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RECLAMATION (article 24) - GUATEMALA - C029, C105 - 1996

1. Union internationale des travailleurs de l'alimentation, de l'agriculture, de l'hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA), 2. Internationale des services publics

Clos

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Rapport du Comité chargé d'examiner la réclamation présentée par l'Union internationale des travailleurs de l'alimentation, de l'agriculture, de l'hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA) et l'Internationale des services publics, en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT, alléguant l'inexécution par le Guatemala de la convention (no 29) sur le travail forcé, 1930, et de la convention (no 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957

Rapport du Comité chargé d'examiner la réclamation présentée par l'Union internationale des travailleurs de l'alimentation, de l'agriculture, de l'hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA) et l'Internationale des services publics, en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT, alléguant l'inexécution par le Guatemala de la convention (no 29) sur le travail forcé, 1930, et de la convention (no 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957

Decision

Decision
  1. Le Conseil d'administration a adopté le rapport du comité tripartite. Procédure close.

La procédure de plainte

La procédure de plainte
  1. A. Introduction
  2. 1. Par lettre datée du 18 janvier 1994, renouvelée le 24 janvier 1994, l'Union internationale des travailleurs de l'alimentation, de l'agriculture, de l'hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA), a présenté au Bureau, en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT, une réclamation alléguant l'inexécution par le gouvernement du Guatemala de la convention (no 29) sur le travail forcé, 1930, et de la convention (no 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957. Par communication datée du 17 février 1994, l'Internationale des services publics, au nom de deux organisations lui étant affiliées -- le Syndicat des travailleurs de l'Institut national de l'électrification (STINDE) et la Fédération nationale des syndicats de travailleurs de l'Etat (FENASTEG) --, a déclaré s'associer à la réclamation présentée par l'UITA.
  3. 2. Les conventions susmentionnées ont été ratifiées par le Guatemala le 13 juin 1989, pour la première, et le 9 décembre 1959, pour la seconde, et sont toutes deux en vigueur dans le pays.
  4. 3. Les dispositions pertinentes de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail relatives à la présentation des réclamations sont les suivantes:
  5. Article 24
  6. Toute réclamation adressée au Bureau international du Travail par une organisation professionnelle des travailleurs ou des employeurs, et aux termes de laquelle l'un quelconque des Membres n'aurait pas assuré d'une manière satisfaisante l'exécution d'une convention à laquelle ledit Membre a adhéré, pourra être transmise par le Conseil d'administration au gouvernement mis en cause et ce gouvernement pourra être invité à faire sur la matière telle déclaration qu'il jugera convenable.
  7. Article 25
  8. Si aucune déclaration n'est reçue du gouvernement mis en cause dans un délai raisonnable, ou si la déclaration reçue ne paraît pas satisfaisante au Conseil d'administration, ce dernier aura le droit de rendre publique la réclamation reçue et, le cas échéant, la réponse faite.
  9. 4. La procédure suivie en cas de réclamation se fonde sur le règlement en la matière, tel qu'il a été révisé par le Conseil d'administration à sa 212e session (mars 1980).
  10. 5. Conformément à l'article 2, paragraphe 1, de ce règlement, le Directeur général a transmis la réclamation au bureau du Conseil d'administration.
  11. 6. A sa 259e session (mars 1994), le Conseil d'administration, se fondant sur le rapport présenté par son bureau, a déclaré la réclamation recevable et désigné un comité chargé de son examen, constitué de M. Rosales Argüello (membre gouvernemental), M. Durling (membre employeur) et M. Trotman (membre travailleur). A sa 267e session, le Conseil d'administration a désigné M. Ducreux (membre gouvernemental) en remplacement de M. Rosales Argüello.
  12. 7. Conformément aux dispositions de l'article 4, paragraphe 1, alinéas a) et c), du règlement, le comité a invité le gouvernement à présenter sur cette réclamation les informations qu'il jugeait opportunes.
  13. 8. Le gouvernement ayant demandé au comité tripartite chargé d'examiner la réclamation le report de l'échéance initialement fixée au 31 octobre 1994 pour la présentation de ses commentaires, ce délai a été prorogé jusqu'au 15 janvier 1995. Le gouvernement a néanmoins présenté ses commentaires par communication datée du 16 mars 1995.
