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RECLAMATION (article 24) - BRESIL - C029, C105 - 1995

1. Centrale latino-américaine des travailleurs (CLAT)

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Rapport du Comité chargé d'examiner la réclamation présentée par la Centrale latino-américaine des travailleurs (CLAT), en vertu de l'article 24 de la Constitution, alléguant l'inexécution des conventions (no 29) sur le travail forcé, 1930, et (no 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957, par le Brésil

Rapport du Comité chargé d'examiner la réclamation présentée par la Centrale latino-américaine des travailleurs (CLAT), en vertu de l'article 24 de la Constitution, alléguant l'inexécution des conventions (no 29) sur le travail forcé, 1930, et (no 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957, par le Brésil

Decision

Decision
  1. Le Conseil d'administration a adopté le rapport du comité tripartite. Procédure close.

La procédure de plainte

La procédure de plainte
  1. A. Introduction
  2. 1. Dans une lettre du 10 février 1993, réitérée le 18 juin 1993, la Centrale latino-américaine des travailleurs (CLAT) a présenté une réclamation en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT alléguant l'inexécution des conventions (no 29) sur le travail forcé, 1930, et (no 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957.
  3. 2. Les conventions (no 29) sur le travail forcé, 1930, et (no 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957, ont été ratifiées par le Brésil le 25 avril 1957 et le 18 juin 1965 et sont en vigueur dans ce pays.
  4. 3. Les dispositions de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail concernant la soumission des réclamations sont les suivantes:
  5. Article 24
  6. Toute réclamation adressée au Bureau international du Travail par une organisation professionnelle des travailleurs ou des employeurs, et aux termes de laquelle l'un quelconque des Membres n'aurait pas assuré d'une manière satisfaisante l'exécution d'une convention à laquelle ledit Membre a adhéré, pourra être transmise par le Conseil d'administration au gouvernement mis en cause, et ce gouvernement pourra être invité à faire sur la matière telle déclaration qu'il jugera convenable.
  7. Article 25
  8. Si aucune déclaration n'est reçue du gouvernement mis en cause dans un délai raisonnable, ou si la déclaration reçue ne paraît pas satisfaisante au Conseil d'administration, ce dernier aura le droit de rendre publique la réclamation reçue et, le cas échéant, la réponse faite.
  9. 4. La procédure à suivre en cas de réclamations est régie par le Règlement révisé adopté par le Conseil d'administration à sa 212e session, en mars 1980.
  10. 5. Conformément aux articles 1 et 2, paragraphe 1, du Règlement, le Directeur général a accusé réception de cette réclamation, en a informé le gouvernement du Brésil et l'a transmise au bureau du Conseil d'administration.
  11. 6. A sa 258e session (novembre 1994), le Conseil d'administration a décidé, sur recommandation de son bureau, que la réclamation était recevable et a désigné un comité chargé de l'examiner, composé de M. Mayoral (membre gouvernemental), président, Mme Sasso-Mazzufieri (membre employeur) et M. Falbr (membre travailleur). En novembre 1993, M. P.S. Sundaram a été remplacé par M. K. Ahmed (membre travailleur).
  12. 7. Conformément aux dispositions de l'article 4, paragraphe 1 a) et c), du Règlement, le comité a invité le gouvernement à communiquer ses observations sur la réclamation.
  13. 8. Le gouvernement a présenté des informations abondantes dans différentes communications reçues en 1993 et 1994 et l'organisation plaignante a également soumis des informations complémentaires.
  14. B. Examen de la réclamation
  15. 9. Les allégations de la CLAT portent sur la situation de nombreux travailleurs soumis à la servitude pour dettes dans différents secteurs de l'agriculture. Selon la CLAT, ces travailleurs sont engagés selon des procédés trompeurs, déplacés de leur lieu d'origine ou de leur domicile, immobilisés sur des lieux de travail isolés et difficiles d'accès, dépossédés de leurs documents d'identification de travailleur (leur carte de travail). Ces travailleurs sont contraints de travailler dans des conditions inhumaines, dans bien des cas sans salaire, parfois uniquement en échange d'une alimentation déficiente, et sont soumis à une durée du travail excessive. Ils sont logés dans des conditions précaires, insalubres et peu sûres. Toute possibilité de rompre leur relation avec l'employeur leur est interdite par des moyens de coercition relevant de la violence physique et morale. De nombreuses personnes mineures sont en outre soumises aux mêmes conditions.
  16. 10. Selon la CLAT, le mécanisme ayant conduit à cette situation découle de différents facteurs: la situation d'extrême pauvreté, la forte concentration de la propriété de la terre, le déséquilibre provoqué par un investissement massif de capitaux par les grandes entreprises dans des régions où il n'existait pas de mécanismes suffisants ou efficaces de défense des intérêts et des droits de la population, et une administration lacunaire de la justice.
  17. 11. Selon la CLAT, si le travail en servitude au Brésil n'est hélas pas une nouveauté, cette pratique s'est renforcée à partir de 1964 avec l'investissement intensif de ressources dans ce qu'il a été convenu d'appeler "l'Amazonie légale", par le biais de la "Direction du Développement de l'Amazonie". Avec les objectifs de modernisation et de développement de la région, les mesures fiscales d'encouragement ont attiré vers ces zones naturelles d'importants groupes financiers et industriels, qui pouvaient bénéficier de réductions d'impôts allant jusqu'à 50 pour cent à condition d'investir les deux tiers de l'économie ainsi réalisée dans des projets agricoles ou industriels en "Amazonie légale". On peut citer au nombre de ces investisseurs plusieurs groupes bancaires nationaux: Bradesco, BCN (Banco de Crédito Laboral), Banco Real, Banco Bamerindus, ainsi que des multinationales comme Volkswagen, Nixdorf et Liquigaz. Du fait que le volume des ressources dépendait de l'ampleur des territoires considérés, selon le principe "autant de terres, autant d'argent", ces projets ont entraîné un financement de la grande propriété foncière par le gouvernement, avec aggravation consécutive du problème de la concentration des terres, favorisant en fin de compte l'exploitation des travailleurs ruraux.
  18. 12. Selon la CLAT, le travail en servitude au Brésil s'inscrit dans un contexte plus large de violence en milieu rural, qui a pour origine le modèle capitaliste, facteur de concentration et d'exclusion, ainsi que des relations du travail fondées sur des principes pervers. Cette pratique est intimement liée à la modernisation de l'agriculture dans le pays et à l'immixtion de la finance dans l'agriculture.
  19. 13. La CLAT déclare que la plus forte concentration de cas de travail en servitude a été enregistrée dans les zones où ont été développés des projets tels que le programme CARAJAS, réalisé à l'initiative de la Banque mondiale.
