prise le 14 juillet 1983, la commission a tenu une première session de travail les 5 et 6 septembre 1983 au cours de laquelle elle a arrêté la procédure qu'elle suivrait pour la suite de ses travaux.
  180. Communication d'informations complémentaires
  181. 57. La commission a invité le gouvernement de la Pologne à lui communiquer, avant le 21 novembre 1983, toute déclaration écrite qu'il désirerait présenter, celle-ci pouvant se limiter à des informations et éléments supplémentaires ou nouveaux. La commission a également invité les plaignants à lui communiquer, avant le 21 novembre 1983, toutes informations ou observations supplémentaires ou nouvelles qu'ils désireraient présenter; elle a décidé que celles-ci seraient transmises au gouvernement de la Pologne pour d'éventuels commentaires avant le 21 décembre 1983.
  182. 58. Aux termes de l'article 27 de la Constitution de l'OIT et conformément à la pratique suivie dans le cas des plaintes antérieures, la commission a invité certains gouvernements de pays limitrophes ou entretenant des relations économiques importantes avec la Pologne à mettre à sa disposition, avant le 21 novembre 1983, toute information qui se trouverait en leur possession relativement à l'objet de la plainte. Cette invitation a été envoyée aux gouvernements des pays suivants République fédérale d'Allemagne, Bulgarie, Danemark, Etats-Unis d'Amérique, France, Hongrie, République démocratique allemande, Roumanie, Royaume-Uni, Suède, Tchécoslovaquie, URSS.
  183. 59. La possibilité de présenter, avant le 21 novembre 1983, toute communication qu'elles souhaiteraient transmettre sur les questions soulevées dans la plainte a été offerte aux organisations internationales de travailleurs et d'employeurs à vocation universelle et jouissant du statut consultatif auprès de l'OIT, à savoir la Confédération internationale des syndicats libres, la Confédération mondiale du travail, la Fédération syndicale mondiale et l'Organisation internationale des employeurs.
  184. 60. La commission a indiqué aux gouvernements et organisations concernés que leurs informations seraient transmises au gouvernement de la Pologne et aux plaignants pour d'éventuels commentaires avant le 21 décembre 1983.
  185. 61. La commission a informé le gouvernement de la Pologne et les plaignants ainsi que les gouvernements et organisations mentionnés ci-dessus que, sa compétence s'étendant uniquement à l'examen de l'exécution par la Pologne des obligations découlant pour elle de la ratification des conventions nos 87 et 98, il s'ensuivait que les questions ne relevant pas du domaine syndical sortaient du champ de sa compétence, que toute documentation qui pourrait lui être soumise devrait se rapporter à l'affaire dont elle était saisie et qu'elle n'examinerait aucune question ne relevant pas de son mandat.
  186. 62. La commission a indiqué au gouvernement de la Pologne et aux plaignants qu'elle comptait accomplir sa tâche en pleine et parfaite objectivité et impartialité et en toute indépendance; elle a précisé qu'elle considérait que son rôle n'était pas limité à un examen des informations fournies par les parties ou à l'appui de leurs thèses, mais qu'elle prendrait toutes mesures appropriées pour disposer d'informations aussi complètes et objectives que possible sur les questions en cause.
  187. Mesures adoptées en vue de la 2ème session et des travaux ultérieurs de la commission
  188. 63. La commission a décidé de tenir sa 2ème session à Genève à partir du 16 janvier 1984 et de procéder à l'audition des témoins à partir du 18 janvier 1984.
  189. 64. La commission a invité le gouvernement de la Pologne à désigner une personne habilitée à le représenter devant elle avec ses éventuels suppléants. Elle a demandé aux plaignants s'ils comptaient assister personnellement à la session ou sinon de communiquer le nom de leurs représentants et suppléants éventuels.
  190. 65. La commission a établi une liste de témoins qu'elle désirait entendre. Elle a indiqué au gouvernement de la Pologne qu'elle souhaitait entendre comme témoins les ministres du Travail, de l'Intérieur, de la Justice, des Affaires syndicales ou leurs représentants. Elle lui a également indiqué que, pour avoir une vue d'ensemble des différentes tendances du mouvement syndical en Pologne, elle estimait utile d'entendre les témoignages des personnes suivantes ou des personnes habilitées à les représenter: les délégués titulaire et suppléants des travailleurs polonais à la 67ème session de la Conférence internationale du Travail (juin 1981), le délégué des employeurs polonais ayant participé à la même session de la Conférence, ainsi que des dirigeants des syndicats constitués en vertu de la loi du 8 octobre 1982 sur les syndicats. La commission en a informé les plaignants.
  191. 66. La commission a adressé des lettres aux délégués des travailleurs et employeurs polonais à la 67ème session de la Conférence internationale du Travail (juin 1981) en indiquant qu'ils étaient invités en cette qualité à venir témoigner devant elle ou à désigner une personne habilitée à les représenter.
  192. 67. La commission a invité le gouvernement de la Pologne et les plaignants à lui communiquer, avant le 10 décembre 1983, les noms et qualités des témoins qu'ils souhaiteraient désigner en indiquant brièvement les points sur lesquels ils désireraient témoigner. Elle leur a indiqué qu'elle déciderait sur la base des indications ainsi obtenues si elle entendrait chacun des témoins en question.
  193. 68. La commission a également décidé d'inviter les organisations internationales de travailleurs et d'employeurs à vocation universelle et jouissant d'un statut consultatif auprès de l'OIT à désigner des représentants pour exposer leurs vues au cours de la session; elle en a informé le gouvernement de la Pologne et les plaignants.
  194. 69. La commission a demandé au gouvernement de la Pologne de faire en sorte que les personnes qu'elle estimait utile d'entendre comme témoins et les personnes désignées par le gouvernement ainsi que tout témoin proposé par les plaignants puissent, s'ils résidaient en Pologne, venir témoigner à Genève et bénéficient d'une pleine protection contre tout type de mesures à leur encontre en raison des déclarations faites devant la commission et, en particulier, qu'il ne fût pas fait obstacle à leur retour en Pologne.
  195. 70. La commission a adopté certaines règles de procédure qu'elle entendait suivre lors de sa 2ème session pour l'audition des témoins. Ces règles ont été portées à la connaissance du gouvernement de la Pologne, des plaignants et des organisations internationales de travailleurs et d'employeurs concernées.
  196. 71. Dans sa lettre au gouvernement de la Pologne en date du 7 septembre 1983, la commission a exprimé l'espoir que celui-ci lui apporterait la coopération prévue par la Constitution de l'OIT et qui a toujours été apportée aux précédentes commissions par les différents Etats Membres de l'OIT dans les cas où cette procédure a été utilisée dans le passé.
  197. 72. La commission a autorisé son président à traiter et décider des questions de procédure qui surgiraient entre les sessions, en consultation avec les autres membres, s'il l'estimait nécessaire.
  198. ANNEXE
  199. Règles pour l'audition des témoins
  200. 1. La commission entendra tous les témoins à huis clos; les informations et les éléments de preuve fournis à cette occasion à la commission seront traités comme absolument confidentiels par toute personne dont la commission autorisera la présence.
  201. 2. Le gouvernement de la Pologne ainsi que les plaignants seront invités à désigner des représentants agissant en leur nom devant la commission. Ces représentants ou leurs suppléants devront être présents pendant toute la durée des auditions et seront responsables de la présentation générale de leurs dossiers et de leurs témoins.
  202. 3. Les témoins ne pourront être présents que lors de leur témoignage.
  203. 4. La commission se réserve le droit de consulter les représentants au cours des auditions ou après ces dernières au sujet de toutes questions pour lesquelles elle estimera que leur collaboration spéciale est nécessaire.
  204. 5. La fonction de la commission est d'établir des faits. La possibilité offerte aux intéressés de fournir des informations et de faire des déclarations vise uniquement à l'obtention des données de fait portant sur les points que la commission est chargée d'examiner. La commission donnera aux témoins toute latitude raisonnable pour leur permettre de fournir de semblables informations de fait; toutefois, elle n'acceptera aucune communication ou déclaration de caractère politique ou sortant par ailleurs du cadre de son mandat.
  205. 6. La commission demandera à chaque témoin de faire une déclaration solennelle identique à celle prévue par le Règlement de la Cour internationale de justice. Cette déclaration est ainsi conçue: "Je déclare solennellement, en tout honneur et en toute conscience, que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. "
  206. 7. Chaque témoin aura la possibilité de faire une déclaration avant d'être interrogé. Si un témoin lit sa déclaration, la commission souhaiterait qu'il lui en soit remis six exemplaires en anglais ou en français.
  207. 8. La commission ou tout membre de celle-ci pourra à tout moment poser des questions aux témoins.
  208. 9. Les représentants ou leurs suppléants assistant aux audiences, conformément aux règles établies au paragraphe 2 ci-dessus, seront autorisés à poser des questions aux témoins dans un ordre qui sera déterminé par la commission.
  209. 10. Tout interrogatoire de témoins sera soumis au contrôle de la commission.
  210. 11. La commission prendra acte de tout manque à répondre de façon satisfaisante de la part d'un témoin.
  211. 12. La commission se réserve le droit de rappeler des témoins si cela est nécessaire.
  212. CHAPITRE 5
  213. DEUXIEME SESSION DE LA COMMISSION
  214. Communications reçues par la commission après la 1ère session
  215. 73. A la suite de la possibilité qu'elle avait donnée au gouvernement de la Pologne, aux plaignants, aux organisations internationales de travailleurs et d'employeurs ainsi qu'à certains gouvernements de lui envoyer des communications, la commission a reçu les informations suivantes, qui seront analysées plus en détail dans une partie ultérieure du rapport.
  216. Communication des plaignants
  217. 74. L'un des plaignants, M. Blondel, a fait parvenir à la commission une note accompagnée de différentes annexes précisant et confirmant les allégations de la plainte. La note, intitulée " Répressions après le 13 décembre 1981 ", a trait, en particulier, aux répressions après les grèves, aux manifestations de rue, à l'internement, aux procès, aux conditions de détention dans le système pénitentiaire polonais, au recours à la violence (prisonniers battus ou blessés, cas mortels), à la répression des travailleurs, à l'attitude des autorités vis-à-vis des biens de Solidarité. Le plaignant a, d'autre part, envoyé trois documents édités par le Bureau de Solidarité à l'étranger, à savoir:
  218. - Les droits de l'homme et du citoyen en République populaire de Pologne pendant l'état de guerre, qui comprend un dossier sur les violations des droits de l'homme au cours de la période du 13 décembre 1981 au 31 décembre 1982;
  219. - La situation des organisations syndicales en Pologne, qui constitue une analyse juridique et factuelle des syndicats en Pologne;
  220. - La répression en Pologne depuis le 13 décembre 1981, qui dresse une liste non exhaustive des différentes formes de répression employées par les autorités polonaises après la proclamation de la loi martiale jusqu'en décembre 1982.
  221. Non-coopération du gouvernement de la Pologne à la procédure
  222. 75. Le président de la commission a été informé oralement, par la mission permanente de Pologne à Genève, que le gouvernement de la Pologne n'entendait pas coopérer à la procédure, comme l'avait déjà indiqué le représentant permanent de la Pologne à Genève dans la lettre qu'il avait adressée au Directeur général du BIT le 24 juin 1983.
  223. 76. La commission a pris connaissance de cette lettre ainsi que de la réponse du Directeur général du même jour, et elle a adressé, le 25 novembre 1983, au gouvernement de la Pologne une communication au sujet de la situation qui découlait de cette politique de non-coopération. La commission se référera plus loin à cette lettre et, plus généralement, à la question de la non-coopération du gouvernement de la Pologne.
  224. Communications de certaines organisations internationales de travailleurs et de l'Organisation internationale des employeurs
  225. 77. La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) a envoyé deux communications accompagnées de plusieurs annexes. Dans sa première communication, la CISL mentionne le sort de nombreux dirigeants, militants et conseillers du syndicat Solidarité se trouvant toujours en prison malgré la levée de la loi martiale, en particulier la situation de quatre conseillers et de sept membres de la Commission nationale de Solidarité et celle de plusieurs autres dirigeants de Solidarité condamnés à de lourdes peines ou inculpés. Dans sa deuxième communication, la CISL relève que les militants membres et sympathisants de Solidarité continuent à être victimes d'une répression constante affectant les droits civils et syndicaux élémentaires des travailleurs polonais, y compris leur intégrité physique. La CISL attire également l'attention sur le refus continuellement exprimé par les autorités polonaises de renouer le dialogue entamé avec les travailleurs polonais au lendemain des accords sociaux de Gdansk, Szczecin et Jastrzebie en août et septembre 1980 et brutalement interrompu par l'imposition de la loi martiale. La CISL estime que l'unique condition d'un redressement de la situation en Pologne paraît consister en un large dialogue social, accompagné de la libération de tous les dirigeants, militants et sympathisants de Solidarité ainsi que des autres prisonniers politiques, de l'annulation des conséquences administratives subies par les syndicalistes condamnés et/ou licenciés, ainsi que de l'arrêt définitif de toutes les mesures répressives.
  226. 78. En annexe à ses communications, la CISL a joint des informations, notamment au sujet des questions suivantes: syndicalistes encore détenus, conditions de détention, sévices corporels infligés à certains dirigeants et conseillers de Solidarité emprisonnés et état de santé de ces personnes, syndicalistes décédés à la suite de mouvements de grève, de manifestations pacifiques ou de sévices corporels infligés par les forces de sécurité ayant entraîné la mort, condamnations de membres de Solidarité pour activités ou convictions syndicales, répressions exercées contre les travailleurs en raison de leur appartenance, activités ou sympathies syndicales (licenciements, refus de réintégration, atteintes diverses aux droits des travailleurs membres de Solidarité).
  227. 79. La CISL a également fait parvenir à la commission une analyse détaillée de la loi du 8 octobre 1982 sur les syndicats ainsi que deux documents édités par le Bureau de Solidarité à l'étranger qui ont aussi été envoyés par le plaignant, à savoir Les droits de l'homme et du citoyen en République populaire de Pologne pendant l'état de guerre et La situation des organisations syndicales en Pologne. Elle a, en outre, envoyé un ensemble d'articles sur les activités de Solidarité parus dans le Monde du travail libre en 1983 intitulé "Solidarité vit toujours".
  228. 80. La Confédération mondiale du travail (CMT) a envoyé une communication accompagnée d'un certain nombre de documents. L'un présente la récapitulation des infractions les plus flagrantes opérées par le gouvernement de la Pologne dans le domaine de la liberté syndicale depuis le 13 décembre 1981, tant à la suite de l'introduction de la loi martiale (suspension des activités syndicales, répression des travailleurs et des membres du syndicat Solidarité, destruction de la structure de Solidarité, obligation pour les travailleurs de signer une déclaration de loyauté, sanctions pénales pour activités syndicales, militarisation des entreprises) qu'à la suite de l'adoption de la loi du 8 octobre 1982 sur les syndicats (dissolution des syndicats existants, limitation du droit de constituer des syndicats et de s'y affilier, intervention des employeurs dans la constitution des nouveaux syndicats, limitation du droit de grève).
  229. 81. Les autres documents communiqués par la CMT ont été élaborés par le Bureau de Solidarité à l'étranger et portent sur " Répressions après le 13 décembre 1981 " (également soumis par M. Blondel), " L'Etat du droit en Pologne " (analyse de certains actes normatifs adoptés depuis juillet 1983), " Les formes de résistance sociale - La société clandestine" (analyse des structures clandestines de Solidarité), Les droits de l'homme et du citoyen en République populaire de Pologne pendant l'état de guerre, La situation des organisations syndicales en Pologne et La répression en Pologne depuis le 13 décembre 1981 (ces trois derniers documents ont été également communiqués par M. Blondel). La CMT a, en outre, envoyé une brochure sur Solidarité aujourd'hui et demain et des notes sur un voyage effectué en Pologne en juillet-août 1983.
  230. 82. Dans la communication qu'elle a adressée à la commission, l'Organisation internationale des employeurs s'est référée en particulier à la répression dont ont été victimes le syndicat Solidarité et d'autres syndicats de travailleurs polonais, ainsi qu'aux textes constitutionnels, législatifs et administratifs de la Pologne qui seraient contraires aux principes de la liberté syndicale.
  231. 83. La commission avait également invité la Fédération syndicale mondiale (FSM), en tant qu'organisation internationale à vocation universelle jouissant d'un statut consultatif auprès de l'OIT, à lui transmettre toute communication qu'elle souhaiterait faire. La FSM n'a pas répondu à cette communication.
  232. Communications envoyées par les gouvernements invités à fournir des informations en vertu de l'article 27 de la Constitution de l'OIT
  233. 84. Parmi les gouvernements auxquels la commission s'est adressée en vertu de l'article 27 de la Constitution, plusieurs ont envoyé des informations sur certains points très détaillées relativement à l'objet de la plainte.
  234. 85. Le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne a formulé des observations au sujet de certaines dispositions de la loi d'amnistie du 21 juillet 1983 en relevant, en particulier, que l'amnistie, pour des actes au sens des articles 46 et 48 du décret sur la loi martiale, est relativisée par la réserve générale contenue à l'article 7 selon lequel la décision d'amnistie est annulée si le bénéficiaire de celle-ci commet une infraction semblable avant le 31 décembre 1985. Ce gouvernement a également communiqué des extraits de la jurisprudence du Tribunal suprême de Pologne (Chambre criminelle et Chambre militaire) de l'année 1982. Il a, en outre, envoyé des informations au sujet du sort de certains membres et militants du syndicat Solidarité.
  235. 86. Le gouvernement du Danemark a relevé notamment que les activités du syndicat Solidarité étaient couvertes par les conventions nos 87 et 98 ratifiées par la Pologne.
  236. 87. Le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique a analysé la loi sur les syndicats du 8 octobre 1982 à la lumière des principes contenus dans les conventions nos 87 et 98, et il a mentionné plus particulièrement les dispositions relatives à l'unicité syndicale dans l'entreprise, aux structures syndicales, au droit de grève, à la dissolution des organisations syndicales, en particulier de Solidarité, à la dévolution des biens de cette organisation, au droit de fédération et de confédération et à la négociation collective. Le gouvernement s'est également référé aux mesures de représailles prises à l'encontre des membres de Solidarité, à certaines dispositions législatives récentes telles que la loi du 21 juillet 1983 sur les dispositions juridiques spéciales applicables pendant la période de lutte contre la crise socio-économique, ainsi qu'à la loi sur l'amnistie. Le gouvernement a, en outre, fourni des informations au sujet des détentions et arrestations pour activités syndicales, des morts, mauvais traitements et tortures, des emprisonnements et procès et de la politique pénale du gouvernement de la Pologne.
  237. 88. Le gouvernement de la France a relevé certaines dispositions de la loi du 8 octobre 1982 sur les syndicats et de la loi du 21 juillet 1983 susmentionnée qui semblent non conformes aux dispositions des conventions nos 87 et 98. Il s'agit notamment des dispositions transitoires relatives à l'unicité syndicale dans l'entreprise, de la dissolution des syndicats existants et de la possibilité de suspendre l'emploi de travailleurs menant une activité contraire au droit ou à l'intérêt social. Il s'est, d'autre part, référé à la loi sur l'amnistie et aux exclusions de certaines infractions du bénéfice de cette loi ainsi qu'à l'application pratique de la loi du 26 octobre 1982 sur le parasitisme social et les licenciements intervenus parmi les cadres universitaires et à la radiotélévision.
  238. 89. Le gouvernement du Royaume-Uni a adressé à la commission une documentation contenant notamment une lettre ouverte adressée, le 6 mai 1983, à la Diète par un groupe de syndicalistes, y compris M. Lech Walesa, lançant un appel en faveur du retour au pluralisme syndical, de la libération des prisonniers politiques et de la réintégration des travailleurs licenciés pour activités syndicales. Le gouvernement a également communiqué le texte d'une déclaration qu'il avait faite en octobre 1982 et dans laquelle il déplorait la nouvelle législation syndicale adoptée en Pologne et, notamment, la dissolution de Solidarité, qui rend très difficile la reprise d'un dialogue authentique dans le pays et semble indiquer que la voie choisie par le gouvernement de la Pologne est celle de la confrontation plutôt que de la réconciliation.
  239. 90. Le gouvernement de la Suède a formulé des observations au sujet de certaines dispositions de la loi sur les syndicats qui posent certaines questions au regard de l'application de la convention n° 87, en particulier en ce qui concerne l'enregistrement des syndicats, la dissolution des organisations existantes et l'unicité syndicale dans l'entreprise pendant une période indéfinie. Ce gouvernement a, en outre, mentionné l'article 278 du Code pénal qui punit les personnes appartenant à une organisation dont l'enregistrement a été refusé ou annulé.
  240. 91. Conformément à la décision de la commission, copie des informations reçues a été transmise au gouvernement de la Pologne et aux plaignants.
  241. 92. Conformément à l'article 27 de la Constitution de l'OIT, la commission avait également demandé à un certain nombre d'autres gouvernements, à savoir ceux de la Bulgarie, de la Hongrie, de la République démocratique allemande, de la Roumanie, de la Tchécoslovaquie et de l'URSS, de lui envoyer des informations en leur possession relativement à l'objet de la plainte. Le gouvernement de la Roumanie n'a pas donné suite à cette demande.
  242. 93. Les autres gouvernements ont envoyé chacun une lettre au Directeur général du BIT dans laquelle ils ont essentiellement indiqué qu'ils n'admettent pas la constitution de la commission d'enquête et qu'ils considèrent la décision du Conseil d'administration en la matière comme une ingérence dans les affaires intérieures de la Pologne. Le Directeur général a transmis ces lettres à la commission.
  243. 94. A cet égard, la commission doit constater que le Conseil d'administration du BIT, ayant été saisi d'une plainte de deux délégués à la Conférence, déposée en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'OIT, dans l'exercice des pouvoirs que lui reconnaît cette disposition, a régulièrement constitué la Commission d'enquête en vue d'examiner l'application par la Pologne des conventions nos 87 et 98 sur la liberté syndicale et la négociation collective ratifiées par ce pays.
  244. Communications relatives aux témoins que la commission désirait entendre lors de sa 2ème session
  245. 95. Par une communication du 10 décembre 1983, M. Blondel a fait parvenir au président de la commission une liste des témoins qu'il désirait présenter, en précisant les questions sur lesquelles ces personnes témoigneraient. En réponse à cette communication, le président de la commission a informé M. Blondel qu'il avait été pris bonne note de ses propositions au sujet tant des personnes citées que des thèmes sur lesquels elles seraient appelées à témoigner.
  246. 96. Pour sa part, le gouvernement de la Pologne n'a pas répondu à l'invitation qui lui avait été faite de fournir une liste de témoins pour la 2ème session ni à la demande de la commission d'assurer la présence de certaines personnes qu'elle désirait entendre, à savoir les ministres du Travail, de l'Intérieur, de la Justice, des Affaires syndicales ou leurs représentants. Le gouvernement de la Pologne ne s'est pas non plus référé au souhait de la commission d'entendre les témoignages des délégués titulaires et suppléants des travailleurs et des employeurs polonais à la 67ème session de la Conférence, ainsi que des dirigeants des syndicats constitués en vertu de la loi du 8 octobre 1982 sur les syndicats (ou des représentants de ces personnes) que la commission avait exprimé dans sa lettre du 7 septembre 1983.
  247. Audition des témoignages
  248. 97. La commission a tenu, à Genève, du 16 au 27 janvier 1983, sa 2ème session, qui a été principalement consacrée à l'audition de témoignages. Cette session a comporté dix séances privées auxquelles a participé l'un des plaignants, M. Blondel, assisté de MM de Vries, directeur du Bureau de la Confédération internationale des syndicats libres à Genève, et Milewski, directeur du Bureau de coordination de Solidarité à l'étranger. L'autre plaignant, Mme Buck, avait donné à M. Blondel mandat de la représenter. Le gouvernement de la Pologne n'était pas représenté et n'a donc pas occupé le siège qui lui était réservé. La commission a entendu, au cours de sa première séance, une déclaration préliminaire de M. Blondel. En outre, les membres de la commission se sont réunis pour délibérer en privé à plusieurs reprises.
  249. 98. Les représentants de certaines organisations internationales de travailleurs et d'employeurs ont prononcé des déclarations devant la commission. Il s'agissait de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), représentée par son secrétaire général, M. Vanderveken ; de la Confédération mondiale du travail (CMT), représentée par son secrétaire général, M. Kulakowski, assisté de M. Engelmayer, secrétaire général de la fraction des syndicalistes chrétiens de la Confédération des syndicats autrichiens (OGB), et de M. Seniuta, ancien conseiller auprès du bureau régional de Basse-Silésie de Solidarité; et enfin de l'Organisation internationale des employeurs (OIE), représentée par son secrétaire général, M. Lagasse, assisté de M. Chacko. Pour sa part, la Fédération syndicale mondiale (FSM) n'a pas donné suite à l'invitation que lui avait faite la commission de désigner un représentant pour exposer ses vues.
  250. 99. Le plaignant, M. Blondel, avait proposé à la commission l'audition des dix-huit témoins suivants: Mme Anna Walentynowicz, ouvrière du chantier naval Lénine, signataire des accords de Gdansk, à l'époque en détention provisoire; M. Andrzej Gwiazda, ingénieur en électronique de l'usine Elmor, signataire des accords de Gdansk, actuellement en détention provisoire; M. Marian Jurczyk, ouvrier du chantier naval Warski, signataire des accords de Szczecin, actuellement en détention provisoire; M. Boguslaw Choina, docteur en médecine, résidant en Pologne; M. Edmund Baluka, ouvrier du chantier naval Warski, ancien président du Comité central de grève de la ville de Szczecin, actuellement détenu à la prison de Barczewo ; M. Andrzej Milczanowski, juriste, actuellement détenu; Mme Anka Kowalska, écrivain, résidant actuellement en Pologne; M. Andrzej Jarmakowski, ancien directeur du bureau de la Commission nationale de Solidarité, actuellement résidant aux Etats-Unis ; M. Zygmunt Dziechciowski, ancien dirigeant du syndicat Solidarité du port de Szczecin, actuellement résidant en Suède; M. Darius Brzozowski, membre d'un comité de grève d'Elblag, actuellement résidant en Norvège; M. Jan Bartczak, ancien président du bureau régional Solidarité du Centre-Est, actuellement résidant en République fédérale d'Allemagne; M. Krzysztof Witon, porte-parole du bureau régional de Solidarité de Rzeszów, actuellement résidant aux Etats-Unis; M. Stanislaw Kaczmarzyk, ancien délégué au Congrès de Solidarité de Silésie et ancien vice-président d'une commission des invalides et des pensionnés de Solidarité, actuellement résidant en France; M. Jacques Mairé, secrétaire général de l'Union régionale de l'Ile-de-France Force ouvrière (France), qui s'est rendu en Pologne en mai 1983; M. Stephan Nedzynski, secrétaire général de l'Internationale du personnel des postes, téléphones et télégraphes; M. Heribert Maier, secrétaire général de la Fédération internationale des employés, techniciens et cadres et porte-parole du groupe des travailleurs du Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration du BIT (pour témoigner en cette dernière qualité) ; M. Jef Houthuys, président de la Confédération des syndicats chrétiens de Belgique et vice-président travailleur de la Commission de l'application des conventions et recommandations de la Conférence internationale du Travail (pour témoigner en cette dernière qualité) ; Mme Françoise Breton-Baluka du Comité de la défense des syndicats libres en URSS et en Europe de l'Est, résidant en France, épouse d'Edmund Baluka, précité.
  251. 100. Seuls ont pu comparaître devant la commission les témoins proposés par le plaignant qui ne résident pas en Pologne.
  252. 101. Le gouvernement de la Pologne n'a pas assuré la présence des témoins gouvernementaux que la commission avait souhaité entendre, à savoir les ministres du Travail, de l'Intérieur, de la Justice et des Affaires syndicales ou leurs représentants, ni proposé une liste de témoins complémentaires. Il n'a pas non plus pris les mesures nécessaires pour assurer la présence des délégués titulaire et suppléants des travailleurs polonais et du délégué des employeurs polonais à la 67ème session de la Conférence internationale du Travail (juin 1981), ni de dirigeants des syndicats constitués en vertu de la loi du 8 octobre 1982 sur les syndicats.
  253. 102. Cependant, M. Lech Walesa, président de la Commission nationale de Solidarité et délégué travailleur de la Pologne à la 67ème session de la Conférence internationale du Travail, a indiqué ne pas être en mesure de venir témoigner personnellement et a désigné pour le représenter M. Bohdan Cywinski, ancien expert de Solidarité, qui a été entendu par la commission.
  254. 103. Avant les différentes dépositions, le président de la commission a indiqué aux témoins que la commission était appelée à établir la situation au sujet de l'application en Pologne des conventions nos 87 et 98 et que leurs déclarations devaient donc être faites dans le cadre de ce mandat. Il les a invités à faire une déclaration solennelle correspondant à celle de la Cour internationale de justice, par laquelle ils déclarent solennellement, en tout honneur et en toute conscience, qu'ils diront la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
  255. 104. Tous les témoins, après avoir fait cette déclaration solennelle, ont utilisé la possibilité qui leur était donnée par la commission de faire une déclaration générale. Ensuite, ils ont été interrogés par la commission et le représentant des plaignants ou ses assistants. Les témoins ont remis à la commission divers documents à l'appui de leurs déclarations.
  256. 105. A l'issue des auditions, le représentant des plaignants a fait une déclaration finale sur les preuves présentées et déposé ses conclusions. Il a également remis un certain nombre de documents écrits à la commission.
  257. 106. Les informations recueillies au cours des auditions sont analysées dans une partie ultérieure du rapport. Le compte rendu des auditions ainsi qu'une liste de documents écrits fournis au cours de la session ont été envoyés par le BIT au gouvernement de la Pologne. Celui-ci les a retournés ultérieurement au BIT. Deux exemplaires du compte rendu ont été déposés à la bibliothèque du BIT.
  258. 107. A l'issue des auditions, la commission a estimé qu'il serait utile qu'elle-même ou un de ses membres ait la possibilité de se rendre en Pologne pour compléter les informations en sa possession. La commission a donc demandé au gouvernement, dans une lettre du 31 janvier 1984, de lui donner la possibilité d'obtenir sur place les informations nécessaires auprès de toutes autorités et organismes officiels, de toute organisation syndicale et de tout citoyen polonais qu'elle désirerait rencontrer, et qu'à cette fin elle puisse avoir des conversations et des entrevues en privé et hors de la présence de témoins. Le gouvernement a retourné la lettre qui lui avait été adressée en ce sens par le président de la commission.
  259. 108. Enfin, la commission a décidé d'offrir aux plaignants la possibilité de présenter des informations complémentaires jusqu'au 15 avril 1984.
  260. CHAPITRE 6
  261. TROISIEME SESSION DE LA COMMISSION
  262. Communications reçues par la commission après la 2ème session
  263. 109. Pour donner suite à la possibilité qu'elle avait offerte aux plaignants de présenter toute communication écrite complémentaire qu'ils désireraient lui soumettre, la commission a reçu des informations du plaignant M. Blondel, qui a transmis, par une lettre du 26 mars 1984, une communication contenant le témoignage du professeur Andrzej Stelmachowski. Dans sa communication, le plaignant précise que M. Stelmachowski était membre du conseil de programmation du Centre de recherches socioprofessionnelles de la Commission consultative nationale du syndicat indépendant autogéré Solidarité, et que c'est à ce titre qu'il a participé en tant que conseiller technique de la délégation des travailleurs de Pologne, en juin 1981, à la 67ème session de la Conférence internationale du Travail.
  264. 110. Par des lettres des 14 et 19 avril 1984, le plaignant a également communiqué des informations au sujet de la détention de syndicalistes, ainsi que sur les activités actuelles des syndicats en Pologne.
  265. Adoption du rapport
  266. 111. La commission a tenu sa 3ème session à Genève du 24 avril au 2 mai 1984 pour établir et adopter son rapport.
  267. PARTIE III
  268. EXAMEN DE L'AFFAIRE PAR LA COMMISSION
  269. 112. Cette partie du rapport contient une analyse des allégations et des informations examinées par la commission. Il convient de rappeler que, plusieurs années avant que la plainte présentée en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'OIT ne soit déposée, les questions relatives à la situation syndicale en Pologne avaient été examinées par le Comité de la liberté syndicale et que c'est à ce comité qu'il a également été demandé en premier lieu de se prononcer sur les mesures à prendre au sujet de la plainte présentée en vertu de l'article 26. Sur recommandation de ce comité, le Conseil d'administration a décidé de renvoyer l'examen de l'ensemble de l'affaire à la présente commission d'enquête. En outre, la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations avait examiné les rapports fournis par le gouvernement, au titre de l'article 22 de la Constitution de l'OIT, sur l'application des conventions nos 87 et 98, et la Commission de l'application des conventions et recommandations de la Conférence internationale du Travail avait également discuté de l'application de ces conventions par la Pologne.
  270. 113. En conséquence, l'analyse contenue dans les chapitres suivants tient compte de toutes les informations qui avaient été présentées précédemment au Comité de la liberté syndicale, y compris les informations recueillies au cours de plusieurs missions effectuées par des représentants du Bureau international du Travail entre 1980 et 1982. Les informations reçues directement par la commission comprennent des communications et une documentation soumises par les plaignants et par un certain nombre de gouvernements et d'organisations internationales de travailleurs et d'employeurs, ainsi que des déclarations et témoignages présentés au cours des auditions tenues par la commission en janvier 1984. Des indications sur les sources d'informations se trouvent en notes de bas de page.
  271. 114. Bien que le gouvernement de la Pologne ait décidé de ne pas participer au déroulement de la procédure devant la commission, l'analyse des informations disponibles indique la position prise par ce gouvernement, sur la base de communications écrites et de déclarations orales présentées au Comité de la liberté syndicale, d'informations fournies par les représentants gouvernementaux aux représentants du BIT au cours des missions susmentionnées qui ont été effectuées en Pologne, des rapports sur l'application des conventions n° 87 et 98 présentés au titre de l'article 22 de la Constitution de l'OIT (le dernier ayant été reçu en avril 1984) et des déclarations faites devant la Commission de l'application des conventions et recommandations et en séance plénière au cours des sessions de la Conférence internationale du Travail.
  272. 115. Avant d'aborder l'analyse de l'affaire proprement dite, la commission a estimé nécessaire de présenter un exposé de la législation en matière syndicale en Pologne, ainsi qu'un aperçu de la situation syndicale en Pologne au cours de la période s'étendant du mois d'août 1980 à la déclaration de la loi martiale au mois de décembre 1981.
  273. CHAPITRE 7
  274. Légilsation de la Pologne en matière syndicale
  275. 116. Les dispositions principales régissant l'activité syndicale en Pologne sont contenues dans la Constitution, dans le Code du travail et dans la loi sur les syndicats.
  276. 117. La Constitution de la République populaire de Pologne du 22 juillet 1952, modifiée en dernier lieu par une loi du 20 juillet 1983, garantit aux citoyens le droit d'association; elle précise que les syndicats groupent les citoyens en vue de leur participation active à la vie politique, sociale, économique et culturelle; les syndicats représentent les intérêts et les droits des travailleurs. La Constitution garantit, par ailleurs, la liberté de conscience et de confession, la liberté d'expression, de la presse, de réunions publiques ou privées, de défilés et de manifestations, l'inviolabilité de la personne et du domicile et le secret de la correspondance.
  277. 118. Le Code du travail du 24 juin 1974 contient, en particulier, des dispositions relatives au droit des travailleurs de se grouper en syndicats, de participer au développement social et économique, de conclure des conventions collectives et à la protection des représentants syndicaux contre la résiliation du contrat de travail.
  278. 119. Les dispositions principales de la législation polonaise en matière syndicale étaient contenues dans la loi du 1er juillet 1949 sur les syndicats professionnels, modifiée en septembre 1980. Cette loi, telle que modifiée, a été abrogée par la loi sur les syndicats du 8 octobre 1982, qui constitue actuellement la base de la législation syndicale polonaise. Le régime syndical des travailleurs indépendants de l'agriculture est régi par la loi du 8 octobre 1982 sur les organisations socioprofessionnelles des agriculteurs. Les principes de représentation des employés de l'Etat sont établis par une loi du 16 septembre 1982.
  279. 120. Le présent chapitre contient une vue d'ensemble des principales dispositions des différentes législations syndicales qui ont été en vigueur depuis 1957, date de la ratification par ce pays des conventions nos 87 et 98. Seront tour à tour examinés trois stades successifs de l'évolution de la législation syndicale polonaise: la situation antérieure à septembre 1980; celle entre septembre 1980 et décembre 1981; la situation depuis le 13 décembre 1981.
  280. Dispositions en vigueur avant le mois de septembre 1980
  281. 121. La loi du 1er juillet 1949 garantissait aux ouvriers et employés le droit de s'associer volontairement en syndicats professionnels (art. 1). Elle précisait que ce droit s'étendait aux ouvriers et employés dans les entreprises, administrations ou institutions, ainsi qu'à toutes autres personnes occupées sous contrat de travail, sous contrat d'apprentissage ou sur nomination par une autorité.
  282. 122. Aux termes de cette loi (art. 5, 6 et 9), un syndicat professionnel acquérait la personnalité juridique par son inscription au registre des syndicats professionnels, tenu par le Conseil central des syndicats que la loi désignait nommément comme un des organes supérieurs de la Confédération des syndicats, qui constituait, de son côté, la représentation centrale du mouvement syndical en Pologne.
  283. 123. Les tâches, buts et sphères d'activité des syndicats étaient déterminés par les statuts de la Confédération des syndicats et ceux des syndicats professionnels (art. 3). Parmi les tâches énumérées dans les statuts de la Confédération des syndicats, on peut relever les suivantes: représenter et défendre les intérêts des travailleurs, participer activement au gouvernement de l'Etat populaire, coopérer à la planification économique, développer l'autogestion ouvrière, élaborer et signer les conventions collectives. La législation ne comportait pas de dispositions concernant la légalité ou l'illégalité de la grève.
  284. 124. La loi de 1949 (art. 4) indiquait que les syndicats professionnels collaboraient, par leurs organismes directeurs et organes syndicaux désignés par leurs statuts, avec les autorités et institutions dans le domaine de l'administration publique, de l'économie nationale et du contrôle. Il était précisé que les syndicats représentaient tant les non-syndiqués que les syndiqués dans toutes les affaires ayant trait aux intérêts communs des salariés.
  285. 125. En 1973, le gouvernement avait informé la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations qu'un nouveau projet de loi sur les syndicats était en cours d'élaboration.
  286. 126. En mai 1980, le gouvernement indiqua qu'on s'acheminait vers la modification de la loi et son adaptation à la convention n° 87.
  287. Dispositions en vigueur entre le mois de septembre 1980 et le 13 décembre 1981
  288. 127. A la suite de l'évolution de la situation sociale en Pologne et, en particulier, de la signature, le 31 août 1980, du Protocole des accords de Gdansk garantissant l'indépendance et l'autogestion des nouveaux syndicats, le Conseil d'Etat a adopté le 15 septembre 1980 une décision relative à l'enregistrement des syndicats nouvellement créés. En vertu de cette décision, dans le but de permettre aux nouveaux syndicats d'obtenir l'enregistrement en dehors du registre tenu par le Conseil central de la Confédération des syndicats jusqu'à l'adoption des principes et des modalités d'enregistrement par voie législative, les comités fondateurs des syndicats nouvellement créés, qui n'avaient pas effectué l'inscription de ces syndicats au registre tenu par le Conseil central des syndicats, pouvaient demander leur enregistrement au Tribunal de la voïvodie de Varsovie. Dès son enregistrement, le syndicat obtenait la personnalité juridique.
  289. 128. Le 8 octobre 1980, la Diète a adopté une loi portant modification de la loi du 1er juillet 1949 sur les syndicats et confirmant, sous forme législative, la décision susmentionnée du Conseil d'Etat du 15 septembre 1980.
  290. 129. Aux termes de cette loi, l'article 9 de la loi de 1949 sur les syndicats a été complété par une disposition selon laquelle un syndicat ou une union régionale de syndicats obtenait la personnalité juridique dès son enregistrement par le Tribunal de la voïvodie de Varsovie. En cas de refus du Tribunal de la voïvodie d'enregistrer le syndicat, ce dernier bénéficiait d'un droit de recours devant le Tribunal suprême.
  291. 130. Conformément à la nouvelle législation, de nombreux nouveaux syndicats ont été enregistrés, dont le Syndicat indépendant et autogéré Solidarité. La demande d'enregistrement du syndicat Solidarité de Gdansk, couvrant dans son activité tout le territoire du pays, avait été examinée, le 24 octobre 1980, par le Tribunal de la voïvodie de Varsovie; ce dernier enregistra l'organisation mais en changeant certaines dispositions des statuts. A la suite du recours introduit par Solidarité contre cette décision, le Tribunal suprême a décidé, le 10 novembre 1980, de confirmer l'enregistrement du syndicat sur la base de ses statuts tels qu'ils avaient été élaborés par le syndicat, avec les seuls amendements que le syndicat avait lui-même apportés. Ces derniers consistaient à annexer aux statuts une partie des accords de Gdansk ainsi que le texte des conventions nos 87 et 98 de l'OIT.
  292. 131. Parmi les syndicats enregistrés en 1981, il convient de signaler plus particulièrement Solidarité rurale. Ce syndicat, composé de fermiers et de petits propriétaires, s'était vu refuser l'enregistrement au motif que, s'agissant non de salariés mais de petits exploitants, sa formation n'était pas légale. Après ces difficultés initiales, une loi fut adoptée, le 6 mai 1981, autorisant l'enregistrement des organisations agricoles selon la même procédure que les syndicats de travailleurs. Solidarité rurale fut enregistré le 12 mai 1981.
  293. Dispositions en vigueur après le 13 décembre 1981
  294. Loi martiale
  295. a) Proclamation de la loi martiale
  296. 132. Aux termes du décret sur la loi martiale du 12 décembre 1981$ pris en application de l'article 33, paragraphe 2, de la Constitution, la proclamation de la loi martiale, le 13 décembre 1981, a entraîné des répercussions sur l'exercice des libertés publiques et des droits syndicaux, en particulier: suspension ou limitation temporaire des droits fondamentaux et, notamment, des droits à l'inviolabilité de la personne, à l'inviolabilité du domicile et du secret de la correspondance, à la liberté d'expression et à celle de la presse, de réunions publiques, de défilés, de manifestations; suspension du droit d'association (art. 4) ; suspension du droit à la grève et aux actions de protestation (art. 14, paragr. 1). Selon le décret, la poursuite d'activités au sein d'un syndicat suspendu était passible de peines d'emprisonnement jusqu'à trois ans (art. 46, paragr. 1). La participation à une grève ou à une action de protestation était punie de la mise aux arrêts jusqu'à trois mois ou d'une amende de 5 000 zlotys (art. 50) et l'organisation ou la direction d'une telle grève ou action de protestation, d'un emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans (art. 46, paragr. 2). Le décret (art. 42, paragr. 1) autorisait l'internement pour la période de la loi martiale dans des camps d'internement. Le décret sur le non-lieu à l'encontre de certains crimes et délits dit "décret d'abolition" garantissait qu'en ce qui concerne les actions antérieures au 13 décembre 1981 aucune poursuite n'ait lieu contre des personnes en raison de leurs activités politiques menées avant le 13 décembre 1981.
  297. b) Suspension de la loi martiale
  298. 133. Le 18 décembre 1982, la Diète a adopté une loi portant modification de la loi sur la réglementation juridique particulière pendant la période de la loi martiale. Par une décision du 19 décembre, le Conseil d'Etat a suspendu la loi martiale à compter du 31 décembre 1982. Aux termes de l'article 1 de la loi adoptée par la Diète, certaines restrictions introduites par le décret du 12 décembre 1981 sur la loi martiale ont été levées. Il s'agissait en particulier des restrictions au droit de grève et de manifestation qui doit être exercé conformément aux lois en vigueur et de la suspension des activités des associations et des syndicats. Cependant, la participation, pendant la période de suspension de la loi martiale, à une grève, à une action de protestation ou à un rassemblement en violation de la législation justifiait la résiliation sans préavis de la relation de travail.
  299. c) Levée de la loi martiale
  300. 134. Par une décision du 20 juillet 1983, le Conseil d'Etat a levé la loi martiale à partir du 22 juillet 1983. La Diète a adopté, le 21 juillet 1983, une loi instituant un régime juridique particulier pendant la période tendant à surmonter la crise socio-économique et une loi d'amnistie, et a apporté certaines modifications à la Constitution, ainsi qu'au Code pénal.
  301. 135. La loi d'amnistie s'applique à un certain nombre d'infractions limitativement énumérées (art. 1). Sont couvertes par cette loi notamment les infractions commises pour des raisons politiques ou en relation avec une grève ou une action de protestation ainsi que les infractions commises lors d'activités dirigées contre des grèves ou des actions de protestation ou contre des atteintes collectives à la sécurité et à l'ordre public entreprises pour des motifs politiques.
  302. 136. En ce qui concerne les personnes bénéficiant de l'amnistie, la loi distingue plusieurs catégories, à savoir les personnes déjà condamnées, les personnes à l'égard desquelles la procédure pénale est entamée, mais dont le procès n'a pas encore eu lieu et les personnes contre lesquelles des poursuites ne sont pas encore engagées. La loi prévoit la remise de peine si l'auteur de l'infraction est une femme ou un mineur âgé de moins de vingt et un ans, ou si la peine infligée est égale ou inférieure à trois ans. S'agissant de peines supérieures à trois ans, celles-ci sont réduites de moitié. Dans les cas mentionnés ci-dessus les peines de confiscation des biens, dégradation et amendes sont cependant maintenues (art. 3 et 4 de la loi).
  303. 137. Concernant les auteurs d'infractions contre lesquels des poursuites sont engagées, mais qui ne sont pas encore condamnés, la procédure est annulée s'il découle des circonstances de l'affaire que la peine infligée serait remise. Exceptionnellement, le Tribunal suprême peut, sur demande du procureur général, mettre fin aux poursuites même dans des cas où une peine supérieure à trois ans aurait pu être infligée.
  304. 138. Au sujet des personnes qui, au moment de la levée de la loi martiale, n'étaient pas encore inculpées pour l'une ou plusieurs des infractions énumérées à l'article 1 de la loi, l'article 2 de celle-ci a établi que, si cette personne se présentait de son gré, jusqu'au 31 octobre 1983, auprès de l'organe compétent en matière de poursuites ou auprès de la représentation diplomatique ou consulaire de Pologne et déclarait cesser toute activité délictueuse et indiquait la nature, la date et le lieu de l'infraction commise, la procédure pénale ne serait pas entamée ou, si elle l'était déjà, elle serait annulée. Ce délai a été prorogé jusqu'au 31 décembre 1983.
  305. 139. Finalement, selon l'article 7 de la loi, si l'auteur d'un délit ayant bénéficié de l'amnistie commet au cours de la période allant jusqu'au 31 décembre 1985 un autre délit intentionnel semblable à celui pour lequel une peine privative de liberté lui avait été infligée, la décision d'amnistie est annulée. Dans ce cas, la procédure pénale est reprise et la peine annulée ou réduite devra être exécutée en tout ou en partie.
  306. 140. Les modifications apportées à la Constitution ont trait en particulier à l'article 33, qui distingue désormais deux situations: la loi martiale et l'état d'exception; le paragraphe 2 de l'article 33 permet au Conseil d'Etat de proclamer la loi martiale sur tout ou partie du territoire de la Pologne pour des considérations de défense ou de menace extérieure à la sécurité de l'Etat. Selon le nouveau paragraphe 3, le Conseil d'Etat peut proclamer l'état d'exception en cas de menace contre la sécurité intérieure de l'Etat ou de catastrophe.
  307. 141. La disposition principalement visée par les modifications apportées au Code pénal de 1969 est l'article 278 du code. L'ancien article 278 considérait comme une infraction la participation à une association ou organisation dont l'existence, la structure et les objectifs étaient secrets. Selon le nouvel article 278, est désormais considérée également comme une infraction, sous peine d'un emprisonnement de trois ans, la participation à une association ou organisation "dissoute ou à laquelle la personnalité juridique a été refusée". Par ailleurs, en vertu du nouvel article 282a, quiconque organise ou mène une action de protestation illégale est passible d'emprisonnement jusqu'à trois ans. En outre, selon le Code de procédure pénale, modifié le 28 juillet 1983, les actes visés par le chapitre 19 du Code pénal (crimes contre les intérêts politiques fondamentaux de la République populaire de Pologne) sont désormais placés sous la juridiction des tribunaux militaires.
  308. 142. La loi n° 176 du 21 juillet 1983 instituant un régime juridique particulier visant à surmonter la crise socio-économique a introduit des modifications à la loi sur les syndicats du 8 octobre 1982 et aux dispositions en matière de droit du travail.
  309. Loi sur les syndicats du 8 octobre 1982
  310. 143. Le 8 octobre 1982 - soit quelque dix mois après l'instauration de l'état de siège et deux mois avant la suspension de celui-ci -, la Diète a adopté une nouvelle loi sur les syndicats ainsi qu'une loi sur les organisations socioprofessionnelles d'agriculteurs. Quelques jours avant l'adoption de la loi sur les syndicats, les 5, 6 et 7 octobre, une délégation gouvernementale a rendu visite au BIT et a demandé un avis juridique au sujet de la conformité du projet de loi sur les syndicats avec les conventions nos 87 et 98. Le BIT a alors formulé des commentaires par écrit qui ont été transmis à la délégation et aux commissions de la Diète chargées de la préparation de la loi. Ces commentaires portaient sur les questions suivantes exclusion des fonctionnaires des établissements pénitentiaires du droit syndical; nombre minimum trop élevé de fondateurs et de membres d'une organisation syndicale; procédure de déclenchement de la grève (obligation de l'accord de la majorité des travailleurs) ; liste trop extensive des services essentiels où la grève est interdite; peines d'emprisonnement pour infraction aux dispositions sur le droit de grève; annulation de l'enregistrement des syndicats existants; calendrier pour la reprise des activités syndicales (pour les organisations de base, début 1983; pour les syndicats de branche, début 1984; pour les unions et organisations intersyndicales, début 1985; unicité syndicale au niveau de l'entreprise jusqu'à la fin 1984) ; protection contre les actes de discrimination antisyndicale définie de façon très générale; niveau de la négociation collective fixé au niveau de la branche d'activité. A la suite de ces commentaires, la Diète a apporté certains amendements au projet initial allant tous dans le sens de certaines des remarques formulées par le BIT, plus particulièrement sur les dispositions concernant le nombre minimum de membres d'un syndicat, la liste des services essentiels, la durée des dispositions transitoires sur l'unicité syndicale au niveau de l'entreprise, la discrimination antisyndicale. Toutefois, des dispositions fondamentales de la loi qui avaient fait l'objet de commentaires substantiels du BIT, notamment le retrait de l'enregistrement des syndicats existants, n'ont pas été modifiées.
  311. a) Reconnaissance du droit syndical
  312. 144. Selon la loi du 8 octobre 1982 (art. 1), les travailleurs ont le droit de constituer des syndicats et de s'y affilier. Ces syndicats sont autogérés (art. 1, paragr. 2) et indépendants des organes de l'administration de l'Etat et de l'administration économique (art. 2, paragr. 1). La loi couvre toute personne occupée en vertu d'un contrat de travail (art. 10). En outre, par un amendement introduit le 6 avril 1984, le droit syndical est accordé aux personnes travaillant à domicile ainsi qu'à celles occupées sur la base d'un contrat de gérance, à la condition qu'elles ne soient pas employeurs (art. 10 nouveau).
  313. 145. Aux termes de l'article 12, les soldats, les fonctionnaires de la milice civique et des services pénitentiaires n'ont pas le droit de constituer des syndicats et de s'y affilier.
