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RECLAMATION (article 24) - MAURITANIE - C095, C102, C111, C118, C122 - 1990

1. Confédération nationale des travailleurs du Sénégal, #ACRONYME:CNTS

Clos

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Rapport du Comité chargé d'examiner la réclamation présentée par la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal en vertu de l'article 24 de la Constitution et alléguant l'inexécution des conventions nos 95, 102, 111, 118 et 122 par la Mauritanie

Rapport du Comité chargé d'examiner la réclamation présentée par la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal en vertu de l'article 24 de la Constitution et alléguant l'inexécution des conventions nos 95, 102, 111, 118 et 122 par la Mauritanie

Decision

Decision
  1. Le Conseil d'administration a adopté le rapport du comité tripartite. Procédure close.

La procédure de plainte

La procédure de plainte
  1. I. Introduction
  2. 1. Par une lettre en date du 3 novembre 1989, la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS), invoquant l'article 24 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, a présenté une réclamation alléguant l'inexécution par la Mauritanie de la convention (no 95) sur la protection du salaire, 1949, de la convention (no 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952, de la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, de la convention (no 118) sur l'égalité de traitement (sécurité sociale), 1962, et de la convention (no 122) sur la politique de l'emploi, 1964.
  3. 2. Les cinq conventions en question ont été ratifiées par la Mauritanie et sont en vigueur pour ce pays (Note 1).
  4. 3. Les dispositions pertinentes de la Constitution de l'OIT relatives à la présentation de réclamations sont les suivantes:
  5. Article 24
  6. Toute réclamation adressée au Bureau international du Travail par une organisation professionnelle des travailleurs ou des employeurs, et aux termes de laquelle l'un quelconque des Membres n'aurait pas assuré d'une manière satisfaisante l'exécution d'une convention à laquelle ledit Membre a adhéré, pourra être transmise par le Conseil d'administration au gouvernement mis en cause et ce gouvernement pourra être invité à faire sur la matière telle déclaration qu'il jugera convenable.
  7. Article 25
  8. Si aucune déclaration n'est reçue du gouvernement mis en cause dans un délai raisonnable, ou si la déclaration reçue ne paraît pas satisfaisante au Conseil d'administration, ce dernier aura le droit de rendre publique la réclamation reçue et, le cas échéant, la réponse faite.
  9. 4. La procédure à suivre pour l'examen des réclamations est régie par le Règlement révisé adopté par le Conseil d'administration à sa 212e session (mars 1980).
  10. 5. Conformément à l'article 1 et à l'article 2, paragraphe 1, de ce Règlement, le Directeur général a accusé réception de la réclamation, en a informé le gouvernement de la Mauritanie et l'a transmise au bureau du Conseil d'administration.
  11. 6. A sa 245e session (février-mars 1990), le Conseil d'administration, sur recommandation de son bureau, a décidé que la réclamation était recevable et a institué un comité chargé de l'examiner, composé de M. Gisbert Brinkmann (membre gouvernemental, République fédérale d'Allemagne, président), Mme Lucia Sasso-Mazzufferi (membre employeur, Italie) et M. Marc Blondel (membre travailleur, France).
  12. 7. En vertu de l'article 4, paragraphe 1, alinéas a) et c), du Règlement, le comité a décidé: a) d'inviter l'organisation plaignante à fournir, avant le 31 mai 1990, tous renseignements complémentaires qu'elle souhaiterait porter à la connaissance du comité; b) d'inviter le gouvernement à présenter ses observations au sujet de la réclamation avant le 31 juillet 1990, étant entendu que les renseignements complémentaires qu'aurait fournis la fédération plaignante seraient également communiqués au gouvernement.
  13. 8. L'organisation plaignante a demandé, par deux lettres en date du 12 avril et du 31 mai 1990, que soient versées au dossier de la réclamation un certain nombre de pièces. Des copies de ces documents ont été transmises au gouvernement. Le comité a décidé par la suite de prolonger jusqu'au 31 août 1990 le délai fixé au gouvernement pour présenter ses observations.
  14. 9. Le gouvernement a présenté, par une communication en date du 19 mai 1990, ses observations au sujet de la réclamation.
  15. 10. Le comité s'est réuni une première fois en mars, puis à nouveau en mai et, enfin, pour l'adoption de son rapport, en novembre 1990.
  16. II. Examen de la réclamation
  17. 1. Questions préliminaires
  18. 11. Le comité a noté que le gouvernement, dans sa déclaration, a soulevé certaines questions à titre de remarques préliminaires.
  19. 12. Concernant la procédure, le gouvernement a considéré fort regrettable que le dossier de la réclamation ait été en sa possession quatre mois et demi après que celle-ci a été présentée.
  20. 13. Le comité constate, d'après les pièces officielles figurant au dossier, que la réclamation datée du 3 novembre 1989 a été reçue au BIT le 10 novembre. Par lettre expédiée le 14 novembre, le Bureau a informé le ministre de la Fonction publique, du Travail, de la Jeunesse et des Sports de la réclamation en lui envoyant copie de celle-ci ainsi que du Règlement du Conseil d'administration relatif à la procédure à suivre. Par la suite, des communications ont été régulièrement adressées en temps voulu au ministre par le Bureau pour tenir le gouvernement informé du déroulement de la procédure.
  21. 14. Le comité observe par conséquent que, s'il s'avère regrettable que des problèmes d'acheminement postal sur place aient pu vraisemblablement se produire, toutes les communications adressées au gouvernement relatives à la réclamation ont été faites par le Bureau selon la voie officielle et conformément au Règlement régissant l'examen des réclamations.
  22. 15. Le gouvernement se déclare en outre surpris de la décision du Conseil d'administration de déclarer la réclamation recevable. Le gouvernement estime que la réclamation est vague et imprécise, que la CNTS n'a pas fait cas des actes commis contre des Mauritaniens en territoire sénégalais, qu'elle est partie prenante du conflit qui oppose les deux gouvernements et s'est fait l'écho du gouvernement du Sénégal, auquel la CNTS se devait logiquement de s'adresser pour les violations des droits des Mauritaniens et des ressortissants sénégalais d'origine maure. Le gouvernement de la République islamique de Mauritanie réitère de son côté son attachement aux idéaux et aux principes de l'OIT.
