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RECLAMATION (article 24) - ESPAGNE - C097, C111, C122 - 1998

1. Confédération générale des travailleurs de l'Argentine (CGT)

Clos

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Rapport du Comité chargé d'examiner la réclamation alléguant l'inexécution par l'Espagne de la convention (no 97) sur les travailleurs migrants (révisée), 1949, de la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, et de la convention (no 122) sur la politique de l'emploi, 1964, présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Confédération générale des travailleurs de l'Argentine (CGT)

Rapport du Comité chargé d'examiner la réclamation alléguant l'inexécution par l'Espagne de la convention (no 97) sur les travailleurs migrants (révisée), 1949, de la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, et de la convention (no 122) sur la politique de l'emploi, 1964, présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Confédération générale des travailleurs de l'Argentine (CGT)

Decision

Decision
  1. Le Conseil d'administration a adopté le rapport du comité tripartite. Procédure close.

La procédure de plainte

La procédure de plainte
  1. I. Introduction
  2. 1. Par une communication reçue le 7 octobre 1997, la Confédération générale des travailleurs de l'Argentine (CGT) a présenté, en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, une réclamation alléguant que le gouvernement de l'Espagne n'a pas assuré de manière satisfaisante l'exécution de la convention (no 97) sur les travailleurs migrants (révisée), 1949, de la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, et de la convention (no 122) sur la politique de l'emploi, 1964.
  3. 2. Les conventions nos 97, 111 et 122 ont été ratifiées par l'Espagne et sont en vigueur pour ce pays.
  4. 3. Les dispositions de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail relatives à la présentation des réclamations sont les suivantes:
  5. Article 24
  6. Toute réclamation adressée au Bureau international du Travail par une organisation professionnelle des travailleurs ou des employeurs, et aux termes de laquelle l'un quelconque des Membres n'aurait pas assuré d'une manière satisfaisante l'exécution d'une convention à laquelle ledit Membre a adhéré, pourra être transmise par le Conseil d'administration au gouvernement mis en cause et ce gouvernement pourra être invité à faire sur la matière telle déclaration qu'il jugera convenable.
  7. Article 25
  8. Si aucune déclaration n'est reçue du gouvernement mis en cause dans un délai raisonnable, ou si la déclaration reçue ne paraît pas satisfaisante au Conseil d'administration, ce dernier aura le droit de rendre publiques la réclamation reçue et, le cas échéant, la réponse faite.
  9. 4. La procédure suivie en cas de réclamation se fonde sur le règlement révisé adopté par le Conseil d'administration à sa 212e session en mars 1980. Conformément aux articles 1 et 2, paragraphe 1, de ce règlement, le Directeur général a accusé réception de la réclamation et en a informé le gouvernement de l'Espagne, puis a transmis la réclamation au bureau du Conseil d'administration.
  10. 5. A sa 270e session (novembre 1997), le Conseil d'administration, se fondant sur la recommandation de son bureau, a déclaré la réclamation recevable et a désigné un comité chargé de son examen, constitué de M. D. Willers (président, membre gouvernemental, Allemagne), M. R. Falbr (membre travailleur, République tchèque) et M. D.C.L. Funes de Rioja (membre employeur, Argentine).
  11. 6. Conformément aux dispositions de l'article 4, paragraphe 1, alinéas a) et c), du règlement, le comité a décidé a) d'inviter l'organisation plaignante à présenter toute information complémentaire avant le 16 février 1998; et b) d'inviter le gouvernement à faire une déclaration sur la réclamation d'ici au 16 février 1998, étant entendu que toute information complémentaire présentée par l'organisation plaignante serait transmise au gouvernement pour commentaires. Une lettre de rappel a été envoyée au gouvernement le 19 février 1998.
  12. 7. Le gouvernement a présenté ses observations par des communications datées des 4 et 24 mars 1998.
  13. 8. Le comité s'est réuni en juin 1998 pour l'adoption de son rapport.
  14. II. Examen de la réclamation
  15. A. Allégations présentées par le plaignant
  16. 9. Dans sa réclamation, la CGT a allégué, au nom de l'Association des odontologistes diplômés d'Argentine, qu'il y avait eu discrimination en matière d'emploi, malgré les trois conventions de l'OIT qui avaient été ratifiées, et violation de l'Accord bilatéral de coopération culturelle conclu en 1971 entre l'Espagne et l'Argentine, en vertu duquel ces deux pays reconnaissent mutuellement les diplômes universitaires, quels que soient leur ordre ou leur degré, délivrés ou reconnus par l'autre pays, cette violation étant constituée par le refus de l'Espagne de continuer à autoriser les dentistes ayant obtenu leur diplôme en Argentine à travailler en Espagne.