  14. 9. Le comité a en outre examiné les rapports des experts indépendants des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme au Guatemala pour ce qui touche aux questions soulevées par l'organisation plaignante et s'est appuyé sur les commentaires de la Commission d'experts sur l'application des conventions et recommandations de l'OIT quant à l'application par le Guatemala des conventions sur le travail forcé.
  15. B. Examen de la réclamation
  16. 1. Allégations présentées par l'UITA
  17. 10. L'UITA allègue l'inexécution, par le gouvernement du Guatemala, des conventions no 29 sur le travail forcé et no 105 sur l'abolition du travail forcé, en raison de l'obligation imposée par l'armée du Guatemala aux paysans de 18 à 50 ans d'accomplir des tâches militaires ou de développement dans le cadre d'une institution appelée Patrouilles d'autodéfense civile (PAC). L'UITA déclare que la participation à de telles patrouilles n'est pas volontaire, au sens prévu par le convention no 29, non plus qu'elle ne correspond à l'une des exceptions admises par cet instrument. Elle déclare en outre que le service dans les patrouilles civiles est contraire aux dispositions de la convention no 105 parce qu'il est utilisé comme un moyen de coercition politique, de développement économique et de discrimination raciale.
  18. 11. Selon l'UITA, les patrouilles civiles ont été instituées par un gouvernement militaire pour servir deux objectifs stratégiques: en premier lieu, du fait qu'elles ont été créées dans un contexte de conflit armé et d'insurrection, elles ont permis d'augmenter les effectifs militaires d'un nombre considérable de civils et, en deuxième lieu, elles ont permis de contrôler physiquement et psychologiquement des paysans indigènes que le gouvernement craignait de voir sympathiser avec la guérilla.
  19. 12. L'UITA ajoute que, bien que le gouvernement ait toujours prétendu que les PAC ont été constituées pour répondre au souhait, de la part des paysans, de voir leurs villages protégés contre les opérations de guérilla et que le service dans ces formations est volontaire, les PAC sont en réalité un instrument de répression par lequel tous les paysans de 18 à 50 ans sont contraints de fournir, en équipes de jour et de nuit, des services qui varient en fonction de l'effectif de population et des ressources en main-d'oeuvre. Les tâches imposées peuvent revêtir un caractère militaire ou tout autre: entretenir des routes ou compléter les effectifs de l'armée, par exemple. Pour ce qui est des tâches militaires, l'organisation plaignante ajoute que les patrouilles sont parfois utilisées comme unités de première ligne dans des opérations antiguérilla; elles se trouvent alors engagées dans des combats pour lesquels elles ne sont ni formées ni véritablement armées, ne disposant pour tout armement que de leurs instruments de travail (bâtons et machettes), de sorte qu'elles servent de "chair à canon". En tout état de cause, qu'elles aient un caractère militaire ou autre, les tâches et missions des patrouilles sont exigées, planifiées et imposées par l'armée et s'effectuent sous le contrôle de celle-ci.
  20. 13. Selon l'organisation plaignante, depuis la création de ces PAC, en 1982, 100 000 hommes ont servi dans leurs rangs par ordre de l'armée. Dans certains cas, des femmes et des enfants ont également été contraints de fournir certains services dans le cadre de ce système.
  21. 14. L'UITA mentionne également les représailles exercées contre ceux qui refusent de fournir les services ordonnés. Selon l'organisation plaignante, celui qui refuse de fournir de tels services s'expose à être classé comme "élément subversif", ce qui peut avoir de graves conséquences pour son intégrité physique ou même sa vie. L'UITA mentionne divers cas de châtiments corporels infligés à des paysans s'étant soustraits à cette obligation: dans un cas, la victime a été, sur ordre de l'armée, attachée à un arbre et frappée au bâton et à la machette par des membres des patrouilles. Elle mentionne également des cas dans lesquels des membres de patrouilles ont dû tuer des personnes refusant d'accomplir leur service.
  22. 15. L'UITA déclare également que la durée du service imposé permet difficilement aux paysans d'accomplir les tâches nécessaires à leur subsistance et celle de leurs familles, ce qui les oblige souvent à envoyer leurs enfants mineurs à leur place pour éviter des représailles. Ces représailles visent aussi les dirigeants des organisations des droits de l'homme prêtant assistance aux paysans qui souhaitent sortir des PAC. Tel est le cas de l'organisation rurale CERJ, dont les dirigeants ont été accusés d'être communistes et d'appartenir à la guérilla.
