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RECLAMATION (article 24) - FRANCE - C087, C098, C111, C158 - 2007

Confédération générale du travail - Force ouvrière

Clos

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Rapport du comité chargé d examiner la réclamation alléguant l'inexécution par la France des conventions (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, et (no 158) sur le licenciement, 1982, présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Confédération générale du travail - Force ouvrière

Rapport du comité chargé d examiner la réclamation alléguant l'inexécution par la France des conventions (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, et (no 158) sur le licenciement, 1982, présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Confédération générale du travail - Force ouvrière

Decision

Decision
  1. Conventions nos. 111 et 158: le Conseil d'Administration a adopté le rapport du comité tripartite. Procédure close. Conventions nos. 87 et 98: déférée au CLS (cas n° 2457). Rapport n° 348, novembre 2007 (plainte retirée)

La procédure de plainte

La procédure de plainte
  1. I. Introduction
  2. 1. Par une communication en date du 25 août 2005, la Confédération générale du travail-Force ouvrière, invoquant l article 24 de la Constitution de l OIT, a adressé au Bureau international du Travail une réclamation alléguant l inexécution par la France des conventions (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, (no 98) sur le droit d organisation et de négociation collective, 1949, (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, et (no 158) sur le licenciement, 1982.
  3. 2. La convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, et la convention (no 158) sur le licenciement, 1982, ont été ratifiées par la France, respectivement le 28 juin 1951, le 26 octobre 1951, le 28 mai 1981 et le 16 mars 1989. Ces conventions sont en vigueur pour ce pays.
  4. 3. Les dispositions de la Constitution de l Organisation internationale du Travail concernant la soumission des réclamations sont les suivantes.
  5. ARTICLE 24
  6. Toute réclamation adressée au Bureau international du Travail par une organisation professionnelle des travailleurs ou des employeurs, et aux termes de laquelle l un quelconque des Membres n aurait pas assuré d une manière satisfaisante l exécution d une convention à laquelle ledit Membre a adhéré, pourra être transmise par le Conseil d administration au gouvernement mis en cause et ce gouvernement pourra être invité à faire sur la matière telle déclaration qu il jugera convenable.
  7. ARTICLE 25
  8. Si aucune déclaration n est reçue du gouvernement mis en cause dans un délai raisonnable, ou si la déclaration reçue ne paraît pas satisfaisante au Conseil d administration, ce dernier aura le droit de rendre publique la réclamation reçue et, le cas échéant, la réponse faite.
  9. 4. Conformément à l article 1 du Règlement relatif à la procédure à suivre pour l examen des réclamations au titre des articles 24 et 25 de la Constitution de l OIT, tel que révisé par le Conseil d administration à sa 291e session (novembre 2004), le Directeur général a accusé réception de la réclamation, en a informé le gouvernement de la France et l a transmise au bureau du Conseil d administration.
  10. 5. A sa 294e session (novembre 2005), le Conseil d administration a déclaré la réclamation recevable et désigné un comité chargé de l examiner, composé de M. Paolo Reboani (membre gouvernemental, Italie), M. Michel Barde (membre employeur, Suisse) et M. Ulf Edström (membre travailleur, Suède). Lors de sa 296e session (juin 2006), le Conseil d administration a désigné Mme Francesca Pelaia (membre gouvernementale, Italie), pour présider les travaux du comité en remplacement de M. Reboani.
  11. 6. Par ailleurs, les questions relatives aux conventions (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et convention (nº 98) sur le droit d organisation et de négociation collective, 1949, ont été transmises au Comité de la liberté syndicale pour examen, conformément aux dispositions de l article 3, paragraphe 2, du règlement précité.
  12. 7. Par une communication du 25 janvier 2006, la Confédération générale du travail-Force ouvrière a envoyé des informations complémentaires relatives à sa réclamation. Le gouvernement de la France a présenté ses observations dans deux communications datées du 16 mars et du 16 mai 2006.
  13. 8. A sa session de novembre 2006, le comité a décidé de demander des informations et observations complémentaires à la Confédération générale du travail-Force ouvrière ainsi qu au gouvernement sur certains points. En réponse à cette demande, l organisation plaignante et le gouvernement ont transmis des communications, datées respectivement du 8 février 2007 et du 26 mars 2007, dont le résumé figure dans la partie III du présent rapport. Une nouvelle communication du gouvernement datée du 27 septembre 2007 a également été reçue.
  14. 9. Le comité s est réuni le 6 novembre 2007 pour examiner le cas et adopter son rapport.
  15. II. Examen de la réclamation
  16. Allégations de l organisation plaignante
  17. 10. Dans sa communication du 25 août 2005, l organisation plaignante allègue que l ordonnance no 2005-892 relative à l aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises (ci-après l ordonnance no 2005-892) et l ordonnance no 2005-893 relative au contrat de travail «nouvelles embauches» (ci-après l ordonnance no 2005-893), adoptées par le gouvernement le 2 août 2005, en vertu de la loi d habilitation no 2005-846 du 26 juillet 2005, tendent à enfreindre plusieurs dispositions des conventions de l OIT ratifiées par la France.
  18. 11. L organisation plaignante se réfère à l article 1 de l ordonnance no 2005-892, qui prévoit un nouvel alinéa à l article L.620-10 du Code du travail, en vertu duquel «le salarié embauché à compter du 22 juin 2005 et âgé de moins de 26 ans n est pas pris en compte dans le calcul de l effectif du personnel de l entreprise dont il relève, quelle que soit la nature du contrat qui le lie à l entreprise». L organisation plaignante fait valoir que, en vertu de cette disposition qui, aux termes de l ordonnance, est applicable jusqu au 31 décembre 2007, les entreprises pourraient se soustraire aux obligations devant normalement leur incomber lorsque l effectif de leur personnel atteint un des seuils fixés par le Code du travail et les autres législations. Dans certains secteurs, embauchant majoritairement des jeunes travailleurs, les entreprises seraient de droit libérées des obligations liées au déclenchement d un seuil. L organisation plaignante considère que cette disposition va à l encontre des dispositions de la convention no 111, qui ont pour but de protéger les travailleurs contre les discriminations en matière d emploi et de profession. Sans contester la nécessité de politiques favorisant l emploi des jeunes, elle considère que le gouvernement ne pourrait pas invoquer l article 5, paragraphe 2, de la convention no 111 en vertu duquel «(t)out Membre peut, après consultation, là où elles existent, des organisations représentatives d employeurs et de travailleurs, définir comme non discriminatoires toutes autres mesures spéciales destinées à tenir compte des besoins particuliers de personnes à l égard desquelles une protection ou une assistance spéciale est, d une façon générale, reconnue nécessaire pour des raisons telles que le sexe, l âge, l invalidité, les charges de famille ou le niveau social ou culturel». Pour l organisation plaignante, la possibilité de déduire de l effectif de l entreprise les salariés de moins de 26 ans ne peut être assimilée à une mesure positive prenant en compte les besoins particuliers de personnes et permettant ainsi une protection ou une assistance spéciale, au sens de la convention no 111. Selon elle, bien au contraire, elle conduit à affaiblir et même à annuler la protection ou l assistance apportée par l obligation de reconnaissance du syndicat et de la représentation du personnel dans l entreprise.
  19. 12. En outre, l organisation plaignante indique que le gouvernement fait la promotion de l effet cumulatif de cette mesure avec le contrat «nouvelles embauches» (ci-après CNE) instauré par l ordonnance no 2005-893, qui introduit une nouvelle forme de contrat de travail pour les entreprises de 20 salariés au plus et autoriserait l employeur pendant une période de deux ans à se séparer sans motif d un salarié engagé selon les modalités du CNE.
  20. 13. Selon l organisation plaignante, ces nouvelles dispositions inciteraient les entreprises à privilégier l embauche de salariés de moins de 26 ans sous contrats «nouvelles embauches» afin de pouvoir, par le jeu de la rotation entre embauches et licenciements successifs, s exonérer en permanence des obligations liées au déclenchement d un seuil. L organisation plaignante considère que cette nouvelle législation introduit une discrimination générale fondée sur l âge, affaiblissant notamment la protection en cas de licenciement.
  21. 14. L organisation plaignante estime que les dispositions de l ordonnance no 2005-893 ne sont pas conformes à l article 4 de la convention no 158, aux termes duquel un «travailleur ne devra pas être licencié sans qu il existe un motif valable de licenciement». Durant les deux premières années à compter de la date de sa conclusion, le CNE n est pas soumis aux dispositions protectrices du Code du travail relatives à la rupture du contrat de travail et au licenciement économique (art. L.122-4 à L.122-11, L.122-13 à L.122-14-14 et L.321-1 à L.321-17). En outre, l organisation plaignante indique que, malgré les dispositions prévues en matière de préavis et d indemnité, le CNE permettrait à l employeur de rompre le contrat à tout moment et au moindre coût, sans avoir à justifier d aucun motif avec une simple notification par lettre recommandée au salarié.