  20. Dimensions du phénomène
  21. 14. Sur la base des chiffres recueillis par la Commission pastorale de la terre (CPT), la CLAT déclare qu'en 1991 27 plaintes relatives à l'existence d'un "travail en servitude" ont été enregistrées, impliquant au total 4 883 personnes dans 11 Etats: Para, Mato Grosso, Mato Grosso do Sul, Alagoas, Bahia, Espiritu Santo, Minas Gerais, Rio de Janeiro, Sao Paulo, Parana et Rio Grande do Sul. En 1992, la CPT avait recensé 18 cas, impliquant au total 16 442 personnes soumises à un travail forcé. En 1993, ce total s'élevait à 19 940 personnes.
  22. 15. La CLAT ajoute que les cas signalés et faisant l'objet d'une plainte ne représentent qu'une partie du phénomène, dont les dimensions véritables sont inconnues. Selon d'autres estimations, on atteindrait 60 000 personnes par an en situation de servitude, abstraction faite des autres secteurs d'activité tels que l'extraction de la houille et les autres mines.
  23. 16. Selon la CLAT, les activités liées à la production de houille et au sciage du bois (essentiellement dans la région de l'Espiritu Santo et du Rio Grande Do Sul), l'abattage du bois et la reforestation (dans les Etats de l'Amazonie, du Mato Grosso, du Para, de Rondonia), la fabrication de l'alcool et la culture et la récolte du café et des tomates sont les principaux secteurs de l'économie dans lesquels ce genre de situation a été constaté. On trouvera en annexe au présent document la liste des exploitations et entreprises citées dans les différents documents communiqués par l'organisation plaignante.
  24. Les houillères
  25. 17. La CPT a dénoncé pour 1993 l'existence de 19 578 cas de travail en servitude au Brésil, dont quelque 8 000 dans les houillères de Ribas do Rio Pardo et Aguas Claras, dans le Mato Grosso do Sul. Selon la CLAT, ces sites constituent le principal foyer de servitude du pays.
  26. 18. Dans les commentaires formulés par l'organisation plaignante en juin 1994, la Confédération nationale des travailleurs de l'agriculture (CONTAG) énumère les raisons qui, à son avis, sont à l'origine de la situation actuelle dans ces houillères de la région septentrionale de l'Etat de Minas Gerais: concentration de la propriété des terres, absence de réforme agraire, absence de soutien de la petite production, forte pénétration des activités de reforestation et absence d'inspection. (L'organisation signale par ailleurs la création, par l'Assemblée nationale, d'une commission parlementaire d'enquêtes chargée d'enquêter sur la situation dans ces houillères dans la région septentrionale du Minas Gerais.)
  27. 19. La CONTAG mentionne les estimations du ministère du Travail, selon lesquelles plus de 20 000 personnes ont travaillé à l'abattage de l'eucalyptus et la production de charbon de bois pour approvisionner les grandes usines sidérurgiques de l'Etat. Elle mentionne également les indications de l'Abracave (Association brésilienne du charbon de bois), selon lesquelles la production de cette matière a dépassé, en 1993, les 32 millions de mètres cubes, ce qui représentait une somme de 3,26 milliards de dollars. En 1992, la production et la consommation de charbon de bois ont permis de dégager pour 473 millions de taxes.
  28. La déforestation
  29. 20. Les documents communiqués par l'organisation plaignante font ressortir que les cas les plus flagrants de travail en servitude ont été constatés dans le secteur de la déforestation dans les Etats de l'Amazone. Selon la CLAT, la déforestation a servi de prétexte à divers groupes financiers et à diverses entreprises pour obtenir d'importants avantages fiscaux et des subventions accordées par des organismes comme la Banque mondiale. Le recours à des intermédiaires ou sous-traitants chargés de la déforestation pour le compte de ces groupes ou des Etats a pour conséquence d'élever un obstacle juridique entre les travailleurs et les intérêts économiques en jeu dans de tels projets. Cependant, le travail en servitude dans ce secteur d'activité découle d'un ensemble de relations extrêmement complexes avec d'importants groupes financiers. Dans l'un des cas les plus connus, celui de la "Fazanda Reunida", propriété du groupe bancaire privé le plus important du Brésil, Bradesco, la police fédérale avait opéré une visite, en 1973, sur dénonciation de cas de travail en servitude. En 1979, le Tribunal supérieur de Brasilia avait dénoncé l'existence d'un travail en servitude dans l'entreprise Alto Rio Capim, également propriété de Bradesco; en 1980, la presse nationale dénonçait le cas d'un travailleur assassiné alors qu'il tentait de s'échapper et, en 1984, la police libérait 29 travailleurs soumis, dans la même entreprise, à un travail forcé.
  30. 21. Dans la déforestation, les travailleurs temporaires employés à l'abattage des arbres et au défrichement du terrain pour obtenir des terres de pâture sont recrutés par des "gatos" (agents recruteurs), de sorte que leur relation d'emploi avec les entreprises est indirecte.
  31. La pratique de l'"aliciamiento" (transfert de travailleurs d'une région à l'autre du pays)
  32. 22. Selon l'organisation plaignante, bien que cette pratique de l'"aliciamiento", qui consiste à tromper des travailleurs afin de les transférer d'un lieu à l'autre du territoire national, soit illégale (article 207 du Code pénal), elle a néanmoins cours pour obtenir le déplacement de travailleurs jusqu'à des lieux éloignés de leur lieu d'origine ou de leur domicile. Selon la CLAT, les intermédiaires, que l'on appelle des "gatos", recourent à des procédés frauduleux pour recruter, en promettant de bons salaires et de bonnes conditions de travail dans des régions où le chômage et la pauvreté frappent de nombreux travailleurs. Ils obtiennent ainsi que les travailleurs acceptent d'être transférés vers des lieux éloignés des centres d'habitation. Au moment de l'engagement, le "gato" remet au travailleur une certaine somme d'argent (l'acompte), que celui-ci peut laisser à sa famille, et qui constitue dans bien des cas le premier pas vers l'endettement. Le déplacement accroît la vulnérabilité du travailleur qui ignore dans bien des cas l'emplacement exact du lieu où il se trouve, ce qui favorise les pratiques de coercition. Le transport des travailleurs s'effectue dans des conditions précaires: la CPT a recensé, entre 1986 et 1992, 105 accidents, dans lesquels 274 journaliers ont perdu la vie et, en 1992, sept accidents ayant entraîné la mort de 44 travailleurs.