  314. b) Constitution des organisations
  315. 146. La loi sur les syndicats dispose que le droit de constituer des syndicats est garanti sans qu'il soit nécessaire d'obtenir une autorisation préalable (art. 9). Le syndicat acquiert la personnalité juridique et le droit d'exercer des activités dès son enregistrement qui est effectué auprès du tribunal avec possibilité d'appel auprès du Tribunal suprême (art. 19). Un arrêté du Conseil des ministres du 15 octobre 1982 fixe la procédure à suivre concernant l'enregistrement. Il dispose notamment que le tribunal ne peut ordonner l'inscription au registre si celle-ci devait être annulée à cause du contenu de la demande ou était, pour d'autres raisons, incompatible avec les dispositions en vigueur ou avec la situation de fait (art. 12 de l'arrêté).
  316. 147. Le nombre minimum de membres fondateurs d'un syndicat est fixé à trente (art. 17), et le tribunal raiera le syndicat du registre si le nombre des membres demeure inférieur à cinquante pendant trois mois (art. 19). Toutefois, par un amendement introduit le 6 avril 1984, l'application des articles 17 et 19, paragraphe 4, alinéa 2, est suspendue jusqu'au 31 décembre 1985 (art. 53, paragr. 2 nouveau).
  317. 148. L'article 31 implique la possibilité du pluralisme syndical dans l'entreprise. Toutefois, aux termes de l'article 53, paragraphe 4 (dispositions transitoires), tel que le prévoyait la loi du 8 octobre 1982, pendant une période transitoire jusqu'au 31 décembre 1984, une seule organisation syndicale devait fonctionner dans l'entreprise. Ce délai a été prolongé par la suite, aux termes de la loi du 21 juillet 1983 instituant un régime juridique particulier pendant la période visant à surmonter la crise socio-économique, jusqu'à l'examen par le Conseil d'Etat de l'application de la loi, après consultation avec les syndicats et modifications éventuelles de la loi si besoin est. (Cet examen aura lieu au terme de trois ans à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi sur les syndicats et se situera en conséquence vers octobre 1985.)
  318. 149. Sur la base de cet article 53, paragraphe 4 (dispositions transitoires), le Conseil d'Etat a adopté, le 12 octobre 1982, une décision qui établit les principes et le mode de constitution des organisations syndicales dans les entreprises, entre autres en cas de pluralité de demande d'enregistrement d'un syndicat dans une entreprise. Cette décision dispose à cet égard que, au cas où plus d'un comité fondateur de la même entreprise présente une demande pour enregistrer un syndicat, le tribunal proposera à ces comités un arrangement et le dépôt d'une demande commune concernant l'enregistrement d'un seul syndicat. S'il n'y a pas une telle demande commune, le tribunal peut refuser aux comités fondateurs l'enregistrement du syndicat ou décider d'enregistrer celui des syndicats dont les fondateurs se sont déclarés disposés à un arrangement et au dépôt d'une demande commune d'enregistrement d'un seul syndicat (art. 6 de la décision).
  319. c) Elaboration des statuts et élection des dirigeants
  320. 150. La loi sur les syndicats précise en son article 1, paragraphe 2, que les syndicats peuvent de manière indépendante, conformément à la loi, adopter les statuts et autres règlements internes concernant les activités syndicales. La loi énumère un certain nombre de thèmes qui doivent être obligatoirement traités (art. 18).
  321. 151. Les statuts doivent être conformes à la Constitution et aux lois. En particulier, les syndicats doivent observer les principes de la propriété sociale des moyens de production, et reconnaître le rôle de direction du Parti ouvrier unifié polonais dans l'édification du socialisme, ainsi que les principes constitutionnels de la politique extérieure de la République populaire de Pologne (art. 3).
  322. 152. Les syndicats peuvent déterminer les principes d'élection de leurs comités directeurs et de leurs autres organes de direction (art. 1, paragr. 2).
  323. d) Activités et programme d'action
  324. 153. Les syndicats peuvent, de manière indépendante, conformément à la loi, établir leurs objectifs et leur programme d'action (art. 1). Ils représentent et défendent les droits et intérêts des travailleurs; leurs droits et devoirs sont régis par les articles 21-29; ils ont notamment le droit de conclure des conventions collectives à l'échelle nationale.
  325. 154. Le droit de grève est reconnu par la loi et réglementé dans le chapitre 5 de celle-ci (art. 33-45). Selon l'article 36, paragraphe 1, les syndicats ont le droit d'organiser des grèves selon les principes définis dans le chapitre 5. Ils peuvent également recourir à d'autres formes de protestation qui ne devront pas être contraires à l'ordre juridique et aux principes de la coexistence sociale (art. 36, paragr. 2). La grève consiste en la cessation collective volontaire du travail, dans le but de défendre les intérêts sociaux et économiques d'un groupe déterminé de travailleurs. Une grève à caractère politique n'est pas autorisée (art. 37, paragr. 5). La grève ne peut être déclarée qu'après l'épuisement de toutes les possibilités de règlement du différend (négociations, conciliation, arbitrage) (art. 33-35). En ce qui concerne l'arbitrage, il est précisé à l'article 35, paragraphe 5, que la décision de la Chambre d'arbitrage du Tribunal suprême est prise à la majorité des voix et que, si, avant de soumettre le différend à l'arbitrage de la Chambre, "aucune des parties n'en dispose autrement ", la sentence lie les parties. En vertu de l'article 38, la grève est proclamée par l'instance du syndicat d'entreprise après acceptation au scrutin secret de cette décision par la majorité des travailleurs et accord de l'organe supérieur du syndicat. La grève interentreprises est proclamée par l'instance syndicale indiquée dans les statuts. Un préavis de grève doit être soumis sept jours avant le déclenchement de celle-ci (art. 38, paragr. 4).
  326. 155. Aux termes de l'article 40 de la loi, le droit de grève n'est pas reconnu à certaines catégories de travailleurs employés dans certains secteurs (défense nationale, administration pénitentiaire, sapeurs-pompiers, alimentation, services de santé et d'assistance sociale, pharmacie, éducation, administration de l'Etat, banques, tribunaux, oléoducs et gazoducs, lignes de transit, installations liées au transport, radio et télévision) (art. 40, paragr. 2). Dans d'autres secteurs (chemins de fer, entreprises de transports, unités organiques de liaison, établissements approvisionnant la population en eau, énergie électrique, chauffage et gaz), la grève est admise sous réserve pour les travailleurs d'assurer un " service minimum " pour la défense et la sécurité de l'Etat et pour la satisfaction des besoins fondamentaux de la population (art. 40, paragr. 3).
  327. 156. Quiconque à l'égard du poste occupé ou de la fonction exercée manque à son devoir ou, de toute autre façon, enfreint les dispositions de la loi est passible d'une amende allant jusqu'à 50 000 zlotys (art. 46). Quiconque dirige une grève contrairement aux dispositions de la loi est passible d'une peine de prison allant jusqu'à un an, d'une peine restrictive de liberté ou d'une amende allant jusqu'à 50 000 zlotys (art. 47)'Z.
  328. e) Dissolution des organisations existantes
  329. 157. Aux termes de l'article 52 de la loi, l'enregistrement des syndicats existants est annulé.
  330. 158. En vertu de l'article 54 de la loi, les biens des syndicats qui existaient avant son entrée en vigueur passent pendant une période transitoire sous administration provisoire dont l'organisation est fixée par arrêté du Conseil des ministres. Un arrêté du Conseil des ministres du 15 octobre 1982 a organisé l'administration provisoire des biens. Peu après, un arrêté du 27 décembre 1982 a déterminé les principes et la procédure de transfert des biens des anciens syndicats. Cet arrêté dispose notamment que les biens des anciens syndicats sont transmis aux syndicats exerçant leurs activités dans les entreprises après le 31 décembre 1982.
  331. f) Constitution des organisations de degré supérieur et affiliation à des organisations internationales
  332. 159. Les syndicats ont le droit de former des associations et organisations intersyndicales. Les dispositions de la loi s'appliquent par analogie à ces associations et organisations (art. 20).
  333. 160. Selon l'article 53 de la loi (dispositions transitoires), les organisations syndicales à l'échelle nationale et les associations et organisations intersyndicales ne peuvent fonctionner respectivement qu'à partir du début 1984 et début 1985, délai pouvant être abrégé par le Conseil d'Etat. Concernant les organisations syndicales nationales, le Conseil d'Etat a adopté, le 12 avril 1983, une décision sur les " principes et la procédure de constitution " de ces organisations. Aux termes de cette décision, les travailleurs occupés dans une branche d'activité, une catégorie d'emploi ou une profession déterminées qui sont affiliés à une organisation syndicale d'entreprise peuvent constituer une organisation syndicale à l'échelon national (art. 1, paragr. 1). De même, les syndicats d'entreprise pour une branche d'activité, une catégorie d'emploi ou une profession déterminées peuvent constituer une organisation syndicale à l'échelon national (art. 1, paragr. 2).
  334. 161. Les syndicats peuvent adhérer à des organisations syndicales internationales afin de représenter les intérêts professionnels et sociaux de leurs membres devant la communauté internationale et d'oeuvrer au renforcement de la solidarité internationale des travailleurs et à la généralisation du progrès et de la justice sociale (art. 8).
  335. g) Protection contre la discrimination antisyndicale
  336. 162. Aux termes de l'article 4, paragraphe 2, de la loi sur les syndicats, les principes de la protection de l'emploi des travailleurs remplissant des fonctions auxquelles ils ont été élus dans les instances syndicales sont définis par les dispositions du Code du travail. Le Code du travail de 1974 a prévu deux modes de résiliation du contrat d'un travailleur, à savoir la résiliation avec préavis et la résiliation sans préavis. En ce qui concerne la résiliation du contrat avec préavis, le Code du travail (art. 39) établit qu'un établissement ne mettra pas fin à un contrat si la personne visée est un membre du comité d'entreprise ou un représentant syndical. En cas de résiliation du contrat sans préavis, le code (art. 52) dispose que, si la personne visée est un membre du conseil d'entreprise ou un représentant syndical, l'assentiment de l'organe syndical immédiatement supérieur sera nécessaire pour résilier son contrat de travail.
  337. 163. La loi du 21 juillet 1983 sur le régime juridique particulier pendant la période tendant à surmonter la crise socio-économique dispose qu'une entreprise ne peut conclure un contrat de travail que sur présentation d'un certificat de travail tel que prévu à l'article 97 du Code du travail. Ce certificat mentionne la manière dont la relation de travail a pris fin ou les circonstances dans lesquelles elle a été rompue. L'entreprise publique concluant un contrat avec un travailleur licencié sans préavis, de par sa faute, par l'entreprise dans laquelle il travaillait antérieurement ou qui a abandonné son travail, ne peut accorder à ce travailleur que le taux de salaire le plus bas prévu pour ce poste dans l'échelle des salaires en vigueur, et cela pendant un an; exceptionnellement, ce délai peut être réduit à six mois après avis de l'organisation syndicale d'entreprise (art. 3). Toute contravention à ces dispositions est passible d'amende de 10 000 à 20 000 zlotys (art. 7).
  338. 164. Les articles 1 et 6 de la loi établissent que dans les entreprises d'une importance fondamentale pour l'économie nationale ou la défense de l'Etat et dans les services publics et autres entreprises satisfaisant les besoins de la population, déterminés par le Conseil des ministres, les normes en matière de temps de travail peuvent être augmentées par le directeur de l'entreprise et qu'elles s'imposent aux travailleurs au lieu des normes établies conformément au droit du travail. Dans ces mêmes entreprises, lorsqu'un travailleur souhaite cesser son travail, le directeur de l'entreprise pourra exiger la prolongation du délai de préavis au-delà de l'échéance prévue par le droit du travail jusqu'à une période de six mois (art. 2). Lorsque, dans les entreprises, l'activité de l'organe d'autogestion est contraire à l'ordre juridique ou à l'intérêt social, ses activités peuvent être suspendues pour une période allant jusqu'à six mois et, si besoin est, l'organe peut être dissous (art. 9, paragr. 2).
  339. 165. En vertu de l'article 13, paragraphe 3, de la loi, l'enseignant qui commet un délit particulièrement préjudiciable à la société ou contraire à des intérêts importants de la République populaire de Pologne ou contre lequel une procédure en violation de l'ordre public a été introduite peut être suspendu. Selon l'article 14 de la loi, si l'enseignant s'engage dans des activités incompatibles avec la loi ou avec ses fonctions fondamentales, pédagogiques et éducatives, il peut être suspendu, transféré ou licencié.
  340. 166. La loi du 26 octobre 1982 sur la procédure envers les personnes réfractaires au travail oblige tout citoyen adulte, âgé de dix-huit à quarante-cinq ans, sans emploi depuis trois mois, qui ne poursuit pas d'études et qui n'est pas enregistré en tant que demandeur d'emploi, à se présenter à l'instance administrative locale pour s'y expliquer sur les motifs de son inactivité. Les personnes en question sont inscrites sur un registre. Une enquête administrative suit, devant déterminer si les raisons de cette inactivité sont "socialement justifiées ou injustifiées". La personne qui se soustrait obstinément au travail ou aux études pour des raisons socialement non justifiées et vit à partir de sources de revenus non révélées ou contraires aux principes de la coexistence sociale est sujette à l'inscription sur la liste des personnes se soustrayant obstinément au travail: cette personne peut être obligée d'effectuer des travaux d'intérêt public dans des cas de force majeure ou de fléau naturel représentant un sérieux danger pour les conditions d'existence de l'ensemble ou d'une partie de la population. Cette loi a été complétée par des dispositions figurant dans la loi du 21 juillet 1983. Aux termes de l'article 12, paragraphe l, l'obligation de travailler peut être imposée en vue d'éliminer le risque de paralysie dans le fonctionnement des services essentiels à la satisfaction des besoins fondamentaux d'existence de la population. Quiconque ne se présente pas pour exécuter les travaux d'utilité publique ou est réfractaire à l'exécution de ces travaux est passible d'une peine de privation de liberté jusqu'à deux ans (art. 12, paragr. 3).
  341. h) Droit de négociation collective
  342. 167. Les syndicats ont le droit de conclure des conventions collectives de portée nationale qui s'appliquent à tous les travailleurs de la branche donnée (art. 23 de la loi sur les syndicats). En outre, une loi du 26 janvier 1984 a prévu la possibilité de mettre en oeuvre le système de rémunération dans les entreprises sur la base d'accords élaborés par le directeur de l'entreprise et l'organe compétent de l'organisation syndicale de l'entreprise, après consultation du conseil d'autogestion et approbation de l'assemblée générale des travailleurs et, à défaut de conseil d'autogestion, après approbation de la majorité du personnel (art. 4 de la loi sur les principes de création des systèmes de rémunération dans les entreprises).
  343. Loi du 8 octobre 1982 sur les organisations socioprofessionnelles des agriculteurs
  344. 168. Les dispositions de cette loi concernent le droit d'organisation des agriculteurs. Les exploitants agricoles et les membres de leur famille et les autres personnes ayant un lien direct avec l'agriculture peuvent s'associer dans des organisations socioprofessionnelles dont le but est de défendre les intérêts professionnels des exploitants agricoles (art. 1).
  345. 169. Les organisations des agriculteurs peuvent prendre différentes formes selon la loi: cercles agricoles, associations agricoles par branche, fédérations d'exploitants agricoles, de cercles agricoles et d'organisations agricoles, fédérations des associations agricoles par branche, fédération nationale des exploitants agricoles, des cercles agricoles et des organisations agricoles. Les femmes en milieu rural peuvent également fonder des clubs de ménagères rurales.
  346. 170. Les organisations sont enregistrées par le tribunal de district compétent pour l'organisation (art. 36).
  347. 171. Un certain nombre de questions doivent être traitées dans les statuts; la loi permet aux organisations de déterminer dans leurs statuts les principes d'élection des dirigeants (art. 16 et 34).
  348. 172. La loi prévoit que les organisations d'exploitants agricoles se regroupent au sein de la Fédération nationale des exploitants agricoles, des cercles agricoles et des organisations agricoles, nommément désignée par la loi comme l'organisme supérieur, représentant les exploitants agricoles, doté de la personnalité juridique (art. 33) et enregistré par le Tribunal de la voïvodie de Varsovie (art. 36). En ce qui concerne les associations agricoles par branche, elles peuvent créer des fédérations d'associations agricoles par branche (au niveau du district, de la province, de la région et sur l'ensemble du territoire national) (art. 31 et 32). Celles-ci peuvent s'associer, sur une base volontaire, à la fédération nationale (art. 31, paragr. 3).
  349. 173. La loi énonce les droits et obligations des organisations d'exploitants agricoles (chap. 2). Celles-ci représentent les besoins et intérêts professionnels et sociaux des exploitants agricoles et participent à certaines activités énumérées par la loi (art. 4), les organes du gouvernement ayant l'obligation de collaborer avec les organisations et de faire connaître leur point de vue sur les propositions de ces dernières. Si les organisations ne sont pas satisfaites des points de vue exprimés par le gouvernement, elles ont le droit de soumettre une objection qui peut être suivie d'une procédure de conciliation et d'arbitrage (art. 6-8). Si un accord se révèle impossible et si le cas porte sur les droits et intérêts fondamentaux des exploitants agricoles, la loi accorde à l'organisation d'exploitants agricoles à titre de mesure exceptionnelle un "droit d'action de protestation" (art. 9), une telle action ne pouvant être entreprise qu'en vertu d'une décision majoritaire des membres et avec l'assentiment de la direction de l'organisation supérieure. Une action de protestation ne devra pas mettre en danger la vie ou la santé d'êtres humains, et il est illégal d'interrompre la livraison de denrées alimentaires nécessaires pour satisfaire les besoins de la population ou les besoins de la sécurité de l'Etat.
  350. Loi du 16 septembre 1982 sur la représentation des employés de l'Etat
  351. 174. Une loi a été adoptée le 16 septembre 1982 en vue de régler les principes de représentation des employés de l'Etat. Conformément à l'article 40 de cette loi, les employés de l'administration d'Etat ont le droit de s'affilier au syndicat des travailleurs de l'administration de l'Etat, à l'exception des employés occupant des postes de haute responsabilité dont les activités sont considérées, en règle générale, comme liées à la formation d'une politique ou exerçant des fonctions de direction, et des employés dont les tâches ont, dans une grande mesure, un caractère confidentiel. Un arrêté n° 27 du Premier ministre du 25 novembre 1982 détermine les postes dans l'administration de l'Etat pour lesquels le droit de s'affilier au syndicat est refusé et permet en outre aux chefs d'administration d'établir une liste des postes de rang équivalant à ceux mentionnés dans l'arrêté pour lesquels le droit de se syndiquer est également refusé.
  352. 175. Ces employés exclus du droit syndical peuvent, tout comme d'autres travailleurs n'appartenant pas au syndicat, créer des conseils de travailleurs. Les conseils ont pour tâche de protéger et de représenter, auprès des directions de l'administration, les intérêts sociaux et professionnels des employés formant ces conseils.
  353. 176. Les principes et le champ de la coopération entre les directions et les conseils des travailleurs sont énoncés dans l'arrêté du Conseil des ministres du 8 novembre 1982. Les conseils des travailleurs doivent être consultés sur de nombreuses questions intéressant le personnel, et notamment sur les rémunérations et les conditions de travail.
  354. CHAPITRE 8
  355. ACCORDS DE GDANSK, INSTAURATION DU PLURALISME SYNDICAL, PROGRAMME DE SOLIDARITE
  356. 177. Avant de procéder à l'analyse des allégations et des informations à sa disposition, la commission croit utile de se référer à certains des faits importants ayant caractérisé la situation syndicale entre août 1980 et décembre 1981 et qui ont trait à la conclusion des accords de Gdansk, Szczecin et des mines de Silésie, à la création de Solidarité, à l'instauration du pluralisme syndical, à la participation d'une délégation pluraliste de travailleurs polonais, conduite par le président de Solidarité, M. Lech Walesa, en qualité de délégué travailleur, à la 67ème session de la Conférence internationale du Travail (juin 1981) et au programme adopté par Solidarité en octobre 1981.
  357. Accords de Gdansk (31 août 1980)
  358. 178. Les accords conclus en août-septembre 1980 entre le gouvernement polonais et les comités de grève interentreprises des régions de Szczecin, de Gdansk et de Silésie portaient sur un nombre de revendications ouvrières, dont celle de pouvoir fonder des syndicats libres et indépendants du parti et des employeurs, conformément à la convention n° 87 de l'OIT.
  359. 179. Dans les paragraphes qui suivent seront examinées les dispositions des accords de Gdansk.
  360. 180. Les accords de Gdansk portaient notamment sur les points suivants:
  361. - la constitution et le rôle des syndicats nouveaux;
  362. - la garantie du droit de grève, la sécurité des grévistes, le paiement partiel des jours de grève;
  363. - le respect de la liberté d'expression dans la vie publique et professionnelle et de la liberté de publication, garanties par la Constitution;
  364. - le rétablissement des droits des personnes licenciées après les grèves de 1970 et 1976, des étudiants exclus des hautes écoles, la libération des prisonniers politiques;
  365. - la préparation d'une réforme économique;
  366. - le principe du choix des cadres basé sur la qualification et les compétences parmi les membres du POUP (Parti ouvrier unifié polonais), du SD (Parti démocrate, regroupant en principe les petits artisans privés), du ZSL (Parti paysan unifié) et les sans-parti;
  367. - un programme d'égalisation des allocations familiales pour tous les groupes professionnels;
  368. - l'augmentation graduelle des salaires de base, l'échelle mobile des salaires;
  369. - l'augmentation des retraites et pensions;
  370. - l'augmentation des frais de déplacement;
  371. - l'amélioration de la protection médicale;
  372. - l'analyse des possibilités d'allonger le congé de maternité payé;
  373. - l'augmentation du nombre des places dans les crèches et écoles maternelles;
  374. - la réduction du délai d'attente pour l'attribution d'un appartement par l'amélioration de la situation immobilière.
  375. 181. Plus spécifiquement au sujet des nouveaux syndicats, les accords de Gdansk soulignaient que l'activité des syndicats en Pologne n'avait pas répondu aux espoirs et aux aspirations des travailleurs et indiquaient que la création de syndicats nouveaux et autogérés, représentation authentique de la classe laborieuse, serait utile. Le gouvernement s'est engagé à prendre les initiatives nécessaires pour introduire le pluralisme syndical dans la législation, à créer les conditions permettant l'enregistrement des nouveaux syndicats en dehors du Conseil central des syndicats, à garantir et à assurer le plein respect de l'indépendance et de l'autogestion des nouveaux syndicats ainsi que leur protection contre toute discrimination, conformément aux conventions nos 87 et 98 de l'OIT. Le gouvernement s'est également engagé à assurer les conditions nécessaires à la réalisation des fonctions des nouveaux syndicats: il a été entendu que ceux-ci devaient avoir la possibilité réelle d'intervenir dans les décisions clés qui déterminent les conditions de vie des ouvriers en ce qui concerne les principes de la répartition du revenu national entre consommation et investissement, la répartition du fonds de consommation sociale, les principes de base des rémunérations et l'orientation de la politique des salaires, le plan économique à long terme, l'orientation de la politique des investissements et les modifications de prix.
  376. 182. Le comité de grève s'est engagé à ce que les nouveaux syndicats respectent les principes définis dans la Constitution. Il a déclaré que les syndicats défendraient les intérêts sociaux et matériels des ouvriers et n'avaient pas l'intention de jouer un rôle de parti politique, qu'ils se fondent sur le principe de la propriété sociale des moyens de production, base du système socialiste existant en Pologne, reconnaissent que le POUP joue un rôle dirigeant dans l'Etat, ne s'opposent pas au système existant des alliances internationales et veulent assurer aux travailleurs les moyens convenables de contrôle, d'expression et de défense de leurs intérêts.
  377. 183. Au sujet du droit de grève, le gouvernement s'est engagé à garantir ce droit dans la nouvelle loi sur les syndicats, qui définirait les conditions régissant la proclamation et l'organisation des grèves, les méthodes de résolution des conflits et les pénalités en cas de violation de la loi. Le gouvernement garantissait aux grévistes et aux personnes qui les aidaient la sécurité personnelle et le maintien de leurs conditions de travail.
  378. Enregistrement de Solidarité (10 novembre 1980)
  379. 184. Le 8 octobre 1980, la Diète polonaise adopta une loi portant modification de la loi sur les syndicats de 1949 et permettant à un syndicat d'effectuer son enregistrement en dehors du registre tenu par le Conseil central des syndicats. Le syndicat Solidarité, créé à la fin du mois d'août 1980, rencontra des difficultés lors de son enregistrement, qui fut confirmé le 10 novembre 1980 par le Tribunal suprême sur la base des statuts élaborés par le syndicat et des amendements apportés par celui-ci et qui consistaient à annexer aux statuts une partie des accords de Gdansk et le texte des conventions n° 87 et 98.
  380. 67ème session de la Conférence internationale du Travail (juin 1981)
  381. 185. Au cours de la 67ème session de la Conférence internationale du Travail (juin 1981), M. Januz Obodowski, ministre du Travail, des Salaires et des Affaires sociales de la Pologne, ainsi que M. Lech Walesa, délégué des travailleurs polonais, se sont adressés à la Conférence.
  382. 186. M. J. Obodowski s'est référé au processus de renouveau en Pologne, caractérisé par la création de nouvelles formes institutionnelles qui assuraient une participation effective des travailleurs à la gestion du pays et de son économie. Il a indiqué que, dans ce contexte, un rôle particulier revenait au mouvement syndical et s'est référé au projet de nouvelle loi sur les syndicats soumis à la Diète. Il a souligné que la situation de l'économie pourrait être améliorée par un effort commun de toute la nation au fur et à mesure que se développerait une coopération constructive entre les syndicats et l'administration d'Etat. En parlant de " coopération ", le ministre a indiqué qu'il pensait à un partnership, à l'esprit de participation. La coopération pourrait être facilitée notamment par la réforme du système de gestion des entreprises basée sur les principes d'autonomie et de rentabilité, prévoyant également que les salaires des travailleurs seraient fonction des résultats économiques obtenus. M. Obodowski a indiqué que les travailleurs pourraient alors adopter une attitude différente à propos des grèves et le gouvernement pourrait envisager des négociations car il n'y avait pas de problèmes qu'on ne pût résoudre par le dialogue. Il a relevé que le gouvernement et les syndicats s'attachaient à instituer des relations entre partenaires, accumuler des expériences et trouver des solutions dans un cadre institutionnel.
  383. 187. Dans son discours, M. Lech Walesa a rappelé les circonstances dans lesquelles s'était déroulé l'enregistrement de Solidarité. Il s'est également référé à l'enregistrement, le 12 mai 1981, du Syndicat indépendant des agriculteurs individuels Solidarité, rassemblant quelques millions de paysans propriétaires de fermes agricoles familiales. Ainsi ont été posés, selon lui, les fondements d'une union véritable des travailleurs et des paysans ainsi qu'une coopération durable de tous les travailleurs en Pologne. M. Lech Walesa a relevé que Solidarité était né de la protestation et qu'en appliquant les méthodes traditionnelles de lutte ouvrière il a contribué de manière décisive à amorcer une profonde transformation de la vie sociale et politique de la Pologne. Quoique ces changements n'en fussent qu'à leur début, nul ne doutait qu'il n'y avait plus de retour aux anciennes méthodes pour gouverner le pays et diriger son économie. Faisant référence à la crise économique difficile que traversait la Pologne à la suite des erreurs politiques et économiques commises par les dirigeants au cours des années antérieures, M. Lech Walesa a indiqué en substance que le syndicat Solidarité s'était déclaré prêt à coopérer à la mise en oeuvre de chaque programme rationnel visant à surmonter la crise et à la transformation des structures existantes de l'organisation de l'économie et de la vie sociale du pays. Le syndicat était pleinement conscient du fait que la solution des difficultés exigerait des sacrifices de chaque Polonais, même s'il ne portait aucune responsabilité dans l'effondrement de l'économie; il avait été recommandé à toutes les instances de Solidarité de ne pas entreprendre de nouvelles actions de grève. Le syndicat allait cependant lutter pour assumer les intérêts vitaux des couches de la population les plus défavorisées sur le plan économique.
  384. Programme de Solidarité (Gdansk, octobre 1981)
  385. 188. Le 7 octobre 1981, le premier congrès de Solidarité, réuni à Gdansk, a adopté un certain nombre de thèses constituant le programme de Solidarité. Le congrès a souligné que Solidarité formait une organisation alliant les traits d'un syndicat et d'un grand mouvement social, l'union de ces traits déterminant la force de l'organisation et son rôle dans la vie de la nation. Le programme était présenté comme un programme à long terme, passant par la résolution de questions immédiates: il était considéré d'abord comme un programme d'actions rapides pour traverser la période hivernale et, en même temps, comme un programme de réformes économiques qu'il n'était pas possible de remettre à plus tard, un programme politique et social, de reconstruction de la vie publique du pays, un programme menant à une république autogérée. Le congrès a souligné que Solidarité voulait mener son action de grand changement sans violer les alliances internationales.
  386. 189. Les thèses élaborées par le congrès portaient notamment sur la politique économique, la protection du travail, la politique sociale, la protection de la santé et de l'environnement, le développement de la culture et de l'éducation, la vie syndicale, la défense des libertés publiques et l'autogestion des travailleurs au niveau de l'entreprise, de la région et de l'Etat.
  387. 190. Face à la crise et à la situation économique, Solidarité revendiquait la mise en place d'une réforme autogestionnaire et démocratique à tous les niveaux du pouvoir de décision, d'un nouvel ordre socio-économique conciliant plan, autogestion et marché. Dans ce cadre, Solidarité estimait nécessaire une séparation entre les organes administratifs de l'économie et le pouvoir politique, la création d'entreprises sociales, la liberté d'action des entreprises dans le marché intérieur, à l'exception des domaines exigeant un plan, une planification humanisée. Selon le syndicat, il fallait freiner la chute de la production, afin de protéger le niveau de vie des travailleurs; il reconnaissait qu'un accroissement de la production et de l'offre, principaux moyens pour rétablir l'équilibre du marché, devait s'accompagner d'une diminution de la demande, pouvant être réalisée, entre autres, par des hausses progressives de prix. Selon Solidarité, c'est la population qui devait décider des méthodes à appliquer pour rétablir l'équilibre et contrôler sa réalisation, notamment à travers la création d'un conseil social pour l'économie nationale. La réforme économique risquant d'entraîner de grandes différences de salaire d'une entreprise et d'une région à une autre, le syndicat estimait nécessaire de créer les conditions pour les aplanir. Conformément aux accords de Gdansk, il se proposait de demander notamment la reconnaissance d'un minimum vital comme critère de la politique des revenus et s'engageait à défendre les plus faibles revenus des conséquences de la crise. Considérant l'alimentation de la population comme une question de premier ordre, il en demandait la réglementation jusqu'à ce que les pénuries soient surmontées, afin de garantir à chaque citoyen un minimum indispensable de consommation. Conscient que l'hiver pouvait constituer une menace pour la population vu l'état de décomposition de l'économie, il demandait des actions immédiates dans l'économie et se proposait d'organiser une entraide sociale à l'échelon régional comme au niveau de l'entreprise.
  388. 191. Un autre des thèmes abordés par le congrès de Gdansk était celui de la protection du travail: garantie du droit au travail, à une relation digne avec l'employeur, à la sécurité du travail et à la sauvegarde de la santé du travailleur, droit à un juste salaire. Le syndicat estimait nécessaire de réaliser une profonde réforme de la législation du travail, du système de la sécurité sociale. Il se proposait, entre autres, d'élaborer et d'éditer un recueil des lois concernant la sécurité et l'hygiène du travail.
  389. 192. Le programme de Solidarité consacrait une place importante à la politique sociale que le syndicat entendait défendre et qui portait, en particulier, sur le droit de la famille à satisfaire ses besoins fondamentaux et à se développer dans un sentiment de sécurité; à cet égard, le syndicat demandait notamment la suppression du travail de nuit des femmes, conformément aux normes pertinentes de l'OIT, et l'uniformisation, conformément aux accords de Gdansk, des principes d'attribution des allocations familiales pour toutes les catégories socioprofessionnelles. Le syndicat se proposait de défendre les droits des personnes âgées, des handicapés, des malades incurables. Il demandait la mise en place d'un système général et homogène des retraites et pensions et se proposait de développer l'aide sociale à domicile pour les personnes âgées et les invalides et à combattre la discrimination des handicapés.
  390. 193. Dans son programme, Solidarité a consacré de larges développements à la protection de la santé et de l'environnement. En matière de santé, le syndicat considérait comme prioritaires la protection de la maternité, de la santé des enfants et des adolescents, la garantie de l'approvisionnement en médicaments et celle de bonnes conditions sanitaires dans les hôpitaux et dispensaires, la protection de la santé psychique, l'aide médicale aux personnes âgées; il préconisait des mesures pour améliorer la situation en matière de logement et aménager le temps libre pour une meilleure organisation du travail.
  391. 194. Selon Solidarité, les réformes économiques et sociales devaient consister non seulement dans une amélioration matérielle, mais aussi dans le développement de la culture et de l'éducation de la population, en particulier de la jeunesse.
  392. 195. Dans le domaine de l'information, il critiquait la censure des moyens de communication de masse et revendiquait l'accès à la radio et à la télévision.
  393. 196. Une partie du programme de Gdansk était consacrée à la vie démocratique interne du syndicat et aux moyens permettant de réaliser les aspirations des membres du syndicat (obligation de négociation; en cas d'échec: manifestations, actions de protestation et grèves). Il était précisé qu'en raison de la situation économique ces dernières étaient considérées comme la forme ultime d'action.
  394. 197. Une autre partie du programme était consacrée aux réformes de la vie publique destinées à introduire l'autogestion, la démocratie et le pluralisme des opinions sociales, politiques et culturelles, base de la démocratie dans une république autogestionnaire. Le syndicat considérait que les principes du pluralisme devaient s'appliquer à la vie politique et au mouvement syndical. D'après Solidarité, le système qui liait le pouvoir politique et économique et s'appuyait sur une ingérence continuelle du parti dans le fonctionnement des entreprises était la cause principale de la crise économique. Pour y remédier, le congrès préconisait une forme authentique d'autogestion des travailleurs dans l'entreprise. Il demandait également la constitution d'authentiques autorités régionales désignées par des élections libres, une structure autogérée au plus haut niveau de l'Etat ainsi qu'un changement dans le système électoral permettant aux partis politiques, aux organisations sociales et aux associations de présenter librement des candidats à la Diète. Le congrès s'opposait à ce que les responsables en titre de Solidarité créent des organisations ayant le caractère de partis politiques.
  395. 198. Selon Solidarité, le système juridique devait garantir les libertés publiques fondamentales et la justice devait être indépendante; le syndicat s'engageait à prendre la défense des personnes poursuivies pour leurs convictions politiques, leurs activités syndicales, politiques et civiques.
  396. 199. Le programme de Solidarité devait, selon ses auteurs, aboutir à un nouveau contrat social: un contrat anticrise, un contrat de réforme économique, un contrat pour une république autogestionnaire. Le congrès s'est déclaré prêt à un dialogue honnête et loyal avec les autorités, à chercher des solutions qui seraient utiles au pays et qui réaliseraient les aspirations professionnelles et civiques des travailleurs.
  397. CHAPITRE 9
  398. SUSPENSION DES ACTIVITES SYNDICALES ET DISSOLUTION DES SYNDICATS
  399. 200. Dans la plainte soumise en vertu de l'article 26 de la Constitution, les plaignants ont allégué qu'à la suite de la proclamation de la loi martiale en Pologne, le 13 décembre 1981, les activités des organisations syndicales ont été suspendues, en violation des articles 3 et 4 de la convention n° 87. En outre, à la suite de l'adoption de la loi sur les syndicats du 8 octobre 1982, il a été allégué que l'article 52 de la loi a entraîné la dissolution de tous les syndicats existants, en contradiction avec les dispositions de la convention.
  400. 201. Selon la documentation soumise par les plaignants, l'instauration de la loi martiale eut pour objectif, bien que cela ne fût pas proclamé officiellement, la liquidation du mouvement des syndicats indépendants et autogérés, et avant tout de Solidarité, dont les activités menaçaient, d'après le pouvoir, tout le régime politique établi en Pologne. La destruction des structures syndicales existantes a été menée en deux temps après l'instauration de la loi martiale. Dans une première phase, aux termes du décret du 12 décembre 1981 sur la loi martiale, l'activité de tous les syndicats a été suspendue. Les militants et les membres de Solidarité ont été l'objet de persécutions et de répressions multiples. Dans une seconde phase, les syndicats existants ont été dissous en vertu de la nouvelle loi sur les syndicats adoptée par la Diète le 8 octobre 1982.
  401. 202. Dans ce chapitre seront examinés successivement la question de la suspension des activités syndicales à la suite de la proclamation de la loi martiale, la dissolution des syndicats par la loi du 8 octobre 1982 et le sort des biens des syndicats.
  402. Suspension des activités syndicales
  403. 203. Le 13 décembre 1981, le Président du Conseil des ministres de la République populaire de Pologne, se fondant sur l'article 15 du décret du 12 décembre 1981 sur la loi martiale, a suspendu l'activité de tous les syndicats existants, y compris Solidarité.
  404. 204. Il convient en premier lieu de signaler les raisons invoquées par le gouvernement de la Pologne pour justifier la déclaration de la loi martiale et la suspension des activités des syndicats. Ensuite, on rappellera la position de certains représentants de Solidarité rencontrés par le représentant du Directeur général lors de sa mission en Pologne en mai 1982. Enfin, seront examinés les arguments développés par les plaignants et dans les informations et témoignages présentés à la commission.
  405. Position du gouvernement de la Pologne quant aux causes de la suspension
  406. 205. Dans sa réponse du 30 décembre 1981 au message que lui avait adressé le Directeur général du BIT le 14 décembre 1981, le gouvernement de la Pologne a déclaré que les activités des syndicats en Pologne avaient été temporairement suspendues en raison de l'instauration de la loi martiale sur l'ensemble du territoire national, conformément à l'article 33, paragraphe 2, de la Constitution de la République populaire de Pologne. Cette mesure était devenue indispensable en vue de prévenir la guerre civile, de s'opposer aux symptômes de l'anarchie et du chaos économique qui exposaient au danger les intérêts fondamentaux de la nation et de l'Etat polonais. Le seul but de cette mesure était de créer une garantie pour la démocratisation profonde de la vie sociopolitique du pays.
  407. 206. Le gouvernement a ajouté que les activités des syndicats seraient rétablies dès que disparaîtraient les causes qui avaient motivé leur suspension. Il affirmait également qu'il y avait une place, dans le système socio-économique de la Pologne, pour des syndicats autogérés et réellement indépendants.
  408. 207. Dans une lettre du 17 février 1982, le ministre du Travail, des Salaires et des Affaires sociales a affirmé que les mesures prises ne visaient aucunement les intérêts des syndicats, y compris Solidarité, mais constituaient des mesures préventives pour protéger l'existence de la nation, la sécurité des habitants et pour échapper à une crise profonde. Les limitations seraient levées au fur et à mesure que la situation se stabiliserait.
  409. 208. Les 18 et 19 février 1982, une délégation du ministère du Travail, reçue par le Directeur général, rappela que les buts de l'introduction de la loi martiale étaient d'écarter le danger imminent d'une guerre civile et de rétablir le calme et l'ordre public, d'assurer le fonctionnement normal de l'administration d'Etat et de sauvegarder l'économie nationale de l'effondrement. Le développement de la situation en Pologne avant le 13 décembre 1981 comportait également de graves répercussions sur la sécurité européenne et la paix mondiale.
  410. 209. Les mesures extraordinaires prises dans le cadre de la loi martiale dans les divers domaines de la vie du pays touchaient également - conformément au décret du Conseil d'Etat proclamant la loi martiale - la suspension temporaire ou la limitation de certains droits civiques fondamentaux, y compris la suspension de l'activité des syndicats. Selon la délégation, au cours des mois écoulés, le syndicat Solidarité avait outrepassé clairement non seulement le cadre des accords d'août 1980 mais également celui de ses propres statuts, approuvés par le Tribunal suprême le 10 novembre 1980. Aux termes de ses statuts, Solidarité avait pris l'engagement de mener ses activités en tant qu'organisation syndicale dans le cadre de la Constitution nationale tout en respectant les alliances internationales conclues. Malgré cela, depuis un certain temps, des éléments extrémistes au sein de la direction de Solidarité avaient pris le dessus, sous l'influence des organisations politiques agissant illégalement. Ces éléments orientaient l'activité de Solidarité et de Solidarité rurale sur la voie des actions de caractère politique et tendaient toujours plus ouvertement - en exploitant les syndicats - à la prise du pouvoir en Pologne et au renversement du système politique établi constitutionnellement. Cette tendance était apparue déjà au premier congrès de Solidarité. Elle avait dominé les travaux du Présidium de la commission nationale de Solidarité, ce qui s'était reflété nettement dans les décisions prises à Radom le 3 décembre 1981. Les décisions prises par la commission nationale de Solidarité le 12 décembre 1981 à Gdansk allaient encore plus loin dans cette voie. Ces décisions ayant un caractère d'ultimatum à l'adresse des autorités incitaient à une confrontation politique avec, entre autres, la préparation pour le 17 décembre 1981 de rassemblements de masse sur les places publiques, notamment à Varsovie et Gdansk.
  411. 210. Indépendamment de sa transformation en mouvement politique, Solidarité, sans tenir compte des réalités économiques de la Pologne, avait exploité tout au long de l'année 1981 sa position pour imposer - sous la menace de grèves sous différentes formes - des concessions successives dans des domaines tels que l'augmentation des salaires, le relèvement des charges sociales, la réduction de la durée du travail, etc. Du point de vue économique, des pertes énormes avaient été occasionnées par la pression des instances syndicales de Solidarité.
  412. 211. Face à une atmosphère politique extrêmement tendue en novembre et décembre 1981 et à une situation dangereuse qui pouvait mener à la guerre civile, la loi martiale avait été proclamée. Dans le cadre de cette loi, l'activité des syndicats avait été suspendue. L'adoption d'une mesure aussi grave avait été imposée au pouvoir qui, jusqu'à la fin, avait essayé par tous les moyens de trouver une solution au conflit social, comme le prouvait, parmi tant d'autres, la proposition tendant à conclure un accord d'entente nationale et la rencontre du Premier ministre Jaruzelski avec le primat Glemp et le président de Solidarité, M. Walesa. Malheureusement, toutes ces initiatives et propositions gouvernementales avaient rencontré une attitude négative de la part du groupe extrémiste des dirigeants de Solidarité qui imposait à cette organisation une déviation systématique des objectifs syndicaux.
  413. 212. Lors de la mission du représentant du Directeur général en Pologne (1016 mai 1982), les autorités gouvernementales ont rappelé que les accords de Gdansk prévoyaient que Solidarité se conformerait à la Constitution du pays, respecterait le rôle dirigeant du parti, la socialisation des moyens de production et les relations de la Pologne, notamment ses alliances avec les pays socialistes. Selon les autorités polonaises, ces accords avaient été violés par Solidarité. En effet, pour l'ensemble des interlocuteurs gouvernementaux du représentant du Directeur général, Solidarité s'était transformé en parti politique. Il a été estimé que la structure régionale de Solidarité plaçait au deuxième plan les intérêts professionnels de ses membres. Certains membres du gouvernement ont insisté également sur l'usage abusif qui avait été fait du droit de grève en 1980 et 1981, contrairement aux accords de Gdansk qui prévoyaient selon eux la grève comme un ultime recours. Ces mouvements prenaient de plus en plus un caractère politique. En outre, Solidarité s'opposait à l'adoption d'une loi syndicale qu'il considérait comme limitant les droits des syndicats. A Radom, des voix s'étaient élevées pour la prise du pouvoir. Une grève générale devait avoir lieu le 17 décembre 1981 et il y aurait eu des affrontements dans la rue. L'anarchie était totale, les entreprises paralysées et les exportations de charbon bloquées. La répartition du charbon et des vivres devenait très difficile. Dans ces conditions, l'unique solution restait celle qui avait prévalu le 13 décembre, à savoir la proclamation de la loi martiale, afin d'éviter la guerre civile, voire une guerre mondiale.
  414. 213. Lors de cette même mission, les dirigeants des syndicats de branche rencontrés par le représentant du Directeur général ont exprimé l'avis que Solidarité et ses syndicats de base étaient manipulés à des fins politiques, que le pays allait vers une confrontation ouverte et que des menaces réelles existaient; selon eux, certains groupes extrémistes de Solidarité détenaient des armes. Certains dirigeants des syndicats autonomes estimaient également que les travailleurs n'étaient pas satisfaits de l'action de type politique que menait Solidarité et qui aboutissait à des situations conflictuelles très dures.
  415. 214. En octobre 1982, le gouvernement a qualifié la période des années 1980-81 comme celle où "l'aile extrémiste de Solidarité, dominée par les forces destructrices qui imposèrent au syndicat un caractère n'ayant rien de commun avec le mouvement syndical, visait à s'emparer du pouvoir et à changer le régime constitutionnel".
  416. 215. Par ailleurs, dans sa déclaration à la Conférence internationale du Travail, en juin 1982 (68ème session), le représentant gouvernemental a souligné, entre autres, les points suivants: Solidarité avait eu des activités qui avaient mis en danger le pays dans différents domaines. Il avait pris position contre les lois de l'Etat. Il avait promu le non-respect de certaines directives des autorités administratives de l'Etat et du parlement. Il avait appelé au non-respect des lois et surtout de l'entente de mars 1981 à propos de l'application de principes annoncés dans le projet de loi sur les syndicats. Il y avait eu une position publique et ouverte prise contre les accords internationaux de la Pologne et contre les relations entre la Pologne et les autres pays socialistes. On devait également tenir compte de l'appel lancé lors du premier congrès de Solidarité aux peuples des autres pays socialistes, qui mettait en cause les bases de la société socialiste. Certains membres de Solidarité avaient fait pression, selon le représentant gouvernemental, sur des fonctionnaires de l'administration, afin qu'ils ne puissent exercer leurs charges, et avaient également fait pression pour gêner le fonctionnement normal des tribunaux et de l'administration pénitentiaire. Il y avait également eu des tentatives contre le système économique et des efforts pour que le pays ne puisse réaliser l'exportation de ses produits vers l'extérieur.
  417. 216. Dès l'adoption des mesures de suspension des activités syndicales, le gouvernement avait déclaré que les limitations qui en découlaient étaient d'un caractère temporaire et passager. L'intention permanente des autorités restait l'introduction des réformes nécessaires, la poursuite du renouveau de la vie politique, sociale et économique amorcé depuis août 1980 et le renforcement de la démocratie socialiste, avec le concours de toutes les forces patriotiques.
  418. 217. Par une décision du Conseil d'Etat du 19 décembre 1982, la loi martiale a été suspendue à compter du 31 décembre 1982. Le gouvernement a indiqué que cette suspension permettait le rétablissement du droit d'association et du droit de grève et des actions de protestation organisées en conformité avec les dispositions des lois en vigueur, y compris la loi sur les syndicats adoptée le 8 octobre 1982.
  419. Position de représentants de Solidarité
  420. 218. Lors de la mission effectuée par le représentant du Directeur général en mai 1982 en Pologne, la plupart des militants de Solidarité rencontrés reconnaissaient que leur organisation avait commis des erreurs, dues en grande partie à l'inexpérience des dirigeants. Ils considéraient en particulier que Solidarité n'avait pas suffisamment négocié avec les autorités et qu'il avait adopté une attitude trop systématiquement négative envers les autres organisations. Ils regrettaient également que des groupes politiques plus expérimentés se soient infiltrés dans l'organisation. Cependant, ils affirmaient que les extrémistes étaient en nombre négligeable par rapport à l'ensemble des neuf millions d'adhérents et que le gouvernement avait recherché l'affrontement en se livrant à certaines provocations. Il a été observé par l'un des militants que dans le système politique polonais une organisation syndicale indépendante ne pouvait être perçue que comme une force politique. Pourtant, a-t-il remarqué, les grèves déclenchées par Solidarité n'ont été que de courte durée, n'excédant pas quarante-huit heures. Même si des déclarations politiques avaient pu être formulées, aucun acte n'avait été commis qui justifiait les mesures prises le 13 décembre 1981.
  421. 219. Le président de Solidarité, M. Lech Walesa, a indiqué au représentant du Directeur général que Solidarité était un grand renouveau et que tout ne pouvait être idéal. L'action de Solidarité était due à un concours de circonstances; le gouvernement voulait mettre en route une réforme économique; Solidarité ne voulait certes pas prendre le pouvoir, mais souhaitait procéder à de vraies élections pour que l'échelon de base soit représentatif.
  422. 220. M. Walesa a admis qu'il y avait eu des erreurs. Solidarité a voulu mener une allure trop rapide et il n'a pas suffisamment expliqué ses objectifs, ni au gouvernement, ni au public. Dans le contexte d'une situation économique mauvaise, l'action de Solidarité a pu entraver l'activité gouvernementale et celle de l'administration. Solidarité n'avait pas une confiance suffisante dans l'administration.
  423. 221. Concernant le rôle des syndicats, M. Walesa a estimé que l'objectif devait être de parvenir à un accord pour tirer le pays de sa situation économique et de rechercher une entente nationale à ce sujet. Selon lui, les syndicalistes devaient aider à trouver une solution et s'atteler avec le gouvernement au relèvement du pays. Toutefois, les syndicats ne devaient pas perdre leur indépendance. Selon lui, le mouvement syndical pourrait suspendre l'exercice du droit de grève, aider à construire le système d'autogestion et une saine autonomie. L'indépendance syndicale était l'essentiel pour les syndicats; tout le reste était négociable.
  424. 222. Au sujet des critiques qui avaient été formulées contre la structure régionale de Solidarité qui aurait donné un caractère plus politique que syndical à ce mouvement, M. Walesa a indiqué que cela s'expliquait du fait qu'à l'origine, en raison du développement rapide de Solidarité, on avait voulu placer des personnes connues et de confiance à des postes responsables et que c'était plus facile de le faire avec la structure régionale, mais qu'il envisageait que cela soit modifié et que le mouvement puisse être organisé par profession. Il faudrait simplement certaines mesures sur le plan régional pour équilibrer les différences syndicales; quarante commissions nationales par grandes professions pourraient être constituées et les statuts de Solidarité modifiés en conséquence. Concernant l'aspect politique de la question, M. Walesa garantissait le rôle dirigeant du parti et le caractère socialiste du syndicat.
  425. Arguments des plaignants et informations et témoignages présentés à la commission
  426. 223. Dans la documentation écrite soumise par le plaignant, M. Blondel, il est souligné qu'il n'y avait en Pologne ni rébellion armée, ni terreur armée. Il n'y avait pas eu d'attentat organisé contre la vie des représentants des autorités. Il n'y avait pas eu d'organisation qui aurait préparé des attentats armés, ni non plus d'actes qui auraient pu justifier la thèse de l'existence d'un danger pour la survie de la nation. Le pouvoir n'a présenté aucune preuve convaincante de l'existence de préparatifs visibles d'un coup d'Etat. Les autorités n'ont eu recours à aucun moyen légal existant contre les initiateurs ou les organisateurs de ce coup d'Etat supposé, car aucun groupe de ce type n'existait ni à Solidarité ni dans d'autres organisations sociales indépendantes. Le fait est, par contre, que les autorités polonaises s'étaient retrouvées politiquement isolées dans la société. Elles avaient tardé à introduire des réformes, manquaient de conceptions pour d'autres changements et s'étaient dérobées au contrôle réel de leurs actes. Elles attisèrent les tensions et recoururent finalement à des moyens d'exception pour se libérer du devoir de respecter le dialogue.
  427. 224. Le plaignant a également fait état d'observations formulées par d'anciens dirigeants de Solidarité rappelant qu'au moment de l'instauration de la loi martiale, le 13 décembre 1981, il n'y avait absolument aucune grève car, vers la fin de l'automne, notamment grâce aux efforts personnels de M. Lech Walesa, les grèves avaient cessé. Les références à l'état anarchique qu'auraient créé les grèves n'étaient donc pas conformes à la vérité.
