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RECLAMATION (article 24) - BOLIVIE - C169 - 1999

Centrale des travailleurs de Bolivie (COB)

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Rapport du comité chargé d'examiner réclamation alléguant l'inexécution par la Bolivie de la convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Centrale des travailleurs de Bolivie (COB)

Rapport du comité chargé d'examiner réclamation alléguant l'inexécution par la Bolivie de la convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Centrale des travailleurs de Bolivie (COB)

Decision

Decision
  1. Le Conseil d'administration a adopté le rapport du comité tripartite. Procédure close.

La procédure de plainte

La procédure de plainte
  1. I. Introduction
  2. 1. Par une communication en date du 18 février 1998, que le Bureau a reçue le 9 avril 1998, la Centrale des travailleurs de Bolivie (COB), invoquant l'article 24 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, a adressé au Bureau international du Travail une réclamation alléguant que le gouvernement de la Bolivie n'a pas adopté des mesures satisfaisantes pour assurer le respect de la convention (no 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989.
  3. 2 La convention (no 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, a été ratifiée par la Bolivie le 11 décembre 1991 et elle est en vigueur pour ce pays.
  4. 3. Les dispositions de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail relatives à la présentation des réclamations sont les suivantes:
  5. Article 24
  6. Toute réclamation adressée au Bureau international du Travail par une organisation professionnelle des travailleurs ou des employeurs, et aux termes de laquelle l'un quelconque des Membres n'aurait pas assuré d'une manière satisfaisante l'exécution d'une convention à laquelle ledit Membre a adhéré, pourra être transmise par le Conseil d'administration au gouvernement mis en cause et ce gouvernement pourra être invité à faire sur la matière telle déclaration qu'il jugera convenable.
  7. Article 25
  8. Si aucune déclaration n'est reçue du gouvernement mis en cause dans un délai raisonnable, ou si la déclaration ne paraît pas satisfaisante au Conseil d'administration, ce dernier aura le droit de rendre publique la réclamation reçue et, le cas échéant, la réponse faite.
  9. 4. La procédure à suivre en cas de réclamation est régie par le Règlement relatif à la procédure à suivre pour l'examen des réclamations au titre des articles 24 et 25 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, tel qu'il a été révisé par le Conseil d'administration à sa 212e session (mars 1980).
  10. 5. Conformément aux articles 1 et 2, paragraphe 1, de ce Règlement, le Directeur général a accusé réception de la réclamation, l'a communiquée au gouvernement de la Bolivie et l'a transmise au bureau du Conseil d'administration.
  11. 6. A sa 272e session (juin 1998), le Conseil d'administration, sur la recommandation de son bureau, a déclaré la réclamation recevable. Il a désigné le comité chargé de l'examen de la réclamation, composé de M. Antonio Ducreux S. (membre gouvernemental, Panama), de M. Francisco Díaz Garaycoa (membre employeur, Equateur) et de Mme María Rozas Velásquez (membre travailleur, Chili).
  12. 7. En vertu des dispositions figurant aux alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l'article 4 du Règlement, le comité a invité le gouvernement à soumettre ses observations sur la réclamation et a demandé à l'organisation auteur de la réclamation de fournir tous les renseignements complémentaires qu'elle désirait communiquer au comité.
  13. 8. Par une communication en date du 9 septembre 1998, le gouvernement a envoyé ses commentaires.
  14. II. Examen de la réclamation
  15. A. Allégations présentées par la Centrale des travailleurs de Bolivie (COB)
  16. 9. La Centrale des travailleurs de Bolivie (COB), au nom de la Confédération des peuples indigènes de Bolivie (CIDOB) et de ses organisations affiliées, la Coordination des peuples ethniques de Santa Cruz (CPESC), la Centrale des peuples indigènes du Beni (CPIB) et la Centrale indigène de la région amazonienne de Bolivie (CIRABO), allègue que le gouvernement, par le truchement de la Surintendance nationale des forêts, a pris des décisions administratives en contravention avec certaines dispositions de la convention et certains principes fondamentaux de la législation nationale.