  22. 15. L organisation plaignante fait valoir que si l article 2, paragraphe 2, de la convention no 158 prévoit la possibilité d exclure de son champ d application «les travailleurs effectuant une période d essai» c est sous la «condition que la durée de celle-ci ( ) soit raisonnable». Le CNE, qui établit une période d essai de deux ans pour un contrat de travail à durée indéterminée, ne satisfait pas à cette exigence de durée raisonnable au sens de la convention. L organisation plaignante estime qu une telle durée contraint les salariés à une précarité permanente.
  23. 16. Selon l organisation plaignante, en se bornant à interdire la conclusion d un nouveau CNE entre le même employeur et le même salarié avant que ne soit écoulé un délai de trois mois à compter du jour de la rupture du précédent contrat, le dispositif n empêche pas la possibilité d une utilisation permanente de ce type de contrat. En effet, dans le guide d utilisation du CNE publié sur le site du gouvernement à l intention des entreprises, cette possibilité est prévue dans la mesure où «aucun délai de carence n est prévu ( ) entre la rupture d un CNE et l embauche d un autre salarié en CNE sur le même poste».
  24. 17. L organisation plaignante souligne également que le CNE concernera, dans certains secteurs d activité et dans certaines régions, la quasi-totalité des salariés, compte tenu de la proportion importante d entreprises de moins de 20 salariés. Les dispositions du paragraphe 5 de l article 2 de la convention no 158 ne peuvent s appliquer au CNE qui vise toutes les catégories de salariés pouvant être engagés dans les entreprises de 20 salariés au plus.
  25. 18. L organisation plaignante allègue également que le CNE est, dans sa lettre et dans son esprit, contraire à la recommandation (nº 166) sur le licenciement, 1982, et, en particulier, à son paragraphe 3, qui préconise des «garanties adéquates» contre le recours aux contrats de travail à durée déterminée visant à éluder la protection découlant de la convention no 158. Elle déclare que le CNE peut être assimilé dans sa forme et dans son objectif à un contrat quasi permanent à durée déterminée, dont la seule fin est d éluder à la fois la protection offerte par le contrat à durée indéterminée et les réglementations protectrices prévues pour les contrats à durée déterminée et les contrats intérimaires.
  26. 19. Pour conclure, l organisation plaignante indique que l ordonnance no 2005-893 prévoit en son article 5 que les conditions de mise en ÷uvre du CNE et ses effets sur l emploi feront l objet, au plus tard au 31 décembre 2008, d une évaluation par une commission associant les organisations d employeurs et de salariés représentatives au plan national et interprofessionnel. Elle rappelle que la Commission de l Assemblée nationale des affaires culturelles, familiales et sociales, dans son rapport du 23 juin 2005 «sur le projet de loi habilitant le gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d urgence pour l emploi», avait déjà indiqué que le nouveau contrat devait être considéré comme une expérimentation devant être suivie de près, afin d évaluer notamment l opportunité d un élargissement ultérieur de son champ d application.
  27. Informations complémentaires
  28. 20. Dans la communication de l organisation plaignante datée du 25 janvier 2006, les informations complémentaires transmises au Bureau international du Travail portent sur la décision du gouvernement de créer un autre nouveau type de contrat le «contrat première embauche» (ci-après le CPE), ouvert à tous les jeunes de moins de 26 ans embauchés dans des entreprises de plus de 20 salariés. Selon l organisation plaignante, ce CPE, créé sur le modèle du CNE, instaure une période dite de consolidation de l emploi de deux ans au cours de laquelle l employeur peut rompre sans aucun motif le contrat de travail, par une simple notification par lettre recommandée au salarié. De l avis de l organisation plaignante, le CPE constitue une violation supplémentaire de la convention no 158 et introduit une nouvelle mesure discriminatoire à l encontre des jeunes de moins de 26 ans, en violation de la convention no 111.
  29. Observations du gouvernement
  30. 21. S agissant de l ordonnance no 2005-892, le gouvernement observe que la réclamation n établit pas en quoi le fait de ne pas compter un salarié de moins de 26 ans dans les effectifs de l entreprise le priverait de la protection due à tout travailleur contre tout acte de discrimination ayant pour effet de détruire ou d altérer l égalité des chances ou de traitement en matière d emploi ou de profession. Il n est pas davantage établi qu une quelconque disposition de l ordonnance ait pu constituer un obstacle dans l accès à l emploi et aux différentes professions, à la formation professionnelle ou dans les conditions d emploi.
  31. 22. Le gouvernement rappelle que l ordonnance no 2005-892 concerne l aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises et qu à l instar de ce que prévoit déjà le Code du travail pour les embauches effectuées sous contrat d apprentissage (art. L.117 11 1) ou sous contrat aidé (art. L.322-4-9), les jeunes de moins de 26 ans ne sont pas ici pris en compte dans le calcul des effectifs de l entreprise permettant le déclenchement des seuils à l origine de certaines obligations y compris financières de l employeur prévues, notamment, par le Code du travail.
  32. 23. Le gouvernement fait valoir que cette mesure est justifiée par les difficultés actuelles d insertion professionnelle des jeunes et qu elle est destinée à favoriser leur embauche en n exposant pas les capacités financières des entreprises. Les effets de seuil créent des coûts cumulatifs, rendant beaucoup plus coûteuse l embauche du travailleur qui déclenche un seuil, d où il résulte un effet statistiquement mesurable sur l emploi.
  33. 24. En outre, l ordonnance no 2005-892 est une mesure à caractère provisoire qui doit cesser de produire ses effets au 31 décembre 2007, date à laquelle les jeunes embauchés depuis le 22 juin 2005 seront alors comptés dans les effectifs de l entreprise selon les règles de droit commun. Le fait de ne pas décompter provisoirement dans l effectif de l entreprise les jeunes de moins de 26 ans n a pas de conséquence sur leur situation individuelle, que ce soit en termes d embauche, de conditions de travail, d avantages offerts aux autres salariés ou de protection par la législation générale en matière de discrimination.
  34. 25. Enfin, le gouvernement attire l attention du comité sur le fait que l exécution des dispositions de l ordonnance no 2005-892 a été suspendue, suite à la décision du Conseil d Etat du 23 novembre 2005, dans l attente de la décision de la Cour de justice des Communautés européennes saisie d une question préjudicielle relative à l application du droit communautaire dans cette affaire. Le gouvernement considère que, vu le caractère provisoire de ces mesures et la limite de validité fixée fin 2007 et compte tenu des délais de procédure, les dispositions de l ordonnance no 2005-892 ne sont pas susceptibles, dans un proche avenir, d une mise en ÷uvre effective.
  35. 26. S agissant de l ordonnance no 2005-893 relative au CNE, le gouvernement indique qu elle s inscrit dans le droit fil du discours de politique générale du 8 juin 2005, dans lequel le Premier ministre a fait de la lutte contre le chômage la priorité absolue du gouvernement. Avec un taux de chômage de plus de 10 pour cent et certaines catégories particulièrement touchées (notamment les jeunes confrontés à de fortes difficultés d insertion durable dans l emploi), la situation de l emploi justifie que soient mises en ÷uvre, sans délai, des mesures fortes, pragmatiques et efficaces destinées à relancer l emploi et la croissance. Le gouvernement se réfère à cet égard aux dispositions de l article 1 de la convention (no 122) sur la politique de l emploi, 1964, ratifiée par la France.
  36. 27. Dans un contexte de fortes variations d activité et de concurrence internationale accrue, plus de 70 pour cent des embauches se font en France sous la forme de contrats que le gouvernement qualifie de «précaires». La part des contrats à durée déterminée dans les embauches hors intérim est de 72 pour cent avec une durée moyenne de deux mois dans les petites entreprises. Le gouvernement constate également un développement important de l intérim notamment dans l industrie (le taux de salariés mis à disposition par le travail temporaire est passé de 2 pour cent en 1992 à 6,8 pour cent en 2002). La durée moyenne des missions d intérim est de deux semaines, 90 pour cent étant inférieures à un mois.
