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RECLAMATION (article 24) - COLOMBIE - C169 - 2001

Centrale unitaire des travailleurs (CUT)

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Rapport du Comité chargé d'examiner la réclamation alléguant l'inexécution par la Colombie de la convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Centrale unitaire des travailleurs (CUT)

Rapport du Comité chargé d'examiner la réclamation alléguant l'inexécution par la Colombie de la convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Centrale unitaire des travailleurs (CUT)

Decision

Decision
  1. Le Conseil d'administration a adopté le rapport du comité tripartite. Procédure close.

La procédure de plainte

La procédure de plainte
  1. Troisième rapport supplémentaire:
  2. Réclamation alléguant l'inexécution par la Colombie de la convention (no 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Centrale unitaire des travailleurs de la Colombie (CUT)
  3. I. Introduction
  4. 1. Par une communication en date du 29 octobre 1999, que le Bureau a reçue le 5 novembre 1999, la Centrale unitaire des travailleurs de Colombie (CUT), invoquant l'article 24 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, a adressé au Bureau international du Travail une réclamation alléguant que le gouvernement de la Colombie n'avait pas adopté de mesures satisfaisantes pour assurer le respect de la convention (nº 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989.
  5. 2. La Colombie a ratifié la convention no 169 le 7 août 1991, laquelle est en vigueur dans le pays.
  6. 3. Les dispositions de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail relatives à la présentation de réclamations sont les suivantes:
  7. Article 24
  8. Réclamations au sujet de l'application d'une convention
  9. Toute réclamation adressée au Bureau international du Travail par une organisation professionnelle des travailleurs ou des employeurs, et aux termes de laquelle l'un quelconque des Membres n'aurait pas assuré d'une manière satisfaisante l'exécution d'une convention à laquelle ledit Membre a adhéré, pourra être transmise par le Conseil d'administration au gouvernement mis en cause et ce gouvernement pourra être invité à faire sur la matière telle déclaration qu'il jugera convenable.
  10. Article 25
  11. Possibilité de rendre la réclamation publique
  12. Si aucune déclaration n'est reçue du gouvernement mis en cause dans un délai raisonnable, ou si la déclaration reçue ne paraît pas satisfaisante au Conseil d'administration, ce dernier aura le droit de rendre publique la réclamation reçue et, le cas échéant, la réponse faite.
  13. 4. La procédure suivie en cas de réclamation est celle du Règlement relatif à la procédure à suivre pour l'examen des réclamations au titre des articles 24 et 25 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, qui a été révisé par le Conseil d'administration à sa 212e session (mars 1980).
  14. 5. Conformément à l'article 1 et à l'article 2, paragraphe 1, de ce Règlement, le Directeur général a accusé réception de la réclamation; il en a informé le gouvernement de la Colombie par une lettre datée du 11 novembre 1999 et qu'il a transmise au bureau du Conseil d'administration.
  15. 6. Lors de sa 276e session (novembre 1999), sur la recommandation de son bureau, le Conseil d'administration a conclu que la réclamation était recevable et a désigné un comité tripartite chargé de l'examiner. Le Conseil d'administration a désigné Mme L. S. Sosa Márquez (membre gouvernemental, Mexique), M. Francisco Díaz Garaycoa (membre employeur, Equateur) et M. F. Ramírez León (membre travailleur, Venezuela). M. Díaz Garaycoa n'a pu être présent lorsque le comité a examiné le présent rapport en vue de son adoption. Il avait reçu des copies de tous les documents pertinents, y compris du projet du présent rapport, et il n'avait formulé aucune réserve au sujet du rapport.
  16. 7. Conformément aux dispositions des alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l'article 4 du Règlement, le comité a invité le gouvernement à faire part de ses observations quant à la réclamation, et l'organisation plaignante à fournir tous les renseignements complémentaires qu'elle souhaite porter à la connaissance du comité.
  17. 8. Le gouvernement a transmis sa réponse officielle à la réclamation par courrier électronique le 5 février 2001.
  18. 9. Le comité tripartite s'est réuni au cours de la 280e session du Conseil d'administration (mars 2001). S'agissant des articles 4, paragraphe 1 a), et 5, paragraphe 1, du Règlement, le comité a décidé de surseoir à l'adoption de son rapport afin de permettre aux parties de lui transmettre des renseignements supplémentaires. Par des communications en date du 23 avril 2001, le comité a demandé au gouvernement colombien et à la CUT de lui transmettre avant le 1er juillet 2001 tous les renseignements supplémentaires demandés au sujet de certaines questions et qui sont pertinents aux fins de la réclamation.
  19. 10. La CUT a répondu à la demande du comité par une communication en date du 27 juin 2001. Le Bureau a transmis une copie de cette réponse au gouvernement le 6 août 2001.
  20. 11. Le gouvernement a transmis au comité les renseignements qu'il lui avait demandés par une communication en date du 31 juillet 2001, communication que le bureau a reçue le 23 août 2001.
  21. 12. Le comité s'est une nouvelle fois réuni lors de la 282e session du Conseil d'administration (novembre 2001) et, après avoir examiné les renseignements présentés par les deux parties ainsi que toutes les autres informations soumises au Bureau, il a adopté le présent rapport.
  22. II. Examen de la réclamation
  23. A. Allégations de l'organisation plaignante
  24. 13. La Centrale unitaire des travailleurs (CUT) allègue que le gouvernement de la Colombie n'a pas adopté de mesures dans le cadre de sa juridiction pour satisfaire aux dispositions de la convention (nº 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989. Parallèlement, la CUT indique que le gouvernement a violé cette convention en trois instances précises: en promulguant le décret no 1320 de 1998 relatif à la consultation préalable, en construisant la Route du Café qui traverse la communauté indigène de Cristianía, sans avoir consulté au préalable la communauté concernée, et en accordant une licence d'exploitation pétrolière à l'entreprise "Occidental de Colombia" sans avoir préalablement procédé à la consultation du peuple indigène Awa, comme il y était tenu.
  25. 1. Le décret no 1320
  26. 14. La CUT indique que, le 13 juillet 1998, le gouvernement a promulgué le décret no 1320, qui "réglemente la consultation préalable des communautés indigènes et noires en ce qui concerne l'exploitation des ressources naturelles dont sont dotées leurs terres". Selon la CUT, le décret no 1320, dont l'objet est de réglementer la consultation préalable, a été promulgué sans que les peuples indigènes de Colombie aient été préalablement consultés, sans que le gouvernement ait pris de mesures coordonnées pour protéger les droits de ces peuples, et sans respecter leurs coutumes, leurs traditions et leurs institutions.
  27. 15. La CUT soutient en outre que le décret no 1320 restreint indûment le processus de consultation préalable au lieu de le faciliter. Elle fait valoir que la réglementation du processus de consultation préalable établi par ledit décret ne prend en considération ni les modes de pensée, ni les conceptions temporelles et spatiales des diverses populations indigènes qui vivent en Colombie. La CUT estime que le fond de ce décret et le fait qu'il a été promulgué contreviennent aux dispositions des articles 2, paragraphes 1 et 2 b); 4, paragraphes 1 et 2; 6, 7 et 15, paragraphe 1, de la convention.
  28. 16. S'agissant de la promulgation du décret, la CUT fait savoir que, même si la norme en question a fait l'objet de consultations et a été amplement discutée, elle ne l'a été qu'entre le Président de la République et les ministres de l'Intérieur, de l'Environnement, et des Mines et de l'Energie. La CUT allègue que, même si certaines réunions ont été organisées par les ministres de l'Environnement et de l'Intérieur sur la question de la consultation préalable, les autorités et les organisations indigènes ont souligné qu'il ne s'agissait-là que de simples réunions d'information concernant les propositions du gouvernement, et qu'il n'y avait pas eu à proprement parler de processus de consultation sur le projet législatif à l'examen.
  29. 17. La CUT fait valoir que non seulement l'obligation de consultation préalable des peuples indigènes établie par la convention no 169 n'a pas été respectée mais que, de plus, les organisations mandatées par le gouvernement pour traiter des questions relatives aux affaires indigènes n'ont pas non plus été consultées. A cet égard, la CUT souligne que, bien que le paragraphe 9 de l'article 12 du décret no 1397 de 1996 établit que, "le bureau permanent de concertation entre les peuples et les organisations indigènes est chargé d'établir une concertation entre eux et l'Etat sur toute décision d'ordre administratif et législatif susceptible d'avoir une incidence sur eux", le gouvernement n'a pas eu recours à cette instance aux fins de concertation avec les peuples concernés avant la promulgation du décret no 1320.
  30. 18. La CUT cite en outre une communication en date du 22 juillet 1997, adressée au Dr Alfonso López Caballero, alors ministre de l'Intérieur, par ce qui était alors la Direction générale des affaires indigènes du ministère de l'Intérieur, dans laquelle il est fait état du "caractère illégal de la promulgation dudit règlement en l'absence de consultation préalable appropriée au sujet dudit décret, ainsi que le prévoit la loi no 21 de 1991". L'auteur de la communication poursuit en précisant que "le décret a été promulgué le jour même de son adoption, sans que la direction ait été consultée au sujet du projet à l'examen, et ce en dépit du fait que la Direction générale des affaires indigènes soit l'instance légalement compétente en la matière (en vertu de la loi no 199 de 1995 et du décret no 0372 de 1996) et qu'elle ait été auparavant chargée de coordonner diverses consultations avec les peuples indigènes...". En outre, la CUT cite une communication en date du 3 août 1998, adressée au ministre de l'Environnement par le chef du bureau d'éducation pour l'environnement, de la participation des citoyens et de la population, dans laquelle celui-ci indique que "malgré le caractère obligatoire de la consultation des autorités représentatives des peuples indigènes et des communautés noires, celle-ci n'a pas eu lieu".
