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Rapport intérimaire - Rapport No. 403, Juin 2023

Cas no 2508 (Iran (République islamique d')) - Date de la plainte: 25-JUIL.-06 - Actif

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Allégations: L’organisation plaignante dénoncent des actes de répression contre le syndicat local d’une compagnie d’autobus urbains, ainsi que l’arrestation et la détention d’un grand nombre de syndicalistes

  1. 278. Le comité a examiné ce cas (soumis en 2006) pour la dernière fois à sa session d’octobre 2022 et, à cette occasion, a présenté un rapport intérimaire au Conseil d’administration. [Voir 400e rapport, approuvé par le Conseil d’administration à sa 346e session, paragr. 479 à 518  .]
  2. 279. La Confédération syndicale internationale (CSI) a adressé des observations supplémentaires dans une communication datée du 2 février 2023.
  3. 280. Le gouvernement a présenté ses observations dans une communication datée du 1er mai 2023.
  4. 281. La République islamique d’Iran n’a ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Examen antérieur du cas

A. Examen antérieur du cas
  1. 282. À sa réunion novembre 2022, le comité a formulé les recommandations suivantes [voir 400e rapport, paragr. 518]:
    • a) Le comité note les nouvelles mesures prises par le gouvernement en vue de la ratification de la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 144) sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail, 1976, et la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et s’attend à ce que le processus de ratification des conventions nos 98 et 144 arrive bientôt à son terme et que le groupe de travail d’experts et le groupe de travail tripartite au sein du ministère du Travail qui œuvrent à la compatibilité de la législation nationale avec la convention no 87 produisent rapidement des propositions concrètes. Il prie le gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
    • b) Le comité prend note des mesures prises par le gouvernement en vue de réviser le chapitre VI de la loi sur le travail, le règlement sur la création, l’étendue des fonctions et des pouvoirs et les formes de fonctionnement des associations professionnelles et de leurs confédérations, ainsi que les lignes directrices et les procédures relatives aux associations de professionnels des arts, des médias et de la culture, en vue de les mettre en conformité avec les principes de la liberté syndicale. Il s’attend fermement à ce que ces processus de révision débouchent sur une réforme législative qui permettra enfin le pluralisme syndical à tous les niveaux en Iran. Il prie le gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard. Le comité rappelle de nouveau au gouvernement que l’assistance technique du Bureau demeure disponible s’il la souhaite.
    • c) Le comité prie à nouveau instamment le gouvernement de veiller à ce que le Syndicat des travailleurs de la compagnie des bus de Téhéran et de son agglomération (SVATH) puisse fonctionner sans entrave grâce à sa reconnaissance de facto en l’attente d’une réforme législative et en veillant à ce que ses responsables et ses membres ne soient pas arrêtés, détenus et poursuivis pour des activités syndicales légitimes.
    • d) Le comité prie instamment le gouvernement de libérer sans délai MM. Reza Shahabi, Hassan Saeedi et Rasoul Bodaghi, Mme Cécile Kohler et M. Jacques Paris et tous les autres syndicalistes arrêtés et détenus simplement pour s’être rencontrés et avoir discuté de questions d’intérêt commun des travailleurs. Le comité prie également instamment le gouvernement de veiller à ce que toutes les personnes arrêtées dans le présent cas bénéficient des garanties d’une procédure judiciaire régulière, notamment d’une assistance consulaire immédiate pour Mme Kohler et M. Paris, et de s’abstenir d’utiliser l’isolement cellulaire comme un outil de pression psychologique. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé des mesures prises à cet égard.
    • e) Le comité prie le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que, lorsque des syndicalistes sont poursuivis, leur droit à un procès équitable est dûment respecté et qu’en particulier les décisions de justice prononcées sont rendues publiques.
    • f) Le comité prie à nouveau instamment le gouvernement de veiller à la libération immédiate de M. Shapour Ehsani Raad. En outre, il prie le gouvernement de veiller à ce que la peine de M. Mohammadi ne soit pas exécutée s’il s’avère qu’il a été condamné pour ses activités syndicales.
    • g) Le comité attire l’attention du Conseil d’administration sur le caractère extrêmement grave et urgent du présent cas.

