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RECLAMATION (article 24) - COLOMBIE - C169 - 2001

Centrale unitaire des travailleurs (CUT), Association syndicale médicale de Colombie (ASMEDAS)

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Rapport du Comité chargé d'examiner la réclamation alléguant l'inexécution par la Colombie de la convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Centrale unitaire des travailleurs (CUT) et par l'Association syndicale médicale de Colombie (ASMEDAS)

Rapport du Comité chargé d'examiner la réclamation alléguant l'inexécution par la Colombie de la convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Centrale unitaire des travailleurs (CUT) et par l'Association syndicale médicale de Colombie (ASMEDAS)

Decision

Decision
  1. Le Conseil d'administration a adopté le rapport du comité tripartite. Procédure close.

La procédure de plainte

La procédure de plainte
  1. Quatrième rapport supplémentaire:
  2. Réclamation alléguant l'inexécution par la Colombie de la convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Centrale unitaire des travailleurs (CUT) et par l'Association syndicale médicale de Colombie (ASMEDAS)
  3. I. Introduction
  4. 1. Par des communications datées des 3, 4 et 22 novembre 1999, la Centrale unitaire des travailleurs de Colombie (CUT) et l'Association syndicale médicale de Colombie (ASMEDAS) (section d'Antioquia), invoquant l'article 24 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, ont présenté au Bureau international du Travail une réclamation dans laquelle elles allèguent l'inexécution par la Colombie de la convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989.
  5. 2. La Colombie a ratifié la convention n° 169 le 7 août 1991 et cette convention est en vigueur pour ce pays depuis le 7 août 1992. 3. Les dispositions de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail concernant la soumission des réclamations sont les suivantes:
  6. Article 24
  7. Toute réclamation adressée au Bureau international du Travail par une organisation professionnelle des travailleurs ou des employeurs, et aux termes de laquelle l'un quelconque des Membres n'aurait pas assuré d'une manière satisfaisante l'exécution d'une convention à laquelle ledit Membre a adhéré, pourra être transmise par le Conseil d'administration au gouvernement mis en cause et ce gouvernement pourra être invité à faire sur la matière telle déclaration qu'il jugera convenable.
  8. Article 25
  9. Si aucune déclaration n'est reçue du gouvernement mis en cause dans un délai raisonnable, ou si la déclaration reçue ne paraît pas satisfaisante au Conseil d'administration, ce dernier aura le droit de rendre publique la réclamation reçue et, le cas échéant, la réponse faite.
  10. 4. La procédure à suivre pour l'examen des réclamations est régie par le Règlement révisé adopté par le Conseil d'administration à sa 212e session (mars 1980).
  11. 5. Conformément aux dispositions de l'article 1 et du paragraphe 1 de l'article 2 du Règlement, le Directeur général a accusé réception de la réclamation et en a informé le gouvernement de la Colombie. Il a transmis la réclamation au bureau du Conseil d'administration.
  12. 6. A sa 277e session (mars 2000), le Conseil d'administration a jugé, sur recommandation de son bureau, que la réclamation était recevable et il a chargé un comité tripartite composé de M. Felipe Ernst (membre gouvernemental, Chili), M. Jorge A. de Regil Gómez (membre employeur, Mexique) et M. Federico Ramírez León (membre travailleur, Venezuela), de l'examiner.
  13. 7. Conformément aux dispositions des alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l'article 4 du Règlement, le comité a prié le gouvernement de présenter ses observations sur la réclamation et invité les organisations plaignantes à soumettre toutes les informations complémentaires qu'elles pouvaient souhaiter porter à la connaissance du comité.
  14. 8. Le gouvernement a communiqué ses observations sur la réclamation dans une lettre datée du 18 décembre 2000.
  15. 9. En novembre 2001, lors de la 282e session du Conseil d'administration, le comité s'est réuni pour examiner la réclamation. Après avoir pris connaissance des éléments d'information présentés par les parties, il a adopté le présent rapport.
  16. II. Examen de la réclamation
  17. A. Allégations des organisations plaignantes
  18. 10. La Centrale unitaire des travailleurs de Colombie (CUT) et l'Association syndicale médicale de Colombie (ASMEDAS) (section d'Antioquia) allèguent que le gouvernement de la Colombie n'a pas respecté les dispositions de la convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989. Les allégations présentées sont relatives à la construction et à l'exploitation de l'installation hydroélectrique Urrá et au fait que le gouvernement n'a pas mené à bien de processus de consultation préalable avec les communautés indigènes affectées par le projet, contrairement à ce que prévoit la convention.
  19. 11. Le comité prend note que le peuple Embera-Katío du haut Sinú réside sur une surface de 103 517 hectares située dans la région supérieure du bassin du Sinú et qu'il compte 450 familles, soit 2 400 personnes réparties autour des cours d'eau à Kuranzadó, Keraldo et Iwagadó. Les moins de 18 ans représentent 62 pour cent de la population, qui ne compte que 5 pour cent de plus de 50 ans. L'activité économique traditionnelle du peuple repose sur la cueillette, la chasse et la pêche. Il est allégué que, jusqu'à ce que le fleuve soit détourné pour les besoins de la construction de l'installation hydroélectrique considérée, l'alimentation de la population reposait essentiellement sur le poisson.
  20. 12. La CUT et l'ASMEDAS allèguent que le gouvernement, représenté en l'espèce par l'Institut colombien pour les ressources naturelles (INDERENA) (devenu depuis le ministère de l'Environnement), a accordé, avec la résolution n° 243 du 13 avril 1993, une autorisation relative à l'utilisation de l'environnement à la Corporación eléctrica de la Costa Atlántica (CORELCA) (Société d'électricité de la côte Atlantique), une entreprise publique. Cette autorisation portait sur des travaux d'utilité publique devant être réalisés sur le territoire municipal de Tierralta, département de Córdoba, en vue de la construction de l'installation hydroélectrique Urrá I et du détournement du Sinú (projet Urrá). Il est allégué que les territoires ancestraux du peuple Embera-Katío du haut Sinú et du peuple Zenú de San Andrés de Sotavento sont situés dans la zone touchée par le projet Urrá mais que le gouvernement n'a pas organisé pour autant de consultations préalables avec les peuples concernés avant d'accorder l'autorisation susmentionnée, contrevenant ce faisant à l'article 6 de la convention (Note 1).