  31. 19. La CUT fait en outre valoir que la Cour constitutionnelle de Colombie a, par son jugement T-652 de 1998, ordonné la suspension de l'application du décret no 1320 relatif au processus de consultation des communautés Embera Katío de l'Alto Sinú, lesquelles s'opposaient à la construction et à l'exploitation d'un barrage hydroélectrique sur leurs terres ancestrales. La CUT affirme que, bien que la Cour constitutionnelle colombienne ne soit pas compétente pour se prononcer sur l'inconstitutionnalité de la législation nationale erga omnes, le jugement rendu par la Haute Cour constitue une preuve patente de la non-conformité du décret no 1320 avec les normes tant nationales qu'internationales, et notamment la convention no 169.
  32. 20. La CUT fait valoir que le peuple indigène Awa a saisi la Chambre du contentieux administratif - première section du Conseil d'Etat - d'une demande en nullité du décret no 1320 de 1998. Le Conseil d'Etat n'ayant pas prononcé la nullité absolue du décret, celui-ci est toujours en vigueur.
  33. 2. La construction de la Route du Café et la communauté indigène de Cristianía
  34. 21. La CUT indique que la communauté de Cristianía se compose de 1 200 membres du peuple Embera Chamí, qui vivent au sud-ouest du département d'Antioquia, entre les municipalités de Andes et de Jardín. L'organisation plaignante fait valoir que la communauté indigène Embera Chamí de la réserve indigène de Cristianía a subi des dommages dans son infrastructure productive et sanitaire, ainsi que dans son habitat à cause des travaux d'élargissement, de tracé et de revêtement de la Route du Café, qui traverse la réserve de cette communauté. Les annexes fournies par l'organisation plaignante précisent que le territoire sur lequel vit la communauté indigène de Cristianía présente une faille géologique qui était restée stable jusqu'au début des travaux en question. Il est indiqué qu'au cours de la période où se sont produits les dommages le consortium privé Solarte et le Fonds routier national du ministère des Travaux publics et des Transports (aujourd'hui renommés, respectivement, Institut national des voies routières et ministère des Transports) effectuaient les travaux en question sur la Route du Café au niveau de la faille. La CUT indique que ces travaux ont nécessité l'utilisation de machines-outils et de bennes automotrices très lourdes, de charges de dynamite, le déblaiement d'une importante quantité de roches et de pierres, et l'excavation d'une fosse de 400 mètres de diamètre sur 30 mètres de profondeur, provoquant ainsi une modification des flux habituels des eaux souterraines. Cette conjugaison de faits aurait contribué à élargir la faille géologique qui était demeurée stable jusqu'au début des travaux en question.
  35. 22. Selon les informations figurant dans les annexes, les établissements situés en bordure de la route auraient été endommagés, de même que la raffinerie, les cultures de café, une étable, divers enclos à bétail et plusieurs habitations, dommages qui auraient été causés par les travaux de terrassement, l'utilisation de charges de dynamite et d'une partie des terres appartenant à la communauté comme terrain de déchargement des gravas. Selon la CUT, pour accélérer les travaux, et bien que cette route traverse la réserve indigène de Cristianía, l'Institut national des voies routières de Colombie ("Invías") n'a ni consulté la communauté de Cristianía ni pris les mesures qui s'imposaient pour pallier les conséquences néfastes des travaux. La CUT souligne qu'au cours de l'année 1992 l'Institut national de protection des ressources naturelles et de l'environnement ("INDERENA") de la région d'Antioquia a sanctionné le ministère des Travaux publics et des Transports de l'époque au motif que ce dernier n'avait pas effectué d'étude d'impact sur l'environnement avant d'entamer les travaux, ce qui contrevenait aux principes établis par le Code des ressources naturelles et de l'environnement.
  36. 23. L'organisation plaignante soutient qu'en procédant comme il l'a fait à l'élargissement et au revêtement de la Route du Café le gouvernement n'a pas respecté l'obligation qui lui incombe de prendre des mesures pour protéger les droits et assurer le respect de l'intégrité de la population concernée, qu'il n'a pas adopté les mesures spécifiques qui s'imposaient pour protéger les personnes, les institutions, les biens, le travail, l'agriculture et l'environnement de celle-ci, qu'il ne l'a pas consultée avant d'entreprendre des activités qui la concernaient directement, qu'il n'a pas tenu compte des priorités que ce peuple s'était fixées en matière de développement, que celui-ci n'a pas participé à l'étude des incidences sociales, spirituelles, culturelles et environnementales que les mesures prévues pouvaient avoir et qu'il n'a pris aucune mesure pour protéger et préserver l'environnement de la réserve indigène de Cristianía. La CUT allègue que, ce faisant, le gouvernement a violé les dispositions des articles 2, paragraphe 1; 4, paragraphe 1; 6, 7, 12, 13 et 16, paragraphe 5, de la convention.
  37. 24. Selon la CUT, des demandes d'action en réparation pour les dommages causés par ce projet ont été déposées auprès des tribunaux nationaux; toutefois, bien que la Cour constitutionnelle de Colombie ait protégé les droits de la population indigène Embera Chamí, d'autres jugements rendus postérieurement par d'autres instances judiciaires, parfois de rang inférieur, les ont ignorés. Dans sa réclamation, la CUT énumère en détail les actions en justice intentées par la communauté. Elle indique qu'au mois de novembre 1991 la communauté de Cristianía a saisi le juge civil de circuit de Andes, qui l'a déboutée. La communauté a alors saisi la Chambre civile du Tribunal supérieur d'Antioquia qui a confirmé le jugement. Saisie d'une demande en révision, la Cour constitutionnelle a accédé à la demande de protection dont elle était saisie et a ordonné, entre autres mesures, la suspension des travaux (Note 1). Elle a également ordonné aux parties défenderesses d'effectuer les travaux nécessaires pour empêcher que le peuple concerné ne subisse d'autres dommages et de l'indemniser pour les préjudices subis, une fois les preuves pertinentes apportées aux autorités compétentes.
  38. 25. Suite au jugement de la Cour constitutionnelle, un incident se serait produit, le 18 décembre 1992, lors de l'examen de la demande d'indemnisation dont était saisi le Tribunal administratif d'Antioquia et de la détermination du montant des préjudices subis par la communauté de Cristianía. Selon la CUT, la première section du Tribunal administratif d'Antioquia, invoquant une ordonnance du 26 janvier 1995, mit fin à la procédure en première instance. Ainsi, bien qu'instance de rang inférieur et non-compétente en l'espèce, le Tribunal administratif d'Antioquia aurait, en essence, révoqué le jugement prononcé par la Cour constitutionnelle concluant, notamment, qu'il n'existait pas de lien de causalité entre les travaux menés sur la route et les préjudices subis par la communauté. Le tribunal a donc annulé l'ordre de suspension des travaux. Selon la CUT, le Conseil d'Etat a réitéré, dans un arrêt du 22 septembre 1995, les arguments invoqués par le Tribunal administratif d'Antioquia.
  39. 26. L'organisation plaignante souligne que courant 1997 la communauté a saisi la Chambre pénale du Tribunal supérieur d'Antioquia d'une demande en protection à l'encontre du consortium Solarte et du gouvernement colombien ainsi qu'à l'encontre de la première section du Tribunal administratif d'Antioquia et de la troisième section du Conseil d'Etat. Or la CUT indique que, tant en première qu'en seconde instance, la demande en protection déposée par la communauté a été rejetée. Parallèlement, la CUT indique que la Cour constitutionnelle n'a pas souhaité réviser la décision prise en première instance. Par conséquent, la CUT souligne que les défendeurs n'ont jamais respecté les injonctions prononcées par la Cour constitutionnelle dans son jugement T-428 du 24 juin 1992.
  40. 27. La CUT estime que le montant total des dommages et préjudices subis par la communauté de Cristianía s'élevait, au 17 novembre 1992, préjudices matériels et moraux et manque à gagner compris, à 256 125 564 dollars E.-U. Il est indiqué qu'à cette date "le gouvernement n'avait pris aucune mesure aux fins de réparer en tout ou en partie les dommages subis".
  41. 3. L'octroi d'une licence de prospection pétrolière en territoire Awa à l'entreprise "Occidental de Colombia"
  42. 28. La CUT fait valoir que le gouvernement colombien, par le truchement de son ministère de l'Environnement, a délivré une licence à l'entreprise pétrolière "Occidental de Colombia" qui lui a permis d'entreprendre des activités de prospection sur le territoire du peuple indigène Awa, sans que la population concernée ait été préalablement consultée. La CUT soutient que le gouvernement a octroyé ladite licence sans prendre de mesures coordonnées pour protéger les droits des peuples intéressés, au mépris de leur identité sociale et culturelle, de leurs coutumes, de leurs traditions et de leurs institutions, ce qui va à l'encontre de l'obligation qui lui incombe de prendre des mesures pour protéger l'intégrité des peuples indigènes autochtones, et sans considération aucune pour l'intégrité du territoire du peuple Awa, en général, et les souhaits exprimés par celui-ci. La CUT allègue que ces omissions constituent une violation des articles 2, paragraphes 1 et 2 b); 4, paragraphes 1 et 2; 6, 7, 13, 14 et 15 de la convention.