  37. 28. Le gouvernement rappelle que les petites entreprises, plus que d autres, sont exposées aux fluctuations d activité et n osent pas accroître leurs effectifs. Leurs dirigeants hésiteraient souvent à embaucher, alors même que leur plan de charge immédiat le leur permet. Leurs craintes résideraient non seulement dans la volatilité de l économie et les incertitudes liées à l évolution de leur marché, mais aussi dans les difficultés et incertitudes tant juridiques que financières à provoquer la rupture d un contrat de travail devenant nécessaire en raison de la conjoncture économique ou de la personne du salarié. Les chefs d entreprise seraient souvent réticents à recruter de façon pérenne, renonceraient à anticiper le développement de leur entreprise et privilégieraient le recours au travail temporaire ou à durée déterminée.
  38. 29. Le gouvernement considère que pour développer la création d emplois il est nécessaire d assouplir les procédures qui constitueraient un frein à l embauche et au développement économique. Pour les salariés, cela se traduirait par des opportunités d insertion dans l entreprise et dans l emploi, au lieu de rester au chômage ou de cumuler des contrats précaires de courte durée. En proposant une réponse à ce double objectif, le CNE constituerait une mesure essentielle de lutte contre le chômage.
  39. 30. Le gouvernement rappelle qu il a été habilité par la loi no 2005-846 du 26 juillet 2005, déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 2005-521 DC du 22 juillet 2005, à instituer par voie d ordonnance ce nouveau contrat de travail. Les règles de rupture du CNE sont aménagées durant les deux premières années suivant sa conclusion. Au terme de cette période, le contrat est alors soumis au régime de droit commun applicable au contrat de travail à durée indéterminée.
  40. 31. Le gouvernement indique que le CNE introduit entre les droits de l employeur et ceux du salarié un équilibre différent de celui qui prévaut pour les autres contrats de travail. Le CNE offre dans un premier temps suffisamment de souplesse à l entreprise pour permettre les adaptations rendues nécessaires par l activité tout en garantissant en contrepartie au salarié des indemnités financières supérieures à celles du droit commun. Le CNE reste néanmoins soumis aux dispositions du Code du travail, notamment celles d ordre public en matière de protection des représentants du personnel, des salariés victimes d accidents du travail ou de maladies professionnelles et des femmes enceintes. Le principe du contrôle juridictionnel des licenciements n est pas remis en cause.
  41. 32. Le gouvernement fait état de droits nouveaux et dérogatoires relatifs au préavis et aux indemnités de licenciement. En cas de rupture du CNE pendant la période de consolidation de deux ans, l employeur est tenu de respecter un préavis systématique dès l échéance du premier mois de présence dans l entreprise. Ce préavis est de 15 jours si, lors de la notification de la rupture, le contrat a été conclu depuis moins de six mois, et d un mois, si le contrat a été conclu depuis plus de six mois. Pour un salarié justifiant d une ancienneté de moins de six mois, le régime du préavis de licenciement serait donc plus favorable dans le cadre d un CNE que celui prévu pour un contrat de travail à durée indéterminée (art. L.122-6 1o du Code du travail).
  42. 33. L indemnité de licenciement, versée par l employeur au salarié sauf faute grave ou lourde, est de 8 pour cent de la rémunération totale due au salarié depuis la conclusion du CNE. Ce régime est plus favorable que celui du contrat de travail à durée indéterminée qui n ouvre droit à aucune indemnité de licenciement tant que le salarié ne justifie pas de deux ans d ancienneté (art. L.122-9 du Code du travail). A cette indemnité s ajoute une contribution de l employeur de 2 pour cent de la rémunération brute, recouvrée par les Assedic pour financer les actions d accompagnement renforcé du salarié et lui assurer un retour le plus rapide possible à l emploi. L ordonnance offre aux salariés, dont le contrat de travail est rompu au cours des premiers mois, une couverture complémentaire du risque chômage. Les salariés qui ne justifient pas d une ancienneté de six mois bénéficient d une allocation forfaitaire financée par l Etat pour une durée d un mois dont le contenu est précisé par le décret no 2005-894 du 2 août 2005.
  43. 34. En réponse aux allégations de l organisation plaignante sur l effet négatif d un éventuel roulement permanent de salariés titulaires de CNE sur un même poste, le gouvernement souligne que le coût plus élevé des ruptures de CNE serait dissuasif pour les entreprises en termes de gestion.
  44. 35. Le gouvernement indique que les partenaires sociaux ont été invités à étendre au bénéfice des salariés licenciés le dispositif de la convention de reclassement personnalisé institué par la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005. Le gouvernement déclare qu à défaut de négociation cette dernière mesure pourra être adoptée par décret.
  45. 36. Le gouvernement attire l attention du comité sur la possibilité pour les parties à un CNE de convenir de clauses plus favorables au salarié dans son contrat de travail, par exemple en matière de durée du préavis ou de montant de l indemnité de rupture. L ordonnance no 2005-893 fixe un cadre qui, le cas échéant, pourrait être aménagé par les parties en fonction de la nature de l activité ou de la situation particulière du salarié. De même, les conventions collectives de branche pourraient prévoir des clauses plus favorables que celles de l ordonnance précitée.
  46. 37. Se référant à l article 2, paragraphe 2, de la convention (no 158) sur le licenciement, 1982, le gouvernement observe que les Etats peuvent aménager le champ d application de ces garanties et, en particulier, décider d en exclure les catégories de salariés suivantes:
  47. «les travailleurs engagés aux termes d un contrat de travail portant sur une période déterminée ou une tâche déterminée»;
  48. «les travailleurs effectuant une période d essai ou n ayant pas la période d ancienneté requise, à condition que la durée de celle-ci soit fixée d avance et qu elle soit raisonnable»;
  49. «les travailleurs engagés à titre occasionnel pour une courte période».
  50. 38. Les dispositions nationales critiquées par l organisation plaignante renvoient précisément à une catégorie de travailleurs n ayant pas la période d ancienneté requise, selon les termes de la convention. En effet, les dispositions de l ordonnance no 2005-893 aménagent un processus devant permettre d aller d un recrutement facilité à un accès à un contrat de travail à durée indéterminée, grâce à la consolidation acquise à travers cette période de constitution de l ancienneté requise.
  51. 39. Les conditions de licenciement et les mesures dérogatoires d indemnisation et d accompagnement pendant les deux premières années de la conclusion du contrat de travail constituent une période de consolidation de l emploi qui, selon le gouvernement, n est pas contraire aux dispositions de la convention. C est, d ailleurs, en ces termes que le ministère du Travail a présenté les outils d information à destination du public et des entreprises pour l utilisation du CNE: la période des deux premières années «est une période spécifique dite de consolidation de l emploi, qui permet notamment à un employeur de mesurer la viabilité économique et les perspectives de développement de son entreprise».
  52. 40. Le gouvernement indique que ces arguments ont été retenus par le Conseil d Etat qui, saisi par des organisations syndicales de la méconnaissance par l ordonnance attaquée des dispositions de la convention no 158, a rejeté leur requête dans sa décision du 19 octobre 2005, estimant que l ordonnance n excluait pas la possibilité de contester le licenciement devant un juge, d une part, et que, d autre part, elle entrait dans les dérogations prévues à l article 2 de la convention. La décision du Conseil d Etat considère que «la période de deux ans pendant laquelle est écartée l application des dispositions de droit commun relatives à la procédure de licenciement et aux motifs pouvant le justifier peut être regardée comme raisonnable au sens de ces stipulations».
  53. 41. Le gouvernement a conscience du fait que la décision du Conseil d Etat ne préjuge pas des discussions conduites au sein des autres instances et dans le cadre des règles de procédure définies par la Constitution de l OIT. Cependant, la décision du Conseil d Etat constitue un témoignage du contexte dans lequel ont été décidés des dispositifs tels que le CNE, dont l objet est de réduire le chômage en associant mesures favorables à l emploi et mesures offrant des garanties complémentaires.
  54. 42. Le gouvernement constate qu après la conclusion de plus de 300 000 CNE quelques ruptures ont déjà fait l objet de contentieux devant les conseils de prud hommes. Le licenciement pendant la phase de consolidation de deux ans n est en aucun cas discrétionnaire et les conditions de légalité dans lesquelles il intervient peuvent être soumises à l appréciation du juge. Par ailleurs, la jurisprudence sanctionnant l abus de droit pourrait s appliquer au CNE. A ce titre, un licenciement qui révélerait, par exemple, une intention de nuire ou un montage visant à contourner le droit du travail sera considéré comme abusif et ouvrira droit à des dommages et intérêts dans les conditions du droit commun.