  21. 13. La CUT et l'ASMEDAS affirment que la construction du barrage a causé des dommages irrémédiables pour le bassin du Sinú et pour le peuple Embera-Katío du haut Sinú. Les organisations plaignantes allèguent également que, devant l'absence de consultations préalables, les représentants du peuple Embera-Katío ont tenté de faire entendre leur voix eux-mêmes auprès des autorités gouvernementales et de l'entreprise Urrá mais en vain. Elles allèguent en outre que les institutions de l'Etat et l'entreprise Urrá elle-même sont à l'origine d'actes d'ingérence dans les affaires internes du peuple Embera-Katío du haut Sinú qui ont eu pour conséquence de durcir les conflits en cours au sein de l'ethnie et la confrontation avec d'autres secteurs sociaux de la région.
  22. 14. Les travaux nécessaires à la construction du barrage ont commencé en 1993. La CUT et l'ASMEDAS indiquent que l'entreprise Multipróposito Urrá, S.A., E.S.P. ("entreprise Urrá"), qui est une entreprise publique, a terminé en 1998 les travaux de construction visés par l'autorisation partielle accordée par l'organisme connu alors sous le nom d'INDERENA (Note 2). L'autorisation était encore attendue pour les étapes suivantes, soit la mise en eau du barrage et son exploitation (Note 3). Dès septembre 1997, l'entreprise Urrá a demandé modification de l'autorisation relative à l'utilisation de l'environnement accordée par l'INDERENA afin de pouvoir remplir et exploiter le barrage.
  23. 15. La CUT et l'ASMEDAS affirment que la construction du projet Urrá et le détournement du cours du Sinú en janvier 1996 ont réduit le produit de la pêche dans de grandes proportions et que des conflits sociaux, culturels, économiques et politiques importants ont surgi de ce fait au sein du peuple Embera-Katío. En outre, la construction et l'exploitation du barrage ont modifié la nature de la relation que le peuple Embera-Katío du haut Sinú entretenait traditionnellement avec le fleuve, une relation qui passait notamment par l'existence de lieux sacrés et de cimetières ancestraux ou encore en usage. Elles allèguent également qu'au moment où le barrage à été mis en eau, un grand nombre de ces lieux ont été inondés, ainsi que les terres de meilleure qualité, qui fournissaient les produits agricoles essentiels à l'alimentation des peuples touchés.
  24. 16. Le 22 novembre 1994, l'entreprise Urrá, la communauté indigène et l'Organisation nationale indigène de Colombie (ONIC) ont signé un accord d'engagement qui jetait les bases d'un processus de consultation préalable à l'octroi d'une autorisation pour la deuxième étape du projet. Il était précisé dans ce texte que, pour compenser l'impact du projet, un plan de développement serait élaboré et mis en uvre. Ce plan a pris par la suite le nom de Plan pour le développement ethnique (du 2 octobre 1995); il est composé notamment de huit programmes auxquels l'entreprise Urrá a donné son aval et qui portent sur la santé, l'éducation, le développement de la pêche et la gestion durable de l'habitat traditionnel du peuple Embera-Katío (Note 4). Le 23 octobre 1996, l'entreprise, l'Institut colombien de la réforme agraire (INCORA), le ministère de l'Environnement, le ministère des Mines et de l'Energie et le peuple Embera-Katío ont signé un accord dans lequel il était convenu entre autres que l'entreprise Urrá assumerait les engagements pris dans le Plan pour le développement ethnique, qu'elle financerait ce plan jusqu'à 2000 et qu'elle renforcerait les mesures visant à transporter le poisson. En outre, le peuple Embera-Katío a posé comme préalable à l'inondation des territoires le financement du service environnemental pour la gestion des forêts et des cours d'eau et le versement d'une participation sur le revenu retiré de la production d'électricité (Note 5).
  25. 17. Il ressort des informations présentées par les plaignants que, sur le territoire ancestral du peuple Embera-Katío, l'INCORA a créé deux resguardos (territoires communautaires appartenant collectivement à la communauté indigène considérée), celui de Karagaví et celui d'Iwagadó (résolutions 002/93 et 064/96). Traditionnellement, les communautés Embera-Katío étaient indépendantes et hétérogènes sur le plan politique, mais, en 1995, elles se sont unifiées et placées sous la direction d'un gouvernement central du fait des événements liés à la construction du barrage. Elles ont décidé de se faire représenter par un Cabildo Mayor (conseil communautaire représentant un peuple indigène) pour les besoins du processus de consultation. Cependant, à la fin de l'année 1996, un conflit a éclaté au sein des communautés Embera-Katío quant à la composition du Cabildo Mayor et, pour résoudre le différend, deux conseils ont été nommés, qui représentaient chacun l'un des deux resguardos. Le 1er décembre 1997, le maire de Tierralta a adopté la résolution n° 3239 par laquelle il revenait sur l'aval donné précédemment à la désignation des deux Cabildos Mayores et convoquait une nouvelle assemblée devant permettre de résoudre le différend. La nouvelle élection n'y est cependant pas parvenue et, en 1997, l'entreprise Urrá a cessé de signer des contrats dans le cadre du Plan pour le développement ethnique du fait de la crise de légitimité des représentants de la communauté indigène.
  26. 18. Il est allégué qu'en septembre 1997, l'entreprise Urrá a demandé que l'autorisation pour l'utilisation de l'environnement soit modifiée afin de pouvoir procéder à la mise en eau du barrage et à la mise en service de l'installation hydroélectrique. En 1999, l'Etat a approuvé la modification de l'autorisation en question par la résolution n° 838 d'octobre 1999, permettant ainsi à l'entreprise de mettre le barrage en eau et de commencer à exploiter l'installation hydroélectrique. La CUT et l'ASMEDAS affirment que cette décision a été prise sans que les peuples Embera-Katío et Zenú aient été consultés, enfreignant ce faisant la convention. Il est allégué que l'inondation des terres considérées aurait commencé le 18 novembre 1999.
  27. 19. Les plaignants affirment que l'entreprise n'a pas obtenu l'accord de plusieurs communautés indigènes pour l'exécution du plan de déplacement et de réinstallation, les communautés intéressées contestant l'évaluation des terrains et des aménagements leur correspondant. De même, il est dit que l'Etat n'aurait pas respecté les traditions culturelles et religieuses des peuples intéressés dans le cas du déplacement du cimetière des communautés Nawa et Amborromía, lequel aurait été effectué par des personnes étrangères à ces communautés en l'absence de leurs chefs spirituels.