  33. 23. Selon la CLAT, ces dernières années, la région privilégiée pour transférer des travailleurs était le Nord-Est. Aujourd'hui c'est plutôt le Sud-Est (Minas Gerais et Parana). On peut même observer des échanges, des travailleurs originaires du Parana étant transférés dans le Minas Gerais et inversement. D'après le rapport de la Délégation régionale du travail (DRT) du Minas Gerais, les inspections réalisées entre juillet et septembre 1993 dans quelque 61 entreprises de l'Etat ont fait apparaître que la majorité des travailleurs était originaire du Parana.
  34. La servitude pour dettes
  35. 24. La CLAT déclare que les travailleurs, après avoir été transférés en des lieux éloignés de leur lieu d'origine ou de leur domicile, parviennent à leur destination en ayant contracté une "dette" par effet de l'acompte, du transport, de la fourniture des outils, etc. Sur le lieu de travail, cette dette s'accroît au "magasin" où le travailleur doit s'approvisionner, sans autre possibilité, en denrées indispensables à sa subsistance. Le service de la dette permet de maintenir sur place le travailleur qui travaille sans salaire pendant des mois et même des années.
  36. Les conditions de travail
  37. 25. Dans les éléments présentés par l'organisation plaignante, on relève d'abondants témoignages sur la situation des travailleurs soumis à un régime de servitude. Le dénominateur commun de toute cette situation est la dépendance totale du travailleur et l'impossibilité pour celui-ci de rompre la relation d'emploi en raison de la dette contractée ainsi que l'engagement dans des conditions trompeuses, sur la base de promesses fallacieuses quant au montant du salaire. Les salaires, dans la plupart des cas inférieurs au minimum légal, ne sont pas versés (témoignage des travailleurs de l'entreprise Gralha Azul), ou ils ne le sont que partiellement et le montant perçu ne permet pas de couvrir la dette, laquelle va toujours croissant (témoignage des travailleurs de la fabrique d'alcool Rio Brilhante et Cachoeira). Les denrées alimentaires sont vendues dans l'entreprise et l'éloignement interdit l'accès à toute autre source d'approvisionnement. De nombreux témoignages, exprimés dans les plaintes, dénoncent la pratique courante de châtiments corporels (témoignage des travailleurs de l'entreprise Grama; témoignage des travailleurs de la Fabrica estatal pasa tempo (Rio Brilhante) sur l'assassinat d'un travailleur; ainsi que l'extrême précarité du logement, les conditions déplorables d'hygiène et la durée excessive de la journée de travail (de douze à seize heures); ainsi que les tortures infligées aux travailleurs tentant de s'échapper (témoignage de travailleurs ayant réussi à s'échapper de l'entreprise). En ce qui concerne la fabrique d'alcool Cachoeira (Rio Brilhante), les témoignages portent sur: l'embauche selon des procédés fallacieux; la rétention des documents officiels; le non-paiement des salaires; le recours à la violence physique (tortures) par des gardes armés à l'encontre des travailleurs exprimant des revendications; les conditions inhumaines de travail et de logement; les carences de la nourriture servie (riz et farine une fois par jour, dans des boîtes de conserve non lavées, nourriture décomptée du salaire selon le principe de l'endettement); et l'exploitation du travail de personnes mineures et d'indigènes. En ce qui concerne l'entreprise Castanhal (Aripuana), les travailleurs ont témoigné de l'impossibilité de quitter le lieu de travail avant d'avoir remboursé la "dette" contractée auprès de l'employeur sous menace de mort et de l'obligation de se fournir en denrées alimentaires au magasin de l'entreprise, ces achats étant décomptés d'un salaire qui ne permet jamais de rembourser la dette.
  38. L'inspection
  39. 26. Selon l'organisation plaignante, l'inspection, à de rares exceptions, laisse plus qu'à désirer. Elle intervient souvent longtemps après une plainte, comme dans le cas de l'entreprise Sao Luis, où l'inspecteur a constaté, en 1994, qu'il ne relevait aucun indice de travail en servitude suite à une plainte déposée par la CPT en 1990. Dans d'autres cas, devant des situations comparables, certains rapports d'inspection concluent à l'existence de conditions caractérisant le délit de réduction d'une personne à une condition comparable à celle de l'esclave (article 149 du Code pénal); d'autres rapports ont conclu à l'existence d'infractions aux dispositions du Code du travail. On relève dans certains cas une méconnaissance de la législation alors que, dans d'autres, il s'agit de mauvaise foi et de cynisme devant des faits patents. Dans le cas de l'inspection effectuée dans l'entreprise Jaciara S.A. (Mato Grosso), suite à la dénonciation par les travailleurs ayant réussi à s'échapper de l'existence d'un travail en servitude, les rapports concluent que "la plainte relative à un travail en servitude est infondée étant donné que nous (les inspecteurs) sommes entrés et sommes sortis sans aucun obstacle et présumons que tout un chacun est libre d'aller et venir. Pour ce qui est des conditions de travail, elles ne sont pas pires que dans les propriétés voisines; elles ne sont certes pas bonnes ni dignes, mais c'est là tout ce que peut offrir notre marché et notre culture".
  40. 27. Dans l'entreprise Uniao, commune de Xinguara, Etat de Para, dénoncée pour des pratiques de travail en servitude, la DRT de cet Etat déclare ne pas avoir relevé le moindre indice de travail en servitude, tandis que le contrôleur du ministère public exerçait contre la même entreprise des poursuites pour infractions à l'article 149 du Code pénal (réduction d'une personne à une condition analogue à celle d'esclave).
  41. 28. L'organisation plaignante considère que les différences d'appréciation quant à la notion de travail en servitude ont pour conséquence que la situation dénoncée peut être qualifiée de diverses manières. On appréciera l'importance de cette qualification aux sanctions qui peuvent être prononcées dans l'un ou l'autre cas. La police (fédérale ou d'Etat) considère que, pour établir l'existence d'un travail en servitude, il faut pouvoir constater une coercition physique (présence de gardes armés, par exemple) alors que le procureur général considère que des éléments tels que la rétention des documents d'identification du travailleur, l'existence d'une dette qui s'alourdit et qui est impossible à rembourser et des conditions de travail inhumaines constituent des éléments suffisants pour établir le délit de réduction d'une personne à une condition analogue à celle d'esclave.