  17. 10. La CGT a expliqué qu'en 1986 on avait créé en Espagne la licence d'odontologie et que, jusque là, il n'y avait pas dans la péninsule d'odontologistes espagnols ayant effectué leurs études en Espagne. Il convient de préciser également que, dans ce domaine, les cursus de diverses universités argentines avaient été adoptés par les universités espagnoles afin de satisfaire aux conditions requises par la Communauté européenne. Or, depuis 1990-1992, les diplômes d'odontologie délivrés en Argentine ne sont pas homologués, et les démarches administratives engagées dans ce sens n'aboutissent pas. Depuis 1990, sous prétexte que les diplômes hispano-américains sont d'un niveau inférieur, les diplômés doivent passer un examen global d'homologation, lequel consiste en une série d'épreuves qui peuvent porter sur la moitié des matières étudiées. La CGT rappelle qu'en vertu de la directive 78/687 de la Communauté européenne les Etats membres sont libres de reconnaître des diplômes délivrés en dehors de la Communauté. Il a toutefois été recommandé à l'Espagne de ne pas reconnaître des diplômes d'un niveau inférieur à celui des diplômes européens. La CGT souligne toutefois que l'on ne peut pas considérer que la formation odontologique dispensée en Argentine est inférieure à celle qui existe en Espagne ou en Europe, et a joint une copie des programmes d'odontologie à sa demande. Elle a aussi fourni une copie d'un rapport intitulé "L'Espagne et la reconnaissance de diplômes" préparé en mai 1997 par la Direction générale des affaires culturelles du ministère des Relations extérieures, du Commerce international et du Culte qui juge "improbable que les diplômes argentins soient inférieurs aux diplômes espagnols ou européens". Près de 700 personnes ont été touchées par cette mesure.
  18. 11. Selon la CGT, ces personnes n'ont reçu aucune information officielle écrite et digne de foi sur les modalités de l'examen global d'homologation, et les autorités espagnoles compétentes se sont bornées à leur fournir des explications orales. La CGT cite les démarches qui ont été engagées le 21 juin 1990 par le Dr Silvana Ruth Schachter. La décision administrative prise à l'encontre de cette personne par le ministère espagnol de l'Education et de la Science ne précise pas en quoi consistent les lacunes décelées dans son programme d'études.
  19. 12. La CGT cite le cas d'odontologistes espagnols et argentins qui, alors qu'ils avaient poursuivi leurs études dans la même université en Argentine, ont connu un sort différent. Les diplômes des citoyens espagnols ont été homologués sans difficulté. Il en a été autrement pour les citoyens argentins, qui ont dû passer un examen global d'homologation au motif que 13 des disciplines qu'ils avaient étudiées présentaient des lacunes. La faculté d'odontologie de l'Université nationale de Rosario a effectué une étude circonstanciée des matières qui étaient censées présenter des lacunes. Il est apparu que l'enseignement dispensé dans cette université était tout à fait conforme aux critères de la commission technique du Conseil des universités de l'Espagne. D'après la CGT, la seule explication possible est que l'Espagne fait intentionnellement preuve de discrimination à l'égard des odontologistes d'origine étrangère.
  20. 13. A la suite des actions intentées pour obtenir l'homologation de leurs diplômes, jusqu'en 1996, la justice a fait droit aux odontologistes argentins, étant donné que leur diplôme devait être homologué automatiquement. Toutefois, cette situation a changé vers la fin de 1996, et la Cour suprême espagnole a modifié une qu'elle rendait depuis des années. Ainsi, de nombreux travailleurs argentins employés dans différents établissements ont été licenciés et même poursuivis pénalement pour "intrusion". Selon la CGT, le Conseil général des collèges d'odontologistes et de stomatologues d'Espagne se serait livré à une "chasse aux sorcières" en invitant ses membres à dénoncer les Argentins qui exercent l'odontologie et qui devraient donc être poursuivis.
  21. 14. S'agissant de la convention no 111, la CGT estime que les odontologistes argentins bénéficient de la protection de l'article 1er dès lors que le concept d'ascendance nationale, ou subsidiairement l'article 1er, paragraphe 1 b), peut leur être appliqué. La CGT ajoute que, les travailleurs argentins n'étant pas moins qualifiés que les diplômés d'Espagne ou des autres pays européens, la discrimination dont ils font l'objet n'entre pas dans le cadre du paragraphe 2 de ce même article (qualifications exigées pour un emploi).