  28. 20. La CUT et l'ASMEDAS allèguent que les représentants du peuple Embera-Katío du haut Sinú et du peuple Zenú ont tenté en vain de rencontrer les autorités gouvernementales, et notamment des représentants du ministère de l'Environnement (organisme national qui a remplacé l'INDERENA) et du ministère de l'Intérieur (responsable de la coordination des affaires publiques relatives aux peuples indigènes) ainsi que des représentants de l'entreprise en vue de la résolution des problèmes créés par le projet Urrá et des difficultés qui pourraient en découler à plus long terme. Ces organisations allèguent également que le gouvernement n'a pas mené de consultations préalables avec les peuples intéressés sur le projet Urrá.
  29. 21. Selon les organisations plaignantes, le peuple Embera-Katío du haut Sinú, qui s'était efforcé en vain d'engager le dialogue, a été contraint pour finir d'agir par voie de fait, notamment en occupant l'Institut colombien de la réforme agraire (INCORA). Le 20 mars 1998, des représentants des peuples intéressés, appuyés en cela par l'ONIC, le Bureau du Défenseur du peuple et la Commission colombienne des juristes, ont présenté une action en protection (acción de tutela) contre l'entreprise Urrá et la mairie de Tierralta pour violation présumée de leurs droits fondamentaux.
  30. 22. Il est allégué que, de mars à juin 1998, alors que l'action en protection était encore pendante, la Direction des affaires indigènes du ministère de l'Intérieur et le ministère de l'Environnement ont lancé avec une partie dissidente du peuple Embera-Katío du haut Sinú un processus de consultation illégal que le gouvernement et l'entreprise ont conduit de sorte à favoriser leurs intérêts. La CUT et l'ASMEDAS allèguent que, dans ce contexte, le gouvernement a rendu le décret n° 1320/1998 par lequel il entendait réglementer le processus de consultation et légitimer le processus de consultation "faussé" entre le gouvernement et la partie dissidente du peuple Embera-Katío du haut Sinú (Note 6). Il est allégué que le décret crée une procédure en vertu de laquelle les décisions qui devraient normalement être prises par les peuples intéressés reviennent pour finir au gouvernement.
  31. 23. Le 30 juillet 1998, quelques jours avant la date prévue pour la mise en eau du barrage, la Cour constitutionnelle a ordonné la suspension des opérations. Il est allégué que, pendant cet intervalle, des actes d'intimidation ont été perpétrés et, en particulier, que l'un des chefs spirituels de la communauté a été assassiné par des paramilitaires en date du 25 août 1998 (Note 7).
  32. 24. Dans la décision T-652 qu'elle a rendue le 10 novembre 1998, la Cour constitutionnelle colombienne, qui était compétente pour juger l'action en protection, a donné droit aux revendications du peuple Embera-Katío du haut Sinú. Dans son arrêt, la Cour défend les droits fondamentaux du peuple intéressé et, notamment, le droit "du peuple Embera-Katío du haut Sinú à la vie, à l'intégrité ethnique, culturelle, sociale et économique, à la participation et à une procédure équitable". La Cour a ordonné entre autres que l'Institut colombien de la réforme agraire et le ministère de l'Intérieur prennent les mesures nécessaires pour unifier le resguardo du peuple Embera-Katío du haut Sinú, pour que l'entreprise Urrá verse à la communauté "une indemnité suffisant à assurer sa survie matérielle", qu'un processus de consultation soit mené avant la mise en eau et la mise en service du barrage, qu'un financement soit trouvé pour le plan destiné à permettre à la communauté de remplacer ses pratiques traditionnelles par des pratiques de production et que les programmes dépendant du Plan pour le développement ethnique soient réactivés. La Cour a également ordonné que le décret n° 1320 ne soit pas appliqué au processus de consultation avec le peuple Embera-Katío. Elle a par ailleurs ordonné à la mairie de Tierralta de reconnaître les autorités traditionnelles du peuple et de procéder à leur enregistrement.
  33. 25. La CUT et l'ASMEDAS allèguent que, malgré la décision de la Cour constitutionnelle, les autorités gouvernementales n'ont pas assumé l'obligation qui leur était faite de mener une consultation préalable auprès des peuples intéressés et elles indiquent que le gouvernement n'a pas respecté non plus d'autres aspects relatifs au plein respect de la convention. Elles allèguent en outre que, même si les mécanismes et les conditions prévues par le décret n° 1320 n'ont pas été appliqués dans le cas du peuple Embera-Katío du haut Sinú, conformément à l'arrêt de la Cour constitutionnelle, le gouvernement a continué d'y avoir recours, comme il est apparu plus récemment avec le cas du peuple U'wa (voir document GB.282/14/3).
  34. 26. La CUT et l'ASMEDAS font observer que, dans sa décision, la Cour constitutionnelle ordonne aux ministères de l'Intérieur et de l'Environnement de ne pas appliquer le décret n° 1320/1998 s'agissant des consultations avec le peuple Embera-Katío pour la raison que "dans le cas de ce processus de consultation, l'application du décret n° 1320/1998 aurait de toute évidence des conséquences contraires à la Constitution et aux normes incorporées dans le droit interne en application de la loi 21/1991 portant adoption de la convention n° 169" (Note 8). Malgré cette décision, le ministère de l'Environnement a accordé à l'entreprise l'autorisation relative à l'utilisation de l'environnement qu'elle avait demandée (résolution n° 838 du 5 octobre 1999). Les organisations plaignantes allèguent également que ni le gouvernement ni l'entreprise n'ont respecté pleinement les dispositions de l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle.
  35. 27. Il est allégué en outre qu'en juillet 1999, un processus de consultation préalable a été lancé avec les Cabildos Mayores du Río Verde et du Sinú et les autorités traditionnelles de ces conseils. Une fois la consultation lancée, des études ont été réalisées sur les conséquences du projet Urrá sur le plan environnemental, territorial, social, politique, culturel et économique et sur les mesures qui pouvaient être envisagées pour prévenir, limiter, annuler ou compenser les conséquences en question. A la suite de ces études, des négociations ont été ouvertes à Coveñas (Sucre), le 18 août 1999, sur les questions pertinentes. La CUT et l'ASMEDAS allèguent que le peuple Embera-Katío du haut Sinú aurait demandé que l'ensemble de la communauté intéressée soit consultée en une fois mais que le gouvernement a rencontré des sous-groupes minoritaires du peuple indigène, favorisant ce faisant la division par la conclusion d'accords partiels.