  23. 16. Le comité fait observer que la décision quant à la recevabilité d'une réclamation revient au Conseil d'administration qui, pour ce faire, applique les conditions stipulées par l'article 2, paragraphe 2, du Règlement relatif aux réclamations, étant entendu que, conformément au paragraphe 4 du même article, le Conseil d'administration en se prononçant sur la recevabilité ne discute pas de la réclamation quant au fond. Aux termes de l'article 6 du Règlement, l'examen de la réclamation quant au fond incombe au comité désigné par le Conseil d'administration à cette fin.
  24. 17. S'agissant du contexte de la réclamation, le comité note que les questions soulevées s'inscrivent dans une suite d'événements ayant pris place depuis avril 1989 entre, et opposant, la Mauritanie et le Sénégal. L'incident ayant déclenché ces événements a été une querelle, le 9 avril 1989, entre des agriculteurs sénégalais et des éleveurs mauritaniens, qui a notamment causé deux morts sénégalais. Cet incident a entraîné une suite de réactions de part et d'autre durant le mois d'avril 1989: pillage de boutiques de commerçants mauritaniens au Sénégal, violences et contre-violences dans les deux pays faisant des centaines de morts et blessés des deux communautés et exode massif de population dans les deux sens en avril-mai 1989.
  25. 18. Ces événements sont relatés dans la presse et font l'objet de déclarations et documents officiels des deux gouvernements concernés (Note 2). Le comité a pris dûment note, à ce sujet, des vues exprimées par le gouvernement de la République islamique de Mauritanie dans sa déclaration concernant la réclamation, aussi bien à titre de remarques préliminaires qu'en réponse à divers points des allégations de la CNTS. Ces vues portaient sur l'origine du conflit, les violences et exactions contre les Mauritaniens au Sénégal et la position et la motivation respectives de la CNTS et du gouvernement du Sénégal dans cette affaire. Le comité doit souligner qu'il n'est pas dans ses intentions, ni dans ses attributions, de prendre parti à l'égard de ces événements tragiques. En exécutant son mandat, le comité s'attache essentiellement à examiner le bien-fondé des allégations et la mesure dans laquelle la situation constatée sur la base des indications disponibles affecterait l'application par la Mauritanie des conventions en cause.
  26. 2. Questions relevant de l'application des conventions mises en cause
  27. 19. Le comité traitera successivement des questions soulevées par la réclamation au titre des conventions nos 111 (discrimination), 122 (emploi), 95 (protection du salaire), 102 et 118 (sécurité sociale).
  28. A. Questions relatives à la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958
  29. 1. Allégations présentées par la CNTS
  30. 20. Dans sa lettre au Directeur général, l'organisation plaignante allègue qu'à partir du mois d'avril 1989 le gouvernement de la République islamique de Mauritanie a procédé à la déportation et au bannissement de ses propres citoyens négro-africains, dont plusieurs dizaines de milliers de travailleurs parmi lesquels figurent plusieurs responsables syndicaux. Tous ces travailleurs ont été licenciés sous le prétexte fallacieux d'abandon de poste, en violation de la réglementation en vigueur. Les principaux secteurs touchés sont: la santé, les PTT, les banques et services, l'énergie, les hydrocarbures, les ports, les gens de mer, les services financiers, l'administration générale, l'enseignement, l'agriculture, la pêche et les travaux publics. La CNTS souligne que la législation qui réglemente l'accès à l'emploi dans les secteurs public et privé en Mauritanie exige de l'intéressé un dossier dont le certificat de nationalité constitue la pièce maîtresse et qu'il est donc évident que les travailleurs en question étaient des ressortissants mauritaniens. La CNT estime que les mesures dont ils ont été victimes ont été prises en raison de leur race et de leur ascendance nationale ce qui constitue, entre autres, une violation de la convention no 111. Elle demande une réparation appropriée en faveur des victimes de ces mesures.
  31. 2. Documentation présentée par la CNTS
  32. 21. La CNTS a présenté à l'appui de sa réclamation une documentation comprenant des articles de presse et des documents émanant du gouvernement du Sénégal et d'autres organes et personnes. La liste de cette documentation est donnée ci-après:
  33. Articles de presse
  34. Africa International no 217, juin 1989. Dossier sur la Mauritanie et le Sénégal composé de six articles.
  35. Le Monde, daté 7-8 mai 1989. Un article intitulé: "Mauritanie: après les affrontements avec les Sénégalais".
  36. Documents
  37. Lettre du Secrétaire général de l'OUSA au Colonel Ould Sidi Ahmed Taya, président du Comité militaire de salut national de Mauritanie.
  38. Le Livre blanc sur le différend entre le Sénégal et la Mauritanie en avril-mai 1989, publié par la République du Sénégal le 15 juillet 1989.
  39. Un document des organisations d'enseignants, intitulé: "Le différend Sénégal-Mauritanie, un problème de droits de l'homme".
  40. Pièces communiquées préalablement par trois syndicalistes mauritaniens déportés
  41. Deux communications en date du 17 août et du 22 septembre 1989.
  42. 572 fiches individuelles remplies par des travailleurs se déclarant déportés, de nationalité mauritanienne. Des listes sous forme de tableaux de 568 de ces mêmes personnes.
  43. 22. Les articles de presse font une relation des événements du printemps 1989 en soulignant les incidents frontaliers qui ont eu lieu à Diawara (Sénégal), le 9 avril 1989, entre agriculteurs soninkés et éleveurs peulhs, et les affrontements tragiques qui ont suivi principalement à Dakar (Sénégal), Nouakchott et Nouadhibou (Mauritanie) et qui ont mené à l'exode massif de Mauritaniens et de Sénégalais des deux pays en litige. Plusieurs articles soulignent le caractère racial du conflit et font l'analyse des facteurs politiques et économiques qui le sous-tendent. Il est indiqué qu'à la suite des affrontements les services et administrations mauritaniens ont dressé la liste des Mauritaniens négro-africains et qu'une commission à la sûreté nationale s'est chargée de vérifier l'origine de la nationalité; un individu devenu Mauritanien après 1966 risquait ainsi d'être expulsé. On relève que de nombreuses personnes ont été démises de leurs fonctions, dont 75 fonctionnaires de la police, 90 agents des PTT originaires de la région du fleuve Sénégal, et le directeur général de la Caisse de sécurité sociale à Nouakchott "parce que l'on doute subitement de sa nationalité". On mentionne des contrôles de nuit effectués dans les villages par la police afin de vérifier la nationalité d'origine des individus d'après les carnets de recensement, suivis d'expulsion de ceux qui n'ont pas de carnet ou ont un parent sénégalais. Il est souligné que la question d'expulsion ne se pose même pas pour les Mauritaniens d'origine sénégalaise, mais d'ethnie maure.