B. Nouvelles allégations des organisations plaignantes

B. Nouvelles allégations des organisations plaignantes
  1. 283. Dans une communication datée du 2 février 2023, la CSI a transmis des informations actualisées concernant la situation de Mme Cécile Kohler et de M. Jacques Paris, deux syndicalistes français arrêtés en République islamique d’Iran le 8 mai 2022. La CSI rappelle que Mme Kohler, âgée de 37 ans, est enseignante. Elle et M. Paris, qui est âgé de 69 ans, sont tous deux membres du syndicat français Force Ouvrière (Fédération nationale de l’enseignement, de la culture et de la formation professionnelle – FO). L’organisation plaignante affirme qu’ils sont détenus illégalement en République islamique d’Iran depuis la date de leur arrestation et accusés «d’association et de collusion dans le but de porter atteinte à la sécurité de l’État». Durant sept mois, on a ignoré où ils se trouvaient et aucune information quant à leurs conditions de détention, leur santé et leur bien-être n’a pu être obtenue.
  2. 284. La CSI indique que le gouvernement iranien a autorisé une brève visite consulaire le 23 novembre 2022 et que l’ambassadeur de France a rencontré séparément les deux syndicalistes pendant dix minutes à la prison d’Evin. Le 18 décembre, tous deux ont été autorisés à téléphoner à leurs familles respectives pendant quatre minutes. Depuis, ni l’ambassade ni leurs familles n’ont eu de leurs nouvelles. L’organisation plaignante allègue que ces brefs contacts ont permis d’obtenir la confirmation que les deux syndicalistes étaient détenus dans de très mauvaises conditions, qu’ils avaient notamment été mis à l’isolement pendant les trois premiers mois, et que leur santé mentale et physique en était gravement affectée et se détériorait.

C. Réponse du gouvernement

C. Réponse du gouvernement
  1. 285. En ce qui concerne la ratification des conventions internationales du travail relatives à la liberté syndicale, le gouvernement indique que, ces dernières années, il a fait de la ratification de la Convention de 1976 sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail (no 144) et de la convention no 98 une priorité. S’agissant de la convention no 98, le gouvernement fait savoir que le projet de loi portant sur sa ratification a été discuté au Parlement le 12 juillet 2022 et adopté à l’unanimité. Le texte adopté a ensuite été soumis au Conseil constitutionnel, qui a formulé des observations et renvoyé le texte au conseil des ministres pour modification. Il a été décidé que les questions et sujets de préoccupation seraient examinés par le groupe de travail tripartite, puis renvoyées au Conseil constitutionnel après modification. S’agissant de la convention no 144, le gouvernement indique que le projet de loi correspondant devrait être examiné par les commissions parlementaires techniques.
  2. 286. Concernant la situation de Mme Cécile Kohler et de M. Jacques Paris, le gouvernement fait savoir qu’ils sont en détention provisoire depuis le 7 mai 2022, conformément à une ordonnance rendue par un juge d’instruction du parquet de Téhéran, et qu’ils sont tous deux poursuivis pour rassemblement et collusion dans le but de porter atteinte à la sécurité de l’État. Aucun jugement n’a encore été rendu en ce qui concerne leur affaire. Le gouvernement indique en outre que Mme Kohler et M. Paris, sous le couvert d’une famille voyageant avec des passeports français ordinaires, ont constitué une équipe pour former des syndicalistes iraniens et diriger des manifestations. Ils sont entrés dans le pays en 2022 la veille de la fête du Travail et, dès leur arrivée, ont organisé des réunions de formation avec des travailleurs, des enseignants militants et des organisations connues, tout en étant attentifs aux questions de sécurité. La tenue de ces réunions a été démontrée pour la plupart et l’arrestation de Mme Kohler et de M. Paris a été menée conformément à un mandat judiciaire. Le gouvernement ajoute que tous deux ont organisé des réunions avec l’Association des enseignants, le Conseil de coordination des enseignants, le Syndicat des travailleurs de la compagnie des bus de Téhéran et de son agglomération (SVATH) et l’alliance syndicale de gauche, affiliée à des agents et des dirigeants de l’opposition marxiste, pour réfléchir à la manière de transformer les revendications des enseignants et du SVATH en manifestations de rue contre l’État. Avant leur arrivée, alors qu’ils étaient encore en France, le couple avait organisé