  55. 43. Le gouvernement se réfère à l étude d ensemble sur la protection contre le licenciement injustifié, de 1995, dans laquelle sont mentionnés plusieurs Etats qui recourent à un mécanisme de construction progressive des droits du salarié en matière de licenciement. La durée pendant laquelle s applique ce mécanisme varie d un pays à l autre, voire d une catégorie de salariés à une autre. Pour le gouvernement, il faut tenir compte de l économie générale du dispositif mis en place et, notamment, du fait que pendant la période considérée les travailleurs sont soumis à un régime spécial qui leur offre globalement une protection au moins équivalente à celle offerte par la convention, et supérieure à celle procurée par les emplois précaires dont ils auraient été destinataires si le CNE n avait pas été instauré. Cet équilibre d ensemble répond précisément au souci exprimé par l article 2, paragraphe 4, de la convention.
  56. 44. Selon le gouvernement, dans le cas du CNE, les dérogations au droit commun du licenciement ont pour contrepartie le renforcement des droits du salarié en matière d indemnisation et de retour à l emploi. Les parties à un CNE peuvent aussi en aménager les dispositions dans un sens plus favorable au salarié. Les mesures prises sont justifiées par les exigences d une politique active en matière d emploi et doivent être regardées comme relevant des dispositions de l article 2 de la convention no 158.
  57. 45. Le gouvernement considère que l ordonnance no 2005-893 n est pas contraire aux dispositions de l article 4 de la convention, qui impose l existence d un motif valable de licenciement «lié à l aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l entreprise, de l établissement ou du service». Demeurent interdits les licenciements qui seraient prononcés pour un motif lié à l état de santé du salarié, à ses opinions politiques ou religieuses, à ses m÷urs ou pour l un des motifs de discrimination visés à l article L.122-45 du Code du travail.
  58. 46. Par ailleurs, le gouvernement souligne que le CNE est, aux termes de l ordonnance no 2005-893, un contrat conclu «sans détermination de durée». Le salarié a une plus grande chance de voir pérenniser sa relation de travail que s il était soumis à un contrat de travail à durée déterminée. Au regard des dispositions du paragraphe 3, alinéa 2 a), de la recommandation (no 166) sur le licenciement, 1982, le droit français se rapproche ainsi de l objectif de «restreindre l utilisation de contrats à durée déterminée aux cas où, en raison soit de la nature du travail à effectuer, soit des conditions dans lesquelles ce travail doit être accompli, soit des intérêts du travailleur, la relation de travail ne pourrait avoir une durée indéterminée». L ordonnance exclut le recours au CNE pour pourvoir des emplois saisonniers ou des emplois pour lesquels il n est pas d usage de recourir au contrat à durée indéterminée.
  59. 47. Dans la communication datée du 16 mai 2006, le gouvernement indique que les changements intervenus au plan législatif rendent sans objet la partie de la réclamation concernant le contrat «première embauche» (CPE). Le Parlement a adopté la loi no 2006 457 du 21 avril 2006 sur l accès des jeunes à la vie en entreprise, modifiant l article 8 de la loi pour l égalité des chances (loi no 2006-396 du 31 mars 2006). Les nouvelles dispositions se sont substituées aux règles régissant le CPE.
  60. III. Réponses à la demande d informations complémentaires présentée par le comité
  61. 48. Le complément d informations demandé à l organisation plaignante ainsi qu au gouvernement (voir paragr. 8 ci-dessus) porte sur le CNE et sa conformité avec la convention no 158. Le premier groupe de questions formulées par le comité visait à obtenir des avis quant à savoir si les travailleurs qui ont conclu un CNE peuvent ou non être exclus du champ de la convention en vertu de son article 2, paragraphe 2, mentionné par le gouvernement (voir paragr. 37 à 39 ci-dessus). Il s agit de savoir en particulier si, comme l affirme le gouvernement, la période de consolidation de l emploi prévue par le CNE peut être considérée comme une «période d ancienneté requise» visée à l article 2, paragraphe 2 b), et si elle est d une durée «raisonnable». A ce sujet, le comité a sollicité des informations et des observations en ce qui concerne, en particulier, la décision du 19 octobre 2005 adoptée par le Conseil d Etat, qui a considéré que la période de deux ans (voir paragr. 40) pouvait être regardée comme raisonnable, ainsi que les conclusions d autres organismes compétents.
  62. 49. L organisation plaignante fait valoir que considérer la période de consolidation de l emploi comme une période d ancienneté revient en tout état de cause à fausser l esprit de la convention no 158, car celle-ci est sans rapport avec le salarié à titre individuel. Les considérations mises en avant par le gouvernement en ce qui concerne la viabilité économique et les perspectives de développement de l entreprise ne peuvent être envisagées qu en rapport avec l article 2, paragraphe 5, de la convention qui, cependant, ne fait que prévoir la possibilité d exclure des catégories limitées de salariés au sujet desquels se posent des problèmes particuliers revêtant une certaine importance. L organisation plaignante se réfère à des contrats à durée déterminée qui sont destinés à donner à l entreprise une certaine souplesse en faveur de l emploi et précise que même ceux-ci ne peuvent être rompus que dans le cas de faute grave ou de force majeure. Pour juger du caractère raisonnable de la durée des périodes d essai ou périodes d ancienneté requises en vertu de l article 2, paragraphe 2 b), les considérations du gouvernement ne sont pas pertinentes. Seuls peuvent être pris en compte des facteurs tels que le temps nécessaire pour acquérir l expérience ou les qualifications requises. Les salariés recrutés avec un CNE ne bénéficient pas de la protection contre le licenciement pendant une période de deux ans et sont donc, dans la pratique, soumis à l équivalent d une période d essai de deux ans, ce qui ne saurait être considéré comme raisonnable. La plupart des conventions collectives envisagent une période d essai d une durée d un à trois mois. A propos de la décision du Conseil d Etat, l organisation plaignante fait remarquer que le commissaire du gouvernement a déclaré, dans ses conclusions: «nous serions assez réticents à vous proposer de considérer qu une période de deux ans durant laquelle est écartée l exigence d un motif valable de licenciement, d un licenciement causé, peut constituer une durée raisonnable. Au cas où vous jugeriez qu une telle durée est raisonnable, les risques de voir cette position contredite par le Conseil d administration du BIT ou par la Cour de cassation ne seraient pas négligeables.»
  63. 50. Le gouvernement confirme que la période de consolidation de deux ans (qui peut être écourtée par le contrat ou par voie d accord collectif) a été conçue comme une période d ancienneté (elle comporte une période d essai d un mois). Le but est de permettre la consolidation de la relation contractuelle à mesure que la petite entreprise se développe jusqu à ce qu elle s inscrive dans un contexte économique stabilisé à l issue de cette période de deux années. Pour déterminer si la période de consolidation est raisonnable au sens de la convention, il ne suffit pas de tenir compte de sa durée dans l absolu et du temps nécessaire pour acquérir les qualifications ou l expérience requises. Il faut aussi se référer à l objectif d intérêt public d activer le potentiel de création d emplois des petites entreprises et de leur fournir une forte incitation à recruter avec des contrats de durée indéterminée. D autres éléments pertinents doivent être pris en compte: la limitation du CNE aux petites entreprises, qui toutefois n exclut pas les travailleurs des petites entreprises en général du champ de la convention no 158, ce qui aurait été possible en vertu de l article 2, paragraphe 5; le caractère proportionné de la dérogation aux dispositions du droit commun, au sens où, pendant la période considérée de deux ans, le salarié n est pas privé de toute protection en vertu de la convention no 158; le nouvel équilibre des droits qui donne aux salariés recrutés sous CNE des conditions plus favorables de licenciement que dans le cas des contrats de durée indéterminée; l aide spéciale pour la recherche d un nouvel emploi. Le maintien des protections existantes ainsi que l application de nouveaux droits sont des facteurs à considérer dans le contexte de la période de consolidation. Celle-ci est très différente d une période d essai qui autorise le licenciement sans préavis ni indemnité et qui doit nécessairement être de courte durée. Vu la confidentialité des délibérations entourant les décisions du Conseil d Etat, le gouvernement n a pu faire de déclaration faisant autorité quant aux considérations qui l ont conduit à conclure que la période de deux ans peut être regardée comme raisonnable. Néanmoins, il estime que quatre motifs ont été déterminants: la stricte délimitation en temps sur le plan du contenu, de la dérogation au droit commun; l introduction de nouveaux droits visant à assurer le retour à l emploi accéléré du salarié; le maintien du contrôle juridictionnel du CNE, y compris en cas de rupture; les objectifs de la politique d emploi en faveur des très petites entreprises.
  64. 51. Les autres questions du comité portaient sur la possibilité que les dérogations prévues par l ordonnance no 2005-893 n entrent pas dans le champ de l article 2, paragraphe 2, de la convention no 158. Elles se réfèrent à la mesure dans laquelle la protection prévue par la convention à l article 4, lu conjointement avec l article 7 (voir paragr. 72 ci-après), pourrait être assurée par les tribunaux. Dans quelle mesure les tribunaux pourraient-ils examiner la validité des licenciements? Par exemple, une résiliation faite juste avant l expiration de la période de deux ans pourrait-elle être déclarée nulle et non avenue en tant qu abus de droit par une juridiction? Comment les salariés sous CNE pourraient-ils connaître ou être en mesure de connaître le motif de leur licenciement et dans quelle mesure la charge de la preuve leur incomberait-elle?