  44. 23. La CNTS a demandé que soit versée au dossier une lettre que le secrétaire général par interim de l'Organisation de l'unité syndicale africaine (OUSA), M. Benaissa, a adressée, le 20 octobre 1989, au Chef de l'Etat mauritanien (avec copie au BIT). La lettre exprime la vive indignation de l'OUSA au sujet de l'expulsion de trois syndicalistes mauritaniens et la vive condamnation de pratiques racistes contraires à l'esprit de la Constitution de l'OIT. L'OUSA demande la réintégration des trois syndicalistes mauritaniens licenciés, soit MM. Sarr, Dieng et Diouf, et, de même, le rétablissement dans leurs droits de tous les travailleurs expulsés et se trouvant dans la même situation.
  45. 24. Le Livre blanc (Note 3) sur le différend entre le Sénégal et la Mauritanie en avril-mai 1989, publié à Dakar le 15 juillet 1989, donne le point de vue du Sénégal sur le conflit, souligne les pertes et préjudices subis par la communauté sénégalaise et fait état de "la perturbation durable des relations sénégalo-mauritaniennes".
  46. 25. Le document des organisations d'enseignants (accompagné d'articles de presse), communiqué par la CNTS et intitulé "Le différend Sénégal-Mauritanie: un problème de droits de l'homme", se livre à une analyse des relations historiques entre le Sénégal et la Mauritanie, ainsi que des relations humaines dans une société où coexistaient des Maures "blancs" (Beydanes) et des Noirs, tous musulmans mais de langues différentes, et critique l'imposition par les autorités mauritaniennes de l'arabe comme langue officielle, ceci comme première étape d'une "beydanisation" du pays; le document relate les événements de 1989 en mettant l'accent sur le lourd bilan humain subi par les Négro-Africains en Mauritanie.
  47. 26. Les communications des trois syndicalistes mauritaniens présentaient pour l'essentiel les mêmes allégations que celles de la CNTS. Quant aux 572 fiches individuelles remplies par les travailleurs se déclarant déportés de nationalité mauritanienne, leur examen montre que la majorité (plus de 500) étaient occupés dans les secteurs public et parapublic et que 386 d'entre eux (soit 67,5 pour cent) étaient fonctionnaires titulaires de ministères et autres organes.
  48. 3. Observations du gouvernement
  49. 27. Dans sa communication en date du 19 mai 1990, le gouvernement de la République islamique de Mauritanie a exprimé ses vues sur le conflit et la position respective des parties concernées (voir, plus haut, paragr. 9).
  50. 28. Le gouvernement affirme solennellement n'avoir jamais déporté ni banni aucun de ses propres ressortissants. Il déclare que les opérations de rapatriement qui ont eu lieu s'inscrivent dans le cadre du conflit qui oppose la Mauritanie au Sénégal et que les ressortissants sénégalais (travailleurs ou simples citoyens) ont été rapatriés à la demande expresse et insistante des autorités sénégalaises transmise par la voix du Chef de l'Etat sénégalais et surtout dans le but d'assurer leur sécurité.
  51. 29. Le gouvernement déclare que les travailleurs rapatriés au Sénégal sont tous sénégalais, soit parce qu'ils ont conservé la nationalité sénégalaise, soit parce qu'ils ont acquis la nationalité mauritanienne en violation de la réglementation en matière de nationalité. Ce départ des travailleurs sénégalais a entraîné une modification juridique dans leur statut de travailleur. Se référant aux cas de rupture de contrat traités dans le Code et la convention collective du travail et aux conditions de cessation de fonctions prévues par le statut général de la fonction publique et la loi sur les agents auxiliaires, le gouvernement considère qu'il y a eu en l'espèce "abandon de poste", ce qui entraîne automatiquement le licenciement pour faute lourde de son auteur qu'il soit mauritanien ou étranger.
  52. 30. Le gouvernement considère que l'accusation relative au fait que ces travailleurs sont mauritaniens parce qu'ils disposaient, au moment de leur recrutement, d'un certificat de nationalité, et que les mesures qui ont été prises l'ont été en raison de leur race ou de leur ascendance nationale, est une affirmation grave et gratuite. Il souligne que pour la République islamique de Mauritanie la nationalité est innée ou acquise en vertu d'une législation non discriminatoire; il déclare que l'expulsion de citoyens mauritaniens sur la base de leur origine sociolinguistique ou de leurs opinions politiques ne pouvait se faire sans contrevenir à la loi.
  53. 4. Conclusions du comité
  54. 31. Le comité note qu'en ce qui concerne la convention no 111 la réclamation pose la question de la discrimination qui résulterait de l'expulsion, alléguée par la CNTS, de travailleurs mauritaniens négro-africains d'origine sénégalaise, et de leur licenciement pour le prétexte d'abandon de poste.
  55. 32. Le comité note que la question se rapporte à plusieurs dispositions de la convention no 111 dont il convient de rappeler la teneur.
  56. 33. En ce qui concerne la définition des termes, l'article 1, paragraphe 1 a), dispose que: "Aux fins de la présente convention, le terme 'discrimination' comprend:
  57. a) toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l'opinion politique, l'ascendance nationale ou l'origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d'altérer l'égalité de chances ou de traitement en matière d'emploi ou de profession;".
  58. 34. Le paragraphe 3 du même article 1 précise que "Aux fins de la présente convention, les mots 'emploi' et 'profession' recouvrent l'accès à la formation professionnelle, l'accès à l'emploi et aux différentes professions, ainsi que les conditions d'emploi."