  22. 15. Le fait de ne pas avoir des qualifications reconnues comme équivalentes a empêché les travailleurs argentins d'obtenir un contrat comme odontologistes et les a obligés à recourir à toutes sortes de "travaux de substitution" (agent d'assurances, auxiliaire de clinique, prothésiste dentaire, hygiéniste dentaire, etc.) pour justifier leur présence dans une clinique dentaire en cas d'inspection. On ne saurait donc parler en l'espèce d'égalité de traitement en matière d'emploi. Ce cas témoigne d'une préférence et d'une distinction exagérées qui font que des travailleurs qui devraient bénéficier du même traitement dans l'emploi en vertu de la convention no 111 se voient accorder des conditions inférieures.
  23. 16. S'agissant de la convention no 97, la CGT estime que, même si le Conseil d'administration devait conclure à l'absence de violation de la convention no 111, l'attitude de l'Etat espagnol constitue de toute façon une violation des dispositions de la convention no 97. Rappelant le contenu de l'article 2 de cette convention ("Tout Membre pour lequel la présente convention est en vigueur s'engage à avoir, ou à s'assurer qu'il existe, un service gratuit approprié chargé d'aider les travailleurs migrants et notamment de leur fournir des informations exactes."), la CGT fait remarquer que l'Etat espagnol n'a fourni aucune information exacte, et que l'examen des questions ayant trait à la validation des diplômes se résume à un rapport du Conseil des universités qui ne donne aucune précision et qui n'explique pas quelles sont les lacunes supposées de la formation incriminée. La CGT ajoute qu'en refusant d'homologuer les diplômes des intéressés et en poursuivant ces derniers en justice pour "intrusion" le Conseil général des collèges d'odontologistes et de stomatologues d'Espagne viole les dispositions du paragraphe 1 de l'article 3 ("Tout Membre pour lequel la présente convention est en vigueur s'engage, dans la mesure où la législation nationale le permet, à prendre toutes mesures appropriées contre la propagande trompeuse concernant l'émigration et l'immigration."). Une telle campagne ne peut qu'induire en erreur, semer la confusion et susciter la crainte, et oblige des odontologistes diplômés à accepter, pour pouvoir exercer, des postes inférieurs à ceux auxquels ils pourraient prétendre.
  24. 17. Rappelant le contenu de l'article 6, paragraphe 1 ("Tout Membre pour lequel la présente convention est en vigueur s'engage à appliquer, sans discrimination de nationalité, de race, de religion ni de sexe, aux immigrants qui se trouvent légalement dans les limites de son territoire, un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui qu'il applique à ses propres ressortissants en ce qui concerne ... la rémunération, y compris les allocations familiales lorsque ces allocations font partie de la rémunération, la durée du travail, les heures supplémentaires, les congés payés, les restrictions au travail à domicile, l'âge d'admission à l'emploi, l'apprentissage et la formation professionnelle, le travail des femmes et des adolescents; ... et la jouissance des avantages offerts par les conventions collectives; et des arrangements appropriés visant le maintien des droits acquis et des droits en cours d'acquisition..."), la CGT souligne que les odontologistes argentins qui ont été contraints, devant le refus de valider leurs diplômes, de maquiller leur contrat de travail bénéficient d'un traitement moins favorable que les travailleurs espagnols ou d'autres d'autres nationalités européennes en ce qui concerne la rémunération, les allocations familiales, la durée du travail et les heures supplémentaires. Etant réduits à accepter des emplois d'une catégorie inférieure, celle d'hygiéniste dentaire par exemple, ils ne bénéficient d'aucun des avantages que la convention collective prévoit pour la catégorie qui devrait être la leur. Par ailleurs, aucun droit acquis ou en cours d'acquisition ne leur est reconnu dans la mesure où, du fait des poursuites judiciaires dont ils font l'objet, ils sont amenés à renoncer à ces droits en échange de la promesse qui leur est faite de ne pas dévoiler leur identité.
  25. 18. S'agissant de la convention no 122, la CGT déclare que l'article 1er, paragraphe 2 c), n'a pas été respecté dans la mesure où c'est l'ascendance nationale (argentine en l'occurrence) des odontologistes qui ont obtenu leur diplôme dans une université argentine qui a motivé la différence de traitement concernant la validation des diplômes. Cela témoigne d'une différenciation et d'une discrimination très nettes à l'égard des travailleurs argentins, ainsi que d'une restriction flagrante du droit d'exercer la liberté de choix de l'emploi, dans la mesure où, du fait de leur ascendance nationale, malgré leur formation, ils ne peuvent pas trouver un emploi dans une clinique en tant qu'odontologistes.