  23. 16. L'UITA dénonce également le caractère raciste du système des PAC, du fait que l'obligation de servir dans ces patrouilles retombe presque exclusivement sur la population indigène.
  24. 17. L'UITA allègue en outre que le passage à un gouvernement civil n'a rien changé à la situation et que, bien que la Constitution du Guatemala dispose expressément que nul n'est tenu de s'associer à des groupes ou associations d'autodéfense tels que les PAC, ou d'en faire partie, on continue d'enrôler des hommes dans ces formations pour accomplir un service obligatoire et non rémunéré. L'UITA ajoute que le gouvernement tient une position contradictoire puisque, d'un côté, il a avisé les collectivités locales de leur droit de démanteler les PAC tandis que, de l'autre, des représentants du gouvernement persistent à déclarer que les PAC sont nécessaires pour combattre l'insurrection et accomplissent une mission importante tant que dureront les hostilités.
  25. 18. L'organisation plaignante allègue que: "le fait d'exiger de servir dans les PAC dans les conditions décrites ci-avant rentre dans le champ d'application des conventions nos 29 et 105". Cette pratique va à l'encontre de l'obligation exprimée à l'article 1, paragraphe 1, de la convention no 29, aux termes duquel "tout Membre qui ratifie la présente convention s'engage à supprimer l'emploi du travail forcé ou obligatoire sous toutes ses formes" et la définition du travail forcé retenue par la convention ("le travail forcé ou obligatoire désigne tout travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de plein gré") lui est applicable. Le service exigé dans le cadre du système des PAC ne correspond à aucune des exceptions admises par la convention dans la mesure où: ce n'est pas un service exigé en vertu des lois du Guatemala sur le service militaire (article 2, paragraphe 2 a), de la convention); il ne s'agit pas non plus d'obligations civiques normales (article 2, paragraphe 2 b)); ce n'est pas un travail exigé comme conséquence d'une condamnation prononcée par une décision judiciaire (article 2, paragraphe 2 c)); ce n'est pas un travail ou service exigé dans des circonstances de force majeure du fait que, malgré l'existence de groupes armés dans le pays, il n'est pas question de faire face à "un phénomène soudain et imprévu nécessitant des mesures immédiates pour le combattre" et, enfin, les tâches ne correspondent pas à l'exception admise au titre des "menus travaux de village, dans l'intérêt direct de la collectivité", puisqu'ils sont imposés par l'armée et effectués pour son bénéfice et que les paysans ne sont pas consultés quant à la nécessité des PAC. En dernier lieu, l'UITA considère que cette pratique "est en outre en contradiction avec les dispositions de l'article 1 b) et e) de la convention no 105, qui interdit le recours au travail forcé à des fins de développement économique et en tant que mesure de discrimination raciale".
  26. 2. Observations du gouvernement
  27. 19. Dans sa réponse aux allégations de l'UITA, le gouvernement déclare que la situation difficile du pays, imputable à un conflit armé interne, l'a contraint d'instituer les Patrouilles d'autodéfense civile (PAC) pour assurer le bien-être social, la paix et la tranquillité de la population. A partir de 1986, par décret-loi no 19-86 et dans le cadre juridique offert par l'article 34 de la Constitution politique de la République, il a été créé des Comités volontaires de défense civile (CVDC), dans lesquels les citoyens guatémaltèques s'enrôlent volontairement et qui répondent à la nécessité de protéger les collectivités, les familles et leurs biens contre les effets des catastrophes, calamités et conflits armés. Lesdits comités ont été également conçus dans le but de défendre la population contre les nouvelles formes d'agissement des bandes subversives, qui s'en prennent à des villages entiers et séquestrent leurs habitants. L'article 34 de la Constitution reconnaît le droit de libre association et, dans ce sens, les activités déployées par les CVDC ne peuvent être considérées comme un travail forcé du fait qu'elles sont conçues pour le bénéfice de la collectivité elle-même, que leurs membres s'engagent de manière purement volontaire et qu'elles sont l'expression du droit de libre association proclamé par cet article de la Constitution nationale.