  59. 35. En ce qui concerne les obligations s'attachant à la situation à l'examen, l'article 2 de la convention dispose que: "Tout Membre pour lequel la présente convention est en vigueur s'engage à formuler et à appliquer une politique nationale visant à promouvoir, par des méthodes adaptées aux circonstances et aux usages nationaux, l'égalité de chances et de traitement en matière d'emploi et de profession, afin d'éliminer toute discrimination en cette matière." Plus particulièrement, selon l'article 3, alinéas c) et d), le Membre en question "doit, par des méthodes adaptées aux circonstances et aux usages nationaux:
  60. ...
  61. c) abroger toute disposition législative et modifier toute disposition ou pratique administratives qui sont incompatibles avec ladite politique;
  62. d) suivre ladite politique en ce qui concerne les emplois soumis au contrôle direct d'une autorité nationale;".
  63. 36. A la lumière des dispositions pertinentes de la convention no 111, le comité considére que la question posée concerne la discrimination fondée sur l'ascendance nationale et la race (les deux critères cités par la CNTS) mais aussi sur la couleur, critère également rattaché aux caractéristiques négro-africaines des personnes ayant fait l'objet des mesures alléguées. Le comité tient à souligner à ce sujet que la protection contre la discrimination fondée sur la race et la couleur concerne aussi bien les nationaux que les non-nationaux (Note 4). Le comité considère en outre que son examen de la question et les conclusions y relatives concernent non seulement les travailleurs employés pour le compte d'autrui mais également les travailleurs indépendants exerçant un métier, une profession pour leur propre compte, eu égard à l'acception très large qu'il convient de donner aux termes "emploi" et "profession" de la convention no 111 (Note 5). Enfin, le comité tient à préciser que, compte tenu des termes mêmes de la réclamation et du contexte des événements s'y rapportant, son examen de la question ne porte que sur la situation des personnes ayant dû quitter la Mauritanie et qui sont de nationalité mauritanienne ou se réclament de cette nationalité.
  64. 37. Le comité se propose d'examiner les divers aspects de la réclamation dans le cadre de la question ainsi posée.
  65. 38. Le comité note qu'il est établi, d'après les informations examinées, que des dizaines de milliers de Négro-Africains ont dû quitter le territoire mauritanien en avril-mai 1989 et, de ce fait, ont perdu leur emploi. Le comité note cependant que le gouvernement récuse les allégations de la CNTS sur la nationalité mauritanienne de ces travailleurs et, par conséquent, sur les motifs de leur départ et de leur licenciement.
  66. 39. S'agissant de la nationalité et du motif du départ, le gouvernement déclare que les travailleurs en question sont des Sénégalais ayant conservé leur nationalité ou ayant acquis la nationalité mauritanienne en violation de la réglementation en la matière, et qu'il s'agit de rapatriement à la demande du gouvernement sénégalais et non de mesures prises en raison de leur race ou ascendance nationale.
  67. 40. Le comité se propose d'examiner les aspects relatifs à la nationalité à partir du cas de personnes qui ont rempli des fiches individuelles et qui ont indiqué avoir occupé un emploi de fonctionnaire titularisé, emploi qui exige la nationalité mauritanienne. Le comité considère que les indications portées sur ces fiches sont généralement assez précises pour être admises jusqu'à preuve du contraire.
  68. 41. Le comité note qu'en vertu de l'article 21, paragraphe 1, du Statut général de la fonction publique (loi no 67-169 du 18 juillet 1967), nul ne peut être nommé et titularisé dans un emploi public permanent "s'il ne possède la nationalité mauritanienne, sous réserve des incapacités prévues par le Code de cette nationalité". Il apparaît donc au comité que les personnes qui étaient fonctionnaires jusqu'à leur départ de Mauritanie remplissaient la condition de nationalité mauritanienne au moment de leur nomination et continuaient à la remplir depuis.
  69. 42. Le comité note à ce sujet que le gouvernement a déclaré avoir rapatrié des Sénégalais qui ont acquis la nationalité mauritanienne en violation de la réglementation applicable. En l'absence de toute précision fournie par le gouvernement quant aux motifs et procédures par lesquels il a été décidé de l'irrégularité de l'acquisition de la nationalité mauritanienne par les personnes concernées, le comité s'en rapporte aux dispositions pertinentes de la législation.
  70. 43. Le comité relève que, selon le Code de la nationalité mauritanienne (loi no 61-112 du 20 juin 1961, telle qu'amendée) dans les cas d'acquisition de la nationalité mauritanienne, le gouvernement a la faculté de s'y opposer par décret. Deux types d'acquisition de la nationalité mauritanienne sont prévus. Pour les cas d'acquisition en raison de la filiation, de la naissance ou de l'adoption, le gouvernement peut, pour des raisons stipulées par la loi (article 14), s'opposer à cette acquisition dans un délai d'un an qui suit la déclaration à cet effet. Dans le cas d'une naturalisation, il est prévu (article 22) que le gouvernement peut rapporter le décret de naturalisation dans le délai d'un an après sa publication, s'il apparaît postérieurement que l'intéressé ne remplissait pas les conditions requises par la loi pour pouvoir être naturalisé, ou dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude si l'étranger a commis sciemment une fraude pour obtenir sa naturalisation. D'autres dispositions réglementent la déchéance par décret en cas d'actes criminels ou délictuels (article 33) selon des formes précises qui assurent les droits de la défense et des garanties judiciaires (articles 35 et 36). En cas de contestation, la loi prévoit une procédure juridictionnelle (Titre VI: Du contentieux de la nationalité).
  71. 44. Compte tenu des dispositions législatives précitées et sur la base d'informations disponibles, il n'apparaît pas au comité que les fonctionnaires dont les fiches individuelles ont été examinées, et qui pour certains ont été dans la fonction publique depuis de nombreuses années, aient été l'objet d'aucune des procédures prévues par la loi et ayant entraîné une perte de leur nationalité mauritanienne avant et jusqu'au moment de leur départ de Mauritanie (Note 6). Le comité considère par conséquent que la déclaration du gouvernement, selon laquelle il s'agissait de ressortissants sénégalais rapatriés à la demande expresse de leur gouvernement, ne s'applique pas dans ce cas.