  36. 28. Les organisations plaignantes affirment également que les autorités locales de Tierralta ont fait obstruction sans raison à l'enregistrement des représentants désignés par les communautés Embera-Katío. De ce fait, le début de la nouvelle série de consultations ordonnées par la Cour constitutionnelle se serait trouvé retardé et l'entreprise et les autorités gouvernementales auraient refusé de reconnaître les personnes que les communautés indigènes avaient désignées pour les représenter lors des consultations. Les plaignants allèguent que la façon de faire du gouvernement porte atteinte à l'article 17 de la convention.
  37. 29. La CUT et l'ASMEDAS allèguent que, depuis le début des consultations lancées sur ordre de la Cour constitutionnelle, des assassinats ourdis par des unités paramilitaires auraient été perpétrés contre la personne de plusieurs des chefs de file et représentants indigènes du peuple Embera-Katío et que d'autres parmi eux seraient encore la cible de menaces de mort. En raison des éléments exposés précédemment et du fait de l'adoption et de l'application arbitraire de la résolution n° 838/99, les plaignants affirment que le gouvernement a enfreint les articles 33 et 35 de la convention.
  38. B. Observations du gouvernement
  39. 30. Le gouvernement indique dans sa réponse, que les relations entre le peuple indigène Embera-Katío du haut Sinú et le projet Urrá ont commencé en 1980 avec une première étape sur la faisabilité et la conception du projet considéré et l'élaboration d'études socio-économiques sur les conséquences que celui-ci pourrait avoir. Selon le gouvernement, les relations en question se sont d'abord établies avec la compagnie Interconexión Eléctrica S.A. (IS) puis avec la CORELCA.
  40. 31. Le gouvernement indique qu'à partir de 1994, l'entreprise Multipropósito Urrá, S.A. ("entreprise Urrá"), a pris ces relations en charge et organisé une série de réunions d'information et de concertation sur les premiers plans, programmes et projets qu'il était prévu de mettre en place à court terme. Selon le gouvernement, cette procédure a abouti à la signature, en date du 22 novembre 1994, d'accords portant notamment sur un Plan d'action à effet immédiat (destiné à répondre aux besoins de la communauté sur le plan de la santé, de l'éducation, de l'équipement en infrastructures et de l'assainissement de base), un Programme pour l'éducation ethnique et un Plan pour le développement ethnique (devant limiter l'impact du projet et offrir une compensation à cet égard).
  41. 32. Le gouvernement indique qu'une audience publique sur la question de l'environnement a été organisée le 3 mars 1995 dans le but de favoriser la participation des personnes touchées par le projet, y compris des communautés indigènes du haut Sinú. Le gouvernement mentionne également la signature, en date du 7 décembre 1995, de nouveaux accords portant sur le Plan pour le développement ethnique, le remplacement des terres devant être inondées et l'autorisation expresse des communautés comme préalable à l'utilisation, par l'entreprise intéressée, des terres nécessaires à la réalisation du projet.
  42. 33. Le gouvernement indique qu'en 1996, le Plan pour le développement ethnique a commencé à être appliqué mais qu'en 1997, la communauté Embera-Katío du haut Sinú s'est divisée en deux sous-groupes: 1) l'Alliance des Cabildos menores (soit des conseils communautaires représentant une partie d'un peuple indigène) du Río Esmeralda et d'une fraction du Sinú (qui correspondait à l'ancien resguardo Karagabí); et 2) les Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde (correspondant à l'ancien resguardo Iwagadó). Le gouvernement affirme que la mobilisation Emberá a été le fait des seuls Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde et non de l'ensemble du peuple considéré. Il indique que les communautés représentées par l'Alliance des Cabildos Menores du Río Esmeralda et d'une fraction du Sinú ont donné leur accord au processus de consultation et indiqué qu'elles souhaitaient que les accords et l'autorisation relative à l'utilisation de l'environnement soient appliqués.
  43. 34. En 1997, la communauté représentée par les Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde a présenté une action en protection. Le gouvernement indique que les tribunaux ont rejeté la demande de protection, d'abord en première instance puis en deuxième instance.
  44. 35. Le 15 septembre 1997, l'entreprise Urrá a demandé au ministère de l'Environnement de modifier l'autorisation relative à l'utilisation de l'environnement accordée par l'INDERENA pour pouvoir procéder à la mise en eau et à la mise en service du barrage. Dans le cadre de la procédure administrative visant à modifier l'autorisation, le ministère de l'Environnement a ordonné qu'une consultation préalable soit menée auprès du peuple Embera-Katío du haut Sinú (décision n° 170 du 26 mars 1998).
  45. 36. Dans sa résolution n° 327 du 21 mai 1998, le ministère de l'Environnement a ordonné qu'une réunion publique soit organisée en date du 11 juin 1998 avec les communautés indigènes, y compris avec des communautés extérieures au peuple Embera-Katío. Le 10 juin 1998, le ministère de l'Intérieur a ordonné que le processus de consultation soit élargi à l'ensemble des peuples indigènes résidant dans la zone affectée par le projet. Selon le gouvernement, la convocation a été acceptée par la communauté Zenú du resguardo de San Andrés de Sotavento et par l'Alliance des Cabildos Menores du Río Esmeralda et d'une fraction du Sinú. La communauté représentée par les Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde a cependant refusé d'ouvrir le processus de consultation au motif qu'elle attendait qu'un jugement définitif soit rendu sur l'action en protection qu'elle avait présentée.
  46. 37. Le gouvernement indique qu'officiellement, la consultation avec la communauté Zenú a commencé le 26 juin 1998 et qu'elle s'est terminée le 31 juillet de la même année. Cette procédure a abouti à la signature des accords mentionnés dans la résolution n° 838/99. De même, le processus de consultation avec la communauté représentée par l'Alliance des Cabildos Menores du Río Esmeralda et d'une fraction du Sinú a été ouvert officiellement le 3 juillet 1998.
  47. 38. Le gouvernement indique qu'entre la fin de l'année 1997 et le début de l'année 1998, les différents contrats relevant du Plan pour le développement ethnique ont touché à leur terme. L'entreprise Urrá a alors décidé de ne pas prolonger certains d'entre eux, se rangeant à l'avis de l'Organisation nationale des indigènes de Colombie (ONIC) et de certaines communautés indigènes, qui estimaient qu'il était déplacé de signer de nouveaux contrats avant que la question de la représentativité des autorités indigènes Embera-Katío du haut Sinú n'ait été tirée au clair. Selon le gouvernement, c'est pour cela qu'il a été décidé d'attendre la résolution du conflit sur la représentation des communautés indigènes pour réactiver les démarches tendant à assurer la poursuite des programmes relevant du Plan pour le développement ethnique.