  17. 10. Par ces décisions, 86 nouvelles concessions forestières ont été établies dans le cadre d'un système dit de «conversion volontaire des contrats». Vingt-sept de ces concessions recouvrent six terres communautaires d'origine (terme utilisé dans la Constitution nationale pour désigner les territoires indigènes traditionnels) qui font l'objet de mesures conservatoires prononcées par l'Institut national de réforme agraire (INRA), moyennant quoi aucun nouvel établissement, aucune dotation, adjudication ou concession forestière n'est possible dans ces zones, qui doivent porter le titre de territoires indigènes. Cependant, une fois accordé ce titre provisoire et prononcées les mesures conservatoires conformément à l'engagement pris par l'Etat bolivien envers la société nationale et la communauté internationale en ratifiant la convention, des concessions forestières recouvrant les zones qualifiées de territoires indigènes ont été octroyées à des entreprises qui exploitent le bois.
  18. 11. La COB fait valoir que la nouvelle loi sur les forêts, adoptée le 12 juillet 1996, a permis aux titulaires de contrats d'exploitation des ressources forestières à long terme établis avant l'adoption de la nouvelle loi de convertir leurs contrats en une nouvelle concession («conversion volontaire») pour une durée de quarante ans reconductible, moyennant le paiement d'une taxe minime. La COB indique que ces entreprises de la filière bois n'ont pas été tenues de satisfaire à l'exigence d'un appel d'offres international, mais ont dû simplement se plier à certaines formalités qui, dans bien des cas, n'étaient pas remplies à la date où les décisions de conversion ont été prises.
  19. 12. La COB affirme que cette conversion des contrats d'exploitation forestière est en contradiction directe avec les demandes territoriales indigènes formées en vue d'obtenir des titres de propriété. Elle indique que la superficie des concessions de bois qui recouvrent des territoires indigènes atteint 712 313 hectares au total, ce qui représente, par exemple, 33 pour cent du territoire Yaminahua-Machineri, 22 pour cent du territoire des Guarayos ou 13 pour cent du territoire de Monte Verde. La COB indique en outre que les territoires en cause seront soumis à un processus d'«assainissement» dont on prévoit qu'il rognera des espaces considérables au profit de tiers. Par ailleurs, les expropriations et concessions aux fins de l'exploitation minière et pétrolière réduiront d'autant ces territoires.
  20. 13. Cette situation, d'après les plaignants, engendrera de graves conflits sociaux, car les concessions forestières menacent directement la viabilité des territoires indigènes sur lesquels elles empiètent en raison de leur impact considérable, tant social qu'économique.
  21. 14. Compte tenu de cette situation, les organisations indigènes ont cherché à dialoguer avec la Surintendance nationale des forêts, qui est l'instance chargée de contrôler l'application de la loi sur les forêts et de prendre les décisions de conversion des contrats d'exploitation forestière. Des requêtes ont été adressées et des audiences ont été obtenues, au cours desquelles il a été souligné que l'octroi de ces nouvelles concessions sur les territoires indigènes constituerait une violation flagrante des droits indigènes pleinement reconnus et protégés par la législation nationale en vigueur. Le surintendant a avoué qu'il se trouvait entre deux feux, à savoir entre les peuples indigènes et le secteur forestier commercial. Une attention privilégiée a été accordée aux entreprises forestières et, le 1er août 1997, 86 concessions de bois leur ont été octroyées dans le cadre du système de «conversion volontaire».
  22. 15. Les organisations plaignantes affirment que ces nouvelles concessions menacent la viabilité des territoires indigènes, et les organisations indigènes concernées ont contesté les décisions de conversion en cherchant à obtenir que la Surintendance révise sa position et annule les conversions illégales. La contestation a constitué la première étape pour obtenir par la voie administrative l'invalidation des concessions. Cependant, le 12 septembre 1997, la Surintendance nationale des forêts a rejeté le recours formé par les organisations indigènes et confirmé les décisions de conversion des concessions. Le 2 octobre, les organisations indigènes ont franchi une deuxième étape dans la procédure administrative en portant un recours hiérarchique devant le Système de réglementation des ressources naturelles renouvelables (SIRENARE).