  72. 45. Dans ces conditions, le comité doit conclure que les mesures prises à l'encontre des fonctionnaires en question constituaient, en contravention des dispositions citées plus haut de la convention no 111, une discrimination fondée sur l'ascendance nationale en raison de la présomption de nationalité mauritanienne résultant de leur emploi; et également fondée sur la race et la couleur, du fait qu'il s'agit de Noirs africains. Cette conclusion s'applique également aux autres fonctionnaires qui se trouvaient dans la même situation que ceux dont les fiches individuelles ont été fournies et examinées par le comité.
  73. 46. La présomption de nationalité mauritanienne de personnes occupant un emploi dans la fonction publique n'est pas d'emblée établie pour les autres travailleurs visés par la réclamation, la condition de nationalité n'étant pas stipulée pour l'accès à l'emploi des travailleurs régis par le Code du travail ou la loi sur les agents auxiliaires. Selon les informations disponibles, le comité note que les dispositions du Code de la nationalité mauritanienne relatives à l'acquisition et la perte de cette nationalité n'ont pas été invoquées dans les cas en question.
  74. 47. Etant donné l'importance cruciale de la nationalité dans la situation considérée mais également dans de nombreux autres domaines de la vie des personnes concernées, le comité considère que le gouvernement devrait prendre toutes les mesures appropriées en vue de déterminer, en toute équité et objectivité et conformément aux dispositions légales applicables, la nationalité des personnes se réclamant de la nationalité mauritanienne, dans tous les cas où cette nationalité n'est pas considérée comme établie. Compte tenu des circonstances de leur départ de Mauritanie, et des difficultés qui pourraient en résulter dans la production des documents et l'établissement des faits, il serait hautement souhaitable que, dans son action, le gouvernement s'assure le concours des instances publiques et privées, nationales aussi bien qu'internationales ayant pris part à l'assistance et l'accueil des personnes concernées. Sous réserve de décision résultant de telles mesures et qui infirmerait la revendication de la nationalité mauritanienne des personnes en question au moment des faits, le comité doit conclure également que les mesures prises à leur encontre constituaient une discrimination fondée sur l'ascendance nationale, la race et la couleur, aux termes de la convention no 111.
  75. 48. S'agissant du licenciement des travailleurs en question, le gouvernement s'est référé à l'abandon de poste, entraînant le licenciement automatique pour faute lourde de son auteur, qu'il soit Mauritanien ou étranger.
  76. 49. Le comité considère que, dans le cas de travailleurs qui s'avéreraient ressortissants mauritaniens, les conclusions auxquelles il est arrivé plus haut sur la question de la nationalité rendent caduque la question du motif de licenciement, étant donné qu'il considère également que la perte de l'emploi était un effet direct de l'expulsion et constitue de ce fait une discrimination au sens de la convention no 111.
  77. 50. Dans le cas où il s'agirait de travailleurs de nationalité sénégalaise, leur situation ne rentrerait pas dans le cadre de l'examen du comité, comme il a été déjà précisé plus haut. Toutefois, étant donné que c'est là le cas visé par le gouvernement, le comité note que le licenciement pour abandon de poste et faute lourde s'entoure de certaines conditions prévues par la législation, que le gouvernement a mentionnée. Selon les informations disponibles et en toute probabilité, les procédures prévues par la loi en cas d'abandon de poste et de faute lourde n'ont pas été observées dans les circonstances entourant le départ des travailleurs concernés (Note 7). Le comité considère en outre que, même dans le cas de rapatriement auquel se réfère le gouvernement, le départ des travailleurs concernés leur était imposé par les événements et s'exécutait sous l'autorité et sur la décision des pouvoirs publics et ne saurait, par conséquent, être imputé à une faute lourde ou un abandon de poste de leur part.
  78. 51. Le comité considère par conséquent que, quelle que soit la nationalité des personnes concernées, les motifs de licenciement auxquels se réfère le gouvernement ne constituent pas des éléments déterminants dans la situation à l'examen.
  79. 52. Ayant eu ainsi à constater l'inexécution par la Mauritanie des dispositions pertinentes de la convention no 111, le comité en vient à la question d'une réparation appropriée, demandée par la CNTS, en faveur des personnes affectées.
  80. 53. Une telle réparation pose le principe de l'élimination de la discrimination dont les personnes visées ont été victimes et de la réintégration de ces personnes dans leurs droits. Le comité est conscient des difficultés d'une telle mesure, dans la situation conflictuelle entre les communautés et pays concernés. Il considère néanmoins que le gouvernement devrait déployer tous les efforts en vue de réparer les préjudices subis.
  81. B. Questions relatives à la convention (no 122) sur la politique de l'emploi, 1964
  82. 1. Allégations présentées
  83. 54. L'organisation plaignante présente, à l'appui de sa réclamation concernant l'inexécution de la convention no 122, les mêmes allégations que pour la convention no 111, portant sur le licenciement à la suite de la déportation et du banissement par la République islamique de Mauritanie de ses propres citoyens négro-africains.
  84. 55. En outre, la documentation communiquée en annexe par la CNTS évoque notamment les effets de la situation ainsi créée en Mauritanie en termes de pénuries de main-d'oeuvre et de perte de substance pour l'économie.
  85. 2. Observations du gouvernement
  86. 56. Le gouvernement a réfuté les allégations de la CNTS sans se référer spécifiquement à la convention no 122.
  87. 57. En ce qui concerne plus particulièrement la perte d'emploi et la privation d'autres droits, le gouvernement admet que les travailleurs sénégalais rapatriés ont subi des préjudices, mais considère que leurs pertes ne peuvent en aucun cas être comparables à celles de la communauté mauritanienne qui vivait au Sénégal. Le gouvernement estime qu'il s'agit d'une question qui doit être examinée globalement dans le cadre de l'acceptation du principe de l'indemnisation réciproque des ressortissants des deux pays.
  88. 3. Conclusions du comité
  89. 58. Le comité note que, selon l'article 1, paragraphe 2 c), de la convention no 122, la politique de l'emploi qui doit être formulée et appliquée devra tendre à garantir notamment "qu'il y aura libre choix de l'emploi et que chaque travailleur aura toutes possibilités d'acquérir les qualifications nécessaires pour occuper un emploi qui lui convienne et d'utiliser, dans cet emploi, ses qualifications ainsi que ses dons, quels que soient sa race, sa couleur, son sexe, sa religion, son opinion politique, son ascendance nationale ou son origine sociale".