  43. 29. La CUT indique que le peuple Awa, qui comprend quelque 5 000 personnes, vit au nord-est du pays, au pied de la Sierra Nevada del Cocuy, dans les départements de Arauca, Boyacá, Casanare, Norte de Santander et Santander. La CUT affirme que le territoire ancestral des Awa s'étendait, à l'origine, sur une zone très vaste qui allait du versant occidental de la Sierra Nevada du Cocuy-Guicán, au sud, jusqu'à la Sierra de Mérida, au Venezuela, au nord; à l'ouest, cette zone allait de la partie médiane du fleuve Chicamocha jusqu'au pied des monts Araucano et Casanareño, en Colombie. La CUT indique qu'actuellement la superficie de ce territoire a été réduite de 90 pour cent.
  44. 30. La CUT indique que pour le peuple Awa, comme pour tous les autres peuples indigènes, la terre est l'élément fondamental de leur survie, en tant qu'individus mais aussi en tant que peuples dotés de caractéristiques propres. Elle indique également que pour les Awa le prélèvement de quelque élément que ce soit de leur territoire, qui ne serait pas effectué conformément aux règles propres à leur culture, porte atteinte à leur cosmogonie et par conséquent à l'intégrité culturelle de leur peuple.
  45. 31. La CUT souligne que le projet de prospection pétrolière ("puits Gibraltar 1") se situe dans la subdivision administrative de Samoré (municipalité de Toledo, département de Norte de Santander), territoire qui, à ce jour, fait toujours l'objet d'un litige entre les départements de Boyacá et de Norte de Santander et qui, partant, n'est soumis à aucune juridiction politique et administrative. Selon la CUT, la zone d'activités du projet empiète sur les limites de la Réserve unie Awa et sur le territoire où vit la communauté indigène de Santa Marta, en territoire ancestral Awa.
  46. 32. L'entreprise "Occidental" aurait demandé deux licences d'exploitation pour la même région, la première en 1992 et la seconde en 1998. Le 21 septembre 1992, l'entreprise "Occidental de Colombia, Inc." ("Occidental"), l'opérateur dans l'unité concernée par le projet, a entamé des démarches auprès de ce qui était alors l'Institut national des ressources naturelles renouvelables et de l'environnement (INDERENA) afin d'obtenir la licence nécessaire aux travaux de prospection sismique, dans le cadre d'un projet intitulé "prospection sismique - unité de Samoré", permettant de localiser d'éventuels gisements pétroliers. Ce projet concernait une zone comprenant une réserve et des territoires traditionnels du peuple Awa. D'après les renseignements figurant dans les annexes de la réclamation, la communauté Awa n'a absolument pas participé à la réalisation de l'étude d'impact sur l'environnement (Note 2). L'INDERENA a commandé plusieurs études qui ont été effectuées par les sous-directions de l'environnement et des forêts, des eaux et des sols, sur la foi desquelles des directives techniques ont conclu à la viabilité du projet. La Sous-direction de l'Aménagement du territoire et de la protection de l'environnement du ministère de l'Environnement a rendu une directive technique, la directive no 90 du 19 juillet 1994, par laquelle il considérait le projet réalisable mais recommandait que "la communauté et les habitants concernés soient associés au projet, en particulier l'ethnie Awa qui vit dans la zone où le projet est susceptible d'avoir une incidence ponctuelle et limitée ..." sur elle, "... et tout particulièrement pour ce qui a trait à la consultation préalable" (Note 3). Selon le ministère de l'Environnement, le processus de consultation préalable à l'octroi de la licence d'exploitation a été respecté et une réunion a eu lieu entre des membres de la communauté Awa et des représentants du ministère des Mines et de l'Energie, du ministère de l'Environnement, de "Ecopetrol" et de "Occidental de Colombia, Inc." (Note 4), les 10 et 11 janvier 1995, dans la ville d'Arauca. Le ministère de l'Environnement a accordé la licence demandée le 3 février 1995, autorisant ainsi la prospection pétrolière. Le 21 février 1995, une fois la licence accordée, une autre réunion a eu lieu à Arauca, à laquelle ont participé plusieurs représentants du peuple Awa (Note 5).
  47. 33. Se fondant sur l'octroi de la licence, le Défenseur du peuple a saisi, au nom du peuple Awa, le Tribunal supérieur de Bogotá d'un recours en protection contre l'entreprise "Occidental" et le ministère de l'Environnement, invoquant la violation du droit du peuple Awa à la consultation préalable. Le tribunal supérieur a prononcé un jugement favorable aux Awa. L'entreprise "Occidental" a interjeté un recours en appel et, en deuxième instance, la Cour suprême de Colombie a estimé que le processus de consultation préalable mené par l'entreprise "Occidental" avait été effectué en bonne et due forme.
  48. 34. Plus tard, le 29 août 1995, le Défenseur du peuple a interjeté un recours en révision auprès de la Cour constitutionnelle, qui s'est prononcée par le jugement no SU-039 du 3 février 1997, en faveur du peuple Awa. La Cour a noté que, selon la communauté Awa, la Direction générale des affaires indigènes du ministère des Affaires intérieures et l'enquête judiciaire ordonnée par la Cour et diligentée sur les territoires occupés par la communauté, la consultation préalable requise par la Constitution et les normes nationales et internationales "avait débuté mais qu'elle ne s'était pas achevée avec la réunion des 10 et 11 janvier 1995" (Note 6). La Cour a conclu que, lors de la réunion des 10 et 11 janvier 1995, "la consultation indispensable à l'octroi de la licence en question n'a été ni structurée ni planifiée. Or une telle consultation devant être menée avant l'octroi de la licence, il s'ensuit que les mesures prises postérieurement à l'octroi de ladite licence pour compenser l'absence de consultation sont sans valeur et dénuées de sens (Note 7)." Partant, la Cour constitutionnelle a conclu que le droit fondamental des Awa à la consultation préalable avait été violé, et a fixé un délai de trente jours pour que le peuple concerné soit effectivement consulté.
  49. 35. Parallèlement au recours en révision déposé par le Défenseur du peuple, celui-ci a saisi le Conseil d'Etat d'une demande en nullité concernant la décision qui a accordé la licence d'exploitation à l'entreprise "Occidental". Le Conseil d'Etat a conclu que les Awa avaient effectivement été préalablement consultés et que, par conséquent, la licence était valide. La CUT estime que c'est cet arrêt du Conseil d'Etat qui a permis à l'entreprise de commencer à prospecter sur le territoire ancestral des Awa.
  50. 36. Le 16 octobre 1998, l'entreprise "Occidental" a sollicité une nouvelle licence d'exploitation auprès du ministère de l'Environnement qui concernait une zone intéressante en terme de prospection, désignée comme "zone de prospection du puits Gibraltar 1", qui se situait dans l'unité de Samoré. La CUT indique que les Awa se sont opposés au projet au motif que les activités prévues devaient être menées sur leur territoire ancestral et qu'elles risquaient de porter atteinte à leur intégrité territoriale et culturelle. La CUT fait valoir qu'étant donné que le projet affectait le peuple Awa celui-ci aurait dû être obligatoirement consulté au préalable.
  51. 37. Par une communication en date du 9 décembre 1998 de la Direction générale des affaires indigènes, le ministère de l'Intérieur a indiqué au ministère de l'Environnement que la zone affectée par le projet ne touchait pas les populations indigènes. Par une communication en date du 22 décembre 1998, la Sous-direction de l'aménagement social de la propriété de l'Institut colombien de la réforme agraire ("INCORA") a souligné que, bien que l'INCORA n'ait pas créé de réserve dans la zone spécifiquement concernée par le projet, l'institut avait entamé les "formalités relatives à la création de la Réserve unique Awa, et qu'une partie de la zone de prospection Gibraltar 1 se trouvait effectivement dans les limites de la réserve". La CUT soutient que cette dernière précision figurant dans la communication aurait dû être prise en compte par le ministère de l'Environnement lorsqu'il a décidé d'accorder une licence à l'entreprise "Occidental".
  52. 38. La CUT indique que le Bureau d'éducation en matière d'environnement, de la participation des citoyens et de la population, qui dépend du ministère de l'Environnement, a transmis une communication datée du 22 février 1999 (Note 8) dans laquelle il juge "indispensable de procéder à la consultation des représentants légitimes des autorités indigènes Awa avant d'accorder une licence d'exploitation de la zone de prospection et du puits Gibraltar 1". Il est également indiqué dans cette communication que, "selon les documents versés au dossier et ceux portés à la connaissance du ministère de l'Environnement aux fins de garantir le respect du rôle écologique de la Réserve unique Awa, il est évident que la zone concernée par les activités de prospection Gibraltar 1 est située dans un territoire indigène traditionnel ou ancestral, et qu'une partie de cette zone se trouve en fait sur un territoire indigène qui est sur le point de bénéficier d'un titre de propriété collective".