  48. 39. Le gouvernement indique que, par sa décision T-652/98 du 10 novembre 1998, la Cour constitutionnelle a interrompu le processus de consultation en cours. Le gouvernement ajoute que la Cour a établi que l'entreprise Urrá et les communautés indigènes devaient négocier un accord sur un certain nombre de questions figurant dans le programme de consultation qu'elle-même avait élaboré, en fixant pour cette procédure un délai initial de trois mois courant à partir du 2 décembre 1998. Ce délai pouvait être prolongé de six (6) mois au maximum, et c'est effectivement ce qu'il s'est produit.
  49. 40. En mars 1999, le ministère de l'Intérieur a ordonné la poursuite du processus de consultation et convoqué une nouvelle réunion pour les 17 et 18 mars. Les deux sections du peuple Embera-Katío du haut Sinú ont participé à cette réunion. Cependant, les Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde ont souligné qu'il ne s'agissait pas à leurs yeux d'une poursuite du processus puisque eux-mêmes avaient refusé jusqu'alors la convocation initiale du ministère de l'Intérieur et qu'ils entendaient continuer de la rejeter jusqu'à ce que tous les contrats relevant du Plan pour le développement ethnique soient signés.
  50. 41. Le gouvernement affirme que la communauté représentée par les Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde n'a pas accepté le protocole pour l'ouverture de la consultation le 2 mai 1999. En mai 1999, le ministère de l'Intérieur a convoqué une réunion pour clore le processus de consultation, mais seule l'Alliance des Cabildos Menores du Río Esmeralda et d'une fraction du Sinú a répondu à l'invitation. Le ministère a travaillé avec l'Alliance en question lors de séances de concertation qui se sont tenues du 12 au 28 mai 1999. Ce processus a permis la conclusion d'accords sur des aspects relatifs à l'indemnisation, sur la compensation pour la perte de l'usage et de la jouissance des terres devant être inondées et sur l'assainissement du resguardo du peuple Embera-Katío du haut Sinú. Le gouvernement indique que les travaux de la réunion ont été suspendus car, le 24 mai 1999, le Tribunal supérieur de Montería a notifié aux parties que le délai pour la négociation était prolongé de trois mois, soit jusqu'au 2 septembre 1999.
  51. 42. Le 11 août 1999, les communautés ont demandé à l'entreprise Urrá d'organiser des séances de négociation et de clore le processus. Ces réunions ont eu lieu du 18 au 20 août 1999 et elles ont réuni l'Alliance des Cabildos Menores du Río Esmeralda et d'une fraction du Sinú et les Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde. Selon le gouvernement, les consultations se sont tenues séparément parce que les communautés Embera-Katío ne sont pas parvenues à se mettre d'accord et à s'asseoir autour de la même table, comme il ressort de la communication datée du 23 août 1999 et signée par l'Alliance des Cabildos Menores du Río Esmeralda et d'une fraction du Sinú.
  52. 43. Le gouvernement signale qu'il a travaillé avec les deux sections du peuple Embera-Katío jusqu'au 2 septembre 1999 inclus, date à laquelle le délai fixé par la Cour constitutionnelle pour la conclusion d'un accord parvenait à échéance. Il indique en outre que, durant le délai fixé par la Cour, 17 réunions ont été organisées avec les communautés Embera-Katío, dont cinq avec les Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde, dix avec l'Alliance des Cabildos Menores du Río Esmeralda et d'une fraction du Sinú et deux avec ces deux regroupements à la fois. Le gouvernement indique qu'il est parvenu à un accord sur tous les points du programme fixé par la Cour avec l'Alliance des Cabildos Menores du Río Esmeralda et d'une fraction du Sinú. En revanche, aucun accord n'a pu être conclu avec les communautés représentées par les Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde.
  53. 44. Le 14 septembre 1999, les Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde ont présenté à la chambre du travail du Tribunal supérieur du district judiciaire de Córdoba une demande pour outrage à l'autorité de la justice dans laquelle ils affirmaient que l'arrêt de la Cour constitutionnelle n'avait pas été respecté pour ce qui touchait au programme de consultation. Le 5 octobre 1999, le Tribunal supérieur a rendu une décision établissant que les autorités avaient respecté l'arrêt de la Cour constitutionnelle. Ce même jour, le ministère de l'Environnement a rendu la résolution n° 838 par laquelle il donnait son aval aux étapes correspondant à la mise en eau et à la mise en service du barrage tout en ordonnant que le peuple Embera-Katío soit indemnisé en conséquence. Le gouvernement indique que la résolution n° 838/99 reprenait la proposition établie par les communautés représentées par les Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde et donnait à ces communautés les mêmes avantages que ceux qui avaient été concédés à l'Alliance des Cabildos Menores du Río Esmeralda et d'une fraction du Sinú. Le gouvernement observe que le ministère de l'Environnement a décidé que l'entreprise Urrá devrait verser un certain montant chaque année au peuple intéressé, et ce sur une période de 15 ans, pour remplacer les revenus perdus, conformément à la proposition formulée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt T-652.
  54. 45. Le gouvernement signale que seuls les Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde ont contesté le processus de consultation et la résolution n° 838/99. Il indique en outre que l'Alliance des Cabildos Menores du Río Esmeralda et d'une fraction du Sinú s'est déclarée d'accord avec le processus de consultation et la résolution dans une communication datée du 21 octobre 1999.
  55. 46. Les Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde ont présenté un recours en révision contre la résolution n° 838/99, recours qui a été tranché par la résolution n° 965/1999.
  56. 47. En décembre 1999, les Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde ont envoyé plusieurs de leurs membres manifester dans les jardins attenants aux bâtiments du ministère de l'Environnement en leur demandant de s'y installer jusqu'à ce que leurs revendications, qui portaient sur la question des territoires, la participation aux bénéfices, les problèmes de réinstallation et les droits de l'homme, aient été entendues. Le gouvernement indique que les parties sont parvenues à un accord en date du 19 avril 2000 et que les communautés ont regagné leur lieu d'origine.
  57. 48. S'agissant des allégations relatives à l'enregistrement des autorités indigènes, le gouvernement indique qu'un différend est né sur cet aspect avec certains des membres de la communauté indigène. De ce fait, une demande pour outrage à l'autorité de la justice a été présentée contre le maire de Tierralta, demande auquel le tribunal a donné droit. Par conséquent, tous les groupements ayant émis librement le désir de figurer comme membres de la communauté indigène ont été enregistrés.