  428. 225. Au cours de l'audition de témoins, un certain nombre d'intervenants ont rejeté comme non fondées les affirmations du gouvernement concernant l'attitude "politique" de Solidarité et les prétendus risques de guerre civile et de chaos économique ayant motivé l'introduction de la loi martiale, la suspension, puis la dissolution des syndicats.
  429. 226. Le plaignant a rappelé que l'organisation syndicale a notamment comme but de défendre les intérêts matériels et moraux de ses adhérents et a souligné que Solidarité voulait être un syndicat qui permette d'assurer aux travailleurs les moyens convenables de contrôle et de défense de leurs intérêts et qui puisse discuter de ces problèmes avec des interlocuteurs en mesure de décider. En Pologne, les salaires se négocient avec l'Etat, employeur qui est en position de quasi-monopole. L'action syndicale et la négociation collective devaient se dérouler avec des représentants directs du gouvernement de la Pologne, qui étaient seuls compétents pour décider. Comme en témoignent les accords de Szczecin, Jastrzebie et Gdansk, Solidarité ne voulait pas se constituer en parti d'opposition, ni remettre en cause les structures du pays. Solidarité visait à créer des espaces de libertés civiles indispensables à toute activité proprement syndicale, tels que prévus dans la résolution adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1970, selon laquelle les droits syndicaux ne sont qu'illusion dans une société où les libertés fondamentales ne sont pas respectées, résolution en faveur de laquelle le gouvernement de la Pologne avait voté. Selon le plaignant, il ne résulte pas des résolutions adoptées par Solidarité, ni de ses prises de position, que son objectif ait été différent de celui de défendre les intérêts matériels et moraux des travailleurs; il n'y a pas de déclaration où Solidarité se serait annoncé comme étant prêt à remettre en cause le système, à prendre le pouvoir dans l'Etat, ou à s'engager dans une activité terroriste ou criminelle (par exemple prise d'armes) ; cela résulte également des propos écrits et publiés, des conférences de militants syndicaux tels que A. Michnik, J. Kuron, J. Litynski, A. Gwiajda. Le plaignant a souligné qu'à sa connaissance il n'y a eu au total que deux grèves nationales d'avertissement, de courte durée, dont l'une avait pour objet la revendication des samedis libres - démarche syndicale - et l'autre visait à soutenir l'enregistrement de Solidarité, conformément aux accords de Gdansk. Il a indiqué que les statuts de Solidarité stipulaient qu'il n'y aurait pas de grèves dans les chemins de fer, les secteurs sanitaires, etc., Solidarité ne voulant pas participer à la détérioration de l'infrastructure de l'activité économique et sociale du pays.
  430. 227. Le secrétaire général de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), M. Vanderveken, a souligné la détermination des travailleurs polonais à situer leur lutte syndicale dans le cadre du droit national et des obligations internationales contractées par la Pologne, la volonté des dirigeants de Solidarité d'agir dans le cadre des accords de Gdansk et de maintenir la base dans cette ligne, par une action modératrice et malgré les provocations des autorités (comme par exemple le refus d'enregistrer Solidarité rurale, les violences policières à l'égard de militants de Solidarité à Bydgoszcz en mars 1981). Le secrétaire général de la CISL a relevé l'excellent accueil réservé par les membres de Solidarité aux appels de la direction nationale lancés en automne 1980 en faveur de la suspension des revendications salariales ou en faveur du travail volontaire pendant les samedis libres, décidés fin août 1981 jusqu'à la fin de l'année. Malgré les violences à son égard, le syndicat s'est refusé de s'écarter de la voie pacifique qu'il s'était imposée.
  431. 228. Le secrétaire général de la Confédération mondiale du travail (CMT), M. Kulakowski, s'est lui aussi référé au sens des responsabilités des dirigeants de Solidarité préoccupés de la promotion des intérêts matériels et moraux des travailleurs, attachés à une action non violente pour la réalisation d'une démocratie participative et non pour le renversement du régime. Il a souligné que, Solidarité agissant dans un pays où le gouvernement est l'unique employeur, toute action contre l'employeur peut être qualifiée de "politique" puisqu'elle s'adresse au gouvernement, qui est en même temps gouvernement et employeur. Selon le secrétaire général de la CMT, le mouvement syndical, toujours et partout, est politique, dans la mesure où il exerce une certaine pression sur le mode d'exercice du pouvoir, de façon à ce que l'économie et la société soient organisées pour promouvoir les intérêts des travailleurs, ce qu'a fait Solidarité. Par contre, il n'a pas à être politique au sens qu'il n'a pas à se substituer aux partis, ni à prendre le pouvoir; tel n'était pas le cas de Solidarité.
  432. 229. Le secrétaire général de l'Organisation internationale des employeurs (OIE), M. Lagasse, a déclaré que le cadre juridique de la Pologne ne permet pas une véritable liberté syndicale telle que l'entend son organisation.
  433. 230. M. Cywinski, représentant personnel de M. Walesa, se référant à la période d'avant août 1980, a indiqué dans son témoignage que la dépendance des travailleurs à l'égard de l'employeur étatique, soutenu par tout l'appareil de l'Etat dans le domaine de la législation, de l'administration, de la sécurité, des médias, etc., était encore accentuée par l'absence de toute structure qui aurait pu réellement et authentiquement représenter leurs intérêts et prendre leur défense. En effet, les syndicats officiels, entièrement inféodés au pouvoir, n'étaient pas conçus pour jouer ce rôle et ne jouissaient pas de la confiance de la classe ouvrière. Après les grèves d'août, les accords de Gdansk, Szczecin et Jastrzebie sont venus couronner la victoire ouvrière et consacrer la création de Solidarité. Durant la période pendant laquelle Solidarité a été constitué, tant à l'intérieur du syndicat que dans le courant général en dehors de lui, on acceptait sans discussion le principe de la légalité, de la démocratie, de la solidarité et de la non-violence. M. Cywinski a souligné que pendant toute la période de Solidarité, à l'exception de certains excès des forces de sécurité, pas un homme n'a été tué ni malmené en Pologne, pas une entreprise n'a été endommagée, pas une vitre n'a été cassée. Il a fallu attendre le 13 décembre 1981 pour compter des morts et des blessés, des torturés et malmenés, sans parler de dommages matériels.
  434. 231. Selon M. Cywinski, la lutte qu'avait dû mener Solidarité pour être enregistré fut suivie d'une campagne constante de harcèlement de Solidarité. Elle consistait notamment en des retraits répétés par le pouvoir des obligations assumées, ce qui, à son tour, forçait Solidarité à de nouvelles actions de protestation et à des grèves, en d'innombrables obstacles à la réalisation des réformes de la part de l'administration, ce qu'on expliquait après coup par des " mésententes locales " ou une " incapacité de fonctionnaires individuels " de suivre le rythme des changements de la politique gouvernementale, en une propagande antisyndicale croissante, une désinformation dans les médias et des attaques contre les militants syndicaux ou encore en des actes sporadiques de brutalité envers les militants locaux, avec l'intention de provoquer des réactions violentes dont la responsabilité pourrait être rejetée sur Solidarité. Le témoin a souligné les efforts faits par les autorités pour favoriser, au détriment de Solidarité, les syndicats de branche et les syndicats autonomes comportant un nombre limité de travailleurs.
  435. 232. M. Cywinski a déclaré que le travail pour élaborer un programme de Solidarité se ressentait des conflits incessants avec les organes de l'administration, conflits invariablement qualifiés de " politiques " par le pouvoir. Tant les dirigeants que les conseillers syndicaux se voyaient obligés d'apaiser sans cesse de tels conflits. La base, révoltée par le comportement des autorités, exigeait des contre-mesures énergiques. Les dirigeants, en revanche, soucieux tant de l'évolution politique que de l'économie nationale, s'attachaient à freiner et à calmer de telles attitudes. Les divergences qui pouvaient séparer les membres de la commission nationale n'étaient ni d'opinion, ni d'idéal, mais plutôt des problèmes tactiques concrets.
  436. 233. M. Cywinski a relevé qu'il a été prétendu que la proclamation de la loi martiale fut une nécessité devant la menace d'une guerre civile imminente en Pologne. Or, depuis le 13 décembre 1981, parmi les innombrables procès politiques qui ont eu lieu en Pologne, pas un seul chef d'accusation n'a porté sur une activité quelconque en vue d'un soulèvement ou d'une lutte armée; même dans les procès, que les autorités tentent d'ailleurs d'éviter, dans les deux groupes de " grands accusés " (les sept chefs et quatre experts de Solidarité) il n'y a pas trace d'une guerre civile imminente. M. Cywinski a, d'autre part, affirmé que jamais, nulle part, il n'a rencontré de preuve, même indirecte, que Solidarité ait eu des armes.
  437. 234. Plusieurs témoins se sont référés à la manière dont Solidarité concevait son rôle d'organisation syndicale et conduisait ses activités; certains ont fourni à la commission une description des activités concrètes menées au niveau de l'entreprise ou au niveau régional.
  438. 235. Ainsi, M. Nedzynski a relevé que les dirigeants de Solidarité voulaient défendre, faire avancer et promouvoir les intérêts des travailleurs et qu'ils considéraient Solidarité non seulement comme un syndicat mais comme un mouvement social ayant pour but la justice et la légalité. Ils ne lançaient pas de défi au système économique et aux alliances politiques, mais leur but était d'obtenir pour les travailleurs et pour la nation la possibilité de faire entendre leur voix dans l'exercice du pouvoir afin d'arriver aux objectifs économiques et sociaux fixés par le syndicat. M. Houthuys, de son côté, a déclaré qu'il est logique qu'une organisation syndicale soit aussi un mouvement syndical et un mouvement social; selon lui, pour être un vrai syndicat, il faut être mouvement en marche et il faut être organisation. Solidarité voulait être une organisation syndicale, défendre non seulement les droits et intérêts des travailleurs mais également améliorer la situation, et promouvoir le progrès économique du pays. Cette attitude n'est ni destructrice, ni démagogique, mais constructive. Par ailleurs, le témoin a indiqué que les conclusions et résolutions de congrès, d'autres textes de Solidarité ainsi que son expérience personnelle avec les dirigeants de Solidarité lui permettent de constater de la part de Solidarité une reconnaissance claire, parfois tacite, parfois très ouverte du système politique. Un autre témoin, M. Maier, a indiqué que les représentants du gouvernement de la Pologne qui sont intervenus devant le Comité de la liberté syndicale n'ont pas donné d'exemples d'activités de Solidarité qui auraient débordé le mouvement syndical. Le témoin s'est référé d'autre part à la volonté de compromis manifestée par M. Lech Walesa et a relevé le fait que le gouvernement, au cours des séances du comité et du Conseil d'administration, n'a pas répondu à des questions qui lui étaient posées concernant l'offre de M. Walesa de négocier et de collaborer.
  439. 236. Parmi les activités menées par le syndicat Solidarité au niveau de l'entreprise, un témoin, M. Dziechciowski, s'est référé aux revendications des ouvriers du port de Szczecin concernant l'amélioration des conditions de travail liées notamment au problème de la poussière. Un autre témoin, M. Brzozowski, a relevé que les membres du syndicat de son entreprise voulaient que le syndicat s'occupe de tout (poste de travail propre, activités après le travail ou aide dans la recherche d'un appartement). Mme Breton-Baluka a fait référence à une marche de femmes contre la faim à Szczecin présidée par une responsable de la Commission d'entreprise Solidarité des chantiers navals qui demandait un minimum d'approvisionnement en biens comme le lait, le savon, etc..
  440. 237. M. Bartczak a fourni un témoignage détaillé sur les activités de Solidarité dans la région de Lublin. Il a indiqué que cette région couvre quatre voïvodies et comptait environ 1 300 comités d'entreprise et 330 000 membres. Dans la direction régionale, il y avait des sections qui s'occupaient de sujets particuliers:
  441. - la section de l'organisation et des statistiques;
  442. - la section d'information qui éditait un quotidien, un hebdomadaire et un mensuel;
  443. - la section juridique qui comprenait trois juristes, chargés respectivement des problèmes de l'entreprise, des difficultés rencontrées par les travailleurs et des affaires pénitentiaires;
  444. - la section sociale qui s'occupait de tous les problèmes sociaux et de la santé des travailleurs, de l'organisation des vacances, des intérêts des retraités, des invalides du travail ainsi que des groupes d'entraide (assistance aux mères célibataires, pour lesquelles la section a acheté une maison à une vingtaine de kilomètres de Lublin. Cette maison devait être dirigée par les membres de Solidarité en coopération avec la voïvodie de Lublin) ;
  445. - l'organisation du bureau;
  446. - la section de la culture, de la formation des syndicalistes et des sports: le présidium de la région avait un club sportif où étaient organisées des activités de loisirs pour les enfants des membres de Solidarité ainsi que pour les membres eux-mêmes. Cette section a organisé une olympiade sportive de Solidarité en septembre 1981. Elle organisait également des conférences sur l'histoire, les sciences politiques, des expositions culturelles, des stages, des sondages et a mis sur pied une université ouvrière dès 1980;
  447. - le syndicat possédait son centre de recherche en matière syndicale et sociale, qui s'occupait de sondages d'opinion, d'enquêtes, par exemple sur les régions défavorisées, sur les augmentations de prix ou d'autres sujets qui pouvaient intéresser les membres de Solidarité. Il a collaboré à l'organisation de rencontres nationales sur des sujets tels que le "travail de l'homme", englobant des problèmes comme l'hygiène du travail et la philosophie du travail.
  448. 238. Le témoin a aussi indiqué que Solidarité participait à un conseil économique et social qui avait été créé dans la région de Lublin. Il était composé du voïvode, du président de la région et d'experts qui n'étaient pas seulement des membres de Solidarité. Parmi eux se trouvaient un prêtre et un membre du Parti ouvrier unifié polonais. Ce conseil devait être une plate-forme permettant de discuter entre Solidarité et le voïvode. A ce conseil, il y eut par exemple des consultations sur le programme social et économique de la voïvodie qui, selon Solidarité, devait être soumis par le voïvode pour avis à diverses organisations, y compris aux organisations syndicales. Grâce à ce conseil, un certain nombre d'initiatives dans le domaine des coopératives pouvaient également fonctionner. Selon M. Bartczak, le voïvode a été révoqué le 24 décembre 1981. La commission régionale coopérait avec le syndicat agricole Solidarité et, à partir de 1981, avec Solidarité rurale de la voïvodie de Lublin. Elle travaillait également avec des associations qui étaient liées à Solidarité telles que "Solidarité et famille".
  449. 239. Le témoin a indiqué par ailleurs qu'il n'y a eu que trois grèves dans la région de Lublin et de Cracovie, dont celle de novembre 1981 à Lublin, où la section de l'éducation, en collaboration avec la direction régionale, a organisé une grève scolaire ayant pour objectif d'introduire des disciplines qui n'étaient pas enseignées avant, telles que les humanités et les sciences politiques, afin de réaliser des accords qui avaient été conclus avec une commission gouvernementale concernant les réformes scolaires.
  450. Dissolution des syndicats
  451. 240. Il a été allégué que la dissolution des syndicats existants par la loi du 8 octobre 1982, ainsi que la suspension et la dissolution de diverses autres organisations par décisions des autorités, étaient contraires à la convention n° 87.
  452. Informations et témoignages présentés à la commission
  453. 241. Selon le plaignant, la dissolution des syndicats existants, et en particulier la dissolution de Solidarité, par les autorités polonaises, montre à l'évidence que les syndicats peuvent être dissous chaque fois qu'ils tentent d'appliquer leur programme d'activité. Le plaignant s'est également référé à d'autres organisations et structures syndicales suspendues ou dissoutes par voie administrative, contrairement aux dispositions de l'article 4 de la convention n° 87 (par exemple suspension de l'Union des acteurs par le maire de Varsovie le 1er décembre 1982; suspension par voie administrative de l'Union des artistes et dessinateurs le 21 avril 1983; dissolution par le maire de Varsovie de l'Union des écrivains polonais le 19 août 1983).
  454. 242. Le plaignant et certaines autres personnes entendues par la commission ont apporté des précisions quant au nombre d'adhérents que comptaient les organisations syndicales constituées en vertu de la loi modifiée de 1949 sur les syndicats et dissoutes par la loi du 8 octobre 1982. Solidarité avait approximativement 9 500 000 membres, y compris les agriculteurs salariés; Solidarité rurale comptait 2 350 000 adhérents; les syndicats de branche et autonomes avaient environ 3 000 000 de membres. La population active comptait environ 16 millions de personnes sur un total de 36 millions d'habitants. Le taux de syndicalisation se situait autour de 90 pour cent.
  455. 243. Selon la documentation soumise à la commission, des circonstances spéciales auraient précédé l'adoption de la loi sur les syndicats. La propagande officielle aurait proclamé que le texte de la loi s'appuyait sur le projet du 5 décembre 1981, accepté par les commissions de la Diète et négocié à l'époque avec les syndicats, alors que, en réalité, le 25 septembre 1982, le Conseil d'Etat avait introduit des modifications considérables au texte original, sans négociations ni consultations. Les députés auraient été informés des modifications du projet trois jours seulement avant la réunion de la Diète. Sur les soixante-treize articles du projet du 5 décembre 1981, cinquante-cinq articles, dont les plus importants, furent modifiés. La lettre et l'esprit de la loi en question avaient été changés. Le nombre et le caractère des modifications étaient tels qu'il s'agissait en fait d'un projet qui n'était que formellement dans le prolongement de celui du 5 décembre 1981. En outre, il a été souligné que l'article 55 de la loi a prévu spécifiquement la dissolution de Solidarité rurale et de Solidarité des paysans individuels en abrogeant la loi du 6 mai 1981 concernant les syndicats d'agriculteurs individuels, loi qui avait permis leur constitution.
  456. 244. Le gouvernement des Etats-Unis s'est référé à la dissolution par la Diète de tous les syndicats, à savoir Solidarité, les syndicats de branche, les syndicats autonomes et Solidarité rurale. Etant donné l'absence de procédure judiciaire ou de possibilité pour les organisations dissoutes de faire appel, la dissolution par voie législative constitue, selon lui, une violation des principes de la liberté syndicale. Le gouvernement a également relevé la suspension et la dissolution par voie administrative d'autres organisations, telles que l'Union des acteurs (ZASP) suspendue par le maire de Varsovie, à la demande du ministre de la Culture et des Arts, le 1er décembre 1982, sur la base de l'article 16 (4) de la loi sur les associations; l'Union des artistes et dessinateurs polonais (ZPAP) suspendue le 21 avril 1983 et dissoute par l'autorité administrative le 23 juin 1983; l'Union des écrivains polonais (ZLP) dissoute le 19 août 1983 par le maire de Varsovie, après avoir été suspendue pendant plusieurs mois par décision gouvernementale; l'Association des journalistes polonais (SDP), dont 75 pour cent des membres étaient des membres de Solidarité, dissoute le 20 mars 1982 par voie administrative. A la connaissance du gouvernement, aucune de ces organisations n'a bénéficié d'une procédure judiciaire ou de la possibilité de faire appel.
  457. 245. Les gouvernements de la France, du Royaume-Uni et de la Suède se sont eux aussi référés à la dissolution des syndicats existants par la loi du 8 octobre 1982. Le gouvernement du Royaume-Uni a notamment relevé que la nouvelle législation avait entraîné la dissolution d'un syndicat libre, ayant l'appui de dix millions d'adhérents, et que cette mesure était contraire à l'objectif que les autorités polonaises avaient indiqué suivre en instaurant la loi martiale, à savoir rétablir l'unité, le processus de renouveau et de progrès et reprendre le dialogue entre les différents éléments de la société polonaise.
  458. 246. Les secrétaires généraux de la CISL et de la CMT se sont également référés à la suspension et à la dissolution des syndicats existants. Le secrétaire général de la CMT a souligné qu'il s'agissait en l'occurrence d'un cas, assez rare, sinon unique, d'une décision d'un tribunal suprême, pouvoir judiciaire, remise en cause par le pouvoir législatif. Il a également estimé que les engagements prescrits par l'article 11 de la convention n° 87 n'ont jamais été observés par les autorités polonaises et qu'ils sont délibérément violés depuis le 13 décembre 1981.
  459. Position du gouvernement de la Pologne
  460. 247. Le 9 novembre 1982, le vice-ministre du Travail, M. K. Gorski, a déclaré devant le Comité de la liberté syndicale qu'en ce qui concerne l'article 52 de la loi, prévoyant le retrait de l'enregistrement des syndicats, la dissolution n'avait pas été prononcée par voie administrative, mais par l'organe législatif suprême. Le gouvernement aurait pu opter en faveur de deux autres solutions: l'une, très libérale, aurait consisté à réactiver le syndicat Solidarité sous une autre appellation et avec une nouvelle direction syndicale; l'autre aurait été de dissoudre le syndicat par voie judiciaire puisque celui-ci n'avait pas respecté ses statuts. Ces deux solutions avaient un défaut commun: elles auraient ranimé des divisions profondes dans la société. Le gouvernement a voulu éviter ces conséquences à tout prix car la Pologne avait surtout besoin de calme et d'entente nationale.
  461. 248. Dans une communication du 19 mai 1983 en réponse aux commentaires de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, le gouvernement a précisé que l'annulation de l'enregistrement - selon l'article 52 de la loi sur les syndicats - des syndicats existant avant l'adoption de la loi ne porte aucune atteinte aux dispositions de la convention. L'article 4 de la convention interdit la dissolution ou la suspension des organisations de travailleurs et d'employeurs par voie administrative. L'interdiction concerne donc exclusivement les mesures administratives, parmi lesquelles on peut compter certains cas de promulgation de décrets (lorsque cela est fait par le pouvoir exécutif). Cela ne concerne pas la voie législative. La loi adoptée par la Diète est un texte législatif promulgue par l'organe suprême et souverain du pouvoir d'Etat et ne constitue pas une décision administrative. La seule limitation consiste à ce que la nouvelle législation ne porte pas atteinte à la garantie prévue par la convention (art. 8, paragr. 2).
  462. Biens des syndicats
  463. 249. Il a été allégué qu'à la suite de la déclaration de la loi martiale les biens des syndicats, et en particulier ceux de Solidarité, furent saisis, leurs locaux occupés par l'armée, leur équipement en partie détruit. Il a été allégué en outre qu'à la suite de l'adoption de la loi sur les syndicats du 8 octobre 1982 les biens des syndicats dissous ont passé sous administration provisoire pour être ensuite transférés aux nouveaux syndicats créés en application de cette loi.
  464. Informations et témoignages présentés à la commission
  465. 250. Le plaignant s'est référé au fait qu'avec l'instauration de la loi martiale les comptes bancaires de Solidarité ont été bloqués. Cette mesure a visé tant les comptes de la commission nationale que ceux des trente-huit administrations régionales et les sommes que les comités d'entreprise avaient en dépôt sur leur compte dans leur entreprise. Non seulement les biens immobiliers de Solidarité et l'équipement des bureaux ont été confisqués, mais une grande partie de ces derniers ont subi de sérieux dégâts. Les 13 et 14 décembre 1981, les divisions de la milice ("zomos"), en occupant les bâtiments des administrations régionales, dévastèrent le matériel d'imprimerie et de bureau, les télex, les centraux téléphoniques et les radios. Selon le plaignant, malgré la brièveté de la période d'activité officielle du syndicat Solidarité, ses biens étaient importants et comportaient à la fois de l'argent déposé dans les banques et des moyens immobiliers et mobiliers. Les fonds provenaient de diverses sources et, en particulier, des cotisations des membres. Solidarité avait bénéficié de l'aide d'organisations syndicales internationales et nationales consistant dans le financement de l'achat de machines et d'installations ou en dons de matériel tel que machines à écrire, imprimantes, installations de bureau, etc.
  466. 251. En ce qui concerne le transfert aux nouveaux syndicats des biens des organisations dissoutes à la suite de la loi du 8 octobre 1982, complétée par des arrêtés du Conseil des ministres des 15 octobre et 27 décembre 1982, le plaignant a estimé que le principe du partage des biens au profit des nouveaux syndicats soulève de sérieuses objections. Il a fait remarquer qu'on ne peut créer des conditions privilégiées pour les syndicats nouveaux qui se constituent et affecter aux syndicats d'entreprise la totalité des biens. Le plaignant a fait état des déclarations faites par certains membres de Solidarité, au sujet de l'affectation des biens, qui préconisaient que les sommes se trouvant sur les comptes des syndicats soient transmises sur le Fonds social de l'entreprise mère et affectées à des fins sociales au profit de tous les travailleurs de l'entreprise.
  467. 252. Le plaignant a également fait état de critiques formulées par d'anciens dirigeants de Solidarité concernant la dissolution arbitraire non seulement de Solidarité, mais également des syndicats autonomes et des syndicats de branche et la confiscation des biens de tous les syndicats, biens qui sont passés sous la gestion de l'Etat et qui ont été transférés aux nouveaux syndicats. Ainsi tous les biens des organisations syndicales d'entreprise auraient été transférés aux nouveaux syndicats et le reste des biens des syndicats serait octroyé sous forme " d'acomptes " aux nouvelles fédérations en train de se créer. Cette pratique aurait été particulièrement défavorable aux syndicats de branche qui, au cours des dizaines d'années d'existence, avaient accumulé des biens importants.
  468. 253. Le gouvernement des Etats-Unis a indiqué que, selon les autorités polonaises, les biens des syndicats de branche se seraient élevés à environ 20 milliards de zlotys, alors que ceux de Solidarité se seraient élevés à environ 320 millions de zlotys pour les biens immobiliers et 609 millions dans les comptes bancaires.
  469. 254. Certains témoins ont fourni des informations sur les fonds de Solidarité. Ainsi, selon M. Jarmakowski, il y avait au compte de Solidarité environ 2 200 dollars, et la commission nationale avait 36 millions de zlotys polonais. Sur la base des renseignements fournis par les régions, on a confisqué à Solidarité environ un demi-milliard de zlotys. Cette somme concernait uniquement les commissions régionales et non pas les comptes des commissions d'entreprise dont il est difficile, selon ce témoin, d'évaluer les fonds. M. Bartczak a indiqué que, dans la région de Lublin, les fonds de la commission régionale s'élevaient à peu près à 20 millions de zlotys. M. Brzozowski a relevé que, dans la région d'Elblag, Solidarité avait environ 4,5 millions de zlotys en compte.
  470. 255. Concernant le matériel d'équipement de bureau ainsi que les locaux de Solidarité, il a été indiqué par le gouvernement de la Suède que les autorités polonaises ont confisqué l'équipement technique offert à Solidarité par la Confédération des syndicats suédois (LO) et d'autres syndicats. Les secrétaires généraux de la CISL et de la CMT ont relevé qu'une partie du matériel et de l'équipement de bureau de Solidarité fut saisie, puis confisquée par les autorités et qu'une grande partie fut détruite, lors de l'attaque des sièges de Solidarité par les forces de sécurité, le 13 décembre 1981. Ils se sont référés au matériel téléphonique, d'imprimerie, de bureau fourni par leurs organisations à Solidarité.
  471. 256. Plusieurs témoins ont donné des informations sur l'occupation des locaux et la destruction des biens de Solidarité dans leur région ou entreprise. M. Jarmakowski a indiqué que, pendant son internement, il a eu l'occasion de s'entretenir avec M. Arkadiusz Rybicki, chef du bureau de presse et d'information de Solidarité, qui se trouvait dans les locaux de Solidarité lors de l'attaque du bâtiment par les forces de sécurité et qui a parlé au témoin de la destruction d'équipement et de documents. Après sa mise en liberté, en août 1982, le témoin a visité le bâtiment de Solidarité et a constaté que, dans les anciens bureaux de la commission nationale et de la commission régionale, travaillaient des comptables et un commissaire militaire chargé de la gestion des biens de Solidarité. Le témoin a relevé que des machines à écrire avaient été détruites, une imprimerie d'une valeur de 100 000 dollars et des magnétophones endommagés. Les traces des destructions étaient encore visibles huit mois après les événements. En consultant les archives, M. Jarmakowski a constaté que tous les documents de Solidarité, notamment les documents comptables ainsi que les documents de la commission d'élection du bureau d'organisation du congrès, du bureau de district avaient été détruits. M. Dziechciowski a indiqué que les documents et archives de Solidarité de son entreprise n'ont pas été retrouvés. Ils avaient été déposés le 13 décembre 1981 dans une cave; après deux mois, on avait constaté que cette cave avait été forcée et qu'elle était vide. M. Brzozowski a relevé que le local de la commission régionale d'Elblag avait été saccagé et pillé; selon les indications d'un témoin oculaire membre de la direction régionale, il n'en est rien resté. M. Witon a cité le témoignage de M. Stanislas Alot, secrétaire de commission régionale de Rzeszow, témoin de la destruction des biens de Solidarité dans sa région: au siège régional les vitres ont été brisées, les portes forcées, les machines à écrire brisées, les meubles, les presses d'imprimerie détruits, une partie de celles-ci a été enlevée sur des camions et un tirage de journaux confisqué.
  472. 257. Selon M. Bartczak, une travailleuse de la direction régionale, responsable de l'équipement, Mme M. Abrahamowska, a été témoin de la pénétration par effraction de la milice dans les locaux de la direction régionale de Lublin et de la destruction de meubles et de téléphones; les rideaux ont été enlevés et les tableaux emportés. Cette personne a essayé en vain de faire partie de la commission chargée de recenser les avoirs de Solidarité. M. Bartczak a indiqué qu'il ne savait pas ce qu'étaient devenues les presses d'imprimerie. Une machine à polycopier a été démontée et emportée. Plusieurs tonnes de papier ont été enlevées. La région comptait seize sous-sections ayant des bureaux; ceux-ci ont été occupés et l'équipement détruit. La "Maison de la mère célibataire", qui avait une valeur de 4,5 millions de zlotys, a été confisquée.
  473. 258. Au sujet de la dévolution des biens prévue par la loi du 8 octobre 1982 et les arrêtés d'application, la CISL a relevé que les biens d'une organisation dissoute devraient être répartis entre les membres de l'organisation dissoute ou transférés à l'organisation qui lui succède, à savoir au syndicat qui poursuit les mêmes buts que ceux pour lesquels le premier s'est volontairement constitué et les poursuit dans le même esprit. Selon la CISL, la loi sur les syndicats ne contient pas de dispositions qui permettraient aux nouveaux syndicats de poursuivre les mêmes objectifs que ceux pour lesquels Solidarité et Solidarité rurale avaient été constitués. Les nouveaux syndicats ne pourront pas poursuivre leurs activités dans le même esprit d'indépendance et d'autogestion que le syndicat dissous. Un témoin, M. Jarmakowski, a indiqué que les biens de Solidarité qui n'avaient pas été détruits ont été transférés aux nouveaux syndicats. Selon un autre témoin, M. Bartczak, les équipements de bureau dans son entreprise ont été remis aux nouveaux syndicats; quant aux avoirs de la commission régionale de Lublin, ils ont été en partie dispersés.
  474. Position du gouvernement de la Pologne
  475. 259. En mai 1982, le représentant du Directeur général a été informé que les biens des organisations étaient gérés par des commissaires nommés par les autorités, chargés d'en assurer l'entretien et la conservation.
  476. 260. Dans une communication du 19 mai 1983, en réponse aux commentaires de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, le gouvernement a fourni les informations suivantes au sujet des biens des syndicats dissous.
  477. 261. Conformément à la loi sur les syndicats (art. 54), les biens de la Confédération des syndicats et ceux des syndicats existant avant l'entrée en vigueur de la loi sur les syndicats ont été confiés, pour une période transitoire, à l'administration provisoire, dont l'organisation et les fonctions - conformément à l'autorisation donnée par la loi - ont été fixées par l'arrêté du Conseil des ministres du 15 octobre 1982 sur l'administration provisoire des biens des anciens syndicats. A cette fin a été constituée une commission pour l'administration des biens des syndicats. Elle se compose de onze personnes: le président et cinq représentants des syndicats (y compris Solidarité) et des organes gouvernementaux.
  478. 262. Les biens des organisations syndicales d'entreprise sont restés sous l'administration des chefs des entreprises qui transmettent les biens syndicaux aux nouveaux syndicats d'entreprise, au fur et à mesure de la formation des directions syndicales statutaires. Ces questions sont réglées par les dispositions de l'arrêté du Conseil des ministres du 27 décembre 1982 sur les principes et les modalités de transfert des biens des anciennes organisations syndicales d'entreprise.
  479. 263. En ce qui concerne l'administration provisoire des biens des organisations syndicales à l'échelon supérieur à celui de l'entreprise, la commission a chargé vingt-quatre personnes d'administrer les biens des anciennes centrales syndicales et des syndicats de branche respectifs. La commission ne remplit qu'une fonction administrative, c'est-à-dire qu'elle effectue uniquement des travaux indispensables à la conservation des biens dans un bon état et conformément à leur destination. Toutes les dépenses liées à l'administration des biens sont couvertes par l'Etat.
  480. 264. Pendant toute leur activité, les syndicats avaient accumulé des biens durables comprenant, entre autres: 41 sanatoriums, 88 centres de repos, plus de 50 bâtiments administratifs, d'hôtels et d'habitations. Les syndicats formés après août 1980 n'avaient pas encore des biens durables importants. Les biens de Solidarité se composaient principalement de moyens de communication, de l'équipement de polygraphie et d'un nombre notable de publications, d'installations de bureau et de petites sommes en compte bancaire. Vu le manque de listes d'inventaire et du registre incomplet de la comptabilité, il y a de grandes difficultés dans la reprise de ces biens.
  481. 265. La commission pour l'administration des biens syndicaux a repris sous sa gestion jusqu'à la fin avril 1983 l'ensemble des biens. La valeur des biens durables s'élève:
  482. - pour les syndicats de branche, à plus de 3 719 228 000 zlotys;
  483. - pour le syndicat Solidarité, à plus de 36 900 000 zlotys.
  484. 266. En plus des travaux liés à la reprise et à la préservation des biens, la commission organise et surveille, entre autres activités, celles des sanatoriums et des centres de repos, effectue les travaux d'investissement et de rénovation dans ces centres et assure le fonctionnement normal des maisons de la culture, des hôtels, clubs, bâtiments administratifs, etc..
  485. 267. Dans son rapport sur l'application de la convention n° 87 pour la période du 1er juillet 1983 au 31 mars 1984 envoyé au titre de l'article 22 de la Constitution de l'OIT et reçu au BIT le 16 avril 1984, le gouvernement a précisé à propos du transfert des biens des anciens syndicats aux nouvelles organisations syndicales qu'un arrêté du Conseil des ministres du 24 octobre 1983 concernant les principes et les modalités de la remise partielle des biens des anciens syndicats régit la matière. Il a aussi rappelé que les syndicats n'ont pas été dissous par voie administrative, mais par une loi émanant de la plus haute instance législative de l'Etat - la Diète de la République populaire de Pologne.
  486. 268. Selon le gouvernement, les biens des anciens syndicats ont été pleinement sauvegardés par la commission pour l'administration des biens syndicaux. Les biens qui fonctionnent indépendamment de l'état du mouvement syndical, tels les sanatoriums, les maisons de repos, les clubs et les cantines, ont poursuivi leurs activités en toute indépendance. Au fur et à mesure du développement des structures syndicales au niveau supérieur des entreprises, toutes les décisions concernant le droit de disposer de ces biens ont été prises par la commission en consultation avec ces structures.
  487. 269. Les biens des organisations syndicales d'entreprise ont été remis aux organisations syndicales nouvellement créées dans les entreprises après le 31 décembre 1982, conformément à l'arrêté du Conseil des ministres du 27 décembre 1982. En application de l'article 7 de cet arrêté, les biens qui n'ont pas été repris par les syndicats au 31 décembre 1983 ont continué à être gérés par la commission pour l'administration des biens syndicaux. Cependant, tenant compte du retard dans la reprise des biens par les organisations syndicales - dû à des raisons techniques et d'organisation -, la commission précitée a transmis à la banque un ordre de transfert des biens à tous les syndicats qui se sont formés avant le 31 décembre 1983, même en l'absence d'une demande officielle de reprise des biens.
  488. 270. En ce qui concerne les finances des anciens syndicats nationaux, le transfert a été successivement opéré aux nouvelles fédérations et aux syndicats de branche nationaux, conformément à l'arrêté du Conseil des ministres du 24 octobre 1983. Jusqu'à présent, une somme de 136 millions de zlotys a été transférée à 62 organisations syndicales de niveau supérieur. Le restant des biens sera successivement remis aux nouveaux syndicats, après l'adoption par le Conseil d'Etat de nouvelles dispositions à cette fin. Ces dispositions sont actuellement au stade final de l'élaboration. Le texte en sera remis au BIT dès sa publication.
  489. 271. Enfin, le gouvernement déclare que la commission de gestion assure des conditions normales de fonctionnement des structures syndicales aux syndicats nouvellement créés, même avant la remise des biens des anciens syndicats, par la mise à leur disposition de locaux, de moyens de transport et de publication.
  490. CHAPITRE 10
  491. INTERNEMENTS, INTERROGATOIRES, CONDAMNATIONS ET POURSUITES DE DIRIGEANTS ET DE MEMBRES DE SOLIDARITE
  492. 272. La plainte de M. Blondel et de Mme Buck se réfère aux mesures d'internement prises à l'encontre d'un nombre très important de dirigeants et de membres de Solidarité et aux condamnations pour faits de grève intervenues après la proclamation de la loi martiale. En outre, il a été allégué que les conditions d'internement auraient été parfois déplorables et que des brutalités auraient été commises dans certains camps. D'une manière plus générale, des internés auraient été incités à signer des déclarations de loyauté ou à s'exiler et, à leur sortie d'internement, ils auraient subi des préjudices et fait l'objet de tracasseries. Il serait même arrivé qu'ils soient placés dans les camps militaires spéciaux où auraient été mobilisés des suspects d'activité d'opposition parmi lesquels beaucoup d'anciens internés. Par ailleurs, les allégations font état de violences qu'auraient subies des syndicalistes lors de leurs interrogatoires par les forces de sécurité polonaises et elles se réfèrent aux poursuites judiciaires maintenues contre des dirigeants et des militants de Solidarité, même après l'adoption de la loi d'amnistie. Ces différentes questions seront examinées successivement dans le présent chapitre.
  493. Informations et témoignages présentés à la commission
  494. Internements
  495. 273. Il a été allégué que 700 personnes nommément désignées auraient été internées par voie administrative dès la proclamation de la loi martiale et qu'un porte-parole du gouvernement aurait, dès le 22 décembre 1981, admis l'arrestation de 5 000 personnes. Par la suite, le vice-ministre de l'Intérieur, le général Stachura, aurait informé la commission de la justice de la Diète qu'au 8 décembre 1982 il y avait eu, en tout, 10 131 internés dans les camps. Les internements préventifs qui avaient commencé le 13 décembre 1981 ont été supprimés le 23 décembre 1982.
  496. 274. Les plaignants reconnaissent qu'il est difficile, voire impossible, de donner un chiffre exact des internements. L'appréciation est compliquée à cause des diverses annonces de libération faites à plusieurs reprises et qui n'auraient que partiellement été suivies d'effet ou qui auraient abouti au réinternement quasi immédiat de nombreuses personnes libérées. Ainsi, le général Jaruzelski aurait annoncé à la Diète, le 21 juillet 1982, la libération de "la plupart des internés, dont toutes les femmes" et, le 13 août 1982, l'Agence polonaise d'information (PAP) aurait indiqué que 1 221 personnes avaient été libérées après le 21 juillet, dont "un certain nombre" avaient été internées à nouveau pour avoir repris des activités contraires à la sécurité de l'Etat. Selon certaines sources, 9 000 personnes auraient été arrêtées entre le 12 et le 23 décembre 1981. D'autres informations font état de déclarations du général Kiszczak, ministre de l'Intérieur, selon lesquelles 6 647 personnes auraient été enfermées dans des camps jusqu'au 26 février 1982.
  497. 275. Les premiers internements ont touché le président de Solidarité, M. Lech Walesa, les membres des autorités nationales et régionales de Solidarité, les membres des commissions d'entreprise, les permanents syndicaux, les conseillers et les experts. Les catégories de personnes ainsi internées auraient été:
  498. - des militants, travailleurs et conseillers de Solidarité;
  499. - des militants et travailleurs de Solidarité rurale;
  500. - des militants et travailleurs de l'Association indépendante des étudiants;
  501. - des militants des clubs de l'intelligentsia catholique;
  502. - des militants de l'Association de protection des prisonniers "Patronat";
  503. - des militants des organisations sociales indépendantes comme le Comité d'autodéfense des travailleurs (KOR), la Confédération de la Pologne indépendante (KPN), le Mouvement de la défense des droits de l'homme et du citoyen, le Mouvement de la jeune Pologne, le Comité de défense des personnes emprisonnées pour leurs convictions, le Mouvement des scouts indépendants (NRH) ;
  504. - des intellectuels;
  505. - des travailleurs des imprimeries indépendantes et des militants des "structures horizontales" du Parti ouvrier unifié polonais.
  506. 276. Les internements de la fin du mois de décembre 1981 et du début du mois de janvier 1982 auraient surtout frappé les participants et les dirigeants des grèves. Un groupe important d'internés a été libéré à la fin du mois d'avril 1982, mais d'autres internements auraient été opérés au mois de mai 1982 et auraient spécialement concerné les participants à des manifestations. Bien que les femmes aient été libérées le 22 juillet 1982, certaines auraient été arrêtées par la suite et de nombreux internements d'hommes et de femmes seraient intervenus à la fin du mois d'août 1982, juste avant l'anniversaire des accords de Gdansk. Ceux qui sont restés le plus longtemps dans les camps sont ceux qui ont été arrêtés dans la nuit du 12 au 13 décembre 1981. Nombre d'entre eux n'ont quitté les camps qu'après une année. Plusieurs témoins entendus par la commission ont déclaré être restés internés de décembre 1981 à décembre 1982: M. Seniuta, à la prison de Grodkow, qui n'a été libéré que le 3 décembre 1982 avec plusieurs autres intellectuels; M. Bartczak, président de la région Centre-Est (Lublin) de Solidarité, interné d'abord à Potulice, puis, à partir du mois d'avril 1982, à Strzebielinek, qui n'a été libéré que le 22 décembre 1982, et M. Brzozowski, maçon au combinat de construction d'Elblag, membre de la commission de son entreprise, interné à Ilawa et, à partir du 15 juin 1982, à Kwidzyn, qui n'a été libéré que le 7 décembre 1982. Les autres témoins, également arrêtés le 13 décembre 1981, sont restés moins de temps dans les camps, ainsi: M. Jarmakowski, assistant d'université, qui a été libéré le 24 août 1982 du camp de Strzebielinek; M. Dziechciowski, ouvrier à la direction du port de Szczecin, président du comité de Solidarité d'une section de son entreprise, qui a été libéré le 26 juillet 1982, après avoir été enfermé d'abord à Goleniow dans une prison pour détenus de droit commun, puis transféré, à partir du 11 janvier 1982, à Wierzchowo Pomozskie et M. Witon, porte-parole de presse de la commission régionale de Solidarité à Rzeszów, qui a été libéré de la prison de Zaleze le 16 mars 1982.
  507. Conditions d'internement
  508. 277. De la documentation écrite soumise à la commission, il ressort que les lieux d'internement étaient très divers. Il s'agissait parfois de centres ou d'hôtels de vacances pour militaires ou pour membres du parti: ils étaient alors sains et confortables, mais, parfois, d'autres lieux ont été ouverts à la hâte: il s'agissait de baraques humides et froides. La nourriture y était de mauvaise qualité, les conditions d'hygiène déplorables.
  509. 278. En ce qui concerne les conditions matérielles, il est allégué que les cellules étaient sans chauffage et surpeuplées, et que la nourriture était de mauvaise qualité. Très vite les internés se seraient affaiblis par manque de vitamines et un apport en calories insuffisant. Le plus souvent, les colis des familles et des organismes d'aide ont permis, quand ils étaient distribués, d'améliorer l'ordinaire. Toutefois, les malades ne pouvaient suivre de régime. Les cellules n'étaient pas nettoyées. Un trou dans un coin faisait office de toilettes. Le savon était rare; le bain n'avait lieu que tous les quinze jours. Entre-temps, un seau d'eau froide quotidien était mis à la disposition des occupants de la cellule. Il n'y avait pas d'eau chaude. Les vêtements personnels ont été, au début, confisqués. Le plus souvent, les cellules étaient fermées et les promenades étaient rares, en groupe, sous la garde de chiens, d'où un manque de contacts, un sentiment d'isolement. La presse et les livres étaient rationnés et censurés. Les internés n'avaient aucune distraction. La lumière était faible et coupée très tôt.
  510. 279. En ce qui concerne les conditions psychologiques, il est allégué que les atteintes au psychisme des internés ou des emprisonnés en vertu de la loi martiale étaient de plusieurs ordres: sentiment d'isolement, humiliations, menaces et chantages. Le sentiment d'isolement tenait à ce que ces personnes avaient été enfermées par surprise, sachant très bien que leur famille n'était pas avertie. Elles étaient enfermées dans des cellules étroites, sans communication avec les autres internés. La correspondance avec l'extérieur était ou bloquée ou restreinte. Des informations filtrées, erronées ou tronquées, auraient été données aux internés. Les visites des familles étaient rares: une fois par mois en général. En outre, au début de la loi martiale, l'uniforme carcéral aurait été imposé, les objets personnels confisqués et les fouilles corporelles et celles des locaux auraient été effectuées par surprise et sans raison. Des croix et des médailles auraient été arrachées. Les sentiments religieux auraient été tournés en dérision, la pratique religieuse interdite ou soumise à des entraves. Les allégations font état des injures et bousculades endurées par les internés. Les miliciens et les fonctionnaires de la sécurité auraient été omniprésents, le plus souvent en tenue de combat, avec des chiens en laisse. Enfin, la documentation soumise à la commission s'est référée aux méthodes d'intimidation utilisées par les autorités pour faire signer aux internés des déclarations de loyauté, de renonciation à l'activité syndicale ou encore de demande de départ à l'étranger s'appuyant sur des menaces ou des chantages.
  511. 280. Ces conditions matérielles, physiques et psychologiques ont entraîné une détérioration de l'état de santé des internés. Ainsi seraient apparus des cas de bronchite chronique, d'ulcères gastro-duodénaux, d'affections cardiaques et de troubles nerveux.
  512. 281. Plusieurs témoins entendus par la commission ont corroboré ces allégations. Ils ont particulièrement insisté sur les sévices individuels, le froid intense, la mauvaise alimentation, la saleté, la présence de rats dans les cellules, les humiliations, le refus de visite des familles, le sentiment d'isolement vis-à-vis de l'extérieur, les dispositifs d'écoute installés dans les cellules et les pressions pour les inciter à signer des déclarations de loyauté ou, à défaut, à quitter le pays.
  513. 282. Enfin, un témoin, M. Cywinski, a déclaré à la commission que, selon les informations dont il dispose, dix jours après l'établissement de la loi martiale, une partie des internés, à savoir les personnes les plus en vue, les conseillers de Solidarité et les personnes appartenant notamment au monde de la culture ont été transférés dans des centres d'internement installés parfois dans d'anciennes maisons de repos. Leurs conditions de détention étaient alors assez confortables. Cependant, d'autres ont été envoyés dans quelques dizaines de centres d'interne ment bien différents, où les conditions de vie étaient extrêmement dures, tout en restant conformes aux normes du droit pénitentiaire polonais. Ce témoin a cité le cas de Zbigniew Romaszewski, qui aurait perdu quinze à vingt kilos en seize mois de prison, et de l'épouse de Jacek Kuron, internée alors qu'elle était en mauvais état de santé, qui a dû être transférée dans un hôpital où elle est décédée par la suite.
  514. 283. La commission a reçu une série d'informations sur les brutalités qui auraient été commises pour des raisons futiles dans les camps. D'après la documentation écrite soumise par le plaignant ainsi que par la CISL et la CMT, la répression contre les internés aurait parfois consisté en punitions collectives décidées hors du règlement. Les cas les plus connus auraient eu lieu aux camps de Wierzchowo, de Ilawa et de Kwidzyn.
  515. 284. Ainsi, à Wierzchowo, le 13 février 1982, plus de quarante internés auraient été battus et une dizaine de blessés auraient été transférés à l'hôpital de Szczecin. Des brutalités auraient eu lieu alors que le major Gadomski commandait le camp et elles auraient été le fait des lieutenants Wronkowski et Ambryszewski. Parmi les victimes se serait trouvé M. Sliwinski, membre de Solidarité rurale. Sur les événements de Wierzchowo, la commission dispose d'un témoignage écrit précis et du témoignage oral d'un des internés qui se trouvait dans l'une des cellules où les brutalités ont été commises. La documentation communiquée à la commission contient le texte intégral en polonais et en français d'une décision du procureur militaire de Koszalin, le lieutenant Ryclinski, du 28 août 1982, à propos de cette affaire. Le procureur a reconstitué le déroulement des événements, mais il a décidé de suspendre l'enquête pour deux ans en justifiant sa position par la carrière antérieure irréprochable des officiers en cause.
  516. 285. Il ressort du document du procureur que, le 13 février 1982, dans ce camp, deux internés ont été condamnés à sept jours de cellule d'isolement, l'un parce qu'il s'était assis sur une chaise sans y être autorisé et qu'il avait refusé de quitter sa chaise, et l'autre du fait de son absence à l'appel du matin et de son refus de se rendre à la promenade. Les personnes punies ont accepté de bon gré leur punition, mais les autres internés ont protesté par solidarité en tapant sur des assiettes de fer-blanc. Les autorités du camp ont alors ordonné l'état d'alarme à 14 h 30 et le lieutenant Wronkowski a pris le commandement du groupe d'assaut. Le procureur, outre qu'il relève que les encouragements du lieutenant Wronkowski ont eu une influence déterminante sur le groupe d'assaut, indique que "le comportement du groupe d'assaut, commandé par le lieutenant, présentait toutes les caractéristiques d'une action de représailles qui visait à intimider les internés et à leur infliger des douleurs physiques. Notamment, ce qui s'est passé dans le couloir des quartiers I et II ainsi que sur le chemin qui mène au quartier V est difficilement qualifiable au titre des règlements juridiques. Le commandant du groupe, M. K. Wronkowski, n'est intervenu à aucun moment pour modérer le comportement de ses subordonnés alors que c'était à lui qu'incombait la responsabilité du comportement du groupe afin qu'il soit conforme à la loi, et c'est en cela qu'il a manqué à son devoir. Il faut donc admettre que son comportement peut entièrement entrer dans les caractéristiques du délit prévu par l'article 246, alinéa 1, du Code pénal."
  517. 286. Le procureur a consigné le fait que les internés ont été matraqués: l'un d'eux, couché sur son lit car il souffrait de douleurs lombaires, a été jeté à terre; les gardiens, interrogés, ont nié s'être servis de matraques, mais toutes les victimes parmi les internés portaient des blessures dans le dos et la nuque, ce qui montre bien qu'elles avaient été attaquées et non attaquantes. La bonne foi des victimes a été confirmée par la déposition de six soldats réservistes, et le procureur poursuit "Les événements se sont déroulés de la manière suivante: les gardiens ont obligé à coups de matraque une partie des internés à se mettre en rang dans un ordre déterminé, à se mettre au garde-à-vous et à observer le silence absolu. Même si l'on admet que le refus de se mettre en rang et dans un ordre déterminé peut être considéré comme une infraction au règlement, ceci n'explique pas l'utilisation des matraques. Dans ce cas, elles furent utilisées comme punition infligée sur-le-champ. Une telle punition ne figure pas au règlement." Tout en faisant bénéficier les deux officiers d'un non-lieu, le procureur a décidé de prendre en considération l'aspect éducatif de la procédure pénale, il a mis à l'épreuve les deux officiers pour une période de deux ans et leur a infligé une amende de 10 000 zlotys chacun à des fins sociales.