  90. 59. Le comité note que l'application de cette disposition de la convention no 122, qui porte sur le principe de la non-discrimination en matière de politique de l'emploi, est liée aux questions examinées sous la convention no 111.
  91. 60. Le comité considère par conséquent que la discrimination fondée sur l'ascendance nationale, la race et la couleur qui a été constatée au titre de la convention no 111, a eu également pour effet d'ôter aux personnes concernées le libre choix de l'emploi et la possibilité d'utiliser dans leurs emplois respectifs leurs qualifications et leurs dons, en contravention de l'article 1, paragraphe 2 c), de la convention no 122.
  92. 61. Le comité considère qu'une réparation appropriée des préjudices subis devrait être effectuée, selon ce qui a été dit à ce sujet concernant la convention no 111.
  93. 62. Le comité note, d'autre part, que le gouvernement a fait valoir dans sa déclaration les pertes et dommages subis par la communauté mauritanienne qui vivait au Sénégal et pose le principe d'une indemnisation réciproque des ressortissants des deux pays. Le comité considère que ce principe constituerait une bonne base de règlement et se permet de suggérer que le concours d'instances internationales, en premier celui du BIT, serait éminemment souhaitable en vue de régler cette question.
  94. 63. En relation avec les autres dispositions de la convention no 122, il convient de signaler que les mesures prises dans le cadre des événements d'avril 1989, et notamment le départ d'un nombre important de travailleurs, pourraient éventuellement, si elles ne sont pas compensées par d'autres destinées à promouvoir l'emploi en général, aggraver la situation de l'emploi en Mauritanie et produire des effets contraires aux objectifs énoncés à l'article 1, paragraphe 1, de la convention no 122. Aux termes de cette disposition, "en vue de stimuler la croissance et le développement économiques, d'élever les niveaux de vie, de répondre aux besoins de main-d'oeuvre et de résoudre le problème du chômage et du sous-emploi, tout Membre formulera et appliquera, comme un objectif essentiel, une politique active visant à promouvoir le plein emploi, productif et librement choisi". Toutefois, le comité ne dispose pas, en l'état actuel du dossier, d'éléments d'information suffisants pour lui permettre d'aller plus loin dans l'évaluation des allégations d'inexécution de la convention no 122.
  95. C. Questions relatives à la convention (no 95) sur la protection du salaire, 1949
  96. 1. Allégations présentées
  97. 64. L'organisation plaignante allègue que les travailleurs expulsés, outre la perte de leur emploi, ont été également privés d'autres droits, tels que le paiement des salaires dus, en violation de la convention no 95.
  98. 2. Observations du gouvernement
  99. 65. Le gouvernement a fait les mêmes observations que pour la perte d'emplois et pose le principe de l'indemnisation réciproque des ressortissants des deux pays.
  100. 3. Conclusions du comité
  101. 66. Le comité note, en ce qui concerne la convention no 95, que la réclamation porte sur le règlement final du salaire dû lorsque le contrat de travail prend fin.
  102. 67. Le comité se réfère à ce sujet à l'article 12, paragraphe 2, de la convention, qui prévoit que:
  103. Lorsque le contrat de travail prend fin, le règlement final de la totalité du salaire dû sera effectué conformément à la législation nationale, à une convention collective ou à une sentence arbitrale ou, à défaut d'une telle législation, d'une telle convention ou d'une telle sentence, dans un délai raisonnable, compte tenu des dispositions du contrat.
  104. 68. Le comité note qu'aux termes de cette disposition de la convention le règlement final du salaire doit être effectué quelle que soit la cause de cessation du contrat de travail.
  105. 69. Le comité relève également qu'aux termes de l'article 2, paragraphe 1, de la convention, celle-ci "s'applique à toutes personnes auxquelles un salaire est payé ou payable", et que, par conséquent, la question de la nationalité du salarié n'a pas d'effet quant à l'application de cette convention.
  106. 70. Le comité note en outre que le gouvernement n'a pas fait usage des dispositions de l'article 2, paragraphes 2 et 3, de la convention prévoyant la possibilité d'exclure certaines catégories de personnes du champ d'application de la convention.
  107. 71. Le comité conclut, des considérations qui précèdent, que la convention s'applique à tous les travailleurs ayant dû quitter la Mauritanie, indépendamment de leur nationalité et des motifs invoqués pour leur départ et licenciement.
  108. 72. Le comité note que, pour les travailleurs régis par le Code du travail, l'article 90 du code prévoit qu'en cas de rupture du contrat de travail les salaires et les accessoires du salaire, les primes et les indemnités de toute nature dus au travailleur au moment de la rupture doivent être payés dès la cessation du service. Le code précise qu'en cas de litige l'employeur peut obtenir du président du tribunal du travail l'immobilisation provisoire entre ses mains de tout ou partie de la fraction saisissable des sommes dues.
  109. 73. En ce qui concerne les fonctionnaires et agents auxiliaires, le comité note que le statut général de la fonction publique (article 34) et la loi sur les agents auxiliaires (article 23), déjà mentionnés, prévoient que les fonctionnaires et agents ont droit, après service fait, à une rémunération.
  110. 74. Le comité constate que la législation citée établit ainsi une protection telle que celle visée à l'article 12, paragraphe 2, de la convention no 95.
  111. 75. Le comité note toutefois, d'après la déclaration du gouvernement et les circonstances du départ des travailleurs concernés, que le règlement final du salaire qui leur était dû n'a pas pu en toute probabilité être effectué conformément aux prescriptions pertinentes de la convention comme de la législation nationale. Le comité doit par conséquent en conclure que l'article 12, paragraphe 2, de la convention n'a pas été respecté.
  112. 76. Le comité considère que le gouvernement devrait prendre toutes les mesures nécessaires en vue d'établir ou de faire établir les sommes dues aux travailleurs du secteur public comme du secteur privé qui ont quitté la Mauritanie à la suite des événements d'avril 1989, et d'effectuer ou d'assurer le règlement final de leur salaire, en tenant compte, ce faisant, de la définition du terme "salaire" à l'article 1, paragraphe 1, de la convention comme des dispositions pertinentes de la législation nationale.