  23. 16. Les organisations plaignantes soulignent que les faits suivants dénotent des violations de la convention et des droits des peuples indigènes consacrés par la législation nationale:
  24. - 3le droit de consultation stipulé à l'article 6 de la convention a été violé, car la Surintendance des forêts n'a établi aucun mécanisme de participation ou de véritable consultation pour que les peuples puissent exprimer leur point de vue et influer sur les décisions;
  25. - par ailleurs, la convention dispose à l'article 14 que les droits de propriété et de possession sur les terres qu'ils occupent traditionnellement doivent être reconnus aux peuples indigènes, de même que le droit d'utiliser les terres non exclusivement occupées par eux, mais auxquelles ils ont traditionnellement accès pour leurs activités traditionnelles et de subsistance. Les concessions forestières contestées jouissent bien d'un droit acquis légalement, mais postérieur à celui des peuples indigènes qui ont possédé ces terres pacifiquement et de temps immémorial et, par conséquent, l'octroi de concessions forestières recouvrant les terres communautaires d'origine constitue une violation de l'article 14 de la convention;
  26. - les dispositions mentionnées de la loi no 1715 donnent mandat exprès de perfectionner le droit territorial préexistant des peuples indigènes en suivant les modalités adaptées aux circonstances; cependant, les décisions de conversion n'ont pas tenu compte de la reconnaissance légale dont jouissent les territoires indigènes en vertu des dispositions susmentionnées. En outre, le concept de «droits acquis légalement par des tiers» lesquels seront respectés pour la délivrance des titres de propriété et se réfèrent exclusivement aux droits de propriété agraire, alors que les entreprises forestières n'ont pas un droit de propriété sur la terre mais un droit accessoire à ce droit est employé abusivement;
  27. - la deuxième disposition finale, paragraphe 1 de la loi no 1715 sur le Service national de réforme agraire, dispose que, sur les terres communautaires d'origine où existeraient des concessions ou des conflits de droit, le droit du peuple ou de la communauté indigène et originaire sur les concessions, contrats ou autorisations d'exploitation forestière prévaut, ce qu'ignorent les décisions de conversion; il n'est fait aucune allusion au droit de préférence, qui constitue une norme déterminante et sans ambiguïté selon laquelle les droits territoriaux indigènes priment sur tout autre type de droit forestier.
  28. 17. Les organisations plaignantes concluent en notant qu'il est injustifiable qu'une institution publique, établie légalement et appelée à agir de manière équitable et conforme aux normes en vigueur, lèse les droits territoriaux et forestiers des communautés indigènes sous la pression des entrepreneurs qui exploitent le bois. Cela menace directement la viabilité des territoires indigènes, car l'existence de concessions forestières sur ces territoires aura un impact considérable tant sur le plan social que sur le plan économique en affectant les ressources naturelles qu'il est nécessaire de protéger pour les générations futures.
  29. B. Déclaration du gouvernement
  30. 18. Le gouvernement indique que la Constitution dispose que le sol et le sous-sol, avec toutes leurs richesses naturelles, font partie du domaine originaire de l'Etat, et que la loi fixe les conditions applicables à ce domaine ainsi que celles de sa concession et de son adjudication à des particuliers.
  31. 19. Cependant, l'Etat envisage dans sa législation les dispositions du paragraphe 2 de l'article 15 de la convention concernant l'établissement ou le maintien de procédures pour consulter les peuples intéressés dans le but de déterminer si et dans quelle mesure les intérêts de ces peuples sont menacés avant d'entreprendre ou d'autoriser tout programme de prospection ou d'exploitation des ressources dont sont dotées leurs terres, et de leur verser une indemnisation équitable pour tout dommage qu'ils pourraient subir en raison de telles activités.
  32. 20. Le gouvernement indique en outre que l'Etat bolivien, de par sa Constitution et conformément à l'engagement qu'il a pris en ratifiant la convention, serait seulement tenu d'observer et de respecter les obligations envisagées au paragraphe 2 de l'article 15 de la convention concernant la consultation, la participation aux bénéfices dans la mesure du possible et le versement d'une indemnisation. Il signale également que certains secteurs du mouvement indigène prétendent à la reconnaissance de territoires indigènes autonomes et à la propriété absolue de la totalité des ressources naturelles renouvelables et non renouvelables du sol et du sous-sol dont sont dotées les terres des peuples indigènes.
  33. 21. Le gouvernement indique par ailleurs que la réforme constitutionnelle de 1994 a consacré pour la première fois comme un droit les terres - collectives - des peuples indigènes, en les qualifiant de «terres communautaires d'origine». La loi no 1715 du 18 octobre 1996 sur le Service national de réforme agraire établit la portée juridique des terres communautaires d'origine et dispose que cette dénomination embrasse le concept de territoire indigène, conformément à la définition qui figure dans la partie II de la convention. En outre, le titre de terres communautaires d'origine octroie aux peuples indigènes et originaires la propriété collective de leurs terres, qui ne peuvent être ni rendues, ni aliénées, ni grevées, ni saisies, ni acquises par prescription. Le droit de participer à l'utilisation et à l'exploitation durable des ressources naturelles renouvelables dont elles sont dotées leur est en outre reconnu. La distribution et la redistribution aux individus et aux familles à l'intérieur des terres communautaires d'origine et des terres communales ayant reçu un titre collectif sont régies par les règles de la communauté, conformément à ses us et coutumes.
