Allégations: Les organisations plaignantes allèguent du harcèlement antisyndical
et de l’ingérence de l’employeur dans les affaires syndicales: le versement d’une prime
supplémentaire aux membres d’un syndicat précis ou à des travailleurs non syndiqués, et le
refus d’enregistrer un nouveau syndicat malgré le respect de toutes les exigences formelles
à cet effet
- 339. La plainte figure dans une communication de la Fédération des
travailleurs du secteur bancaire et métiers apparentés du Paraguay (FETRABAN), de la
Centrale unitaire des travailleurs-Authentique (CUT-A) et d’UNI Americas-Finances en
date du 18 août 2017. UNI Global Union a envoyé une communication pour appuyer la
plainte en date du 3 octobre 2017.
- 340. Le gouvernement a fait part de ses observations dans des
communications datées du 28 août 2018 et du 30 août 2023.
- 341. Le Paraguay a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 342. Dans leur communication en date du 18 août 2017, les organisations
plaignantes allègent de multiples violations des droits des travailleurs et des
organisations membres de la FETRABAN de la part de la Banque régionale SAECA (ci-après,
«l’établissement bancaire»), dont des violations des garanties qui entourent l’exercice
effectif de la liberté syndicale. Elles affirment aussi que l’inaction du gouvernement à
cet égard, doté d’institutions fragiles et vulnérables, a permis à l’établissement
bancaire de nuire quotidiennement aux droits des travailleurs et aux organisations de
ces derniers, l’État cautionnant bien souvent le harcèlement antisyndical de la part des
employeurs.
- 343. Les organisations plaignantes allèguent que l’établissement bancaire
a versé une prime supplémentaire discriminatoire aux seuls membres d’«un syndicat
précis» ou aux travailleurs non syndiqués, en excluant les travailleurs membres du
«syndicat des travailleurs de l’établissement bancaire». Elles affirment également que
l’inscription d’un nouveau syndicat, créé le 18 avril 2015 sous le nom d’«Organisation
des travailleurs de la Banque régionale (OTRABR)», a été refusée alors que toutes les
exigences formelles requises étaient respectées. Selon les allégations des organisations
plaignantes, l’établissement bancaire a mené une série d’actions visant à intimider et
effrayer les nouveaux dirigeants syndicaux et le personnel en général, notamment en
licenciant des dirigeants et des membres fondateurs du syndicat en cours de formation,
lesquels étaient protégés par les dispositions légales en vigueur. Dans ce contexte,
l’établissement bancaire a aussi fait pression sur d’autres travailleurs pour qu’ils
renoncent à adhérer à cette nouvelle organisation afin qu’elle n’atteigne pas le nombre
minimum de membres requis par le Code du travail. Les organisations plaignantes
affirment que le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale (MTESS) a
cautionné ces actions et accepté des contestations formulées a posteriori par
l’employeur, les autorités n’ayant même pas procédé à l’inscription provisoire du
syndicat.
- 344. Les organisations plaignantes allèguent aussi que l’établissement
bancaire a recouru à des pratiques préjudiciables, comme la fermeture d’agences. De
telles actions ont affaibli le droit des travailleurs à la stabilité de l’emploi, mais
aussi d’autres droits tels que l’accès à une retraite digne, privant ainsi des centaines
de travailleurs de protections. En outre, elles affirment que l’établissement bancaire a
obligé son personnel à effectuer des heures supplémentaires non planifiées ni rémunérées
et évoque une pratique de harcèlement moral ou de maltraitance émotionnelle de la part
de l’employeur. Selon les informations communiquées par les organisations plaignantes,
malgré des plaintes déposées auprès du MTESS, aucun inspecteur ni contrôleur n’a été
envoyé.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 345. Dans ses communications en date du 28 août 2018 et du 30 août 2023,
le gouvernement a communiqué la note no 563/17 du 18 décembre 2017 du Département des
relations collectives et de l’enregistrement des syndicats de la Direction du travail,
renvoyant à la décision no 11 du 25 avril 2016 qui a rejeté l’inscription provisoire de
l’organisation OTRABR. Selon les considérants de cette décision, le 27 avril 2015,
MM. José Caballero et Rigoberto Urbieta ont demandé l’inscription provisoire de
l’OTRABR; et, le 12 mai et le 30 juin 2015, l’établissement bancaire a contesté
l’enregistrement provisoire du syndicat, sur la base de plusieurs irrégularités et pour
les motifs suivants: i) Mme Sonia Margarita Espínola Báez a été congédiée de
l’établissement bancaire le 5 mars 2015, ii) MM. Luis María Ocampos Fernández, Sergio
Osorio et Luis Bello, et Mme Bianca Bataglia ont été licenciés le 8 mai 2015; et
iii) M. Sergio David Silvero Careaga a renoncé à adhérer au syndicat en cours
formation.