  518. 287. M. Dziechciowski, témoin direct des brutalités du 13 février 1982 survenues à Wierzchowo, a confirmé à la commission qu'elles avaient eu pour origine immédiate le refus des internés de se mettre au garde-à-vous pour répondre à l'appel. Dès le matin, a-t-il expliqué, les internés avaient le sentiment que quelque chose se préparait. Sur les tours et dans les miradors, les gardes étaient renforcées, les postes d'eau étaient débloqués devant les baraquements et les tuyaux à incendie branchés. Vers 18 heures, il a entendu crier "Pourquoi nous battez-vous ?" et vers 19 heures un garde est entré dans la cellule n° 16 où il se trouvait pour prévenir les internés qu'il allait être procédé à l'appel selon le règlement, en exigeant le garde-à-vous. De l'extérieur, on leur a fait savoir que les gardiens armés de matraques arrivaient vers leur cellule. Les internés ont décidé de ne pas toucher au garde pour ne pas donner prétexte à représailles, d'ouvrir les fenêtres et de se coucher au fond des lits pour se protéger des gaz lacrymogènes et des coups de matraque. Le lieutenant Ambryszewski, chargé de l'appel, est entré et a constaté le désordre qui régnait dans la cellule. Sur son ordre, huit hommes casqués ont pénétré dans la pièce et les ont frappés à coups de matraque et à coups de pied. Le lieutenant lui-même a envoyé du gaz dans les yeux de l'interné Stankiewicz, et l'interné Janukieniez a été projeté d'un bout à l'autre de la cellule. Le témoin a déclaré à la commission ne pas avoir été battu. Le calme revenu, les autorités ont invité ceux qui le voulaient à passer une visite médicale de sorte que les lésions qu'ils ont subies ont été consignées par le médecin. Pour pouvoir porter plainte, les internés ont dû entamer une grève de la faim au moment où la Croix-Rouge rendait visite au camp de Wierzchowo. Le témoin a précisé que les sévices en question avaient, en fait, eu pour cause le démontage des appareils d'écoute cachés dans les cellules et le refus des internés, en particulier de ceux du groupe de Szczecin, de signer les déclarations de loyauté.
  519. 288. A Ilawa, le 25 mars 1982, des internés auraient également été matraqués. D'après la documentation écrite soumise à la commission, les victimes ont déclaré avoir été rouées de coups de matraque sans raison par plusieurs fonctionnaires en uniforme et avoir subi les coups de la "haie d'honneur" de deux rangées de fonctionnaires qui les frappaient. A cet égard, la commission a entendu le témoignage de M. Brzozowski. D'après lui, ce jour-là, quatre de ses camarades de la cellule n° 14 qui avaient demandé du papier pour faire une déposition ont été battus par une dizaine de gardes armés.
  520. 289. A Kwidzyn, le 14 août 1982, quatre-vingt-une personnes auraient été battues, dont cinquante gravement blessées avec des traumatismes aux reins et des commotions cérébrales. D'après le récit contenu dans la documentation soumise à la commission, ces représailles seraient intervenues alors que les intéressés, s'étant vu refuser la visite mensuelle de leur famille, avaient envoyé une délégation au commandant du camp pour demander des explications. Les internés n'ayant pas reçu d'explications auraient protesté en frappant sur leurs gamelles. Les fonctionnaires du camp, en grande tenue, casque, bouclier, matraque et trois chiens sans muselière, auraient riposté: cent internés auraient été frappés, quelques-uns auraient été hospitalisés. Huit des internés ayant le plus souffert auraient été transférés à la prison d'Elblag ; l'un d'eux souffrant d'un traumatisme à la colonne vertébrale aurait été transféré sur une civière. Les gardiens de la prison n'auraient pas été inquiétés, mais une information aurait été ouverte contre les victimes pour avoir organisé une action de protestation, et les internés battus auraient été condamnés à des peines de prison.
  521. 290. M. Brzozowski a déclaré à la commission qu'il se trouvait à Kwidzyn le 14 août 1982 lors de ce matraquage. Il a confirmé les allégations en rappelant qu'un procès avait eu lieu par la suite et que certains internés qui avaient été grièvement battus avaient été condamnés à un et même deux ans de prison. Le plaignant ayant soulevé devant le témoin l'objection du procureur qui, dans le cadre du procès intenté aux victimes, avait prétendu qu'il y avait eu émeute, que le poste de garde risquait d'être pris et que les prisonniers de droit commun risquaient de se libérer et de fuir, M. Brzozowski a répliqué que la prison de Kwidzyn, étant considérée par les prisonniers de droit commun comme une prison moins dure que d'autres, comme la prison de Sztum par exemple, les prisonniers de droit commun ne cherchaient pas à fuir. En revanche, les gardes avaient à trois reprises ouvert ostensiblement les portes du camp et les avaient refermées dans une sorte de geste de provocation, afin d'inciter les 160 internés regroupés dans la cour, à vingt mètres de la porte, à rejoindre leurs familles qui attendaient à l'extérieur. Il a affirmé que les internés étaient totalement isolés des prisonniers de droit commun et qu'en aucun cas la présence des internés dans la cour ne pouvait provoquer la fuite des condamnés.
  522. 291. Plusieurs témoins entendus par la commission, en particulier MM. Bartczak et Jarmakowski, internés pendant un certain temps au camp de Strzebielinek, ont vu arriver dans leurs lieux d'internement des personnes venues de Kwidzyn qui avaient été grièvement battues et qui, pour certaines, étaient infirmes à vie. M. Bartczak a déclaré qu'il avait soigné l'une de ces personnes atteinte de troubles de l'audition, de l'équilibre et de trous de mémoire.
  523. 292. D'une manière plus générale, selon le rapport de la section médicale du Comité du primat d'aide aux personnes privées de liberté qui traite de l'état de santé des personnes internées durant la loi martiale, sur 988 personnes se trouvant dans les centres pendant une période de cinq à douze mois, 368 ont été reconnues en parfaite santé. Des écarts par rapport aux normes médicales auraient été décelés dans 620 cas: 140 personnes auraient nécessité une hospitalisation et les autres des soins ambulatoires. Chez 100 personnes auraient été constatées des lésions des voies digestives dont 55 cas aigus d'ulcères. Chez 54 personnes auraient été constatées des maladies du système moteur (inflammation articulaire aiguë, inflammation déformante des articulations de la colonne vertébrale). Chez 45 personnes auraient été constatées des maladies pulmonaires, dont quatre cas de tuberculose. Les personnes battues pendant leur internement auraient constitué un groupe à part, où auraient été décelés des maux de tête, des vertiges, la baisse de la vue, des traumatismes de la colonne et des symptômes d'épilepsie. La documentation écrite fait état, par ailleurs, de la mort de 3 personnes à la suite des coups reçus dans les lieux de détention o. La commission reviendra sur cette question au chapitre 11.
  524. 293. D'après les informations contenues dans la documentation écrite, durant les premiers mois qui ont suivi l'instauration de la loi martiale, on aurait appliqué dans les camps le règlement prévu pour les détenus temporaires. Les temps de promenade auraient été d'une demi-heure à une heure, le reste de la journée se passant en cellule. Les visites auraient eu lieu une fois par mois. Au fur et à mesure que le temps passait, le régime s'est adouci, la durée des promenades aurait augmenté, l'accès aux douches serait devenu plus fréquent, les possibilités de contact entre les différentes cellules se seraient élargies. Mais, périodiquement, des durcissements du régime se seraient produits, par exemple dans le camp de Kielce-Piaski au mois d'octobre 1982.
  525. 294. Plusieurs sources ont indiqué que les changements dans l'application du règlement ne dépendaient pas tellement des commandants de camps, mais plutôt des fonctionnaires du service de sécurité chargés de la surveillance de ces camps qui, à ce titre, étaient chargés d'obtenir des renseignements et souvent de proposer, au cours d'interrogatoires informels, aux internés de signer une "déclaration de loyauté". Cette déclaration pouvait influer sur une éventuelle libération des intéressés. Le refus de signer une telle déclaration pouvait également conduire à l'exil forcé.
  526. Préjudices et tracasseries subis par les internés après leur libération
  527. 295. Les témoins entendus par la commission ont fait mention des préjudices et tracasseries dont ils ont souffert à la sortie de leur internement. Ainsi, M. Bartczak, qui avait été libéré du camp de Strzebielinek le 22 décembre 1982 avec un certificat médical attestant son incapacité de travail, était convoqué deux fois par mois par la milice et soumis à un tuteur. M. Brzozowski, qui a refusé d'être dirigé par un membre du Parti ouvrier unifié polonais dans son travail, a été convoqué à trois reprises par les services de sécurité qui lui ont interdit tout contact avec ses camarades. Libéré le 25 juillet 1982, M. Dziechciowski a retrouvé un poste de travail pendant un an, mais il a perdu une partie de sa rémunération et s'est vu interdire la possibilité de trouver un autre emploi; lui aussi a été soumis à la surveillance d'un tuteur. Il était convoqué à la milice toutes les deux ou trois semaines et harcelé à son domicile et sur son lieu de travail. M. Witon, qui avait été libéré le 16 mars 1982, n'a, lui, pas pu retrouver de travail et il a subi, après sa libération, plusieurs perquisitions à son domicile et des tracasseries nombreuses.
  528. Camps militaires spéciaux
  529. 296. Il a été allégué que 450 personnes, toutes engagées dans le syndicat Solidarité et malades pour certaines, avaient été contraintes d'effectuer leur service au camp militaire de Czerwony Bor et qu'elles logeaient dans des wagons. Des militants de Solidarité auraient donc été soumis à une autre forme de privation de liberté en étant mobilisés dans des camps militaires spéciaux où auraient été regroupés des suspects d'activité d'opposition parmi lesquels beaucoup d'anciens internés. D'après la documentation écrite, ces camps auraient fonctionné jusqu'en février 1983 et le nombre de personnes ainsi privées de liberté aurait atteint au moins 2 000.
  530. 297. A cet égard, le gouvernement des Etats-Unis, dans sa communication, a allégué qu'à la fin de 1982 et au début de 1983 des ex-internés et des militants de Solidarité ont été appelés à un service militaire de caractère spécial, constituant en fait une autre forme d'internement même si elle n'était pas publiquement reconnue comme telle par les autorités polonaises. Selon ce gouvernement, il aurait existé une vingtaine de centres d'internement déguisés en camps militaires, notamment à Czerwony Bor dans la province de Lomza, à Czarne dans la province de Szczecin, et à Wilomina près de Varsovie. Les ex-internés militants de Solidarité y auraient été appelés pour une période de quatre-vingt-dix jours, en qualité de réservistes, à subir un entraînement prétendument militaire à la veille des grèves et des manifestations à l'encontre de la loi martiale annoncées pour le 20 novembre 1982. Certains de ces réservistes qui avaient été antérieurement exemptés de service militaire auraient été appelés ainsi sous la contrainte. Aucun entraînement à caractère militaire ne leur aurait été dispensé et ils auraient été logés dans des installations de fortune et contraints à effectuer un travail routinier, à caractère non militaire et de nature physique. Depuis lors, cependant, il aurait été mis fin à cette pratique.
  531. 298. Le témoin M. Jarmakowski, libéré le 24 août 1982 du camp de Strzebielinek, a déclaré à la commission qu'après qu'il eut quitté la Pologne pour s'installer aux Etats-Unis, le 6 septembre 1982, sa famille avait reçu pour lui une convocation au service militaire pour partir dans un camp spécial. Selon lui, cet enrôlement au service militaire des ex-internés était de pratique courante.
  532. Sévices subis lors des interrogatoires
  533. 299. Dans la documentation soumise à la commission, il a été allégué que des violences auraient été subies par des syndicalistes lors de leurs interrogatoires par la police. Parfois, d'après les allégations, les coups et blessures reçus par les militants et sympathisants de Solidarité ont même entraîné la mort ou des lésions extrêmement graves. Les allégations concernant le décès de quatorze personnes nommément désignées seront présentées au chapitre 11.
  534. 300. Selon les allégations examinées dans ce chapitre, formulées par le plaignant et la CISL, des mauvais traitements auraient été infligés à plusieurs personnes. Un premier exemple concerne quatre personnes, à savoir: Bógumila Janas, l'épouse d'un dirigeant de Solidarité de la région de Varsovie, actuellement dans la clandestinité, Zbigniew Janas, qui aurait été maltraitée et battue, le 5 octobre 1983, au commissariat de la milice, au palais Mostowskich alors qu'elle était interrogée sur les activités de son mari, dans le but de le faire sortir de la clandestinité; Grzegorz Walesa, le neveu du président de Solidarité, qui aurait été battu à Bydgoszcz par une patrouille de la milice le 20 août 1983, de même que Jan Witkowski, rédacteur de la revue Robotnik qui, au commissariat de Szczecin le 30 août 1983, aurait été victime d'une "haie d'honneur" et qui souffrirait d'une perte partielle de la vue, de l'audition et d'une paralysie partielle du bras. Il aurait été, par la suite, inculpé d'" insulte à un milicien" et incarcéré. Quant au président de la commission d'entreprise de Solidarité d'une entreprise de Nowy Sacz, Jerzy Wyskiel, il aurait été enlevé en pleine rue le 2 septembre 1983 par des agents de la sûreté, interrogé dans une cave à propos de tracts et de publications clandestines, battu et jeté d'une voiture en marche. A l'hôpital, on aurait diagnostiqué une commotion cérébrale, une fracture du bras et des lésions générales.
  535. 301. D'après la documentation écrite, plusieurs autres personnes auraient été soumises à des interrogatoires accompagnés de violence, en particulier Anna Michalska au commissariat de police de Cracovie en mars 1982; T. Piekarz au commissariat de la rue Mogilska le 11 mai 1982, à Cracovie, et Jerzy Mnich au commissariat de la milice de la voïvodie de Katowice. En outre, Piotr Milewski, après son arrestation au mois de décembre 1982 aux chantiers navals de Gdansk, aurait été conduit à l'hôpital psychiatrique de Koczorow à la suite des coups reçus au commissariat. Dans ses déclarations devant la commission, le témoin M. Kaczmarczyk a confirmé les allégations concernant le sort subi par Jerzy Mnich, gréviste de la mine de charbon "Manifest Lipcowy ", qui aurait été arrêté alors qu'il était à l'hôpital le 13 janvier 1982 et battu au commissariat de la milice de la voïvodie de Katowice. On lui aurait même projeté du gaz dans les yeux à l'aide d'une bombe et il souffrirait d'une perte progressive de l'oeil droit. Le plaignant cite également le cas d'un mineur resté anonyme qui aurait été interrogé au mois de novembre puis au mois de décembre 1982 et torturé avec du courant électrique dans les doigts, frappé à coups de matraque et même partiellement asphyxié par un masque à gaz que deux agents lui auraient appliqué pendant qu'un troisième bouchait l'entrée de l'air. On aurait par la suite tenté de le remonter avec du glucose et des vitamines en piqûres, et on lui aurait proposé de collaborer, ce à quoi il se serait refusé. Enfin, toujours selon le plaignant, à Wroclaw, à la maison d'arrêt de la rue Lakowa, les personnes interrogées seraient attachées par des sangles sur une "couche dure" avec une cuvette en métal sous les reins. Ce procédé très douloureux peut provoquer une paralysie partielle des bras et des jambes sans laisser de traces visibles.
  536. 302. Dans la documentation écrite, il est fait état d'un cas où les miliciens auraient été punis: la sentence aurait été prononcée contre des fonctionnaires qui auraient battu, le 21 septembre 1982, dans le commissariat de la milice à Wegrowo, le président de Solidarité des agriculteurs indépendants du village de Korytnica, M. Krzysztof Szymanski qui, lors de son interpellation, détenait des tracts. La victime aurait dû passer soixante-huit jours à l'hôpital pénitentiaire. Le tribunal militaire de la région de Varsovie aurait condamné, au mois d'avril 1983, les fonctionnaires responsables: Moszynski du détachement volontaire de la milice à deux ans et demi de détention, et les trois autres fonctionnaires, Kalinowzki, Drozdzewski et Rydzewski, à deux ans de prison, en invoquant " le sadisme et la bestialité" dont ils auraient fait preuve, ainsi que le "danger particulier qu'ils représentent pour la société ". Cependant, au mois de mai 1983, les fonctionnaires condamnés auraient été libérés.
  537. 303. Lors de son audition devant la commission, M. Nedzynski, secrétaire général de l'Internationale des postes et des communications, qui s'est rendu à plusieurs reprises en Pologne, a confirmé les allégations selon lesquelles la police frappait à coups de matraque des personnes arrêtées, et le témoin M. Jarmakowski a ajouté qu'au camp de Strzebielinek il avait été interné avec des personnes qui avaient été battues au commissariat de la milice de Katowice. Enfin, plusieurs témoins ont déclaré que ceux qui se plaignaient se retrouvaient sur le banc des accusés. A cet égard, M. Nedzynski a affirmé qu'en ces matières le témoignage d'un policier suffisait et il a évoqué, d'une part, le cas d'un juge de Radom qui a accepté des témoignages à charge même lorsqu'ils étaient contredits par le même policier et, d'autre part, celui de M. Switon, fondateur des syndicats libres de Silésie, accusé d'avoir attaqué un milicien alors qu'il s'était plaint d'avoir été frappé par des miliciens à la sortie d'une église.
  538. Condamnations
  539. 304. La plainte se réfère à la condamnation pour faits de grève de travailleurs et de militants syndicaux et contient, en annexe, une liste de personnes nommément désignées condamnées à des peines de prison pour activité syndicale et de personnes arrêtées. En outre, au mois d'octobre 1983, la CISL a présenté à la commission une liste des membres de Solidarité condamnés en raison de leurs activités ou sympathies syndicales pendant la loi martiale où elle faisait état de la condamnation d'environ 1 700 personnes nommément désignées à l'égard desquelles des informations sur les chefs d'inculpation qui auraient motivé leur condamnation étaient données. Par une communication du 18 novembre 1983, cette confédération a présenté une seconde liste de plus de 350 syndicalistes qui, selon elle, seraient encore détenus sur la base de condamnations à des peines supérieures à trois ans et qui, de ce fait, n'auraient pas été libérés au titre de la loi d'amnistie du 22 juillet 1983.
  540. 305. En ce qui concerne les travailleurs polonais encore emprisonnés, le plaignant a fourni certaines informations dans une communication du 14 avril 1984. D'après les listes élaborées en décembre 1983, qu'il a fournies avec cette communication, 121 personnes auraient encore été arrêtées après l'adoption de la loi d'amnistie du 22 juillet 1983. En outre, le plaignant a fait état des déclarations de M. Zawadzki, alors qu'il était ministre de la Justice, à la session de la Diète du 29 septembre 1983. Selon ces déclarations, à la date du 20 septembre 1983, 1 427 personnes auraient été concernées par l'amnistie dont 533 personnes condamnées qui auraient bénéficié d'une mesure de grâce, 797 personnes poursuivies qui auraient bénéficié de la clôture des procédures engagées contre elles et 97 personnes condamnées qui auraient bénéficié d'une remise de peines. Ainsi, selon le ministre, sur les 640 personnes auteurs de délits commis pour raisons politiques et condamnées ou détenues préventivement dans les établissements pénitentiaires polonais au moment de l'amnistie, 557 personnes auraient été remises en liberté. Au 24 septembre 1983, 83 restaient en prison. Quarante et une d'entre elles purgeaient des peines diminuées à la suite de la loi d'amnistie, 30 n'étaient pas concernées par l'amnistie et 12 demeuraient en détention provisoire. Pour ces dernières, l'amnistie ne s'appliquera qu'au moment où leur sentence sera prononcée, compte tenu des charges pénales pesant sur elles. Le ministre aurait également estimé à 196 le nombre de personnes amnistiées pour délits liés à la militarisation des entreprises. Avec une autre communication du 14 avril 1984, le plaignant a joint la liste nominative de 138 personnes encore détenues, condamnées ou en détention préventive en mars 1984.
  541. 306. Enfin, dans une communication du 19 avril 1984, le plaignant a indiqué que des informations d'avril 1984 font état de 409 prisonniers politiques qui seraient officiellement détenus en Pologne. Certains d'entre eux observeraient une grève de la faim et seraient alimentés de force. En outre, des mauvais traitements continueraient à être infligés dans les prisons.
  542. 307. Les condamnations sont intervenues en application du décret sur la loi martiale du 12 décembre 1981 suspendant le droit de grève et de manifestation. Aux termes du décret, les membres d'une association ou d'un syndicat suspendu qui ne cessaient pas d'y appartenir, ainsi que ceux qui utilisaient un véhicule à des fins de grève ou de manifestation encouraient une peine de trois ans de prison (art. 46). Ceux qui organisaient ou dirigeaient une manifestation de protestation ou une grève encouraient une peine de cinq ans de prison (art. 46), de même que ceux qui diffusaient de fausses nouvelles susceptibles de provoquer l'inquiétude du public ou transportaient ou envoyaient de tels écrits, tracts, enregistrements ou films (art. 48). En outre, ceux qui agissaient de la même manière en utilisant l'imprimerie ou tous autres moyens d'information encouraient une peine de dix ans de prison (art. 48).
  543. 308. Il est allégué qu'à la suite de la déclaration de la loi martiale, de nombreuses attributions des tribunaux civils ont été transférées aux juridictions militaires et que certains juges ont été particulièrement sévères, notamment au tribunal de la voïvodie de Varsovie, au tribunal de la voïvodie de Wroclaw, au tribunal de la région militaire de Varsovie statuant à Rzeszów, au tribunal de la voïvodie de Bydgoszcz et surtout au tribunal de la marine de guerre de Gdynia.
  544. 309. Pendant les six premiers mois de l'année 1982, les tribunaux auraient jugé 183 personnes en procédure expéditive dont 122 pour faits dé grève et, sur ces 122 personnes, 112 auraient été condamnées et 10 acquittées. A Varsovie, la grande majorité des affaires jugées aurait concerné la rédaction, l'impression et la diffusion de publications clandestines de Solidarité: 20 personnes auraient été condamnées pour faits de grève à l'usine de tracteurs Ursus, à l'aciérie Huta Warszawa, à l'usine d'automobiles FSO, à l'Institut de recherches nucléaires et à l'usine chimique Polkolor de Piaseczno. A Gdansk, sur 160 condamnations à des peines de prison, 60 pour cent se rapporteraient aux grèves de décembre 1981 dans les grandes entreprises du littoral (Gdansk, Gdynia et Szczecin), 20 pour cent à la fabrication et à la distribution de tracts et 20 pour cent à la participation à des manifestations, notamment celles du 31 août 1982. A Katowice, sur 19 condamnations égales ou supérieures à cinq ans de prison, 11 auraient concerné les grèves de décembre 1981 et sept la fabrication et la distribution de tracts.
  545. 310. Les peines les plus sévères auraient été prononcées par les tribunaux militaires de Gdansk, de Gdynia et de Varsovie. Ainsi, le président du tribunal de la région militaire de Varsovie, le colonel Mieczyslaw Przybos, statuant à Rzeszów, aurait prononcé des peines plus lourdes que celles demandées par le procureur une personne aurait été condamnée à six ans et demi de prison " pour avoir créé de nouvelles structures syndicales et avoir diffusé des publications illégales " alors que le procureur n'avait requis que quatre ans et demi de prison. De même, trois personnes auraient été condamnées à six ans de prison pour avoir organisé et dirigé une grève de cinq minutes à l'aciérie Stalowa Wola. En ce qui concerne le tribunal de la marine de guerre de Gdynia, au mois de février 1982 notamment, Ewa Kubasiewicz aurait été condamnée à dix ans de prison et ses coïnculpés à neuf ans. Les intéressés auraient été accusés d'avoir organisé et dirigé une grève, le 14 décembre 1981, à l'Ecole supérieure maritime de Gdynia et d'avoir rédigé, publié et diffusé un communiqué de grève contenant de fausses nouvelles risquant de nuire à la défense du pays; or les grévistes eux-mêmes auraient mis fin de leur plein gré à la grève après vingt heures à la suite d'une discussion avec la direction de l'école et l'assurance donnée par le recteur qu'ils n'avaient à craindre aucune suite pénale. Quant aux fausses nouvelles, le texte du communiqué incriminé aurait seulement informé les lecteurs du début de la grève à l'école et du changement de recteur déjà intervenu.
  546. 311. Par ailleurs, il a été allégué que des peines de quatre à six ans de prison avaient frappé plusieurs dirigeants importants de Solidarité, dont MM. Piotr Bednarz, membre du présidium de Solidarité de la région de Wroclaw et de la Commission provisoire de coordination de Solidarité (TKK), Wladislaw Frasyniuk, président de Solidarité de la région de Wroclaw et membre de la TKK, Patrycjusz Kosmowski, président de Solidarité de la région de Bielsko-Biala, Jerzy Kropiwnicki, vice-président de Solidarité de la région de Lodz, Yanusz Palubicki, membre de la Commission provisoire de coordination de Solidarité (TKK), Andrzej Slowik, président de Solidarité de la région de Lodz et membre du présidium de la Commission nationale de Solidarité, même si certains de ces dirigeants ont vu leur peine réduite en vertu de la loi d'amnistie.
  547. 312. D'après les allégations, le Tribunal suprême aurait parfois aggravé les condamnations: ainsi deux des dirigeants de Solidarité mentionnés ci-dessus, MM. Kropiwnicki et Slowik, poursuivis pour avoir organisé une manifestation le 14 décembre 1981 au siège de Solidarité à Lodz et qui avaient été condamnés par le tribunal de la voïvodie de Lodz à quatre ans et demi de prison, auraient été frappés par le Tribunal suprême de six ans de prison. Lors des auditions devant la commission, le témoin M. Kaczmarczyk a indiqué que le Tribunal suprême a condamné à cinq ans de prison le docteur Choina, arrêté le 16 décembre 1981 et accusé d'avoir donné à des jeunes gens des tracts à distribuer, alors que le Tribunal militaire de Katowice ne l'avait condamné, en première instance, qu'à deux ans et demi de prison, le 11 janvier 198268.
  548. 313. Le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne a fourni des extraits des décisions du Tribunal suprême (chambres criminelle et militaire) pour l'année 1982, d'après lesquels la peine la plus basse qu'un tribunal pouvait prononcer, dans le cadre de la procédure d'application de la loi martiale, en l'absence de circonstances atténuantes et en application de l'article 4, alinéa 1, du décret du 12 décembre 1981 sur les procédures spéciales en cas d'infractions et de violations des dispositions sur la loi martiale, était de trois ans de prison. En outre, une action de protestation au sens de l'article 46 du décret sur la loi martiale pouvait être un comportement (action ou omission) des participants visant à atteindre, sous des formes qui se manifestaient extérieurement, un but déterminé. Une telle action de protestation pouvait donc consister dans le port de brassards. Enfin, la distribution de tracts signés par un syndicat dont l'activité avait été suspendue constituait, si elle avait lieu dans le cadre de l'appartenance du délinquant à ce syndicat, la poursuite d'une activité syndicale contraire à l'interdiction visée par le décret sur la loi martiale. Cela, toujours selon le Tribunal suprême, n'excluait pas le fait que la distribution de tracts pouvait accessoirement être considérée (selon leur contenu) comme diffusion de fausses nouvelles, diffamation du régime ou appel à la désobéissance.
  549. 314. Le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne a relevé que l'amnistie est soumise à une série de restrictions. Elle ne s'applique pas aux délits de fuite et de tentative de fuite à l'étranger dans le but de se soustraire à l'obligation de travailler. La remise de peine couvre des actes au sens des articles 46 et 48 du décret du 12 décembre 1981 sur " la loi martiale " (poursuite d'une activité dans une association ou un syndicat interdits, participation à des grèves ou direction de grèves, dommages causés à des installations industrielles du fait de grèves, diffusion de fausses informations en vue d'affaiblir la capacité de défense de la Pologne, diffusion et production de textes imprimés ou de films aux mêmes fins). Mais cette disposition se trouve atténuée du fait que l'amnistie n'est octroyée qu'à la condition que l'intéressé ne commettra pas une nouvelle infraction analogue avant le 31 décembre 1985, faute de quoi le droit de se prévaloir de l'amnistie sera annulé (art. 7).
  550. 315. Dans sa communication écrite, le gouvernement des Etats-Unis indique que, selon le gouvernement de la Pologne, au lendemain de l'adoption de la loi d'amnistie, le 22 juillet 1983, seulement 640 personnes étaient en prison pour atteintes à la loi martiale et que, le 24 septembre 1983, il ne restait plus que 83 personnes emprisonnées pour des délits politiques commis pendant que la loi martiale était en vigueur, dont 30 ne bénéficieraient pas de l'amnistie à cause de la gravité des faits qui leur étaient reprochés. D'après lui, le gouvernement de la Pologne aurait annoncé que 3 068 délinquants politiques et 11 000 personnes condamnées pour d'autres délits avaient droit à bénéficier de l'amnistie. Cependant, le 2 novembre 1983, le ministre de l'Intérieur de Pologne aurait déclaré que 648 personnes avaient bénéficié de l'amnistie. Le gouvernement des Etats-Unis remarque que l'amnistie ne s'applique qu'à certaines infractions à la loi martiale et qu'elle n'est accordée aux membres de Solidarité qu'à la condition qu'ils confessent leur crime. De plus, elle est conditionnelle puisque celui qui commet un délit analogue à celui pour lequel il a été puni dans les deux ans à venir devra accomplir la totalité de sa peine. Pour le gouvernement des Etats-Unis, cela constitue une forme d'intimidation pour décourager l'affiliation à Solidarité. Par ailleurs, il relève que les autorités polonaises auraient admis avoir arrêté 116 personnes entre le 22 juillet et le 29 septembre 1983. Selon lui, en fait, le nombre de personnes arrêtées depuis cette date serait trois ou quatre fois plus élevé. L'ensemble de ces indications a été réitéré par le plaignant qui a particulièrement insisté sur les déclarations que le commandant de la milice, chef adjoint du Département des enquêtes du ministère de l'Intérieur, aurait faites dans un journal de Varsovie, selon lesquelles ceux qui, avant le 31 octobre 1983, ne sont pas décidés à reconnaître volontairement leurs fautes doivent être conscients du fait que, selon la législation en vigueur, ils peuvent être l'objet à tout moment de mesures répressives.
  551. 316. Le gouvernement de la France a regretté que la loi d'amnistie exclue de son bénéfice, sous prétexte de crime contre les intérêts fondamentaux de l'Etat, les principaux dirigeants de Solidarité non libérés en décembre 1982, ceux du Comité d'autodéfense des travailleurs (KOR) et ceux de la Confédération de la Pologne indépendante (KPN) inculpés en application des articles 123 et 128 du Code pénal. Sur ce point, Mme Breton Baluka, entendue par la commission, a confirmé que son mari condamné à cinq ans de prison aux termes de l'article 128 du Code pénal est exclu du bénéfice de l'amnistie en application de la loi.
  552. 317. Pour expliquer le contexte dans lequel s'est effectué le départ de Pologne des témoins qu'il avait cités et les intentions du gouvernement en matière d'amnistie, le plaignant a, lors des auditions, lu à la commission un document contenant, selon lui, des thèses de discours prononcés par trois dirigeants polonais, M. Barcikowski et les généraux Siwicki et Baryla, lors d'une réunion de travail devant les responsables du parti et les cadres de l'armée, le 16 novembre 1982, à Varsovie. Les orateurs auraient notamment déclaré:
  553. La suspension de la loi martiale exige que soit réglée la situation des personnes se trouvant dans les camps d'internement. Chaque cas est examiné individuellement. Sont prises en considération les possibilités suivantes: la libération, la condamnation, l'incitation à s'expatrier et l'amnistie. On envisage la possibilité d'une amnistie partielle qui concernerait les jeunes gens qui ont été condamnés à des peines mineures; des remises de peines sont également envisagées. Les militants actifs de la clandestinité ne seront pas concernés par ces mesures.
  554. 318. En ce qui concerne les effets généraux de la loi d'amnistie, le témoin M. Bartczak a déclaré à la commission qu'effectivement dans les deux semaines qui ont suivi l'adoption de la loi, certaines personnes ont été libérées, notamment celles qui avaient été condamnées aux peines les moins lourdes. Les libérations sont intervenues progressivement. Les militants de Solidarité condamnés à de plus lourdes peines et pour lesquels les effets de l'amnistie n'étaient que partiels ont été regroupés dans un même endroit. Selon lui, certaines personnes qui avaient été amnistiées ont été réincarcérées par la suite. Le témoin M. Mairé, qui s'est récemment rendu en Pologne, a ajouté qu'un certain nombre d'emprisonnés qui auraient dû bénéficier de l'amnistie n'ont pas été libérés et que certaines personnes étaient parfois internées administrativement pour de brèves périodes dans un but d'intimidation, afin de les dissuader de manifester leur attachement à Solidarité. Ainsi, Anna Walentynowicz, qui avait été condamnée avec sursis au début de l'année 1983, a été réarrêtée avec deux autres personnes un peu avant le 13 décembre 1983, pour avoir voulu rendre hommage aux morts de la mine de Wujek.
  555. Poursuites judiciaires maintenues contre des dirigeants syndicaux après l'adoption de la loi d'amnistie
  556. 319. Il a été allégué que quatre membres du Comité d'autodéfense des travailleurs (KOR), à savoir: MM. Jacek Kuron, Adam Michnik, Zbigniew Romaszewski et Henryk Wujek, ont été inculpés de tentative de renversement du système en vigueur par la force, et que sept membres de la Commission nationale de Solidarité: MM. Andrzej Gwiazda, vice-président de Solidarité, Seweryn Jaworski, vice-président de Solidarité pour la région de Mazowsze, Marian Jurczyk, président de Solidarité pour la région de Szczecin, Karol Modzelewski, vice-président de Solidarité pour la région de Wroclaw, Grzegorz Palka, membre de la Commission nationale de Solidarité, Andrzej Rozplochowski, membre de la commission de Solidarité pour la région de Katowice, et Jan Rulewski, président de Solidarité pour la région de Bydgoszcz, l'ont été de former une entente en vue de renverser le système en vigueur par la force. D'après les allégations, les personnes en question seraient menacées, aux termes des articles 123 et 128 du Code pénal, soit de dix ans de prison, soit même de la peine de mort. Sur ce dernier point, Andrzej Gwiazda lui-même, dans une lettre adressée à la commission, a expliqué qu'il avait d'abord été inculpé au mois de décembre 1982, aux termes de l'article 123, et menacé de la peine de mort, mais que, depuis le mois d'août 1983, l'instruction avait pris fin et que le procureur du parquet général militaire l'avait informé de la modification de la qualification juridique de son inculpation. Il est maintenant poursuivi en application de l'article 128 pour tentative de renversement du système par la violence et menacé d'une peine d'un à dix ans de prison.
  557. 320. Selon la CISL, ces personnes étaient dans l'incapacité physique de mener les activités qui leur sont reprochées puisqu'elles étaient détenues depuis le 13 décembre 1981, et que la loi d'abolition adoptée par le gouvernement de la Pologne a couvert toutes les activités politiques et syndicales menées avant le 13 décembre 1981. De plus, les accusations contre ces syndicalistes seraient gratuites pour ce qui concerne la matérialité des faits et dénuées de tout fondement d'un point de vue juridique. Selon le gouvernement des Etats-Unis et le plaignant, l'amnistie aurait été proposée à ces onze personnes à la condition qu'elles quittent la Pologne ou qu'elles désavouent leur passé syndical, mais toutes ont refusé.
  558. Position du gouvernement de la Pologne
  559. 321. Les raisons invoquées par le gouvernement de la Pologne pour justifier la déclaration de la loi martiale et des différentes mesures d'application, y compris les internements, ont déjà été évoquées au chapitre 9.
  560. 322. En ce qui concerne les informations relatives à la situation des personnes internées et détenues, le gouvernement a indiqué, au mois de mai 1982, que 7 000 personnes étaient passées dans les camps d'internement, mais que 5 000 avaient été libérées, dont les 1 000 dernières le 28 avril 1982, et qu'il restait, en mai 1982, 2 300 personnes internées. Il a aussi fourni des informations écrites, le 28 mai 1982, d'où il ressortait que, sur les 725 personnes mentionnées dans la plainte examinée par le Comité de la liberté syndicale, 340 avaient été internées ou arrêtées, dont 313 militants ou simples membres de Solidarité et que, sur ces 313 personnes, 128 avaient été libérées.
  561. 323. D'autre part, toujours à cette date, le gouvernement a indiqué que les conditions d'existence des internés étaient différentes de celles des détenus, en ce sens qu'ils bénéficiaient d'un règlement spécial. D'après le gouvernement, des visites du Comité international de la Croix-Rouge avaient eu lieu dans les camps et il n'y a pas eu de remarques de sa part en ce qui concerne les conditions matérielles de détention ou les relations avec les gardiens.
  562. 324. Ultérieurement, dans une communication du 22 octobre 1982, le gouvernement a déclaré que, sur un total de 204 personnes figurant sur une liste annexée à un précédent rapport du Comité de la liberté syndicale, 100 personnes avaient été libérées, 92 restaient internées ou arrêtées et, sur les 111 personnes figurant en annexe à la plainte de M. Blondel et de Mme Buck, 9 avaient été libérées et 14 étaient internées ou arrêtées. Les autres n'avaient pas été identifiées ou avaient fait l'objet de condamnation.
  563. CHAPITRE 11
  564. MORT DE MILITANTS ET DE DIRIGEANTS SYNDICAUX
  565. 325. La plainte de M. Blondel et de Mme Buck se réfère aux décès de travailleurs survenus après l'intervention des forces de l'ordre à l'occasion de conflits du travail. Il a été allégué que des militants et des dirigeants syndicaux seraient décédés en particulier lors de la grève de décembre 1981 à la mine de Wujek et au cours de grèves et de manifestations organisées par Solidarité au long des années 1982 et 1983; d'autres décès seraient survenus à la suite de violences exercées contre des personnes internées ou au cours d'interrogatoires.
  566. 326. Dans sa communication du 21 novembre 1983, M. Blondel a allégué que 18 personnes nommément désignées seraient décédées à la suite de l'action directe de la milice, 20 personnes après avoir été battues, et 11 personnes dans des circonstances non éclaircies ou indirectement liées à des actions de la milice.
  567. 327. La CMT a fait état, dans une communication du 15 décembre 1982, de la mort de 32 personnes tuées par la milice ou mortes à la suite des blessures causées par les forces de l'ordre entre décembre 1981 et novembre 1982.
  568. 328. D'après des informations communiquées par la CISL, une vingtaine de personnes auraient été tuées par les forces de l'ordre par balles ou par grenades lacrymogènes au cours de manifestations organisées par Solidarité ou au cours de grèves à Lublin, Gdansk, Wujek, Poznan, Wroclaw, Nowa Huta, Varsovie et Biala Podlaska ; environ une quarantaine d'autres personnes seraient décédées après avoir reçu des coups de matraque de la part de la milice, des services de sécurité ou de la police, ou dans d'autres circonstances.
  569. Informations et témoignages présentés à la commission
  570. Dirigeants et militants syndicaux qui seraient morts à la suite de l'intervention des forces de l'ordre au cours de grèves et de manifestations
  571. 329. Selon la documentation soumise à la commission, les grèves déclenchées après le 13 décembre 1981 dans toutes les régions du pays, ainsi que les nombreuses manifestations qui eurent lieu en 1982 pour obtenir la restauration de Solidarité, la libération des emprisonnés pour activité syndicale et l'abolition de la loi martiale, auraient été brisées par l'intervention massive de la milice et de l'armée qui auraient utilisé gaz, grenades, canons à eau et matraques. Les armes à feu auraient servi, non seulement, le 15 décembre 1981 dans la mine de Wujek à Katowice, mais aussi, le 17 décembre 1981 dans les rues de Gdansk, le 31 août 1982 à Lublin et à Wroclaw et le 13 octobre 1982 à Nowa Huta où elles auraient tué quatorze personnes.
  572. 330. D'après les informations communiquées par le plaignant, le bilan des morts et des blessés à la mine de Wujek était très lourd puisqu'il y aurait eu sept mineurs tués par balles et un autre mort pendant son transfert à l'hôpital, et cinquante ouvriers gravement blessés; les miliciens auraient tiré sans sommation.
  573. 331. Lors de son audition, un témoin, M. Kaczmarczyk, a relaté en détail les événements de la mine de Wujek et il a précisé que l'affaire avait pris une dimension différente lorsque la fille du président du comité d'entreprise, M. Ludwiczak, avait été battue par la milice. Il a expliqué que, dans la nuit du 12 au 13 décembre 1981, quatre miliciens étaient arrivés à l'appartement du président du comité d'entreprise qui a alors demandé à dix mineurs de le rejoindre chez lui. Par la suite, cinquante miliciens sont arrivés. Ils ont battu des gardiens et des mineurs qui ont perdu connaissance. Les miliciens ont ensuite enfoncé la porte de l'appartement du président du comité d'entreprise et battu brutalement sa fille qui essayait de le défendre. La nouvelle de ces brutalités s'est propagée jusqu'à la mine et cinq cents personnes se sont rassemblées pour proclamer la grève d'occupation. Selon le témoin, une vaine tentative de médiation a eu lieu le 15 décembre, mais, dans l'après-midi, trente tanks et des voitures blindées ont pris position près de la mine. Le 16 décembre, les tanks se sont dirigés vers la mine et les autorités ont lancé aux mineurs un ultimatum d'une heure pour qu'ils la quittent. Quelque cinq cents femmes et enfants se sont alors rassemblés devant les portes. Les miliciens ayant bloqué les rues, la foule s'est précipitée devant les tanks. Elle a été attaquée avec des canons à eau et des bombes lacrymogènes. Les tanks ont pénétré sur le carreau de la mine, en lançant du gaz lacrymogène. Les grévistes ont alors contre-attaqué. Ils ont sauté sur les véhicules, les obligeant à sortir de l'enceinte, et ils se sont emparés de certaines armes. Les miliciens ont lancé une deuxième attaque. On a entendu le crépitement des armes à feu dans les environs. Les mineurs suivants sont tombés sous les balles: Zbigniew Wilk, Ryszard Idzik, Josef Czekarski, Krzysztof Giza, Roman Zajac, Boguslaw Kopczak, Jan Stawisinski et Joachim Gnida. Andrezj Palka, conduit à l'hôpital, est mort des suites de ses blessures. Les grévistes, en apprenant la mort de leurs camarades, ont pris trois otages: un simple soldat et deux officiers. Les miliciens ont arrêté les opérations et la négociation a commencé. Le commandant militaire a déclaré ne pas avoir donné l'ordre de tirer. Les mineurs en contrepartie des trois otages ont demandé l'autorisation de quitter la mine en toute sécurité dans des autobus, ce que le commandant militaire leur a accordé, et les trois otages ont été relâchés après le départ du dernier autobus.
  574. 332. Selon la documentation écrite soumise à la commission, outre les mineurs décédés à la mine de Wujek, les personnes suivantes auraient été mortellement blessées par les balles de la milice ou par des gaz ou des grenades lacrymogènes:
  575. - Antoni Browarczyk, Wieslaw Adamczyk et Slawomir Dobrzanski à Gdansk, le 17 décembre 1981;
  576. - Wojciech Cielecki à Biala Podlaska, le 2 avril 1982;
  577. - Wladyslaw Durda à Szczecin, le 3 mai 1982;
  578. - Andrzej Trajkowski, Mieczyslaw Pozniak et Michal Adamczak à Lublin, le 31 août 1982;
  579. - Tadeusz Wozniak à Wroclaw, le 31 août 1982;
  580. - Piotr Sadowski à Gdansk, le 31 août 1982;
  581. - Bogdan Wlosik à Nowa Huta, le 13 octobre 1982;
  582. - Waclaw Kaminski à Gdansk, le 11 novembre 1982;
  583. - Ryszard Smagur à Nowa Huta, le 1er mai 1983.
  584. Deux autres mineurs seraient morts au cours de la grève à la mine de charbon " Manifest Lipcowy " en Silésie, le 17 décembre 1981.
  585. 333. Toujours d'après la documentation écrite, des coups de matraque de la milice au cours des manifestations auraient provoqué la mort notamment des personnes suivantes:
  586. - Franciszek Tyszko, frappé par des miliciens à Wroclaw, serait décédé le 3 janvier 1982;
  587. - Tadeusz Matuszynski, frappé à Wroclaw le 1er février 1982, serait décédé d'une hémorragie cérébrale;
  588. - Wojciech Cielewicz, matraqué à Poznan le 13 février 1982, serait mort d'un traumatisme crânien malgré une trépanation le 27 février 1982;
  589. - Stanislaw Kot, frappé à Rzeszów le 31 mars 1982, serait décédé le 3 avril 1982 à l'hôpital de Rzeszów de multiples fractures (crâne, colonne vertébrale);
  590. - Franciszek Rycerz, frappé à Cracovie le 13 avril 1982, serait décédé à l'hôpital;
  591. - Adam Szulecki, matraqué à Varsovie le 3 mai 1982, serait mort le 9 mai à l'hôpital de Praga;
  592. - Malgorzata Lenartowicz, matraquée à Varsovie le 3 mai 1982, serait décédée le 5 mai à l'hôpital ;
  593. - Mieczyslaw Radomski, frappé par des miliciens à Varsovie le 3 mai 1982, alors qu'il se rendait à la messe, serait mort pendant son transfert à l'hôpital;
  594. - Marek Kuchta, détenu et frappé par la police à Varsovie dans la vieille ville, serait décédé le 5 mai 1982;
  595. - Piotr Majchrzak, frappé par des miliciens à Poznan le 13 mai 1982, serait décédé à l'hôpital le 18 mai 1982;
  596. - Andrzej Flak, frappé par des miliciens à Varsovie le 25 mai 1982, serait décédé d'une rupture de la rate et d'une hémorragie de la cavité abdominale;
  597. - Stanislaw Szymanski, président du comité de Solidarité de l'Office des postes de Gdansk, battu par des officiers du service de sécurité dans son propre appartement, serait décédé au mois de mai 1982;
  598. - Wlodzimierz Lisowski, frappé par des miliciens à Cracovie le 13 mai 1982, serait décédé des suites de ses blessures le 13 juillet 1982;
  599. - Jacek Osmanski, frappé à Torun par une patrouille de miliciens, serait décédé le 1er août 1982,
  600. - Kazimierz Michalczyk, frappé par des miliciens à Wroclaw le 31 août 1982, serait décédé des suites de ses blessures le 2 septembre 1982;
  601. - Stefan Sznajder, soixante-dix-huit ans, frappé à Wroclaw par les forces de sécurité, serait décédé le 31 août 1982 d'une paralysie générale;
  602. - Eugeniusz Wilkomirski de Czestochowa, frappé par des miliciens le 1er septembre 1982, serait décédé deux jours après;
  603. - Stanislaw Krolik, frappé par des miliciens à Varsovie le 10 novembre 1982 près de l'église Sainte-Croix, serait mort à l'hôpital de Bielany le 16 novembre 1982.
  604. 334. La CISL donne également des noms et des informations concernant d'autres personnes qui seraient mortes dans des circonstances mal élucidées, mais pour des raisons qui seraient imputables aux forces de l'ordre, notamment Andrzej Gasiewski, de Varsovie, retrouvé mort le 19 juin 1983; Mieczyslaw Joniec, de Nowa Huta, tué le 31 août 1982 au cours d'une manifestation; Tadeusz Jurek, mort le 30 juin 1983 des suites des mauvais traitements qu'il aurait subis; Ryszard Kowalski, mort le 31 mars 1983; Ryszard Lyskawa, mort le 1er mai 1983 au cours d'une manifestation à Wroclaw ; Andrzej Urbanowicz et Jan Samsonowicz, morts respectivement le 16 juin 1982 et le 6 juillet 1983, après avoir été arrêtés par la police.
  605. Dirigeants ou militants syndicaux qui seraient morts à la suite de violences exercées contre eux alors qu'ils étaient internés ou au cours d'interrogatoires
  606. 335. Il a été allégué que les personnes suivantes, qui avaient été internées dans les camps ou étaient détenues dans des locaux des forces de sécurité, sont mortes après avoir subi des sévices:
  607. - Zenon Beszczynski ou Reszczynski aurait été sévèrement battu à la prison de Bydgoszcz et transporté agonisant à l'hôpital de la prison, le 28 décembre 1982. Il serait mort malgré deux trépanations dans la nuit du 13 au 14 janvier 1983;
  608. - Adam Grudzinski, interné à Zaleze jusqu'au mois de juin 1982, aurait été battu pour avoir tenté de protéger un codétenu et conduit à l'hôpital à la suite d'une crise cardiaque;
  609. - Jacek Jerz, interné à Kwidzyn, aurait été battu par les miliciens lors des brutalités du 14 août 1982 dans ce camp, où il serait resté malgré son très mauvais état de santé jusqu'au mois de décembre. Il serait mort d'une crise cardiaque des suites des mauvais traitements le 31 janvier 1983;
  610. - Tadeusz Wolski, domicilié rue Prosta, à Bielst Podlaskie, aurait été frappé à mort à Szkolny Dwor par deux fonctionnaires de la milice dont le sergent-major Feflinski, au mois de juillet ou au mois d'août 1982; son décès serait dû à l'éclatement de la rate consécutif aux coups de matraque;
  611. - Emil Barchanski aurait été battu par des officiers des services de sécurité alors qu'il était en détention préventive à Varsovie au mois de mars 1982; relâché le 30 mars 1982, il aurait été retrouvé noyé dans la Vistule, le 6 juin 1982, veille du jour où il devait témoigner dans un procès et où il avait annoncé qu'il allait rétracter un témoignage précédent et informer le tribunal de ce qu'il avait été battu;
  612. - Agata Kobylinska, détenue à la prison de la rue Kleczkowska à Wroclaw, serait morte à l'hôpital de la prison de Wroclaw, le 27 juillet 1982, après une fausse couche. Elle aurait été sévèrement battue dans la prison alors qu'elle souffrait d'asthme, de bronchite et d'insuffisance thyroïdienne;
  613. - Wanda Kolodziejczyk aurait été torturée par les services de sécurité au centre d'arrestation préventive de la rue Rakowiecka à Varsovie. Elle serait décédée le 4 juin 1982;
  614. - Kazimierz Majewski, président de Solidarité de l'usine d'outillage de Jelenia Gora, se serait suicidé, le 29 octobre 1982, en expliquant dans une lettre que son geste était dû aux tracasseries des services de sécurité, interrogatoires brutaux, contraintes à collaborer et menaces à l'égard de sa famille;
  615. - Mieczyslaw Rokitnicki ou Rokitowski de Przemysl serait mort après avoir été torturé, le 3 avril 1982, au cours d'un interrogatoire au centre d'arrestation préventive de Zaleze ;
  616. - Jan Ziolkowski, membre de Solidarité à Poznan, aurait été battu au cours d'un interrogatoire au commissariat de police le 1er mars 1983. Il serait mort à l'hôpital de contusions cérébrales et d'un malaise cardiaque le 5 mars;
  617. - Zbigniew Szymanski serait mort à la fin du mois d'avril 1983 après avoir été battu par deux miliciens ivres, Roman Prudawczuk et Jerzy Niewiec ;
  618. - Jozef Larysz serait décédé d'une crise cardiaque le 7 mars 1983, à la suite de plusieurs interrogatoires;
  619. - Jerzy Jozef Marzec, de Wroclaw, membre actif de Solidarité dans l'entreprise de réparation de wagons, aurait été trouvé sans vie, le 22 juin 1983, le lendemain de la visite du pape, au bord de la rivière Oder; ses camarades de travail suspecteraient les forces de l'ordre de l'avoir frappé à mort, réfutant fermement des rumeurs répandues à Wroclaw, selon lesquelles l'intéressé aurait été un toxicomane et aurait disparu de chez lui le 15 juin 1983, jour de la paie. Ils affirment l'avoir vu le 21 juin 1983;
  620. - Andrzej Grzywna, 63 ans, domicilié rue Wyzwolelice à Nowy Port, aurait été interpellé par des fonctionnaires de la milice dans la nuit du 29 au 30 août 1983. Il serait mort au commissariat des suites des coups de matraque reçus à la tête.