  34. 22. En ce qui concerne les ressources forestières, le gouvernement indique que la loi no 1700 du 12 juillet 1996 sur les forêts (promulguée avant la loi sur le Service national de réforme agraire) établit un nouveau régime forestier et que, compte tenu des deux positions extrêmes évoquées plus haut, le gouvernement, s'appuyant sur l'article 136 II) de la Constitution nationale, a garanti aux peuples indigènes, à l'article 32 II) et III) de la loi no 1700, l'exclusivité de l'exploitation des forêts sur les terres communautaires d'origine dûment reconnues. Par le biais de la loi sur les forêts, l'Etat accorde aux peuples indigènes, sur leurs terres communautaires d'origine, le droit d'exploitation exclusive des ressources forestières, à l'exception constitutionnelle du domaine originaire de l'Etat dont relèvent les ressources naturelles, évoqué à l'article 136 de la Constitution.
  35. 23. Toute autre personne physique ou morale non indigène doit obtenir une concession forestière auprès de la Surintendance des forêts. Les indigènes, au contraire, n'ont besoin que d'une autorisation et non d'une concession pour exploiter les ressources forestières, car ils ont un droit exclusif sur la forêt. On ne leur a pas accordé la propriété des ressources forestières, car cela aurait été anticonstitutionnel, mais on leur a concédé un droit exclusif, qui va plus loin que la consultation préalable ou que l'accès dans la mesure du possible aux bénéfices et à une indemnisation équitable en cas de dommage, que l'Etat est tenu d'assurer conformément au paragraphe 2 de l'article 15 de la convention.
  36. 24. Le gouvernement souligne qu'il a accordé le titre de terres communautaires d'origine à des terres d'une superficie de 2 775 000 hectares sur lesquelles il n'existe aucune nouvelle concession forestière, car le droit des peuples indigènes à l'obtention de ce titre a été confirmé. Si, à l'intérieur de ces terres communautaires, des tiers effectuaient des coupes illicites d'arbres dont le bois est commercialisable ou de tout autre produit de la forêt, le produit serait confisqué et remis intégralement au peuple indigène détenteur du droit sur la terre communautaire d'origine, comme le dispose sans équivoque le paragraphe 1 de l'article 96 du décret d'application de la loi no 24453 sur les forêts. Outre que ce droit est reconnu, des mécanismes ont été établis pour le protéger efficacement.
  37. 25. Lors de l'adoption de la loi du 18 octobre 1996 sur le Service national de réforme agraire, la Confédération des peuples indigènes de Bolivie (CIDOB) a demandé le titre de terres communautaires d'origine pour 16 zones d'une superficie totale de 11 666 508 hectares, ce qui a été accordé en vertu de la loi no 1715. Les 16 zones sont soumises à un processus d'«assainissement» pour déterminer les droits de tiers à l'intérieur des terres communautaires d'origine.
  38. 26. Le gouvernement déclare que les irrégularités du processus de réforme agraire, qui a commencé en 1953, ont abouti à la délivrance de titres de propriété agraire surtout dans la région du Chaco, la région orientale et la région amazonienne de Bolivie, ce qui s'est traduit par l'accumulation de terres entre les mains de particuliers qui ont destiné les terres assorties d'un titre au trafic et au commerce des terres. C'est pourquoi la nouvelle loi no 1715 a établi un processus d'«assainissement» des terres pour identifier ces irrégularités et annuler les titres frauduleux ou retourner au domaine de l'Etat les propriétés agricoles qui ne remplissent pas la fonction économique et sociale de la terre. Ce processus doit durer dix ans.