des réunions virtuelles et des webinaires de formation avec la participation du Conseil de coordination des représentants des enseignants iraniens. Au cours de ces réunions virtuelles, ils avaient présenté des méthodes d’organisation, d’établissement de contacts en toute sécurité et de lutte contre l’État, de même que des brochures de formation. Le gouvernement ajoute que Mme Kohler et M. Paris ont également: animés plusieurs webinaires et cours de formation en face à face, dans une résidence sécurisée située dans un quartier de Téhéran, afin d’organiser des grèves et manifestations de syndicats d’enseignants; injecté des sommes considérables au titre d’un soutien financier; et fourni un appui et des éléments techniques pour communiquer secrètement sans être découverts par les services de renseignement, dans le but de renverser la République islamique d’Iran. Pour finir, le gouvernement indique que tous deux se sont rendus à Abyaneh dans le cadre de leur prétendu voyage et que Mme Kohler a utilisé des caméras professionnelles pour filmer, depuis les hauteurs, les environs de Natanz. Selon le gouvernement, Mme Kohler est une personne expérimentée en matière de formations; elle a organisé des manifestations d’enseignants et de travailleurs dans des pays qui sont dans la ligne de mire des États-Unis – dont la Serbie, la Hongrie, la Turquie, l’Égypte, le Congo et d’autres pays africains – et cherche à lancer un projet au sein du département de la formation de l’OIT pour soutenir l’autonomisation de jeunes syndicats communistes sous la protection du Syndicat national français. Le gouvernement ajoute que Mme Kohler et M. Paris peuvent en permanence recevoir une assistance consulaire et la visite de leurs familles.
  3. 287. En ce qui concerne la situation de M. Reza Shahabi, le gouvernement indique qu’il a été arrêté en vertu d’un mandat délivré par l’autorité judiciaire compétente et, le 12 mai 2022, a été transféré à la prison d’Evin, où il est actuellement détenu dans le quartier public. Il est accusé «de rassemblement et collusion dans le but de porter atteinte à la sécurité de l’État». Il a été inculpé et son dossier a été transmis à un tribunal de Téhéran. Il a reçu six visites de la part de membres de sa famille au premier degré et de son avocat et a été orienté une fois vers le centre d’assistance sociale de la prison dans le cadre du suivi de ses affaires judiciaires. S’agissant de l’état de santé de M. Shahabi, le gouvernement fait savoir que des mesures ont été prises pour l’obtention d’une autorisation judiciaire lui permettant de se rendre dans une clinique spécialisée, en raison de son problème médical au niveau du rachis cervical; néanmoins, le 1er octobre 2020, M. Shahabi a retiré par écrit la demande qu’il avait faite à ce sujet.
  4. 288. En ce qui concerne M. Hassan Saeedi, le gouvernement fait savoir qu’il a été condamné à cinq ans d’emprisonnement et qu’il purge actuellement sa peine dans le quartier public de la prison d’Evin. S’agissant des activités de M. Saeedi, le gouvernement indique qu’il est affilié à M. Shahabi et l’a accompagné à tous ses rassemblements et réunions, tout comme il s’est joint à Mme Kohler et à M. Paris lors de leurs réunions en Iran. Le gouvernement précise en outre que, dans une communication avec des éléments étrangers portant sur la perception de subventions, M. Saeedi a été conseillé par des organisations internationales. Dans l’une des «missions» qui lui avaient été confiées, il était mentionné que le montant de l’aide avait augmenté et qu’on lui recommandait – en tant que membre du syndicat – de créer un groupe de travail spécial sur la supervision et la fourniture des dons, aux fins de rendre des comptes précis aux donateurs. Il devait repérer les organisations locales en vue des grèves et répartir les dons entre elles. Il ne s’agissait pas de charité à la manière du Croissant Rouge, mais d’un combat et d’une aide continue.
  5. 289. En ce qui concerne M. Shapour Ehsani Raad, le gouvernement indique qu’il a été condamné, le 16 juin 2020, à cinq ans d’emprisonnement pour rassemblement et collusion dans le but de porter atteinte à la sécurité de l’État et pour propagande contre l’État; il est actuellement libre, car il a bénéficié d’une libération conditionnelle. En ce qui concerne M. Jamil Mohammadi, le gouvernement fait savoir qu’il a disparu et que, puisqu’il ne se trouve pas en prison, il n’a pas été possible de faire d’annonce quant à sa situation récente.