- 346. Il est encore précisé dans la décision susmentionnée que, le
16 octobre 2015, l’établissement bancaire a confirmé son objection à l’inscription
provisoire de l’OTRABR en communiquant à cette fin des documents relatifs à la décision
de Mme María Sehila Gwynn Leguizamón de se retirer du syndicat en cours de formation,
ainsi que l’accord de fin de service de MM Luis María Ocampos Fernández, Sergio Osorio
et Luis Bello, et de Mme Bianca Bataglia. En outre, selon cette décision, au mois
d’octobre 2015, Mme Diana Beatriz Sosa Riveros et M. Carlos Alcides Arbo Rojas ont fait
savoir à l’Autorité administrative du travail qu’ils avaient démissionné en tant que
membres du syndicat en cours de formation.
- 347. Le gouvernement indique que, en vertu de l’article 292 du Code du
travail, un syndicat de travailleurs ne peut être constitué que s’il réunit au moins de
20 membres fondateurs et, dans ce cas-ci, même si le syndicat en cours de formation
comptait un total de 23 membres fondateurs, 9 d’entre eux ont soit quitté
l’établissement bancaire, soit décidé de se retirer du syndicat; par conséquent, le
syndicat en cours de formation ne disposait plus du nombre minimum de membres fondateurs
requis. Le gouvernement précise que le non-respect des exigences formelles dictées par
la législation pour l’inscription provisoire d’une nouvelle organisation syndicale n’a
pas permis à l’Autorité administrative du travail d’accéder à la demande du syndicat
requérant.
- 348. Du reste, le gouvernement indique que, malgré un différend
judiciaire relatif au congédiement de MM. Sergio Hugo Felipe Osario Acosta, Luis María
Ocampos Fernández et Luis Fernando Bello Torres, et de Mme Bianca Giannina Battaglia
Benítez, qui ont été licenciés pour faute grave, tous sont parvenus à des accords de
conciliation avec l’établissement bancaire dans lesquels ils se sont entendus sur les
points litigieux; toutes les plaintes ayant été abandonnées par consentement mutuel, les
procédures judiciaires respectives ont été classées.
- 349. En ce qui concerne les allégations relatives à d’autres violations
des droits au travail et l’allégation selon laquelle le MTESS n’aurait pas envoyé
d’inspecteurs ni de contrôleurs, le gouvernement indique que des fonctionnaires du MTESS
ont visité l’établissement bancaire en application de l’ordre d’inspection no 88/2016 du
10 juin 2016, et la décision no 325 du 25 novembre 2016 a mis fin à la procédure en
sanctionnant l’établissement bancaire pour plusieurs manquements aux normes du travail,
et de sécurité et santé au travail.
- 350. Le gouvernement signale que l’établissement bancaire a fait appel de
la décision qui le sanctionnait. Le dossier administratif a été transmis à la première
chambre de la cour d’appel, qui a décidé de soumettre le cas à une consultation
constitutionnelle de la Cour suprême de justice, laquelle a conclu, dans un arrêt du
6 septembre 2022, à la constitutionnalité de la décision en question.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 351. Le comité observe que, dans le présent cas, les organisations
plaignantes allèguent une série de violations des droits syndicaux d’organisations
affiliées à la FETRABAN et de leurs membres de la part d’un établissement bancaire. Les
organisations plaignantes allèguent aussi que l’inaction du gouvernement à cet égard,
doté d’institutions fragiles et vulnérables, a permis à l’établissement bancaire de
nuire quotidiennement aux droits en question, l’État cautionnant bien souvent le
harcèlement antisyndical de la part des employeurs.