  53. 39. Le 12 août 1999, l'entreprise "Occidental" a informé le ministère de l'Environnement qu'elle avait modifié les limites de la zone de prospection ainsi que l'emplacement du puits Gibraltar 1.
  54. 40. Selon les annexes fournies par la CUT, la directive technique no 30599 du 13 septembre 1999 du ministère de l'Environnement indique que, par une lettre datée du 5 février 1999, l'Organisation nationale des indigènes de Colombie (ONIC), en sa qualité de représentante du peuple Awa, avait demandé à participer au processus administratif d'examen de la demande de licence. Les annexes de cette lettre comprennent une communication de la CUT datée du 4 février 1999, par laquelle l'ONIC informe le ministère de l'Environnement que le projet de prospection affecte le territoire indigène du peuple Awa, "non seulement parce qu'il concerne une zone située au c÷ur de son territoire traditionnel, mais aussi parce qu'une autre zone d'activités du projet est limitrophe de ce territoire". La CUT affirme qu'attendu que ce projet affectait le peuple Awa celui-ci aurait dû obligatoirement être consulté au préalable.
  55. 41. La directive technique no 30599 indique que le projet "consiste à mener des activités de prospection pétrolière sur un terrain situé sur les contreforts à l'est de la Cordillère orientale, dans la municipalité de Toledo (département de Norte de Santander), entre les pistes de Cedeño et de Mundo Nuevo" (Note 9). Il ressort de cette directive technique que les opérations de prospection nécessitent, notamment, l'installation d'équipements et la mise en place d'une infrastructure de base et de soutien, ainsi que la mobilisation d'un personnel technique important (Note 10). La directive précise également qu'une étude ethnographique de la zone concernée par le projet a été réalisée, à laquelle ont participé plusieurs membres de la communauté indigène Awa (Note 11).
  56. 42. La CUT fait savoir que, dans la communication transmise par le ministère de l'Intérieur le 17 septembre 1999, il est indiqué que, "d'après la carte figurant en annexe, relevée par la Direction des affaires indigènes sur la base des informations fournies par le ministère de l'Environnement, aucune communauté indigène ne vit de manière régulière ou permanente dans la zone directement concernée par le projet ni dans celle en attente d'un titre de propriété collective".
  57. 43. Le 21 septembre 1999, par la résolution no 0788, le ministère de l'Environnement a accordé une licence d'exploitation à l'entreprise "Occidental" l'autorisant à exploiter le puits Gibraltar 1. Pour ce qui est des populations indigènes susceptibles d'être affectées par le projet, la licence indique qu'"aucune réserve n'a été créée par l'INCORA dans cette zone".
  58. 44. La CUT prétend que le 6 octobre 1999, par le biais de la résolution no 0788, le comité directeur de l'Institut colombien de la réforme agraire ("INCORA") a agrandi la réserve Awa, dont la superficie est passée de 61 156 à 220 275 hectares, et a décidé de la nommer désormais "Réserve unie Awa" (Note 12). Or, selon la CUT, les nouvelles limites fixées par cette résolution excluent une grande partie du territoire ancestral de ce peuple.
  59. 45. Il ressort des renseignements supplémentaires transmis par la CUT le 27 juin 2001 que la mise en ÷uvre du projet Gibraltar 1 a eu une incidence directe sur la communauté Awa, laquelle aurait été molestée par des membres des forces armées gouvernementales. La CUT allègue, notamment, que "le 11 février 2000, à 8 h 15, une unité de policiers et de militaires a été déposée par voie aérienne à Las Canoas, lieu situé à environ 4 kilomètres de Gibraltar (Norte de Santander), où (vivaient) quelque 450 femmes, enfants et vieillards membres de la communauté indigène Awa. Sans sommation, l'unité a alors entrepris de (déplacer) de force les habitants de la communauté à l'aide d'armes lourdes et de gaz lacrymogènes (contraignant la population) à sauter dans le fleuve Cubujón pour échapper aux coups et aux représailles; cet incident a provoqué la mort de trois enfants indigènes et a fait de nombreux blessés parmi les femmes et les enfants; un nombre important d'indigènes ont été déclarés disparus."
  60. 46. La CUT affirme, en outre, qu'au 27 juin 2001, date de sa communication, le gouvernement n'avait toujours pas respecté les termes de la résolution no 056 du 6 août 1999, attendu qu'il n'avait pas, à cette date, acquis les terres des paysans ou des colons pour les attribuer réellement et matériellement au peuple Awa. En conséquence, les Awa ne possèdent que 61 000 hectares des 220 000 mentionnés par la résolution no 056 de 1999.
  61. B. Observations du gouvernement
  62. 1. Le décret no 1320 de 1998
  63. 47. Le gouvernement indique que c'est en 1995 qu'il a commencé à réglementer les lois relatives à la consultation préalable des communautés indigènes et tribales, objet de la loi no 21 de 1991 portant approbation de la convention no 169. Le décret no 1320 de 1998 réglemente la consultation préalable des communautés indigènes et noires en matière d'exploitation des ressources naturelles renouvelables se trouvant sur leur territoire conformément, notamment, à l'article 15, paragraphe 2, de la loi no 21 de 1991. Cet article est identique à l'article 15, paragraphe 2, de la convention qui prévoit que: Dans les cas où l'Etat conserve la propriété des minéraux ou des ressources du sous-sol ou des droits à d'autres ressources dont sont dotées les terres, les gouvernements doivent établir ou maintenir des procédures pour consulter les peuples intéressés dans le but de déterminer si et dans quelle mesure les intérêts de ces peuples sont menacés avant d'entreprendre ou d'autoriser tout programme de prospection ou d'exploitation des ressources dont sont dotées leurs terres. Les peuples intéressés doivent, chaque fois que c'est possible, participer aux avantages découlant de ces activités et doivent recevoir une indemnisation équitable pour tout dommage qu'ils pourraient subir en raison de telles activités.
  64. 48. Le gouvernement indique que le décret régit divers aspects relatifs à la consultation préalable, et notamment son objet, ses procédures, la convocation d'une réunion formelle afin de garantir que les communautés participent à l'identification des incidences découlant des projets et à l'élaboration des plans de gestion de l'environnement, les solutions alternatives au cas où les communautés refuseraient d'être consultées et n'assisteraient pas à la réunion formelle, l'obligation de communiquer la décision relative à l'octroi de licence ou de permis d'exploitation aux communautés consultées, et la possibilité pour les communautés indigènes et noires de formuler des suggestions concernant le processus de consultation préalable établi par le décret, dans un délai de six mois à compter de sa promulgation.
  65. 49. Pour ce qui est de l'allégation de la CUT selon laquelle le gouvernement était tenu de consulter les peuples intéressés avant de promulguer le décret no 1320 de 1998, le gouvernement cite l'arrêt rendu le 13 août 1998 par le Conseil d'Etat dans le cadre de l'affaire no 5091 portant sur la demande en nullité présentée par certaines organisations représentantes du peuple indigène Awa:
  66. La lecture de la norme censément violée permet de déduire qu'en vertu du décret incriminé les mécanismes ou procédures appropriés sont appliqués aux fins de la consultation, mais ne permet pas d'affirmer à bon droit que la loi exige également la tenue d'une consultation pour établir une telle procédure.
  67. 50. En ce qui concerne le fond du décret no 1320, le gouvernement note que, dans la demande en nullité interjetée par les organisations représentantes du peuple Awa auprès du Conseil d'Etat, le Tribunal du contentieux administratif - première section du Conseil d'Etat - a jugé le décret conforme à la loi et n'a donc pas fait droit à la demande en nullité, hormis pour ce qui concernait l'expression "dans un délai maximum de 24 heures" figurant à l'article 13, alinéa d), du décret en question (Note 13).
  68. 51. Par sa communication en date du 31 juillet 2001, le gouvernement indique que le décret no 1320 est en vigueur et est appliqué à la consultation préalable.
  69. 2. La construction de la Route du Café et la communauté indigène de Cristianía
  70. 52. Pour ce qui est de la question de la Route du Café, le gouvernement signale que le contrat de travaux publics no 0867 concernant le revêtement, le tracé et l'élargissement de cette route a été signé le 30 décembre 1988, c'est-à-dire alors que la convention no 169 n'était pas encore entrée en vigueur en Colombie. Par conséquent, le gouvernement affirme qu'à cette époque le principe juridique de consultation préalable des minorités ethniques n'avait pas encore été établi, ce qui prive de fondement cet aspect de la réclamation.
  71. 53. Le gouvernement indique qu'attendu qu'en 1991 la convention n'était pas en vigueur dans le pays, les événements trouvent leur fondement juridique dans les normes constitutionnelles en vigueur à l'époque des faits, ainsi que dans les jugements rendus par les autorités judiciaires, y compris le jugement en protection no T-859 prononcé par la Cour constitutionnelle le 24 juin 1992. En outre, le gouvernement nie être passé outre le jugement de la Cour.