  26. 19. Enfin, la CGT a demandé que l'Etat espagnol déclare et justifie son refus d'homologuer les diplômes, refus qui limite les possibilités de travail des odontologistes argentins, et qu'il fasse savoir pour quelles raisons il n'applique pas à la lettre l'Accord de coopération culturelle toujours en vigueur. Si le gouvernement espagnol donne comme motif les lacunes supposées des diplômes argentins, la CGT aimerait aussi que le Conseil des universités d'Espagne effectue une étude approfondie comparant les programmes d'études des universités espagnoles et ceux des universités argentines ainsi que les exigences de la Communauté européenne, tant du point de vue du temps consacré aux études que du point de vue du contenu des programmes. La CGT demande par ailleurs au gouvernement d'indiquer s'il y a eu des poursuites judiciaires pour "intrusion" de la part des autorités espagnoles et/ou des dénonciations de la part du Conseil général des collèges d'odontologistes et de stomatologues d'Espagne à l'encontre d'odontologistes argentins, combien de diplômes ont été homologués depuis 1971 et quelles différences il y a, du point de vue de la formation, d'une part, entre ces diplômes et ceux qui n'ont pas été homologués et, d'autre part, entre ces mêmes diplômes et les diplômes espagnols. Elle le prie également d'expliquer pourquoi, à égalité de conditions, les diplômes des citoyens espagnols ont été homologués, alors que des citoyens argentins qui avaient fait leurs études pendant le même nombre d'années, sous la même forme et dans la même université argentine, se voyaient refuser cette homologation.
  27. B. Observations du gouvernement
  28. 20. Dans sa lettre du 4 mars 1998, le gouvernement déclare que la réclamation contient de nombreuses affirmations non fondées. Tout d'abord, il expose la nature de l'Accord de coopération culturelle de 1971, qui s'applique exclusivement à un certain nombre d'activités énumérées dans le domaine de la coopération culturelle: aide à la création d'établissements d'enseignement supérieur, reconnaissance des titres universitaires, élaboration d'un programme d'équivalences pour les études universitaires partielles, promotion des bourses de formation continue, échanges de professeurs, de lecteurs, d'écrivains, de journalistes, d'artistes, d'étudiants et de responsables des établissements culturels; organisation de concerts et autres manifestations artistiques; encouragement des activités visant à la diffusion de l'espagnol; réciprocité de l'accès à la documentation et aux recherches historiques et culturelles et échanges de publications en général; assistance en matière d'exonérations fiscales et d'importation de matériel culturel et artistique; promotion des échanges touristiques et assistance à la coopération entre les médias commerciaux; promotion d'expositions artistiques de haut niveau mettant en relief la communauté d'héritage culturel; contacts sportifs.
  29. 21. En deuxième lieu, le gouvernement déclare que, si l'Accord de coopération culturelle contient effectivement une brève mention de la reconnaissance mutuelle des titres universitaires et de l'exercice dans les deux pays de la profession correspondant aux qualifications de l'intéressé, cette disposition a un sens précis, différent de celui que lui attribue la réclamation. Le gouvernement cite à cet égard l'article 2 de l'Accord.
  30. 22. Selon le gouvernement, les règles du droit espagnol régissant l'autorisation d'exercer la profession de dentiste figurent dans la loi no 10/1986 (qui impose un diplôme universitaire et exige que les études, la formation et la spécialisation soient adaptées aux normes et directives de la Communauté européenne), le décret royal no 970/1986 (règles d'obtention du titre de licencié en odontologie, adaptées aux exigences de la Communauté européenne en matière de formation) et décret royal no 1418/1990 (modifiant l'annexe au décret royal no 970). Le gouvernement souligne qu'il est inexact d'affirmer que la profession dentaire n'est apparue en Espagne qu'en 1986, puisque cette profession est régie par des règlements qui remontent à 1875, différents textes législatifs ayant abouti à la loi no 10/1986. Il est également inexact d'affirmer que les programmes universitaires argentins ont été adoptés par les universités espagnoles, puisque le décret royal no 970/1986 s'est aligné sur la norme de la Communauté européenne contenue dans la directive 78/687/CEE, qui comporte notamment un programme d'études pour les dentistes et l'autorisation pour les Etats Membres de n'accepter l'accès à la profession des personnes agréées en dehors de la CEE que si leur formation correspond aux exigences énoncées dans les directives de celle-ci, comme la réalisation du programme d'études détaillé des dentistes, l'accomplissement d'un minimum de cinq ans d'études à temps complet et la formation dans des domaines comme la médecine et la chirurgie.