  42. Les actions en justice
  43. 29. L'organisation plaignante déclare que peu d'actions en justice sont exercées par suite de plaintes pour travail en servitude et que, lorsqu'une telle action est engagée, elle se heurte à des obstacles dès le stade de l'instruction. L'une des causes de cette situation tient au problème de la confusion entre la compétence des diverses autorités pour enquêter, exercer des poursuites et juger par suite de plaintes qui, selon que l'on considère qu'il s'agit d'une infraction à la législation du travail ou d'une infraction pénale, sont de la compétence de l'Etat ou de la compétence fédérale. Dans certains cas, la police militaire locale a refusé d'intervenir au motif que le travail en servitude est un crime fédéral, de la compétence de la police fédérale (cas, par exemple, de l'entreprise VIQS, Barreiras, Bahia). Selon la CLAT, une des formes courantes d'inaction de la part du gouvernement consiste, pour celui-ci, à différer à l'extrême l'examen des plaintes portant sur des faits aussi graves que le travail forcé. Dans le cas de l'entreprise Alterosa, le recruteur inculpé a été arrêté puis libéré en 1993, alors que la première audience sur l'affaire s'est tenue en mars 1994, les témoins comme les victimes ne se trouvant plus sur les lieux indiqués.
  44. L'impunité
  45. 30. L'organisation plaignante déplore que, dans la plupart des cas, les responsables de pratiques de travail forcé ne sont pas punis, que lorsque des sanctions sont prises celles-ci ne sont pas sérieuses et que la récidive est courante. Ce fut notamment le cas dans l'affaire concernant les Carbonerias del maciso florestal de ribas do rio pardo, Aguas claras, Tres lagoas et Navirai, projet de reboisement qui représentait 175 millions de dollars en mesures d'incitation fiscale et impliquait 200 fabriques de charbon, 11 entreprises de remise en végétation, sur 600 000 hectares, 8 000 ouvriers charbonniers travaillant douze heures par jour avec pour seul salaire de la nourriture, pour alimenter en charbon des usines sidérurgiques. Les houillères ont été frappées d'amendes à deux reprises, en 1992 et 1993, pour infractions à diverses dispositions du Code pénal (CLT, à savoir: "travail comportant un effort excessif, mauvaises conditions de subsistance, non-respect des règles d'hygiène et de sécurité, utilisation de main-d'oeuvre infantile.") La plainte pour travail forcé a été déclarée irrecevable en 1992, tandis qu'en 1994, après constatation par une mission (voir paragr. 57) de l'existence d'un travail forcé dans ces houillères, un "compromis" a été signé entre l'Abracave (Asociacion brasilena de carbon vegetal) et les entreprises travaillant dans le secteur, au terme duquel ces entreprises s'engageaient à "superviser les relations du travail entre les sous-traitants et leurs employés, à garantir que le travailleur perçoit au moins 30 pour cent de son salaire et à améliorer les aspects concernant la santé, le logement, etc.".
  46. 31. Le comité prend également note des indications communiquées par l'organisation plaignante à propos du phénomène connu sous le vocable de "terceirizaçao" (embauche par l'intermédiaire d'une tierce partie) et l'incidence de ce système sur l'impunité des responsables de la pratique de travail en servitude. A titre d'exemple, en juillet 1993, le Syndicat des travailleurs de la métallurgie de Osasco a reçu une plainte sur les conditions de travail auxquelles sont soumis les travailleurs de l'entreprise Cacique, propriété de l'entreprise Mamore mineracao e metalurgica S.A., du groupe Paranapanema. En octobre, l'inspection du ministère du Travail a confirmé l'existence d'un travail en servitude. L'embauche des travailleurs et la production de charbon s'effectuaient sous la direction d'une entreprise de services à laquelle la Mamore avait sous-traité l'engagement des travailleurs et la production de l'entreprise Cacique. Dans ce cas, l'entreprise Mamore s'est vu infliger une amende pour "responsabilité directe dans les irrégularités constatées". En novembre 1993, la sous-délégation de Osasco, délégation régionale de Sao Paulo, près le ministère du Travail, a informé le public en général et les entreprises en particulier du fait que certaines grandes entreprises sous-traitent des services à des "entreprises tierces" pour l'accomplissement de certaines activités de production et que ces entreprises tierces, dans leur majorité, soumettent les travailleurs à des conditions de travail dignes de l'esclavage pour répondre aux exigences des grandes entreprises bénéficiant du travail accompli dans de telles conditions.
  47. 32. La CLAT déclare que les cas aboutissant à des peines de prison sont exceptionnels et que jamais les véritables responsables ne sont punis, du fait qu'ils sont protégés par une chaîne d'entreprises de services, de gérants, de "recruteurs", auxquels les véritables propriétaires et bénéficiaires délèguent certaines activités de leur production. Dans la plainte pour travail forcé auquel plusieurs familles avaient été soumises dans les plantations de tomates de Paraibuna, la CLAT indique que l'auteur de l'infraction a été poursuivi pour infraction à l'article 149 du Code pénal. Dans les rares cas où des sanctions pénales ont été prononcées, ces sanctions ont frappé des propriétaires ou des locataires de parcelles, ou bien de simples exécutants. En aucune occasion, la responsabilité de grandes entreprises ou de grands groupes financiers n'a pu être établie, alors que ces derniers se trouvaient au bout d'une chaîne de production qui est basée, au départ, sur le travail forcé de plusieurs milliers de travailleurs.
  48. 33. L'organisation plaignante joint à ses commentaires la déclaration du président de l'Ordre des avocats du Brésil devant la Commission des droits de l'homme de l'ONU, en 1993, aux termes de laquelle "l'existence d'un travail en servitude est révélatrice de problèmes liés à la nécessité d'une réforme agraire et à l'influence des grands propriétaires fonciers. Les actions en justice, lorsqu'elles sont exercées, établissent la responsabilité de pistoleros ou de petits embaucheurs de main-d'oeuvre. Les grands propriétaires et les autres bénéficiaires de ces pratiques ne sont jamais punis par la loi".
  49. 34. La CLAT cite le cas survenu en 1983 concernant deux travailleurs ayant réussi à s'échapper de l'exploitation de Vale Do Rio Cristalino dans l'Etat du Para (139 392 hectares), acquise par Volkswagen en 1973, qui dénoncèrent à Porto Alegre (Mato Grosso) les conditions de travail sévissant dans cette entreprise. Le juge local a ordonné aux sous-traitants d'indemniser les travailleurs, mais a déclaré que Volkswagen n'était pas responsable des conditions de travail imposées par ces sous-traitants. Le tribunal régional a déclaré Volkswagen responsable et l'affaire a été portée devant la juridiction de Santana do Araguaia, laquelle l'a classée sans suite. Volkswagen a vendu l'exploitation de Vale Do Rio Cristalino en 1986.
  50. 35. L'organisation plaignante considère qu'il n'existe aucun obstacle efficace à la pratique du travail forcé dans la mesure où les sanctions se limitent, dans les meilleurs des cas, à des amendes.