D. Conclusions du comité

D. Conclusions du comité
  1. 290. Le comité rappelle que la présente plainte, déposée en 2006, porte sur des actes de répression à l’encontre du Syndicat des travailleurs de la compagnie des bus de Téhéran et de son agglomération (SVATH), sur l’arrestation, la détention et la condamnation d’un grand nombre de membres et de dirigeants syndicaux, ainsi que sur le caractère inadapté du cadre législatif garantissant la protection de la liberté syndicale.
  2. 291. Le comité note avec une profonde préoccupation les informations actualisées des organisations plaignantes et la réponse du gouvernement concernant le maintien en détention de Mme Cécile Kohler et de M. Jacques Paris, deux syndicalistes français en visite en Iran aux alentours du 1er mai 2022, qui ont été arrêtés le 8 mai juste avant de quitter le pays, détenus au secret sans pouvoir bénéficier d’une assistance consulaire, et accusés du crime de rassemblement et de collusion dans le but de porter atteinte à la sécurité de l’État, et ce parce qu’ils ont rencontré des syndicalistes et des militants syndicaux iraniens, en particulier des membres d’organisations d’enseignants et du SVATH.
  3. 292. Le comité note avec une profonde préoccupation que Mme Kohler et M. Paris sont détenus dans des conditions apparemment déplorables et sans procès depuis un an; à cet égard, il rappelle que la détention préventive devrait être limitée à de très courtes périodes destinées uniquement à faciliter le déroulement d’une enquête judiciaire. Le comité rappelle en outre que le fait que tout détenu doit être déféré sans délai devant la juridiction compétente constitue l’un des droits fondamentaux de l’individu et, lorsqu’il s’agit d’un syndicaliste, la protection contre toute arrestation et détention arbitraires et le droit à un jugement équitable et rapide font partie des libertés civiles qui devraient être assurées par les autorités afin de garantir l’exercice normal des droits syndicaux, et que les syndicalistes détenus doivent, à l’instar des autres personnes, bénéficier d’une procédure judiciaire régulière et avoir le droit à une bonne administration de la justice, à savoir notamment être informés des accusations qui pèsent contre eux, disposer du temps nécessaire à la préparation de leur défense, communiquer sans entrave avec le conseil de leur choix et être jugés sans retard par une autorité judiciaire impartiale et indépendante. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 140, 163 et 167.]
  4. 293. En ce qui concerne les actes concrets que le gouvernement attribue à Mme Kohler et à M. Paris, le comité note qu’ils recouvrent des réunions virtuelles et en face à face avec des syndicalistes iraniens du SVATH et les syndicats d’enseignants, notamment les associations professionnelles locales d’enseignants (TTA) et le Conseil de coordination de l’association professionnelle des enseignants iraniens (CCITTA). Le comité note l’indication générale du gouvernement selon laquelle le couple de Français s’est focalisé sur les méthodes de «transformation» des revendications des enseignants et du SVATH en manifestations de rue contre l’État. Le comité note que, selon le gouvernement, le couple a dispensé aux membres des syndicats d’enseignants des formations portant sur des méthodes d’organisation et de tenue de grèves et de manifestations, ainsi que sur des méthodes permettant d’établir des contacts et des communications en toute sécurité, pour éviter ainsi la surveillance des services de renseignement. Le gouvernement indique de surcroît que le couple a fourni un soutien financier et des équipements techniques permettant de communiquer secrètement.
  5. 294. Le comité note que les actes susmentionnés attribués à Mme Kohler et à M. Paris ont été qualifiés de «rassemblement et collusion dans le but de porter atteinte à la sécurité de l’État» en vertu de l’article 610 du Code pénal islamique (livre V), ce qui est passible d’une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement. Comme le comité avait rappelé à l’occasion de son dernier examen du présent cas en 2022:
    • […] les principes de la liberté syndicale comprennent le droit d’affiliation à des organisations internationales, qui découle de la solidarité d’intérêts des travailleurs ou des employeurs, solidarité d’intérêts qui ne se limite pas à l’économie nationale. En outre, la recherche de conseils et d’un soutien auprès de mouvements syndicaux bien établis dans la région dans l’objectif d’aider les organisations syndicales nationales à se défendre ou se développer constitue une activité syndicale pleinement légitime, même lorsque la tendance syndicale diffère de la ou des tendance(s) dans le pays. Les visites effectuées à cet égard relèvent d’activités syndicales normales. [Voir Compilation, paragr. 1051.] Ces droits incluent le droit des syndicalistes de toute nationalité de se contacter et de se rencontrer lorsqu’ils se trouvent dans un pays donné et de discuter de préoccupations et de questions d’intérêt communes. Le comité rappelle que l’arrestation, la détention et la poursuite de syndicalistes pour avoir établi de tels contacts et participé à de telles rencontres constituent une violation des principes de la liberté syndicale. Le comité avait rappelé en outre que le droit d’organiser des réunions publiques et des cortèges à l’occasion du 1er mai constitue un aspect important des droits syndicaux, et que nul ne devrait pouvoir être privé de liberté ni faire l’objet de sanctions pénales pour le simple fait d’avoir organisé une grève, des réunions publiques ou des cortèges pacifiques, ou d’y avoir participé, surtout à l’occasion du 1er mai. [Voir Compilation, paragr. 212 et 156.] [Voir 400e rapport, paragr. 509-510.]