  31. 23. Conformément au décret royal no 86/1987, qui porte sur l'homologation des qualifications universitaires obtenues en dehors de l'Espagne, le ministère de l'Education et de la Science avait homologué quelque 6 000 qualifications universitaires argentines en 1990, date à laquelle la Commission des Communautés européennes a écrit au gouvernement. Plus de 2 200 de ces homologations portaient sur des qualifications odontologiques et indiquaient expressément qu'elles n'impliquaient pas que les qualifications en question répondaient aux exigences imposées par les directives de la CEE. Le gouvernement souligne que, durant la même période, l'Argentine a homologué 284 qualifications universitaires espagnoles, dont une était le fait d'un dentiste. Durant la même période également, les premiers diplômés de l'école dentaire espagnole sont entrés sur le marché du travail. La lettre de la Commission de la CEE en date du 19 octobre 1990 appelait l'attention de l'Espagne sur le fait que, à compter de son entrée dans les Communautés, elle n'était plus autorisée à reconnaître les qualifications provenant de pays tiers qui ne répondaient pas aux exigences de la législation communautaire, non plus qu'à permettre aux détenteurs de qualification accordée à la suite d'études dentaires d'accéder à la profession de dentiste ou de l'exercer. La Commission, notant que l'Espagne homologuait des qualifications en vertu d'un accord bilatéral sans s'assurer que la formation des détenteurs de ces qualifications répondaient aux normes minimum de la CEE, a estimé par la suite, en 1992, que ce pays ne se conformait pas aux directives applicables de la CEE. Elle a demandé à l'Espagne de prendre les mesures nécessaires pour remédier à cette situation, faute de quoi elle s'exposerait à des poursuites devant la Cour européenne de Justice.
  32. 24. Selon le gouvernement, le ministère de l'Education et de la Science s'est engagé, à compter d'octobre 1990, à modifier l'ensemble des formulaires administratifs utilisés dans la procédure d'homologation, en particulier ceux qui concernent les professions pour lesquelles les exigences de formation ont été précisées par des directives de la CEE, dont celles de dentiste. Après un examen attentif, le Conseil des universités a constaté des lacunes dans certains domaines de la formation et, voulant respecter à la fois les engagements imposés par l'Accord de coopération culturelle signé avec l'Argentine et les normes de la CEE, a soumis l'homologation des qualifications à un examen dans ces domaines. Le gouvernement souligne que, si l'on n'avait pas pris l'Accord en considération, les demandes d'homologation auraient été refusées. Il souligne également que le Conseil des universités n'a jamais considéré que la formation dispensée aux dentistes argentins était inférieure à la formation espagnole. Il a simplement noté des lacunes dans certaines matières qui font obligatoirement partie du programme d'études espagnol. Il n'a pas écarté les détenteurs des qualifications en question, mais leur a simplement demandé de se soumettre à un examen dans ces matières pour pouvoir être agréés.
  33. 25. Le gouvernement nie que les dentistes tenus de se soumettre à cet examen n'aient pas été informés de façon officielle, écrite et authentique. Tous ceux qui en ont fait la demande ont reçu une notification individuelle indiquant les éléments juridiques en cause, dont la décision du Conseil des universités, ainsi que la liste des matières déficientes et un formulaire d'inscription à l'examen correspondant. Il souligne que la quasi-totalité des intéressés n'ont pas rempli ce formulaire d'inscription. Par ailleurs, déclare le gouvernement, un arrêté ministériel a été publié au Journal officiel du 12 juin 1992 pour faire connaître au public les conditions générales de participation aux examens et les compétences exigées pour la reconnaissance des qualifications universitaires étrangères, dont celles des dentistes.