  51. 36. Pour l'organisation plaignante, malgré l'arsenal juridique existant, les pouvoirs publics sont inopérants en raison du manque de coordination entre les différentes instances. L'action déployée, par exemple, par le Conseil de la défense des droits de l'homme (CDDPH), organe du ministère de la Justice, a permis de faire connaître par les plus hautes instances l'existence du travail en servitude et d'exercer une pression morale, mais cette action a été très limitée. Les cas dans lesquels cette instance a réussi à établir les responsabilités sont ceux qui ont été traités conjointement avec le ministère public fédéral.
  52. 37. L'organisation plaignante déclare que l'existence de situations de travail en servitude, l'inefficacité de l'inspection du travail, les délais interminables des procédures et l'impunité des responsables constituent manifestement une inexécution par le Brésil des conventions nos 29 et 105, que ce pays a ratifiées en 1957 et 1965, respectivement.
  53. C. Observations du gouvernement
  54. 38. Dans sa première réponse, en 1993, le gouvernement déclarait qu'en 1992 pour "donner effet aux conventions nos 29 et 105 de l'OIT, le PERFOR (Programme d'éradication du travail forcé) avait été mis en place". Ledit programme avait pour objectif de développer des actions tendant à une amélioration des conditions de travail en milieu rural, une amélioration de l'inspection du travail, prévoyant des sanctions contre les auteurs d'infractions, ainsi que l'amélioration des instruments juridiques destinés à la répression du travail forcé.
  55. 39. En 1992, le gouvernement communiquait également une présentation récapitulative de l'inspection du travail, qui reproduisait les conclusions des autorités chargées de l'inspection dans 21 cas de plaintes pour travail forcé. Dans trois cas, l'inspection a conclu que la plainte était fondée en ce qui concerne les entreprises suivantes: Tanac (liée au groupe Tanagro), exploitation située à Paraibuna et sous-traitée par le sieur KaturaguiI, et Reciflora. Une action pénale en violation de l'article 149 du Code pénal a même été exercée à l'encontre du propriétaire de cette dernière entreprise, son locataire, établie à Paraibuna, Etat de Espiritu Santo, et le directeur des ressources humaines de la Tanac.
  56. 40. Le gouvernement précise en outre qu'au sein du ministère du Travail a été créé un conseil national du travail, à l'intérieur duquel a été constituée, en 1993, une commission pour l'élimination du travail en servitude. Dans cette commission, siègent les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs, des organismes de l'Etat et des organisations civiles. Cette commission remplace le PERFOR (Programme d'éradication du travail forcé, créé en 1992).
  57. 41. En 1993, un groupe de travail, auquel participaient le Procureur général de la République, la CONTAG, la CTP et la commission susmentionnée, s'est fixé comme tâche d'élaborer un projet de loi, actuellement devant le Congrès, relatif à l'appréciation des éléments constitutifs du délit de réduction d'une personne à une condition analogue à celle d'esclave (article 149 du Code pénal), à la compétence pour enquêter et pour juger et à la fixation de peines plus sévères.
  58. 42. En ce qui concerne le projet précité, le gouvernement indique que, si les conditions précaires de logement, le retrait de la carte de travail, la mauvaise alimentation ou l'absence de celle-ci, l'absence d'assistance médicale, les salaires inférieurs au minimum légal et le retard dans le paiement de ces salaires ne constituent pas en soi les éléments du crime de travail en servitude, par contre, l'existence d'une dette empêchant le travailleur de quitter le travail est considérée comme un indice majeur de ce phénomène. L'annexe I de l'Instruction normative intersecrétariale MTB no 01 du 23 mars 1994 dispose que "constitue un indice majeur de travail forcé la situation dans laquelle le travailleur est réduit à une condition analogue à celle d'esclave, par un procédé frauduleux, par l'endettement, par la rétention du salaire ou des documents, par la menace ou la violence tendant à restreindre la liberté pour tout travailleur ou sa famille de quitter le lieu de travail, ou lorsque l'employeur refuse de fournir un moyen de transport au travailleur pour que celui-ci puisse repartir alors qu'il n'existe pas d'autres moyens de repartir dans des conditions de sécurité en raison des difficultés économiques ou des caractéristiques géophysiques de la région".
  59. 43. La même annexe considère qu'il existe un indice majeur de déplacement de main-d'oeuvre lorsqu'il est constaté qu'"un individu, pour son propre compte ou celui d'un autre, embauche des travailleurs pour accomplir des tâches en d'autres lieux du territoire national sans prendre les mesures prévues qui caractérisent l'embauche régulière, conformément à l'article 1, paragraphe 2, des procédures d'embauche énoncées dans l'Instruction normative no 01 du 24 mars 1994".
  60. 44. Le gouvernement déclare également qu'en 1993, en raison des préoccupations suscitées par l'augmentation des chiffres du travail en servitude au Brésil, un séminaire a été organisé par la Commission du travail, de l'administration et des services publics, avec la participation de la CPT, de la CONTAG, de la CUT (Centrale unitaire des travailleurs), du Procureur de la République et d'une dizaine de parlementaires. Ce séminaire a mis en cause, dans ses conclusions, les délais interminables du pouvoir judiciaire et du ministère du Travail dans le traitement des cas de travail en servitude, le problème de l'attribution des compétences pour enquêter, l'imprécision de la définition de la notion de travail en servitude, l'impunité pour les auteurs d'infractions et l'inaction partagée entre les pouvoirs publics et la société civile.
  61. 45. Le gouvernement indique que ce séminaire s'est ensuivi de la création d'une sous-commission chargée du travail en servitude et des accidents du travail et que cette sous-commission est à l'origine, entre autres initiatives, de contrôles dans certaines houillères et dans certaines fabriques d'alcool de l'Etat du Mato Grosso do Sul. Dans l'entreprise Boa Aguada (commune de Aguas Claras (prise en sous-traitance par la SEMCO)), la visite a permis d'établir que les travailleurs, dans leur majorité originaires du Minas Gerais, avaient été transférés sur la foi de promesses de salaires fabuleux. A leur arrivée, ces travailleurs devaient déjà à l'entreprise les frais de voyage et se trouvaient dans l'obligation de faire leurs dépenses au magasin de l'entreprise, ils n'étaient plus en possession de leurs documents de travail et, dans certains cas, ils n'ont pas perçu leur salaire pendant une année entière et leurs enfants n'ont pas été scolarisés du fait que ceux-ci aidaient leurs parents à travailler dans les houillères.
  62. 46. Dans l'entreprise Debrasa, du groupe Pessoa Queiroz (Brasilandia), qui produit de l'alcool sur 19 000 hectares de terre, 1 200 indigènes travaillent à la récolte de la canne à sucre. Lors de la visite, les personnes mineures ont été dissimulées, tandis que les conditions de logement se sont révélées comparables "davantage à un camp de concentration qu'à une habitation"), et l'utilisation du terrain de football et de la rivière était payante. A cette occasion, une plainte a été portée contre le FUNAI (organe du ministère de la Justice) en raison de la participation de cet organe au système d'embauche des indigènes.