  621. 336. Le gouvernement des Etats-Unis et le plaignant ont mis particulièrement l'accent sur la mort, le 14 mai 1983, de Grzegorz Przemyk, dix-huit ans, fils de la poétesse Barbara Sadowska, liée à Solidarité. Le jeune homme aurait subi, le 12 mai, un interrogatoire au commissariat de la rue Jezuicka et aurait été roué de coups. Il aurait été emmené en ambulance, puis rendu à sa mère qui l'aurait à nouveau fait conduire à l'hôpital où il serait mort d'un éclatement du foie, après que les médecins eurent vainement tenté de l'opérer. Le bureau de la voïvodie de Varsovie a publié, le 8 septembre 1983, un communiqué selon lequel le jeune homme avait un comportement agressif: "il a notamment tenté d'attraper par les cheveux et le visage un ambulancier en poussant en même temps un cri inarticulé; en raison de ce comportement, il a été rendu inoffensif par l'usage de la force physique". Les deux agents de la milice auraient été inculpés, ainsi que les deux ambulanciers et deux médecins de coups et blessures et d'erreur de diagnostic, mais le résultat de l'enquête sur cette affaire ne serait pas encore connu.
  622. 337. Lors des auditions, M. Nedzynski, secrétaire général de l'Internationale des postes et des télécommunications, a rappelé le cas d'un jeune postier, président d'un comité local de Solidarité qui, après avoir subi un interrogatoire de la milice, a été retrouvé mort chez lui. Son corps était mutilé et le médecin légiste a indiqué sur le certificat de décès que l'intéressé s'était automutilé dans un acte de folie. Le témoin M. Kaczmarczyk a, pour sa part, fait état du témoignage d'un militant de Solidarité réfugié en France, M. Ryszard Czeh, d'après qui le rédacteur d'un journal de Solidarité, Jan Linder, serait mort d'une crise cardiaque le 12 août 1982, à la veille d'un nouvel interrogatoire de la milice alors qu'il en avait déjà subi vingt-cinq; il a aussi parlé de Kazimierz Majewski, qui se serait suicidé le 29 octobre 1982 en laissant une lettre expliquant son geste: surveillance des services de sécurité, interrogatoires brutaux.
  623. Position du gouvernement de la Pologne
  624. 338. Le gouvernement de la Pologne a fourni des informations au Comité de la liberté syndicale sur les décès de mineurs à la mine de Wujek. Il a soutenu qu'une enquête, effectuée par le parquet militaire, a conduit à clore la procédure étant donné que les forces de l'ordre étaient en état de légitime défense. Elles étaient en effet menacées par des objets lourds (rames de wagons, extincteurs, plaques de béton et barres de métal) que l'on jetait sur elles à partir des toits et des fenêtres des bâtiments de la mine. Les boucliers et les casques qui constituaient le seul équipement des forces de l'ordre qui n'étaient pas armées n'étaient pas suffisants. L'utilisation des gaz lacrymogènes s'avéra inadéquate. Un certain nombre de miliciens furent blessés; leur vie étant directement menacée, il fallut faire appel aux forces du peloton spécial de la milice civile dotées d'armes à feu courtes. Des coups de feu d'avertissement furent tirés. Puis les miliciens tirèrent directement sur les grévistes. Six mineurs tombèrent, deux décédèrent des suites de leurs blessures, vingt-trois furent blessés dont un grièvement et quarante et une personnes parmi les forces de l'ordre furent victimes de graves blessures.
  625. 339. Le gouvernement n'a pas fourni d'informations sur les autres cas mentionnés ci-dessus.
  626. CHAPITRE 12
  627. MESURES DE DISCRIMINATION ANTISYNDICALE
  628. 340. Dans la plainte qu'ils ont soumise, M. Blondel et Mme Buck ont allégué que des syndicalistes ont été licenciés de leur emploi en raison de leur affiliation et de leur activité syndicale et que des serments de loyauté comportant l'abandon de l'affiliation au syndicat Solidarité ont été exigés sous peine de licenciement, en particulier auprès de certaines catégories de fonctionnaires. Au cours de la 2ème session de la commission, M. Blondel a soutenu que l'Etat polonais, par ses décisions et mesures administratives, a violé les conventions nos 87 et 98, entre autres, en renvoyant, congédiant, mettant en retraite anticipée ou en mutant les salariés syndiqués et les délégués syndicaux de l'administration publique ou d'entreprises nationales en raison de leurs activités syndicales, même après la levée de la loi martiale.
  629. Informations et témoignages présentés à la commission
  630. 341. Dans la documentation soumise à la commission, il est allégué que l'instauration de la loi martiale en Pologne a entraîné la suppression des lois réglementant jusque-là les relations de travail et a permis la militarisation des entreprises et la possibilité d'imposer des devoirs définis par le pouvoir envers l'entreprise. Les syndicalistes auraient été victimes de licenciements et d'autres actes de discrimination antisyndicale tels que résiliation du contrat de travail suivie du réembauchage à des conditions moins favorables et avec des avantages réduits, refus d'embauche, discriminations relatives aux salaires et aux primes, refus de primes et de promotions, blâmes, sanctions disciplinaires, mutations à des postes moins bien payés avec des conditions de sécurité et d'hygiène moins bonnes et déplacements parfois dans des filiales de l'entreprise très éloignées du domicile. Certains travailleurs se seraient même vu refuser la réintégration dans leur travail en dépit de décisions judiciaires en leur faveur. Des travailleurs auraient été soumis à des procédures de "vérifications" impliquant des déclarations de loyauté et entraînant souvent le licenciement en cas de refus. Ces mesures auraient été appliquées contre les membres de Solidarité pour l'exercice d'activités syndicales.
  631. 342. Il a été allégué en particulier que des dizaines de milliers de travailleurs furent licenciés, souvent pour le simple fait de leur appartenance à Solidarité ou pour avoir refusé de quitter leur syndicat en ne signant pas les "déclarations de loyauté" à l'égard du régime. Les mesures de licenciement auraient touché fréquemment les travailleurs exerçant des responsabilités à l'intérieur de Solidarité et les travailleurs ayant participé à une grève ou une manifestation, parfois de caractère symbolique. Parmi les cas de licenciement intervenus dans différents secteurs de l'économie, en particulier pendant les premiers mois de la loi martiale, il a été fait référence notamment aux suivants:
  632. - 3 000 personnes dans la conurbation Gdansk-Gdynia-Sopot;
  633. - 120 personnes de l'administration de la région de la Petite-Pologne (département financier, pompiers de Cracovie, etc.);
  634. - 108 personnes à l'usine Zwar Miedzylesie de Varsovie;
  635. - 200 personnes aux usines WSK de Swidnik;
  636. - 50 personnes aux usines FSO de Varsovie;
  637. - 20 employés sur 150 à l'hôtel de ville de Gdansk;
  638. - 60 journalistes sur 100 au quotidien Zycie Warszawy.
  639. Licenciements des permanents de Solidarité et de cadres syndicaux
  640. 343. D'après la documentation soumise à la commission, des permanents de Solidarité et de Solidarité rurale ont été licenciés par des commissaires aux biens publics à partir de février 1982 au motif de l'impossibilité de leur trouver un autre travail et, dans le cas des permanents de Solidarité rurale, du manque de moyens financiers. Les personnes licenciées ont fait appel des décisions de licenciement. Le 15 juillet 1982, le Tribunal suprême aurait décrété que les commissaires avaient pleinement le droit de résilier les contrats de travail des personnes qui, en raison de la suspension de leur syndicat, ne fournissaient plus de travail.
  641. 344. Lors de la mission du représentant du Directeur général en Pologne, en mai 1982, il lui a été expliqué que les permanents des différentes organisations syndicales avaient dû réintégrer leurs anciennes entreprises, ce qui parfois ne s'était pas déroulé sans problèmes. Ainsi, il avait été indiqué qu'un dirigeant provincial de Solidarité avait été licencié quelques jours après sa réintégration, et ce n'est qu'après avoir saisi le tribunal du travail et après une décision de ce dernier en sa faveur que l'intéressé avait pu reprendre son travail au sein de l'entreprise qui l'occupait auparavant.
  642. 345. Dans la documentation sont signalés des cas de licenciements de travailleurs ayant exercé des responsabilités au sein de Solidarité. Ainsi, le 17 décembre 1981, deux militants de Solidarité ont été licenciés de l'entreprise " Cerabud " à Sochaczew pour " ne pas avoir empêché une collecte de fonds dans l'entreprise au profit de la famille d'un interné". Le 31 décembre 1981, le contrat de travail de cinq membres du comité syndical d'entreprise de Solidarité dans l'entreprise d'approvisionnement pharmaceutique "Cefarm" à Varsovie a été résilié. En février 1982, neuf membres du comité syndical d'entreprise de la Direction centrale des assurances (ZUS) de Varsovie ont été licenciés. Le 26 février 1982, le président et le vice-président du comité syndical d'entreprise d'une usine de fils de fer à Gliwice ont été congédiés. Plusieurs anciens internés qui, formellement, restaient employés pendant la durée de leur détention ont reçu la notification de leur licenciement après leur mise en liberté.
  643. Licenciements pour faits de grève et participation à des manifestations
  644. 346. D'après la documentation soumise, des sanctions pour faits de grève ont commencé à être appliquées immédiatement après les grèves de décembre 1981. Tel avait par exemple été le cas après l'occupation par 2 000 mineurs de la mine de Piasten Silésie où tous les travailleurs avaient été licenciés et aux chantiers navals de Gdansk et de Szczecin où 2 000 et 1 500 travailleurs ont été licenciés, respectivement.
  645. 347. Les sanctions ont été appliquées de nouveau avec rigueur après les manifestations de mai et août 1982, ainsi qu'après les grèves d'octobre 1982. Par exemple, selon les statistiques officielles du ministère des Mines et de l'Industrie, au lendemain des manifestations du 13 mai 1982 ayant marqué cinq mois de loi martiale, on a licencié dans ce secteur 798 travailleurs sans préavis et 311 avec un préavis légal; 3 330 salariés, dont 117 cadres, se sont vu infliger des sanctions disciplinaires. Dans une usine de coton à Lodz, 35 personnes ont été licenciées après le 13 mai 1982. Dans l'usine d'appareils de communication à Swidnik, on a licencié 260 personnes. La maîtrise était invitée à dresser des listes de personnes à licencier; les cadres qui refusaient de le faire étaient eux-mêmes licenciés. A l'usine Predom à Wroclaw, 250 personnes environ ont été licenciées. Une commission, dirigée par un commissaire militaire, a examiné les dossiers de réembauche et, dans la plupart des cas, les salaires ont été diminués et les conditions de travail durcies. Aux chantiers navals Warski de Szczecin, à la suite des manifestations commémoratives des grèves d'août 1980 qui avaient abouti à la signature des accords de Szczecin, Gdansk et des mines de Silésie, environ 100 personnes ont été licenciées. Aux chantiers navals Lénine, à Gdansk, après la grève des 13 et 14 octobre 1982 déclenchée à la suite de la dissolution de Solidarité par la loi du 8 octobre 1982 sur les syndicats, 500 personnes ont été licenciées.
  646. 348. Selon la documentation soumise, à partir du mois de mai 1982, des sanctions ont été utilisées contre les travailleurs qui manifestaient de façon purement symbolique. Ainsi, par exemple, le 31 août 1982 (anniversaire des accords de Gdansk), des travailleurs d'une usine de jouets à Czestochowa ont été licenciés pour refus d'ôter l'insigne de Solidarité, et certains travailleurs d'un atelier de réparation de chemins de fer à Gdansk ont été licenciés après avoir déposé des fleurs devant la croix édifiée à l'usine et chanté l'hymne national et un chant religieux.
  647. 349. D'autre part, à partir du mois d'avril 1982, la notion de responsabilité collective a été introduite dans les entreprises, entraînant des licenciements collectifs. Par exemple, à l'Institut des systèmes de commandes de Sosnowiec, à la suite de la découverte sur un employé de tracts imprimés dans les ateliers polygraphiques de l'institut, 62 travailleurs, membres de Solidarité, ont été licenciés.
  648. 350. Finalement, selon la documentation, aux chantiers navals de Gdansk, les militants ou sympathisants de Solidarité encore en poste dans l'entreprise avaient été avertis qu'ils seraient tenus comme personnellement responsables de toute action de protestation pouvant survenir.
  649. Contrôle politique des travailleurs:
  650. Vérifications - déclarations de loyauté
  651. 351. D'après la documentation soumise à la commission, les autorités ont essayé de contrôler les entreprises à l'aide de procédures de "vérification" au cours desquelles les travailleurs se voyaient proposer la signature d'une déclaration de loyauté envers le pouvoir et de renonciation à leur qualité de membre du syndicat Solidarité sous menace de licenciement. Pendant les premiers mois de la loi martiale, ces " vérifications " consistaient à faire passer les travailleurs devant des commissions spéciales qui devaient les "qualifier" pour qu'ils puissent continuer à accomplir les tâches qui leur avaient été assignées. Les vérificateurs s'intéressaient particulièrement à l'attitude idéologique et politique de l'intéressé, à son opinion sur la situation en Pologne après le mois de décembre 1981 et lui demandaient de faire par écrit une déclaration de loyauté envers le régime et de renonciation à Solidarité. Ces procédures auraient touché tant les ouvriers que les employés des institutions de l'Etat. Le texte type des déclarations de loyauté aurait comporté le passage suivant:
  652. Considérant le fait que de nombreux organes dirigeants du syndicat Solidarité ont agi au cours de ces derniers mois de façon évidente contre les organes constitutionnels du pouvoir et de l'administration visant à partir de positions contre-révolutionnaires à renverser le régime socialiste, je déclare me retirer de ce syndicat.
  653. 352. Il a été allégué notamment que les 2 000 mineurs de la mine de Piast en Silésie licenciés à la suite des grèves en décembre 1981 devaient postuler de nouveau un emploi et que la direction aurait décidé de ne les réengager que s'ils acceptaient de signer une déclaration certifiant qu'ils ne se mettraient plus jamais en grève et qu'ils renonceraient à leur adhésion à Solidarité.
  654. 353. Dans d'autres houillères de Silésie, des mineurs ayant été licenciés pour motif de grève pendant plus de trois jours ont été obligés, pour être réembauchés, d'adresser une requête au directeur, accompagnée d'une lettre où ils avouaient avoir été forcé de participer à la grève. M. Kaczmarczyk a déclaré que la requête conditionnait le paiement d'un treizième et d'un quatorzième mois de salaire. Le texte était le suivant:
  655. Je vous demande humblement de bien vouloir excuser mon absence au travail pour la période du 16 au 23 décembre 1981.
  656. Je tiens à mentionner que, durant ces jours, je me trouvais au fond en compagnie de mes collègues. Une fois la journée de travail terminée, j'ai constaté qu'il n'était pas possible de remonter, le puits étant bloqué par un groupe de personnes inconnues de moi qui nous ont obligés à rester en bas et à prendre part à l'action de protestation... Je n'ai jamais pris part à l'action de protestation, j'ai été forcé de rester au fond par ceux qui la dirigeaient... et d'autres dont je ne connaissais pas les noms. Ces personnes ont agi sur nous par la menace, la fausse information et le mensonge; elles ont menacé de nous arroser d'eau froide, de placer des charges explosives dans les couloirs et les installations attenantes au puits. Dès le début, je me rendais compte que la loi martiale impose aux citoyens des devoirs dont l'interdiction de toute action de grève et de protestation. Même avant la loi martiale je ne soutenais pas les grèves. Je voyais en elles un facteur de dégradation de l'économie, d'anarchie, de pénurie et de voyouterie.
  657. A l'avenir, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour contribuer à l'accroissement des acquis de ma patrie... La discipline et l'ordre garantissent la sécurité et renforcent la position de la Pologne dans le camp des Etats socialistes, en Europe et dans le monde...
  658. Je serai content lorsque les instigateurs et les fauteurs des incidents qui ont eu lieu dans notre mine du 15 au 26 décembre seront sévèrement punis.
  659. 354. D'après la documentation soumise, les vérifications visaient tout particulièrement les membres de Solidarité employés dans les institutions de l'Etat: l'administration, les tribunaux, le parquet, l'éducation nationale ainsi que certains instituts scientifiques, la radiotélévision, les éditions, la presse.
  660. a) Contrôle sur l'administration
  661. 355. Il est indiqué que le 17 décembre 1981 le secrétaire général du Conseil des ministres, le général Janiszewski, a adressé aux ministres, chefs des administrations centrales, voïvodies et présidents des communes, une circulaire instaurant la procédure des vérifications dans l'administration. Le texte précisait:
  662. ... Il est exigé des fonctionnaires de l'Etat un engagement tout particulier, de même qu'on leur demande de se prononcer catégoriquement pour le service de la République populaire de Pologne. L'appartenance de certains fonctionnaires au syndicat Solidarité ne les garantit pas...
  663. Et il contenait, entre autres, le passage suivant:
  664. Afin d'accomplir pleinement et régulièrement les tâches qui incombent à l'administration, je demande, au nom du président du Conseil des ministres, de procéder pendant les trois jours qui suivent à des entretiens particuliers avec des fonctionnaires des ministères, des administrations centrales, des voïvodies et des communes appartenant à Solidarité. Au cours de ces entretiens, on mettra en évidence l'incompatibilité du travail dans l'administration avec l'appartenance au syndicat à présent suspendu...
  665. Selon la documentation, il fallait, pour conserver son poste, signer une déclaration de loyauté envers le pouvoir et la faire accompagner d'une lettre de démission de Solidarité. Le refus de démission était généralement sanctionné par un licenciement précédé d'un congé " spécial " correspondant à la durée du préavis. Le contenu d'une telle déclaration était par exemple le suivant:
  666. Je déclare par la présente avoir pris connaissance de la note du chef administratif du Cabinet du Conseil des ministres en date du 17 décembre 1981 et je confirme avoir pleinement connaissance du fait que j'ai le devoir de me comporter conformément aux principes de la légalité populaire. Me guidant selon l'intérêt de la société et les principes de l'édification du socialisme, je m'engage à sauvegarder par ma conduite l'autorité du pouvoir populaire et à exécuter scrupuleusement les ordres de service de mes supérieurs en ayant toujours à l'esprit le développement socialiste de la République populaire de Pologne et le maintien de la fidélité à l'Etat populaire.
  667. Considérant le fait que de nombreux organes dirigeants du syndicat Solidarité ont agi, au cours des derniers mois, de façon évidente contre les organes constitutionnels du pouvoir et de l'administration, visant à partir de positions contre-révolutionnaires à renverser le régime socialiste, je déclare me retirer de ce syndicat.
  668. 356. Selon la documentation soumise et le témoignage de M. Kaczmarczyk, le vice-ministre de l'Administration de l'aménagement du territoire et de la protection de la nature annonça, dans une interview accordée le 24 mars 1982 au quotidien du parti Trybuna Ludu, un changement dans la procédure des "vérifications" (n° 70/82); l'appréciation du travail devrait se faire désormais selon les critères suivants:
  669. 1) attitude idéologique et politique;
  670. 2) attitude morale ;
  671. 3) qualifications professionnelles;
  672. 4) aptitude à l'organisation et à la responsabilité.
  673. 357. Le principe des "vérifications" et leur exécution ont été contestés par l'épiscopat polonais, et le primat Mgr Josef Glemp a adressé une lettre à ce sujet au général Jaruzelski "lui demandant de bien vouloir retirer ladite circulaire, de renoncer à vouloir obtenir des déclarations sous la contrainte et d'annuler les effets qu'a pu provoquer la circulaire en question".
  674. 358. Les vérifications auraient entraîné de nombreux licenciements dans les différents corps de l'Etat, dans les milieux judiciaires, universitaires et journalistiques.
  675. 359. Ainsi, il est relevé dans la documentation, à titre d'exemple, que dans les administrations de l'Etat, à la suite des vérifications au ministère des Transports, 120 membres de Solidarité sur 250, qui ont refusé de quitter le syndicat, ont été licenciés; à la Direction des routes et voies publiques, 30 sur 50; au Comité national de normalisation et de mesures, 17 personnes ont été licenciées pour le même motif.
  676. b) Contrôle sur la justice
  677. 360. Concernant les milieux judiciaires, selon la documentation soumise par le plaignant, en août 1980, un nombre considérable de juges (environ 900 sur 3 000 dans le pays) avaient adhéré à Solidarité. Leur but était de créer un nouveau modèle d'administration de la justice qui pouvait garantir institutionnellement l'indépendance des tribunaux par l'autogestion judiciaire, l'irrévocabilité des juges et leur immunité.
  678. 361. Le 18 décembre 1981, lors d'une réunion des présidents de tribunaux de voïvodies au ministère de la Justice, le colonel Kostrzewa, juge de la Chambre militaire du Tribunal suprême, aurait présenté un programme sans équivoque de vérification des cadres de la justice selon leur appartenance syndicale. " Ce qui doit décider en ce moment ce ne sont pas seulement les qualifications et les qualités d'un juge, mais surtout son attitude politique (...). Il faut que les sentences soient prononcées rapidement et qu'elles soient conformes à la loi et aux exigences de la loi martiale, c'est-à-dire sévères. "
  679. 362. Du 13 décembre 1981 à décembre 1982, 40 juges auraient été révoqués par le Conseil d'Etat car "ils ne donnaient pas les garanties suffisantes pour accomplir leur devoir de juge de la République populaire de Pologne". La plupart auraient été révoqués avant le 10 mars 1982. Aucun de ces juges n'a eu la possibilité de se défendre. La décision du Conseil d'Etat ne comportait rien d'autre que la formule citée ci-dessus. Dès les premiers jours de l'état de siège, le juge Stanislas Rudnicki aurait été privé par le Conseil d'Etat du droit d'exercer sa profession. Ce juge avait été le candidat de Solidarité au poste de président du Tribunal de la voïvodie de Varsovie et avait obtenu la majorité des voix. Un autre juge, Joseph Lubieniecki, du tribunal d'Olsztyn, membre de la Commission nationale de coordination des travailleurs de la justice du syndicat Solidarité, aurait été révoqué le 24 décembre 1981 après avoir été interné en violation de l'immunité judiciaire dès la nuit du 12 au 13 décembre 1981.
  680. 363. Selon le secrétaire général de la CISL, au seul tribunal de Varsovie 30 juges furent licenciés. Le témoin M. Nedzynski a indiqué que les juges qui ont essayé d'être indépendants n'ont pas été longtemps en fonctions. Selon M. Seniuta, cette "purge" de l'appareil judiciaire aurait donné à l'autorité la possibilité d'influencer les juges et d'obtenir des décisions conformes aux désirs des autorités.
  681. c) Contrôle sur l'enseignement et la presse
  682. 364. Des vérifications eurent également lieu dans le milieu enseignant, en particulier parmi les cadres universitaires. Ainsi, début juin 1982, sont parvenues aux universités des instructions concernant une vérification des cadres enseignants et scientifiques. Il s'agissait d'une vérification hors mérite. L'attitude politique constituait le critère de base, ce qui était souligné dans le questionnaire et dans les instructions sur la procédure de vérification. L'ampleur de la vérification était en rapport avec les actions de protestation qui avaient eu lieu dans les divers établissements universitaires. La vérification eut des effets divers selon les établissements. A l'Ecole polytechnique de Varsovie, par exemple, 38 personnes ont été désignées pour être licenciées et 502 ont été mutées ou laissées à leur poste conditionnellement. A l'Université de Silésie, la commission de vérification, se fondant sur les listes dressées par les conseils de section de faculté et les instructions du service de sécurité, a rédigé des lettres de licenciement touchant environ 50 universitaires, dont tous les internés et les militants de Solidarité. Une vingtaine de recteurs ont été révoqués dont ceux des universités de Varsovie, de Gdansk et de l'Institut polytechnique de Cracovie.
  683. 365. Selon des documents soumis en novembre 1983 par le plaignant et la CMT, on procéderait encore à la "vérification" du personnel des écoles supérieures et des instituts scientifiques.
  684. 366. Au sujet des vérifications et licenciements intervenus à la radio et à la télévision polonaise, d'après la documentation soumise, la première étape de "vérification" a eu lieu entre janvier et mars 1982, aboutissant au licenciement d'environ 1 200 journalistes, 1 000 autres ayant été mutés à des postes inférieurs, frappés d'autres sanctions ou bien mis à la retraite ou pensionnés avant terme. La deuxième étape de "vérification" a eu lieu en septembre 1982; à Varsovie, elle a entraîné le licenciement de 200 à 250 personnes. En janvier 1983, les contrats de 50 personnes supplémentaires ont été résiliés. La commission de "vérification" était composée de représentants du parti, de l'armée, de la direction de la radio et, dans la plupart des cas, d'un fonctionnaire du service de sécurité. L'entretien portait presque exclusivement sur l'activité du syndicat Solidarité et sur l'aspect politique de la loi martiale. Etant donné que la profession de journaliste comptait environ 10 000 personnes (dont 9 000 étaient inscrites à l'Association des journalistes polonais (AJP)), il s'ensuit que près de 20 pour cent de journalistes ont fait l'objet de sanctions et 10 pour cent ont été licenciés.
  685. 367. Le gouvernement de la France a fait référence à une déclaration de M. Jerzy Urban, porte-parole du gouvernement de la Pologne, qui a indiqué, le 27 septembre 1983, que plus d'un millier de cadres universitaires ont été licenciés après "vérification" du corps enseignant, et qui a relevé également que, dans le cadre d'une "réorganisation", 172 journalistes et 231 autres personnes employées à la radiotélévision avaient été congédiés. M. Urban aurait confirmé à cette occasion que nombre de ces licenciés étaient membres de Solidarité et qu'ils éprouvaient des difficultés à retrouver un emploi.
  686. Autres cas de licenciements depuis la suspension et la levée de la loi martiale
  687. 368. Selon la documentation soumise à la commission, la loi du 18 décembre 1982 sur les dispositions particulières applicables pendant la période de suspension de la loi martiale avait multiplié les cas de fautes lourdes du travailleur entraînant un licenciement sans préavis. Etaient assimilés à des fautes lourdes la participation à une grève illégale, les manifestations ou rassemblements sur le lieu de travail ou même à l'extérieur de l'entreprise. Par ailleurs, des travailleurs soupçonnés de ne pas accepter la politique du pouvoir face au mouvement ouvrier ni l'interdiction de Solidarité auraient été licenciés. Il est indiqué, par exemple, qu'à l'Institut de recherche nucléaire à Swierk, sous prétexte de réorganisation, de nombreux travailleurs, scientifiques éminents, ont été licenciés. De nombreux licenciés avaient été actifs dans le syndicat Solidarité. Déjà, pendant que la loi martiale était en vigueur, 65 travailleurs de l'institut avaient été persécutés, condamnés, internés ou privés de travail.
  688. 369. La CISL a fourni une liste indicative de travailleurs contre lesquels des mesures de discrimination antisyndicale, telles que licenciements, changements fréquents de poste de travail, auraient été prises en raison de leurs appartenance, activités ou sympathies syndicales. Sont mentionnés par exemple les cas de M. Marek Czekalski et de Mme Elzbieta Frontczak, respectivement président et secrétaire de la commission d'entreprise de Solidarité dans l'entreprise "Polanil" à Lodz. Tous les deux ont été licenciés le 1er septembre 1983. Mme Frontczak avait auparavant été mutée à un poste inférieur sans droit de pénétrer dans l'atelier de production. La prime et les allocations lui furent retirées, et elle fut condamnée à des amendes.
  689. 370. La CISL a également attiré l'attention sur les cas de licenciement par groupes ou catégories. Ainsi, par exemple, des artisans employant des travailleurs licenciés en raison de leurs activités au sein de Solidarité ou des travailleurs ayant été emprisonnés pour activités syndicales auraient été menacés par la sûreté de fermeture ou d'augmentation d'impôts s'ils ne licenciaient par ces personnes.
  690. 371. Le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne a fourni des informations sur le sort d'un certain nombre de personnes en Pologne qui ont fait valoir leur droit à bénéficier des garanties énoncées dans la convention n° 98 en tant que membres ou collaborateurs du syndicat Solidarité. Dans l'intérêt des personnes concernées, le gouvernement n'a pas révélé les noms de ces personnes, bien connues de tous, mais a résumé quelques cas de discrimination antisyndicale considérés comme typiques: licenciement d'un membre d'un comité régional de fondation de Solidarité après emprisonnement; licenciement d'un enseignant membre de Solidarité après détention; retrait d'une patente d'exploitation d'une entreprise artisanale privée à un président d'une organisation locale de Solidarité pour les travailleurs indépendants qui n'a pu retrouver d'emploi.
  691. 372. Le gouvernement des Etats-Unis s'est référé aux mesures répressives en matière d'emploi prises en raison de la participation à Solidarité; il a déclaré qu'il y a eu une tentative systématique, dès l'imposition de la loi martiale, de décourager la participation ou l'activité au sein de Solidarité par la menace de perte d'emploi et que, depuis la levée de la loi martiale, des travailleurs, en particulier d'anciens internés ou prisonniers, continuent à être licenciés en raison de leur ancienne ou actuelle affiliation à Solidarité.
  692. 373. Un témoin, M. Nedzynski, a cité le cas d'un travailleur qui participait au congrès de l'Internationale des postes, télégraphes et télécommunications. Détenu pendant un an, il a pu travailler de nouveau aux télécommunications comme auparavant, mais il a été licencié par la suite. Une autre personne qui travaillait à la télévision a été licenciée aussitôt sortie d'internement.
  693. Absence de garanties contre les licenciements arbitraires, refus de réintégration et autres actes de discrimination antisyndicale
  694. 374. Selon la documentation soumise à la commission, la décision de résilier un contrat de travail était laissée à la discrétion des directeurs d'entreprise, les activités syndicales étant suspendues. Or, d'après les dispositions du Code du travail, la décision de licenciement aurait dû être soumise à l'avis du comité syndical d'entreprise, et les travailleurs exerçant des responsabilités syndicales à l'intérieur de Solidarité auraient dû bénéficier de la protection de l'article 39 du Code du travail qui dispose que l'entreprise ne peut licencier ni un membre du comité d'entreprise ni un délégué syndical.
  695. 375. Les commissions d'appel et les tribunaux du travail annulaient parfois les décisions de licenciement et, dans certains cas, le licenciement n'a eu lieu qu'après une procédure d'appel extraordinaire entérinée par le Tribunal suprême. Cependant, il est allégué dans la documentation que les autorités ont essayé d'infléchir l'attitude des commissions et tribunaux et que, dans bien des cas, les directeurs d'entreprise ne se sont pas soumis aux décisions des commissions et tribunaux tendant à la réintégration du travailleur licencié. Il est relevé que, le 18 mai 1982, a eu lieu au Tribunal de la voïvodie de Varsovie une conférence au sujet des problèmes essentiels liés à l'arbitrage des conflits portant sur les contrats de travail. Les juges y ont été instruits du sens dans lequel devaient aller les jugements. Ils ont été menacés de sanctions disciplinaires au cas où ils se prononceraient en faveur des travailleurs. Les 5 mai et 27 juillet 1982, le Tribunal suprême a pris des décisions indiquant que l'interdiction de licencier, prévue par l'article 39, paragraphe 1, du Code du travail, ne pouvait être appliquée lorsque les activités des syndicats étaient suspendues. D'autre part, le 27 février 1982, le Tribunal suprême avait précisé qu'en ce qui concerne les entreprises militarisées la décision des directeurs de celles-ci de congédier un de leurs travailleurs n'était pas soumise au contrôle des organes (commission d'appel et tribunaux du travail), statuant habituellement sur les conflits relatifs aux contrats de travail. Le gouvernement des Etats-Unis a relevé qu'en vertu de l'article 144, paragraphes 2 et 3, de la loi du 29 novembre 1967 sur l'obligation générale de défense de la République populaire de Pologne le travailleur d'une entreprise militarisée pouvait être licencié sans justification et sans bénéficier du droit d'appel.
  696. 376. D'après la documentation soumise à la commission, le 28 juillet 1982, le secrétaire général du Conseil des ministres a adressé une lettre aux ministres et aux voïvodes dans laquelle il ordonnait aux directeurs d'entreprise de porter plainte contre les décisions "fautives" (c'est-à-dire au profit des travailleurs) des commissions d'appel et des tribunaux du travail. Il ordonnait aussi d'effectuer, selon une procédure accélérée, l'analyse de tous les jugements déjà appliqués qui réintégraient des personnes licenciées depuis le 13 décembre 1981 et de faire des suggestions appropriées pour une procédure extraordinaire d'appel dans toutes les affaires dans lesquelles ces jugements, étant donné leur portée politique et sociale, devaient être annulés.
  697. 377. Concernant les travailleurs qui, malgré une décision en leur faveur d'une commission d'appel ou d'un tribunal du travail, se sont vu refuser la réintégration dans leur emploi, il est souligné dans la documentation que cette mesure de discrimination a frappé de nombreux travailleurs internés.
  698. 378. La CISL, de son côté, a indiqué que, contrairement aux assurances officielles de divers représentants des autorités, les personnes libérées en vertu de la loi d'amnistie ne sont pas toujours réintégrées dans leurs fonctions d'origine. Elles sont souvent engagées dans des postes inférieurs à ceux qu'elles occupaient avant leur condamnation, avec diminution de revenus, perte des droits acquis, notamment dans le domaine des avantages sociaux. Dans certains cas, la direction refuse purement et simplement de les réengager ou alors leur interdit l'accès à l'entreprise. Selon la CISL également, ces décisions vont fréquemment à l'encontre d'un jugement prononcé en faveur du travailleur par un tribunal du travail ou une commission, notamment les "TKO" (deuxième échelon d'instance dans les affaires de droit du travail). La CISL indique certains cas non exhaustifs de telles pratiques:
  699. - Mistrzak, Ryszard, et Malczewski, Jan, employés de l'entreprise "Zamech" à Bydgoszcz : refus de réintégration dans leurs fonctions d'origine.
  700. - Wielogosz, Stanislaw, Noga, Kazimierz, et Kopar, Marek, employés de l'entreprise Elana à Torun: refus de réintégration dans leurs fonctions d'origine.
  701. - Czerwinski, Arkadiusz, condamné à trois ans de prison pour avoir dirigé la grève de décembre 1981 à Ursus (fabrique de tracteurs), Kaszuba, Witold (mêmes charges retenues et condamnation), et Karpez, Stanislaw: réintégration refusée par le directeur de l'usine d'Ursus. Décision maintenue, malgré un avis favorable aux travailleurs rendu par la TKO en date du 29 septembre 1983. La même décision s'applique à Bielanski, Roman, et Kaniewski, Jerzy, qui ont interjeté appel à la TKO.
  702. - Goldyn, Franciszek, président d'une section de Solidarité aux chantiers navals " Commune de Paris " de Gdynia, condamné à un an et demi de prison avec sursis: refus de réintégration.
  703. - Ginoburg, A, membre actif de Solidarité dans une entreprise de Varsovie, licencié en novembre 1982: refus par la direction du droit de pénétrer dans l'entreprise en avril 1983, malgré une décision en sa faveur du Tribunal du travail du district d'Ochota en mars 1983.
  704. - Zdanowski, J, licencié pour faits de grève le 13 mai 1982: refus de réintégration à son poste de contremaître malgré une décision en sa faveur du tribunal du travail en août 1982.
  705. 379. Le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne a cité le cas d'un membre d'un organe régional de Solidarité qui, après détention et condamnation, a été transféré d'un poste de contremaître à un emploi subalterne. Plus généralement, le gouvernement des Etats-Unis a souligné que des travailleurs libérés de détention ou d'emprisonnement se sont vu refuser le droit de réintégrer un emploi antérieur ou sont dégradés à un travail moins bien rémunéré ou exigeant moins de qualifications.
  706. 380. Plusieurs intervenants devant la commission ont témoigné de leur propre expérience. Ainsi, M. Dziechciowski a indiqué qu'après sa libération de détention en juillet 1982 il a travaillé pendant un an aux chantiers navals de Szczecin, son ancien lieu de travail. Il a précisé qu'il avait perdu une bonne partie de son salaire en comparaison de ses collègues. Avant son départ pour l'étranger, en septembre 1983, il recevait un salaire qui, en fait, l'obligeait à trouver un autre travail, mais en même temps on l'empêchait d'en trouver un autre ou de changer de profession. M. Witon a souligné qu'après sa libération il ne pouvait trouver de travail. Ayant réussi grâce à un ami à se faire engager dans une boulangerie, il a dû quitter ce travail après un jour. Le directeur, tout en lui exprimant sa confiance, lui a indiqué qu'il ne pouvait continuer à travailler à sa boulangerie et lui a offert de lui donner du pain tous les jours. M. Witon s'est ensuite adressé à une agence de placement organisée par le voïvode qui n'a pas pu lui trouver de travail. Cette situation, ensemble avec d'autres éléments, l'a amené à quitter le pays. M. Bartczak a indiqué que les syndicalistes remis en liberté avaient des difficultés à être employés de nouveau sur leur lieu de travail, certains n'ayant même pas été autorisés à y entrer. Dans l'entreprise même du témoin, six personnes ont été licenciées; certaines ont fait appel auprès des commissions et tribunaux et, malgré une décision favorable, n'ont pas pu reprendre leur travail. Le président de la commission régionale d'Elblag avait ainsi obtenu gain de cause devant le tribunal, mais il n'a pas été autorisé à reprendre son travail. M. Mairé s'est référé au cas d'Anna Walentinowicz qu'il a rencontrée à Gdansk en mai 1983. Sortie de prison, elle n'a pu retrouver son emploi au chantier naval Lénine ni faire valoir ses droits à la retraite. Elle se trouvait ainsi placée dans une situation où elle risquait d'être poursuivie pour parasitisme social. Sa paroisse lui a établi des certificats lui permettant de justifier d'activités charitables, ce qui lui a évité des poursuites. D'autres cas analogues ont été rapportés au témoin qui considère qu'ils vont à l'encontre du droit au travail, le fait le plus grave étant les pressions exercées par les autorités sur ces sans-emploi. Selon M. Kaczmarczyk, des militants de Solidarité ont non seulement été privés de travail, mais on essayait aussi de porter atteinte à leur dignité personnelle par l'humiliation et la discrimination. Ainsi, par exemple, un contremaître qui avait travaillé vingt ans à la mine a été licencié par voie disciplinaire pour avoir participé à une grève. Par la suite, on l'a obligé à balayer les rues en l'empêchant de travailler à la mine. D'autres mineurs ont été licenciés pour les mêmes motifs et contraints de travailler au nettoyage des lieux publics. M. Brzozowski a fait référence à des mutations intervenues dans son entreprise, un combinat de construction dans la région d'Elblag, tant avant qu'après le 15 décembre 1981, en soulignant qu'après le 13 décembre les personnes travaillant dans les bureaux et qui étaient bienveillantes à l'égard des ouvriers ont été mutées.
  707. Restrictions affectant les travailleurs en vertu de la législation sur le parasitisme social et sur les dispositions pendant la crise socio-économique
  708. 381. Selon la documentation soumise à la commission, le travailleur licencié, auquel on a refusé la réintégration, subit non seulement les conséquences directes du licenciement, mais est exposé à d'autres mesures de caractère répressif, en particulier à celles découlant de la loi du 26 octobre 1982 sur le "parasitisme social" et de la loi du 21 juillet 1983 sur les dispositions particulières pendant la période de crise socio-économique.
  709. 382. La loi du 26 octobre 1982 oblige tout citoyen adulte, âgé de dix-huit à quarante-cinq ans, sans emploi depuis trois mois, qui ne poursuit pas d'études et qui n'est pas enregistré en tant que demandeur d'emploi, à se présenter à l'instance administrative locale pour s'y expliquer sur les motifs de son inactivité. Les personnes en question sont inscrites sur un registre. Une enquête administrative suit, devant déterminer si les raisons de ce non-travail sont "socialement justifiées ou injustifiées". La personne qui se soustrait obstinément au travail ou aux études pour des raisons socialement non justifiées, et vit à partir de sources de revenus non révélées ou contraires aux principes de la coexistence sociale, est sujette à l'inscription sur la liste des personnes se soustrayant obstinément au travail: cette personne considérée comme "parasite social" peut être obligée d'effectuer des travaux d'intérêt public. Cette loi a été complétée par des dispositions figurant dans la loi n° 176 du 21 juillet 19834. Selon le gouvernement des Etats-Unis, le défaut d'enregistrement ou d'accomplissement des travaux d'utilité publique est passible d'un emprisonnement jusqu'à un an et de travail obligatoire; la loi n° 176 du 21 juillet 1983 n'a laissé subsister que des peines d'emprisonnement et éliminé la possibilité d'être puni d'une amende.
  710. 383. Selon la documentation, les critères d'appréciation nécessaires à l'application de cette législation seraient purement subjectifs et soumis à la seule appréciation des autorités. L'objectif de cette opération de recensement serait, d'une part un moyen indirect de faire pression sur ceux qui ne travaillent pas afin qu'ils acceptent un emploi, d'autre part l'institution d'un cadre répressif à l'égard de ceux qui se sont trouvés sans travail pour des raisons " politiques ". D'après le plaignant et la CMT, une partie des travailleurs libérés n'ont pu retrouver un emploi et auraient été portés au registre des "parasites sociaux", et des "listes noires" de personnes à ne pas recruter auraient été établies. D'autre part, l'existence de la loi pourrait constituer un " argument " supplémentaire pour obtenir la signature de déclarations de loyauté par les travailleurs directement menacés en cas de refus, non seulement de licenciement mais même d'être portés sur un registre de " parasites ".
  711. 384. Selon le gouvernement des Etats-Unis, une certaine inquiétude s'est exprimée au sujet de l'utilisation possible de cette législation pour amener les travailleurs à adhérer aux nouveaux syndicats. Cependant, à la connaissance du gouvernement des Etats-Unis et à la date de sa communication, les lois du 26 octobre 1982 et du 21 juillet 1983 n'avaient pas été utilisées contre des membres de Solidarité licenciés de leur emploi et dans l'impossibilité de trouver un autre emploi, ni pour forcer les travailleurs à rejoindre les nouveaux syndicats.
  712. 385. Le gouvernement de la France considère, de son côté, comme étant en totale contradiction avec les principes internationaux de droit syndical l'imposition, annoncée par le vice-ministre de la Justice de la Pologne, de travail obligatoire à 23 190 personnes pour "parasitisme social", et ce en application de la loi du 26 octobre 1982. Ces mesures tendent à faire adhérer aux nouvelles associations contrôlées par le pouvoir, parmi les représentants de l'intelligentsia menacés dans leur emploi, nombre de membres d'associations dissoutes.
  713. 386. D'après un des témoins, M. Bartczak, il serait de notoriété publique et parfois reconnu par les organismes officiels que des camps pour les réfractaires seraient en préparation dans les voïvodies de Gdansk et de Elblag. D'après d'autres informations à la disposition de la commission, l'obligation de fournir du travail pour effectuer des travaux publics a été introduite au dernier trimestre de l'année 1983 dans 47 voïvodies. A la fin de 1983, des chantiers de travaux publics avaient été organisés dans 28 voïvodies. Plus de 1500 personnes auraient travaillé dans ces chantiers au 10 janvier 1984; dans six cas, des peines de prison auraient été prononcées contre des réfractaires.
  714. 387. Un des témoins, M. Kaczmarczyk, s'est référé à d'autres dispositions de la loi n° 176 du 21 juillet 1983. En vertu de l'article 3 de cette loi, une entreprise collective concluant un contrat de travail avec un travailleur qui a été licencié, sans préavis, de par sa faute, par l'entreprise dans laquelle il travaillait antérieurement, ou qui a abandonné son travail ne peut accorder à ce travailleur que le taux le plus bas de salaire prévu pour ce poste dans l'échelle des salaires en vigueur. Ce taux ne peut être augmenté pendant un an (sauf après avis du syndicat d'entreprise et une durée de travail de six mois). Quiconque agissant pour l'entreprise enfreint ces dispositions est passible d'amende (art. 7). En outre, l'entreprise ne peut conclure de contrat de travail que sur présentation d'un certificat de travail, tel que prévu à l'article 97 du Code du travail, délivré par l'entreprise dans laquelle le requérant travaillait antérieurement.
  715. 388. Selon le gouvernement des Etats-Unis, ces dispositions dissuadent les directeurs d'engager des candidats qui étaient liés aux activités de Solidarité. Ce gouvernement s'est également référé aux dispositions de la loi n° 176 du 21 juillet 1983 concernant quelque 2 000 entreprises considérées comme "essentielles". Il a relevé que, lorsqu'un travailleur souhaite cesser son travail, le directeur de l'entreprise pourra exiger la prolongation du délai de préavis au-delà de l'échéance prévue par le droit du travail jusqu'à une période de six mois (art. 2). Il a été indiqué que le Conseil des ministres pourra introduire un système de placement obligatoire et l'obligation de travailler (art. 6). Le gouvernement des Etats-Unis considère que ces dispositions fournissent une base pour restreindre la mobilité des travailleurs liés à Solidarité ou engagés dans d'autres activités syndicales. Par ailleurs, ce même gouvernement a relevé également que la loi n° 176 confère aux autorités le pouvoir de licencier les enseignants, administrateurs des écoles, pour atteinte à l'ordre public. Il est prouvé que cette loi peut constituer une forme de discrimination antisyndicale étant donné que nombre de personnes affectées par la loi ont été des membres ou militants de Solidarité.
  716. 389. Le gouvernement de la France estime qu'on peut considérer que la loi n° 176 du 21 juillet 1983 contrevient aux obligations découlant de l'article 1 de la convention n° 98 qui dispose qu'une protection adéquate doit être assurée aux travailleurs syndiqués en matière d'emploi. En effet, cette loi prévoit la possibilité de suspension d'emplois pour certaines catégories de travailleurs menant une activité " contraire au droit ou à l'intérêt social" - violation aggravée par le fait que des amendements au Code pénal adoptés par une loi du 28 juillet 1983 prévoient des peines de trois ans de prison pour quiconque appartiendrait à une association ou à un syndicat dissous. D'après la documentation soumise par la CMT, les derniers amendements visent directement Solidarité et les nombreuses autres associations dissoutes.
  717. Position du gouvernement de la Pologne
  718. 390. Dans une communication du 22 octobre 1982, le gouvernement de la Pologne avait indiqué au Comité de la liberté syndicale que les allégations relatives à la discrimination dans l'emploi des membres de Solidarité n'étaient pas véridiques et n'avaient aucun fondement pour les raisons suivantes:
  719. 1) La législation polonaise prévoit une large protection des travailleurs contre les licenciements. La cessation de la relation de travail doit, dans chaque cas, être justifiée par des considérations majeures mais aucunement par des motifs basés sur l'appartenance d'un travailleur à une organisation quelconque. La pratique repose sur ce principe. Le travailleur qui estime avoir été licencié injustement a le droit de faire appel aux organes chargés d'examiner les litiges du travail, y compris les tribunaux du travail.
  720. 2) Ces principes restaient applicables même durant la période de la loi martiale. Certaines limitations avaient été introduites, temporairement, dans quelques établissements ayant une importance particulière, c'est-à-dire les établissements militarisés. Dans ces derniers, les décisions relatives aux licenciements des travailleurs n'étaient pas soumises au contrôle des tribunaux du travail.
  721. 3) L'application par certains pays occidentaux d'un embargo économique et la réalisation d'une réforme de l'économie (proposée notamment par l'ancien syndicat Solidarité) exigeaient des transferts de travailleurs. En règle générale, chaque licenciement s'accompagnait d'une proposition faite au travailleur d'un nouvel emploi. Compte tenu de l'importance numérique de Solidarité, certains de ses anciens membres pouvaient également avoir été touchés par les mesures de licenciement. Cela, cependant, au dire du gouvernement, n'avait rien de commun avec de la discrimination.
  722. 4) Dans de nombreux cas, les travailleurs licenciés avaient fait appel aux organes chargés d'examiner les litiges du travail. Dans environ 20 pour cent des cas, ces organes avaient décidé que les licenciements n'étaient pas fondés et que les travailleurs en cause devaient être réintégrés. Ces mesures ont concerné également d'anciens membres et des militants de Solidarité.
  723. 391. A propos des déclarations de loyauté qui auraient été exigées des travailleurs, le vice-ministre du Travail a admis en novembre 1982, devant le Comité de la liberté syndicale, qu'effectivement, dans la première période qui a suivi la proclamation de la loi martiale, de telles déclarations ont été demandées à des travailleurs. Selon le vice-ministre, ces pratiques avaient depuis lors été abandonnées. Il a rappelé l'existence des procédures de recours pour les travailleurs licenciés auprès des tribunaux du travail et déclaré que, dans la plupart des cas, les décisions étaient prononcées en faveur des travailleurs.
  724. CHAPITRE 13
  725. VIE SYNDICALE ACTUELLE EN POLOGNE
  726. 392. Les plaignants se sont référés aux restrictions à la liberté syndicale contenues dans la loi du 8 octobre 1982 sur les syndicats, ainsi qu'aux ingérences du gouvernement dans la mise en place des nouveaux syndicats. Ils ont également indiqué que, malgré sa suspension et sa dissolution par la loi, le syndicat Solidarité poursuit ses activités.
  727. Informations et témoignages présentés à la commission
  728. Législation syndicale
  729. 393. Dans la documentation soumise à la commission, il est allégué à propos de la loi syndicale du 8 octobre 1982 que le Conseil d'Etat aurait introduit 55 amendements aux 73 articles du projet de loi du 5 décembre 1981, projet qui avait été accepté par les commissions de la Diète et négocié à l'époque avec les syndicats, modifiant ainsi la lettre et l'esprit dudit projet. D'une manière générale, les critiques formulées tant par le plaignant que par plusieurs gouvernements et par les organisations syndicales internationales à l'égard de la loi portent essentiellement sur les questions de fondation et de dissolution des syndicats, de limitations de catégories de personnes autorisées à se syndiquer, de limitations de création des structures syndicales autres que celles prévues par la loi et de restrictions du droit de grève.
  730. 394. Dans les informations qu'il a soumises à la commission, le plaignant a fait état des critiques formulées contre la législation par d'anciens dirigeants syndicaux de Solidarité, à propos de la suspension et de la dissolution des syndicats, de l'annulation de la loi du 6 mai 1981 sur les syndicats d'agriculteurs individuels remplacés par des "organisations socioprofessionnelles " des agriculteurs dont la structure et les tâches sont fixées "d'en haut", du déni du droit syndical au personnel pénitentiaire et au personnel civil des unités militaires ou des unités d'organisation du secteur relevant des Affaires intérieures (art. 13 et 14 (2) de la loi sur les syndicats), et aux travailleurs des entreprises dépendant des ministères de la Défense nationale et des Affaires intérieures qui ne peuvent s'organiser que dans un syndicat unique défini "d'en haut" (art. 14 (1)) ainsi qu'aux travailleurs employés à des postes de responsabilité ou dont les obligations revêtent "un caractère hautement confidentiel" (tribunaux, parquet, etc.).
  731. 395. Les critiques en question portent aussi sur les dispositions de la loi sur les syndicats qui imposent aux travailleurs de s'organiser dans une branche professionnelle, un type d'emploi ou une profession donnés (art. 10, paragr. 2) excluant d'avance la formation d'organisations telles que Solidarité, et elles portent sur l'imposition de l'unicité syndicale dans l'entreprise jusqu'au 31 décembre 1984 et sur les nouvelles prérogatives du Conseil d'Etat qui, depuis la loi du 21 juillet 1983, disposera seul dans trois ans du pouvoir de décider d'autoriser le pluralisme syndical.
  732. 396. Les critiques précitées se réfèrent également à la Commission sociale de consultation fondée par le Conseil d'Etat pour " aider les comités de fondation à faire démarrer l'activité syndicale " et qui a même élaboré des statuts types des syndicats. Elles concernent aussi les pouvoirs du Conseil d'Etat d'accorder aux différentes fédérations des nouveaux syndicats l'autorisation de se créer et d'entrer en activité avant le 31 décembre 1984. Il est observé que les fédérations se sont créées sur autorisation d'un organe du pouvoir d'Etat et que les autorités ont veillé à ce que les syndicats soient dispersés et faibles, puisqu'à la fin 1983 19 000 syndicats regroupant 3 800 000 adhérents étaient enregistrés par les tribunaux, ce qui donne en moyenne 200 adhérents par syndicat. Cinquante-cinq fédérations ont déjà été enregistrées et on compte qu'il va s'en créer encore une quarantaine, cela dans un but de disperser le mouvement syndical. D'ailleurs, est-il allégué, jusqu'à présent, aucune convention collective de travail au niveau central n'a été conclue, et les ministres réglementent unilatéralement les salaires.