  39. 27. Le gouvernement poursuit en signalant que, pour que dans ce délai les demandes de terres communautaires d'origine ne fassent pas l'objet d'autres réclamations de la part de tiers, c'est-à-dire de nouveaux colons ou entrepreneurs agricoles, et pour qu'on ne puisse pas non plus octroyer de nouvelles concessions forestières, les terres en cause ont été soumises à des mesures conservatoires en vertu de la loi no 1715 (troisième disposition transitoire I)), qui dispose ce qui suit: «En ce qui concerne les 16 demandes de terres communautaires d'origine présentées antérieurement à l'adoption de la présente loi, elles seront soumises à des mesures conservatoires et ne pourront faire l'objet de nouvelles demandes ni de nouveaux établissements, et les droits légalement acquis par des tiers seront respectés.» La superficie de plus de 11 millions d'hectares sur laquelle portent les 16 demandes de terres communautaires d'origine a été soumise à des mesures conservatoires en vertu des décisions administratives de l'Institut national de réforme agraire. Le gouvernement souligne en outre que sur ces terres ainsi immobilisées on ne peut pas non plus octroyer de nouvelles concessions forestières, mais que le même texte que celui qui impose les mesures conservatoires indique clairement que les droits légalement acquis par des tiers sont respectés, c'est-à-dire que tout droit d'exploitation agricole, forestière, minière, d'élevage ou de toute autre nature octroyé antérieurement à la décision qui ordonne les mesures conservatoires doit être rigoureusement respecté, car la Constitution nationale, à l'article 33, établit la non-rétroactivité de la loi.
  40. 28. La précédente loi générale sur les forêts (décret-loi no 11686 du 13 août 1974) établissait les contrats d'exploitation des ressources forestières à long, à moyen et à court terme au profit des entreprises forestières et de quiconque souhaitait exploiter ces ressources. Les contrats à long terme avaient une durée de vingt ans et pouvaient être renouvelés à la demande de l'entreprise.
  41. 29. Les 27 entreprises dont les concessions, d'après les organisations plaignantes, recouvrent les terres faisant l'objet des 16 demandes de terres communautaires d'origine bénéficiaient, lors de la promulgation de la nouvelle loi no 1700 du 12 juillet 1996 sur les forêts et de la loi no 1715 du 18 octobre 1996 sur le Service national de réforme agraire, de contrats à long terme établis conformément à la législation antérieure et, par conséquent, parfaitement valables au regard de la législation sur les forêts. La loi no 1700 sur les forêts ne pouvait annuler ces contrats d'exploitation forestière à long terme en raison de la non-rétroactivité de la loi. C'est pourquoi les dispositions transitoires établissent, pour toutes les entreprises qui, lors de la promulgation de la loi sur les forêts, bénéficiaient de contrats d'exploitation à long terme, un régime de conversion volontaire, jusqu'au 31 décembre 1996, du régime antérieur pour se conformer à la nouvelle réglementation sur les forêts. Le gouvernement indique que ce régime transitoire de conversion volontaire a été une véritable nécessité, car s'il n'avait pas existé, deux textes législatifs sur les forêts seraient en vigueur dans le pays: le décret-loi no 11686 de 1974, et l'actuelle loi no 1700 sur les forêts.
  42. 30. En conséquence, le gouvernement souligne qu'il n'a accordé aucune concession forestière sur les terres objet des 16 demandes présentées par les peuples indigènes pour être en principe soumises à la procédure d'«assainissement» puis qualifiées de terres communautaires d'origine, et qui font actuellement l'objet de mesures conservatoires en vertu d'une décision de l'Institut national de réforme agraire. Le gouvernement indique qu'il ne pouvait annuler les droits forestiers légalement acquis par des tiers en vertu de la législation qui a établi les contrats d'exploitation à long terme des ressources forestières, ces droits étant pleinement en vigueur lors de la promulgation de la nouvelle loi no 1700 sur les forêts. Si l'on avait procédé à la résiliation des 86 contrats d'exploitation à long terme, dont 27 seulement portent sur les zones soumises à des mesures conservatoires en vue d'obtenir le titre de terres communautaires d'origine, on aurait enfreint les normes juridiques constitutionnelles relatives au droit de propriété privée, individuelle et collective dans la mesure où il remplit une fonction sociale, garantie de la propriété privée, et contrevenu au principe selon lequel la loi dispose pour l'avenir et n'a pas d'effet rétroactif. On aurait également violé les dispositions de la loi no 1715 sur le Service national de réforme agraire qui imposent l'adoption de mesures conservatoires sur les 16 zones faisant l'objet de demandes du titre de terres communautaires d'origine en respectant les droits acquis légalement par des tiers.
