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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 396, Octobre 2021

Cas no 3313 (Fédération de Russie) - Date de la plainte: 26-JANV.-18 - En suivi

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Allégations: L’organisation plaignante allègue que l’interprétation restrictive des prescriptions de la loi sur les syndicats par les tribunaux fait obstacle à la liberté de création et de fonctionnement des syndicats, et l’application aux syndicats des dispositions législatives qui régissent les organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger entrave davantage l’exercice de leurs droits

  1. 529. La plainte figure dans des communications de la Confédération russe du travail (KTR) datées du 26 janvier et du 21 août 2018, du 4 juillet 2019 et du 18 novembre 2020. La Confédération syndicale internationale (CSI) et IndustriALL Global Union se sont associées à la plainte dans des communications datées respectivement du 29 janvier et du 4 avril 2018.
  2. 530. Le gouvernement a fait part de ses observations dans des communications datées du 20 août 2018 et du 26 février 2021.
  3. 531. La Fédération de Russie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949; et la convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 532. Dans ses communications datées du 26 janvier et du 21 août 2018, la KTR indique que sa plainte porte sur la décision du tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg du 10 janvier 2018 de dissoudre le Syndicat interrégional «Association des travailleurs» (MPRA), membre de la KTR. Pour situer le cas dans son contexte, la KTR explique que le MPRA a été créé en 2006 par des salariés de l’usine de Ford Motor de Vsevolozhsk et de l’usine d’AvtoVAZ à Tolyatti sous le nom d’«Union interrégionale des travailleurs de l’industrie automobile». L’organisation a été enregistrée le 1er février 2007 par le département central de Saint-Pétersbourg du ministère de la Justice. En janvier 2014, à la suite d’une restructuration, le syndicat a ouvert son adhésion aux personnes ne travaillant pas forcément dans l’industrie automobile. Depuis le 21 janvier 2014, l’organisation syndicale fonctionne sous son nom actuel. Depuis sa création, le syndicat a pour mission de représenter et de protéger les intérêts et les droits sociaux et du travail de ses membres, et de promouvoir la solidarité en collaborant avec les mouvements syndicaux russe et international afin de garantir des progrès sociaux et économiques à tous les travailleurs.
  2. 533. L’organisation plaignante indique que le 28 juin 2017, donnant suite à la plainte d’une personne physique, le procureur adjoint du district de Krasnogvardeïski de SaintPétersbourg a décidé d’effectuer un contrôle inopiné du MPRA pour vérifier que le syndicat respectait ses obligations légales en tant qu’organisation non commerciale. À cet effet, il a prié le président du MPRA, M. Alexei Etmanov, de se présenter au bureau du procureur et de fournir plusieurs documents à des fins d’inspection. Les documents requis étaient les suivants: les statuts du MPRA tels que modifiés; les décisions de ses instances dirigeantes; les résultats des audits effectués entre 2012 et 2017; le règlement intérieur du syndicat; une liste des activités menées par le MPRA entre 2012 et 2017; des exemples de matériels imprimés et audiovisuels du MPRA; des informations sur les sources des fonds et des autres actifs du MPRA; les documents comptables originaux de 2012 à 2017; les états des flux de trésorerie; des informations sur les divisions structurelles du MPRA et leurs dirigeants, ainsi que des documents relatifs à leurs instances dirigeantes; une liste des membres du MPRA, des demandes d’adhésion et des départs; des pièces justificatives relatives à l’utilisation des ressources d’Internet du MPRA; et plusieurs autres documents. M. Etmanov s’est rendu au bureau du procureur dans le délai indiqué, mais n’a présenté que les statuts du MPRA; les documents d’enregistrement de l’organisation; les procès-verbaux des réunions de son congrès; une copie d’un bail; ainsi que les règlements intérieurs ayant trait à la procédure de collecte des cotisations des membres, à la commission d’audit et à la fourniture de services juridiques. Il n’a fourni aucun autre document exigé, invoquant les dispositions législatives qui régissent les activités des syndicats et les principes internationaux relatifs à la liberté syndicale.
  3. 534. Le 21 juillet 2017, le procureur adjoint a ordonné qu’une procédure administrative soit engagée contre M. Etmanov en application de l’article 17.7 du Code des infractions administratives (refus délibéré de satisfaire aux demandes légitimes d’un procureur). La décision a été transmise à un tribunal d’instance de la circonscription judiciaire no 83 de Saint-Pétersbourg. Par conséquent, le procureur adjoint a suspendu l’inspection du MPRA le 24 juillet 2017. Le 13 décembre 2017, un juge d’un tribunal de district de SaintPétersbourg a rejeté les poursuites intentées contre M. Etmanov compte tenu de l’expiration du délai de prescription. Toutefois, le 23 avril 2018, un tribunal d’instance de la circonscription judiciaire no 83 de Saint-Pétersbourg a estimé que le refus de fournir les documents relatifs aux activités financières et économiques du MPRA en 2013 était illégal et a condamné M. Etmanov à une amende de 2 000 roubles russes. L’organisation plaignante communique une décision du juge d’un tribunal de district de SaintPétersbourg datée du 16 août 2018 confirmant la décision de justice.