  65. 52. L organisation plaignante déclare qu en tout état de cause la résiliation abusive mentionnée par le comité ne pourra être déclarée nulle et non avenue. Elle pourra donner lieu à l octroi de dommages et intérêts mais non à la réintégration du salarié. Les salariés licenciés alors qu ils sont embauchés sous CNE ne peuvent pas connaître le motif de leur licenciement et la charge de la preuve leur incombe pour établir l abus de droits; ils ne peuvent pas non plus réclamer des mesures d instruction, toutes les dispositions pertinentes du Code du travail ayant été rendues inapplicables, en particulier les articles L.122-14, L.122-14-2 et L.122-14-3. La règle applicable en droit commun en vertu de laquelle l employeur souhaitant rompre le contrat doit justifier d une cause réelle et sérieuse de licenciement ne s applique pas.
  66. 53. Le gouvernement fait observer que refuser de reconnaître la validité de la dérogation, cela reviendrait à déclarer invalides ipso facto tous les licenciements, puisque par définition la procédure contradictoire n aurait pas été respectée. Il met en garde contre l effet déstabilisateur que produirait un tel refus. Parallèlement, il souligne que tout recours juridictionnel relatif à la rupture du CNE pendant la période de consolidation des deux premières années bénéficie très exactement des mêmes règles protectrices que celles applicables à la rupture de l ensemble des autres contrats de travail. L ordonnance créant le CNE ne modifie pas les droits octroyés conformément à l article 5 de la convention no 158, ni les droits découlant de la législation relative à la discrimination et aux procédures disciplinaires. Certaines ruptures de CNE ont été annulées par les tribunaux, d autres ont été sanctionnées par des dommages et intérêts, dans des cas où l employeur n était pas en mesure de prouver le caractère existant et objectif, au regard du droit commun, du motif de rupture. La dérogation introduite par le CNE aux conditions habituelles de rupture du contrat a une portée réduite. Les droits procéduraux et en justice du salarié en cas de rupture sont préservés: s agissant de l article 7, la procédure contradictoire reste applicable pour tout licenciement présentant un caractère disciplinaire. S agissant de l article 4, si la dérogation porte sur l exigence d une cause réelle et sérieuse, cela ne signifie pas pour autant que le licenciement puisse être discrétionnaire. Il appartient en tout état de cause à l employeur de s expliquer devant le juge du motif justifiant le licenciement, lequel est soumis aux règles d ordre public, notamment celles qui interdisent la discrimination. La seule portée réelle du CNE est de faire en sorte que le contrôle du juge soit moins étendu que celui qu il exerce dans le cadre de la cause réelle et sérieuse.
  67. 54. L organisation plaignante et le gouvernement mentionnent aussi une évolution importante quoique encore peu manifeste au moment où ils ont établi leurs réponses, à savoir que la compétence des juridictions civiles saisies en appel contre les licenciements pour faire appliquer les dispositions pertinentes de la convention no 158 était reconnue. Dans une décision du 28 avril 2006, le conseil des prud hommes de Longjumeau (Essonne) a considéré que la période de deux ans prévue par le CNE dépasse la durée raisonnable envisagée par la convention no 158 et que, par conséquent, l ordonnance no 2005-893 ne peut recevoir application en droit français (selon l organisation plaignante, plusieurs jugements de conseils des prud hommes sont allés dans ce sens). L affaire ayant été portée en appel à la Cour de Paris, le préfet de l Essonne est intervenu afin d obtenir le dessaisissement du juge judiciaire, au motif que la légalité des actes administratifs tels que l ordonnance no 2005-893, y compris la question de leur compatibilité avec la législation internationale, relève des cours administratives. La Cour d appel de Paris a rejeté le déclinatoire de compétence déposé par le préfet de l Essonne et celui-ci a adopté un arrêté de conflit portant l affaire devant le tribunal des conflits. Par décision du 19 mars 2007, ce tribunal a considéré que l ordonnance no 2005-893 a été implicitement ratifiée par deux lois récentes qui mentionnent le CNE et qui maintenant ont force de loi (Note_1). Les juridictions civiles ont donc été reconnues compétentes pour évaluer la conformité de l ordonnance aux obligations internationales de la France en vertu de la convention no 158.
  68. IV. Evolution de la situation
  69. 55. Le comité a été informé du jugement rendu ultérieurement par la Cour d appel de Paris quant au fond de l affaire. Dans ce jugement daté du 6 juillet 2007, la cour considère notamment que «durant une période de deux années le contrat nouvelles embauches prive le salarié de l essentiel de ses droits en matière de licenciement» et «que dans ces conditions le contrôle de proportionnalité ne permet pas de considérer que le délai de deux années soit raisonnable; qu en conséquence ce texte ne peut invoquer à son profit le bénéfice implicite de la dérogation temporaire instituée par la convention no 158 à son application».
  70. 56. En outre, le comité a pris note d une lettre adressée au Bureau par l organisation plaignante le 16 juillet 2007, l informant de l arrêté du 6 juillet 2007 pris par la Cour d appel de Paris, mentionné ci-dessus, ainsi que de la décision du Conseil d Etat, datée également du 6 juillet 2007, annulant l ordonnance no 2005-892, dont l exécution avait été suspendue en vertu d une décision du Conseil d Etat datée du 23 novembre 2005, dans l attente de la décision de la Cour de justice des Communautés européennes, laquelle avait été saisie d une question préjudicielle concernant l application du droit communautaire dans cette affaire (voir paragr. 25 ci-dessus). Dans son arrêt du 18 janvier 2007 (affaire C 385-05), la Cour de justice européenne juge que la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 du Parlement européen et Conseil européen établissant un cadre général relatif à l information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne et la directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs doivent être interprétées en ce sens qu elles s opposent à une réglementation nationale qui exclut, fût-ce temporairement, une catégorie déterminée de travailleurs du calcul des seuils fixés dans les dispositions pertinentes de ces directives.
  71. V. Conclusions du comité
  72. 57. Le comité a établi ses conclusions en se basant sur les allégations de l organisation plaignante, les observations communiquées par le gouvernement dans le cadre de la présente procédure, les réponses de l organisation plaignante et du gouvernement aux questions formulées par le comité, ainsi que les informations précédemment communiquées par le gouvernement dans le cadre des rapports sur l application des conventions ratifiées au titre de l article 22 de la Constitution de l OIT. Les conclusions tiennent également compte des statistiques fournies par le gouvernement à la demande du comité ainsi que des observations présentées par l organisation plaignante à cet égard.
  73. 58. La loi no 2006-457 du 21 avril 2006 sur l accès des jeunes à la vie active en entreprise a modifié l article 8 de la loi du 31 mars 2006 pour l égalité des chances, en remplaçant le CPE par un soutien de l Etat aux employeurs qui concluraient des contrats à durée indéterminée, à temps plein ou à temps partiel avec des jeunes gens âgés de 16 à 25 ans révolus dont le niveau de formation est inférieur à celui d un diplôme de second cycle, ou résidant dans une zone urbaine sensible, ou encore titulaires d un contrat d insertion. Les allégations relatives au CPE sont en conséquence sans objet aux fins de la présente procédure.
  74. 59. Le comité prend dûment note de l importance que, par son action, le gouvernement attache au plein emploi au sens de la convention (no 122) sur la politique de l emploi, 1964, ainsi que de la préoccupation exprimée par l organisation plaignante de la nécessité d une politique de l emploi favorisant l emploi des jeunes. Néanmoins, les mesures visant à promouvoir le plein emploi et à favoriser la création d emplois productifs et durables devraient être adoptées dans des conditions socialement adéquates pour tous les intéressés et notamment en conformité avec les instruments internationaux ratifiés par le pays.
  75. 60. Le comité limite son analyse à la compatibilité des ordonnances no 2005-892 relative à l aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises et no 2005-893 relative au contrat de travail «nouvelles embauches» avec les conventions (no 158) sur le licenciement, 1982, et (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, en examinant dans un premier temps leurs effets éventuels sur l application de la convention no 158 et, dans un second temps, sur la convention no 111.