  72. 54. Le gouvernement fait valoir que la demande en protection introduite par la communauté s'explique par ce qui s'est passé entre le kilomètre 168 et le kilomètre 6+200 entre juin et novembre 1991. Selon le gouvernement, lorsque la Cour constitutionnelle a prononcé son jugement le 24 juin 1992, les travaux ont été suspendus entre le kilomètre +150 et le kilomètre 6+200. Le gouvernement précise que, le 12 novembre 1992, les représentants de l'autorité en charge des questions d'environnement de l'époque, à savoir l'Institut national des ressources naturelles renouvelables et de l'environnement (INDERENA), se sont rendus sur place, conformément à la loi, afin de déterminer ce sur quoi devait porter l'étude d'impact sur l'environnement ordonnée par la Cour constitutionnelle et quelle devait en être la portée. Le 21 décembre 1992, l'autorité en charge des questions d'environnement a communiqué les paramètres de référence de l'étude.
  73. 55. Le gouvernement fait valoir que, le 18 mai 1994, un accord a été conclu entre la communauté, l'autorité en charge des questions d'environnement et des mines, et les exécutants du projet, aux termes duquel ils sont convenus de coopérer à la réalisation de l'étude d'impact. Cette étude a été remise par l'autorité en charge des questions d'environnement le 29 octobre 1994. "Invías" a sollicité un délai supplémentaire pour la remise de l'étude finale, ce qui lui a été refusé et lui a valu d'être sanctionné. Le 26 janvier 1995, un jugement du Tribunal administratif d'Antioquia a levé la mesure de suspension des travaux ordonnée par la Cour constitutionnelle, au motif que l'étude d'impact avait été remise. Par ailleurs, le tribunal a décidé de ne pas faire droit aux demandes de réparation pour préjudices matériels déposées par la communauté.
  74. 56. Le gouvernement déclare que, le 7 décembre 1995, l'Institut colombien de la réforme agraire (INCORA) a, par la résolution no 59, déclaré réserve légale les terrains placés sous la juridiction de la municipalité de Jardín, dans le département d'Antioquia, décision favorable à la communauté et qui démontre que les normes internationales et nationales relatives à la protection de l'intégrité culturelle des minorités ethniques ont été respectées, de même que le fond du jugement de la Cour constitutionnelle.
  75. 57. Le gouvernement fait valoir que le contrat a été prorogé jusqu'au 30 juin 1995. Selon le gouvernement, les travaux suivants ont été entrepris conformément au jugement de la Cour suprême:
  76. - construction de 8 maisons par l'entreprise de construction;
  77. - construction d'un viaduc;
  78. - fabrication de filtres et installation de systèmes de drainage.
  79. 58. Le gouvernement déclare qu'au 30 mars 2000 la zone en question avait été totalement stabilisée et qu'à cette date les communautés présentes y vivaient dans des conditions parfaitement normales. Le gouvernement estime, en conséquence, que cette réclamation ne doit pas être prise en considération.
  80. 59. Le gouvernement fait savoir que le principe de consultation préalable est actuellement appliqué et décrit les mesures qui ont été prises dans le domaine de l'infrastructure routière. A ce jour, Invías a consulté les communautés indigènes concernées par 13 projets routiers. Le gouvernement indique que les peuples suivants ont participé à ces consultations: Sikuanis, Piapocos, Camentsa, Ingas, Achaguas, Paeces, Anaconas et Pijaos, Cofanes et Embera Chamí, ainsi que les communautés noires de Villarica, Puerto Tejada, Santander de Quilichao, Cerritos, El Pailón, Triana et Buenaventura.
  81. 60. Le gouvernement présente en détail les diverses phases de la consultation menée auprès des communautés concernées et indique que le processus se poursuit parallèlement à l'exécution et à la mise en ÷uvre du projet, afin que ces communautés puissent continuer de participer au suivi et à l'évaluation des accords conclus et du plan de gestion social et de l'environnement.
  82. 3. L'octroi d'une licence à l'entreprise "Occidental de Colombia" à des fins de prospection pétrolière en territoire Awa
  83. 61. Le gouvernement indique que, le 16 octobre 1998, l'entreprise "Occidental de Colombia, Inc." (ci-après "Occidental") a présenté au ministère de l'Environnement une demande de licence de prospection pour la zone Gibraltar et le puits de prospection Gibraltar 1. Selon le gouvernement, l'entreprise a assuré dans sa demande écrite qu'au vu de l'étude d'impact sur l'environnement "il avait été établi avec certitude qu'aucune communauté indigène ou noire ne vivait dans la zone où se situe le puits, ni dans la zone de forage ou les zones directement ou indirectement affectées par les activités de prospection".
  84. 62. En dépit des affirmations de cette entreprise, le gouvernement observe que, conformément à l'article 3 du décret no 1320 de 1998, le ministère de l'Environnement a demandé au ministère de l'Intérieur de lui transmettre tous les renseignements pertinents relatifs à la présence de communautés indigènes dans la zone du projet Gibraltar et de se prononcer sur le bien-fondé d'une consultation préalable de celles-ci. Le ministère de l'Environnement a également demandé à l'INCORA de lui indiquer s'il existait dans la zone des territoires indigènes légalement constitués afin de déterminer s'il convenait de consulter au préalable la communauté intéressée.
  85. 63. Le gouvernement soutient qu'en agissant de la sorte le ministère de l'Environnement a respecté les obligations légales qui lui incombent et en vertu desquelles il était tenu de demander aux autorités compétentes qu'elles certifient, preuves à l'appui, l'exactitude des faits rapportés au sujet de la présence de communautés indigènes sur certains territoires et du bien-fondé de la consultation préalable de celles-ci. Il soutient également que le ministère de l'Intérieur et l'INCORA ont transmis leurs conclusions au ministère de l'Environnement et que c'est sur cette base qu'il a été conclu que la zone affectée par le projet ne concernait pas les populations indigènes, qu'INCORA n'avait pas créé de réserve dans la zone de prospection Gibraltar et, enfin, qu'après rectification du périmètre de la zone de prospection aucune communauté indigène ne vivait de manière régulière ou permanente dans la zone d'activités directement affectée par le projet ou dans celle ne disposant pas de titre de propriété collective.
  86. 64. Le gouvernement ajoute que, pendant la procédure administrative relative à l'octroi de la licence, l'INCORA a adopté la résolution no 56 du 6 août 1999 en vertu de laquelle il a été décidé d'agrandir la superficie de la réserve, celle-ci passant de 61 156 à 220 275 hectares, modification favorable aux communautés indigènes Awa, et de la nommer "Réserve unie Awa".
  87. 65. Le gouvernement fait savoir qu'avant l'agrandissement de la réserve le ministère de l'Environnement a de nouveau demandé au ministère de l'Intérieur de lui indiquer si des communautés indigènes vivaient dans la zone directement affectée par le projet. En conséquence, les informations recueillies grâce à l'étude ethnographique et sociale, qui complètent et appuient les conclusions auxquelles est parvenue l'étude d'impact sur l'environnement effectuée par l'entreprise "Occidental" ainsi que les preuves obtenues par le ministère de l'Intérieur, ont permis au ministère de l'Environnement d'assurer que:
  88. - la zone de prospection Gibraltar, telle que les limites en ont été établies par l'article 2 de la résolution faisant l'objet de ce recours, n'était pas située dans la Réserve unie Awa, telle que géographiquement définie par la résolution no 56 du 6 août 1999 de l'INCORA; et que
  89. - les limites de la Réserve unie Awa ont été respectées, attendu que la demande de licence a été modifiée pour tenir compte du périmètre alloué à la zone de prospection Gibraltar dont faisait mention l'arrêté no 668 du 20 novembre 1998 de la Sous-direction des licences du ministère de l'Environnement.
  90. 66. Ainsi, le gouvernement affirme que, compte tenu de ce qui précède, l'organisation plaignante ne peut fonder son recours en révision sur le rapport du 22 décembre 1998 de l'INCORA, qui indique notamment qu'"en vertu de la loi no 160 de 1994 et du décret no 2164 de 1995, le présent Institut procède aux formalités inhérentes à la création de la Réserve unique Awa, et constate qu'une partie de la zone de prospection Gibraltar est effectivement comprise dans les limites de cette réserve", et ce pour trois raisons: 1) cette communication n'est plus pertinente, puisque la décision administrative d'agrandissement de la Réserve unie Awa a été promulguée et prise en compte par le ministère de l'Environnement lorsqu'il a adopté la résolution no 788 de 1999; 2) même si le peuple Awa avait pu être affecté par le projet, l'entreprise qui a demandé la licence d'exploitation a évité que tel soit le cas en modifiant le périmètre de la zone, conformément à la résolution de l'INCORA relative à l'agrandissement de la réserve; 3) étant donné les modifications apportées, la zone du projet Gibraltar se situe sans conteste en dehors de la Réserve unie Awa.
  91. 67. Le gouvernement observe que, compte tenu des compétences spécifiques des diverses entités exerçant une charge administrative conformément à la Constitution et à la loi, le ministère de l'Environnement a l'obligation de s'enquérir des décisions du ministère de l'Intérieur, de les respecter et d'appliquer celles qui relèvent de son mandat. Par conséquent, le gouvernement indique qu'en octroyant la licence en question le ministère de l'Environnement a respecté les prescriptions établies par la législation nationale pertinente.
  92. III. Conclusions du comité
  93. 68. Le comité prend note des informations complètes et détaillées fournies dans le cadre de cette affaire, tant par l'organisation plaignante que par le gouvernement au sujet des trois points énoncés dans la réclamation. Il considère qu'il est opportun d'examiner les aspects relatifs à chaque point, dans l'ordre où ils sont présentés dans la réclamation.