  4. 535. Le 1er décembre 2017, le procureur adjoint a transmis au procureur de la circonscription un rapport suggérant de reprendre l’inspection et de rédiger une demande de dissolution du MPRA à transmettre au bureau du procureur de Saint-Pétersbourg et au tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg. Le même jour, le MPRA a donc été informé que la procédure d’audit reprenait et que, dans l’intérêt de la population, le bureau du procureur de Saint-Pétersbourg avait présenté une demande de dissolution du MPRA au tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg.
  5. 536. La KTR indique que les arguments que le procureur a présentés dans sa demande peuvent être classés dans trois catégories. Premièrement, le MPRA a commis plusieurs violations législatives au moment d’enregistrer ses statuts et leurs modifications: i) les statuts du MPRA ne précisent pas la forme juridique de la personne morale (plutôt que de préciser son statut juridique en tant qu’«organisation publique», ils font simplement référence au type de personne morale, à savoir un «syndicat»); ii) l’adresse officielle du syndicat reprise dans ses statuts n’est pas correcte (les statuts indiquent l’adresse du conseil d’administration élu tandis que le registre public consolidé des entités juridiques reprend l’adresse de son conseil exécutif); iii) les statuts ne précisent pas quelles catégories de personnes ou quels groupes professionnels peuvent adhérer au syndicat (en raison de la nature intersectorielle des activités du MPRA, les statuts indiquent que «les membres du syndicat peuvent inclure des ouvriers, des techniciens et des personnes exerçant d’autres métiers»); iv) les statuts ne définissent pas strictement la zone géographique sur laquelle le MPRA opère (ils énumèrent les entités constitutives de la Fédération de Russie sur le territoire duquel des sections locales du MPRA mènent des activités, mais précisent que la liste n’est pas exhaustive et peut être modifiée sur décision du conseil du MPRA pour inclure de nouvelles organisations locales); et v) la version actuelle des statuts précise qu’ils ont été modifiés en mars 2015, alors qu’ils l’ont été en avril 2015.
  6. 537. Deuxièmement, selon le procureur, le MPRA n’a eu de cesse de mener des activités contraires à ses objectifs statutaires, à savoir des activités qui ne visent pas à représenter ou à protéger les intérêts et les droits sociaux et du travail de ses membres. Il fait surtout référence à un article d’actualité et à une tribune publiés sur le site Web du MPRA, ainsi qu’à un rassemblement que des militants du MPRA ont organisé le 30 novembre 2014 pour soutenir une campagne nationale de la KTR en faveur de médicaments à un prix abordable et à la publication ultérieure d’un article s’y rapportant sur le site Web du MPRA.
  7. 538. Troisièmement, selon le procureur, les activités du MPRA ci-après sont comparables à celles d’une organisation non commerciale exerçant les fonctions d’un agent étranger alors que le syndicat n’est pas enregistré sous ce statut: i) des activités politiques consistant en la publication sur les réseaux sociaux d’informations du MPRA sur une campagne en faveur de la modification de l’article 134 du Code du travail pour garantir l’indexation régulière des salaires en fonction de l’inflation, comme le prévoit la loi, et d’un lien vers une pétition publique; et ii) la réception de fonds étrangers sur le compte courant du MPRA à l’occasion de transferts d’IndustriALL Global Union (dont le MPRA est membre) de 175 000 roubles russes en 2015 et de 188 350 roubles russes en 2016, destinés à l’organisation d’activités de formation syndicale.
  8. 539. D’après la KTR, les représentants du bureau du procureur de Saint-Pétersbourg ont soutenu au tribunal que les infractions susmentionnées étaient graves et irrémédiables, justifiant donc la dissolution du syndicat.
  9. 540. La KTR indique que, le 10 janvier 2018, le tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg est convenu d’accéder à la demande de liquidation du MPRA (une copie de la décision a été fournie). Le tribunal a estimé que les statuts du MPRA ne précisent pas les catégories de personnes ni les groupes professionnels qui peuvent adhérer au syndicat et a fait référence à cet égard au paragraphe 3.1 des statuts du syndicat qui stipule que «toute personne d’au moins 14 ans qui exerce un métier ou une profession, temporairement sans activité, retraitée ou étudiant dans un établissement d’enseignement secondaire ou supérieur peut adhérer au syndicat» et «les membres du syndicat peuvent inclure des ouvriers, des techniciens et des personnes exerçant d’autres métiers». La KTR signale que le tribunal a estimé que «cette infraction était grave et irrémédiable». En outre, une modification des statuts ne peut y remédier puisque «l’infraction porte sur [...] une association publique qui, en acceptant en son sein non seulement des personnes exerçant différents métiers, mais aussi des personnes sans métier, dont celles temporairement sans activité – qui ne peuvent donc pas être considérées comme unies par un intérêt professionnel commun en raison de leur activité professionnelle pour représenter et protéger leurs intérêts et leurs droits sociaux et du travail – n’est en réalité pas un syndicat». Selon la KTR, le tribunal a ainsi estimé que les catégories de personnes ciaprès ne peuvent adhérer à un syndicat: les personnes temporairement sans activité, les retraités et les travailleurs exerçant différents métiers et professions.