  76. 61. Comme indiqué précédemment (paragr. 6 du présent rapport), les questions relatives à l application des conventions nos 87 et 98 ont été transmises au Comité de la liberté syndicale. Dans son 348e rapport, le Comité de la liberté syndicale a pris note d une communication de l organisation plaignante datée du 13 septembre 2007, informant le comité de son souhait de retirer sa plainte suite à la décision du Conseil d Etat du 6 juillet 2007 annulant l ordonnance no 2005-892 du 2 août 2005 et se prononçant donc en sa faveur. Le Comité de la liberté syndicale a pris note de cette information avec satisfaction et décidé de retirer ladite plainte.
  77. Convention (no 158) sur le licenciement, 1982
  78. 62. L ordonnance no 2005-893 institue un contrat à durée indéterminée, dénommé contrat «nouvelles embauches», pour toute nouvelle embauche dans les entreprises qui emploient 20 salariés au plus. En vertu de l article 2 de l ordonnance précitée «(c)e contrat est soumis aux prescriptions du Code du travail, à l exception, pendant les deux premières années de sa conclusion, de celles des articles L.122-4 à L. 122-11, L.122-13 à L.122-14-14 et L. 321-1 à L. 321-17 de ce code». Les dispositions précitées du Code du travail visent les protections de droit commun en matière de licenciement individuel ou collectif. Par dérogation aux règles du droit commun, le CNE peut être rompu pendant les deux premières années courant à compter de la date de sa conclusion, à l initiative de l une ou l autre partie qui notifie la rupture par lettre recommandée. Lorsque la rupture est à l initiative de l employeur, un préavis de deux semaines à un mois selon l ancienneté et une indemnité égale à 8 pour cent du montant total de la rémunération brute due au salarié depuis la conclusion du contrat doivent être accordés par l employeur. Les contestations portant sur la rupture sont prescrites par douze mois à compter de l envoi de la lettre de notification.
  79. 63. Fondamentalement, deux questions doivent être examinées en ce qui concerne la convention no 158, à savoir:
  80. a) si, comme l affirme le gouvernement, les travailleurs recrutés sous CNE peuvent être exclus de la protection de la convention sur la base de son article 2, paragraphe 2 b);
  81. b) si, et dans quelle mesure, l application de l ordonnance no 2005-893 prive les travailleurs de la protection prévue par la convention à l article 4.
  82. Sur l exclusion prévue à l article 2, paragraphe 2, de la convention
  83. 64. L article 2, paragraphe 2, de la convention dispose ce qui suit:
  84. Un Membre pourra exclure du champ d application de l ensemble ou de certaines des dispositions de la présente convention les catégories suivantes de travailleurs salariés:
  85. a) les travailleurs engagés aux termes d un contrat de travail portant sur une période déterminée ou une tâche déterminée;
  86. b) les travailleurs effectuant une période d essai ou n ayant pas la période d ancienneté requise, à condition que la durée de celle-ci soit fixée d avance et qu elle soit raisonnable;
  87. c) les travailleurs engagés à titre occasionnel pour une courte période.
  88. 65. Le comité note que le gouvernement a indiqué dans ses rapports sur l application de la convention, présentés en 1991 et 1994, que les travailleurs engagés dans le cadre d un contrat à durée déterminée et les travailleurs effectuant une période d essai étaient exclus du champ d application de la convention en vertu des exclusions prévues à l article 2, paragraphe 2.
  89. 66. Ces exclusions peuvent être mises en ÷uvre à tout moment et sans procédure particulière. Toutefois, sans vouloir en aucune manière mettre en doute le caractère approprié des objectifs poursuivis par le gouvernement par le biais du CNE, le comité se demande si l article 2, paragraphe 2, de la convention offre un fondement suffisant pour justifier toute exclusion de la protection qui pourrait être considérée nécessaire pour atteindre ces objectifs. Les considérations politiques qui sous-tendent la création du CNE, en particulier la promotion du plein emploi productif, seraient de nature à justifier des mesures telles que celles prévues aux paragraphes 4 ou 5 de l article 2, auxquelles le gouvernement fait référence (Note_2), mais le comité estime que ces considérations n ont guère de lien avec les situations visées par l article 2, paragraphe 2, et que caractériser la période de consolidation de l emploi de «période d ancienneté» a essentiellement pour objectif d offrir la possibilité d exclure les salariés sous CNE de certaines dispositions de la convention.
  90. 67. Le comité considère néanmoins que la période de consolidation de l emploi pourrait relever de la «période d ancienneté requise» au sens d une période d emploi spécifiée qui est requise pour que les salariés intéressés puissent bénéficier d un contrat à durée indéterminée. A cet égard, le comité rappelle que la notion de «période d ancienneté requise» a été inscrite dans la convention no 158 afin de tenir compte des situations où certains types de protection, relatifs notamment aux licenciements injustifiés, au préavis ou au paiement d une indemnité, ne sont dus que si le travailleur intéressé a été engagé pour une période déterminée (Note_3). Différentes périodes peuvent ainsi être prescrites pour établir des exclusions d une durée et d une portée différentes et à des fins variées.
  91. 68. Bien que conclu sans détermination de durée, le CNE ne déroge au droit commun que pour une période qualifiée par le gouvernement de «période de consolidation de l emploi», fixée à l avance et définie comme «une période spécifique qui permet notamment à un employeur de mesurer la viabilité économique et les perspectives de développement de son entreprise» (Note_4). En ce qui concerne la seconde condition prévue à l article 2, paragraphe 2 b), il est requis que cette période soit d une durée «raisonnable». Il appartient à chaque pays pour lequel la convention est en vigueur de déterminer ce qui est raisonnable, compte dûment tenu de l objectif de la convention qui est d assurer la protection de tous les salariés de toutes les branches d activité économique contre les licenciements injustifiés. A cet égard, la Commission d experts pour l application des conventions et recommandations a estimé qu une période d ancienneté excessivement longue pouvait priver les travailleurs de la protection prévue par la convention (Note_5).
  92. 69. Le comité note que les juridictions nationales françaises ont eu l occasion de se prononcer sur le caractère «raisonnable» de périodes d essai ou d ancienneté en référence à l article 2, paragraphe 2 b), de la convention. Le Conseil d Etat, statuant sur une demande d annulation de l ordonnance no 2005-893, a estimé qu «eu égard au but en vue duquel cette dérogation a été édictée et à la circonstance que le contrat «nouvelles embauches» est un contrat à durée indéterminée, la période de deux ans pendant laquelle est écartée l application des dispositions de droit commun relatives à la procédure de licenciement, et aux motifs pouvant le justifier, doit être regardée comme raisonnable au sens (des dispositions de la convention no 158)» (Note_6).
  93. 70. Le comité note également que la Cour de cassation (Chambre sociale), dans un arrêt du 29 mars 2006 sur le droit à un préavis, prévu par l article 11 de la convention, a estimé qu une durée inférieure à six mois constituait une période d ancienneté raisonnable au sens de l article 2, paragraphe 2 b), de la convention no 158. Dans sa jurisprudence établie sur la durée de la période d essai, la Cour de cassation a considéré qu est raisonnable la période comprise entre deux semaines et six mois suivant le poste occupé (Note_7).
  94. 71. Le comité note que l article 2, paragraphe 2 b), de la convention vise à garantir que l exclusion de la protection de la convention pour les travailleurs effectuant une période d essai ou n ayant pas la période d ancienneté requise soit d une durée raisonnable. La raison d être de la référence au caractère «raisonnable» paraît donc liée à l exclusion de la protection. En conséquence, les considérations politiques sous-jacentes visées ci-dessus, ainsi que les mesures prises pour compenser l exclusion de la protection ou en limiter le champ peuvent aider à justifier la relative longueur de la période d exclusion. La principale préoccupation doit cependant être de s assurer que la durée de l exclusion des avantages de la convention se limite à ce qui peut raisonnablement être considéré comme nécessaire à la lumière des objectifs pour lesquels la période d ancienneté a été fixée, à savoir «en particulier (permettre) à l employeur de mesurer la viabilité économique et les perspectives de développement de son entreprise» et permettre aux travailleurs concernés d acquérir des qualifications ou de l expérience. Le comité note que la durée normalement considérée comme raisonnable de la période d ancienneté requise n excède pas six mois en France. Il pourrait ne pas exclure la possibilité qu une période plus longue se justifie pour permettre aux employeurs de mesurer la viabilité économique et les perspectives de développement, mais se trouve dans l incapacité de conclure, sur la base des circonstances apparemment prises en compte par le gouvernement pour déterminer cette durée, qu une période d une durée aussi longue que deux ans soit raisonnable.
  95. 72. Le comité conclut donc qu il n existe pas de base suffisante pour considérer que la période de consolidation peut être assimilée à une «période d ancienneté requise» d une durée «raisonnable», au sens de l article 2, paragraphe 2 b), justifiant l exclusion des travailleurs concernés de la protection de la convention pendant cette durée.