  63. 47. Le même rapport, communiqué par le gouvernement, contient les conclusions des rapports d'inspection de la Délégation régionale du travail dans les fabriques d'alcool et les houillères du Mato Grosso do Sul:
  64. -- fabrique d'alcool Sonora (Sonora) et l'exploitation agricole Sonora, appartenant au même groupe d'entreprises: 891 et 308 travailleurs respectivement, maintenus, selon le rapport d'inspection, dans les pires conditions de travail qui soient. 500 indigènes travaillent dans la région;
  65. -- fabrique d'alcool RS S.A. (domaine de Santa Olinda, Sidrolandía): 854 travailleurs, dont 115 indigènes, réduits à des conditions de travail comparables aux précédentes;
  66. -- houillères de Japecanga (Ribas de Rio Pardo): 240 travailleurs dont 60 femmes et 100 personnes mineures.
  67. 48. Le même rapport évoque le régime de travail en servitude auquel sont soumis plus de 1 500 travailleurs ruraux, dont environ 150 enfants et adolescents, dans les exploitations de Viqs et de Flor Boa Esperanza (Barreiras), pour la production de soja et de tomates. Dans leur rapport, les inspecteurs du ministère du Travail constatent que la quasi-totalité des travailleurs se trouvaient accompagnés de leur famille, n'avaient pas été enregistrés, étaient soumis à des journées excessives, dimanches et jours de fête compris, sans salaire ou encore moins rémunération d'heures supplémentaires, et étaient logés dans de minuscules cabanes couvertes de sacs en plastique, sans eau potable ni installation sanitaire. Les inspecteurs ont conclu à l'existence d'un régime de travail en semi-esclavage.
  68. 49. Le rapport vise de même la situation des travailleurs agricoles de la région de Santa Catarina, dans les exploitations de la commune de Caçador. Dans ces cas, la réduction à la servitude procède d'un accord (officialisé par aucun document) par lequel les propriétaires couvrent les dépenses effectuées par le travailleur pour réaliser les cultures, ces frais étant décomptés du prix de vente de la récolte que le travailleur doit vendre au propriétaire à un prix déterminé par celui-ci.
  69. 50. Le rapport mentionne également des plaintes reproduites par la presse nationale sur la situation des travailleurs de l'entreprise Rural Forte, dans l'Etat de Río de Janeiro, l'entreprise Tatu, les minières Mamore et l'entreprise Capoeira Grande, Etat de Sao Paulo.
  70. 51. Le gouvernement communique également le rapport établi par le secrétaire d'Etat à la Justice de l'Etat de Espíritu Santo en 1993 pour faire suite à la plainte présentée par le SINTRAL (Syndicat des travailleurs de l'exploitation du bois d'oeuvre et de combustion) dans le nord de l'Etat de Espíritu Santo, à propos de pratiques d'esclavage auxquelles étaient soumis 1 200 travailleurs dans la région septentrionale de cet Etat. L'enquête menée par les fonctionnaires chargés d'enquêter sur cette plainte a permis d'établir l'existence d'une véritable situation d'esclavage, touchant plus de 1 200 travailleurs, dont des enfants de 9 à 11 ans, exploités par les "empreteiras" (agences de prestations de service), travaillant pour de grandes entreprises du secteur du bois, dont Aracruz, Florestal, Floresta Rio Doce, Acesita, Pais, Fiesa et CBF. Le même rapport indique que le phénomène connu au Brésil sous le vocable de "tercerizaçao" (embauche de main-d'oeuvre pour de grandes entreprises par l'intermédiaire d'organismes tiers), dont l'objectif est "de mieux tirer parti de la main-d'oeuvre employée", favorise l'exploitation de travailleurs dans des conditions d'esclavage ainsi que l'impunité des grandes entreprises bénéficiant de ces pratiques.
  71. 52. En 1994, le gouvernement signalait que 59 cas de plaintes pour travail forcé avaient donné lieu à une enquête en 1993. Il ajoutait en outre que l'on avait effectué une enquête rapide et rigoureuse sur toutes les plaintes portées à la connaissance du Secrétariat à l'inspection du travail (SEFIT) et des Délégations régionales du travail (DRT), que l'on avait établi une base de données sur toutes les situations dénoncées dans les rapports d'inspection et sur les missions d'inspection réalisées conjointement par d'autres organismes s'occupant de cette question, comme le ministère public, la police fédérale et militaire, les syndicats et la Commission pastorale de la terre.
  72. 53. Le gouvernement souligne dans sa réponse que la création de la Commission pour l'élimination du travail forcé répond à son intention d'institutionnaliser au niveau fédéral la mission conjointe des différentes instances gouvernementales et civiles, cette coordination se concrétisant également, dans divers Etats, par la création de différentes commissions.
  73. 54. En septembre 1994, le gouvernement a répondu aux plaintes de l'organisation plaignante concernant le travail forcé dans différentes régions du pays et différents secteurs de l'économie nationale. Les 24 cas présentés (dont certains mettaient en cause plusieurs entreprises ou plusieurs exploitations) ont tous fait l'objet d'une enquête par les autorités chargées de l'inspection. Dans leur grande majorité, les mesures prises, même dans les cas où l'inspection a elle-même confirmé l'existence de conditions de travail forcé, ont consisté en amendes ou en sommations (d'agir dans un délai de 10 à 60 jours) pour régulariser la situation, sous peine d'amende en cas de non-exécution, pour non-respect de la législation du travail (CLT); dans un cas, la négociation (avec participation syndicale) a abouti au versement d'une indemnisation pour permettre au travailleur de regagner son lieu d'origine. Au total, il a été prononcé trois arrêts de détention préventive, à l'encontre d'un gérant et de deux recruteurs, dans une houillère et dans une exploitation agricole.
  74. 55. Le gouvernement communique également le rapport de la sous-commission spéciale chargée du travail en servitude (Commission du travail de l'administration et des services publics) dans lequel cette instance conclut que le travail forcé est une réalité au Brésil et que la seule manière de le combattre et le faire disparaître serait une action conjointe des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires, ainsi que de la société civile. Il serait également nécessaire que les syndicats, l'Eglise et les organisations non gouvernementales participent à l'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique tendant à combattre les conditions de travail dégradantes et la servitude. Le rapport comporte en outre des propositions tendant à la modification du Code pénal et à la création d'une commission parlementaire d'enquête sur les conditions de travail en milieu rural.