  43. 31. Le gouvernement fait valoir que la conversion des contrats des 27 entreprises qui exploitent le bois n'affecte pas gravement les intérêts des peuples indigènes et qu'avec la promulgation de la loi no 1700 sur les forêts, la superficie des terres sous contrat d'exploitation forestière à long terme a été ramenée de 22 à environ 6 millions d'hectares. La raison en est que la nouvelle loi établit le paiement annuel par les entreprises de la filière bois d'une patente forestière d'un montant équivalant à un dollar des Etats-Unis par hectare, ce qui représente une charge économique assez lourde pour les entreprises au bénéfice de contrats d'exploitation forestière à long terme. Concrètement, cela signifie que 16 millions d'hectares de terres octroyées aux entreprises qui exploitent le bois dans le cadre de contrats de vingt ans renouvelables sur simple demande de l'entreprise ont été rendus au domaine de l'Etat.
  44. 32. Sur ces 16 millions d'hectares rendus au domaine de l'Etat, conformément à la nouvelle loi sur les forêts et sur la base de la conversion volontaire, 2 176 529,59 hectares correspondent à des terres pour lesquelles est revendiqué le titre de terres communautaires d'origine et qui, lorsqu'elles auront obtenu ce titre, seront confirmées comme un droit exclusif pour les peuples indigènes. Les terres exploitées par les 27 entreprises de la filière bois sur les 11 666 508,1127 hectares de terres soumises à des mesures conservatoires en raison des 16 demandes de terres communautaires d'origine ont une superficie de 682 401,79 hectares et représentent 5,8 pour cent de ces terres. Par conséquent, le processus de conversion des contrats des entreprises forestières a eu pour effet de rendre à l'Etat plus de 2 millions d'hectares de terres qui, lorsqu'elles obtiendront le titre de terres communautaires d'origine, seront consolidées au profit des peuples indigènes avec le droit exclusif d'exploiter les ressources forestières. Cela représente une superficie supérieure à celle qui a été affectée. Le gouvernement souligne que ces données montrent clairement que les concessions des 27 entreprises de la filière bois n'affectent pas gravement ni sérieusement les territoires des peuples indigènes et que, bien au contraire, on est parvenu à rendre au profit de ces derniers plus de 2 millions d'hectares.
  45. 33. Le gouvernement fait savoir qu'il existe des garanties de procédure pour protéger les droits des personnes physiques ou morales qui se considéreraient lésées par les décisions administratives de concession ou de conversion de la Surintendance nationale des forêts, et que ces personnes peuvent former un recours auprès de la Surintendance en demandant la révocation de la décision contestée (article 43 de la loi sur les forêts). De même, les décisions de rejet des recours en révocation prononcées par le Surintendant des forêts peuvent être contestées par le biais d'un recours hiérarchique auprès de la Surintendance générale du Système de réglementation des ressources naturelles renouvelables (SIRENARE) (article 44 de la loi sur les forêts); c'est là la dernière procédure administrative possible. Une fois épuisée la voie administrative, il est encore possible de porter un recours administratif contentieux devant la Cour suprême de justice, qui est la dernière instance et qui statue en dernier ressort.
  46. 34. Les organisations indigènes de Bolivie ont exercé un recours hiérarchique auprès de la Surintendance générale du Système de réglementation des ressources naturelles renouvelables, qui s'est déjà prononcée en approuvant les décisions administratives de conversion prises par le Surintendant des forêts et en rejetant les contestations présentées par les organisations indigènes affiliées à la Confédération des peuples indigènes de Bolivie (CIDOB). Les organisations indigènes peuvent former un recours administratif contentieux auprès de la Cour suprême de justice de Bolivie.
  47. 35. Le gouvernement déclare enfin que les articles 6 et 14 de la convention n'ont pas été violés, non plus que les lois nationales qui reconnaissent les droits des peuples indigènes de Bolivie sur leurs terres et leur accès aux ressources naturelles. Il affirme en outre que, dans le cadre de la Constitution nationale, de la convention, de la loi no 1700 sur les forêts et de la loi no 1715 sur le Service national de réforme agraire, il a pris en compte l'opinion et la participation des peuples indigènes et originaires; il a pris les dispositions juridiques et administratives propres à garantir le droit de ces peuples d'utiliser, d'exploiter et de conserver les ressources naturelles renouvelables dont sont dotées leurs terres, qui a un caractère exclusif au profit des peuples indigènes. Le gouvernement souligne qu'il respecte ses engagements au plan international et son engagement spécial envers les peuples indigènes de Bolivie, et il confirme sa décision de continuer à établir les mécanismes juridiques, administratifs et de toute autre nature propres à permettre un nouveau type de relations entre l'Etat et les peuples indigènes fondé sur l'équité, le respect, la participation et la reconnaissance de leurs droits.