  113. 77. Etant donné les circonstances du départ des travailleurs concernés et des difficultés qui pourraient en résulter pour établir la preuve et le montant des sommes dues, le comité estime hautement souhaitable que le gouvernement puisse, à cette fin, s'assurer le concours du BIT et des organismes ayant pris part aux mesures d'assistance et d'accueil des travailleurs en question.
  114. D. Questions relatives à la convention (no 102) concernant la sécurité sociale (norme mininum), 1952 (Note 8); et à la convention (no 118) sur l'égalité de traitement (sécurité sociale), 1962 (Note 9)
  115. 1. Allégations présentées
  116. 78. L'organisation plaignante allègue que les travailleurs expulsés, outre la perte de leurs emplois, ont également été privés d'autres droits, tels que le paiement des pensions et d'autres prestations de sécurité sociale, en violation des conventions nos 102 et 118.
  117. 2. Observations du gouvernement
  118. 79. Le gouvernement a fait les mêmes observations que pour la perte d'autres droits et pose le principe de l'indemnisation réciproque des ressortissants des deux pays.
  119. 3. Conclusions du comité
  120. 80. En l'absence de plus de précisions de la part de l'organisation plaignante, le comité ne peut formuler que des conclusions d'ordre général sur l'application des conventions nos 102 et 118 dans la situation à l'examen.
  121. 81. Le comité constate ainsi que l'expulsion des travailleurs dont fait état l'organisation plaignante est susceptible de poser certaines questions en ce qui concerne la conservation des droits acquis et en cours d'acquisition en vertu de la législation de sécurité sociale mauritanienne, et notamment le service des prestations de sécurité sociale dans le nouveau pays de résidence de ces travailleurs, c'est-à-dire le Sénégal. Cette question sera examinée successivement pour chacune des conventions susmentionnées.
  122. Convention no 102
  123. 82. Le comité note que la convention no 102 ne contient pas de disposition relative à la conservation des droits acquis ou en cours d'acquisition et n'exige donc pas le paiement des prestations de sécurité sociale en cas de transfert de résidence du bénéficiaire à l'étranger. Ainsi, l'article 69, alinéa a), de la convention autorise la suspension desprestations "aussi longtemps que l'intéressé ne se trouve pas sur le territoire du Membre". En outre, le principe de l'égalité de traitement entre étrangers et nationaux, prévu à l'article 68 de la convention, ne s'applique qu'aux non-nationaux résidant dans le pays considéré, comme l'indique le titre même de cette disposition, ainsi que les intentions manifestées lors des travaux préparatoires de la convention (Note 10). L'application de la convention n'est donc pas directement mise en cause dans le cadre de la réclamation.
  124. Convention no 118
  125. 83. En ce qui concerne la convention no 118, le comité note que, selon l'article 5, paragraphe 1, de la convention, "... tout Membre qui a accepté les obligations de la présente convention, pour l'une ou plusieurs des branches de sécurité sociale dont il s'agit au présent paragraphe, doit assurer, à ses propres ressortissants et aux ressortissants de tout autre Membre ayant accepté les obligations de ladite convention pour une branche correspondante, en cas de résidence à l'étranger, le service des prestations d'invalidité, des prestations de vieillesse, des prestations de survivants et des allocations au décès, ainsi que le service des rentes d'accidents du travail et de maladies professionnelles...".
  126. 84. Le comité note que cette disposition, qui a pour but de garantir le service des prestations au bénéficiaire en cas de résidence à l'étranger, ne s'applique pas à tous les types de prestations pour lesquelles les obligations de la convention peuvent être acceptées, mais seulement aux prestations à long terme ainsi qu'aux allocations au décès. En outre, elle ne s'applique qu'aux propres ressortissants de l'Etat concerné ainsi qu'aux ressortissants de tout autre Etat ayant accepté la convention pour cette même branche.
  127. 85. Sur la base de cette disposition de la convention, le comité constate que, le Sénégal n'ayant pas ratifié la convention no 118, aucune obligation découlant de l'article 5 ne saurait être mise à la charge du gouvernement mauritanien en ce qui concerne les ressortissants sénégalais rapatriés. Par contre, dans le cas des travailleurs ou des membres de leurs familles ayant la nationalité mauritanienne qui auraient fait l'objet d'une mesure d'expulsion, le comité note que le gouvernement a l'obligation, aux termes de l'article 5 de la convention, de leur assurer le service, dans leur nouveau lieu de résidence, de toutes prestations du type visé au paragraphe 1 de l'article 5 de la convention auxquelles ils auraient eu droit avant de quitter la Mauritanie, à l'exception des prestations versées dans le cadre des régimes spéciaux applicables aux fonctionnaires (Note 11). En effet, la Mauritanie a accepté les obligations de la convention pour toutes les branches mentionnées par cette disposition.
  128. 86. Compte tenu des conclusions formulées au sujet de l'application des autres conventions mises en cause et particulièrement au sujet de la convention no 111, le comité estime souhaitable que le gouvernement prenne les mesures nécessaires en vue de faire établir, avec le concours d'organismes concernés, et notamment celui du BIT, les prestations dont seraient éventuellement bénéficiaires, au titre de l'article 5 de la convention no 118, des ressortissants mauritaniens qui ont dû quitter la Mauritanie à la suite des événements d'avril 1989 et, le cas échéant, d'assurer à ces bénéficiaires le service des prestations en question, conformément aux dispositions pertinentes de la convention.
  129. III. Recommandations du comité
  130. 87. Se référant aux conclusions auxquelles il a abouti sur les questions relatives aux conventions dont l'application est mise en cause, le comité recommande au Conseil d'administration:
  131. 1) D'approuver le présent rapport et en particulier les conclusions et recommandations qui y sont formulées.