- 352. Le comité prend note que les organisations plaignantes allèguent en
particulier que: i) l’établissement bancaire a versé une prime supplémentaire aux seuls
membres d’un syndicat précis ou aux travailleurs non syndiqués, en excluant les
travailleurs membres du «syndicat des travailleurs de l’établissement bancaire»; et
ii) l’inscription d’un nouveau syndicat, sous le nom d’OTRABR, a été refusée alors
qu’initialement celui-ci respectait toutes les exigences formelles à cet effet, mais n’a
plus compté le nombre de membres requis, parce que l’établissement bancaire a licencié
certains dirigeants et membres fondateurs du syndicat en formation et a fait pression
sur d’autres pour qu’ils renoncent à y adhérer dans le but de réduire le nombre de
membres et d’empêcher l’organisation d’atteindre le seuil minimum exigé par le Code du
travail.
- 353. En ce qui concerne le versement présumé d’une prime supplémentaire
aux membres d’un syndicat précis, le comité observe que les organisations plaignantes
ont joint la copie d’une communication de la direction de l’établissement bancaire
envoyée dans un courrier électronique en date du 21 décembre 2011, dans laquelle elle
indiquait qu’elle avait conclu une nouvelle convention collective sur les conditions de
travail avec le «syndicat des employés de l’établissement bancaire» et, pour respecter
fidèlement l’engagement que l’établissement bancaire avait pris à la demande d’une des
parties lors du processus de négociation de la convention collective, une prime
exceptionnelle unique, équivalente à un demi-salaire, allait être versée à tous les
fonctionnaires membres du syndicat signataire de la nouvelle convention collective,
ainsi qu’à tous les fonctionnaires non syndiqués. Le comité regrette de constater que le
gouvernement n’a fait aucune observation à cet égard. Il observe qu’il ressort des
informations disponibles que: i) deux organisations syndicales au moins existent au sein
de l’établissement bancaire, le syndicat des employés et le syndicat des travailleurs de
l’établissement bancaire, ce dernier étant affilié à la FETRABAN; ii) la prime
exceptionnelle n’était pas une gratification prévue dans la convention collective
susmentionnée (la législation paraguayenne prévoit que les dispositions des conventions
collectives s’étendent à tous les travailleurs de l’entreprise, qu’ils soient ou non
membres du syndicat signataire de la convention); et iii) la prime aurait été versée
directement par l’employeur conformément à ce qui avait été convenu entre
l’établissement bancaire et le syndicat des employés lors de la négociation de la
convention collective. Le comité note également que la manière dont l’octroi de la prime
en question a été présenté, en la réservant aux travailleurs membres du syndicat
signataire de la convention collective et aux travailleurs non syndiqués et en excluant
les membres de l’autre syndicat présent au sein de l’entreprise, pourrait constituer une
forme de favoritisme envers une organisation syndicale et influencer l’adhésion
syndicale des travailleurs. En l’absence de tout autre information ou d’élément
actualisé à cet égard, et rappelant que les travailleurs doivent avoir le droit de
s’affilier aux organisations de leur choix, sans que l’employeur interfère dans ce choix
[voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition,
2018, paragr. 1189], le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires
pour veiller à ce que l’établissement bancaire s’abstienne d’agir d’une manière telle
qu’il contribue à favoriser un syndicat au détriment d’un autre.
- 354. Par ailleurs, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle les
autorités du MTESS ont rejeté l’enregistrement d’un nouveau syndicat, dénommé OTRABR, au
sein de l’établissement bancaire, le comité observe que selon le gouvernement cette
organisation ne disposait pas du nombre minimum de membres fondateurs. Il note que les
organisations plaignantes allèguent que, bien qu’initialement l’OTRABR disposait du
nombre minimum de membres requis par la législation, l’établissement bancaire a congédié
certains travailleurs qui faisaient partie des membres fondateurs et a fait pression sur
d’autres membres du personnel pour qu’ils renoncent à leur adhésion à l’OTRABR, de sorte
que l’organisation n’a plus compté le nombre minimum de membres requis. Il ressort des
documents joints par le gouvernement que la demande d’inscription provisoire de l’OTRABR
a été déposée le 27 avril 2015, et le 8 mai 2015 l’établissement bancaire a congédié
quatre membres fondateurs de l’OTRABR (MM. Luis María Ocampos Fernández, Sergio Osorio
et Luis Bello, et Mme Bianca Bataglia). En outre, à la lecture de la documentation
fournie par le gouvernement, le comité note que les travailleurs licenciés ont intenté
des actions en justice contre l’établissement bancaire qui ont abouti à des accords de
conciliation; par conséquent, les procédures judiciaires ont été classées. Il observe
que si, d’une part, le gouvernement indique que les membres fondateurs ont été licenciés
pour faute grave, de l’autre, il fait savoir que l’établissement bancaire a décidé de
conclure des accords de conciliation avec ces travailleurs pour mettre un terme aux
poursuites judiciaires qu’ils avaient intentées contre l’employeur. Le comité observe
que, d’après les documents transmis par les organisations plaignantes, ces actions en
justice étaient liées à une demande de réintégration des travailleurs concernés à leur
poste de travail compte tenu de la protection syndicale dont ils jouissaient.