  28. 20. S'agissant des allégations de l'organisation plaignante selon lesquelles le service dans les CVDC n'est pas volontaire mais s'effectue, au contraire, sous la menace d'une peine, le gouvernement déclare que l'appartenance aux CVDC est totalement libre et qu'il n'a jamais été exigé de ces membres d'y appartenir sous la menace d'une peine quelle qu'elle soit, que le gouvernement actuel poursuit une politique de respect des droits de l'homme et qu'il est décidé à veiller à ce que l'incorporation et l'appartenance à ces groupes restent entièrement libres.
  29. 21. Le gouvernement se réfère également au point 5 de l'Accord général sur les droits de l'homme, conclu entre le gouvernement et l'Union révolutionnaire nationale guatémaltèque, intitulé "Garanties des libertés d'association et de déplacement", qui dispose que "les deux parties concordent sur le fait que les libertés d'association et de déplacement sont des droits de l'homme reconnus internationalement et constitutionnellement, qui doivent pouvoir s'exercer conformément à la législation et avoir pleinement effet au Guatemala".
  30. 22. Le gouvernement indique également que, pour éviter que ne se répètent certains cas, signalés par le passé, de pressions exercées pour l'incorporation dans les CVDC, l'accord précité institue un mécanisme par lequel le Procureur aux droits de l'homme ordonne immédiatement les enquêtes nécessaires en cas de plainte pour incorporation obligatoire dans les CVDC. Ce magistrat a également pour mission de faire savoir au public que la formation de ces comités doit être volontaire et respectueuse de la loi et des droits de l'homme et de mener des consultations auprès des populations en veillant à ce que la volonté des membres des comités s'exprime librement et sans pression aucune. L'accord stipule de même que, s'il est constaté que ce principe d'engagement volontaire a été bafoué, le procureur prend les mesures qu'il juge appropriées et déclenche les actions judiciaires ou administratives prévues pour sanctionner les infractions. Le gouvernement indique en outre que cet accord comporte une clause stipulant qu'il ne doit pas favoriser l'organisation de CVDC ni en armer de nouveaux sur tout le territoire national tant qu'aucun événement ne le justifie et qu'il appartient aux administrés concernés de s'adresser au maire, celui-ci convoquant alors une réunion publique à laquelle le Procureur aux droits de l'homme participe pour vérifier par tous les moyens en son pouvoir le respect du principe de volontariat et examiner leur avis.
  31. 23. Le gouvernement déclare, en outre, que la Mission de vérification des Nations Unies pour les droits de l'homme au Guatemala (MINUGUA), établie sur le territoire national depuis le 21 novembre 1994, est chargée de veiller, notamment, au respect de l'accord susmentionné.
  32. 24. Il ajoute pour conclure que, outre que l'engagement dans les CVDC n'est pas obligatoire, il existe des mécanismes qui garantissent le caractère volontaire de cet engagement et des voies de recours sont prévues en cas d'irrégularité.
  33. 25. Le gouvernement évoque, par ailleurs, certaines statistiques de l'étude intitulée "Les comités de défense civile au Guatemala", réalisée sur la base de l'accord conclu entre l'Agence espagnole de coopération internationale et le Procureur aux droits de l'homme du Guatemala. Cette étude fait ressortir qu'en ce qui concerne le caractère volontaire de l'engagement dans les patrouilles civiles "73 pour cent des personnes sondées déclarent avoir été informées de la création des CVDC par les commissaires militaires et les officiers de l'armée, 64 pour cent déclarent que ce sont les militaires qui leur ont indiqué de s'enrôler dans les patrouilles tandis que 13 pour cent disent l'avoir fait de leur propre chef; 67 pour cent des personnes assurent s'être enrôlées pour des raisons de sécurité et 17 pour cent déclarent avoir fait l'objet de pressions; 69 pour cent déclarent apprécier d'être membres des patrouilles parce qu'elles assurent dans ce cadre la sécurité de leurs foyers, et 25 pour cent disent ne pas apprécier d'appartenir à ces formations en raison du préjudice économique subi et des risques encourus." Le gouvernement déclare que de telles données permettent de conclure que les activités déployées par les CVDC ne peuvent être considérées comme un travail forcé puisque leurs personnels se sont engagés de manière totalement volontaire et que leurs activités sont conçues pour le bénéfice de leur collectivité.
  34. 26. Quant à l'allégation de recours au travail forcé comme moyen de coercition ou d'éducation politique de la population indigène, le gouvernement déclare que, selon l'étude précitée, ces formations jouent leur rôle de sécurité préventive des collectivités et qu'en outre nombre d'entre elles se convertissent librement en comités de paix et de développement, ayant pour objectif premier le développement économique et social de leur région. Il ajoute que cette transformation prouve qu'il n'existe aucune politique gouvernementale d'utilisation de ces formations comme moyen de coercition ou d'éducation politique.