  6. 295. Concernant les activités de «formation» qui auraient porté sur des manifestations publiques et des grèves, le comité attire l’attention du gouvernement sur le fait que, dans son examen du cas no 2566, qui concerne des allégations de violation de la liberté d’association d’organisations d’enseignants iraniens, il a souligné que «[s]’agissant des manifestations et des grèves organisées par les syndicats d’enseignants, le comité rappelle tout d’abord que la liberté syndicale n’implique pas seulement le droit, pour les travailleurs et les employeurs, de constituer librement des associations de leur choix, mais encore celui, pour les associations professionnelles elles mêmes, de se livrer à une activité licite de défense de leurs intérêts professionnels – y compris par des manifestations pacifiques». [Voir Compilation, paragr. 717.] Le comité considère en outre que le choix des syndicalistes de participer à des cours organisés uniquement par des syndicats, où qu’ils aient lieu, relève du droit des organisations de mettre sur pied leurs activités et de formuler leurs programmes en toute liberté. Par conséquent, le comité estime que si les syndicalistes français et iraniens ont tenu des réunions au cours desquelles ils ont débattu de l’exercice du droit de manifestation pacifique et du droit de grève, qui sont des préoccupations et des questions d’intérêt commun à tous les travailleurs, ces réunions s’inscrivent pleinement dans le cadre d’activités syndicales légitimes et personne ne devrait être arrêté, détenu, poursuivi ni condamné pour avoir participé à de telles activités.
  7. 296. En ce qui concerne la formation à l’établissement de «communications en toute sécurité», dans le but d’éviter la surveillance des services de renseignement, le comité rappelle que «[l]’exercice des activités des organisations d’employeurs et de travailleurs pour la défense de leurs intérêts devrait être exempt de pressions, d’intimidations, de harcèlement, de menaces et d’actions visant à discréditer les organisations et leurs dirigeants, y compris la manipulation de documents». [Voir Compilation, paragr. 719.] Le comité note à cet égard l’indication du gouvernement selon laquelle la tenue des réunions entre les syndicalistes français et iraniens «a été démontrée» pour la plupart et fait observer que cette indication renvoie à la surveillance continue dont ces réunions ont fait l’objet. Le comité rappelle à ce propos que, dans un cas précédent, il a déjà prié un gouvernement d’émettre des instructions appropriées à un haut niveau pour: i) qu’aucune mesure d’exception visant à protéger la sécurité nationale n’empêche de quelque façon que ce soit l’exercice par tous les syndicats de leurs droits et activités légitimes, grèves incluses, et ce quelle que soit leur orientation philosophique ou politique, dans un climat de sécurité totale; et ii) garantir le strict respect de méthodes dûment avalisées mises en œuvre dans le cadre de toutes opérations de surveillance et d’interrogatoire par l’armée et la police, d’une manière garantissant que les droits légitimes des organisations de travailleurs puissent être exercés dans un climat exempt de violence, de pressions et de menaces de toutes sortes à l’encontre des dirigeants et des membres de ces organisations. Le comité se voit obligé de noter que la surveillance généralisée et persistante exercée sur les communications des syndicalistes et sur leurs rassemblements et réunions par les services de renseignement est susceptible d’être perçue comme une source substantielle de pressions et d’intimidations et semble viser à discréditer ces syndicats indépendants et à incriminer leurs dirigeants et leurs membres, en particulier dans un contexte où les activités syndicales légitimes sont fréquemment qualifiées sous des dispositions pénales vagues, telles que les articles 500 et 610 du Code pénal islamique. Par conséquent, le simple fait d’enseigner et d’apprendre des méthodes permettant d’éviter la surveillance peut être considéré comme une tentative de mener des activités syndicales légitimes dans des conditions plus sûres, ce qui, en l’absence de tout autre élément de preuve, ne saurait être perçu en soi comme une indication d’activité criminelle. C’est pourquoi le comité prie le gouvernement de s’abstenir de recourir à une surveillance généralisée et persistante des communications et des réunions des syndicalistes et de s’abstenir également de poursuivre et condamner des syndicalistes pour avoir utilisé des méthodes et des techniques permettant d’éviter une telle surveillance et pour avoir dispensé une formation ou fourni une assistance technique en la matière à d’autres syndicalistes.