  58. 49. Le gouvernement signale qu'en vue de l'application de l'arrêt T-652/98 de la Cour constitutionnelle, l'INCORA a adopté les résolutions 052 et 053, datées du 23 décembre 1998, dans lesquelles il ordonne l'unification du resguardo du peuple Embera-Katío du haut Sinú.
  59. 50. S'agissant de la question de la réinstallation des familles Embera-Katío résidant dans la zone devant être inondée, le gouvernement indique que le processus a abouti pour 36 familles mais que d'autres se sont opposées à leur réinstallation.
  60. 51. S'agissant des allégations selon lesquelles l'entreprise Urrá aurait créé un premier barrage afin de pouvoir réaliser certains travaux de construction, enfreignant ce faisant la décision de la Cour constitutionnelle, le gouvernement signale qu'à la fin de l'année 1998, l'entreprise Urrá a fermé un tunnel pour pouvoir construire les vannes de fond du barrage. Selon le gouvernement, ces travaux relevaient de l'autorisation pour l'utilisation de l'environnement que l'INDERENA avait accordée en 1993 et ne justifiaient donc pas la demande d'une nouvelle autorisation auprès du ministère de l'Environnement.
  61. 52. Le gouvernement affirme que le ministère de l'Environnement a respecté fidèlement les conditions fixées par la Cour constitutionnelle comme préalable à l'octroi d'une autorisation pour les étapes correspondant à la mise en eau et à la mise en service du barrage et que ce point a été confirmé par le Tribunal supérieur du district judiciaire de Córdoba, qui a rejeté la demande pour outrage à l'autorité de la justice qui lui avait été présentée.
  62. 53. S'agissant des allégations relatives aux assassinats et menaces contre les porte-parole de la communauté, le gouvernement indique que l'enquête en est encore à un stade préliminaire.
  63. III. Conclusions du comité
  64. 54. Le comité prend acte des informations fournies et détaillées présentées sur cette affaire tant par les organisations plaignantes que par le gouvernement.
  65. 55. Le comité fait observer que, comme suite à l'arrêt T-652 que la Cour constitutionnelle a rendu en date du 10 novembre 1998, le resguardo des Embera-Katío a été unifié (en application de la résolution n° 053 de décembre 1998) et que le maire de Tierralta a enregistré et reconnu les représentants désignés par le peuple Embera-Katío. De même, l'entreprise Urrá, le gouvernement colombien et les communautés représentées par les Cabildos Mayores du Sinú et du Río Verde sont parvenus à un accord en date du 19 avril 2000 sur certains aspects, et notamment sur la question des territoires, la participation aux bénéfices, les problèmes de réinstallation, le plan environnemental "Jenene" et les droits de l'homme.
  66. 56. Cependant, le comité entend exprimer sa préoccupation quant à l'absence de consultation, élément qui fonde la réclamation. Dans ce contexte, le comité estime que la convention ne peut être appliquée rétroactivement. Toutefois, la couvention s'appliquerait aux faits survenus depuis la date de son entrée en vigueur dans le pays. Dans son arrêt T-652, la Cour constitutionnelle a conclu qu'aucun processus de consultation préalable n'avait été mené auprès du peuple Embera-Katío avant l'octroi, en 1993, de la première autorisation pour l'utilisation de l'environnement demandée pour la construction du barrage et le détournement du Sinú. Le comité estime que cet acte enfreint l'article 6 et le paragraphe 2 de l'article 15 de la convention, qui est entrée en vigueur en Colombie le 7 août 1992. Il ressort en outre de la décision T-652, que les autorités gouvernementales ont admis qu'aucun processus de consultation préalable n'avait été mené et qu'elles ont mentionné qu'aucune norme ne réglementait encore le processus de consultation en 1993. Le comité observe que le décret n° 1320/1998, qui "s'applique aux consultations préalables avec les communautés indigènes et noires pour l'exploitation des ressources naturelles renouvelables à l'intérieur du territoire" n'a pas été appliqué dans le cas des consultations menées auprès du peuple Embera-Katío pour les étapes correspondant à la mise en eau et à la mise en service du barrage car la Cour constitutionnelle a estimé que le texte enfreignait la Constitution colombienne et les normes incorporées au droit interne en application de la loi 21/1991 (voir également document GB.282/14/3).
  67. 57. Dans ce contexte, le comité appelle l'attention du gouvernement sur l'article 6 de la convention, qui fait obligation aux Etats de mener des consultations préalables auprès des peuples intéressés. L'article 6 dispose en effet que:
  68. 1. En appliquant les dispositions de la présente convention, les gouvernements doivent:
  69. a) consulter les peuples intéressés, par des procédures appropriées, et en particulier à travers leurs institutions représentatives, chaque fois que l'on envisage des mesures législatives ou administratives susceptibles de les toucher directement;
  70. b) mettre en place les moyens par lesquels lesdits peuples peuvent, à égalité au moins avec les autres secteurs de la population, participer librement et à tous les niveaux à la prise de décisions dans les institutions électives et les organismes administratifs et autres qui sont responsables des politiques et des programmes qui les concernent;
  71. c) mettre en place les moyens permettant de développer pleinement les institutions et initiatives propres à ces peuples et, s'il y a lieu, leur fournir les ressources nécessaires à cette fin.
  72. 2. Les consultations effectuées en application de la présente convention doivent être menées de bonne foi et sous une forme appropriée aux circonstances, en vue de parvenir à un accord ou d'obtenir un consentement au sujet des mesures envisagées.
  73. 58. Le comité estime que le principe de la consultation préalable tel qu'il est établi à l'article 6 doit être considéré dans le contexte de la politique générale énoncée aux paragraphes 1 et 2 b) de l'article 2:
  74. 1. Il incombe aux gouvernements, avec la participation des peuples intéressés, de développer une action coordonnée et systématique en vue de protéger les droits de ces peuples et de garantir le respect de leur intégrité.
  75. 2. Cette action doit comprendre des mesures visant à:
  76. (...)
  77. b) promouvoir la pleine réalisation des droits sociaux, économiques et culturels de ces peuples, dans le respect de leur identité sociale et culturelle, de leurs coutumes et traditions et de leurs institutions.