  94. 1. Le décret no 1320 de 1998
  95. 69. La CUT fait valoir que le décret no 1320, relatif à la "réglementation de la consultation préalable des communautés indigènes et noires pour ce qui a trait à l'exploitation des ressources naturelles renouvelables dont sont dotées leurs terres", n'est pas conforme aux articles 2, paragraphes 1 et 2 b); 4, paragraphes 1 et 2; 6, 7 et 15, paragraphe 1, de la convention. L'article 6 de la convention, qui prévoit l'obligation pour les Etats de consulter au préalable les peuples intéressés, dispose que :
  96. 1. En appliquant les dispositions de la présente convention, les gouvernements doivent:
  97. a) consulter les peuples intéressés, par des procédures appropriées, et en particulier à travers leurs institutions représentatives, chaque fois que l'on envisage des mesures législatives ou administratives susceptibles de les toucher directement;
  98. b) mettre en place les moyens par lesquels lesdits peuples peuvent, à égalité au moins avec les autres secteurs de la population, participer librement et à tous les niveaux à la prise de décisions dans les institutions électives et les organismes administratifs et autres qui sont responsables des politiques et des programmes qui les concernent;
  99. c) mettre en place les moyens permettant de développer pleinement les institutions et initiatives propres à ces peuples et, s'il y a lieu, leur fournir les ressources nécessaires à cette fin.
  100. 2. Les consultations effectuées en application de la présente convention doivent être menées de bonne foi et sous une forme appropriée aux circonstances, en vue de parvenir à un accord ou d'obtenir un consentement au sujet des mesures envisagées.
  101. 70. Le comité considère que le principe de consultation préalable établi par l'article 6 doit être entendu dans le cadre des dispositions relatives à la politique générale figurant à l'article 2, paragraphes 1 et 2 b), de la convention, qui disposent ce qui suit :
  102. 1. Il incombe aux gouvernements, avec la participation des peuples intéressés, de développer une action coordonnée et systématique en vue de protéger les droits de ces peuples et de garantir le respect de leur intégrité.
  103. 2. Cette action doit comprendre des mesures visant à:
  104. ...
  105. b) promouvoir la pleine réalisation des droits sociaux, économiques et culturels de ces peuples, dans le respect de leur identité sociale et culturelle, de leurs coutumes et traditions et de leurs institutions.
  106. 71. Le gouvernement ne discute pas le fait que le décret en question n'a pas fait l'objet d'une concertation avec les peuples indigènes. Le comité observe que le gouvernement n'a pas non plus consulté, avant d'adopter le décret en question, les organismes qu'il a lui-même institués pour traiter des affaires indigènes, comme par exemple le Bureau permanent de concertation avec les peuples et organisations indigènes et la Direction générale des affaires indigènes.
  107. 72. Le comité attire l'attention du gouvernement sur l'alinéa a) de l'article 6 de la convention, cité plus haut. Le comité fait observer que le droit des peuples indigènes d'être consultés chaque fois que sont envisagées des mesures législatives ou administratives susceptibles de les toucher directement, de même que l'obligation faite au gouvernement de consulter préalablement les peuples indigènes procèdent directement de la convention no 169 et non de la reconnaissance de ce droit par la législation nationale. L'article 6, paragraphe 1 a), de la convention dispose qu'"en appliquant les dispositions de la présente convention, les gouvernements doivent ... consulter les peuples intéressés, par des procédures appropriées, en particulier à travers leurs institutions représentatives, chaque fois que l'on envisage des mesures législatives ou administratives susceptibles de les toucher directement". Le comité estime que le décret no 1320 de 1998 dont l'objet est expressément de réglementer "la consultation préalable des communautés indigènes et noires pour toute exploitation effectuée dans leur territoire" constitue une mesure législative susceptible de toucher directement les communautés en question. En conséquence, il découle clairement de l'article 6, paragraphe 1 a), que les autorités colombiennes avaient l'obligation de consulter les peuples indigènes avant d'adopter et de promulguer ledit décret.
  108. 73. Le comité observe que l'article 21 du décret prévoit que: Sans préjuger de l'entrée en vigueur du présent décret à compter de la date de sa publication, le gouvernement national organise, dans un délai de six mois à compter de celle-ci, des réunions avec les communautés indigènes et noires afin d'entendre leurs points de vue et de prendre connaissance des modifications qu'elles souhaiteraient apporter au processus de consultation préalable établi par le présent décret.
  109. 74. Le comité note que, selon les renseignements supplémentaires transmis par la CUT dans sa communication en date du 27 juin 2001, trois réunions ont été organisées avec des représentants des organisations indigènes et noires après la promulgation du décret no 1320. Parallèlement, le comité relève que l'article 21 prévoit la tenue de "réunions participatives" postérieures à l'adoption du décret mais qui ne doivent en aucune manière se substituer au processus de consultation préalable auquel doivent être activement associés les peuples concernés pour élaborer le processus de consultation. Attendu que l'article 6 de la convention fait obligation aux Etats qui ont ratifié la convention de consulter les peuples indigènes avant d'adopter ou de promulguer toute mesure législative susceptible de les toucher directement, le comité estime que la promulgation du décret no 1320, en l'absence de consultation préalable, est contraire à la convention.
  110. 75. Le comité note que l'article 12 du décret n'envisage qu'une seule réunion de consultation "même lorsque, pour un projet, des travaux ou une activité donnés, il convient de consulter plusieurs communautés indigènes et noires, excepté lorsqu'il est impossible de les convoquer ensemble en raison de conflits qui les opposent".
  111. 76. Le comité note également que l'article 13 du décret ne prévoit de tenir qu'une seule réunion au cours de laquelle "le responsable du projet, des travaux ou de l'activité présente l'étude appropriée" (art. 13 a)), après que "les représentants des communautés indigènes et noires consultées ont exprimé leurs points de vue" (art. 13 b)). L'alinéa c) de l'article 13 établit que "si un accord est conclu au sujet de l'identification des incidences possibles et des mesures proposées dans le cadre du plan de gestion environnementale ... la séance est levée et les faits sont consignés au procès-verbal"; dans le cas contraire, "l'autorité compétente en matière d'environnement suspend la séance, mais elle ne peut le faire qu'une seule fois" (art. 13 d)). A la reprise de la séance, si un accord n'a pu être obtenu concernant les mesures contenues dans le plan de gestion environnementale, "la séance est déclarée close, la raison en est expressément consignée au procès-verbal, et l'autorité compétente en matière d'environnement prend les décisions qui conviennent en l'espèce pour ce qui est d'accorder ou de refuser la licence d'exploitation sollicitée" (art. 13 e)). Le comité note que le décret ne semble pas envisager la participation ou la consultation des peuples intéressés lors de la préparation de l'étude d'impact et de l'élaboration du plan de gestion environnementale.
  112. 77. Le comité rappelle que, lors des débats au sujet de l'adoption de l'article 6 de la convention concernant la consultation préalable, un représentant du Secrétaire général a indiqué que l'intention du Bureau en rédigeant un tel texte n'était pas de suggérer que les consultations en discussion devaient résulter dans l'obtention d'un accord ou d'un consentement de la part de ceux qui étaient consultés, mais plutôt de souligner un objectif pour ces consultations (Note 14). Cependant, le comité estime que l'obligation de consultation préalable doit être examinée à la lumière de l'un des principes fondamentaux de la convention figurant à l'article 7, qui établit que:
  113. 1. Les peuples intéressés doivent avoir le droit de décider de leurs propres priorités en ce qui concerne le processus du développement, dans la mesure où celui-ci a une incidence sur leur vie, leurs croyances, leurs institutions et leur bien-être spirituel et les terres qu'ils occupent ou utilisent d'une autre manière, et d'exercer autant que possible un contrôle sur leur développement économique, social et culturel propre. En outre, lesdits peuples doivent participer à l'élaboration, à la mise en ÷uvre et à l'évaluation des plans et programmes de développement national et régional susceptibles de les toucher directement.
  114. ...
  115. 3. Les gouvernements doivent faire en sorte que, s'il y a lieu, des études soient effectuées en coopération avec les peuples intéressés, afin d'évaluer l'incidence sociale, spirituelle, culturelle et sur l'environnement que les activités de développement prévues pourraient avoir sur eux. Les résultats de ces études doivent être considérés comme un critère fondamental pour la mise en ÷uvre de ces activités.
  116. En outre, l'article 15 dispose que:
  117. 1. Les droits des peuples intéressés sur les ressources naturelles dont sont dotées leurs terres doivent être spécialement sauvegardés. Ces droits comprennent celui, pour ces peuples, de participer à l'utilisation, à la gestion et à la conservation de ces ressources.
  118. 2. Dans les cas où l'Etat conserve la propriété des minéraux ou des ressources du sous-sol ou des droits à d'autres ressources dont sont dotées les terres, les gouvernements doivent établir ou maintenir des procédures pour consulter les peuples intéressés dans le but de déterminer si et dans quelle mesure les intérêts de ces peuples sont menacés avant d'entreprendre ou d'autoriser tout programme de prospection ou d'exploitation des ressources dont sont dotées leurs terres. Les peuples intéressés doivent, chaque fois que c'est possible, participer aux avantages découlant de ces activités et doivent recevoir une indemnisation équitable pour tout dommage qu'ils pourraient subir en raison de telles activités.