  35. 27. Quant à l'allégation selon laquelle les CVDC permettent de recourir au travail forcé comme moyen de discrimination raciale, le gouvernement déclare que c'est en milieu rural, où les habitants sont en majorité indigènes, que la nécessité de constituer de telles formations s'est fait jour, ce pourquoi elles sont constituées en majorité d'indigènes. Quant à l'allégation selon laquelle les CVDC permettent de recourir au travail forcé comme moyen de promouvoir le développement économique, il déclare que les activités de ces formations sont conçues pour le bénéfice de la collectivité et n'ont jamais été considérées comme un moyen de développement économique.
  36. 3. Conclusions du comité
  37. 28. Le comité constate qu'il ressort des considérations développées par l'UITA et des informations communiquées par le gouvernement, qu'il existe dans le pays, depuis le début des années quatre-vingt, des comités de défense civile qui ont été désignés au début par le vocable -- encore utilisé -- de Patrouilles d'autodéfense civiles (PAC), ou celui de Comités volontaires de défense civile, en vertu du décret-loi no 19-86 et, dernièrement, de comités de paix et de développement.
  38. 29. Le comité note que les allégations de l'organisation plaignante concernant le caractère obligatoire de l'enrôlement dans ces comités, l'imposition de peines en cas de refus de servir, l'utilisation de ce travail aux fins de développement et comme moyen de discrimination raciale, sont réfutées par le gouvernement dans la communication écrite répondant à ces allégations et selon laquelle l'engagement dans de tels comités est totalement libre et est inspiré par le souci de défendre les collectivités et accomplir une mission servant leur intérêt.
  39. 30. Le comité a pris connaissance dans son intégralité du rapport intitulé "Les comités de défense civile au Guatemala", cité dans les observations du gouvernement (voir le paragraphe 25) et a noté que, dans l'introduction à cette étude, le Procureur aux droits de l'homme du Guatemala indique que:
  40. ce document a été établi en raison de la polémique relative à l'existence des comités de défense civile, à leur incidence sur la désorganisation des structures économiques et sociales locales, au recours à la force et au pouvoir que ces formations exercent sur la population civile. Assurément, les éléments de ce problème qui, ayant une incidence majeure, concernent le caractère volontaire de l'engagement et le droit d'association, l'un et l'autre indissolublement liés. Il convient de souligner que ces comités, qui avaient été conçus dans le contexte de la lutte contre l'insurrection, ont, dans bien des cas, excédé leur mission, commettant de graves violations des droits de l'homme à l'encontre des populations rurales.
  41. Ce magistrat indique également qu'il a reçu "nombre de plaintes de la part de personnes contraintes de s'enrôler comme "volontaires" de la défense civile avec, comme circonstance aggravante, qu'en cas de refus ces personnes étaient menacées et accusées de subversion". Dans son rapport annuel présenté au Congrès en janvier 1994, il indique avoir "ordonné de nombreuses enquêtes sur l'incorporation forcée dans les patrouilles et sur de nombreuses plaintes contre les actes arbitraires commis par ces formations".
  42. 31. Le gouvernement dit dans sa déclaration que l'incorporation dans ces comités de défense civile ne peut être assimilée au travail forcé parce qu'elle est l'expression du droit constitutionnel de liberté d'association (art. 34).
  43. 32. A cet égard, le comité note également que le Procureur aux droits de l'homme du Guatemala déclare dans l'avant-propos de son étude:
  44. L'article 34 de la Constitution en vigueur, qui a la teneur suivante: "est reconnu le droit de libre association. Nul n'est tenu de s'associer ou de faire partie de groupes ou associations d'autodéfense ou autres organismes analogues", consacre le droit classique d'association, imprescriptible dans tout régime démocratique. La formule selon laquelle nul n'est tenu de s'associer exprime le souci, de la part du constituant, de s'opposer à la coercition dont les habitants de certaines régions du pays faisaient l'objet pour s'enrôler dans les patrouilles civiles. Sur ce point, il convient également de tenir présent à l'esprit que la liberté, ou le droit d'association, consacrée par la Constitution vise uniquement et exclusivement les associations à caractère civil ... mais non les organisations de type militaire, c'est-à-dire les organisations armées, puisque l'usage des armes est de la compétence exclusive de l'armée du Guatemala et de la police nationale, institutions dûment organisées par les lois qui les concernent. De ce fait, on ne saurait invoquer le droit d'association pour justifier la création des comités volontaires de défense civile, car suivre une telle démarche équivaudrait à dénaturer le contenu et le caractère juridique de ce droit. Si, par ailleurs, on prétendait baser le fonctionnement de ces formations sur le décret-loi no 19-86, cette démarche manquerait elle aussi de substance du fait que ledit décret est contraire à la Constitution, et donc nul de plein droit.