  96. 73. Le comité invite par conséquent le gouvernement, en consultation avec les partenaires sociaux, à prendre les mesures s avérant nécessaires pour garantir que les exclusions de la protection, prévues par la législation mettant en ÷uvre la convention (nº 158) sur le licenciement, 1982, soient pleinement conformes à ses dispositions.
  97. Sur le degré de conformité à l article 4 de la convention
  98. 74. L article 4 de la convention no 158 dispose ce qui suit:
  99. Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu il existe un motif valable de licenciement lié à l aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l entreprise, de l établissement ou du service.
  100. Cet article doit être lu conjointement avec l article 7 de la convention qui se lit comme suit:
  101. Un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l on (ne) puisse pas raisonnablement attendre de l employeur qu il lui offre cette possibilité.
  102. 75. Le comité note que l ordonnance no 2005-893 rend inapplicables au CNE certaines dispositions du Code du travail, notamment les articles L.122-13 (ouverture de droit à des dommages et intérêts en cas de licenciement abusif), L.122-14 (entretien préalable au licenciement), L.122-14-1 (indication du ou des motifs de licenciement dans la notification par lettre recommandée), L.122-14-3 (appréciation par le juge en cas de litige du caractère réel et sérieux des motifs du licenciement), ou L.321-1 et suivants (protection en cas de licenciement collectif pour raisons économiques), imposant à l employeur de faire connaître, préalablement au licenciement, le ou les motifs de celui-ci. A cet égard, le comité rappelle que le gouvernement avait, dans son rapport sur l application de la convention examiné en 1993 par la Commission d experts pour l application des conventions et recommandations, indiqué «qu il est donné effet à (l )article (4) par l article L.122-14-3 du Code du travail, qui dispose qu il appartient au juge d apprécier le caractère «réel et sérieux» des motifs de licenciement invoqués par l employeur».
  103. 76. Sur la base des communications envoyées par le gouvernement, le comité croit comprendre qu en cas de licenciement pendant la période couverte par le CNE:
  104. a) les salariés ne bénéficieraient de la procédure contradictoire préalablement au licenciement ou au moment du licenciement que dans le cas où il présenterait un caractère disciplinaire; dans les autres cas, les travailleurs licenciés pour des motifs liés à leur conduite ou leur travail n auraient pas la possibilité, préalablement au licenciement ou au moment du licenciement, de se défendre contre les allégations formulées, comme le prescrit l article 7 de la convention sauf dans les cas où l on ne peut pas raisonnablement attendre de l employeur qu il offre cette possibilité;
  105. b) la prescription découlant de l article 4, lu conjointement avec l article 7, de la convention, à savoir que l on doit signifier au salarié, préalablement au licenciement ou au moment du licenciement un motif valable, du moins dans les cas liés à l aptitude ou à la conduite du travailleur, de même ne s applique que dans les licenciements de caractère disciplinaire;
  106. c) les salariés pourraient être obligés de saisir les tribunaux simplement pour connaître le motif de leur licenciement;
  107. d) conformément à l article 4, il doit exister un motif valable de licenciement, au sens où il ne peut constituer un abus de droit, ni être justifié par des motifs liés à l état de santé du salarié, à ses opinions politiques ou religieuses, à ses m÷urs ou à des circonstances qui révéleraient un harcèlement ou l un des motifs de discrimination visés par l article L.122-45 du Code du travail, visant à donner effet à l article 5 de la convention. Toutefois, comme la dérogation affecte le contrôle par le juge de la cause «réelle et sérieuse» du licenciement, il n est pas évident que l ordonnance no 2005 893 permette de prendre effectivement des mesures contre un licenciement fondé sur des motifs non valables autres que ceux susmentionnés.
  108. 77. Dans ces conditions, le comité conclut que l ordonnance no 2005-893 s éloigne de manière significative des prescriptions de l article 4 de la convention no 158, lequel, comme indiqué par la commission d experts, est «la pierre angulaire des dispositions de la convention» (Note_8).
  109. 78. Dans le même temps, le comité note que le Conseil d Etat et la Cour de cassation ont déclaré que les dispositions de la convention sont directement applicables en droit français et que certaines décisions des tribunaux font clairement état de la possibilité que l ordonnance ne soit pas appliquée par les juridictions françaises, car non conforme à la convention no 158. Le comité ainsi considère que la France, à l heure actuelle, n assure pas une application effective de la convention no 158, mais néanmoins qu il est possible, encore que pas certain à présent, qu une réparation adéquate soit accessible aux travailleurs intéressés devant les tribunaux français.
  110. 79. Le comité invite par conséquent le gouvernement, en consultation avec les partenaires sociaux, à donner effet aux dispositions de l article 4 de la convention (no 158) sur le licenciement, 1982, en assurant que, conformément à la convention, les contrats «nouvelles embauches» ne puissent en aucun cas être rompus en l absence d un motif valable.
  111. Convention (nº 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958
  112. 80. L organisation plaignante exprime plusieurs préoccupations liées aux ordonnances nos 2005-892 et 2005-893, dans le cadre de la convention no 111. Comme indiqué au paragraphe 56 ci-dessus, l ordonnance no 2005-892, dont l exécution était suspendue depuis la fin novembre 2005, a été annulée par la décision du 6 juillet 2007 du Conseil d Etat. En ce qui concerne cette ordonnance, les observations ci-après du comité portent sur la situation au cours des quatre mois qui ont suivi son adoption le 2 août 2005.
  113. 81. Le comité note que l ordonnance no 2005-892 portait modification de l article L.620-10 du Code du travail, disposant que «le salarié embauché à compter du 22 juin 2005 et âgé de moins de 26 ans n est pas pris en compte, jusqu à ce qu il ait atteint l âge de 26 ans, dans le calcul de l effectif du personnel de l entreprise dont il relève, quelle que soit la nature du contrat qui le lie à l entreprise. Cette disposition ne peut avoir pour effet la suppression d une institution représentative du personnel ou d un mandat d un représentant du personnel.» L ordonnance prévoyait également que «les dispositions de la présente ordonnance cessent de produire effet au 31 décembre 2007. Elles feront l objet à cette date d une évaluation.»
  114. 82. En ce qui concerne l ordonnance no 2005-893 relative au contrat de travail «nouvelles embauches» (CNE), telle que présentée plus haut dans le cadre de la convention no 158, l organisation plaignante soutient que la nouvelle législation entraînera une discrimination supplémentaire, notamment dans certains secteurs d activité, à savoir ceux qui se caractérisent par une grande flexibilité et précarité, des conditions de travail difficiles et de faibles rémunérations, et qui embauchent majoritairement des jeunes travailleurs. Bien que le CNE ne vise pas expressément les jeunes, l organisation plaignante soutient que l effet cumulatif de l ordonnance no 2005-892 et de l ordonnance no 2005-893 pourrait aboutir à un recours disproportionné au CNE pour les travailleurs de moins de 26 ans, qui se verraient alors privés en permanence du droit syndical et de la sécurité de l emploi.
  115. 83. Le gouvernement déclare que les allégations susvisées ne montrent pas comment l ordonnance no 2005-892 pourrait priver les jeunes travailleurs de la protection contre les actes de discrimination en détruisant ou en altérant l égalité de chances et de traitement en matière d emploi et de profession. Selon lui, la communication ne montre pas en quoi cette mesure représente un obstacle par rapport à l accès à l emploi et aux différentes professions, à la formation professionnelle ou aux conditions de travail. Le gouvernement affirme que l ordonnance no 2005-892 a pour objectif de faciliter l embauche de cette catégorie de travailleurs qui est la plus exposée au chômage, et que le fait de ne pas décompter les jeunes travailleurs, provisoirement, dans l effectif de l entreprise n a pas de conséquences sur leur situation individuelle, qu il s agisse d embauche, de conditions de travail ou d avantages offerts aux autres salariés; il ne les prive pas davantage de la protection du corpus législatif général en matière de discrimination. Sans contester la nécessité de politiques favorisant l emploi des jeunes, l organisation plaignante est d avis que les mesures en question ne peuvent être assimilées à des «mesures spéciales» au sens de l article 5, paragraphe 2, de la convention no 111, vu que le fait que les travailleurs de moins de 26 ans ne soient pas pris en compte dans le calcul de l effectif de l entreprise ne peut, du point de vue du droit syndical et de la représentation du personnel, être assimilé à une mesure destinée à tenir compte des besoins particuliers de personnes à l égard desquelles une protection ou une assistance spéciale est reconnue nécessaire.