  119. 78. De l'avis du comité, même si l'article 6 ne requiert pas que la consultation préalable mène nécessairement au consensus, il prévoit toutefois que les peuples intéressés doivent avoir la possibilité de participer librement à l'élaboration, à la mise en ÷uvre et à l'évaluation des mesures et des programmes qui les touchent directement, et ce à tous les niveaux. En outre, de l'avis du comité, les articles 2, paragraphes 1 et 2 b), 6, 7 et 15, paragraphe 2, prévoient que les peuples intéressés doivent être consultés avant la finalisation de l'étude d'impact et du plan de gestion de l'environnement, et que le gouvernement doit "établir et maintenir des procédures pour consulter les peuples intéressés dans le but de déterminer si et dans quelle mesure les intérêts de ces peuples sont menacés, avant d'entreprendre ou d'autoriser tout programme de prospection ou d'exploitation des ressources dont sont dotées leurs terres".
  120. 79. Pour les raisons qui précèdent, le comité estime que le processus de consultation préalable tel qu'il est énoncé dans le décret no 1320 n'est pas conforme aux articles 2, 6, 7 et 15 de la convention. L'adoption de décisions rapides ne doit pas se faire au détriment d'une consultation effective, pour laquelle il faut prévoir le temps nécessaire pour que les peuples indigènes du pays puissent mener à bien leur processus de prise de décision et participer effectivement aux décisions prises d'une manière adaptée à leurs valeurs culturelles et sociales. Bien qu'il n'entende pas suggérer que ces valeurs soient les seules sur lesquelles doive se fonder le processus de consultation tel qu'établi par la convention, le comité considère que, si ces valeurs ne sont pas prises en considération, le respect des prescriptions fondamentales requises en matière de consultation préalable et de participation est impossible.
  121. 2. La construction de la Route du Café et la communauté indigène de Cristianía
  122. 80. Le gouvernement fait remarquer que le contrat de travaux publics pour la construction de la Route du Café a été conclu en décembre 1988, c'est-à-dire avant la ratification par la Colombie de la convention no 169. Le comité note que la convention a été approuvée par la loi no 21 du 4 mars 1991 et ratifiée par la Colombie le 7 août 1991, et qu'elle est entrée en vigueur le 7 août 1992. Le comité estime que les dispositions de la convention ne peuvent être appliquées rétroactivement, en particulier pour ce qui a trait aux questions de procédure.
  123. 81. Pour ce qui est des demandes d'indemnisation, le comité tient à préciser qu'il n'entend pas se prononcer sur la résolution des différends individuels portant sur la terre en vertu de la convention, notamment sur la question de l'existence d'un lien de causalité entre les dommages subis par la communauté et les travaux routiers. Le comité estime que sa mission fondamentale consiste plutôt à s'assurer que les moyens appropriés ont été utilisés pour résoudre ces différends et que les principes énoncés par la convention ont été pris en considération pour résoudre les problèmes qui touchent les peuples indigènes et tribaux du pays.
  124. 82. Le comité note que la convention n'est entrée en vigueur en Colombie que le 7 août 1992, date à laquelle le contrat de travaux publics avait déjà été signé et les travaux routiers déjà entamés. Il note, cependant, qu'en vertu du jugement de la Cour constitutionnelle no T-428 du 24 juin 1992 le contrat de travaux publics pour l'élargissement de la route a été conclu en 1988 et qu'à cette date la législation nationale avait rendu obligatoire la réalisation d'une étude d'impact sur l'environnement, laquelle n'a pas été effectuée avant le début des travaux en question (Note 15). En outre, le gouvernement affirme que le contrat pour la réalisation desdits travaux a été prorogé jusqu'au 30 juin 1996. Compte tenu de cet élément, le comité estime qu'une fois la convention entrée en vigueur, et en particulier au titre des dispositions de l'article 7, paragraphes 1 et 2, de cet instrument, le gouvernement était tenu de consulter les communautés touchées afin de leur permettre de participer à leur propre développement économique, social et culturel. A cet égard, le comité observe que, même si le projet a été approuvé avant l'entrée en vigueur de la convention en Colombie, les travaux avaient déjà commencé. Partant, le gouvernement avait l'obligation, dès l'entrée en vigueur de la convention, de consulter les peuples intéressés au sujet de la poursuite desdits travaux. En l'espèce, le comité prend note des remarques formulées par le gouvernement, à savoir que Invías, dans le cadre de ses programmes actuels, consulte non seulement les peuples indigènes avant d'entamer un projet routier, mais les associe également au processus de suivi et d'évaluation des accords conclus ainsi qu'à la gestion du plan social et de l'environnement.
  125. 3. L'octroi d'une licence d'exploitation pétrolière à l'entreprise "Occidental de Colombia" en vue d'une exploitation pétrolière sur le territoire Awa
  126. 83. La CUT fait valoir que le gouvernement colombien, par le truchement de son ministère de l'Environnement, a accordé une licence d'exploitation pétrolière à l'entreprise "Occidental de Colombia" afin qu'elle mène des activités de prospection sur le territoire du peuple indigène Awa, sans que celui-ci ait été préalablement consulté.
  127. 84. Le gouvernement explique que le peuple Awa n'a pas été consulté avant l'octroi de la licence en question parce que le ministère de l'Intérieur et l'INCORA avaient certifié que la zone directement affectée par le projet ne touchait pas les peuples indigènes.
  128. 85. Le comité considère que le gouvernement avait été informé par le ministère de l'Environnement du fait que le projet de prospection pétrolière "puits Gibraltar 1" pouvait avoir une incidence sur les communautés indigènes Awa. Ce projet se situe dans l'unité de Samoré, pour laquelle une demande de licence avait déjà été une première fois déposée en 1992 par l'entreprise "Occidental". Lors de cette première procédure administrative, le ministère de l'Environnement avait reconnu que l'unité de Samoré comprenait des réserves indigènes et qu'elle se trouvait au c÷ur des terres ancestrales du peuple indigène Awa ; il avait également reconnu que ce peuple devait être obligatoirement et préalablement consulté. Bien que le gouvernement ait agrandi le territoire de la réserve des Awa et que l'entreprise "Occidental" ait rectifié le périmètre de la zone "puits Gibraltar 1" quelque temps avant d'obtenir sa deuxième licence, nul ne discute le fait que le puits se trouve toujours dans l'unité de Samoré, zone dont il a déjà été établi qu'elle fait partie des terres ancestrales des Awa. Le comité observe qu'il ressort clairement du plan du territoire ancestral des Awa (Note 16), réalisé en juin 1996 dans le cadre du projet de développement ethnique du peuple indigène Awa et de l'étude socio-économique de la Réserve Awa, par l'Université Javieriana et l'Institut des études d'environnement pour le développement, l'Organisation régionale indigène Awa del Oriento et l'équipe chargée de l'Aménagement du territoire Awa, que le puits Gibraltar 1 est situé au c÷ur des terres ancestrales Awa.
  129. 86. Le comité note que le gouvernement a invoqué le critère de "présence de manière régulière et permanente des communautés indigènes" aux fins de déterminer si l'emplacement choisi pour mener un projet de prospection et d'exploitation dans la région indiquée était susceptible de toucher lesdites communautés. A cet effet, le comité rappelle que la convention invoque le principe de "droits de propriété et de possession" des peuples indigènes "sur les terres qu'ils occupent traditionnellement" (voir art. 14, paragr. 1), ce qui n'équivaut pas nécessairement au critère utilisé par le gouvernement. En outre, la convention ne traite pas seulement des zones habitées par les peuples indigènes, mais aussi du "processus du développement, dans la mesure où celui-ci a une incidence sur leur vie, leurs croyances (...), les terres qu'ils occupent ou utilisent d'une autre manière" (voir art. 7, paragr. 1). Le fait qu'il existe un projet de prospection ou d'exploitation à proximité immédiate des limites officiellement reconnues de la réserve des peuples intéressés relève sans conteste de la convention.
  130. 87. Le comité observe, à cet égard, comme l'a reconnu le ministre de l'Environnement dans sa directive technique no 30599, que la construction d'un puits de prospection "nécessite la mise à disposition d'un terrain suffisamment vaste pour accueillir les infrastructures et installations nécessaires au chantier" (Note 17). Attendu que le puits Gibraltar 1 est situé dans une zone qui se trouve sur les terres ancestrales des Awa et, en tout état de cause, à approximativement 1,7 km des limites de la Réserve unie Awa (Note 18), le comité estime qu'il est évident que la zone directement affectée par le projet "puits de prospection Gibraltar 1" avait une incidence sur les communautés de la région, y compris les communautés Awa. En conséquence, conformément à l'article 15, paragraphe 2, le gouvernement avait obligation de consulter les Awa avant le début des activités de prospection afin de déterminer si leurs intérêts pouvaient être lésés.