  34. 26. Le gouvernement nie également que la gestion des candidatures à l'homologation ait été entachée de discrimination fondée sur la nationalité des candidats. Le Conseil des universités a simplement vérifié le niveau universitaire et scientifique des candidats, indépendamment de leur nationalité. En fait, déclare le gouvernement, cet organe s'est trouvé devant des cas où, après vérification du niveau en question, aucune insuffisance n'a été constatée et où il a donc recommandé d'homologuer le candidat sans lui faire passer d'examen. Tel a été le cas pour des dentistes qui avaient fait leurs études en Argentine mais qui possédaient déjà des diplômes en médecine et en chirurgie. A cet égard, le gouvernement souligne également que l'obligation de passer un examen a été imposée à nombre de citoyens espagnols qui s'étaient établis en Argentine pour obtenir leur titre de dentiste mais ne possédaient pas préalablement de diplômes en médecine et en chirurgie et souffraient donc des mêmes insuffisances de formation. Il cite des exemples des deux situations.
  35. 27. Le gouvernement conteste l'interprétation que fait la CGT des décisions judiciaires concernant les appels interjetés au sujet de la non-reconnaissance de qualifications équivalentes. Aucune jurisprudence de la Cour suprême n'admet l'homologation automatique de qualifications obtenues en Argentine (ou dans tout autre pays d'Amérique latine avec lequel l'Espagne a signé des accords culturels) pour le titre espagnol de "Licencié en odontologie" (Licenciado en Odontología), créé par la loi no 10/1986. Dans de nombreuses décisions rendues depuis 1996, qui constituent la base de la jurisprudence, conformément à l'article premier du Code civil, la Haute Cour a rendu des décisions dans des cas individuels tendant à exiger le passage d'un examen avant d'autoriser l'homologation de qualifications étrangères en odontologie. Le gouvernement s'appuie sur les termes de la loi no 10/1986 susmentionnée, selon lesquels, en vertu de l'Accord de coopération culturelle, les autorités doivent exercer un contrôle de l'équivalence des qualifications étrangères en question par rapport aux qualifications espagnoles.
  36. 28. Le gouvernement déclare qu'il ne se livre à aucune campagne de persécution contre les dentistes argentins -- ou de toute autre nationalité -- lesquels exercent librement leur profession dans le pays. Il sait que des plaintes ont été déposées devant les tribunaux espagnols de première instance par le Conseil général des collèges d'odontologistes et de stomatologues d'Espagne à l'encontre de certains dentistes espagnols ou étrangers, indépendamment de leur nationalité, pour non-respect des dispositions législatives relatives à l'exercice de la profession de dentiste en Espagne.
  37. 29. De manière générale, le gouvernement souligne que le ministère espagnol de l'Education et de la Science continue à appliquer l'Accord de coopération culturelle de 1971 en se fondant sur les principes suivants : 1) l'homologation est accordée aux qualifications argentines lorsque le niveau d'éducation et de formation auquel elles correspondent est égal aux normes minima fondamentales exigées par l'Espagne pour l'obtention des qualifications correspondantes (depuis 1990, quelque 9 000 qualifications universitaires argentines ont été homologuées sans condition); 2) lorsque la formation de l'intéressé ne correspond pas aux normes fondamentales, son homologation est soumise à la réussite d'un examen dans les domaines où des insuffisances ont été constatées (quelque 1 400 diplômes ont été ainsi octroyés au cours des sept dernières années); 3) l'homologation de certaines qualifications argentines n'a été refusée que dans les cas où les études suivies ne pouvaient être considérées comme correspondant aux normes minima des études espagnoles, sans préjudice pour l'intéressé du droit de demander à une université espagnole de valider partiellement les études en question.
  38. 30. En ce qui concerne la violation alléguée de la convention no 111, le gouvernement souligne que la situation des dentistes argentins ne relève pas de l'article 1, paragraphe 1 a) ou b), puisque le texte de cet article parle d'"ascendance nationale" et non de nationalité et que l'Espagne n'a pas fait de la nationalité un motif supplémentaire de discrimination interdite. De même, ces allégations ne relèvent pas de l'article 1, paragraphe 2, parce que l'exercice de la profession de dentiste en Espagne exige de l'intéressé la possession du diplôme de licencié en odontologie ou l'homologation correspondante lorsque les qualifications ont été obtenues en dehors d'Espagne. C'est à tort que l'organisation plaignante déclare que les dispositions de l'Accord de coopération culturelle entraînent une homologation automatique. En fait, cet Accord renvoie la question de l'exercice des professions à la réglementation nationale correspondante. Telle est aussi l'interprétation donnée par les tribunaux espagnols, comme indiqué ci-dessus.