  8. 297. Compte tenu de ce qui précède, le comité prie instamment et fermement le gouvernement de prendre les mesures nécessaires en vue de la libération immédiate de Mme Kohler et de M. Paris et de leur retour dans leur pays en toute sécurité.
  9. 298. Le comité rappelle que lors de son précédent examen du cas, il avait noté l’arrestation et la détention de MM. Hassan Saeedi et Reza Shahabi, membres du SVATH, pour avoir rencontré Mme Kohler et M. Paris et participé aux manifestations du 1er mai, et avait prié le gouvernement de les libérer immédiatement. Le comité constate que, d’après la réponse du gouvernement et les informations accessibles au public, un an après leur arrestation respective, les 12 et 17 mai 2022, MM. Saeedi et Shahabi sont toujours en détention et que, dans l’intervalle, le bureau no 26 du tribunal révolutionnaire de la province de Téhéran les a condamnés à six ans d’emprisonnement – dont cinq ans exécutoires – pour propagande contre l’État ainsi que rassemblement et collusion dans le but de porter atteinte à la sécurité de l’État (articles 500 et 610 du Code pénal islamique), une peine qui a été confirmée par la cour d’appel le 12 janvier 2023. Le comité rappelle que plusieurs autres syndicalistes iraniens, dont M. Rasoul Bodaghi, ont également été arrêtés, détenus et poursuivis pour avoir rencontré leurs homologues français, et que les affaires les concernant sont examinés par le comité dans le cadre du cas no 2566.
  10. 299. En ce qui concerne la condamnation de M. Shahabi, le comité note que la réponse du gouvernement ne fournit aucune indication quant aux actions concrètes qui lui sont imputées et auraient pu constituer l’élément matériel du crime codifié à l’article 610 du Code pénal islamique. En ce qui concerne M. Saeedi, le gouvernement renvoie à ses liens avec M. Shahabi, au fait qu’il a accompagné Cécile Kohler et Jacques Paris lors de leur visite en Iran, et à sa participation à des réunions avec eux. Le comité note en outre que le gouvernement cite ce qui semble être des extraits de transcriptions de messages échangés avec des «éléments étrangers» non précisés, sans fournir d’autres détails ni éléments de preuve. Le comité rappelle à cet égard que, dans les cas impliquant l’arrestation, la détention ou la condamnation d’un dirigeant syndical, le comité, rappelant que l’intéressé devrait bénéficier d’une présomption d’innocence, a considéré qu’il appartenait au gouvernement de montrer que les mesures prises par lui n’avaient pas leur origine dans les activités syndicales de la personne à laquelle lesdites mesures s’étaient appliquées. [Voir Compilation, paragr. 158.] Au vu des informations qu’il a reçues, le comité se voit obligé de noter que le gouvernement n’a pas démontré que la condamnation de MM. Shahabi et Saeedi à des peines d’emprisonnement n’est en rien motivée par leurs activités syndicales. Par conséquent, rappelant que nul ne devrait être poursuivi, condamné ou sanctionné pour l’exercice d’activités syndicales, le comité prie instamment et fermement le gouvernement de libérer immédiatement MM. Shahabi et Saeedi s’il apparaît que leur condamnation est liée à leurs activités syndicales, et à le tenir informé des mesures prises à cet égard.