  733. 397. Enfin, toujours selon ces critiques, les règlements juridiques auraient pratiquement annulé le droit de grève puisque la grève ne peut être déclenchée que par la majorité des travailleurs qui se déclarent, à bulletin secret, en sa faveur, et non par les adhérents du syndicat. Dans le cas de grèves dépassant le cadre de l'entreprise, le déclenchement de la grève requiert la majorité des travailleurs de toutes les entreprises concernées, et ce à bulletin secret.
  734. 398. La CISL, dans une communication écrite du 26 octobre 1983, a dénoncé les effets négatifs de la loi. Ainsi, a-t-elle relevé, la dissolution de tous les syndicats (art. 52 de la loi), l'abolition du droit d'organisation des agriculteurs individuels (art. 55), le transfert des biens des syndicats dissous aux syndicats nouvellement constitués (décret du 27 décembre 1982), les délais imposés à la reprise des activités syndicales et surtout l'imposition de l'unicité syndicale au niveau de l'entreprise jusqu'au 31 décembre 1984 (art. 53 de la loi), les restrictions au droit de grève (art. 38, 40, 46 et 47 de la loi), les restrictions au droit de négociation collective (art. 23 de la loi), ainsi que le déni du droit de se syndiquer imposé au personnel pénitentiaire (art. 12 de la loi).
  735. 399. La CISL a également critiqué l'article 19, paragraphe 2, de la loi sur les syndicats qui confère au tribunal le pouvoir de refuser l'enregistrement d'un syndicat si ses statuts ne sont pas conformes à la loi ou indiquent que l'organisation n'est pas un syndicat professionnel. Pour la CISL, cette disposition correspond à l'imposition d'une autorisation préalable à l'enregistrement des syndicats. De plus, cette autorisation préalable serait renforcée par le contenu des articles 2 et 3 de la nouvelle loi qui prévoient que les syndicats qui sont, en théorie, indépendants des organes de l'administration de l'Etat et de la section économique sont en fait obligés, quand ils élaborent leurs statuts, de "reconnaître le rôle de direction du Parti ouvrier unifié polonais". Elle a également relevé l'article 17 de la loi qui exige un minimum de 30 personnes pour constituer un syndicat et l'article 19, paragraphe 4, qui permet au tribunal de retirer l'enregistrement à un syndicat qui, pendant plus de trois mois, demeure inférieur à 50 personnes, ainsi que l'article 10, paragraphe 2, qui impose une structure syndicale par branche d'activité, type d'emploi ou occupation déterminés. Cette disposition, selon elle, vise à empêcher la constitution de syndicats sur une base régionale comme c'était le cas à l'époque de l'existence légale de Solidarité. Par ailleurs, selon la CISL, les dispositions sur la conciliation et l'arbitrage obligatoires sont contraires aux conventions sur la liberté syndicale et la négociation collective volontaire, même si, en vertu de l'article 35, paragraphe 5, de la loi, la sentence arbitrale n'est obligatoire que lorsque aucune des parties n'en dispose pas autrement.
  736. 400. En ce qui concerne les restrictions au droit de grève, la CISL relève non seulement l'exigence contenue dans l'article 38, paragraphe 1, de la loi d'une décision de la majorité des travailleurs dans l'entreprise pour le déclenchement d'une grève, mais aussi l'exclusion du droit de grève imposée par l'article 40 à une série de travailleurs qui n'exercent pas nécessairement des fonctions essentielles au sens strict du terme, à savoir les travailleurs des banques, des télécommunications internationales et interurbaines, de la radio et de la télévision et ceux qui assurent le service des transports routiers et aériens ainsi que ceux des établissements d'assistance sociale ou de santé, des pharmacies, des établissements d'éducation ou des centres d'éducation des enfants, des entreprises de production, de stockage et de fournitures de denrées alimentaires, des oléoducs, des tribunaux ou des bureaux du procureur et les travailleurs occupés dans l'administration de l'Etat. En outre, la CISL observe que les articles 46 et 47 de la loi punissent d'amendes ceux qui manquent à leur devoir et d'un an de prison ceux qui dirigent une grève contraire à la loi. L'article 36, paragraphe 2, ne permet aux syndicats que des formes de protestation qui ne doivent pas être contraires à l'ordre juridique et au principe de la coexistence sociale, l'article 41 dispose que l'exercice du droit de grève ne dispense pas les entreprises et les travailleurs qu'elles emploient de respecter les dispositions sur l'obligation générale de défendre la République populaire de Pologne et l'article 40, paragraphe 3, confère un caractère obligatoire à la décision relative aux besoins en matière de défense et de sécurité de l'Etat prise par l'organe militaire compétent.
  737. 401. D'après la documentation communiquée par la CMT, la constitution des syndicats à l'échelle nationale prévue par l'article 53 de la loi du 8 octobre 1982 est conditionnée par l'accord de plus de la moitié des organisations syndicales dans les entreprises d'une branche de travail, d'un genre d'emploi ou d'une profession donnée (art. 2, paragr. 4, de la décision du Conseil d'Etat du 12 avril 1983 sur les principes et la procédure de constitution des organisations syndicales à l'échelon national). En outre, l'article 53, paragraphe 4, qui disposait que ne pouvait fonctionner au sein de l'entreprise qu'une seule organisation syndicale pendant la période transitoire jusqu'au 31 décembre 1984, a été modifié par l'article 13 de la loi du 21 juillet 1983 qui repousse la possibilité d'un retour au pluralisme syndical dans l'entreprise par un texte vague. En ce qui concerne le droit de grève, selon la documentation, non seulement la grève ne peut être déclenchée que par un vote au scrutin secret de la majorité de l'ensemble du personnel dans le cadre de l'entreprise, mais, lorsque les conflits dépassent le cadre de l'entreprise, le vote de tous les personnels intéressés par la grève est requis et les grèves dans les entreprises exigent, en plus, l'accord de l'instance syndicale supérieure. Pour ce qui est de l'affiliation syndicale internationale, l'article 8 de la loi la limiterait, en prévoyant que l'appartenance aux organisations syndicales internationales n'est autorisée qu'afin de représenter les intérêts professionnels et sociaux de leurs membres devant la communauté internationale et d'oeuvrer au renforcement de la solidarité internationale des travailleurs et de la généralisation du progrès et de la justice sociale. Sur ce point, le témoin M. Kaczmarczyk a notamment déclaré que les dispositions de l'article 8 qui définissent avec précision le but de l'adhésion à des organisations internationales est une ingérence dans les activités syndicales contraire à la convention n° 87.
  738. 402. Le gouvernement des Etats-Unis relève, outre les dispositions sur l'unicité syndicale imposée dans l'entreprise jusqu'à la fin du mois de décembre 1984, la dissolution de toutes les organisations syndicales sans possibilité de recours en justice, le placement des biens des syndicats sous contrôle provisoire, les délais imposés à la reprise des activités syndicales au niveau des fédérations et des confédérations et le niveau de la négociation collective, nombre de dispositions soulevées par la CISL.
  739. 403. Ce gouvernement se réfère notamment à l'autorisation préalable qui serait imposée par l'article 19, alinéa 2, à la constitution des syndicats; il se réfère aussi à l'imposition d'une structure syndicale par branche d'activité (art. 10, paragr. 2) et à l'obligation faite aux syndicats d'avoir des statuts conformes à la Constitution, y compris la reconnaissance du rôle dirigeant du Parti ouvrier unifié polonais dans l'édification du socialisme (art. 3). Sur ce point, selon ce gouvernement, la radio polonaise aurait indiqué, le 17 octobre 1983, que les tribunaux provinciaux auraient refusé 828 demandes d'enregistrement sur 18 000 demandes présentées, parce que ces demandes n'étaient pas conformes aux dispositions restrictives établies dans la loi du 8 octobre 1982.
  740. 404. S'agissant du droit de grève, le gouvernement des Etats-Unis estime que plusieurs dispositions en restreignent l'exercice de manière déraisonnable. Ainsi, l'article 47 impose un an de prison à quiconque participe à une grève organisée en infraction à la loi et l'article 39 fait peser sur les participants à une grève ou à une action de protestation une responsabilité pénale laissée à l'appréciation des autorités. Ce gouvernement relève également que les actions de protestation doivent être conformes au principe de la coexistence sociale (art. 36) et que la liste des services essentiels où le droit de grève est interdit semble excessivement large (art. 40). En outre, les articles 41 et 43 semblent autoriser le gouvernement, sans contrôle judiciaire, à militariser les entreprises ou à déclarer l'état d'urgence permettant de rendre ainsi illégale une grève déjà déclarée, et d'en punir les participants des peines prévues aux articles 39 et 47. D'ailleurs, selon le gouvernement des Etats-Unis, la grève des chantiers navals de Gdansk d'octobre 1982 aurait justement été brisée par le mécanisme de l'article 41 de cette loi. En effet, les chantiers navals auraient été déclarés nécessaires à la défense de la Pologne, la grève interdite et les travailleurs militarisés auraient été passibles de peines très lourdes s'ils poursuivaient la grève. D'autre part, d'après ce gouvernement, l'article 37, paragraphe 4, semble permettre d'interdire les grèves dans des situations où les différends "peuvent être réglementés par une sentence d'un organe chargé d'examiner les revendications des travailleurs" et l'article 35 semble restreindre la possibilité de recourir à la grève à la suite d'un arbitrage en prévoyant que la décision de la Chambre d'arbitrage social lie les parties dès lors qu'une des parties seulement (notamment l'employeur) en décide ainsi. Par ailleurs, l'article 37, paragraphe 3, semble permettre aux autorités de déclarer une grève illégale si elles estiment que le syndicat n'a pas évalué correctement la mesure dans laquelle ses "revendications ne sont pas disproportionnées par rapport aux pertes que peut entraîner la grève", conclut-il.
  741. 405. A propos du droit de constituer des fédérations et des confédérations, le gouvernement des Etats-Unis, tout en reconnaissant que le Conseil d'Etat a adopté une mesure positive dans sa décision du 12 avril 1983 en levant l'interdiction de constituer des fédérations nationales plus tôt que ce qui avait été prévu dans la décision du 12 octobre 1982, relève néanmoins que les confédérations demeurent interdites jusqu'en 1985. Selon ce gouvernement, le journal Trybuna Ludu du 14 septembre 1983 aurait annoncé le fonctionnement de cinq fédérations ainsi que 24 demandes d'enregistrement en instance devant les tribunaux. Ce gouvernement ne dispose pas d'informations sur la nature des activités que les fédérations peuvent exercer ni non plus sur la mesure dans laquelle elles peuvent effectivement choisir leurs affiliations internationales.
  742. 406. Sur la question du droit de négociation collective volontaire, garanti par l'article 4 de la convention n° 98, ce gouvernement estime que, depuis l'adoption de la décision du Conseil d'Etat du 12 avril 1983, qui autorise la constitution des syndicats nationaux et des fédérations nationales des syndicats d'entreprise, le droit de conclure des conventions collectives à l'échelle nationale, régi par l'article 23 de la loi du 8 octobre 1982, pourrait de nouveau être exercé, du moins en théorie. En outre, les conseils de travailleurs ont le droit de négocier les salaires avec les directeurs d'entreprise. Néanmoins, le gouvernement de la Pologne garderait le pouvoir de fixer des directives salariales sans permettre le recours à la négociation collective et la question de savoir si le pouvoir d'agir en tant qu'agent négociateur appartient aux nouveaux syndicats ou aux prétendus organes d'autogestion reste entière. Au niveau de l'entreprise, en effet, si la faculté d'agir en tant qu'agent négociateur est confiée auxdits organes d'autogestion, la négociation collective risque d'être compromise par les dispositions de la loi du 21 juillet 1983 instituant un régime juridique particulier visant à surmonter la crise socio-économique car ces dispositions permettent de suspendre ou de dissoudre ces organes.
  743. 407. Les gouvernements de la France et de la Suède considèrent également que l'unicité syndicale imposée dans l'entreprise par l'article 53, paragraphe 4, de la loi du 8 octobre 1982 est contraire à la convention n° 87. Le gouvernement de la Suède craint que l'amendement audit article 53 apporté par la loi du 21 juillet 1983 susmentionné n'implique une prolongation indéfinie de la période transitoire.
  744. 408. Le témoin M. Cywinski, représentant personnel de M. Lech Walesa, a lui aussi fait état de ses craintes en la matière. Il a ajouté que, si la perspective du pluralisme syndical se concrétisait, cela serait une grande chose, mais qu'à la lumière des expériences malheureuses de ces dernières années il doutait que les promesses gouvernementales soient tenues. Plusieurs autres témoins ont regretté que le gouvernement de la Pologne n'ait pas respecté les engagements qu'il avait pris envers les travailleurs polonais en signant les accords de Gdansk et en promettant de respecter les conventions nos 87 et 98 en matière de liberté syndicale.
  745. Création des nouveaux syndicats
  746. 409. Le plaignant a fait état, à propos de la création des nouveaux syndicats, d'un document qui aurait été élaboré le 31 décembre 1982 par la section socioprofessionnelle du comité central du Parti ouvrier unifié polonais (POUP) à l'usage des cadres du parti. Ce document intitulé Informations sur les processus de formation des nouveaux syndicats contient des directives en la matière expliquant qu'avant le vote de la loi syndicale la formation des nouveaux syndicats avait été confiée à des états-majors nommés par les instances du parti. Selon ce document, depuis le vote de la loi, des travailleurs venant du comité central ont été envoyés dans les grandes entreprises, et un système de communication directe entre le comité central et l'instance régionale du parti a été mis en place : des réunions ont eu lieu dans les comités de voïvodie avec la participation des militants du parti, de représentants de l'Etat et de l'armée pour définir leur tâche dans la fondation des syndicats. Toujours d'après ce document, à la suite de ces actions, des groupes d'initiative pour la fondation des nouveaux syndicats ont alors rapidement vu le jour. La fondation des nouveaux syndicats a donc été politiquement dirigée et inspirée par les instances et les organisations du parti. Parallèlement à ces mesures, le Conseil d'Etat a nommé une commission sociale de consultation composée de personnes choisies par le pouvoir et chargées de rencontrer les représentants des syndicats d'entreprise en vue de préparer les structures à l'échelon supérieur et d'organiser des écoles de cadres syndicaux. Dans ce contexte, le plaignant a également fait état des thèses développées, le 16 novembre 1982, à Varsovie par M. Barcikowski et les généraux Siwicki et Baryla, thèses où ces dirigeants expliquaient à leur auditoire, composé de responsables du parti et de cadres de l'armée, qu'il fallait patiemment collaborer à la création de nouveaux syndicats sans dévier de la conception léniniste des syndicats, courroie de transmission du parti vers les masses.
  747. 410. En matière d'enregistrement des nouveaux syndicats, le professeur Seniuta a rappelé que les décisions du Conseil d'Etat des 12 octobre 1982 et 13 avril 1983 sur les principes et la manière de créer une organisation syndicale au niveau de l'entreprise et au plan national confèrent au Tribunal de la voïvodie de Varsovie le pouvoir d'enregistrement, autrement dit le pouvoir de décider en cas de conflit, entre deux conseils fondateurs créés dans une même entreprise, lequel subsisterait. Il a déclaré à la commission que, même si d'anciens militants de Solidarité avaient essayé de créer un syndicat dans une entreprise, les autorités les en auraient empêchés. Au sujet de la "Commission sociale de consultation" nommée par le Conseil d'Etat, M. Seniuta a expliqué que cette commission avait été créée pour "aider la classe ouvrière en vue de la formation des nouveaux syndicats" mais qu'en réalité l'une de ces fonctions a été d'élaborer des statuts types pour les nouveaux syndicats, statuts types dont il a remis un exemplaire à la commission. La plupart des nouveaux syndicats enregistrés l'auraient été à partir de tels statuts types adaptés aux différentes entreprises. Il a ajouté qu'il n'y a pas eu de situation où deux comités fondateurs se seraient trouvés en concurrence et bien rares ont été les exemples d'entrée d'anciens membres de Solidarité dans les nouveaux syndicats, compte tenu du fait que la direction provisoire de Solidarité avait pris la décision de ne pas participer aux nouveaux syndicats. D'après plusieurs témoins, les autorités polonaises auraient rencontré des difficultés à trouver des fondateurs pour créer de nouveaux syndicats.
  748. 411. Au sujet des méthodes de création de nouveaux syndicats, tant la documentation écrite que les témoignages oraux ont indiqué que les adhésions auraient été obtenues par certaines méthodes incitatives, y compris des ingérences du gouvernement et des employeurs dans la formation des nouveaux syndicats. Ainsi, les travailleurs se seraient vu proposer des augmentations de salaire, des talons de priorité pour l'acquisition d'une voiture ou d'un logement, des places d'excursion à l'étranger ou même l'annulation de peines disciplinaires (par exemple pour ivresse sur le lieu de travail) ou par la restitution aux coupables de leur treizième mois de salaire.
  749. 412. Selon plusieurs témoins, malgré ces méthodes incitatives, les travailleurs polonais continueraient à rejeter " l'ordre nouveau " et les nouveaux syndicats mis en place par le pouvoir. Le plaignant a, pour sa part, déclaré qu'au mois de février 1983, dans la fabrique FSO de montage de voitures à Varsovie, sur 13 800 salariés 1 780 seulement étaient syndiqués, soit moins de 15 pour cent des effectifs de l'entreprise, même si cette entreprise comptait environ 2 000 membres du Parti ouvrier unifié polonais. Par comparaison, selon le plaignant, avant le 13 décembre 1981, Solidarité avait obtenu l'adhésion de 9 800 travailleurs, le syndicat de branches de 3 200 travailleurs et 3 000 travailleurs n'étaient pas syndiqués. Le témoin M. Dziechciowski a précisé qu'à la direction du port de Szczecin, en octobre 1982, un de ses camarades membre du parti a été convoqué au commandement de la milice et sollicité de créer le nouveau syndicat. Ayant refusé et ayant rendu sa carte du parti, son camarade a été dégradé. Cependant, deux personnes qui n'avaient pas la confiance des travailleurs et une troisième choisie par le parti ont alors créé un comité d'initiative pour la formation du nouveau syndicat dont les membres ont été agréés par le comité de voïvodie du parti. Selon ce témoin, les travailleurs de cette entreprise n'étaient guère désireux d'adhérer au nouveau syndicat, mais, vu la situation économique déplorable de la Pologne où les gens manquent de tout, certains travailleurs parmi les plus démunis y sont tout de même entrés. Le témoin M. Bartczak a déclaré que dans son entreprise à la Compagnie municipale des transports de Lublin, le directeur, par ailleurs membre de la Réserve volontaire de la milice (ORMO), a convoqué une réunion obligatoire de tout le personnel pour fonder le nouveau syndicat. Ceux qui se sont refusés à assister à la réunion ont été licenciés. Or dans cette entreprise de 2 200 travailleurs, où Solidarité comptait avant le 13 décembre 1981700 adhérents, les syndicats de branche 350 et où 150 travailleurs n'étaient pas syndiqués, en janvier 1984, malgré les incitations à entrer dans le nouveau syndicat, seulement 200 travailleurs en faisaient partie.
  750. 413. A propos des effectifs des nouveaux syndicats, M. Seniuta s'est référé au rapport élaboré par la Confédération générale du travail française du 31 octobre 1983, à la suite d'une mission effectuée par cette confédération en Pologne. Selon ce rapport, il y aurait 3 800 000 adhérents dans les nouveaux syndicats sur 14 millions de travailleurs polonais qui pourraient se syndiquer. Mais M. Seniuta a estimé que ces chiffres doivent se comprendre autrement. En effet, selon lui, en plus des 14 millions de travailleurs, il convient de considérer que 3 millions de travailleurs retraités peuvent également devenir membres des nouveaux syndicats. En l'occurrence, sur les 3 800 000 adhérents entrés dans les nouveaux syndicats, un tiers serait composé de retraités. Il s'agirait d'anciens membres du POUP ou du Conseil central des syndicats, qui souvent auraient créé les comités fondateurs. Sur les 60 000 entreprises que compte la Pologne, des syndicats n'auraient été créés que dans 18 600 entreprises, soit dans un tiers des entreprises. Dans les autres, il n'y aurait ni syndicat ni comité fondateur et 3 500 syndicats regroupant moins de 50 membres seraient, en application de la loi, menacés de dissolution. En outre, dans les grandes entreprises, seulement 10 à 15 pour cent du personnel seraient syndiqués. En revanche, dans les petites entreprises les travailleurs seraient soit non syndiqués, soit syndiqués à 30 ou 40 pour cent, car les pressions seraient plus faciles à exercer sur ces salariés.
  751. 414. Le secrétaire général de la CISL, M. Vanderveken, a estimé que les nouveaux syndicats sont sous le contrôle strict du gouvernement et du parti. Il considère qu'ils continuent à être boycottés par l'immense majorité des travailleurs qui leur reproche leur incapacité à promouvoir leurs véritables intérêts et à prendre la défense de leurs camarades victimes de la répression, détenus et licenciés. Les activités des nouveaux syndicats consistent, d'après lui, essentiellement à faire accepter aux travailleurs polonais la politique antisociale du gouvernement. Pour le secrétaire général de la CMT, M. Kulalowski, le chiffre de 3 800 000 adhérents, proclamé par les autorités polonaises, est excessif.
  752. Poursuite de l'activité de Solidarité
  753. 415. Le plaignant a signalé que, malgré sa suspension et sa dissolution par la loi sur les syndicats, le syndicat Solidarité poursuit son activité syndicale. Le plaignant ainsi que les secrétaires généraux de la CISL et de la CMT ont notamment déclaré que le syndicat indépendant et autogéré Solidarité vit toujours et opère en dépit du harcèlement des autorités. Le secrétaire général de la CISL a particulièrement insisté sur le fait que Solidarité est implanté dans toutes les régions. Selon lui, dans les entreprises, les militants perçoivent des cotisations donnant droit à diverses allocations (naissance, décès, maladie, éducation). Des commissions d'entreprise publient des bulletins d'informations dont les titres réguliers dépasseraient 1 500. Malgré la dissolution de Solidarité, 1200 000 personnes continueraient à en être membres actifs.
  754. 416. Parmi les documents soumis à la commission par la CMT, certains proviennent des organes de Solidarité. Ces documents comprennent notamment le programme de la commission provisoire de Solidarité de la région-du Centre-Est publié à Lublin en avril 1983. Ce programme énumère les objectifs de Solidarité, traite des structures et de la stratégie syndicales, insiste sur l'indépendance du mouvement et rappelle que ces propositions dé programme découlent des thèses du premier congrès des délégués de Solidarité. D'après ce document, le but fondamental de Solidarité est d'arriver à des changements sociaux, économiques et politiques qui permettent d'assurer aux travailleurs de Pologne des conditions dignes et justes de vie et de travail. Il convient donc de mettre en place des conditions de travail qui ne menacent pas la vie et la santé des travailleurs, d'établir des relations politiques, sociales et économiques exemptes du gaspillage des produits du travail de la société, de garantir la liberté et les droits de l'homme et du travailleur, et d'assurer à la société une participation réelle dans la prise de décisions relative aux affaires qui la concernent.
  755. 417. Selon ce programme, il convient, pour parvenir à ces objectifs, de renforcer et de développer les structures de Solidarité dans les entreprises, les régions et le pays, de lutter pour obtenir l'amnistie générale et la possibilité pour Solidarité d'agir et de fonctionner dans la légalité et de créer les conditions permettant un pacte social avec le pouvoir sur la base des accords de Gdansk, Szczecin et Jastrzebie.
  756. 418. Les orientations principales de l'action des organisations de Solidarité dans les entreprises doivent être d'assurer la protection de tous les membres du syndicat et des militants victimes de la répression (aide juridique, manifestations publiques en leur faveur, combat pour leur libération, demande de l'amnistie générale), de collecter les fonds indispensables à l'action syndicale, de distribuer des prestations d'aide sociale, d'aider les travailleurs membres du syndicat à organiser des vacances pour leurs enfants et pour eux-mêmes, et d'aider les travailleurs licenciés à entreprendre une activité économique autonome. Les organisations de Solidarité doivent agir aussi sur la situation existant dans l'entreprise, notamment dans le domaine des conditions de travail et de salaires; elles doivent promouvoir et inculquer le zèle au travail et entreprendre des actions en faveur de la protection publique de la santé et de la sauvegarde de l'environnement.
  757. 419. Pour ce faire, selon ce programme, la stratégie syndicale doit consister dans le boycott des nouveaux syndicats, la revendication de l'amnistie, l'aide aux membres du syndicat et aux personnes qui subissent la répression et la diffusion d'informations véridiques à partir des commissions d'entreprise.
  758. 420. Le syndicat, d'après ce programme, n'abandonne pas la grève, mais il estime qu'il faut pour l'instant exclure les grèves avec occupation des entreprises que le pouvoir a considérées comme insurrectionnelles. Cependant, dans le cas où le niveau de vie descendrait plus bas et où les provocations du pouvoir continueraient, le programme indique que la place du syndicat sera alors à côté du peuple. Sa tâche sera de transformer ces mouvements de colère et de désespoir en une lutte organisée sous la forme d'une grève générale.
  759. 421. Le programme rappelle que Solidarité est un syndicat, non pas un parti politique, qu'il ne désire pas le pouvoir, qu'il n'envisage pas de contester les alliances de la Pologne avec les pays du bloc socialiste, qu'il ne remet pas en question le fondement du régime. Cependant, la société doit obtenir le droit de décider d'elle-même. Il faut créer des mécanismes de contrôle social afin que le pouvoir ne tombe pas dans une dégénérescence progressive.
  760. 422. Lors des auditions, la commission a pris connaissance, à la demande du plaignant, d'un film tourné à Gdansk en juin 1983, dans lequel sont apparus quatre responsables syndicaux de Solidarité: M. Bogdan Lis de la région de Gdansk, M. Zbigniew Bujak de la région de Varsovie, M. Eugenius Szuniejko de la région de Wroclaw et M. Vladislas Hardek de la région de Cracovie en compagnie de M. Jean Bornard, secrétaire général de la Confédération française des travailleurs chrétiens. D'après le plaignant, bien que M. Hardek ait été, par la suite, arrêté au mois de juillet 1983 et contraint, sous la pression des autorités, à déclarer publiquement que la lutte dans la clandestinité n'avait plus de sens, il n'a pas pour autant renié son action de dirigeant de Solidarité.
  761. 423. Dans ce film, M. Bujak a précisé que la situation dans le mouvement syndical à Varsovie est essentielle car c'est dans cette ville que l'activité des syndicats de branches et des syndicats autonomes qui existaient avant la loi martiale se concentre. Si, avant le 13 décembre 1981, ces syndicats étaient en rivalité avec Solidarité, aujourd'hui leurs militants et leurs membres boycottent les syndicats gouvernementaux. Leurs dirigeants se manifestent dans des activités semi-ouvertes comme la rencontre avec M. Lech Walesa et la déclaration commune sur les buts du mouvement syndical avec Solidarité. Ils appuient les acquis communs, notamment le pluralisme syndical et l'indépendance qui font la force et la signification des mouvements syndicaux.
  762. 424. M. Lis a rappelé que les syndicats de branches et les syndicats autonomes rivaux de Solidarité auparavant avaient eux aussi été dissous. Cette situation a créé une possibilité de contacts et permis l'établissement d'un front commun. M. Hardek a ajouté que Solidarité maintient son implantation aussi bien dans les entreprises que parmi les travailleurs des sciences, de la santé et même de l'agriculture. Ces activités sont d'ordre charitable et social, telle la défense des droits de l'homme. En revanche, a affirmé M. Lis, les syndicats officiels représentent surtout le parti: ils sont organisés par les autorités et non par les travailleurs. Solidarité continue à former des cellules dans les entreprises, à collecter des cotisations, à traiter des problèmes importants pour le mouvement syndical, ce qui lui permet de parler au nom des travailleurs syndiqués de Pologne. Ainsi, par exemple, plus de 1 700 journaux syndicaux continuent à circuler. Ils sont élaborés dans presque chaque entreprise de 500 à 1 000 employés. A Gdansk, on compte 3 000 cellules d'entreprise et 1 000 comités d'entreprise actifs. M. Bujak a ajouté qu'au mois de juin 1983, dans la seule région de Varsovie, Solidarité comptait de 150 000 à 200 000 cotisants réguliers et 200 000 sympathisants. Les activités de Solidarité à Varsovie consistent essentiellement à aider les 70 personnes de la région encore emprisonnées ainsi que les personnes licenciées.
  763. 425. M. Seniuta a déclaré que 30 000 à 40 000 personnes oeuvreraient dans les comités d'entreprise, les comités régionaux et la Commission provisoire nationale (TKK), et qu'en plus des adhérents réguliers qui versent des cotisations Solidarité se compose de sympathisants qui effectuent des dons. Ils lisent la presse syndicale, alors que la presse officielle reste dans les kiosques. Selon lui, ces sympathisants représenteraient 50 à 60 pour cent des salariés de chaque entreprise.
  764. 426. D'après le secrétaire général de la CISL, les comités d'entreprise Solidarité s'occupent de l'aide aux victimes de la répression, continuent d'organiser des centaines de cercles d'éducation ouvrière, obtiennent même parfois de la direction des entreprises qu'elle modifie sa position sur des problèmes affectant les travailleurs, notamment en matière de sécurité, d'hygiène et de salaires.
  765. 427. Le témoin M. Cywinski, représentant de M. Lech Walesa, a déclaré qu'en dépit de la coupure qui sépare le gouvernement et les travailleurs en Pologne, coupure qui résulte d'une accumulation d'injustices, de souffrances et d'atteintes à toutes les valeurs auxquelles le peuple polonais reste attaché, ce peuple est conscient de sa situation géopolitique et il est prêt à reprendre le dialogue avec le pouvoir. Seulement, un tel dialogue présuppose la reconnaissance par ce dernier du véritable partenaire. Ce dialogue ne peut avoir lieu qu'avec les représentants authentiques du peuple et ne peut viser que le retour aux accords de Gdansk avec tout ce que cela comporte en matière d'égalité, de libertés fondamentales, de pluralisme syndical et de rétablissement de Solidarité.
  766. Position du gouvernement de la Pologne
  767. 428. Quelques jours après l'adoption de la loi du 8 octobre 1982 sur les syndicats, le vice-ministre du Travail, M. K. Gorski, avait affirmé devant le Comité de la liberté syndicale, en novembre 1982, que la loi nouvelle respectait, conformément aux conventions nos 87 et 98, le droit d'association sans autorisation préalable des pouvoirs publics et reconnaissait l'indépendance des syndicats qui fixent et établissent seuls leurs statuts, buts, programme d'activités et futures structures. Elle admettait le principe du pluralisme syndical et de l'égalité de tous les syndicats sans distinction et garantissait le droit de grève en tant que dernier recours, après épuisement des moyens de conciliation, ainsi que le droit des syndicats de s'affilier à des organisations internationales. Le vice-ministre avait souligné que, si la loi introduisait certaines restrictions, celles-ci avaient un caractère temporaire, et que le Conseil d'Etat pourrait en réduire les délais d'application. Il avait expliqué que, dans le cadre de la nouvelle loi, 1 600 comités fondateurs avaient créé de nouveaux syndicats qui avaient déposé leurs statuts en novembre 1982. Le présidium du gouvernement avait donné des directives précises aux ministres, chefs des institutions centrales et préfets de prendre toute mesure adéquate pour empêcher les cas d'ingérence administrative dans le processus de formation des nouveaux syndicats.
  768. 429. Ultérieurement, dans une communication du 19 mai 1983, le gouvernement avait déclaré, au sujet de l'annulation de l'enregistrement des syndicats existants par l'article 52 de la loi sur les syndicats, qu'elle ne portait pas atteinte à l'article 4 de la convention n° 87, puisque cette mesure avait été prise par voie législative et non administrative. Pour ce qui était des délais prévus pour le commencement des activités des organisations syndicales nationales et intersyndicales, le gouvernement avait indiqué que le Conseil d'Etat avait adopté, le 12 avril 1983, une décision n° 34/83 concernant les principes et les moyens de la création des organisations syndicales nationales. Cette décision avait accordé le droit de créer des organisations syndicales nationales avant le 31 décembre 1983. En outre, le Conseil d'Etat avait décidé que la Fédération des syndicats de la sidérurgie pourrait commencer ses activités dès le jour de son enregistrement.
  769. 430. S'agissant de la représentation syndicale des employés de l'Etat, le gouvernement avait indiqué qu'une loi avait été adoptée, le 16 septembre 1982, en vue d'en régler les principes. Selon lui, conformément à l'article 40 de cette loi, des employés de l'administration de l'Etat peuvent adhérer au syndicat à l'exception de ceux qui occupent des postes hautement responsables, dont les activités sont considérées, en règle générale, comme liées à la formation d'une politique ou comme fonction de direction, et de ceux dont les tâches ont dans une grande mesure un caractère confidentiel. Le gouvernement avait ajouté que les employés exclus du droit syndical ont le droit, tout comme d'autres travailleurs n'appartenant pas au syndicat, de créer des conseils de travailleurs, conseils qui ont pour tâche de protéger et de représenter auprès des directions de l'administration les intérêts sociaux et professionnels des employés formant ces conseils. Il avait, d'autre part, expliqué que les fonctionnaires des services pénitentiaires, exclus du droit syndical, constituent une formation militarisée, dont le système de subordination hiérarchique et de discipline est semblable à celui de l'armée, puisque l'une de leurs tâches est d'assurer la sécurité et l'ordre dans le lieu de détention. Ils possèdent des caractéristiques identiques à celles de la milice et doivent être considérés comme tels.
  770. 431. Se référant à la loi du 8 octobre 1982 sur les organisations socioprofessionnelles des agriculteurs, le gouvernement avait déclaré que le syndicat national auquel cette loi attribue la représentation suprême des agriculteurs individuels ne possède pas un caractère de monopole puisque les unions de branches représentant les droits des agriculteurs spécialisés dans un domaine déterminé de la production végétale ou animale n'adhèrent pas à ce syndicat national, de même que de nombreuses autres organisations sociales qui mènent une activité à la campagne. Le gouvernement avait rappelé que cette loi ne couvre ni les travailleurs agricoles salariés du secteur nationalisé et privé ni les membres des coopératives de production, qui peuvent adhérer au syndicat régi par la loi sur les syndicats.
  771. 432. Sur la décision de la grève par la majorité des travailleurs au moyen d'un vote secret, le gouvernement avait indiqué que ce mode de scrutin est une garantie de prise de décisions selon un moyen démocratique et selon la volonté des travailleurs. La grève étant un fait sérieux, elle ne devrait pas être laissée à une minorité ou imposée par un organe dirigeant contre la volonté de la majorité. S'agissant de la liste des services essentiels où le droit de grève n'est pas reconnu, le gouvernement avait donné des assurances selon lesquelles elle serait soumise à une révision à la lumière de l'application pratique de la loi; cela pourrait intervenir lors de la mise à jour du Code du travail. Le gouvernement avait aussi déclaré que la loi sur les syndicats prévoit d'autres formes de protestation que la grève. Ces autres formes de protestation peuvent dépasser l'entreprise, la profession ou le secteur industriel, à la condition qu'elles ne transgressent pas l'ordre juridique ni le principe de la coexistence sociale.
  772. 433. Au sujet de l'application de la convention n° 98, le gouvernement avait indiqué que, compte tenu de la suspension des activités des syndicats pendant la période de la loi martiale, il avait autorisé les organes centraux de l'administration et d'autres organes qui représentaient des entreprises dans les négociations collectives à introduire des modifications favorables aux travailleurs dans les contrats collectifs. Un exemple d'une telle procédure est la libéralisation des principes relatifs à l'attribution des allocations à titre d'ancienneté. En outre, dans le cadre de la réforme économique, les entreprises ont le droit de fixer la somme des moyens destinés aux salaires, de modifier partiellement les principes de rémunération et d'élaborer leurs propres échelles de salaires, en particulier dans la sidérurgie et les mines de charbon. Le gouvernement avait précisé également que, si la loi règle le problème de la négociation collective à l'échelle d'une branche professionnelle, elle n'exclut pas pour autant la possibilité de mener une telle négociation à d'autres niveaux, particulièrement à la lumière de l'indépendance des entreprises, résultant de la réforme économique.
  773. 434. Dans un rapport sur l'application de la convention n° 87, envoyé au titre de l'article 22 de la Constitution de l'OIT et reçu au BIT le 17 octobre 1983, le gouvernement avait précisé qu'en date du 30 juin 1983 16 730 syndicats d'entreprise et 3 organisations syndicales de degré supérieur avaient été enregistrés.
  774. 435. Depuis lors, dans un rapport plus récent sur l'application de la convention n° 87 envoyé au BIT également au titre de l'article 22 de la Constitution, parvenu le 16 avril 1984 et couvrant la période du 1er juillet 1983 au 31 mars 1984, le gouvernement explique que les syndicats, qui participent à l'élaboration et à la réalisation des tâches socio-économiques de développement du pays et qui représentent les intérêts et les droits des travailleurs, constituent une école d'activité civique et d'engagement dans l'édification de la société socialiste et qu'ils y jouent un rôle social éminent.
  775. 436. Le gouvernement rappelle que le Code du travail confirme ces principes formulés dans les articles 84, paragraphes 1 et 2, et 85 de la Constitution de la République populaire de Pologne. L'article 19, paragraphe 1, du code dispose en effet que "les travailleurs ont le droit de se grouper en syndicats" et définit leurs fonctions particulières à l'article 19, paragraphe 2, et à l'article 20, paragraphe 1, à savoir que "les syndicats participent à l'élaboration et à l'exécution des tâches se rapportant au développement social et économique du pays, à l'amélioration des conditions de travail et du niveau de vie des travailleurs et à l'action à exercer sur le degré de conscience sociale et les relations humaines socialistes. Ils collaborent plus particulièrement avec les organes gouvernementaux compétents à la publication et à l'application des dispositions de la législation du travail et prennent des mesures pour renforcer la primauté du droit sous le rapport de l'observation des droits et obligations des travailleurs".
  776. 437. D'après le gouvernement, le droit des travailleurs de former et d'adhérer aux syndicats - reconnu par la loi sur les syndicats - repose sur les quatre principes essentiels suivants:
  777. - l'indépendance: c'est-à-dire que les syndicats ne sont pas soumis à la surveillance ou au contrôle de la part de l'administration d'Etat ou de l'administration économique;
  778. - l'autogestion: c'est-à-dire que les syndicats ont le droit en toute liberté et indépendance - conformément aux normes juridiques en vigueur - d'établir leurs statuts et autres règlements internes, d'élaborer librement leurs pro grammes et de définir l'orientation de leur activité, de déterminer les structures d'organisation et de créer leurs propres organes de direction, ainsi que de s'unir en centrale syndicale et de s'affilier aux organisations internationales;
  779. - l'adhésion volontaire: c'est-à-dire que l'adhésion au syndicat ou le retrait de l'adhésion s'effectue de plein gré, sans entraîner aucune suite négative;
  780. - la démocratie: c'est-à-dire que les instances syndicales sont instituées par voie d'élection, tous les membres du syndicat ont le droit d'élire et d'être élus, garanti par les statuts.
  781. 438. Le gouvernement décrit les changements intervenus dans la législation et la pratique nationale depuis le 1er juillet 1983. Il précise que, par une décision du Conseil d'Etat du 20 juillet 1983, la loi martiale, précédemment suspendue, a été définitivement levée le 22 juillet 1983. Cela est intervenu parce que le but en vue duquel elle avait été introduite temporairement et qui consistait à détourner le danger extrêmement grave menaçant l'existence de la nation avait été atteint. La levée de la loi martiale a été accompagnée de certaines mesures législatives et pratiques importantes tendant à une pleine démocratisation de la vie du pays et à l'introduction de larges réformes politiques, économiques et sociales.
  782. 439. Ainsi une loi du 6 avril 1984, portant modification de la loi du 8 octobre 1982 sur les syndicats, a introduit deux changements: en premier lieu, l'octroi du droit d'appartenance aux syndicats existant dans les entreprises aux personnes travaillant à domicile et à celles occupées sur la base d'un contrat de gérance si elles ne sont pas employeurs (art. 10 nouveau) ; en second lieu, la prolongation au 31 décembre 1985 de la non-application de certaines dispositions de la loi à l'égard des petites organisations syndicales d'entreprise (art. 53, paragr. 2 nouveau). La première modification est justifiée par l'importance pour l'économie nationale du nombre des travailleurs à domicile et de ceux occupés en vertu de contrats de gérance. Il s'agit de 300 000 travailleurs dont le statut est proche de celui des travailleurs employés sur la base d'un contrat de travail. De ce fait, il était souhaitable de régler pour ce groupe de personnes la question de l'appartenance syndicale, d'autant plus que ce droit leur était accordé antérieurement. Sur ce point, le gouvernement assure avoir pris en considération l'une des remarques présentées par le BIT au cours de l'examen de la loi sur les syndicats. La deuxième modification, qui concerne l'ajournement, suspend l'application des articles 17 et 19, paragraphe 4, alinéa 2, de la loi relatifs à l'exigence d'un minimum de 30 personnes pour créer une organisation syndicale et à la possibilité pour le tribunal de retirer l'enregistrement d'un syndicat, si ce dernier compte moins de 50 membres, pendant une période dépassant trois mois. Le délai de mise en application de ces dispositions de la loi ayant expiré à la fin de l'année 1983 allait pratiquement priver les travailleurs du droit d'adhérer à un syndicat lorsqu'ils sont moins de 50, ce qui constitue un groupe important de syndiqués, étant donné que la majorité des milieux professionnels a choisi la forme structurelle de fédérations nationales dont chaque organisation possède la personnalité juridique. L'ajournement a donc été prolongé jusqu'au 31 décembre 1985. Cette solution temporaire découle du principe selon lequel, à la fin de l'année 1985, conformément au droit législatif qui lui est conféré, le Conseil d'Etat procédera à une analyse de l'application générale de la loi sur les syndicats et soumettra, après consultation avec les syndicats, des propositions de modifications nécessaires à apporter à la loi. De ce fait, il sera possible de trouver une solution durable au problème des petites organisations syndicales. Pour justifier cette solution, il a également été rappelé que, selon l'appréciation du BIT, la limitation à 50 personnes du nombre de membres d'un syndicat était trop élevée.
  783. 440. D'autre part, le gouvernement a joint des informations relatives à la solution des différends en matière de relations de travail comportant des indications sur le nombre des tribunaux de conciliation existant au niveau de l'entreprise, au niveau local et au niveau supérieur ainsi que le nombre d'interventions des tribunaux du travail en matière de différends individuels en 1979, 1980, 1982 et 1983. Il est également précisé que les conflits concernant certains groupes de travailleurs en matière de licenciement sont examinés par les tribunaux administratifs, les tribunaux ordinaires étant compétents en matière de prestations sociales (allocations de décès, accidents du travail, etc.).
  784. 441. En matière d'enregistrement des organisations syndicales d'entreprise, le gouvernement indique qu'au 31 mars 1984 on comptait 20 000 organisations syndicales d'entreprise, groupant plus de 4 300 000 membres, c'est-à-dire environ 40 pour cent de l'ensemble des travailleurs. Le développement des organisations syndicales d'entreprise se poursuit systématiquement, quoique différemment selon les régions du pays, les voïvodies, les secteurs de l'économie nationale, les branches et les groupes professionnels. Le développement syndical le plus dynamique est celui des enseignants, des travailleurs de l'agriculture, du commerce, des postes et télécommunications, des mines et de la sidérurgie, ainsi que des industries mécaniques et de l'industrie légère.
  785. 442. Toutefois, les comités créateurs et les groupes d'initiative des syndicats oeuvrent encore dans plusieurs entreprises. Dans l'ensemble du pays, 60 pour cent de membres syndiqués sont des travailleurs manuels. Ils sont aussi nombreux à être représentés aux directions élues des organisations syndicales. Dans tous les syndicats, le processus des élections démocratiques au scrutin secret fonctionne et leurs activités sont indépendantes.
  786. 443. L'étape actuelle du développement des syndicats est caractérisée par la formation dynamique d'organisations syndicales nationales. Au 28 mars 1984, 90 organisations syndicales nationales étaient enregistrées. Conformément à la décision du Conseil d'Etat du 12 avril 1983 concernant les principes et les modalités de création des organisations syndicales nationales, les organisations syndicales d'entreprise peuvent créer des structures au niveau supérieur des entreprises " dans une branche de travail déterminée, un genre d'emploi ou une profession". Cette décision prévoit deux formes pour la création des organisations syndicales nationales. Celles-ci peuvent être des organisations de travailleurs occupés dans la même branche, c'est-à-dire des syndicats groupant des personnes physiques occupées dans un secteur déterminé de l'économie nationale, ou des organisations qui unissent les syndicats agissant dans les entreprises, donc des unions ou fédérations syndicales auxquelles appartiennent des personnes juridiques. Presque toutes les organisations syndicales nationales ont tenu leur conférence ou leur congrès constitutifs.
  787. 444. Les organisations syndicales nationales les plus représentatives sont les suivantes:
  788. - la Fédération des syndicats des travailleurs agricoles avec 400 000 membres;
  789. - l'Union des enseignants polonais avec 350 000 membres;
  790. - la Fédération des syndicats des travailleurs du bâtiment avec 215 000 membres;
  791. - la Fédération des syndicats des travailleurs des mines de houille, des entreprises minières et de construction des puits dans l'industrie charbonnière avec 202 000 membres;
  792. - la Fédération des syndicats des travailleurs de la sidérurgie avec 150 000 membres;
  793. - la Fédération des syndicats indépendants et autogérés de l'industrie légère avec 150 000 membres;
  794. - la Fédération des syndicats des industries mécaniques et électromécaniques "Métallos" avec 135 000 membres;
  795. - la Fédération des syndicats des travailleurs des coopératives " Spolem " avec 128 000 membres;
  796. - la Fédération des syndicats des travailleurs des forêts et de l'industrie du bois avec 100 000 membres;
  797. - la Fédération des syndicats des travailleurs de l'industrie chimique avec 85 000 membres ;
  798. - la Fédération des syndicats des mineurs avec 965 000 membres.
  799. 445. Selon le gouvernement, les syndicats fonctionnent sur la base de leurs statuts élaborés conformément aux dispositions de l'article 18 de la loi sur les syndicats. Les statuts se réfèrent, en principe, aux conventions de l'OIT ratifiées par la Pologne, tout en mentionnant parfois que les syndicats bénéficient des droits qui résultent de ces conventions. Il en est ainsi, par exemple, des statuts de la Fédération des syndicats des travailleurs de la sidérurgie, qui prévoient, à l'article 5, que la fédération jouit des droits garantis par les conventions de l'OIT ratifiées par la Pologne. Des clauses semblables figurent dans les statuts des organisations syndicales d'entreprise et nationales, notamment dans les statuts de la Fédération des syndicats des travailleurs des mines de houille, des entreprises minières et de construction des puits dans l'industrie charbonnière (art. 3), dans les statuts de la Fédération des syndicats des travailleurs agricoles (art. 3) et dans les statuts de la Fédération des syndicats des enseignants polonais des écoles supérieures (art. 8).
  800. 446. En ce qui concerne les formes de l'activité syndicale, les statuts se réfèrent, entre autres, à l'organisation et à la conduite des actions de protestation, y compris la grève, dans les cas d'atteinte aux droits et aux intérêts des travailleurs, tout en prévoyant la création d'un fonds de grève. Le gouvernement mentionne, à titre d'exemple, les statuts du Syndicat des travailleurs des entreprises de papeterie à Varsovie (art. 8), les statuts du Syndicat des travailleurs de l'usine des appareils de communication - WSK à Okecie - à Varsovie (art. 8), les statuts du Syndicat des travailleurs des industries graphiques (art. 10, paragr. l, relatif au droit aux actions de protestation, y compris la grève, et paragr. 3, qui prévoit la création d'un fonds de grève), les statuts de la Fédération des syndicats des travailleurs des mines de houille, des entreprises minières et de construction des puits dans l'industrie charbonnière (art. 2, paragr. 3, qui prévoit le droit de grève, et paragr. 4, qui énumère les types de grève: d'avertissement et effective), les statuts de la Fédération des syndicats des travailleurs des industries mécaniques et électromécaniques (art. 23, paragr. 3, relatif au fonds de grève) et les statuts de la Fédération des syndicats des mineurs (art. 22). Son rapport comprend, en annexe, dix-sept statuts d'organisations syndicales d'entreprise et d'organisations syndicales nationales.
  801. 447. Le gouvernement affirme que le processus d'intégration du mouvement syndical est commencé. La nécessité de créer une représentation syndicale commune a été confirmée, entre autres, par les consultations suivies entre le gouvernement et le mouvement syndical. Un collège des présidents des organisations syndicales nationales a été constitué sur l'initiative des syndicats en janvier 1984 en vue d'avoir des consultations et des échanges d'opinions. Ce collège constitue une base propre à la mise en concordance des questions qui appellent la présentation d'une position commune du mouvement syndical envers les autorités. Toutefois, ce n'est pas encore une organisation nationale intersyndicale au regard de la loi sur les syndicats.
  802. 448. Le processus d'intégration du mouvement syndical s'effectue également dans les secteurs et les branches de l'économie. Une commission de coopération des quatorze fédérations syndicales de l'industrie alimentaire est en cours de formation. Au niveau des voïvodies, se forment aussi des commissions d'entente ou de consultation des présidents des syndicats. Cette force syndicale crée les conditions matérielles appropriées pour une coopération avec les organes centraux du pouvoir, de l'administration d'Etat et de l'administration économique.
  803. 449. Les grands problèmes concernant les travailleurs sont systématiquement publiés dans la presse et soumis à une consultation nationale, par exemple la consultation sur le projet de la hausse des prix de certaines denrées alimentaires et des mesures de compensation de cette hausse pour les groupes sociaux défavorisés, ce qui a conduit le gouvernement à tenir compte d'un certain nombre de motions du mouvement syndical. Des consultations se poursuivent avec les syndicats en matière de fixation de nouveaux principes de règlement-cadre de l'étalement du temps de travail et de la conception des conventions collectives de travail.
  804. 450. D'après le gouvernement, les principaux domaines de coopération des organes de l'administration avec les syndicats en 1984 concernent notamment:
  805. - l'élaboration du plan central pour l'année 1985, tenant compte plus particulièrement des questions de la politique sociale;
  806. - les principes de rémunération des travailleurs dans les entreprises nationalisées;
  807. - les principes de la conclusion des conventions collectives de travail et des accords sociaux d'entreprise;
  808. - le perfectionnement des solutions - du point de vue juridique et pratique - en matière de durée du travail, qui permettrait une meilleure adaptation des horaires de travail aux besoins réels des entreprises de production et des services, ainsi que des changements de règlements relatifs aux heures supplémentaires;
  809. - l'analyse effectuée par les différents ministères des problèmes et propositions - soumis aux congrès des syndicats - concernant les conditions de travail et de vie des travailleurs et de leur famille, ainsi que les modalités de leur réalisation;
  810. - la revue et l'appréciation effectuées par les différents ministères et les fédérations syndicales, avec la participation des représentants syndicaux des grandes entreprises, des mesures prises en faveur des travailleurs et, sur cette base, la détermination du champ et des formes de la future coopération.
  811. 451. Le gouvernement conclut que tous les problèmes mentionnés plus haut trouveront une solution en coopération avec les syndicats, qui sont l'organisation de masse la plus représentative des travailleurs.
  812. PARTIE IV
  813. Conclusions et recommandations
  814. CHAPITRE 14
  815. 452. La commission est maintenant appelée à formuler ses conclusions et recommandations au sujet de la plainte qui a été soumise à sa considération par le Conseil d'administration.
  816. 453. Elle doit, en premier lieu, examiner une question préliminaire, celle de la non-participation du gouvernement de la Pologne à la procédure.