  45. 33. Le comité prend note des conclusions contenues dans le rapport susmentionné sur les comités de défense civile. Selon ces conclusions:
  46. -- Les Patrouilles d'autodéfense civile sont organisées non pas sur une base volontaire mais sous la pression, ce que les enquêtes ne font pas clairement ressortir en raison de la crainte d'éventuelles représailles. Il est néanmoins des personnes qui aiment accomplir ce type de service.
  47. -- Un certain pouvoir s'exerce sur les membres des patrouilles, qui ont une carte d'identification délivrée par les commissaires militaires, ce pouvoir se traduisant par diverses sanctions en cas de carence ou de faute signalée, à proportion de leur gravité.
  48. -- L'organisation initiale des patrouilles était et reste du ressort de la Direction des questions civiles de l'armée ainsi que des commissaires militaires, qui réunissent la population pour exposer la nécessité de les constituer. Celui qui refuse d'en faire partie s'expose à être accusé de rebelle ou de collaborateur de la guérilla et à d'autres conséquences.
  49. -- Au nombre des conséquences du système des patrouilles, outre les préjudices économiques, il convient de signaler les accidents et lésions corporelles dont les membres des patrouilles sont souvent victimes, faute d'entraînement dans le maniement des armes.
  50. 34. Le comité prend note des considérants de l'accord du 16 février 1994 par lequel le Procureur aux droits de l'homme du Guatemala demande l'abrogation du décret-loi no 19-86, qui ont la teneur suivante:
  51. Considérant que ce type de service auquel la population a été soumise a revêtu dans un grand nombre de cas un caractère obligatoire qui a été avéré et qui s'est traduit par des pressions et menaces portant atteinte à la liberté d'action et à la liberté de déplacement des habitants des zones rurales et, dans certains cas, par des entraves à leurs activités économiques et professionnelles, il convient de recommander au Congrès de la République d'abroger le décret-loi no 19-86 reconnaissant l'existence des comités de défense civile.
  52. 35. Le comité prend note de rapports plus récents d'experts indépendants sur la situation des droits de l'homme au Guatemala qui ont été soumis à la Commission des droits de l'homme du Conseil économique et social des Nations Unies selon lesquels "... il ressort de nombreuses plaintes que des moyens coercitifs sont employés pour obliger les paysans à se joindre aux PAC, en violation flagrante de l'article 34 de la Constitution politique, qui consacre le droit d'association... Les membres des PAC doivent patrouiller deux jours par semaine, pendant lesquels ils ne peuvent s'employer à leurs travaux habituels; si, pour une raison quelconque, ils ne peuvent assurer ces deux jours de service, ils doivent verser une somme censée représenter le service non accompli" (paragr. 95-96 du document E/CN.4/1994/10). Il conviendrait que "le Procureur aux droits de l'homme soit chargé de la mise en place et de l'application d'un mécanisme permanent de contrôle périodique du caractère volontaire du recrutement dans les PAC" (E/CN.4/1995/15, paragr. 107). En ce qui concerne les PAC, l'avis de l'expert concorde avec la recommandation de son prédécesseur, puisqu'il considère que ces formations devraient être dissoutes (E/CN.4/1994/10, paragr. 162). Les mêmes considérations sont reprises dans les rapports sur la situation des droits de l'homme au Guatemala établis en 1995 et 1996 par l'expert indépendant (paragr. 17 et suiv. du document E/CN.4/1995/15 et paragr. 122 du document E/CN.4/1996/15).