  39. 31. Le gouvernement réfute également les allégations fondées sur la convention no 97, en particulier sur l'article 2, en vertu duquel tout membre pour lequel la convention est en vigueur s'engage à avoir, ou à s'assurer qu'il existe, un service gratuit approprié chargé d'aider les travailleurs migrants et notamment de leur fournir des informations exactes. Il rappelle que les demandes de tous les intéressés figurent dans des dossiers auxquels ils ont accès en tout temps. Il existe au sein de la Sous-direction générale des diplômes, des agréments et des homologations une unité chargée des relations avec le public qui s'occupe de ces demandes. Le gouvernement signale en outre que la procédure d'homologation est gratuite.
  40. 32. Les annexes à la lettre du gouvernement en date du 24 mars 1998 font apparaître que, selon les décisions prises par la Division du contentieux administratif de la Cour suprême de Justice au sujet de plaintes déposées par des citoyens argentins contre des décisions administratives de non-homologation de qualifications obtenues en Argentine, l'obligation de passer un examen correspondant est légal.
  41. III. Conclusions du comité
  42. 33. Le comité note que cette réclamation se réfère à des allégations selon lesquelles le gouvernement espagnol aurait enfreint trois conventions ratifiées en cherchant à ajouter une formalité à la procédure d'homologation des diplômes étrangers d'odotonlogie, action qui irait aussi à l'encontre d'un accord bilatéral conclu par l'Espagne et l'Argentine sur la reconnaissance mutuelle des diplômes universitaires et le libre exercice d'une profession.
  43. 34. Le comité souhaite au préalable préciser qu'il n'est pas compétent pour se prononcer sur l'application de l'accord bilatéral ni pour recommander des moyens propres à permettre aux parties signataires d'atteindre, à leur satisfaction mutuelle, les objectifs qu'il énonce. Il ne revient pas non plus au comité d'établir les obligations qui incombent à l'Espagne en vertu d'un accord bilatéral auquel elle a librement souscrit, ni la façon dont elle met en oeuvre le droit communautaire -- en l'occurrence les directives sur le respect de certaines normes pour la reconnaissance de certaines qualifications. Le mandat du comité est d'évaluer, sur la base des informations qui lui sont fournies, si les dispositions des instruments ratifiés de l'OIT ont été respectées. Avant toute chose, il souhaite également relever qu'aucune des observations dont est saisie la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations au sujet des trois instruments mentionnés dans cette réclamation ne fait état d'une discrimination sur la base de la nationalité argentine ou de l'origine des diplômes, en l'occurrence des universités argentines.
  44. 35. En ce qui concerne la convention no 111, le comité note que les paragraphes 1 et 2 de son article 1 sont libellés comme suit:
  45. 1. Aux fins de la présente convention, le terme "discrimination" comprend:
  46. a) toute distinction, exclusion aux préférences fondées sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l'opinion politique, l'ascendance nationale ou l'origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d'altérer l'égalité de chances ou de traitement en matière d'emploi ou de profession;
  47. b) toute autre distinction, exclusion ou préférence ayant pour effet de détruire ou d'altérer l'égalité de chances ou de traitement en matière d'emploi ou de profession, qui pourrait être spécifiée par le membre intéressé après consultation des organisations représentatives d'employeurs et de travailleurs, s'il en existe, et d'autres organismes appropriés.
  48. 2. Les distinctions, exclusions ou préférences fondées sur les qualifications exigées pour un emploi déterminé ne sont pas considérées comme des discriminations.
  49. L'organisation plaignante se réfère à une discrimination vis-à-vis d'Argentins dans l'homologation de diplômes universitaires argentins dont ils sont titulaires, autrement dit à une discrimination fondée sur la nationalité, et non sur l'ascendance nationale. Elle cherche à démontrer que ces deux termes sont équivalents. Cependant, comme l'indique l'Etude spéciale sur l'égalité dans l'emploi et la profession de 1996, aux paragraphes 33 et 34, la notion d'ascendance nationale contenue dans la convention no 111 ne vise pas les distinctions qui pourraient être faites entre les citoyens d'un pays donné et les personnes d'une autre nationalité, mais les distinctions établies entre les citoyens d'un même pays en fonction du lieu de naissance, de l'ascendance ou de l'origine étrangère. Qui plus est, le paragraphe 2 de l'article 1 cité par l'organisation plaignante à l'appui de sa réclamation ne permet pas de dire qu'il y a eu discrimination, puisqu'elle ne fournit aucun élément qui établirait que les autorités espagnoles exigeraient "des qualifications obtenues en Espagne ou dans un autre pays d'Europe" pour exercer la profession de dentiste, ce qui pourrait être contraire à la jurisprudence de l'OIT sur les conditions légitimement considérées comme absolument nécessaires pour l'exécution d'une tâche spécifique. Le comité estime donc qu'il n'y a pas eu violation de la convention no 111.