  817. Question préliminaire de la non-participation du gouvernement de la Pologne à la procédure
  818. 454. La commission a été confrontée à une difficulté sérieuse du fait que le gouvernement de la Pologne, contre lequel la plainte était dirigée, s'est systématiquement abstenu de participer à la procédure et de répondre aux diverses communications qui lui ont été adressées au sujet de cette plainte.
  819. 455. En effet, lorsque le Conseil d'administration a, le 23 juin 1983, pris la décision d'instituer une commission d'enquête aux termes de l'article 26 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail (OIT) au sujet de la plainte considérée, le gouvernement de la Pologne a adressé au Directeur général du Bureau international du Travail (BIT) une communication en date du 24 juin 1983 dont on trouvera le texte en annexe au présent rapport. Aux termes de cette communication, le gouvernement rejetait cette décision du Conseil d'administration qui constituerait " une ingérence dans les affaires intérieures de la Pologne " ; selon le gouvernement, la plainte était fondée sur des motifs politiques et l'OIT était utilisée "d'une manière contraire à l'esprit et à la lettre de sa Constitution". En conséquence, le gouvernement décidait de suspendre sa coopération avec l'OIT. Le même jour, le Directeur général du BIT répondait qu'il regrettait d'autant plus cette décision qu'il était convaincu qu'une commission d'enquête peut fournir un moyen valable de parvenir à une solution mutuellement acceptable. Le Directeur général rappelait aussi que la nomination de la commission d'enquête se fondait sur les dispositions de la Constitution de l'OIT, auxquelles le gouvernement de la Pologne a souscrit de par son adhésion à l'Organisation, et sur les obligations que le gouvernement a librement acceptées en ratifiant les conventions en question.
  820. 456. Lorsque la commission a tenu sa 1ère session, en septembre 1983, elle a adressé au gouvernement une communication, en date du 7 septembre 1983, par laquelle elle l'a informé de la procédure qu'elle comptait suivre et a exprimé l'espoir que le gouvernement lui apporterait la coopération prévue par la Constitution de l'OIT et qui a toujours été apportée aux précédentes commissions par les différents Etats Membres de l'OIT dans les cas où cette procédure a été utilisée dans le passé. Le gouvernement n'a pas répondu à cette communication, mais a fait savoir oralement à la commission qu'il s'en tenait à sa déclaration de non-coopération avec l'OIT.
  821. 457. A une deuxième occasion, soit à l'expiration de la date du 21 novembre 1983 à laquelle il avait été demandé aux parties, ainsi qu'à certains gouvernements et organisations, de communiquer des informations à la commission, celle-ci s'est de nouveau adressée au gouvernement. Dans cette lettre, du 25 novembre 1983, la commission a indiqué ce qui suit:
  822. Le Conseil d'administration du BIT, ayant été saisi d'une plainte de deux délégués à la Conférence déposée en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'OIT, a, dans l'exercice des pouvoirs que lui reconnaît cette disposition, régulièrement constitué la présente commission en vue d'examiner l'application par la Pologne de deux conventions ratifiées par votre pays. La compétence de la commission ne fait donc aucun doute en droit international, aux termes de l'article 26 de la Constitution de l'OIT qui a été acceptée par la Pologne et lie celle-ci en tant que Membre de l'Organisation. Aux termes de l'article 27 de la Constitution, la Pologne, comme tous les autres Etats Membres, s'est engagée "à mettre à la disposition de la commission toute information qui se trouverait en sa possession relativement à l'objet de la plainte ". La non-coopération de votre gouvernement à cet égard constituerait une transgression d'une obligation internationale de la part de votre gouvernement.
  823. La commission tient en outre à souligner que, comme elle l'a indiqué dans sa lettre précitée, elle compte accomplir sa tâche en pleine et parfaite objectivité et impartialité et en toute indépendance. Le mandat de la commission consistera à examiner, conformément à la Constitution de l'Organisation, de quelle manière votre gouvernement a mis en oeuvre les obligations internationales qu'il a librement acceptées en ratifiant les conventions qui font l'objet de la plainte. La commission examinera donc attentivement les positions des diverses parties, par conséquent celle de votre gouvernement, telles qu'elles ont été formulées au cours de procédures antérieures, mais elle souhaiterait vivement que le point de vue de votre gouvernement et les éléments d'information à son appui soient présentés par un représentant gouvernemental. La participation de votre gouvernement à la procédure n'impliquerait évidemment en rien la reconnaissance de l'exactitude et de la validité quant au fond des plaintes déposées en vertu de l'article 26 de la Constitution.
  824. La commission est consciente du fait que le monde traverse une période de tension au cours de laquelle tous les efforts devraient être faits pour réduire cette tension et rechercher des solutions aux problèmes existants. Cela ne peut être obtenu que par le respect des obligations internationales et par la participation, de bonne foi, aux procédures établies en vue du règlement pacifique des différends. C'est dans cet esprit que la commission fait appel au gouvernement de la Pologne pour qu'il apporte son concours à la procédure que prévoient les articles 26 et suivants de la Constitution de l'OIT et que la commission a le devoir de mettre en oeuvre. Ce faisant, il témoignerait, comme l'ont fait, dans des cas analogues, divers pays d'Europe, d'Afrique et d'Amérique, de son désir de faire face à ses obligations internationales et de contribuer à l'action de coopération internationale.
  825. 458. Cette lettre indiquait aussi au gouvernement de la Pologne les communications reçues des plaignants, de certains gouvernements et de certaines organisations internationales, communications dont le texte était transmis au gouvernement pour son information et d'éventuels commentaires de sa part.
  826. 459. Le gouvernement n'a pas répondu à cette communication et l'a retournée sans commentaires.
  827. 460. En troisième lieu, le BIT a procédé à l'établissement, à l'intention de la commission, d'un exposé de la législation syndicale polonaise et l'a adressé, le 6 janvier 1984, au gouvernement de la Pologne pour lui permettre de présenter tout commentaire qu'il estimerait approprié en la matière. Le gouvernement s'est également abstenu de répondre à cette communication.
  828. 461. Lors de la session consacrée à l'audition de témoins (16-27 janvier 1984), le gouvernement de la Pologne ne s'est pas fait représenter à la session et n'a pas présenté les témoins dont la commission lui avait demandé d'assurer ou de faciliter la présence, pas plus qu'il n'a facilité la présence de ceux des témoins proposés par les plaignants qui résident en Pologne.
  829. 462. Après la session consacrée à l'audition des témoins, la commission a écrit, le 31 janvier 1984, au gouvernement pour lui demander qu'il donne la possibilité - à elle-même ou à un de ses membres - de se rendre en Pologne pour obtenir sur place les informations complémentaires nécessaires auprès de toutes autorités ou organismes officiels, de toute organisation syndicale et de tout citoyen polonais qu'elle désirerait rencontrer. La commission a indiqué à ce sujet qu'il serait naturellement nécessaire que la commission - ou un membre de celle-ci - puisse avoir, à cette fin, des conversations en privé et hors de la présence de témoins et que les personnes qui auront été en contact avec elle ne soient sujettes à aucune mesure punitive en raison de ces contacts. Cette lettre a été également retournée sans commentaires.
  830. 463. Enfin, par une communication du 23 février 1984, le secrétariat de la commission a envoyé une copie de la transcription des auditions qui se sont tenues au cours de la 2ème session de la commission ainsi qu'une liste des membres de Solidarité qui auraient été en prison et des travailleurs dont la mort aurait été imputable aux forces de sécurité polonaises. Le gouvernement a retourné cette communication et les annexes qui y étaient jointes.
  831. 464. Cette attitude pose deux questions qu'il convient d'examiner successivement: les raisons invoquées par le gouvernement pour justifier cette non-coopération (l'ingérence indue dans les affaires intérieures et le caractère politique qu'aurait la plainte) et les effets pratiques de cette non-coopération du point de vue de l'établissement des faits.
  832. 1. Examen des objections de l'ingérence indue dans les affaires intérieures et du prétendu caractère politique de la plainte
  833. 465. L'objection essentielle que le gouvernement de la Pologne a invoquée pour justifier son attitude de non-coopération a été, comme on l'a dit plus haut, que la procédure de plainte constituerait une "ingérence dans les affaires intérieures de la Pologne".
  834. 466. La commission doit faire observer à cet égard qu'aux termes de sa Constitution l'OIT a été créée notamment en vue d'améliorer les conditions de travail et de promouvoir la liberté syndicale à l'intérieur des différents pays. Il en résulte que les matières traitées par l'Organisation à cet égard ne relèvent plus du domaine réservé des Etats et que l'action que l'Organisation entreprend à cette fin ne saurait être considérée comme une intervention indue dans les affaires intérieures puisqu'elle rentre dans le cadre du mandat que l'OIT a reçu de ses Membres en vue d'atteindre les objectifs qui lui ont été assignés. En vertu de ce mandat, l'OIT a d'ailleurs mis sur pied une procédure de protection des droits syndicaux qui s'applique même aux pays qui n'ont pas ratifié les conventions sur la liberté syndicale. Mais, bien plus, dans le cas présent, l'action de l'Organisation se fonde sur une convention ratifiée par l'Etat intéressé et prend la forme d'une procédure qui est expressément prévue par la Constitution de l'OIT (art. 26 et suiv.). Si l'on devait retenir l'argumentation du gouvernement de la Pologne, toute l'action - et l'existence même - de l'OIT devrait être considérée comme une ingérence dans les affaires intérieures des Etats. Or il s'agit simplement d'une action qui vise, en l'occurrence, à vérifier l'exécution des conventions adoptées par la Conférence internationale du Travail et ratifiées par ces Etats.
  835. 467. L'objection tirée d'une ingérence indue dans les affaires intérieures de la Pologne est donc dénuée de toute pertinence juridique et ne saurait justifier la non-participation du gouvernement de la Pologne à la procédure prévue par l'article 26 de la Constitution de l'OIT. Elle ne saurait le dispenser de l'obligation qu'il avait, en vertu de l'article 27 de la Constitution de l'OIT - sur lequel la commission reviendra -, de "mettre à la disposition de la commission toute information en sa possession relativement à l'objet de la plainte". Du reste, l'obligation de coopérer a été observée par les six autres gouvernements des pays d'Afrique, d'Amérique et d'Europe qui avaient été auparavant impliqués dans des procédures semblables. Le cas actuel est donc le seul dans lequel un gouvernement ait manqué entièrement à cette obligation.
  836. 468. Parallèlement à l'objection d'une ingérence indue dans ses affaires intérieures, le gouvernement de la Pologne a aussi, dans sa lettre du 24 juin 1983, soutenu que la plainte soumise à la commission est "fondée sur des motifs politiques", et que "l'OIT est utilisée d'une manière contraire à l'esprit et à la lettre de sa Constitution". Sur ce point également, la commission ne peut pas considérer que la plainte n'est pas valablement présentée par suite de son prétendu caractère politique. Une question analogue avait été examinée, en 1963, par une précédente commission d'enquête instituée en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'OIT et celle-ci avait conclut qu'elle n'avait "pas à connaître de tel ou tel aspect politique que la question peut avoir; la tâche qui lui est confiée est d'examiner judiciairement si, oui ou non ", il y a eu de la part de l'Etat intéressé manquement à assurer de manière satisfaisante l'exécution des dispositions de la convention considérée. Ladite commission avait précisé que, pour prendre cette position, elle s'était inspirée d'une série de décisions rendues par la Cour internationale de justice dans des affaires où il était soutenu devant la Cour que celle-ci devait s'abstenir de donner un avis consultatif en raison de la nature politique des questions en cause. Comme la Cour l'avait déclaré, la commission en question a considéré qu'elle "n'a point à s'arrêter aux mobiles qui ont pu inspirer cette demande " ; " il n'entre pas dans ses fonctions, estima-t-elle, de les accepter ou de les rejeter"; alors que l'on pourrait peut-être dire que la question dont la commission est saisie " touche à des questions d'ordre politique " $, " la tâche de la commission est d'examiner judiciairement, sans égard à de telles considérations, si les obligations de la Constitution et de la convention sont exécutées ou ne le sont pas ".
  837. 469. La présente commission partage cette opinion et elle ne peut, sur ce point, que souligner, comme elle l'a fait dans sa lettre précitée du 25 novembre 1983 au gouvernement de la Pologne, que le Conseil d'administration du BIT, ayant été saisi d'une plainte de deux délégués à la Conférence déposée en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'OIT, a, dans l'exercice des pouvoirs que lui reconnaît cette disposition, régulièrement constitué la commission en vue d'examiner l'application par la Pologne de deux conventions ratifiées par ce pays. La plainte elle-même a représenté l'exercice d'un droit constitutionnel (en vertu de la Constitution de l'OIT) de deux délégués à la Conférence internationale du Travail de déposer, à leur discrétion, une plainte selon laquelle ils considèrent qu'un Etat Membre n'assure pas de manière satisfaisante l'exécution d'une convention qu'il a ratifiée. Les termes utilisés par la Constitution de l'OIT pour établir et définir ce droit constitutionnel sont, comme l'indiquait la commission d'enquête précitée en empruntant une expression utilisée par la Cour internationale de justice, "larges, clairs et précis; ils ne donnent lieu à aucune ambiguïté et n'autorisent aucune exception". La commission ne peut donc agir que dans le cadre des dispositions pertinentes de la Constitution et elle ne saurait refuser d'examiner la plainte en raison de la motivation politique supposée, et d'ailleurs nullement avérée, qui aurait pu inspirer les plaignants. L'objection formulée par le gouvernement à ce titre est donc dénuée de fondement.
  838. 2. Effets pratiques du défaut de coopération du gouvernement de la Pologne du point de vue de l'établissement des faits
  839. 470. Il est bien évident que la validité juridique du travail de la commission et de son rapport ne saurait être affectée par le défaut de coopération du gouvernement. En effet, la Constitution de l'OIT (art. 26) prévoit expressément que le Conseil d'administration peut saisir une commission d'enquête d'une plainte déposée par un délégué à la Conférence internationale du Travail au sujet de l'exécution par un Etat Membre d'une convention que cet Etat a ratifiée. Comme la commission l'indiquait dans sa lettre précitée du 25 novembre 1983, sa compétence ne fait aucun doute en droit international aux termes de la Constitution de l'OIT qui a été acceptée par la Pologne et lie celle-ci. Ni l'établissement de la commission d'enquête ni le fonctionnement de celle-ci ne sont subordonnés à l'accord ou à la coopération effective de l'Etat en cause.
  840. 471. En outre, le fait que l'article 27 de la Constitution comporte, comme on l'a indiqué '3, l'engagement de chacun des Etats Membres de "mettre à la disposition de la commission toute information" en sa possession en la matière montre clairement que ces Etats ont l'obligation de coopérer à la procédure et ne peuvent, par leur refus de coopérer, faire obstacle au déroulement de celle-ci. La commission ne peut que déplorer que le gouvernement de la Pologne ait manqué à cette obligation. Elle a, dans ces conditions, procédé, au mieux de ses moyens, à l'enquête dont elle a été chargée par le Conseil d'administration.
  841. 472. Cependant, le défaut de coopération du gouvernement de la Pologne pose la question de savoir dans quelle mesure cette non-coopération a pu affecter l'établissement des faits par la commission et l'évaluation par celle-ci de la situation syndicale en Pologne. La commission a envoyé au gouvernement pour commentaires la documentation qu'elle a reçue au cours de la procédure. Elle aurait certes vivement souhaité que le gouvernement de la Pologne eût, comme il aurait dû, participé à la procédure, notamment en plaçant à sa disposition les éléments de fait et de droit qui auraient facilité l'évaluation de la situation, en lui donnant la possibilité de se rendre en Pologne pour rencontrer des membres du gouvernement aussi bien que des milieux syndicaux et des travailleurs et en acceptant de discuter avec elle des moyens éventuels visant à assurer la pleine application des conventions considérées. Faute d'une telle coopération, la commission a néanmoins tenu compte de manière systématique, comme on l'a vu, des informations que le gouvernement de la Pologne a fourmes et des positions qu'il a adoptées en la matière devant d'autres instances de l'OIT comme le Comité de la liberté syndicale, la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations et la Commission de l'application des conventions et recommandations de la Conférence internationale du Travail, les plus récentes de ces informations étant contenues dans des rapports au titre de l'article 22 de la Constitution de l'OIT reçus au BIT en octobre 1983, puis en avril 1984. La commission a également tenu compte des différents textes de lois publiés récemment en Pologne et de divers autres documents officiels et publics, ainsi que de renseignements ressortant des communications très substantielles et des nombreux témoignages de personnes qui avaient une expérience directe et récente de la situation syndicale en Pologne et qu'elle a évalués attentivement. En outre, au cours de l'examen des témoignages, la commission s'est efforcée avec soin de s'informer de diverses questions auxquelles le gouvernement avait attaché de l'importance lors de ses précédentes prises de position afin de se former une opinion objective de la situation. La commission estime avoir disposé d'une documentation amplement suffisante pour lui permettre d'évaluer de manière exacte la situation dans son ensemble.
  842. Mandat de la commission
  843. 473. La Constitution de l'Organisation internationale du Travail prévoit, en son article 28, que la commission rédigera un rapport dans lequel elle consignera ses constatations sur tous les points de fait permettant de préciser la portée de la contestation, ainsi que les recommandations qu'elle croira devoir formuler quant aux mesures à prendre et quant aux délais dans lesquels ces mesures devraient être prises.
  844. 474. Lorsque la commission a été désignée, et avant d'entrer en fonctions, ses membres se sont engagés, par une déclaration solennelle, selon la pratique antérieure et comme le bureau du Conseil d'administration l'avait suggéré au Conseil, à exercer leurs fonctions et attributions "en tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et en toute conscience". En les invitant à faire cette déclaration, M. Francis Blanchard, Directeur général du Bureau international du Travail, a notamment souligné: "La tâche qui vous est confiée est d'établir les faits sans crainte ni préférence et en complète indépendance et impartialité. "
  845. 475. C'est dans cette qualité d'organisme indépendant appelé à procéder à une évaluation objective des éléments du litige que la commission s'est attachée à remplir son mandat. C'est dans cet esprit d'indépendance et d'impartialité qu'elle a consigné ci-dessous ses constatations de fait et que, sur les points pour lesquels elle ne considère pas la situation comme satisfaisante, elle présente des recommandations relatives aux mesures à prendre pour y remédier.
  846. 476. Il y a lieu aussi de rappeler ici que le rôle d'une commission d'enquête au titre de l'article 26 de la Constitution de l'OIT n'est pas limité à un examen des informations fournies par les parties, mais que, comme cela a été indiqué plus haut, la commission doit elle-même prendre toutes mesures nécessaires pour disposer d'informations complètes et objectives sur les questions en cause compte tenu, ainsi que l'avait signalé en 1962 la première commission d'enquête, de "la portée d'intérêt public des questions soulevées par la plainte". Son mandat étant ainsi défini, la commission doit, au terme de ses travaux et conformément à la Constitution de l'OIT, consigner ses constatations et formuler ses recommandations sur le fond de l'affaire.
  847. Conclusions sur le fond de l'affaire
  848. 477. Les allégations présentées par les plaignants trouvent leur origine dans les mesures prises par les autorités à l'encontre du mouvement syndical - et principalement de Solidarité - à la suite de la proclamation de la loi martiale en Pologne le 13 décembre 1981. Dans les informations et observations qu'il a fournies tant au Comité de la liberté syndicale qu'à la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations et à la Commission de l'application des conventions et recommandations de la Conférence internationale du Travail, le gouvernement de la Pologne a insisté sur la nécessité de prendre en considération la situation politique, économique et sociale en Pologne qui prévalait avant la loi martiale, situation qui aurait conduit le pays au bord de la guerre civile, provoqué une crise progressive de l'économie et mis en danger les intérêts fondamentaux de la nation et de l'Etat polonais. De leur côté, les plaignants ainsi que diverses organisations syndicales internationales se sont référés, dans la documentation qu'ils ont fournie à la commission, à la période précédente pour indiquer qu'à leur avis aucune activité de Solidarité ne justifiait les mesures répressives prises par le gouvernement. A cet égard, la commission doit préciser qu'elle se bornera à examiner, conformément à son mandat, dans quelle mesure l'exécution des conventions n° 87 et 98 a été assurée en Pologne dans la période qui a fait l'objet de la plainte et des communications ultérieures des plaignants, à savoir celle postérieure à la proclamation de la loi martiale. Aussi la commission ne prendra-t-elle en considération les événements antérieurs que pour autant qu'ils ont un lien direct avec les décisions adoptées par le gouvernement et affectant la vie syndicale dans le pays.
  849. 478. La plainte et les informations dont a été saisie la commission font état des répercussions très graves qu'ont entraînées les mesures et les décisions postérieures prises par les autorités, d'une part, à l'encontre des organisations syndicales elles-mêmes - notamment leur suspension puis leur dissolution et les restrictions apportées à la vie syndicale par la nouvelle législation en la matière -, et, d'autre part, à l'encontre des dirigeants, militants et membres des anciens syndicats internements, condamnations, morts violentes, mesures de discrimination antisyndicale. Sur chacun de ces points, la commission a recueilli un volume important d'informations tant dans la documentation écrite qui lui a été soumise qu'au cours de la session d'audition des témoignages. La commission examinera maintenant séparément chacune de ces questions, ainsi que divers aspects de la vie syndicale actuelle, dans l'ordre qu'elle a déjà adopté pour l'analyse des informations en sa possession dans la partie précédente du rapport.
  850. Obligations internationales découlant des conventions nos 87 et 98 et état d'exception
  851. 479. Avant d'aborder ces différents points, la commission estime utile d'examiner la question que pose le fait que les mesures alléguées par les plaignants ont été prises au cours d'une première période en vertu d'une loi d'exception. Ce problème a déjà été examiné par une précédente commission d'enquête instituée en vertu de l'article 26 de la Constitution de l'OIT pour examiner des plaintes en violation des conventions nos 87 et 98. Comme cette commission l'avait signalé, aucune de ces conventions ne renferme une disposition offrant la possibilité d'invoquer l'excuse d'un état d'exception pour motiver une dérogation aux obligations découlant des conventions aux termes de celles-ci. En outre, l'excuse d'un état d'exception pour justifier des restrictions aux libertés publiques indispensables à l'exercice effectif des droits syndicaux ne saurait être invoquée devant une instance internationale que dans des circonstances d'une extrême gravité constituant un cas de force majeure et à condition que toutes les mesures influant sur l'application des conventions soient limitées dans leur portée et leur durée à ce qui est strictement nécessaire pour faire face à la situation particulière.
  852. 480. Dans la présente affaire, les informations en la possession de la commission sur les circonstances qui ont prévalu avant la proclamation de la loi martiale ne lui permettent pas de conclure qu'il existait en Pologne une situation telle qu'elle puisse justifier une non-observation temporaire des conventions en question. Le gouvernement de la Pologne n'a pas apporté de données précises à cet égard, ni dans les communications fournies au Comité de la liberté syndicale ni dans les rapports communiqués au titre de l'article 22 de la Constitution de l'OIT. Il s'est borné à des indications générales mentionnées plus loin. Du reste, même si l'on admettait qu'une situation d'urgence existait en décembre 1981, les mesures qu'elle aurait pu justifier devaient être prises " dans la stricte mesure où la situation l'(exigeait) ", et l'élimination complète de tout le mouvement syndical serait allée au-delà de ces besoins, tels qu'ils ressortent des éléments disponibles.
  853. 481. De toute manière, la commission doit noter que le gouvernement est resté lié par les conventions nos 87 et 98 et, la loi martiale ayant été en tout état de cause levée, elle doit donc examiner les allégations formulées à la seule lumière des dispositions de ces conventions ratifiées par la Pologne.
  854. Suspension et dissolution des organisations syndicales
  855. 482. Les mesures prises par les autorités après la proclamation de la loi martiale ont abouti à la liquidation complète des structures syndicales existant dans la période précédente. Cette opération a été menée en deux temps: dans une première phase, le 13 décembre 1981, l'activité des syndicats a été totalement suspendue et, dans une deuxième phase, les organisations syndicales ont été dissoutes aux termes de la nouvelle loi sur les syndicats adoptée le 8 octobre 1982.
  856. 483. Pour justifier la proclamation de la loi martiale et les mesures de suspension de l'activité syndicale qui en découlaient, puis, par la suite, la dissolution des syndicats, le gouvernement de la Pologne a insisté sur la nécessité d'écarter le danger imminent d'une guerre civile, de rétablir le calme et l'ordre public, d'assurer le fonctionnement normal de l'administration d'Etat et de sauvegarder l'économie nationale de l'effondrement. En effet, a-t-il soutenu, Solidarité avait outrepassé non seulement le cadre des accords signés avec les autorités en août 1980, mais également celui de ses propres statuts, approuvés par le Tribunal suprême en novembre 1980, par lesquels cette organisation s'engageait à mener ses activités en tant que syndicat dans le cadre de la Constitution nationale et dans le respect des alliances internationales conclues par la Pologne. Malgré cet engagement, des éléments extrémistes de la direction de Solidarité auraient orienté l'organisation sur la voie des actions de caractère politique et incité à la prise du pouvoir et au renversement du système politique. Selon des dirigeants des syndicats de branche, certains groupes de Solidarité détenaient même des armes et le pays allait ainsi vers une confrontation ouverte.
  857. 484. Comme preuve de ses affirmations, le gouvernement s'est notamment référé aux travaux du premier congrès de Solidarité et particulièrement à l'appel lancé aux peuples des autres pays socialistes et à la session du Présidium de la Commission nationale de Solidarité tenue à Radom en décembre 1981 où des voix s'étaient élevées pour la prise du pouvoir. Il a également mentionné les décisions prises par la Commission nationale de Solidarité à Gdansk, le 12 décembre 1981, qui prévoyaient, pour le 17 décembre, des rassemblements de masse sur les places publiques. En outre, Solidarité n'aurait pas tenu compte de la situation économique de la Pologne et aurait obtenu, sous la menace de grèves, des concessions qui auraient provoqué une régression exceptionnellement dramatique de l'économie.
  858. 485. En revanche, les informations fournies par les plaignants et les organisations internationales de travailleurs ainsi que plusieurs témoignages recueillis au cours des auditions nient les affirmations du gouvernement concernant l'attitude prétendument politique de Solidarité. Selon ces sources, rien ne permet d'affirmer, à la lumière des prises de position, des résolutions et des déclarations de Solidarité, que les objectifs de cette organisation allaient au-delà de la défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs. Jamais, a-t-il été précisé, l'organisation ne se serait déclarée prête à remettre en cause le système, à prendre le pouvoir dans l'Etat ou à s'engager dans une activité terroriste ou criminelle. Bien au contraire, aucune preuve, même indirecte, n'a été fournie indiquant que Solidarité aurait détenu des armes. Certes, des dirigeants de Solidarité, et notamment son président, ont reconnu que l'organisation avait commis des erreurs et que, dans le contexte d'une situation économique mauvaise, son action a pu entraver l'activité gouvernementale et celle de l'administration. Cependant, les extrémistes étaient, selon les témoignages apportés, en nombre négligeable par rapport à l'ensemble des adhérents. En outre, les dirigeants et conseillers nationaux et régionaux ont joué un rôle tout à fait modérateur au cours des conflits avec les autorités et dans la formulation des revendications. Quant aux grèves déclenchées par Solidarité, ces mêmes sources ont indiqué qu'elles n'ont été que de courte durée, qu'elles répondaient à des objectifs syndicaux et que l'organisation avait adopté une attitude responsable en excluant de ses statuts les mouvements de grève dans des secteurs vitaux et en refusant ainsi de participer à la destruction de l'économie du pays.
  859. 486. La nature contradictoire de ces déclarations pose la question de savoir si Solidarité s'était écarté des objectifs et des activités propres à une organisation syndicale au point de ne plus pouvoir être considéré comme une organisation ayant pour but de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs, selon la définition de l'article 10 de la convention n° 87.
  860. 487. Même si elle doit être conçue dans une acception large, la notion de liberté syndicale comporte certaines limites. Appelée à s'exercer au premier chef dans le cadre d'un Etat, elle ne peut ignorer les règles de publicité et autres visant à en permettre l'exercice normal. Ces règles ne sauraient cependant être de nature à priver la liberté syndicale de sa signification et à la vider de son contenu. Ce double équilibre et cette double limitation de la portée de la liberté syndicale, d'une part, et des pouvoirs de l'Etat, d'autre part, ont été précisés par l'article 8 de la convention n° 87 qui prévoit que " dans l'exercice des droits qui leur sont reconnus par la... convention, les travailleurs et les employeurs et leurs organisations respectives sont tenus, à l'instar des autres personnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité", mais aussi, en contrepartie, que "la législation nationale ne devra porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la... convention". Ces deux règles ne sauraient être dissociées.
  861. 488. La question de l'activité politique des syndicats est un des aspects les plus délicats des limites de leurs activités. Il est significatif de relever à cet égard que les travaux préparatoires de la convention n° 87 font apparaître que la commission de la Conférence qui en a élaboré le texte n'a pas retenu une proposition tendant à restreindre l'action syndicale au seul domaine professionnel Si, de toute évidence, l'action des organisations syndicales doit viser en premier lieu les intérêts professionnels de leurs membres, cette action ne saurait être limitée à ce seul domaine pris au sens strict et étroit. Comme l'a remarqué la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, le choix d'une politique, notamment en matière économique, entraîne des conséquences affectant la condition des salariés et des travailleurs d'une manière plus générale. Les syndicats devraient donc pouvoir manifester leur opinion sur la politique économique et sociale du gouvernement, étant entendu - comme l'a aussi signalé la commission d'experts dans son étude d'ensemble - que la mission fondamentale des syndicats doit être de promouvoir le développement du bien-être économique et social des travailleurs. D'ailleurs, la nouvelle législation syndicale polonaise d'octobre 1982 elle-même définit très largement les activités des syndicats.
  862. 489. L'inévitable interférence entre le social et le politique doit cependant avoir des limites. Celles-ci ont été signalées dans la résolution sur l'indépendance du mouvement syndical, adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1952 Elles concernent l'action des gouvernements comme celle des syndicats. D'une part, les gouvernements devraient avoir conscience que la valeur de la collaboration que les syndicats peuvent apporter pour l'application de leur politique économique et sociale dépend dans une large mesure de la liberté et de l'indépendance du mouvement syndical, que les gouvernements ne devraient donc pas chercher à transformer en un instrument politique. D'autre part, les syndicats devraient, de leur côté, s'attacher à ce que toute action politique qu'ils croiraient utile d'entreprendre pour favoriser la réalisation de leurs objectifs économiques et sociaux ne soit pas de nature à compromettre la continuité du mouvement syndical, quels que soient les changements politiques qui peuvent survenir dans le pays. Cette résolution a souvent été rappelée depuis son adoption, il y a plus de trente ans.
  863. 490. Pour que les syndicats puissent jouer ce rôle de manière positive et constructive et qu'en outre leur contribution ait le degré voulu d'utilité et de crédibilité, il est nécessaire que leur participation se fasse dans un climat de liberté et de sécurité. Cela implique que, dans une situation où ils estimeraient ne pas jouir des libertés essentielles indispensables pour mener à bien leur mission, les syndicats seraient fondés à demander la reconnaissance et l'exercice de ces libertés et que de telles revendications devraient être considérées comme entrant dans le cadre d'activités syndicales légitimes.
  864. 491. La commission s'est attachée à examiner les résolutions et décisions de Solidarité ainsi que les prises de position et déclarations de ses dirigeants. A son avis, les thèses élaborées lors du premier congrès de Solidarité tenu à Gdansk, en octobre 1981, qui fixent le programme d'action de l'organisation, constituent l'un des éléments fondamentaux qui doivent être pris en considération à cet égard. Dans la présentation de ces thèses, il est indiqué que Solidarité forme une organisation qui allie les traits d'un syndicat et d'un grand mouvement social, le programme présenté est " un programme à long terme, passant par la résolution de questions immédiates " et pose notamment comme principes généraux la nécessité de la reconstruction du pays et du rétablissement de l'économie fondés sur la démocratie ainsi que la réalisation d'actions de grand changement dans le respect des alliances internationales. Certes, plusieurs des thèses adoptées, particulièrement les propositions pour une "république autogestionnaire", recouvrent des notions qui ressortissent plus au domaine strictement politique que syndical et n'entrent donc pas dans le cadre normal d'un programme d'une organisation de travailleurs. Cependant, il apparaît que la plupart des points soulevés dans le programme concernent la politique économique, la protection du travail, la politique sociale, la défense de certaines libertés publiques essentielles à l'activité syndicale, la vie syndicale, toutes questions qui relèvent des activités normales d'une organisation de travailleurs promouvant et défendant les intérêts de ses membres, en particulier dans les pays où l'Etat est le principal employeur. Sans doute encore, comme cela peut se produire dans toute organisation, qu'elle soit politique ou syndicale, des prises de position individuelles d'adhérents, voire de militants de Solidarité, ont pu présenter un caractère excessif. Elles n'engageaient cependant en rien l'organisation syndicale elle-même. La commission a dû constater d'ailleurs que, dans ses arguments justifiant les mesures prises à l'encontre de Solidarité, le gouvernement se référait le plus souvent à des actions d'éléments ou de groupes agissant au sein de l'organisation plutôt qu'à des activités du syndicat dans son ensemble. En outre, la commission n'a pas été saisie du moindre élément de preuve quant à une éventuelle possession d'armes par des groupes de Solidarité et le gouvernement n'en avait pas fourni lors de l'examen antérieur par le Comité de la liberté syndicale.
  865. 492. La suspension des activités syndicales, puis la dissolution des organisations syndicales existantes, qui ont privé les travailleurs de tous les instruments qui assuraient la défense de leurs intérêts, ont donc constitué, de l'avis de la commission, des mesures d'une gravité exceptionnelle sans aucune commune mesure avec les débordements qui ont pu être commis ici et là dans le mouvement syndical. Si le gouvernement estimait que la dégradation de la situation économique appelait des mesures d'urgence, la voie la plus appropriée pour résoudre les problèmes au mieux des intérêts des travailleurs et de la nation n'était certes pas la mise à l'écart des organisations syndicales, mais au contraire une négociation franche et ouverte entre toutes les parties intéressées pour examiner ensemble les moyens de remédier à la crise. S'il était avéré que certains membres des syndicats avaient commis des excès débordant le cadre de l'activité syndicale normale, des poursuites auraient pu être engagées aux termes de dispositions précises de la loi et selon la procédure judiciaire normale, sans pour cela entraîner la suspension, puis la dissolution de l'ensemble d'un mouvement syndical.
  866. 493. Une fois examinés les motifs à l'origine des mesures prises par les autorités, la commission doit se prononcer sur la question de la conformité - ou de la non-conformité - avec la convention n° 87 de la procédure qui a été suivie pour suspendre puis dissoudre les syndicats. La suspension des activités syndicales a été décrétée le 13 décembre 1981 par le président du Conseil des ministres sur la base du décret du 12 décembre 1981 sur la loi martiale. Il s'agit donc là d'une mesure prise par voie administrative qui constitue de prime abord une violation de l'article 4 de la convention n° 87 qui prévoit que " les organisations de travailleurs et d'employeurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative".
  867. 494. La dissolution des organisations existantes, quant à elle, a été prononcée de deux manières. Certaines organisations professionnelles ont été dissoutes par des autorités administratives comme notamment l'Association des journalistes polonais le 20 mars 1982, l'Union des artistes et dessinateurs polonais le 23 juin 1983 et l'Union des écrivains polonais le 19 août 1983. Les organisations enregistrées comme syndicats ont été dissoutes pour leur part aux termes de la loi sur les syndicats du 8 octobre 1982, leur enregistrement cessant de produire ses effets dès l'entrée en vigueur de la loi.
  868. 495. Les mesures de dissolution administrative prises à l'encontre des organisations précitées constituent sans équivoque une violation de l'article 4 de la convention n° 87.
  869. 496. Pour ce qui est du retrait de l'enregistrement des syndicats existants opéré en vertu de la loi sur les syndicats, le gouvernement a indiqué qu'il n'avait pu recourir à une procédure judiciaire car celle-ci aurait ranimé des divisions profondes dans la société. Il a souligné que cette mesure ne constituait pas une dissolution par voie administrative mais une décision de l'organe législatif suprême et qu'en conséquence elle ne portait pas atteinte aux garanties prévues par l'article 4 de la convention, celui-ci ne visant que les décisions de nature administrative.
  870. 497. Sur ce point, la commission doit constater que, s'il est exact que l'article 4 de la convention se réfère uniquement aux mesures prises par voie administrative, il n'en demeure pas moins qu'une dissolution par voie législative entraîne des effets tout aussi irrémédiables qu'une dissolution administrative définitive, puisqu'elles sont toutes deux non susceptibles de recours devant des organes indépendants. Les deux procédures présentent également un autre point commun préjudiciable aux organisations visées puisqu'elles ne respectent ni l'une ni l'autre les droits de la défense que seule une procédure judiciaire régulière peut garantir.
  871. 498. Toutefois, de l'avis de la commission, l'aspect essentiel du problème n'est pas tant celui de la compatibilité ou non d'une dissolution par voie législative avec l'article 4 de la convention n° 87. Le point fondamental est que le retrait de l'enregistrement des syndicats et l'impossibilité d'en reconstituer d'analogues ont eu pour conséquence principale de priver les travailleurs du droit de s'affilier aux syndicats existants dont ils s'étaient librement et légalement dotés depuis 1980 et donc aux organisations de leur choix. Force est de constater en conséquence qu'en prononçant la dissolution des syndicats la loi du 8 octobre 1982 a porté atteinte aux garanties prévues à l'article 2 de la convention n° 87 sur le libre choix des organisations, et cela en contradiction avec l'article 8, paragraphe 2, de la convention, aux termes duquel la législation nationale ne devra porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la convention.
  872. 499. La suspension et la dissolution des organisations ont posé évidemment le problème de l'administration, puis de la dévolution des fonds et des biens des organisations visées par ces mesures. Avant l'entrée en vigueur de la loi sur les syndicats, les biens des organisations, qui, malgré la brièveté de leur existence, représentaient des sommes et des actifs importants, ont été gérés par des commissaires nommés par les autorités et chargés d'en assurer l'entretien et la conservation. Après le retrait de l'enregistrement des syndicats, les biens des organisations syndicales d'entreprise ont été administrés par les chefs d'entreprise qui les ont transmis aux nouveaux syndicats créés sous l'empire de la nouvelle loi, au fur et à mesure de la formation des directions syndicales statutaires. Les biens des organisations syndicales à l'échelon supérieur à celui de l'entreprise, c'est-à-dire les anciennes centrales et les syndicats de branche respectifs, ont été transférés aux fédérations nouvellement créées ou sont administrés provisoirement par une commission dont la fonction est d'ordre administratif et vise à effectuer les travaux indispensables à la conservation des biens dans un bon état, conformément à leur destination.
  873. 500. Les organes de contrôle de l'OIT ont dégagé, en ce qui concerne la dévolution des biens des syndicats dissous, un principe général selon lequel ces biens devraient être placés provisoirement en dépôt et répartis en définitive entre les membres de l'organisation dissoute ou transférés à l'organisation qui lui succède. Une importante précision s'impose cependant quant à la signification de cette dernière expression. Comme le Comité de la liberté syndicale l'a souligné, il ne faut pas entendre par ces termes les syndicats qui, en fait, prennent uniquement la suite des syndicats dissous, mais bien ceux qui poursuivent les buts pour lesquels les premiers se sont volontairement constitués et les poursuivent dans le même esprit.
  874. 501. La question qui se pose en ce domaine est donc de savoir si l'affectation des biens qui présente aujourd'hui un caractère définitif, à savoir celle concernant les syndicats d'entreprise et les fédérations, a répondu aux critères ainsi définis. En d'autres termes, il convient de déterminer si les nouveaux syndicats constituent les successeurs des organisations de travailleurs qui existaient en Pologne dans la période précédente.
  875. 502. Si l'on examine les composants de la vie syndicale actuelle en Pologne, une des caractéristiques principales, qui a été soulignée à maintes reprises dans la documentation en la possession de la commission ainsi qu'au cours de l'audition des témoignages, est que Solidarité continue d'exercer de façon permanente des activités de fait dans l'ensemble du pays, sans que celles-ci aient été désavouées par les organes ou la plupart des personnes qui en assuraient la direction du temps de son existence légale. Cette simple constatation suffit à démontrer que les dirigeants de Solidarité ne se reconnaissent pas dans les orientations et les tendances définies au sein des nouveaux syndicats. Ceux-ci ne sauraient donc être considérés comme de véritables successeurs des syndicats affiliés autrefois à Solidarité, ce qui implique que le système de dévolution des biens des organisations dissoutes adopté par le gouvernement ne s'est pas conformé aux principes de la liberté syndicale en la matière.
  876. 503. Un problème corollaire relatif aux biens des organisations syndicales a été soulevé dans les informations soumises à la commission: celui de la destruction des biens syndicaux lors des opérations militaires ou policières menées aux sièges des syndicats immédiatement après la proclamation de la loi martiale. Bien que cette question ne soit pas directement liée à la suspension des activités syndicales, la commission estime opportun de l'examiner à ce stade de ses conclusions.
  877. 504. Il a été allégué à plusieurs reprises, avec citation d'exemples concrets à l'appui, que des sièges d'organisations appartenant à Solidarité ont été dévastés par les forces de l'ordre et que des équipements, notamment d'imprimerie, de bureau et de centraux téléphoniques, ont été saccagés et détruits.
  878. 505. Sur ce point, la commission se doit de rappeler que, dans la résolution concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles, adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1970, celle-ci a considéré que le droit à la protection des biens des syndicats constitue l'une des libertés civiles essentielles à l'exercice normal des droits syndicaux. Si les syndicats, comme les autres associations ou les particuliers, ne peuvent se prévaloir d'aucune immunité contre une perquisition des locaux syndicaux, une telle intervention ne devrait se produire qu'à la suite de la délivrance d'un mandat par l'autorité judiciaire ordinaire, lorsque cette autorité est convaincue qu'il existe de solides raisons de supposer qu'on y trouvera les preuves nécessaires à la poursuite d'un délit de droit commun et à la condition que la perquisition soit limitée aux objets qui ont motivé la délivrance du mandat. Lorsque de telles garanties ne sont pas respectées, il peut exister des abus manifestes, notamment lorsque les locaux sont saccagés et les biens des syndicats détériorés ou détruits. La commission a le devoir de constater que de tels abus se sont produits en Pologne, en contradiction avec les normes de la convention n° 87, tout au moins dans les premiers jours qui sont suivi la mise en vigueur de la loi martiale.
  879. Internements et condamnations de dirigeants et membres de Solidarité
  880. 506. La documentation soumise à la commission consacre une large place aux mesures massives d'arrestation et de détention qui ont été prises à l'encontre des dirigeants et membres de Solidarité. Les syndicalistes qui ont été ou sont détenus se répartissent en deux grandes catégories: d'une part, ceux - les plus nombreux - qui ont été internés en vertu de la loi martiale parce que " leur comportement antérieur laissait supposer qu'ils ne respecteraient pas l'ordre public ou qu'ils mèneraient des activités contraires à la sécurité ou à la défense de l'Etat " et, d'autre part, ceux qui ont été poursuivis devant les tribunaux et condamnés, ou dont le procès est en cours, et qui sont principalement inculpés pour infraction aux dispositions de la loi martiale ou pour tentative de renversement du système politique en vigueur.
  881. 507. Les mesures d'internement ont commencé dès la proclamation de la loi martiale, le 13 décembre 1981, et se sont poursuivies, semble-t-il, plusieurs mois après puisque, selon les informations en la possession de la commission, des ordres d'internement auraient encore été prononcés en mai et août 1982. Il est extrêmement difficile, voire impossible, de donner un nombre exact des internements tant les informations fournies sur ce point sont diverses. Selon des données communiquées par le gouvernement en mai 1982, 7 000 personnes seraient passées dans les camps d'internement. D'autres informations font état d'un nombre de plus de 10 000 internés au total. La durée de la détention a été variable selon les individus. Nombre de ceux qui avaient été arrêtés dès le 13 décembre 1981 n'ont quitté les camps qu'après une année. Les premières personnes visées étaient les dirigeants, conseillers et experts nationaux et régionaux de Solidarité et, par la suite, les participants à des mouvements de grève et leurs dirigeants, enfin les personnes qui avaient manifesté sur la voie publique. Des libérations importantes sont intervenues en mai et juillet 1982, et les internements en vertu de la loi martiale ont pris fin en décembre 1982. Toutefois, diverses sources d'informations ont indiqué qu'après cette période des militants syndicaux - parmi lesquels beaucoup d'anciens internés - ont été placés dans des camps militaires spéciaux où ils auraient été contraints d'effectuer un travail physique à caractère non militaire. Toujours selon ces sources, ces mesures auraient concerné au moins 2 000 personnes et se seraient poursuivies jusqu'en février 1983.
  882. 508. Un autre élément important des informations fournies à la commission a trait aux conditions d'internement qui prévalaient dans les camps. Il a été affirmé à cet égard, et notamment par des témoins directs, que des contraintes physiques et des brutalités - ayant parfois laissé des séquelles - avaient été commises contre les internés et que, de façon générale, le régime imposé aux détenus était souvent très sévère, particulièrement pendant les premiers temps de l'internement. Il a en particulier été fait mention d'un rapport établi par la section médicale du Comité du primat d'aide aux personnes privées de liberté où il était indiqué que près des deux tiers des quelque 1 000 personnes dont la situation avait été examinée présentaient des affections de santé et que l'état de plus de 100 d'entre elles aurait nécessité une hospitalisation. Selon certaines informations, les plaintes formulées par les détenus victimes d'agissements brutaux n'auraient pas toujours entraîné les effets escomptés puisque les responsables auraient souvent bénéficié d'un non-lieu et que même, dans certains cas, ce sont les victimes qui auraient fait l'objet de représailles. Enfin, plusieurs témoignages d'anciens détenus ont fait état des pressions psychologiques qui auraient été exercées sur la plupart des internés pour qu'ils signent des déclarations de loyauté, s'engagent à ne pas agir à l'encontre des intérêts du pays ou même acceptent de s'exiler.
  883. 509. Dans les informations qu'il a fournies dans le cadre de la procédure du Comité de la liberté syndicale, le gouvernement a principalement indiqué que les mesures d'internement étaient de nature préventive et visaient à protéger l'existence de la nation et la sécurité des habitants. Toujours selon le gouvernement, ont été internés les dirigeants extrémistes de Solidarité qui imposaient à ce syndicat une voie d'action ouvertement politique. Ces mesures auraient été prises non pas à cause des activités syndicales des intéressés mais en raison d'actions politiques contraires au statut du syndicat et en contradiction avec la législation nationale. Pour ce qui est des conditions d'internement, le gouvernement a indiqué que les visites du Comité international de la Croix-Rouge dans les camps n'auraient donné lieu à aucune remarque de sa part sur les conditions matérielles de détention et les relations avec les gardiens.
  884. 510. Quant à la deuxième catégorie de personnes détenues, à savoir celles qui ont été poursuivies devant les tribunaux et éventuellement condamnées, il est difficile là aussi de déterminer le nombre exact de personnes concernées, les chiffres variant considérablement selon les sources. Aux termes du décret sur la loi martiale, des peines de prison de trois à dix ans étaient prévues en cas d'infraction aux dispositions suspendant le droit de grève et de manifestation ou interdisant la diffusion d'écrits, tracts, enregistrements ou films. Les sentences effectivement prononcées ont été souvent sévères puisque certaines personnes ont été condamnées aux peines maximales et que même le Tribunal suprême aurait parfois aggravé les jugements rendus en première instance. Les chefs d'inculpation le plus fréquemment retenus concernaient l'impression et la diffusion de publications clandestines de l'organisation Solidarité dissoute ou l'organisation de grèves et la participation à celles-ci.
  885. 511. En juillet 1983, une loi d'amnistie a été promulguée et a permis une remise complète de peine pour les personnes condamnées à des durées d'emprisonnement égales ou inférieures à trois ans ainsi que pour les femmes et les mineurs quelle que soit la sentence rendue à leur encontre. Pour les condamnations supérieures à trois ans, la remise n'a été que de la moitié de la peine. Des critiques ont été formulées sur l'étendue de la loi d'amnistie. Ainsi, il a été observé qu'une nouvelle infraction analogue entraîne l'annulation de l'amnistie et que celle-ci ne couvre que certains actes visés par le décret sur la loi martiale mais non, par exemple, les crimes commis contre les intérêts de l'Etat. Le caractère limité de cette amnistie a, selon ces mêmes critiques, permis la poursuite des procès en cours contre des dirigeants de Solidarité et du Comité de défense des ouvriers (KOR). Ces procès avaient été engagés, bien qu'aux termes de la "loi d'abolition", adoptée par le gouvernement, nul ne pouvait être condamné pour des activités politiques antérieures au 13 décembre 1981, et que les personnes concernées avaient été dans l'impossibilité d'exercer les activités qui leur étaient reprochées puisqu'elles étaient internées depuis la proclamation de la loi martiale.
  886. 512. Pour apprécier les faits concernant l'internement et la détention des dirigeants et membres des syndicats, il convient de se fonder sur les règles inscrites à l'article 3 de la convention n° 87. Cet article, après avoir mentionné que les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit d'élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action, dispose que "les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal". Par ailleurs, les garanties ainsi accordées aux organisations syndicales ne peuvent être effectivement assurées que si sont respectées un certain nombre de libertés civiles fondamentales. La commission doit ici encore faire référence à la résolution adoptée en 1970, sans opposition, par la Conférence internationale du Travail, concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles. Dans cette résolution, qui reflète ainsi les vues des parties à la convention sur ce qu'implique ce texte, la Conférence internationale du Travail a mis un accent particulier sur certaines libertés civiles qu'ont définies la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la Pologne, et qui, souligna-t-elle, sont essentielles à l'exercice normal des droits syndicaux. Il s'agit notamment du droit à la liberté et à la sûreté de la personne ainsi qu'à la protection contre les arrestations et les détentions arbitraires; la liberté d'opinion et d'expression et en particulier le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit; la liberté de réunion et le droit à un jugement équitable par un tribunal indépendant et impartial.
  887. 513. Il découle de tous ces éléments que la convention n° 87 n'a ni pour objet ni pour effet d'interdire à un gouvernement d'utiliser ses pouvoirs légitimes en matière d'ordre public lorsque les syndicalistes commettent des crimes ou des délits visés par la législation nationale. La convention ne crée donc aucune immunité au profit des membres d'un syndicat ou de leurs dirigeants et prévoit même en son article 8 que les travailleurs et leurs organisations sont tenus, à l'instar des autres personnes, de respecter la légalité, la législation ne devant pas de son côté, ainsi qu'on l'a dit plus haut, porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la convention. En revanche, ces règles impliquent, d'une part, que les pouvoirs publics ne peuvent priver de liberté les syndicalistes pour des motifs liés à leur affiliation ou leur activité syndicale légitime ou pour y mettre fin et que, d'autre part, lorsque des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement considère comme étrangers à leurs activités syndicales, les personnes en question bénéficient d'une procédure judiciaire régulière engagée le plus rapidement possible.
  888. 514. Puisque l'arrestation ou la condamnation d'un syndicaliste ne constitue pas en elle-même une violation de la convention, il convient de rechercher les motifs réels qui en sont à l'origine et c'est seulement si ces mesures visaient en réalité des activités proprement syndicales qu'il y aurait atteinte aux garanties prévues par la convention n° 87. En outre, les intéressés devant bénéficier d'une présomption d'innocence, il appartient au gouvernement de montrer que les mesures prises n'avaient pas leur origine dans les activités syndicales des personnes concernées.