  78. 59. Le comité rappelle que, lors des débats qui ont conduit à l'adoption de l'article 6 de la convention qui traite de la consultation préalable, un représentant du Secrétaire général a indiqué qu'en rédigeant le texte de la sorte, le Bureau ne voulait pas suggérer que les consultations en question devaient nécessairement aboutir à un accord ou un consentement sur les questions faisant l'objet de la consultation mais plutôt que ce devait être là l'objectif vers lequel elles devaient tendre (Note 9). Cependant, le comité estime que l'obligation de consultation préalable doit être considérée à la lumière de l'un des principes fondamentaux de la convention, qui est contenu dans les paragraphes 1 et 3 de l'article 7:
  79. 1. Les peuples intéressés doivent avoir le droit de décider de leurs propres priorités en ce qui concerne le processus du développement, dans la mesure où celui-ci a une incidence sur leur vie, leurs croyances, leurs institutions et leur bien-être spirituel et les terres qu'ils occupent ou utilisent d'une autre manière, et d'exercer autant que possible un contrôle sur leur développement économique, social et culturel propre. En outre, lesdits peuples doivent participer à l'élaboration, à la mise en oeuvre et à l'évaluation des plans et programmes de développement national et régional susceptibles de les toucher directement.
  80. (...)
  81. 3. Les gouvernements doivent faire en sorte que, s'il y a lieu, des études soient effectuées en coopération avec les peuples intéressés, afin d'évaluer l'incidence sociale, spirituelle, culturelle et sur l'environnement que les activités de développement prévues pourraient avoir sur eux. Les résultats de ces études doivent être considérés comme un critère fondamental pour la mise en oeuvre de ces activités.
  82. 60. En outre, l'article 15 dispose que:
  83. 1. Les droits des peuples intéressés sur les ressources naturelles dont sont dotées leurs terres doivent être spécialement sauvegardés. Ces droits comprennent celui, pour ces peuples, de participer à l'utilisation, à la gestion et à la conservation de ces ressources.
  84. 2. Dans les cas où l'Etat conserve la propriété des minéraux ou des ressources du sous-sol ou des droits à d'autres ressources dont sont dotées les terres, les gouvernements doivent établir ou maintenir des procédures pour consulter les peuples intéressés dans le but de déterminer si et dans quelle mesure les intérêts de ces peuples sont menacés avant d'entreprendre ou d'autoriser tout programme de prospection ou d'exploitation des ressources dont sont dotées leurs terres. Les peuples intéressés doivent, chaque fois que c'est possible, participer aux avantages découlant de ces activités et doivent recevoir une indemnisation équitable pour tout dommage qu'ils pourraient subir en raison de telles activités.
  85. 61. Le comité estime que, si l'article 6 ne fait pas de l'obtention du consensus l'aboutissement nécessaire des processus de consultation préalable, il prévoit en revanche que les peuples intéressés doivent pouvoir participer librement et à tous les niveaux à l'élaboration, à la mise en uvre et à l'évaluation des plans et programmes susceptibles de les toucher directement.
  86. 62. Dans ce contexte, le comité souhaite exprimer sa préoccupation quant aux informations selon lesquelles, au cours de la période des consultations que la Direction générale des affaires indigènes du ministère de l'Intérieur a convoquées en date du 18 mars 1999 (et qui se sont poursuivies jusqu'au 2 septembre 1999), des actes criminels visant à intimider les membres de la communauté Embera-Katío auraient été perpétrés, et, notamment, que Lucindo Domicó Cabrera, représentant et porte-parole des Embera-Katío pour les besoins du processus de consultation, aurait été assassiné le 24 avril 1999. Le comité prend note également que des actes criminels similaires se sont produits en 2001, et, en particulier, qu'un chef traditionnel, Kimy Domicó Pernía, est toujours porté disparu depuis son enlèvement, le 2 juin 2001 (Note 10).
  87. 63. S'agissant du processus de consultation mené auprès du peuple Embera-Katío, le comité souhaite également exprimer sa préoccupation au sujet des mesures adoptées par le gouvernement et l'entreprise Urrá qui auraient tendu à semer le trouble et la discorde au sein de la communauté Embera-Katío du haut Sinú ou du moins à favoriser un tel état de choses. Dans ce contexte, le comité prend note des constatations de la Cour constitutionnelle, qui a fait observer dans son arrêt T-652 du 10 novembre 1998 que le peuple Embera-Katío du haut Sinú était un peuple indigène unique et que la création de deux resguardos contigus au lieu d'un seul avait effectivement nui à la résolution des conflits internes rencontrés. Le comité prend note en outre que, pendant le processus de consultation organisé en application de l'arrêt T-652 de la Cour constitutionnelle, les autorités gouvernementales et l'entreprise Urrá ont convoqué les différents sous-groupes du peuple Embera-Katío du haut Sinú à des réunions de concertation et de négociation distinctes et qu'elles ont signé avec chacun d'entre eux un accord différent. A cet égard, tout en étant pleinement conscient qu'il peut parfois être difficile de déterminer quels sont les représentants légitimes d'un peuple indigène, le comité estime qu'il aurait été souhaitable dans ce cas, et dans la mesure du possible, de respecter l'esprit de l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle pour ce qui touche à la consultation, c'est-à-dire d'organiser un processus de consultation unique avec toutes les autorités légitimes du peuple Embera-Katío du haut Sinú et de signer avec elles un accord unique, de sorte à protéger l'intégrité ethnique du peuple considéré.
  88. 64. S'agissant de la réinstallation des familles indigènes résidant dans la zone devant être inondée, le comité fait observer que le paragraphe 5 de l'article 16 de la convention dispose comme suit:
  89. Les personnes ainsi déplacées et réinstallées doivent être entièrement indemnisées de toute perte ou de tout dommage subi par elles de ce fait.
  90. 65. Le comité note que, dans son arrêt T-652, la Cour constitutionnelle a établi que l'entreprise Urrá devait indemniser le peuple Embera-Katío du haut Sinú pour les dommages entraînés par la construction et l'exploitation du barrage. La Cour a décidé que, si le peuple Embera-Katío et l'entreprise Urrá ne parvenaient pas à un accord dans le délai établi dans la même décision, les communautés en question devraient engager une procédure devant le Tribunal supérieur du District judiciaire de Córdoba pour "fixer le montant de la somme correspondant à un subside pour l'alimentation et le transport. L'entreprise propriétaire du projet devra verser ladite somme à chacun des membres du peuple indigène durant les quinze (15) années à venir afin de garantir la survie physique de ce peuple pendant la période pendant laquelle il devra adapter ses us et coutumes aux nouvelles données culturelles, économiques et politiques découlant de la construction de l'installation hydroélectrique, qui a été menée sans que les Embera aient été consultés, et former les nouvelles générations pour empêcher la disparition de la culture considérée à moyen terme".