  50. 36. En ce qui concerne la convention no 122, le comité note que l'organisation plaignante se réfère aux dispositions de l'article 1, paragraphe 2, alinéa c), de la convention no 122 pour alléguer l'existence d'une pratique discriminatoire à l'encontre des travailleurs argentins au moment de l'homologation de leur diplôme, qui, en violation de ces dispositions, restreindrait le libre choix de l'emploi en fonction de l'ascendance nationale du travailleur.
  51. 37. Le comité fait observer qu'en disposant que la politique de l'emploi devra tendre à garantir qu'il y aura libre choix de l'emploi et que chaque travailleur aura toutes possibilités d'acquérir les qualifications nécessaires pour occuper un emploi qui lui convienne et d'utiliser, dans cet emploi, ses qualifications ainsi que ses dons, quelle que soit son ascendance nationale, cette disposition de la convention ne vise pas les distinctions qui pourraient être faites entre nationaux du pays concerné et ressortissants étrangers. La notion d'"ascendance nationale" a donc, dans cette disposition, la même portée qu'aux termes de la convention no 111, qui a été rappelée ci-dessus. En outre, le comité relève que l'organisation plaignante n'allègue pas que de telles distinctions résulteraient de la mise en oeuvre d'une politique de l'emploi au sens de la convention. En conséquence, le comité estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner plus avant les allégations d'inexécution de la convention no 122.
  52. 38. La convention no 97 est pertinente au regard des allégations en cela qu'elle prévoit non seulement des services chargés d'aider les travailleurs migrants et de leur fournir des informations, mais aussi l'application sans discrimination, notamment de nationalité, d'un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui appliqué par les Etats qui ont ratifié la convention à leurs propres ressortissants. Ces dispositions figurent dans les articles 2 et 6 cités par l'organisation plaignante. Celle-ci déclare que les dentistes argentins n'ont aucunement été informés des nouvelles formalités; elle ajoute que l'organisme chargé de vérifier le programme des diplômes étrangers n'a pas expliqué quelles sont les lacunes entraînant la nécessité pour les étrangers de passer de nouveaux examens. Le gouvernement réfute catégoriquement l'allégation relative à un défaut d'information, indiquant que le service d'homologation comprend une unité spécialement chargée de la communication avec le public, que par ailleurs les nouvelles procédures ont été publiées et qu'il est répondu individuellement à toutes les demandes d'information. Il explique que la directive de la CEE fixe certains critères relatifs à la durée des études et au contenu des programmes, qui se reflètent dans la législation espagnole concernant l'homologation et qui sont utilisés par le Conseil des universités. Il n'y a aucune preuve que cette formalité supplémentaire -- à savoir le passage d'un examen dans certaines disciplines -- n'a été appliquée qu'à des Argentins. En revanche, le gouvernement a présenté des cas montrant qu'il n'y a pas que des Argentins qui ont dû passer un examen et que cela a été exigé aussi d'Espagnols titulaires de diplômes argentins mais qui n'avaient pas étudié certains sujets comme condition nécessaire pour être autorisés à exercer en Espagne.
  53. 39. Le gouvernement a donc fait la preuve, de l'avis du comité, que l'organisme d'homologation n'a fait qu'ajouter une formalité supplémentaire à la procédure d'homologation, que cette formalité n'a rien à voir avec la nationalité du candidat et qu'il n'a pas appliqué aux dentistes argentins un traitement moins favorable que celui appliqué aux ressortissants espagnols. Le comité est d'avis que les faits qui lui sont soumis ne confirment pas l'allégation selon laquelle la formalité supplémentaire d'homologation serait contraire aux dispositions de la convention no 97.
  54. IV. Recommandations du comité
  55. 40. Le comité recommande au Conseil d'administration:
  56. a) d'approuver le présent rapport, et en particulier les conclusions figurant aux paragraphes 35, 37 et 39 ci-dessus, compte tenu des éléments soumis au Comité; et
  57. b) de déclarer close la procédure engagée à la suite de la réclamation présentée par la Confédération générale des travailleurs de l'Argentine (CGT) alléguant l'inexécution par l'Espagne de la convention (no 97) sur les travailleurs migrants (révisée), 1949, de la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, et de la convention (no 122) sur la politique de l'emploi, 1964.
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