  889. 515. Si l'on se réfère aux déclarations du gouvernement sur les motifs des internements, on constate que celui-ci s'est borné à affirmer de façon générale que ces mesures ont été prises en raison d'actions politiques et non d'activités syndicales. Aucun élément de preuve concret n'a été fourni à l'appui de ces dires. La commission doit cependant relever que, parmi les personnes internées, figuraient la grande majorité des dirigeants nationaux ainsi qu'un nombre important de dirigeants régionaux de l'organisation Solidarité. De l'avis de la commission, il est difficilement concevable qu'un nombre aussi élevé de dirigeants syndicaux se soient livrés à des activités de nature à mettre en péril la sécurité ou la défense de l'Etat alors que, comme l'a déjà constaté la commission, peu de temps avant la proclamation de la loi martiale, le congrès de l'organisation avait adopté un programme de nature essentiellement syndicale. Il convient de constater, en outre, que l'immense majorité des syndicalistes internés n'a fait par la suite l'objet d'aucune instruction judiciaire. Ces divers éléments peuvent conduire à estimer que l'un des objectifs du gouvernement, en privant de liberté la majorité des dirigeants de Solidarité, a été d'éliminer ou de prévenir l'action et le développement du mouvement syndical qu'incarnait cette organisation et qu'en conséquence il a agi en violation de l'article 3 de la convention n° 87.
  890. 516. Comme la commission l'a déjà indiqué, les motifs des condamnations prononcées par les tribunaux trouvaient leur origine dans l'organisation de grèves et la participation à celles-ci ou dans la diffusion de publications de l'organisation Solidarité dissoute. La question qui se pose dans ces cas est donc de déterminer si ces activités peuvent être considérées comme de nature syndicale.
  891. 517. La convention n° 87 ne contient aucune garantie spécifique concernant la grève. Toutefois, les organes de contrôle de l'OIT ont toujours considéré - et la commission partage cet avis - que le droit de grève constitue un des moyens essentiels dont devraient disposer les organisations syndicales pour, conformément à l'article 10 de la convention, promouvoir et défendre les intérêts de leurs membres. Une interdiction absolue de la grève constitue donc, de l'avis de la commission, une limitation sérieuse du droit des syndicats d'organiser leur activité (art. 3 de la convention) et va en outre à l'encontre de l'article 8, paragraphe 2, en vertu duquel "la législation ne devra pas porter atteinte, ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues (par la convention) ".
  892. 518. Pour ce qui est de l'impression et de la diffusion de publications, la commission doit souligner que le droit de libre expression de la pensée revêt une importance spéciale en tant que partie intégrante de la liberté dont doivent jouir les organisations syndicales. En effet, comme le Comité de la liberté syndicale l'a signalé à diverses reprises, le droit d'exprimer des opinions par la voie de la presse ou autrement est un des éléments essentiels des droits syndicaux. L'interdiction de publications de nature syndicale et la condamnation de syndicalistes pour infraction à cette interdiction ne peuvent ici constituer qu'une violation du droit des syndicats d'organiser leur activité, reconnu à l'article 3 de la convention n° 87.
  893. 519. Quant à la nature des procédures judiciaires engagées, la commission doit constater qu'elle ne possède que peu d'éléments d'information sur la manière dont se sont déroulés les procès de syndicalistes. Même si certains témoignages recueillis au cours des auditions ont allégué le non-respect de certains droits fondamentaux en matière judiciaire tels que le droit à la défense, la commission ne peut, en raison du nombre limité de cas concrets portés à son attention, en déduire que, d'une manière générale, les garanties d'une procédure judiciaire régulière auraient été systématiquement ignorées.
  894. 520. Une autre question relative aux détentions que la commission doit examiner est celle des conditions imposées aux détenus et notamment celle, grave entre toutes, des mauvais traitements qui leur auraient été infligés. La commission n'a disposé sur ce point que d'informations extrêmement limitées de la part du gouvernement. Cependant, les nombreux témoignages recueillis et l'importante documentation qui lui a été soumise sur ce point la fondent à penser que l'ensemble des règles minimales pour le traitement des détenus n'ont pas toujours été respectées en Pologne pendant la durée d'application de la loi martiale. Il en a été ainsi notamment dans certains camps d'internement où l'observation des règles concernant les locaux de détention, l'alimentation, l'exercice physique, les contacts avec le monde extérieur et l'imposition de travail forcé à des personnes détenues et placées dans les camps militaires semble avoir été largement ignorée. La commission a même pu constater par des témoignages directs que les pressions physiques ou morales exercées lors de la détention ou après celle-ci ont été déterminantes dans la décision de plusieurs personnes de quitter le pays. Récemment encore, des informations fournies par les plaignants ont fait état de mauvais traitements infligés à des détenus. Enfin, comme il ressort de certains cas mentionnés dans l'analyse qui précède, l'imposition de mauvais traitements à certains détenus ne semble pas avoir été suivie de sanctions sévères suffisamment dissuasives à l'encontre des personnes responsables de ces actes pour éviter le renouvellement de telles pratiques.
  895. Mort de militants et dirigeants syndicaux
  896. 521. Il ressort des informations dont dispose la commission qu'un nombre élevé de militants syndicaux et syndicalistes ont trouvé la mort pendant la période où la loi martiale a été en vigueur. Ces morts sont survenues lors de grèves, notamment en décembre 1981, et pendant les manifestations organisées par Solidarité au cours de l'année 1982. De plus, les violences qu'auraient subies des syndicalistes à la suite de leur arrestation auraient entraîné le décès de certains d'entre eux. Au total, selon les plaignants, le nombre de personnes dont le décès serait imputable aux forces de l'ordre s'élèverait à plus de 60.
  897. 522. Bien que la liste des personnes dont la mort violente était ainsi alléguée ait été transmise au gouvernement pour observations, celui-ci n'a fourni aucun commentaire à cet égard. Les seuls éléments d'information émanant des autorités en la possession de la commission concernent les événements de la mine de Wujek survenus en décembre 1981 où huit mineurs ont trouvé la mort. Une enquête menée sur cette affaire par le Parquet militaire a conclu que la milice avait agi en état de légitime défense et, en conséquence, aucune charge n'avait été retenue contre les forces de l'ordre.
  898. 523. Les informations nombreuses et très détaillées qui ont été recueillies sur l'ensemble des cas de morts violentes et notamment sur les circonstances des décès survenus à la suite d'arrestations permettent de conclure qu'en plus des droits syndicaux les droits liés à la vie et à l'intégrité physique des personnes ont été enfreints en Pologne lorsque la loi martiale était en vigueur. Rien ne permet d'affirmer en particulier, sur la base des informations en la possession de la commission, que les décès de syndicalistes aient fait l'objet d'enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales en vue d'éclaircir les faits, déterminer les responsabilités et permettre ainsi d'engager les procédures judiciaires nécessaires pour que les personnes qui seraient reconnues coupables soient punies.
  899. Mesures de discrimination antisyndicale
  900. 524. La commission a été saisie d'allégations de mesures de discrimination antisyndicale prises à l'encontre de dirigeants et membres de Solidarité. Les syndicalistes concernés auraient été victimes de licenciements et d'autres actes discriminatoires tels que refus d'embauche, réemplois à des conditions moins favorables, réductions de salaire, sanctions disciplinaires, transferts, mutations, inscriptions sur des listes noires, refus de réintégration dans l'emploi. En outre, des "procédures de vérification" sur les attitudes idéologiques et politiques des travailleurs, engagées dans certaines administrations ou entreprises, auraient abouti à des congédiements ou à la signature de déclarations de loyauté envers les autorités.
  901. 525. Selon les informations disponibles, c'est par dizaines de milliers que les travailleurs auraient été licenciés pour le simple fait de leur appartenance à Solidarité, pour avoir refusé de signer des déclarations de loyauté ou pour avoir participé à une grève ou une manifestation.
  902. 526. Des données précises sur le nombre de licenciements intervenus dans des centres de travail nommément désignés ont été fournies à la commission. Ces sources font apparaître que, si les licenciements ont été prononcés principalement dans les grandes entreprises pendant les premiers mois d'application de la loi martiale, il n'en demeure pas moins que des mesures de ce type ont été également prises au cours de la deuxième moitié de l'année 1982 et même après la suspension et la levée de la loi martiale.
  903. 527. Les personnes concernées par ces licenciements recouvrent, semble-t-il, un secteur très large quant aux fonctions professionnelles et syndicales qu'elles exerçaient ou quant à la branche d'activité dans laquelle elles travaillaient. Cependant, ces mesures ont fréquemment frappé les travailleurs qui exerçaient des responsabilités au sein de Solidarité, notamment d'anciens permanents de l'organisation ou des dirigeants syndicaux qui avaient été internés. Selon la documentation fournie, dans l'administration publique, les secteurs les plus visés auraient été la magistrature, l'enseignement et la radiotélévision.
  904. 528. Les explications données sur les motifs à l'origine des mesures en question sont tout à fait contradictoires selon qu'elles émanent des plaignants ou des autorités. Pour les uns, elles constituent clairement des actes de discrimination antisyndicale, alors que, pour les autres, il s'agissait avant tout d'une réponse à des impératifs économiques.
  905. 529. Le Code du travail prévoit une protection contre les licenciements abusifs. C'est ainsi que la décision de congédiement doit être soumise à l'avis du conseil syndical d'entreprise et que les membres de comités d'entreprise et les délégués syndicaux ne peuvent en principe être renvoyés. Cependant, il ressort des informations en la possession de la commission que le Tribunal suprême a estimé que ces mesures de protection ne pouvaient être appliquées lorsque les activités des syndicats étaient suspendues. En outre, les licenciements prononcés dans les entreprises militarisées n'étaient pas soumis au contrôle des organes disciplinaires et judiciaires habituellement compétents en la matière. Certains documents font même état de pressions qui auraient été exercées sur la magistrature pour que les décisions soient rendues au détriment des travailleurs ainsi que sur les directions d'entreprise pour que des recours soient présentés en cas de refus de licenciements. Il a été aussi indiqué que des décisions de réintégration rendues par les tribunaux n'ont pas été suivies d'effet. Enfin, l'adoption de lois en octobre 1982 (loi visant les réfractaires au travail) et juillet 1983 (loi instituant un régime juridique spécial visant à surmonter la crise socio-économique) a eu des conséquences sur la situation des travailleurs licenciés, notamment l'inscription sur un registre de "parasitisme social" pour tout individu non enregistré comme demandeur d'emploi sans travail depuis trois mois, qui entraîne la possibilité d'être requis pour des travaux d'intérêt public a° et le réemploi à des conditions de salaire minimales pour les travailleurs renvoyés sans préavis ou démissionnaires.
  906. 530. Dans les observations qu'il avait fournies au Comité de la liberté syndicale au sujet de la protection contre les licenciements, le gouvernement avait soutenu que les garanties apportées par la législation étaient très larges, tant sur les motifs de congédiement que sur les procédures de recours ouvertes aux travailleurs. Ces garanties restaient applicables, même pendant la période de la loi martiale, à l'exception toutefois des entreprises militarisées où certaines limitations avaient été introduites. Se référant aux nombreux cas dans lesquels les travailleurs avaient présenté des recours, le gouvernement avait indiqué que, dans 20 pour cent d'entre eux, les organes compétents avaient ordonné la réintégration des intéressés, en raison du caractère non fondé des licenciements.
  907. 531. La commission doit se prononcer sur les allégations de discrimination antisyndicale à la lumière de l'article 1 de la convention n° 98, qui dispose notamment que "les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi". La commission doit donc déterminer si les motifs à l'origine des mesures prises à l'encontre des travailleurs étaient liés à l'affiliation et l'activité syndicales des intéressés et, dans l'affirmative, si les garanties reconnues et les réparations accordées en droit et en pratique peuvent être considérées comme suffisantes.
  908. 532. Sur le premier point, la commission ne peut évidemment affirmer, sur la base des informations recueillies, que l'ensemble des licenciements ou autres mesures intervenues au cours de la période considérée ont constitué des actes de discrimination antisyndicale. La commission ne peut ignorer, en effet, les circonstances particulièrement difficiles auxquelles se heurte actuellement l'économie polonaise, circonstances qui justifient certainement des actions d'adaptation. Toutefois, l'ampleur des licenciements intervenus et surtout le nombre élevé de militants et dirigeants de Solidarité qui ont été concernés par ces mesures montrent bien que, dans bien des cas, les activités syndicales des intéressés ont dû être un élément déterminant dans les licenciements décidés.
  909. 533. En ce qui concerne la protection accordée aux travailleurs contre les actes de discrimination antisyndicale, il convient de s'assurer qu'il existe des normes législatives apportant les garanties nécessaires mais aussi que celles-ci s'accompagnent de procédures efficaces assurant leur application dans la pratique. C'est dans ce sens que prend toute son importance l'article 3 de la convention n° 98, aux termes duquel des organismes appropriés aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être institués pour assurer le respect du droit d'organisation.
  910. 534. Il apparaît que, tout au moins pendant la durée de la loi martiale, les garanties accordées par le Code du travail pour la protection contre les licenciements n'ont pu être entièrement appliquées en pratique: d'une part, un nombre important de travailleurs occupés dans des entreprises essentielles pour l'économie n'étaient plus couverts par ces dispositions, et, d'autre part, certaines garanties n'ont plus été appliquées en raison de la suspension des activités syndicales. Par ailleurs, certaines informations donneraient à penser que les organes appelés à examiner les recours présentés n'ont pas pu toujours se prononcer avec toute l'indépendance souhaitable. La commission doit donc conclure que la protection accordée aux travailleurs ne lui paraît pas avoir été suffisante au regard de l'article 1 de la convention n° 98.
  911. Législation syndicale
  912. 535. Les activités syndicales sont maintenant régies en Pologne par la loi sur les syndicats du 8 octobre 1982, la loi sur les organisations socioprofessionnelles des agriculteurs adoptée le même jour, ainsi qu'une loi du 16 septembre 1982 sur les principes de représentation des employés de l'Etat. Cette législation a été complétée par plusieurs décrets et décisions du Conseil d'Etat et arrêtés du Conseil des ministres.
  913. 536. Comme la commission l'a déjà signalé, le gouvernement avait demandé quelques jours avant l'adoption de la loi sur les syndicats un avis juridique au BIT sur la conformité de ses dispositions avec les normes internationales du travail. Le BIT avait alors formulé des commentaires écrits dont certains avaient été pris en considération par la Diète lors de la discussion finale du projet.
  914. 537. D'une manière générale, la commission a constaté que la loi sur les syndicats contient, du point de vue de l'application des conventions pertinentes de l'OIT, d'importantes améliorations par rapport à la loi de 1949, qui régissait les activités syndicales avant septembre 1980. En particulier, la nouvelle loi ne fait plus référence à l'obligation d'enregistrement auprès d'une centrale syndicale, disposition qui, dans l'ancienne loi, avait fait l'objet de commentaires réitérés de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations. Cependant, certaines des dispositions de la législation syndicale appellent les commentaires ci-dessous.
  915. Droit des travailleurs sans distinction d'aucune sorte de constituer sans autorisation préalable des organisations de leur choix
  916. 538. Aux termes de l'article 12 de la loi, le droit syndical n'est pas reconnu aux fonctionnaires des établissements pénitentiaires. Le gouvernement a indiqué à cet égard que cette catégorie de personnel constitue une formation militarisée dont le système de hiérarchie et de discipline est semblable à celui de l'armée. Elle possède donc, selon le gouvernement, des caractéristiques identiques à celles de la milice et doit être considérée comme telle. Se référant notamment à l'étude d'ensemble de 1983 de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, la commission estime que les fonctions exercées par cette catégorie d'agents publics ne devraient pas normalement justifier leur exclusion du droit syndical sur la base de l'article 9 de la convention, qui dispose de manière restrictive que " la mesure dans laquelle les garanties prévues par (la convention) s'appliqueront aux forces armées et à la police sera déterminée par la législation nationale ".
  917. 539. L'article 19 (4) prévoit le retrait de l'enregistrement du syndicat lorsque le nombre de membres est inférieur à 50 pendant trois mois. De l'avis de la commission, le niveau minimal de membres ainsi imposé pourrait être de nature à entraver la constitution et le maintien des organisations, notamment dans les petites entreprises, contrairement à l'article 2 de la convention n° 87. A cet égard, la commission note que, par un amendement introduit en avril 1984, l'application de cette disposition a été suspendue jusqu'à la fin de 1985.
  918. 540. Aux termes de l'article 19 (2), le tribunal refusera d'enregistrer le syndicat si la teneur de ses statuts indique que l'organisation n'est pas un syndicat professionnel au regard de la loi ou si les dispositions des statuts ne sont pas conformes aux prescriptions de celle-ci. Cette disposition pose le problème de savoir si une telle possibilité de refus d'enregistrement peut être considérée comme impliquant l'existence d'une autorisation préalable au sens de l'article 2 de la convention. Il a été précisé à cet égard dans les travaux préparatoires de la convention que les Etats restent libres de prévoir dans leur législation telles formalités qui leur semblent propres à assurer le fonctionnement normal des organisations. Les réglementations nationales concernant la constitution des organisations ne sont donc pas en elles-mêmes incompatibles avec les dispositions de la convention, mais cela à condition qu'elles ne soient pas équivalentes à une autorisation préalable et qu'elles ne constituent pas un obstacle qui aboutisse en fait à une interdiction.
  919. 541. La loi syndicale impose comme simple formalité le dépôt des statuts de l'organisation et leur examen par les organes judiciaires, avec possibilité d'appel devant le Tribunal suprême. Aux termes de la loi, le contrôle exercé par les organes judiciaires semble avoir pour unique objectif de s'assurer de la conformité des statuts avec la législation. Toutefois, un arrêté du Conseil des ministres du 15 octobre 1982 précise, en son article 12, que le tribunal ne peut pas ordonner l'inscription d'un syndicat notamment si "celle-ci est incompatible avec les dispositions en vigueur ou la situation de fait". S'agissant de ce dernier point, les tribunaux sont donc investis d'un large pouvoir d'appréciation qui dépasse celui d'un simple contrôle de légalité. Dans ces conditions, la conformité de la législation et de la réglementation en matière d'enregistrement des syndicats dépendra, dans une large mesure, de la manière dont les dispositions pertinentes seront interprétées et appliquées. Il serait donc plus conforme à la convention n° 87 de supprimer cette disposition de l'arrêté qui accorde aux tribunaux la faculté de refuser l'enregistrement d'une organisation syndicale pour des raisons tenant à la "situation de fait ".
  920. 542. Dans le cadre des dispositions transitoires de la loi (art. 53, paragr. 4), une seule organisation syndicale devrait fonctionner dans l'entreprise pendant une période s'étendant jusqu'au 31 décembre 1984. Aux termes de la loi du 21 juillet 1983 instituant un régime juridique spécial pendant la période visant à surmonter la crise socio-économique, ce délai a été prolongé jusqu'à l'examen de l'application de la loi par le Conseil d'Etat, trois ans après son entrée en vigueur, soit en octobre 1985. En outre, sur la base de cette disposition transitoire, le Conseil d'Etat a adopté une décision établissant les principes et le mode de constitution des organisations syndicales dans les entreprises. Cette décision dispose, en son article 6, qu'en cas de pluralité de demandes d'enregistrement le tribunal propose aux comités fondateurs un arrangement et le dépôt d'une demande commune. Si celle-ci n'est pas présentée, il peut soit refuser l'enregistrement des syndicats, soit enregistrer le syndicat qui s'est déclaré disposé à un arrangement et au dépôt d'une demande commune d'enregistrement d'un seul syndicat.
  921. 543. Ces dispositions, en imposant un système d'unicité syndicale dans l'entreprise, sont en opposition avec l'article 2 de la convention, aux termes duquel les travailleurs ont le droit de constituer sans autorisation préalable les organisations de leur choix. Comme la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations l'a signalé à maintes reprises, bien que l'objectif de la convention ne consiste manifestement pas à rendre obligatoire le pluralisme syndical, la convention implique au moins que ce pluralisme soit possible dans tous les cas. La commission doit en outre exprimer sa préoccupation quant au fait que le gouvernement a prolongé les délais initialement prévus dans la loi sur les syndicats, et que des incertitudes existent quant au retour à une possibilité de pluralisme syndical, celle-ci dépendant de l'examen de l'application de la législation auquel se livrera le Conseil d'Etat.
  922. 544. Toujours dans le cadre du droit des travailleurs de constituer les organisations de leur choix, la commission a examiné la teneur de l'article 33 (2) de la loi sur les organisations socioprofessionnelles des agriculteurs qui impose une fédération nationale d'agriculteurs. Elle a également considéré les déclarations du gouvernement à cet égard, selon lesquelles cette fédération ne possède pas un caractère de monopole puisque les unions de branche regroupant les agriculteurs spécialisés dans un domaine déterminé n'adhèrent pas à ce syndicat national, de même que de nombreuses autres organisations sociales rurales. La commission doit cependant constater qu'il est impossible, aux termes de la loi, que soient constituées des fédérations nationales d'agriculteurs autres que celle expressément désignée dans l'article 33 (2). Il s'agit donc bien là d'un système d'unicité syndicale imposé au niveau le plus élevé de la représentation des agriculteurs, contraire à l'article 2 de la convention n° 87.
  923. 545. La commission relève enfin que l'article 40 de la loi sur la représentation des travailleurs de l'Etat dispose que ceux-ci ont le droit de s'affilier au syndicat de travailleurs de l'administration de l'Etat. Si, comme semble l'indiquer son libellé, cette disposition excluait la possibilité d'un pluralisme syndical pour les travailleurs d'une même catégorie, elle constituerait également une violation de l'article 2 de la convention.
  924. 546. A propos de la structure syndicale, l'article 10 (2) de la loi sur les syndicats établit que le syndicat comprend les travailleurs employés dans une branche d'activité, un type d'emploi ou d'occupation déterminés. Pour déterminer si cette disposition est conforme ou non au droit des travailleurs de constituer les organisations de leur choix, il convient d'examiner si les organisations de base visées par l'article en question peuvent librement s'affilier à des fédérations et à des confédérations sous la forme et de la manière que les travailleurs estiment les plus appropriées.
  925. 547. Dans cette optique, référence doit être faite à l'article 20 de la loi, en vertu duquel les syndicats ont le droit de former des unions et des organisations intersyndicales. Cette disposition semble recouvrir les fédérations et confédérations et n'impose pas de conditions particulières à leur constitution, sous réserve de ce qui sera dit aux paragraphes 559 et 560 ci-après. Un doute peut cependant subsister sur la possibilité de créer, aux termes de cet article, des unions de syndicats sur une base géographique régionale. Les conditions fixées par l'article 10 (2) de la loi pour la structure syndicale des organisations de base seraient donc compatibles avec l'article 2 de la convention n° 87, pour autant que des unions régionales de syndicats puissent être créées.
  926. Droit des syndicats d'élaborer leurs statuts
  927. 548. Aux termes de l'article 3 de la loi, les statuts des syndicats doivent être conformes à la Constitution de la République populaire de Pologne et aux autres lois. En particulier, les syndicats doivent observer les principes de la propriété socialiste des moyens de production et reconnaître le rôle de direction du Parti ouvrier unifié polonais (POUP) défini par la Constitution nationale dans l'édification du socialisme ainsi que les principes constitutionnels de la politique extérieure de la Pologne.
  928. 549. La commission doit examiner ces dispositions en référence à l'article 8 de la convention n° 87, aux termes duquel les travailleurs et les organisations sont tenus, à l'instar des autres personnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité (paragr. 1), étant entendu qu'en contrepartie la législation nationale ne doit pas porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la convention (paragr. 2).
  929. 550. Il est donc nécessaire de déterminer, en premier lieu, si les dispositions constitutionnelles auxquelles se réfère la loi sur les syndicats portent atteinte à la convention. De l'avis de la commission, ces dispositions sont d'ordre général et ne visent pas l'activité propre des syndicats. Elles se situent donc dans le cadre de l'article 8 de la convention.
  930. 551. Il convient, en second lieu, d'examiner si l'article 3 de la loi pourrait affecter le droit des syndicats d'organiser leur activité, reconnu à l'article 3 de la convention n° 87. A cet égard, la commission constate que la disposition législative en question se réfère à la reconnaissance du rôle dirigeant du POUP dans l'ensemble de la société et non dans l'activité proprement dite des organisations syndicales. Compte tenu de tous ces éléments, la commission estime que l'article 3 de la loi ne peut être considéré comme portant atteinte aux garanties prévues par la convention, mais pour autant cependant que, selon ce que paraît indiquer son libellé, cette disposition soit interprétée comme concernant l'ordre constitutionnel et politique général du pays et non l'activité des syndicats elle-même. L'attention du gouvernement est donc attirée sur l'importance que revêtira l'application pratique de cette disposition pour en évaluer la conformité avec la convention n° 87.
  931. Droit des syndicats d'organiser leurs activités - Droit de grève
  932. 552. Tout en reconnaissant aux syndicats le droit d'organiser des grèves (art. 36 (1)), la loi fixe incertain nombre de conditions à son exercice et établit une interdiction de ce droit dans certains secteurs d'activité.
  933. 553. La commission doit examiner ces dispositions pour déterminer si elles imposent des restrictions de nature à remettre en cause le droit de grève et par là même le droit des syndicats d'organiser leurs activités (art. 3 de la convention n° 87) en vue de promouvoir et défendre les intérêts de leurs membres (art. 10 de cette même convention). Elle a relevé que certaines d'entre elles pouvaient constituer des limitations importantes à cet égard.
  934. 554. Il s'agit, d'une part, des conditions fixées au déclenchement de la grève par l'article 38 (1), qui impose l'acceptation de la décision par la majorité des travailleurs concernés, et non simplement la majorité des votants. La commission estime qu'une telle majorité pourrait être difficile à atteindre, en particulier dans le cas des grandes entreprises, et compromettre la possibilité pour les travailleurs concernés de déclencher un mouvement de grève. En outre, ce même article 38 (1) exige l'accord préalable de l'organe supérieur du syndicat, c'est-à-dire, semble-t-il, de la fédération à laquelle l'organisation est affiliée. La commission estime qu'une telle exigence, inscrite dans la législation, impose une restriction excessive au droit des syndicats d'organiser leurs activités.
  935. 555. D'autre part, la commission a constaté que la loi, en son article 40, établit une liste très extensive des services essentiels où la grève est interdite. Elle croit devoir se référer sur ce point aux opinions émises par les organes de contrôle de l'OIT selon lesquelles l'interdiction des grèves devrait être limitée aux services essentiels au sens strict du terme, c'est-à-dire aux services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne.
  936. 556. La commission doit aussi relever la sévérité des sanctions prévues à l'encontre des organisateurs de grèves allant jusqu'à une peine d'un an de prison en cas d'infraction aux dispositions sur le droit de grève (art. 47 de la loi).
  937. 557. La commission estime que les dispositions relatives aux procédures de négociation, conciliation et arbitrage devant être épuisées avant le déclenchement de la grève n'appellent pas de commentaires particuliers, puisque la sentence arbitrale finale ne revêt pas un caractère obligatoire, chacune des parties pouvant faire savoir, avant l'engagement des procédures, que la sentence ne la liera pas (art. 35 (5) de la loi).
  938. Droit de fédération et de confédération
  939. 558. Comme la commission l'a déjà signalé, les syndicats ont le droit, en vertu de l'article 20 de la loi, de former des unions et organisations intersyndicales. Cette disposition donne effet à l'article 5 de la convention n° 87, selon lequel les organisations de travailleurs ont le droit de constituer des fédérations et confédérations. Cependant, pour que cet article soit pleinement respecté, il conviendrait que l'article 20 de la loi soit appliqué de telle manière que les syndicats puissent former des unions non seulement par branche d'activité, mais également par région.
  940. 559. Dans le cadre des dispositions transitoires de la loi (art. 53), il était prévu que l'activité syndicale serait reprise après le 31 décembre 1983 pour les organisations syndicales nationales et après le 31 décembre 1984 pour les associations et organisations intersyndicales. Jusqu'à ces dates, la loi interdit donc la constitution de fédérations et confédérations, dont il a été question plus haut. Certes, par une décision du 12 avril 1983, le Conseil d'Etat a réduit les délais pour constituer des fédérations et plusieurs organisations de ce type fonctionnent aujourd'hui. Il n'en demeure pas moins qu'il est impossible de créer des confédérations jusqu'à la fin de l'année 1984 et qu'une telle interdiction va à l'encontre de l'article 5 de la convention n° 87.
  941. 560. La commission a en outre constaté qu'aux termes de l'article 20 de la loi les dispositions de la loi s'appliquent par analogie aux associations et organisations intersyndicales. Les commentaires présentés par la commission à propos des syndicats de base, notamment au sujet de l'unicité syndicale, valent donc également pour les fédérations et confédérations.
  942. Droit de négociation collective
  943. 561. Aux termes de l'article 23 de la loi, les syndicats ont le droit de conclure des conventions collectives de travail à l'échelle nationale. Le gouvernement a indiqué que cette disposition n'exclut pas la possibilité de mener une telle négociation à d'autres niveaux, particulièrement à la lumière de l'autonomie des entreprises résultant de la réforme économique. La commission considère que, si tel est le cas, la loi devrait reconnaître sans ambiguïté le droit de négociation collective à tous les niveaux de l'activité économique (entreprise, branche d'activité, interprofessionnel), afin de donner plein effet à l'article 4 de la convention n° 98. La possibilité, offerte par une nouvelle loi adoptée en janvier 1984, de conclure sous certaines conditions des accords de salaire au niveau de l'entreprise peut constituer un premier pas vers cette reconnaissance complète du droit de négociation collective.
  944. Dissolution des syndicats
  945. 562. Aux termes des articles 19 (4) et 48 de la loi sur les syndicats, les tribunaux peuvent prononcer, en cas de violation des dispositions de la loi, la radiation du syndicat du registre. Ces dispositions, qui prévoient donc le recours à une procédure judiciaire pour dissoudre les syndicats, n'appellent pas de commentaires, sous réserve des remarques formulées plus haut au sujet de l'article 19 (4) de la loi.
  946. 563. La documentation soumise à la commission fait référence à la dissolution des syndicats existants prononcée par l'article 52 de la loi ainsi qu'à la question du transfert des biens des organisations dissoutes traitée à l'article 54 de la loi. La commission renvoie aux conclusions qu'elle a présentées sur ces points aux paragraphes 482 à 505 ci-dessus.
  947. Vie syndicale actuelle
  948. 564. A la suite de l'adoption de la nouvelle législation syndicale, des groupes fondateurs des nouveaux syndicats ont commencé à se former et des syndicats d'entreprise ont été enregistrés auprès des tribunaux. Selon les données en la possession de la commission, ces syndicats regrouperaient aujourd'hui plus de 4 millions de travailleurs - dont environ un tiers de retraités - sur les 17 millions - dont 3 millions de retraités - qui seraient susceptibles de se syndiquer. Des structures nationales par branche d'industrie ont également été créées et ont commencé à fonctionner. Une réunion regroupant des présidents des fédérations syndicales aurait été en outre organisée en janvier 1984 pour mettre sur pied un organisme chargé de coordonner la politique des syndicats à l'échelle nationale.
  949. 565. Dans son rapport le plus récent sur l'application de la convention n° 87, le gouvernement a défini les quatre principes essentiels sur lesquels repose la vie syndicale actuelle en Pologne: l'indépendance, qui implique l'absence de contrôle de la part de l'administration; l'autogestion, c'est-à-dire le droit de définir et de mener librement les activités des syndicats; l'adhésion volontaire des travailleurs aux syndicats; la démocratie, dont le respect est assuré par le recours aux élections pour désigner les directions syndicales.
  950. 566. Selon les plaignants et les témoins qu'ils ont présentés, la mise en place de la structure syndicale légale n'a pas empêché Solidarité de continuer à exercer des activités de défense des intérêts des travailleurs. L'organisation serait implantée dans toutes les régions de la Pologne et 1 200 000 personnes en seraient toujours membres actifs. Elle se livrerait essentiellement, semble-t-il, à des activités d'ordre social et de défense des droits de l'homme et éditerait un nombre important de publications.
  951. 567. A plusieurs reprises, dans la documentation et au cours des témoignages, l'indépendance des syndicats créés sous l'empire de la nouvelle loi a été mise en cause. Il a été déclaré notamment que le Parti ouvrier unifié polonais (POUP) et même l'armée auraient joué un rôle déterminant dans leur création et que leurs statuts ont été élaborés sur la base de statuts types préparés par une commission nommée par le Conseil d'Etat. Ces syndicats ne rencontreraient pas la confiance de la population et le nombre de leurs adhérents s'expliquerait par les mesures incitatives - telles qu'augmentation de salaire et avantages divers - qui auraient été adoptées en faveur des adhérents ou à l'inverse par les mesures dissuasives - telles que licenciements ou sanctions - qui menaceraient les travailleurs refusant de s'affilier.
  952. 568. La nature contradictoire des informations dont dispose ainsi la commission ne lui permet pas d'estimer avec précision la représentativité des nouveaux syndicats et leur degré d'indépendance par rapport aux entreprises et aux pouvoirs publics. Elle regrette d'autant plus cet état de fait que ces questions constituent un élément essentiel pour apprécier la réalité actuelle de la vie syndicale, en raison de la situation légale de monopole que les syndicats ont aujourd'hui.
  953. 569. Cependant, certains éléments peuvent être pris en considération pour déterminer si les nouveaux syndicats correspondent pleinement aux aspirations du monde du travail. D'une part, ces syndicats, en recueillant un grand nombre d'adhésions, ont sans doute acquis un certain degré de représentativité. D'autre part, il est patent qu'un nombre important de travailleurs continuent à accorder leur confiance à Solidarité et même à en faire partie, malgré les difficultés et les risques que représente la participation à une organisation dissoute. Enfin, la commission ne peut ignorer que les principaux dirigeants de l'ensemble des organisations nationales existant avant la mise en vigueur de la loi martiale ont publié une déclaration commune appuyant les principes de l'indépendance des organisations et du pluralisme syndical. Tous ces éléments peuvent laisser supposer qu'une partie de la population laborieuse ne se reconnaît pas dans la nouvelle structure syndicale établie et qu'en conséquence la situation actuelle n'offre pas aux travailleurs la possibilité de s'affilier aux organisations de leur choix, comme l'exige l'article 2 de la Convention n° 87.
  954. Recommandations
  955. 570. Après avoir consigné ses constatations sur les questions qui lui ont été soumises et en vue de remédier à l'application insatisfaisante des conventions nos 87 et 98 qu'elle a relevée dans ses conclusions, la commission présente les recommandations suivantes qui sont résolument tournées vers l'avenir.
  956. 571. Considérant que le degré d'indépendance dont jouissent les organisations syndicales dépend dans une large mesure de la reconnaissance et du respect en droit et en pratique des libertés civiles fondamentales, la commission estime devoir en premier lieu formuler certaines recommandations concernant les droits à la liberté et à la sécurité de la personne.
  957. 572. La commission a constaté qu'en dépit de l'adoption de la loi d'amnistie des dirigeants syndicaux et des syndicalistes étaient toujours poursuivis devant les tribunaux ou encore détenus après leur condamnation. Dans un souci d'apaisement des esprits et d'établissement d'un climat de sérénité indispensable à la renaissance d'une véritable vie syndicale, la commission recommande que des mesures soient prises sans retard par le gouvernement pour que les poursuites judiciaires exercées contre les dirigeants syndicaux soient abandonnées et qu'il soit mis un terme à la détention des personnes condamnées pour des activités de nature syndicale telles que participation à des grèves ou manifestations ou diffusion de publications.
  958. 573. En ce qui concerne les morts violentes de travailleurs, la commission recommande que des enquêtes impartiales et indépendantes soient engagées sur ces événements afin d'éclaircir les faits, de déterminer les responsabilités et de punir les coupables éventuels. La commission est en effet persuadée que ce n'est que par ce moyen que pourra être évité le renouvellement d'incidents aussi tragiques.
  959. 574. En ce qui concerne les autres aspects de l'affaire qui lui a été soumise, la commission croit devoir présenter des recommandations sur trois points: la discrimination antisyndicale, la législation syndicale et enfin le transfert des biens des organisations dissoutes.
  960. 575. Sur le premier point, la commission, préoccupée par le nombre important de licenciements de dirigeants et militants syndicaux intervenus depuis la proclamation de la loi martiale, recommande que soit réexaminée, dans des conditions de pleine indépendance et impartialité, la situation des travailleurs ainsi congédiés.
  961. 576. Quant à la législation syndicale, la commission, se référant aux conclusions qu'elle a exposées dans les paragraphes précédents (535 à 563), recommande au gouvernement d'amender dans un bref délai les lois et règlements d'application en vigueur afin que soient clairement et pleinement reconnus les droits suivants consacrés par les conventions nos 87 et 98:
  962. 1) le droit des travailleurs sans distinction d'aucune sorte - y compris les fonctionnaires publics - de constituer des syndicats;
  963. 2) le droit des travailleurs de constituer des organisations de leur choix. La reconnaissance de ce droit implique que soit rétablie dans les faits une possibilité de pluralisme syndical à tous les niveaux: entreprises, branches d'activité, régional et interprofessionnel;
  964. 3) le droit des syndicats de base et des fédérations de se regrouper en confédérations;
  965. 4) le droit des syndicats de conclure des conventions collectives à tous les niveaux; le droit des syndicats d'organiser leur activité, ce qui implique la suppression des limitations trop strictes apportées à l'exercice du droit de grève.
  966. La commission recommande également au gouvernement d'assurer que les dispositions de la législation (notamment celles sur la reconnaissance du rôle de direction du Parti ouvrier unifié polonais, l'enregistrement des organisations et la teneur de leurs statuts), dont la conformité avec la convention n° 87 dépend, pour une large part, de leur mise en oeuvre en pratique, soient appliquées de telle manière qu'elles respectent pleinement les principes contenus dans la convention.
  967. 577. Enfin, pour ce qui est du transfert des biens des organisations syndicales dissoutes, la commission estime que ce problème doit être résolu en se référant à la situation de pluralisme syndical qui existait avant la proclamation de la loi martiale. Pour que les principes de la liberté syndicale en la matière soient respectés, la désignation des organisations appelées à recevoir les biens des syndicats dissous ne pourra se faire que lorsque le pluralisme syndical pourra être effectivement exercé en pratique. La commission recommande donc au gouvernement d'étudier, dans cette perspective, un système de dévolution des biens qui permettrait que ceux-ci soient attribués aux véritables successeurs des organisations dissoutes.
  968. 578. En conclusion, et compte tenu de ce qui précède, la commission recommande que le gouvernement de la Pologne indique régulièrement, dans ses rapports présentés au titre de l'article 22 de la Constitution de l'OIT sur l'application des conventions n° 87 et 98, les mesures qui auront été, tant en droit qu'en pratique, prises au cours de chaque période considérée pour donner effet aux recommandations formulées ci-dessus ainsi qu'à celles d'ordre plus général qui figurent dans les paragraphes ci-après. La commission ne considère pas possible de fixer des dates précises auxquelles de telles informations devraient être fournies; comme la durée pour laquelle une telle procédure demeurera nécessaire dépend du rythme des progrès qui auront été faits, elle estime préférable de laisser cette question à l'appréciation de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations.
  969. 579. L'article 28 de la Constitution de l'OIT prévoit que la commission d'enquête, en consignant ses constatations et ses recommandations, indiquera les délais dans lesquels les mesures qu'elle préconise devraient être prises. La situation que traverse la Pologne ne peut certes être rétablie du jour au lendemain. Parmi les mesures recommandées par la commission, il en est qui appellent sans doute des délais de réflexion, de consultation, parfois aussi d'exécution. Il n'en reste pas moins que l'urgence de certaines d'entre elles est telle que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations devrait déjà pouvoir, lors de sa session de mars 1985, faire rapport sur les mesures prises par le gouvernement dans ces domaines au cours des mois précédant immédiatement cette session.
  970. 580. Les diverses recommandations qui viennent d'être présentées doivent être considérées dans le cadre de la situation générale qui prévaut en Pologne et elles ne sauraient avoir de signification que dans la mesure où cette situation évolue de manière à permettre leur réalisation.
  971. 581. Au cours des quatre années qui viennent de s'écouler, les importants événements qui se sont succédé en Pologne se rattachent dans une large mesure à la situation syndicale du pays. Ils ont été brièvement rappelés au début du présent rapport.
  972. 582. Les événements en question ont abouti, à l'heure actuelle, à une situation dont nul ne saurait considérer qu'elle soit normale et encore moins satisfaisante.
  973. 583. Certes, après une période de forte tension, une certaine accalmie s'est produite. Une loi syndicale a été adoptée le 8 octobre 1982, la loi martiale a été suspendue puis levée, une loi d'amnistie a été adoptée le 21 juillet 1983 et la plupart des personnes détenues ont été libérées. Certains syndicats se sont créés, mais leur représentativité est manifestement limitée.
  974. 584. La tension et les difficultés sont cependant loin d'avoir disparu. Des personnes, notamment d'anciens syndicalistes, sont encore arrêtées et détenues, des condamnations sévères ont été prononcées et les libertés civiles ne sont pas pleinement rétablies. La loi syndicale, comme on l'a vu, tout en apportant sur divers points un certain progrès, comporte de sérieuses limitations. Notamment le droit pour les travailleurs de créer librement les syndicats de leur choix, qui suppose la possibilité légale de pluralisme et qui avait été reconnu - conformément à la convention n° 87, ratifiée par la Pologne - de septembre 1980 à décembre 1981, n'a pas été consacré de nouveau par les textes adoptés jusqu'ici. Si la législation syndicale actuelle a encore, sur certains points, un caractère provisoire, nul ne peut encore prévoir la forme définitive qu'elle prendra au cours des prochains mois et années. Le gouvernement n'a pas fait part de ses intentions et la commission n'a pas pu relever d'indice à ce sujet. La situation économique générale continue à connaître de graves difficultés. La tension subsiste toujours dans le pays et une large partie de la population semble conserver un attachement aux principes et aux organisations syndicales reconnus entre septembre 1980 et décembre 1981.
  975. 585. Un effort résolu s'impose à tous pour sortir de l'impasse où se trouve le pays. Les problèmes ont surgi du fait que les activités du mouvement syndical Solidarité ont paru aux pouvoirs publics contraires aux intérêts du pays et au bon fonctionnement du système politique établi en Pologne. La commission est consciente qu'une situation de pluralisme syndical peut être difficile à concilier avec un système politique à parti unique ou dominant. Elle est cependant convaincue qu'il devrait être possible de parvenir à une situation qui assure l'observation effective des conventions sur la liberté syndicale sans mettre en cause les intérêts généraux et les conceptions dont s'inspire le régime du pays. En effet, les normes de la liberté syndicale ont une portée universelle par vocation et aussi comme il ressort du large éventail des ratifications dont elles ont fait l'objet de la part de pays ayant les régimes politiques les plus variés. Ces normes devraient donc pouvoir être observées indépendamment du régime politique, ainsi que l'ont montré d'ailleurs la législation et la pratique de la Pologne à une date récente.
  976. 586. La question présente cependant diverses difficultés, que le gouvernement devrait s'attacher à résoudre, et cela ne saurait être impossible. Dans le cas présent, la commission doit constater que les questions de liberté syndicale dont l'examen lui a été confié dépendent dans une large mesure de l'évolution générale que pourra connaître le pays.
  977. 587. Pour que les conventions nos 87 et 98 soient pleinement observées en Pologne, il est évidemment indispensable que la législation fasse l'objet de modifications tendant à la mettre en conformité avec ces textes. Nécessaire, cette condition n'est cependant pas suffisante. L'application effective des conventions sur la liberté syndicale n'est pas simplement une affaire de textes. Elle dépend aussi dans une large mesure du contexte général, des relations qui s'établissent entre travailleurs, employeurs et pouvoirs publics et du climat de liberté, de dialogue et de respect réciproque dans lequel ces relations s'établissent. Il est incontestable que des progrès sensibles restent à faire dans ce domaine.
  978. 588. La commission considère qu'une des premières mesures qui seraient souhaitables à cet égard serait l'instauration d'échanges de vues libres et sans préjugés entre les pouvoirs publics et les représentants des divers courants syndicaux qui se sont formés à diverses dates ces dernières années dans le pays, et cela en vue de rétablir l'harmonie et l'accord nécessaires pour la reprise d'une activité syndicale fondée sur les normes des conventions de l'OIT. Une telle harmonie ne serait du reste pas bénéfique du seul point de vue de la situation syndicale. Elle serait essentielle, d'une manière plus générale, pour un démarrage effectif de l'activité économique et un assainissement des conditions générales de vie dans le pays.
  979. 589. Si cette recommandation générale s'adresse au premier chef au gouvernement, du fait qu'il détient le pouvoir, la commission considère que, pour leur part, les responsables des divers courants syndicaux devraient y répondre par un effort parallèle pour rétablir l'entente nationale, en consacrant tous leurs efforts au fonctionnement d'un syndicalisme normal et en contribuant, par leur action, à faire sortir le pays de ses difficultés actuelles. C'est, en d'autres termes, par un dialogue ouvert et constructif entre les divers éléments représentatifs du pays, fondé sur le souci de rechercher en commun les solutions qu'appellent les intérêts supérieurs de l'Etat aussi bien que ceux des travailleurs, et dans le respect des obligations internationales de la Pologne, que la situation syndicale pourra évoluer véritablement vers la normale.
  980. 590. Un tel développement ne saurait du reste survenir que dans un climat général de confiance et de liberté. Un tel climat suppose et appelle un effort général de compréhension et d'entente de tous les intéressés. Les premières mesures prises par le gouvernement en suspendant la loi martiale et en relâchant la plupart des personnes détenues pourraient aller dans ce sens si cette voie était largement et généreusement suivie par la libération et l'amnistie de tous les travailleurs encore en prison ou déjà condamnés en raison des événements récents, par l'abolition de toutes mesures d'exception et par le plein rétablissement du droit d'expression et de réunion. Il serait de la plus grande importance, pour la pleine observation des conventions sur la liberté syndicale, que, comme le prévoit l'Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, adopté à Helsinki en 1975, le gouvernement de la Pologne, qui a souscrit à cet acte, "favorise et encourage l'exercice effectif des libertés et droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et autres qui découlent tous de la dignité inhérente à la personne humaine et qui sont essentiels à son épanouissement libre et intégral".
  981. 591. Une vie syndicale normale appelle, notamment, la suppression de tout sentiment de contrainte parmi les travailleurs et l'établissement d'une atmosphère dans laquelle ceux-ci ne sentent pas de restriction. Les pouvoirs publics devraient garder à l'esprit, après la période tendue qu'a connue le pays, la nécessité de rétablir pleinement les libertés civiles énoncées dans la résolution adoptée par la Conférence internationale du Travail de 1970 et dans le Pacte relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la Pologne, notamment pour ce qui est de la protection contre les arrestations arbitraires et de la liberté d'opinion et d'expression dans la mesure où celles-ci sont nécessaires pour permettre aux organisations de travailleurs et d'employeurs de promouvoir et de défendre les intérêts de leurs membres.
  982. 592. De ce point de vue général aussi, la commission est convaincue que tous les gestes des pouvoirs publics dans ce sens ne pourraient que rencontrer la bonne volonté et la coopération des divers courants syndicaux et généralement de l'ensemble du pays.
  983. 593. Il est des moments dans la vie des nations où le choix entre, d'une part, la division, la tension sociale et même la confrontation et, d'autre part, la réconciliation et l'harmonie apparaît clairement et où le doute ne devrait pas être permis. La voie que recommande la commission n'est sans doute pas la plus facile. Il semble bien pourtant que c'est celle que souhaite le peuple polonais. Certes, cette voie ne pourra pas être suivie du jour au lendemain. C'est cependant la seule qui, en même temps qu'elle assurerait le respect des conventions sur la liberté syndicale, permettrait à la Pologne de retrouver son unité et de tourner une nouvelle page de sa longue et si souvent douloureuse histoire.
  984. Genève, le 2 mai 1984.
  985. (Signé) Nicolas Valticos, président. Andrès Aguilar. Jean-François Aubert.
  986. En présentant ce rapport, les membres de la commission désirent remercier M. Francis Blanchard, Directeur général du BIT, ainsi que le personnel des services intéressés du Bureau de l'appui qu'ils leur ont pleinement apporté aux divers stades de la procédure. Ils souhaitent en particulier souligner leur vive appréciation pour le travail accompli et l'assistance accordée par les membres du secrétariat mis à leur disposition, et notamment M. B. Gernigon, ainsi que M. K. T. Samson, Mmes J. Ancel-Lenners et A. J. Pouyat-Donsimoni, Mlle M. Chuard et Mme Y. Piriou. Le volume et la qualité du travail effectué, de même que la haute conscience dont les membres du secrétariat ont fait preuve, leur valent la profonde reconnaissance de la commission.
  987. N.V. A.A. J.-F.A.
  988. ANNEXE I
  989. Communication adressée le 24 juin 1983 par M l'ambassadeur représentant permanent de la République populaire de Pologne à Genève au Directeur général du BIT
  990. (Traduit de l'anglais)
  991. Monsieur le Directeur général,
  992. Sur instruction de mon gouvernement, j'ai l'honneur de vous communiquer ce qui suit:
  993. Le gouvernement de la République populaire de Pologne rejette catégoriquement la décision du Conseil d'administration du BIT en date du 23 juin 1983 instituant une commission d'enquête au sujet de la Pologne. Ainsi la campagne déclenchée contre la Pologne au sein de l'Organisation internationale du Travail a franchi un degré supplémentaire. C'est là une nouvelle manifestation de la détermination artificielle, fondée sur des motifs politiques, de maintenir par tous les moyens le prétendu "cas polonais" à l'ordre du jour de l'OIT, sans tenir compte des multiples conséquences de cette décision qui met en danger la coopération internationale au sein de l'Organisation. Cette ingérence dans les affaires intérieures de la Pologne atteste que l'OIT est utilisée d'une manière contraire à l'esprit et à la lettre de sa Constitution et que cette pratique sape l'autorité et la crédibilité de l'Organisation.
  994. Dans ces circonstances, conformément à la déclaration du gouvernement de la République populaire de Pologne du 31 mai 1983 concernant ses relations avec l'Organisation internationale du Travail, la Pologne suspend sa coopération avec l'OIT.
  995. La responsabilité de cette décision - qui aurait pu être évitée pour peu que les organes concernés et le Bureau international du Travail lui-même aient fait preuve de bonne volonté - incombe à certains milieux hostiles à la République populaire de Pologne. Dans le même temps, selon l'attitude que l'Organisation manifestera à l'égard de la Pologne, le gouvernement de la République populaire de Pologne se réserve le droit de prendre d'autres mesures qu'il jugera appropriées au sujet de l'appartenance de la Pologne à l'OIT.
  996. Je vous serais obligé de bien vouloir diffuser cette lettre en tant que document officiel de l'Organisation internationale du Travail.
  997. Je vous prie d'agréer, Monsieur le Directeur général...
  998. Stanislaw Turbanski, Ambassadeur
  999. ANNEXE II
  1000. Communication adressée le 24 juin 1983 par le Directeur général du BIT à M l'ambassadeur représentant permanent de la République populaire de Pologne à Genève
  1001. (Traduit de l'anglais)
  1002. Monsieur l'Ambassadeur,
  1003. J'ai pris note avec regret de la décision de la République populaire de Pologne de suspendre sa coopération avec l'OIT à la suite de la désignation, le 23 juin 1983, des membres de la Commission d'enquête instituée pour examiner la plainte concernant la non-application par la Pologne de la convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, de 1948, et de la convention (n° 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, de 1949. Je regrette d'autant plus cette décision que je suis personnellement convaincu qu'une commission d'enquête peut fournir un moyen valable de parvenir à une solution mutuellement acceptable, à laquelle je demeure attaché.
  1004. Me permettrai-je également de rappeler à cet égard que la nomination de la commission d'enquête se fonde sur les dispositions de la Constitution auxquelles votre gouvernement a souscrit de par son adhésion à l'Organisation, et sur les obligations que votre gouvernement a librement acceptées en ratifiant les conventions en question.
  1005. Je communiquerai les textes de votre lettre et de ma réponse au Bureau du Conseil d'administration et je porterai ces textes à la connaissance du Conseil d'administration lors de sa 224ème session, en novembre prochain.
  1006. Veuillez agréer, Monsieur l'Ambassadeur...
  1007. Francis Blanchard
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