  116. 84. En ce qui concerne l argument principal de l organisation plaignante dans le cadre de la convention no 111 au sujet de l effet cumulatif de l ordonnance no 2005-892 avec l ordonnance no 2005-893, le comité rappelle la définition de la discrimination prévue à l article 1, paragraphe 1 a), de la convention no 111:
  117. toute distinction, exclusion, ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l opinion politique, l ascendance nationale ou l origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d altérer l égalité de chances ou de traitement en matière d emploi ou de profession;
  118. Bien que cette définition ne couvre pas expressément la discrimination fondée sur l âge, le paragraphe 1 b) prévoit que la discrimination peut également comprendre:
  119. toute autre distinction, exclusion ou préférence ayant pour effet de détruire ou d altérer l égalité de chances ou de traitement en matière d emploi ou de profession, qui pourra être spécifiée par le Membre intéressé après consultation des organisations représentatives d employeurs et de travailleurs, s il en existe, et d autres organismes appropriés.
  120. Le comité note que, conformément au paragraphe ci-dessus, la France a choisi de spécifier la discrimination fondée sur l âge puisque l article L.122-45 du Code du travail interdit la discrimination fondée sur l âge dans tous les domaines liés à l emploi et à la profession.
  121. 85. Dans le cadre de la convention no 111, le recours aux CNE pose la question de savoir si un groupe déterminé de travailleurs protégé par la convention fait ainsi l objet d une discrimination, l ordonnance no 2005-893 ne visant pas un groupe particulier de travailleurs, mais plutôt la taille de l entreprise. Cependant, le comité note que, combinée avec l ordonnance no 2005-892 qui s adresse aux travailleurs de moins de 26 ans, l effet cumulatif risque de détruire ou d altérer l égalité de chances ou de traitement en matière d emploi ou de profession sur la base de l âge. Cependant, ayant noté que l ordonnance no 2005-892 n a été appliquée que pendant quatre mois à peine, et que les préoccupations exprimées par l organisation plaignante ne sont pas étayées d informations sur d éventuels cas particuliers de discrimination résultant des mesures contestées, le comité n est pas en mesure de déterminer si l effet cumulatif de ces mesures a effectivement pour conséquence de détruire ou d altérer l égalité de chances ou de traitement en matière d emploi ou de profession à l égard des travailleurs de moins de 26 ans.
  122. 86. En ce qui concerne la question soulevée à propos de l article 5, paragraphe 2, de la convention no 111, le comité rappelle à cet égard que l article 2 de la convention prévoit que tout Membre s engage à formuler et à appliquer une politique nationale visant à promouvoir, par des méthodes adaptées aux circonstances et aux usages nationaux, l égalité de chances et de traitement en matière d emploi et de profession, afin d éliminer toute discrimination en cette matière. Ces méthodes peuvent inclure des mesures spéciales, conformément à l article 5, paragraphe 2, de la convention qui prévoit que:
  123. Tout Membre peut, après consultation, là où elles existent, des organisations représentatives d employeurs et de travailleurs, définir comme non discriminatoires toutes autres mesures spéciales destinées à tenir compte des besoins particuliers de personnes à l égard desquelles une protection ou une assistance spéciale est, d une façon générale, reconnue nécessaire pour des raisons telles que le sexe, l âge, l invalidité, les charges de famille ou le niveau social ou culturel.
  124. 87. Le comité souligne l importance du processus de consultation prévu à l article 5, paragraphe 2, de la convention, qui vise à assurer que des mesures spéciales de protection ou d assistance soient adoptées et appliquées conformément à la lettre et à l esprit de la convention. A cet égard, le comité rappelle qu il importe que les mesures spéciales en question correspondent effectivement à un but de protection ou d assistance et qu elles tendent à assurer dans la pratique l égalité de chances et de traitement, tout en tenant compte de la diversité des situations de certaines personnes, en vue de mettre un terme aux pratiques discriminatoires à leur encontre. Ces types de traitement préférentiels sont donc destinés à rétablir un équilibre et devraient s inscrire dans un effort plus large d élimination de toutes les inégalités. En outre, la Commission d experts pour l application des conventions et recommandations a souligné qu un réexamen attentif de certaines mesures, en consultation avec les organisations de travailleurs et d employeurs, peut faire apparaître qu elles sont susceptibles d avoir pour effet d instituer ou d autoriser en réalité des distinctions, exclusions ou préférences qui relèvent de l article 1 de la convention. Ainsi, une fois adoptées, les mesures spéciales devraient être examinées de manière périodique, en vue de vérifier la constance de leur raison d être et leur efficacité. Il convient de garder à l esprit que, le but de telles mesures étant de rétablir des déséquilibres dus à des discriminations visant certains travailleurs ou certains secteurs, il est entendu qu elles sont temporaires par nature (Note_9).
  125. 88. Notant de surcroît que l ordonnance no 2005-893 prévoit que les conditions de mise en ÷uvre du CNE et ses effets sur l emploi feront l objet, d ici au 31 décembre 2008, d une évaluation par une commission composée d organisations d employeurs et de salariés représentatives, le comité considère essentiel que cet examen détermine également si les mesures ont débouché sur une discrimination directe ou indirecte à l encontre des jeunes travailleurs, en tenant compte de l effet des discriminations multiples fondées sur l âge et les motifs visés à l article 1, paragraphe 1 a), de la convention, en particulier le sexe, la race, la couleur et l ascendance nationale.
  126. VI. Recommandations du comité
  127. 89. A la lumière des conclusions ci-dessus concernant les questions soulevées dans la réclamation, le comité recommande au Conseil d administration:
  128. a) d approuver le présent rapport;
  129. b) d inviter le gouvernement à prendre, en consultation avec les partenaires sociaux, toutes les mesures s avérant nécessaires pour:
  130. i) garantir que les exclusions de la protection, prévues par la législation mettant en ÷uvre la convention (nº 158) sur le licenciement, 1982, soient pleinement conformes à ses dispositions;
  131. ii) donner effet aux dispositions de l article 4 de la convention (no 158) sur le licenciement, 1982, en assurant que, conformément à la convention, les contrats «nouvelles embauches» ne puissent en aucun cas être rompus en l absence d un motif valable;
  132. c) de confier à la Commission d experts pour l application des conventions et recommandations le suivi des questions soulevées dans le présent rapport en ce qui concerne l application de la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, et de la convention (no 158) sur le licenciement, 1982;
  133. d) de rendre ce rapport disponible au public et de clore la procédure ouverte à la suite de la réclamation de la Confédération générale du travail-Force ouvrière, alléguant l inexécution par la France des conventions nos 111 et 158.
  134. Genève, le 6 novembre 2007.
  135. (Signé) Francesca Pelaia.
  136. Ulf Edström.
  137. Michel Barde.
  138. Point appelant une décision: paragraphe 89.
  139. Note 1
  140. Tribunal des conflits, préfet de l'Essonne c. Cour d'appel de Paris, no 3622, 19 mars 2007.
  141. Note 2
  142. Toutefois, les paragraphes 4 et 5 de l'article 2 prévoient une procédure à suivre avant d'adopter des exclusions. En outre, selon l'interprétation qui a été donnée du paragraphe 6 de l'article 2, ces exclusions ne sont admissibles qu'au moment de l'élaboration du premier rapport présenté au sujet de la convention en vertu de l'article 22 de la Constitution de l'OIT.
  143. Note 3
  144. Conférence internationale du Travail, 67e session, 1981, rapport VIII (1): Cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur, p. 13.
  145. Note 4
  146. Ministère de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, questions-réponses sur le contrat "nouvelles embauches", points 26 et 27 (www.travail.gouv.fr).
  147. Note 5
  148. Conférence internationale du Travail, 82e session, 1995, rapport III (Partie 4B), étude d'ensemble sur la convention (no 158) sur le licenciement, 1982, et la recommandation no 166, paragr. 43.
  149. Note 6
  150. Arrêt no 283471 du 19 octobre 2005.
  151. Note 7
  152. La jurisprudence de la cour considère qu'est raisonnable la période d'essai comprise entre deux semaines et six mois maximum, suivant le poste occupé par le salarié. A ainsi été jugée d'une durée excessive une période d'essai d'un an pour un cadre supérieur (Cass. soc. 17 mars 1993), une période de six mois pour un conseiller financier (Cass. soc. 30 nov. 2000) ou une sténodactylographe (Cass. soc. 25 fév. 1977) ou encore une période de trois mois pour un salarié ayant déjà exercé les mêmes attributions au cours de contrats antérieurs (Cass. soc. 9 juin 1988).
  153. Note 8
  154. Etude d'ensemble de 1995, paragr. 75.
  155. Note 9
  156. Etude spéciale sur l'égalité dans l'emploi et la profession relative à la convention no 111, 1996, paragr. 135 et 136.
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