  91. 66. Le comité a pris note qu'une demande relative à l'évaluation de l'indemnité a effectivement été présentée et qu'elle a été rejetée, mais que la Cour constitutionnelle a ordonné à nouveau au tribunal de donner suite à la demande. Le comité a été informé que l'affaire a été présentée au Tribunal suprême de justice et que la chambre du travail de cet organe a rendu sa décision le 16 mai 2001, s'abstenant de se prononcer sur l'affaire. Le comité prend note également que, le 24 octobre 2001, le Conseil supérieur de la magistrature a déclaré que la chambre du travail de la Cour suprême de justice devait respecter l'arrêt de la Cour constitutionnelle et fixer l'indemnité due au peuple Embera-Katío du haut Sinú en raison des dommages causés par l'installation hydroélectrique Urrá (Note 11).
  92. 67. Le comité fait observer que les accords conclus par les autorités gouvernementales, l'entreprise Urrá et le peuple Embera-Katío prévoient l'octroi de terres supplémentaires au peuple Embera-Katío et d'autres mesures de compensation. Cependant, le comité note que, comme la Cour constitutionnelle l'a établi dans son arrêt T-652, la création d'un barrage suppose le passage soudain d'un écosystème terrestre à un écosystème aquatique et peut modifier le climat d'une région, augmenter l'activité sismique, accroître l'incidence de certaines maladies, favoriser la disparition d'espèces aquatiques ou l'installation de nouvelles espèces voire modifier la structure sociale et économique d'une région dans sa totalité. Le comité ne prétend pas faire de commentaires sur l'utilité même du projet mais bien sur l'impact que celui-ci a eu pour les peuples indigènes affectés. Dans ce contexte, le comité appelle l'attention du gouvernement sur l'article 19, qui établit que:
  93. Les programmes agraires nationaux doivent garantir aux peuples intéressés des conditions équivalentes à celles dont bénéficient les autres secteurs de la population en ce qui concerne:
  94. a) l'octroi de terres supplémentaires quand les terres dont lesdits peuples disposent sont insuffisantes pour leur assurer les éléments d'une existence normale, ou pour faire face à leur éventuel accroissement numérique;
  95. b) l'octroi des moyens nécessaires à la mise en valeur des terres que ces peuples possèdent déjà.
  96. IV. Recommandations du comité
  97. 68. Le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport et, à la lumière des conclusions figurant aux paragraphes 54 à 67 du rapport:
  98. a) de demander au gouvernement de modifier le décret n° 1320/1998 de sorte à le mettre en conformité avec l'esprit de la convention, en consultation avec les représentants des peuples indigènes de Colombie et avec leur participation active, conformément à ce que prévoit la convention;
  99. b) de proposer au gouvernement de continuer de prévoir, dans le cadre des efforts visant à résoudre les problèmes que le peuple Embera-Katío connaît encore du fait de la mise en eau et de la mise en service du barrage, la participation des représentants de l'ensemble du peuple intéressé, de sorte qu'un dialogue caractérisé par la coopération et le respect mutuel s'instaure, permettant aux parties de trouver une issue à la situation du peuple en question.
  100. c) d'inviter le gouvernement à continuer de communiquer des informations à la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, dans les rapports qu'il est tenu de présenter en vertu de l'article 22 de la Constitution de l'OIT au sujet de la convention considérée, sur l'évolution des questions qui motivent la réclamation, et notamment sur:
  101. i) les mesures prises pour faire respecter les accords conclus par les autorités gouvernementales, l'entreprise Urrá et le peuple Embera-Katío, y compris l'accord signé le 19 avril 2000;
  102. ii) les mesures prises ou envisageables pour sauvegarder l'intégrité culturelle, sociale, économique et politique du peuple Embera-Katío et prévenir les actes d'intimidation ou de violence visant les membres de cette communauté;
  103. iii) les mesures prises pour indemniser les membres du peuple Embera-Katío en application de l'arrêt T-652 de la Cour constitutionnelle; iv) l'état d'avancement des enquêtes en cours sur les assassinats, enlèvements et menaces dont auraient été la cible plusieurs porte-parole de la communauté considérée, et notamment Alonso Domicó Jarupia, Alirio Pedro Domicó, Lucindo Domicó Cabrera et Kimy Domicó Pernía;
  104. d) de déclarer close la procédure engagée devant le Conseil d'administration à la suite de la réclamation.
  105. Genève, le 14 novembre 2001.
  106. (Signé) Felipe Ernst(membre gouvernemental, Chili), Jorge de Regil Gómez (membre employeur, Mexique), Federico Ramírez León(membre travailleur, Venezuela).
  107. Note 1
  108. Voir la décision T-652/98 de la Cour constitutionnelle de Colombie.
  109. Note 2
  110. En 1997, l'entreprise Multipropósito Urrá, S.A., a changé de nom et de raison sociale; elle se nomme depuis Urrá S.A., E.S.P.
  111. Note 3
  112. Voir la décision T-652 de la Cour constitutionnelle.
  113. Note 4
  114. Idem.
  115. Note 5
  116. Idem.
  117. Note 6
  118. La question de la conformité du décret n° 1320 avec les dispositions de la convention est analysée de façon plus détaillée dans le rapport relatif à une autre réclamation présentée contre le gouvernement de la Colombie qui sera également examinée au cours de la présente session du Conseil d'administration (voir document GB.282/14/3).
  119. Note 7
  120. Il s'agit d'Alonso Domicó Jarupia.
  121. Note 8
  122. Voir la décision T-652 de la Cour constitutionnelle.
  123. Note 9
  124. Voir le rapport de la Commission sur la convention n° 107, Compte rendu provisoire n° 25, paragr. 74, p. 25/14, Conférence internationale du Travail, 76e session, Genève, 1989.
  125. Note 10
  126. A la date de la réclamation, les allégations suivantes ont été faites: "après que la Cour constitutionnelle a rendu sa décision, des paramilitaires de la région ont assassiné Alonso Domicó Jarupia (chef spirituel du peuple Embera-Katío), Alejandro Domicó, Lucindo Domicó Cabrera, (que la CUT et l'ASMEDAS présentent comme le négociateur principal lors des consultations) et Ruben Dario Mosquera Pernía".
  127. Note 11
  128. Le comité est informé des décisions judiciaires en question, mais les parties ne lui en ont pas envoyé copie.
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