  48. III. Conclusions du comité
  49. 36. Le comité note que les allégations présentées par la COB au nom d'un ensemble d'organisations indigènes ont trait principalement à des décisions administratives de la Surintendance nationale des forêts qui établissent 27 concessions d'exploitation de bois recouvrant six territoires indigènes traditionnels sans qu'il y ait eu au préalable de consultations. Ces territoires sont soumis à un processus d'«assainissement» afin de déterminer les droits éventuels de tiers sur ces terres. Le comité observe que, selon les organisations plaignantes, ce processus rognera des espaces considérables au profit de tiers et que les expropriations et concessions aux fins de l'exploitation minière et pétrolière réduiront d'autant ces territoires. Le comité note par ailleurs que le gouvernement a accordé provisoirement le titre de terres communautaires d'origine à 16 zones, afin de garantir aux peuples indigènes une protection adéquate à l'avenir.
  50. 37. Le comité relève également que les terres exploitées par les 27 entreprises de la filière bois sur les 11 666 508 hectares de terres faisant l'objet de mesures conservatoires en raison des 16 demandes de terres communautaires d'origine ont une superficie de 682 401 hectares, ce qui représente 5,8 pour cent de ces terres et que, par suite du processus de conversion volontaire, les terres assorties de concessions forestières à long terme ont été réduites de 22 à 6 millions d'hectares. Le comité note que, sur les 16 millions d'hectares rendus à l'Etat, plus de 2 millions font partie des terres qui attendent le titre définitif de terres communautaires d'origine, et que le gouvernement insiste sur le fait qu'il n'a accordé aucune nouvelle concession forestière sur les terres objet des 16 demandes présentées par les peuples indigènes, mais qu'il ne pouvait annuler les contrats d'exploitation forestière à long terme qui étaient en vigueur lors de la promulgation de la nouvelle loi sur les forêts, car s'il l'avait fait il aurait enfreint les normes juridiques qui garantissent les droits acquis.
  51. 38. Cependant, étant donné que la procédure d'«assainissement» des terres sollicitées et les expropriations et concessions aux fins de l'exploitation minière et pétrolière peuvent affecter directement la viabilité et les intérêts des peuples indigènes intéressés, le comité tient à rappeler que l'article 15 de la convention est à rapprocher des articles 6 et 7 de la convention et que, du fait qu'ils ont ratifié ce texte, les gouvernements doivent veiller à ce que les communautés indigènes intéressées soient dûment consultées en temps opportun au sujet de la portée et des implications des activités de prospection et d'exploitation, qu'il s'agisse d'activités minières, pétrolières ou forestières.
  52. 39. Dans ces conditions, le comité juge approprié de recommander au Conseil d'administration de demander au gouvernement d'envisager la possibilité d'effectuer, dans chaque cas concret, en particulier lorsqu'il s'agit d'exploitations de grande envergure comme celles qui couvrent de très grandes superficies, une étude de l'impact culturel, social, spirituel et sur l'environnement conjointement avec les peuples concernés, avant d'autoriser des activités de prospection et d'exploitation des ressources naturelles dans des zones traditionnellement occupées par des peuples indigènes. Par ailleurs, le comité suggère au Conseil d'administration de demander au gouvernement d'informer la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de la procédure d'«assainissement» en cours des terres communautaires d'origine et de l'établissement ou du maintien de procédures adaptées pour les consultations à tenir avant de lancer toute activité de prospection et d'exploitation des ressources naturelles, comme le dispose la convention.