- 355. Le comité observe aussi que, en plus de faire référence aux
travailleurs congédiés, les organisations plaignantes allèguent que l’établissement
bancaire a fait pression sur des travailleurs pour qu’ils se retirent du syndicat OTRABR
dans le but de faire baisser le nombre de membres sous le seuil minimum requis par le
Code du travail.
- 356. Le comité rappelle que, dans un cas où il a conclu que la diminution
du nombre des travailleurs affiliés au syndicat, jusqu’à ce qu’il ne compte plus le
minimum requis de 25 membres, était la conséquence de menaces et de licenciements
antisyndicaux, il a demandé au gouvernement de vérifier si ces licenciements étaient de
nature antisyndicale et si les démissions des dirigeants syndicaux étaient le résultat
de pressions ou de menaces de la part de l’employeur, d’appliquer les sanctions prévues
par la législation, de réintégrer à leur poste de travail les travailleurs congédiés et
de permettre la reconstitution du syndicat dissous. [Voir Compilation, paragr. 985.]
Tout en notant que le présent cas ne concerne pas la dissolution, mais bien
l’inscription d’un syndicat nouvellement constitué, et que les actions en justice
intentées contre l’établissement bancaire pour réclamer la réintégration des
travailleurs à leur poste de travail compte tenu de la protection syndicale dont ils
jouissaient ont abouti à la conclusion d’accords de conciliation, le comité observe que
les allégations de la présente plainte ont aussi trait à des actes antisyndicaux menés
pour éviter qu’une organisation syndicale satisfasse au nombre minimum de membres requis
par la législation. Compte tenu de tout ce qui précède, le comité prie le gouvernement
de prendre, à la lumière des circonstances du présent cas, les mesures nécessaires pour
s’assurer qu’à l’avenir, en cas de licenciements et/ou de décisions de se désaffilier
suspectés d’être concomitantsliés à la création d’un syndicat, une enquête sera est
menée dans les meilleurs délais pour vérifier la nature éventuellement antisyndicale des
licenciements et/ou déterminer si les décisions de se désaffilier résultent de pressions
ou de menaces de la part de l’employeur, de sorte que, si des actes antisyndicaux sont
avérés, les sanctions prévues par la législation soient imposées, les travailleurs
licenciés soient réintégrés à leur poste de travail et le syndicat nouvellement créé
soit autorisé à s’enregistrer.
- 357. Enfin, tout en prenant note des autres allégations soulevées par les
organisations plaignantes qui ne concernent pas des questions syndicales, le comité
prend également note des informations fournies par le gouvernement à cet égard et des
mesures prises par les autorités administratives et judiciaires.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 358. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité s’attend
à ce que le gouvernement prenne les mesures nécessaires pour que l’établissement
bancaire s’abstienne d’agir d’une manière qui contribue à favoriser un syndicat au
détriment d’un autre.
- b) Le comité prie le gouvernement de prendre, à la
lumière des circonstances du présent cas, les mesures nécessaires pour s’assurer
qu’à l’avenir, en cas de licenciements et/ou de décisions de se désaffilier
suspectés d’être liés concomitants à la création d’un syndicat, une enquête seraest
menée dans les meilleurs délais pour vérifier la nature éventuellement antisyndicale
des licenciements et/ou déterminer si les décisions de se désaffilier résultent de
pressions ou de menaces de la part de l’employeur, de sorte que, si des actes
antisyndicaux sont avérés, les sanctions prévues par la loi soient imposées, les
travailleurs licenciés soient réintégrés à leur poste de travail et le syndicat
nouvellement créé soit autorisé à s’enregistrer.
- c) Le comité considère que
le présent cas est clos et ne nécessite pas un examen plus
approfondi.