  132. 2) D'inviter le gouvernement de la République islamique de Mauritanie à prendre les mesures préconisées dans les conclusions du comité relatives aux questions examinées, notamment:
  133. a) Questions relatives à la convention no 111
  134. i) Il conviendrait que le gouvernement prenne toutes les mesures appropriées en vue de déterminer, en toute équité et objectivité et conformément aux dispositions légales applicables, la nationalité des personnes déplacées du territoire de la Mauritanie à la suite des événements d'avril 1989 et se réclamant de la nationalité mauritanienne, dans tous les cas où cette nationalité n'est pas considérée comme établie.
  135. ii) Il conviendrait que le gouvernement déploie tous les efforts en vue de réparer les préjudices portés aux ressortissants mauritaniens ayant fait l'objet de discrimination par la réintégration de ces personnes dans leurs droits.
  136. b) Questions relatives à la convention no 122
  137. i) Voir sous a) ii) ci-dessus, questions relatives à la convention no 111.
  138. ii) Il conviendrait que le gouvernement prenne les mesures appropriées en vue de réparer les préjudices causés aux personnes déplacées.
  139. c) Questions relatives à la convention no 95
  140. Il conviendrait que le gouvernement prenne les mesures nécessaires en vue d'un règlement final du salaire dû aux personnes concernées, conformément aux dispositions pertinentes de la convention no 95.
  141. d) Questions relatives à la convention no 118
  142. Il conviendrait que le gouvernement prenne les mesures nécessaires, conformément aux dispositions pertinentes de la convention no 118, en vue de faire établir et d'assurer le service des prestations éventuellement dues aux ressortissants mauritaniens qui ont quitté la Mauritanie.
  143. 3) D'inviter le gouvernement, en prenant les mesures ci-dessus mentionnées, de s'assurer le concours du Bureau international du Travail et d'autres organismes concernés, notamment ceux ayant pris part à l'assistance et l'accueil des personnes déplacées.
  144. 4) D'inviter le gouvernement à fournir des informations sur les mesures qu'il aura prises pour donner suite aux recommandations figurant sous 2 et 3 ci-dessus, ainsi que les résultats de ces mesures, dans les rapports à présenter au plus tard le 15 octobre 1991 par le gouvernement au titre de l'article 22 de la Constitution, pour permettre à la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations d'en assurer le suivi.
  145. 5) De prier le Directeur général de porter à l'attention du Conseil d'administration, en temps approprié, les résultats de l'examen de la situation par les organes de contrôle régulier.
  146. 6) De déclarer close la procédure engagée par la présente réclamation.
  147. Genève, 12 novembre 1990 (Signé) G. Brinkmann, Président.
  148. L. Sasso-Mazzufferi.
  149. M. Blondel.
  150. Note 1
  151. Convention no 95 ratifiée le 20 juin 1961; convention no 102 ratifiée le 15 juillet 1968; convention no 111 ratifiée le 8 novembre 1963; convention no 118 ratifiée le 15 juillet 1968; convention no 122 ratifiée le 30 juillet 1971.
  152. Note 2
  153. Voir paragr. 21 et 24 ci-après.
  154. Note 3
  155. Le comité a pris connaissance également du Livre blanc sur le différend avec le Sénégal, publié par la République islamique de Mauritanie le 31 août 1989.
  156. Note 4
  157. Voir "Egalité dans l'emploi et la profession", Etude d'ensemble de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, Conférence internationale du Travail, 75e session (1988), rapport III (partie 4 B), paragr. 17.
  158. Note 5
  159. Ibid., paragr. 86.
  160. Note 6
  161. Sur la question du licenciement (voir plus loin), le comité note que le gouvernement n'a pas mentionné le motif de la radiation immédiate des cadres de la fonction publique entraînant la perte de la nationalité (articles 63 et 105 de la loi no 67-169 de 1967).
  162. Note 7
  163. Le comité note que, l'abandon de poste n'est stipulé que dans le statut général de la fonction publique, dont les emplois, comme on l'a vu, exigent la nationalité mauritanienne. La loi no 67-169, telle qu'amendée, dispose dans son article 64 qu'en cas d'abandon de poste le fonctionnaire est radié d'office, sans consultation du conseil de discipline. Néanmoins, l'alinéa 2 de cet article prévoit que: "Cette décision doit être précédée d'une mise en demeure écrite du ministre chargé de la Fonction publique par laquelle le fonctionnaire sera informé de la mesure à laquelle il s'expose en ne déférant pas dans un délai de quinze jours à compter de la réception dûment constatée de cette mise en demeure à l'ordre de reprendre son service ou de rejoindre le poste qui lui avait été assigné." Dans le cas des agents auxiliaires, la loi no 74-071 prévoit le licenciement sans préavis en cas de faute lourde, parmi les sanctions disciplinaires (article 29), dont aucune cependant ne peut être prononcée sans que l'agent incriminé ait été appelé à présenter ses explications (article 34). Pour ce qui est des autres travailleurs, le comité note que le Code du travail prévoit que "la rupture du contrat peut intervenir sans préavis en cas de faute lourde, sous réserve de l'appréciation de la juridiction compétente en ce qui concerne la gravité de la faute" (Livre premier, article 22, du Code). La notion de faute lourde n'est ainsi pas définie par le Code, elle est appréciée par les tribunaux du travail compétents pour connaître des différends individuels relatifs au contrat de travail (Livre quatrième, Titre premier, du Code). Une disposition similaire se trouve également à l'article 27 de la convention collective du travail.
  164. Note 8
  165. La Mauritanie a accepté les obligations de la convention pour les Parties V (Prestations de vieillesse), VI (Prestations en cas d'accidents du travail et de maladies professionnelles), VII (Prestations aux familles), IX (Prestations d'invalidité) et X (Prestations de survivants).
  166. Note 9
  167. La Mauritanie a accepté les obligations de la convention pour les branches suivantes: d) prestations d'invalidité; e) prestations de vieillesse; f) prestations de survivants; g) prestations d'accidents du travail et maladies professionnelles; i) prestations aux familles.
  168. Note 10
  169. Voir également dans ce sens le mémorandum adressé par le BIT au gouvernement de la France au sujet de certaines dispositions de la convention no 102 (Bulletin officiel, vol. XLVIII, no 4, 1965, p. 353).
  170. Note 11
  171. En vertu de son article 10, paragraphe 2, la convention ne s'applique pas aux régimes spéciaux des fonctionnaires, notamment.
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