  53. 40. Le comité prend note également de la déclaration du gouvernement selon laquelle la législation nationale envisage des dispositions concernant des procédures pour consulter les peuples intéressés, comme le dispose l'article 15 de la convention, dans le but de déterminer si les intérêts de ces peuples seraient lésés avant d'entreprendre tout programme de prospection ou d'exploitation des ressources naturelles dont sont dotées leurs terres. Le comité note en outre que, selon le gouvernement, le droit exclusif d'exploitation des ressources forestières qui est accordé à ces peuples sur les terres communautaires d'origine dûment reconnues va au-delà de la consultation préalable ou de l'accès dans la mesure du possible aux bénéfices ou à une indemnisation équitable en cas de dommage. Le comité tient à rappeler le principe juridique reconnu à l'article 6, paragraphe 2, de la convention, à savoir que les consultations effectuées en application de la convention doivent être menées de bonne foi et d'une manière claire et adaptée aux circonstances, compte tenu en particulier du fait que les contrats évoqués dans le présent cas ont une durée et une portée considérables. Le comité comprend que les terres où sont situées les concessions forestières n'ont pas encore été intitulées terres communautaires d'origine, mais rien ne lui permet de conclure que ces consultations, que ce soit en vertu de l'article 6, paragraphe 1 a) ou de l'article 15, paragraphe 2, de la convention, ont été tenues ou qu'il est prévu que les peuples en cause participeront aux avantages découlant de ces activités chaque fois que c'est possible. Par conséquent, le comité suggère au Conseil d'administration de demander au gouvernement d'informer la commission d'experts des progrès réalisés dans la pratique pour ce qui est des consultations avec les peuples intéressés, de leur participation aux avantages des concessions chaque fois que c'est possible et d'une indemnisation équitable pour les dommages qu'ils pourraient subir en raison de cette exploitation.
  54. 41. Le comité note également que les concessions couvrant les terres demandées comme terres communautaires d'origine auraient une incidence importante sur certains groupes indigènes, et il recommande par conséquent au Conseil d'administration de demander au gouvernement d'accorder dans son prochain rapport une attention particulière à la situation spécifique de ces communautés.
  55. 42. Pour ce qui est des recours administratifs exercés par les organisations indigènes, le comité note qu'elles ont encore le droit de former un recours administratif contentieux auprès de la Cour suprême de justice de Bolivie, et il demande aux organisations plaignantes de faire savoir à la commission d'experts si elles exerceront ce droit et, dans l'affirmative, de l'informer du résultat, de même que du résultat du recours porté devant le SIRENARE.
  56. IV. Recommandations du comité
  57. 43. En adoptant le présent rapport, le comité est conscient du fait que l'application de la convention en Bolivie est prioritaire pour le gouvernement, et cela a retenu l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations lorsqu'elle a examiné certains points. Le comité espère que le gouvernement maintiendra un contact étroit avec la commission d'experts et avec le Bureau pour résoudre les difficultés qui pourraient surgir à cet égard.
  58. 44. Le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport et, compte tenu des conclusions figurant aux paragraphes 37 à 43 dudit rapport:
  59. a) de prier le gouvernement d'informer en détail la commission d'experts, par le biais des rapports qu'il doit présenter en vertu de l'article 22 de la Constitution de l'OIT au sujet de cette convention, des mesures adoptées ou prévues pour donner effet aux dispositions de la convention qui sont mentionnées dans les paragraphes qui précèdent;
  60. b) de demander au gouvernement d'appliquer pleinement les dispositions de l'article 15 de la convention, d'envisager d'effectuer des consultations dans chaque cas concret, en particulier lorsqu'il s'agit d'exploitations qui couvrent de grandes superficies comme celles dont il est question dans la présente réclamation, ainsi qu'une étude de l'impact culturel, social, spirituel et sur l'environnement conjointement avec les peuples concernés, avant d'autoriser des activités de prospection et d'exploitation des ressources naturelles dans des zones traditionnellement occupées par des peuples indigènes;
  61. c) de demander au gouvernement d'informer la commission d'experts du processus d'«assainissement» en cours sur les terres communautaires d'origine et de l'établissement ou du maintien de procédures adaptées pour les consultations à tenir avant de lancer toute activité de prospection et d'exploitation des ressources naturelles, comme le dispose la convention;
  62. d) de prier le gouvernement d'informer la commission d'experts des progrès réalisés dans la pratique pour ce qui est de la possibilité de consulter les peuples intéressés, de les faire participer aux avantages des concessions chaque fois que c'est possible et de leur accorder une indemnisation équitable pour les dommages qu'ils pourraient subir en raison de cette exploitation; et aussi d'accorder une attention particulière dans son prochain rapport à la situation spécifique des communautés indigènes qui pourraient être sérieusement affectées par les activités des concessions d'exploitation de bois situées sur leurs territoires;
  63. e) de demander aux organisations plaignantes de faire savoir à la commission d'experts si elles exerceront leur droit de recours auprès de la Cour suprême de justice et, dans l'affirmative, de l'informer du résultat, de même que du résultat du recours porté devant le SIRENARE;
  64. f) de déclarer close la procédure engagée auprès du Conseil d'administration par la présentation de la réclamation.
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