  131. 88. Pour ce qui est du processus de consultation préalable des Awa, le comité note qu'au cours du processus administratif d'examen de la première demande de licence d'exploitation déposée par l'entreprise "Occidental" en 1992 une réunion a été organisée les 10 et 11 janvier 1995 et le 21 février 1995 avec des représentants du peuple Awa dans la municipalité d'Arauca. Le comité relève qu'au cours de cette réunion l'un des représentants du gouvernement a indiqué que l'objectif de la réunion n'était pas "d'approuver ou de rejeter un projet, mais de faire en sorte que la communauté comprenne en quoi elle pouvait être touchée par les travaux projetés sur la réserve, d'étudier les incidences sociales et culturelles éventuelles du projet et de proposer des solutions afin d'y remédier, et d'expliquer quels avantages pourrait en retirer la communauté" (Note 19).
  132. 89. Le comité tient à souligner que l'article 6, paragraphe 2, de la convention, dispose que:
  133. Les consultations effectuées en application de la présente convention doivent être menées de bonne foi et sous une forme appropriée aux circonstances, en vue de parvenir à un accord ou d'obtenir un consentement au sujet des mesures envisagées.
  134. 90. Le comité considère que le principe de consultation des communautés indigènes susceptibles d'être touchées par l'exploitation de ressources naturelles dont sont dotées leurs terres signifie l'établissement d'un dialogue véritable entre deux parties désireuses de communiquer et de s'entendre, dans un esprit de respect mutuel et de bonne foi, et dans le but sincère de parvenir à un accord conjoint. Une simple réunion d'information ne peut être considérée comme étant conforme aux dispositions de la convention. En outre, l'article 6 exige que la consultation soit "préalable", ce qui signifie que les communautés concernées doivent être associées le plus tôt possible au processus, y compris à la réalisation d'études d'impact sur l'environnement. Enfin, le comité tient à souligner qu'en l'espèce les réunions ou consultations organisées après l'octroi de la licence d'exploitation en question ne satisfont pas aux dispositions des articles 6 et 15, paragraphe 2, de la convention. Compte tenu de ce qui précède, le comité considère que le gouvernement a enfreint lesdits articles en octroyant à l'entreprise "Occidental", en 1995 et en 1999 (après l'entrée en vigueur de la convention en Colombie), deux licences d'exploitation sans avoir mené auprès des peuples concernés le processus de consultation préalable qui s'imposait.
  135. 91. L'article 15, paragraphe 2, dispose que si des programmes de prospection ou d'exploitation sont entrepris sur leurs terres:
  136. Les peuples intéressés doivent, chaque fois que c'est possible, participer aux avantages découlant de ces activités et doivent recevoir une indemnisation équitable pour tout dommage qu'ils pourraient subir en raison de telles activités.
  137. Par conséquent, le comité considère que, si le puits de prospection Gibraltar 1, conformément à l'étude de l'Université Javeriana, se situe sur les terres traditionnellement occupées par les Awas et, en tout état de cause, à une distance de 1,7 km de la réserve des Awas, le gouvernement était légalement tenu de consulter les peuples touchés afin de déterminer comment pouvait être appliqué l'article 15, paragraphe 2, de la convention et de s'assurer que les peuples concernés seraient indemnisés pour les dommages subis et participeraient aux avantages découlant des activités de prospection ou d'exploitation.
  138. 92. Le comité exprime sa préoccupation face aux informations transmises par la CUT ainsi que par d'autres sources fiables d'information concernant le recours répété à la force à l'encontre de la communauté Awa par les forces militaires et policières gouvernementales.
  139. 93. Le comité croit en outre comprendre que l'entreprise "Occidental" n'a pas localisé de gisement pétrolier dans la zone où elle prospectait et que le puits Gibraltar 1 est en cours de démantèlement. Toutefois, le comité est pleinement conscient de la possibilité que d'autres projets de prospection et d'exploitation pétrolières puissent à l'avenir être menés sur les terres ancestrales des Awa. Il souhaite en conséquence souligner qu'il importe que la commission d'experts continue de veiller à la pleine application des dispositions de la convention, ce qui est essentiel pour protéger les intérêts des peuples indigènes affectés par ces activités.
  140. IV. Recommandations du comité
  141. 94. Le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport, en prenant en considération les conclusions mentionnées dans les paragraphes 68 à 93 de ce rapport, et:
  142. a) de demander au gouvernement d'amender le décret no 1320 de 1998 afin de le mettre en conformité avec la convention, en consultation et avec la participation active des représentants des peuples indigènes de Colombie, conformément aux dispositions de la convention;
  143. b) de demander au gouvernement d'appliquer pleinement les articles 6 et 15 de la convention et d'envisager de tenir des consultations dans chaque cas concret, conjointement avec les peuples intéressés, chaque fois qu'il est prévu de prendre des mesures législatives ou administratives susceptibles de les affecter directement, ou avant d'entreprendre ou d'autoriser tout programme de prospection ou d'exploitation des ressources que recèlent leurs terres;
  144. c) de suggérer au gouvernement, à propos des activités de prospection et d'exploitation pétrolières menées par l'entreprise "Occidental", d'associer le peuple intéressé afin d'établir et de maintenir un dialogue constructif en vue de l'adoption de décisions;
  145. d) de demander au gouvernement qu'il continue d'informer la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, par le truchement des rapports qu'il est tenu de présenter en vertu de l'article 22 de la Constitution de l'OIT en relation avec cette convention, sur l'évolution des trois questions sur lesquelles est fondée la réclamation de la CUT, et en particulier sur:
  146. i) toute mesure prise pour amender le décret no 1320 de 1998 conformément aux dispositions de l'article 6 de la convention, ainsi que toute mesure qui a été prise ou qui pourrait l'être afin d'assurer la participation la plus totale et la plus libre possible des représentants des peuples intéressés au processus de révision;
  147. ii) toute mesure prise pour remédier à la situation du peuple Embera-Chamí de la réserve de Cristianía;
  148. iii) les mesures prises ou qui pourraient être prises pour remédier à la situation dans laquelle se trouvent les Awa, y compris des mesures pour l'application de la résolution no 056 sur l'acquisition de terres, ainsi qu'un nouvel examen de l'incidence passée ou possible des activités de prospection sur les Awa, et de la manière dont ceux-ci pourraient être équitablement indemnisés pour les dommages qu'ils ont subis en raison de ces activités, conformément aux dispositions de l'article 15, paragraphe 2;
  149. iv) les mesures prises ou envisagées pour remédier aux situations qui ont donné lieu à cette réclamation, compte tenu de la nécessité d'établir un mécanisme efficace de consultation préalable des peuples indigènes et tribaux, comme le prévoit l'article 6, et de garantir le respect de leur intégrité, comme le prévoit l'article 2;
  150. v) les mesures prises ou envisagées pour enquêter sur les faits signalés au paragraphe 45 du présent rapport en vue de rendre justice et de réparer les torts causés, et pour garantir qu'il ne sera pas fait usage de la force contre le peuple Awa à l'avenir;
  151. d) de déclarer close la procédure entamée auprès du Conseil d'administration lors de la présentation de cette réclamation.
  152. Genève, le 14 novembre 2001.
  153. (Signé) L. S. Sosa Márquez, Francisco Díaz Garaycoa, Federico Ramírez León.
  154. Note 1
  155. Jugement T-428 de la Cour constitutionnelle de Colombie rendu le 24 juin 1992.
  156. Note 2 Jugement no SU-039/97 prononcé par la Cour constitutionnelle de Colombie le 3 février 1997, p. 41.
  157. Note 3
  158. Arrêt du Conseil d'Etat du 4 mars 1997, affaire n° S-673, p. 4.
  159. Note 4
  160. Ibid., p. 4.
  161. Note 5
  162. Jugement n° SU-039/97 de la Cour constitutionnelle, p. 44.
  163. Note 6
  164. Ibid., p. 44.
  165. Note 7
  166. Ibid., p. 45.
  167. Note 8
  168. Selon la CUT, cette communication figure dans le rapport ministériel pour l'année 2000, lequel contient tous les documents relatifs à l'octroi de la licence en question.
  169. Note 9
  170. Directive technique no 30599, p. 4.
  171. Note 10
  172. Ibid., p. 5.
  173. Note 11
  174. Ibid., p. 25.
  175. Note 12
  176. Les faits ne concordent pas car, selon le gouvernement, l'INCORA a agrandi la réserve en vertu de la résolution n° 056 du 6 août 1999.
  177. Note 13
  178. L'article 13 d) qui établit les modalités de la réunion de consultation avec les peuples intéressés dispose que: "S'il n'est pas possible de parvenir à un accord sur les mesures proposées dans le cadre du plan de gestion de l'environnement et les autres mesures présentées, l'autorité compétente en matière d'environnement suspend la réunion une seule fois, et accorde un délai maximum de 24 heures aux parties pour examiner les propositions ...".
  179. Note 14
  180. Voir Rapport de la Commission de la convention no 107, Compte rendu provisoire 25.1 à 25.12, paragr. 74, Conférence internationale du Travail, 76e session, Genève, 1989.
  181. Note 15
  182. Articles 27 et 28 du décret no 2811, 1974 (Code national des ressources naturelles), voir jugement no T-428 de la Cour constitutionnelle, p. 488.
  183. Note 16
  184. Joint à la communication de la CUT en date du 27 juin 2001.
  185. Note 17
  186. Directive technique no 10599, p. 5
  187. Note 18
  188. Voir plan joint à la communication du gouvernement en date du 31 juillet 2001.
  189. Note 19
  190. Arrêt du Conseil d'Etat, pp. 21 et 49.
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