  53. 36. Le comité constate la concordance entre les allégations de l'organisation plaignante, les informations contenues dans les rapports des experts indépendants des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme au Guatemala et les déclarations du Procureur aux droits de l'homme du Guatemala quant à l'existence, dans ce pays, d'un service obligatoire imposé, sous menace de sanctions, à des centaines de milliers de personnes dans le cadre du système des comités de défense civile (autrement appelés Patrouilles d'autodéfense civile (PAC)) ou Comités volontaires de défense civile (CVDC).
  54. 37. Le comité prend note des conditions et conséquences de la prestation dudit service -- ou du refus de l'accomplir -- en termes de préjudices économiques, de risques et atteintes à l'intégrité physique ou morale et de représailles, pouvant aller jusqu'à l'assassinat, pour ceux qui omettent sporadiquement d'accomplir ce service ou refusent de le faire.
  55. 38. Le comité observe que, lorsque la prestation d'un service est exigée sous la menace d'une peine quelconque, cela relève de la convention no 29, convention ratifiée par le Guatemala, puisqu'aux termes de l'article 2, paragraphe 1, de la convention "le terme travail forcé désigne tout travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de plein gré".
  56. 39. Le comité observe que la déclaration du gouvernement ne contient aucune indication permettant de considérer que l'obligation d'accomplir un service obligatoire dans les comités de défense civile correspond à l'une des exceptions prévues à l'article 2, paragraphe 2, de la convention.
  57. 40. Le gouvernement indique dans sa déclaration que la composition presque exclusivement indigène des comités de défense civile s'explique par la composition en majorité indigène de la population des zones rurales du pays.
  58. 41. Le comité observe que si, assurément, cet état de choses est l'expression d'une situation de plus grande vulnérabilité de cette majorité indigène dans le pays, ce qui précède n'interdit pas de considérer que cet état de choses constitue aussi une violation de la convention no 105, en vertu de laquelle tout Membre (ayant ratifié cet instrument) s'engage à supprimer le travail forcé ou obligatoire et à n'y recourir sous aucune forme, en tant que mesure de discrimination raciale. Le comité note qu'au paragraphe 95 de son rapport (E/CN.4/1996/15) sur la situation des droits de l'homme au Guatemala, l'expert indépendant des Nations Unies constate, à propos des groupes vulnérables: "fait paradoxal, la majorité (indigène) est, au Guatemala, un groupe vulnérable".
  59. 42. L'organisation plaignante allègue que le service dans les comités est utilisé comme moyen de coercition et d'éducation politique de la population indigène. Le gouvernement indique à ce sujet que la fonction des comités est une fonction de sécurité préventive et, en aucun cas, d'éducation politique. Le comité note que, selon ce que font ressortir les informations communiquées par l'organisation plaignante, l'étude précitée sur les comités et les informations apportées par l'expert indépendant des Nations Unies et le gouvernement lui-même, les activités des comités sont axées sur la lutte contre l'insurrection. Les personnes tenues d'accomplir un service dans ces comités sont donc tenues de se mettre au service d'une certaine idéologie politique, ce qui va à l'encontre des dispositions de la convention no 105.
  60. 43. L'UITA allègue également que les activités des comités sont utilisées comme moyen de développement économique. Le gouvernement indique à cet égard que les activités accomplies le sont pour le bien de la collectivité à laquelle appartiennent ceux qui accomplissent ledit service. Le comité constate que:
  61. a) si les activités en question ont été accomplies pour le bien de la collectivité à laquelle appartiennent ceux qui accomplissent le service, cet aspect ne soustrait pour autant ces activités au champ d'application de l'article 1 b) de la convention no 105 concernant l'abolition du travail forcé, qui interdit le recours, sous aucune forme, au travail forcé ou obligatoire en tant que méthode de mobilisation et d'utilisation de la main-d'oeuvre à des fins de développement économique;
  62. b) en outre, par rapport à la convention no 29 sur le travail forcé, même si ces activités sont accomplies pour le bien de la collectivité, cet aspect ne constituerait seulement que l'une des conditions énumérées à l'article 2, paragraphe 2 e), de cet instrument pour pouvoir soustraire ces activités à son champ d'application, du fait que les membres de la collectivité ou leurs représentants doivent pour cela avoir été pleinement consultés sur leur nécessité et du fait également qu'il doit s'agir de menus travaux de village, ne demandant pas plus de quelques jours par an. A cet égard, la commission invite à se reporter aux explications développées au paragraphe 37 de l'étude d'ensemble de 1979, que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations a consacrée à l'abolition du travail forcé;
  63. c) compte tenu de ce qui précède, le comité observe néanmoins qu'une grande partie des informations dont on dispose quant aux activités de ces comités de défense civile font ressortir qu'il s'agit d'activités proprement militaires ou en relation étroite avec de telles activités -- entretien de routes permettant d'améliorer les déplacements de l'armée, travaux d'entretien de matériel militaire ou prestations diverses pour l'armée. Le comité ne dispose pas d'éléments suffisants pour considérer que de telles activités sont utilisées comme moyens de développement économique. Néanmoins, aucune des exceptions prévues à l'article 2, paragraphe 2, de la convention no 29 sur le travail forcé n'a pour effet de soustraire de telles activités, imposées dans cette finalité, au champ d'application de cet instrument, lequel exige la suppression complète du travail forcé dans le plus bref délai possible.