  11. 300. Notant que la condamnation de MM. Shahabi et Saeedi s’inscrit dans la longue tradition de mesures prises à l’encontre de membres et dirigeants du SVATH depuis le début de l’examen du présent cas, le comité se voit obligé de réitérer sa recommandation de longue date et prie à nouveau instamment le gouvernement de faire en sorte que le SVATH puisse fonctionner sans entrave grâce à sa reconnaissance de facto en l’attente d’une réforme législative et en veillant à ce que ses responsables et ses membres ne soient pas arrêtés, détenus et poursuivis pour des activités syndicales légitimes.
  12. 301. Le comité rappelle que lors de son précédent examen de ce cas, il avait prié instamment le gouvernement de veiller à la libération immédiate de M. Shapour Ehsani Raad. [Voir 400e rapport, paragr. 518 f).] Il rappelle également que M. Ehsani Raad, un membre éminent du Syndicat libre des travailleurs d’Iran, était incarcéré depuis le 16 juin 2020, purgeant une peine de cinq ans pour action contre la sécurité nationale et propagande contre l’État. Il note que, selon le gouvernement, M. Ehsani Raad, est en liberté conditionnelle. Il accueille favorablement cette libération et exprime le ferme espoir qu’à l’avenir M. Ehsani Raad ne fera plus l’objet d’arrestations ni de poursuites pour ses activités syndicales.
  13. 302. La commission prend note des indications du gouvernement au sujet du processus de ratification des conventions nos 98 et 144, et constate que malgré le vote «unanime» du parlement portant sur l’adoption du projet de loi concernant la ratification de la convention no 98, le processus a été renvoyé au parlement suite aux modifications proposées dans l’avis du «Conseil constitutionnel». Le comité s’attend à ce que le processus de ratification des conventions nos 98 et 144 aboutisse bientôt et prie le gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
  14. 303. Le comité rappelle que, lors de son précédent examen du présent cas, il avait prié le gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation concernant la révision du chapitre VI de la loi sur le travail, du règlement sur la création, l’étendue des fonctions et des pouvoirs et les formes de fonctionnement des associations professionnelles et de leurs confédérations, ainsi que des lignes directrices et des procédures relatives aux associations de professionnels des arts, des médias et de la culture, en vue de les mettre en conformité avec les principes de la liberté syndicale. Il note que, dans sa dernière communication, le gouvernement ne fournit aucune information à cet égard. Le comité se voit donc obligé de réitérer sa recommandation précédente concernant le processus de réforme législative.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 304. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité s’attend à ce que le processus de ratification des conventions nos 98 et 144 aboutisse bientôt et prie le gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
    • b) Le comité s’attend fermement à ce que les processus de révision du chapitre VI de la loi sur le travail; du règlement sur la création, l’étendue des fonctions et des pouvoirs et les formes de fonctionnement des associations professionnelles et de leurs confédérations; et des lignes directrices et des procédures relatives aux associations de professionnels des arts, des médias et de la culture, arrivent d’ici peu à leur terme, débouchant sur une réforme législative qui permettra enfin le pluralisme syndical à tous les niveaux en Iran. Il prie le gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
    • c) Le comité prie à nouveau instamment le gouvernement de veiller à ce que le Syndicat des travailleurs de la compagnie des bus de Téhéran et de son agglomération (SVATH) puisse fonctionner sans entrave grâce à sa reconnaissance de facto en l’attente d’une réforme législative et en veillant à ce que ses responsables et ses membres ne soient pas arrêtés, détenus et poursuivis pour des activités syndicales légitimes.
    • d) Le comité prie instamment et fermement le gouvernement de libérer immédiatement MM. Shahabi et Saeedi s’il apparaît que leur condamnation est liée à leurs activités syndicales. Également, il prie instamment et fermement le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour libérer immédiatement Mme Kohler et M. Paris et garantir leur retour en toute sécurité dans leur pays, et de le tenir informé des mesures prises à cet égard.
    • e) Le comité prie le gouvernement de s’abstenir de recourir à une surveillance généralisée et persistante des communications et des réunions des syndicalistes et de s’abstenir également de poursuivre et condamner des syndicalistes pour avoir utilisé des méthodes et des techniques permettant d’éviter une telle surveillance et pour avoir dispensé une formation ou fourni une assistance technique en la matière à d’autres syndicalistes.
    • f) Le comité rappelle l’importance qu’il attache à la résolution de 1970 concernant les droits syndicaux et leur relation avec les libertés civiles et attire l’attention du Conseil d’administration sur le caractère extrêmement grave et urgent du présent cas.
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