  75. 56. Le gouvernement ajoute qu'en date du 27 juin 1995 le Président de la République a créé le GERTRAF (Groupe exécutif de répression du travail forcé) auquel il incombe notamment d'élaborer, d'appliquer et de superviser un programme intégré de répression du travail forcé, en collaboration avec l'OIT, les ministères publics et les Etats, dans l'objectif d'une stricte application de la législation pertinente. Il indique en outre qu'il y a eu changement de gouvernement en 1995 et que le nouveau gouvernement est animé de la volonté de prendre des mesures efficaces pour réprimer le travail forcé.
  76. Information complémentaire
  77. 57. Le comité a pris connaissance du rapport communiqué par le fonctionnaire de l'OIT du bureau de Brasilia, qui a participé à une mission d'enquête dans les houillères du Mato Grosso do Sul, rapport qui décrit la situation dans les termes suivants: la chaîne de production comprend les préposés aux fours, les coupeurs de canne à sucre, les transporteurs, les "gatos" (les recruteurs) et les responsables des laboratoires.
  78. 58. En ce qui concerne les coupeurs de canne à sucre et les préposés aux fours, la servitude pour dettes auxquelles ces travailleurs sont soumis ressort à l'évidence en raison d'éléments tels que le fait que ces travailleurs proviennent en majorité de lieux éloignés, l'isolement des houillères, le fait que les travailleurs ne disposent pas effectivement d'argent: le "gato" leur fournit les outils, les aliments, les médicaments (à des prix exorbitants puisqu'il est le seul et unique fournisseur). Le salaire des travailleurs est plutôt bas et, en arrivant aux houillères, ceux-ci sont déjà endettés pour les frais de transport et les aliments consommés pendant le voyage. Il ressort du témoignage présenté à un fonctionnaire de l'OIT ayant participé à la mission par un travailleur arrivé quinze jours plus tôt à la houillère avec femme et enfants, en provenance du Minas Gerais, que ce travailleur ne connaissait ni le montant de son salaire ni celui de sa dette. Le "gato" a indiqué à cet égard qu'il payait 150 000 CR (environ 140 dollars) pour la récolte d'un hectare (10 000 m2), sur quoi il fallait déduire 215 000 CR pour la dette contractée par le travailleur en raison du transport, de l'alimentation, des outils et de l'eau pour lui-même et sa famille pour quinze jours. C'est-à-dire qu'après avoir gagné son premier salaire le travailleur non seulement ne perçoit rien, mais encore se trouve endetté pour un montant qui ne peut aller que croissant, ce qui le réduit à une situation de dépendance totale vis-à-vis du "gato" qui l'a "embauché".
  79. 59. Il est indiqué dans ce même rapport que, pour remplir un camion de charbon d'une contenance de 70 mètres cubes, il faut quatre journées de travail d'un adulte. Le travailleur gagne l'équivalent de 70 dollars des Etats-Unis par camion, alors que la même quantité de charbon vaut sur le marché 1 600 dollars E.-U. Ce sont les "gatos" qui contrôlent le poids du charbon et, dans bien des cas, ils fraudent au pesage en déclarant des poids inférieurs. La journée de travail est de douze heures dans une atmosphère fortement polluée. On constate une incidence élevée de maladies pulmonaires imputables à la fumée et à la pollution de l'air ambiant; tandis que la chaleur intense est à l'origine d'inflammations oculaires entraînant en l'espace de quelques années la perte de la vue. Dans certains cas, les femmes et les enfants du travailleur travaillent eux aussi dans le but d'accroître la production, les enfants s'occupant d'extraire le charbon des fours, tâche qui comporte des risques considérables, d'innombrables accidents survenant du fait que l'on retire le charbon à la pelle. Les logements ne sont guère qu'à trente mètres des fours, la fumée est omniprésente, les travailleurs et leur famille, qui ne disposent pas de mobilier, dorment sur des planches.
  80. 60. Faisant suite à cette mission, le bureau de l'OIT à Brasilia a organisé un séminaire avec la participation de la CONTAG, de la CTP, de l'INCRA et de l'UNICEF afin de procéder à un examen pluridisciplinaire et interorganisations de la situation des travailleurs ruraux et de la population indigène de cette région. L'une des questions soulevées a été celle de la situation des indigènes, qui sont près de 70 000 à travailler dans les fabriques d'alcool du Mato Grosso do Sul. Ces indigènes sont embauchés par un "aiguilleur" qui sert d'intermédiaire entre l'employeur et le représentant local du FUNAI, avant d'être transportés sur les lieux où se trouvent les fabriques. Ils ne perçoivent pas directement leur salaire, qui est versé à l'intermédiaire, lequel l'utilise pour couvrir les dépenses d'alimentation, l'achat des outils et de l'alcool, etc.
  81. D. Conclusions du comité
  82. 61. Le comité, à la lumière des dispositions des conventions nos 29 et 105 sur le travail forcé, après avoir examiné les allégations présentées par l'organisation plaignante, abondamment documentées par des informations émanant de syndicaux nationaux (CONTAG, CUT, AGITRA), de la Commission pastorale de la terre (CPT), des organisations non gouvernementales brésiliennes et internationales comme Anti Slavery International et Americas Watch, ainsi que par des rapports officiels d'inspection, des documents officiels émanant de divers organismes publics et des documents de la presse écrite, est parvenu à la conclusion que ces allégations sont effectivement fondées en ce qui concerne le travail forcé imposé à des milliers de travailleurs, au nombre desquels des personnes mineures dans certaines régions et certains types d'entreprises, par le mécanisme de la servitude pour dettes, et que de telles situations constituent une violation des conventions nos 29 et 105, ratifiées par le Brésil.
  83. 62. Le comité observe que, selon ce qu'il ressort des informations communiquées par le gouvernement en réponse aux allégations présentées, l'existence d'un travail forcé au Brésil a été reconnue par différentes instances des pouvoirs publics. Divers rapports sur la situation, émanant d'organismes publics nationaux, font état de la situation dans laquelle se trouvent des milliers de travailleurs, au nombre desquels des personnes mineures, soumis à des conditions de travail qualifiées de "travail en condition d'esclavage" aux termes de l'article 149 du Code pénal du Brésil.
  84. 63. Le comité constate de même que différentes réunions tenues par les instances gouvernementales ont eu pour thème central les questions de travail forcé. Diverses missions d'enquête, dont une dans les houillères du Mato Grosso do Sul, avec participation d'un fonctionnaire du bureau de l'OIT à Brasilia, ont été réalisées afin d'établir certaines situations faisant l'objet de plaintes. Il a été créé diverses commissions avec pour mission de donner la suite appropriée aux diverses plaintes reçues: par exemple, la Commission permanente d'investigation et d'inspection sur les conditions de travail dans les houillères du Mato Grosso do Sul.