  64. 44. Le comité observe, selon les indications provenant aussi bien des rapports des experts indépendants des Nations Unies que des rapports du Procureur aux droits de l'homme du Guatemala, l'impunité dont jouissent les personnes accusées d'avoir imposé un travail forcé lorsque ces personnes ont été mises en cause par le Procureur de la République du Guatemala sans qu'aucune procédure judiciaire correspondante n'ait été engagée contre elles en conséquence. En vertu de l'article 25 de la convention no 29, "Le fait d'exiger illégalement du travail forcé ou obligatoire sera passible de sanctions pénales et tout Membre ratifiant (cet instrument) aura l'obligation de s'assurer que les sanctions imposées par la loi sont réellement efficaces et strictement appliquées."
  65. 45. Le comité note que le Procureur général du Guatemala a demandé au Congrès d'abroger le décret-loi no 19-86 reconnaissant l'existence des comités de défense civile, instrument en vertu duquel un service obligatoire est imposé, en violation des dispositions des conventions nos 29 et 105.
  66. 4. Recommandations du comité
  67. 46. Le comité recommande au Conseil d'administration:
  68. a) d'adopter le présent rapport, en particulier les conclusions présentées aux paragraphes 28 à 45 relatives au travail obligatoire imposé sous menace de sanctions à des centaines de milliers de personnes, en guise de service dans les Patrouilles d'autodéfense civile (PAC) ou Comités volontaires de défense civile (CVDC); au recours au travail obligatoire comme moyen de discrimination raciale et à l'absence de sanctions dans les cas où l'imposition d'un travail forcé a été portée à la connaissance des autorités compétentes, faits qui constituent une violation des dispositions des conventions nos 29 sur le travail forcé et 105 sur l'abolition du travail forcé, l'une et l'autre ratifiées par le Guatemala;
  69. b) compte tenu des conclusions présentées aux paragraphes 28 à 45, de prier instamment le gouvernement du Guatemala:
  70. i) de prendre les mesures nécessaires pour garantir que soit respectée dans la pratique l'interdiction formelle exprimée à l'article 34 de la Constitution de la République, article qui dispose que "nul n'est tenu de s'associer ou faire partie de groupes ou associations d'autodéfense ou autres organismes analogues";
  71. ii) d'étudier l'abrogation des textes juridiques reconnaissant l'existence des comités de défense civile en vertu desquels un travail forcé est imposé, en particulier le décret-loi no 19-86, dont l'abrogation a été recommandée par le Procureur aux droits de l'homme de la République du Guatemala dans l'accord signé le 16 février 1994;
  72. iii) de veiller à l'accomplissement rapide des procédures et enquêtes de justice ouvertes pour imposition de travail obligatoire, et de veiller à ce que des sanctions soient prises dans le cadre d'une stricte application de ces procédures;
  73. c) de prier le gouvernement de communiquer, dans les rapports qu'il présente en vertu de l'article 22 de la Constitution de l'OIT sur l'application des conventions nos 29 et 105, des informations sur les mesures qu'il a prises pour donner effet aux recommandations formulées dans les paragraphes qui précèdent, afin que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations puisse examiner le suivi de ces questions;
  74. d) de déclarer close la procédure ouverte lors de la présentation de la réclamation par l'Union internationale des travailleurs de l'alimentation, de l'agriculture, de l'hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA) et l'Internationale des services publics (ISP) au nom du Syndicat des travailleurs de l'Institut national de l'électrification (STINDE) et la Fédération nationale des syndicats de travailleurs de l'Etat (FENASTEG).
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