  85. 64. Le comité constate toutefois une certaine absence de coordination entre les différents organes publics ayant à connaître des questions de travail forcé, absence de coordination mentionnée aussi bien par l'organisation plaignante que par diverses instances gouvernementales.
  86. 65. Le comité constate que, dans ses différentes communications, le gouvernement fournit une abondante documentation sur la situation, notamment des rapports d'inspection dans les cas où une telle inspection a eu lieu, des indications sur les mesures prises dans les cas où les plaintes se sont révélées fondées et sur l'action menée pour combattre et faire disparaître la pratique du travail forcé.
  87. 66. Il prend note du fait qu'aux termes de l'article 149 du Code pénal "nul ne peut être réduit à une condition analogue à celle d'esclave". Cet article prévoit une peine de deux à huit ans de réclusion tandis que l'article 207 du même code interdit le transfert de travailleurs d'un lieu à un autre du territoire national.
  88. 67. Le comité constate que les situations dénoncées sous la désignation générique de travail en servitude sont visées par les dispositions des articles 197, 203, 207 et 149 du Code pénal du Brésil, qui traitent des délits contre la liberté du travail et les droits garantis par la législation du travail, du transfert de travailleurs d'un lieu à l'autre du territoire national et de la réduction d'une personne à une condition analogue à celle d'esclave.
  89. 68. Le comité note également qu'aux termes des articles 184 et 186 de la Constitution nationale les biens fonciers ruraux qui ne remplissent pas leur fonction sociale peuvent faire l'objet d'une expropriation, laquelle s'effectue, entre autres, par l'application des dispositions réglementant les relations du travail.
  90. 69. Le comité constate que les allégations présentées quant aux délais excessifs des procédures ou actions en justice sont effectivement fondées.
  91. 70. Le comité constate que, si les observations du gouvernement en réponse aux allégations permettent de considérer que le gouvernement s'est engagé à entreprendre une action tendant à combattre la pratique du travail forcé, ces observations ne comportent pas d'éléments permettant d'établir le respect des dispositions de l'article 25 de la convention no 29, lequel dispose que "le fait d'exiger illégalement du travail forcé ou obligatoire sera passible de sanctions pénales et tout Membre ratifiant la présente convention aura l'obligation de s'assurer que les sanctions imposées par la loi sont réellement efficaces et strictement appliquées". Le comité constate que l'examen de la documentation communiquée tant par l'organisation plaignante que par le gouvernement fait ressortir que, dans la majorité des cas sur lesquels le gouvernement a communiqué des informations, les sanctions prises ont consisté en amendes, et qu'aucun élément ne permet au comité de conclure de l'efficacité de ces amendes. Qui plus est, dans le rapport de la mission d'enquête sur les conditions de travail dans les houillères du Mato Grosso do Sul, avec participation d'un représentant du bureau de l'OIT à Brasilia, il est indiqué que, de l'avis des inspecteurs délégués de la Commission permanente d'inspection et d'investigation, les entreprises préfèrent payer les amendes parce que cela leur revient moins cher que de se conformer aux exigences de la législation.
  92. 71. Le comité constate également que, dans les rares cas où l'on a jugé des responsables de contraintes de travail forcé, il s'agissait d'intermédiaires ou de petits propriétaires ou locataires, ce qui laissait dans l'impunité les propriétaires des grandes exploitations ou entreprises recourant aux "services" d'entreprises ou d'intermédiaires individuels pour faire réaliser une partie de leurs activités de production dans les conditions de travail forcé et de servitude pour dette qui ont été décrites. Le comité n'a pas eu connaissance des peines prononcées dans le cas des procédures engagées pour infraction à l'article 149 du Code pénal.
  93. 72. Le comité fait en outre observer que le phénomène désigné par le vocable de "terciarización" (embauche de travailleurs par une tierce partie) favorise l'impunité de ceux qui, au bout du compte, tirent les plus gros avantages de ces pratiques de travail forcé.
  94. 73. Le comité constate que la reconnaissance du fait que les systèmes d'inspection ne constituent pas des moyens efficaces pour enquêter sur les plaintes pour travail forcé a conduit à l'adoption de l'Instruction normative sur les procédures d'inspection en milieu rural, dans le but d'appliquer une politique nationale d'inspection et de promouvoir des mesures préventives et répressives tendant à garantir l'application de la législation du travail.
  95. 74. Cette instruction tend également à parvenir à une définition claire des éléments constitutifs du délit de réduction d'une personne à des conditions analogues à celles d'esclave et à une définition non moins claire des compétences respectives des différentes instances pour enquêter sur les plaintes.
  96. 75. Le comité observe que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations a formulé des commentaires sur l'application des conventions nos 29 et 105 par le Brésil à propos de situations comparables à celles qui ont été dénoncées par l'organisation plaignante.
  97. E. Recommandations du comité
  98. 76. Le comité recommande que le Conseil d'administration:
  99. a) approuve le présent rapport et, en particulier, les conclusions présentées au paragraphe consacré à l'existence de situations de travail forcé et de travail en servitude pour dettes et au défaut d'application stricte de sanctions efficaces, en contradiction avec les dispositions des conventions nos 29 et 105 sur le travail forcé, que le Brésil a ratifiées;
  100. b) prie instamment, compte tenu des conclusions présentées aux paragraphes 61 à 75, le gouvernement du Brésil de prendre les mesures nécessaires pour:
  101. i) renforcer le système d'inspection et garantir une investigation systématique et diligente des plaintes pour travail forcé;
  102. ii) veiller à l'application des dispositions de la législation pénale nationale concernant l'interdiction de réduire des personnes à une condition analogue à celle d'esclave, au transfert de travailleurs d'un lieu à l'autre du territoire national et aux dispositions adoptées sur les procédures d'inspection en milieu rural;
  103. iii) garantir la célérité des procédures ouvertes et la stricte application des sanctions prononcées;
  104. iv) assurer la coordination des efforts déployés par les différentes instances gouvernementales, les syndicats de travailleurs, les organisations religieuses et différents organismes de la société civile dans le combat entrepris pour l'élimination complète du travail forcé;
  105. c) veille à ce que les rapports soumis par le gouvernement en vertu de l'article 22 de la Constitution de l'OIT au sujet de l'application des conventions nos 29 et 105 sur le travail forcé comportent des informations sur les mesures prises pour donner effet aux recommandations formulées aux paragraphes qui précèdent, afin que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations puisse examiner la suite donnée à ces recommandations;
  106. d) déclare close la procédure ouverte à la réception de la réclamation.
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