  10. 541. La KTR indique que le tribunal a également fait savoir que les statuts du MPRA mentionnaient l’adresse de son conseil d’administration collégial alors que, selon lui, ils devaient reprendre ceux du conseil exécutif permanent du syndicat. Il n’a pas estimé que cette infraction était grave ou irrémédiable. En outre, le tribunal a noté que les statuts du MPRA ne définissaient pas la zone géographique dans laquelle le syndicat menait ses activités et a considéré qu’établir une liste ouverte d’entités constitutives de la Fédération de Russie sur le territoire duquel le syndicat opérait était contraire à la législation. Il n’a pas estimé que cette infraction était grave ou irrémédiable. Selon le tribunal, pour qu’une section locale active sur le territoire d’une entité constitutive de la Fédération de Russie non énumérée dans les statuts puisse adhérer au syndicat, ce dernier doit d’abord modifier ses statuts. Le tribunal a également pris note des informations incorrectes que le MPRA a fournies au moment d’enregistrer les modifications de ses statuts. Il a estimé que l’erreur matérielle à la suite de laquelle la nouvelle version des statuts du MPRA indiquait que des modifications statutaires avaient été apportées en mars 2015 alors qu’elles avaient en réalité été effectuées en avril 2015 constituait une infraction, mais a considéré qu’elle n’était pas grave ni irrémédiable.
  11. 542. Enfin, le tribunal a estimé que le MPRA avait violé la législation en ne demandant pas à être inscrit dans le registre des organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger alors qu’il recevait des fonds d’une source étrangère et participait à des activités politiques. Selon le tribunal, certaines publications mises en ligne sur le site Web du MPRA et les médias sociaux étaient de nature politique et ne relevaient pas du champ des activités statutaires du MPRA, car elles ne visaient pas à protéger les droits sociaux ou du travail des travailleurs. L’organisation plaignante indique que le tribunal a estimé que le transfert de fonds entre IndustriALL Global Union et le MPRA à des fins de formation des membres du syndicat et l’utilisation subséquente de ces fonds dans le but spécifié constituaient des preuves suffisantes que le MPRA avait exercé les fonctions d’un agent étranger en recevant un financement étranger. En conséquence, le tribunal a conclu que le MPRA avait reçu des capitaux d’un syndicat international sur la base des accords de financement à des fins spéciales du 24 juillet 2015 et avait ensuite dépensé ces fonds. La KTR souligne que, selon le tribunal, les paragraphes 5, 6 et 7 de l’article 1 de la loi sur les organisations non commerciales contenant une liste exhaustive d’exceptions à son champ d’application, les dispositions législatives qui régissent le statut juridique des organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger s’appliquent aux syndicats. Le tribunal a fait remarquer que la loi sur les syndicats et la convention no 87 ne font que réglementer les droits des syndicats, dont le droit à la liberté syndicale, et que les droits des syndicats ne sont pas absolus et peuvent être limités aux fins de protéger le cadre constitutionnel, la moralité publique et la santé de la population, les droits et les intérêts légitimes de tiers, et la défense et la sécurité nationales. Faisant référence à la position de la Cour constitutionnelle dans sa décision no 10 du 14 avril 2014, le tribunal a déclaré que les dispositions sur les agents étrangers visent à protéger les intérêts de la population (en veillant à ce que toutes les parties intéressées soient informées que des entités étrangères participent au soutien financier ou matériel de toute organisation non commerciale qui mène des activités politiques). Elles constituent donc une base légitime pour limiter la liberté syndicale et sont applicables aux syndicats. Il n’a pas estimé (sic) que cette infraction était grave ou irrémédiable. Le tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg a conclu que les syndicats avaient le droit de participer à des activités politiques dans la sphère socio-économique. Toutefois, si une organisation syndicale exerçait ce droit tout en recevant un financement d’une entité étrangère, elle devait s’enregistrer en tant qu’organisation non commerciale exerçant les fonctions d’un agent étranger.
  12. 543. La KTR fait savoir que le tribunal a confirmé la position du MPRA sur deux points, mais sans que cela ne modifie l’issue du cas. Alors que pour le bureau du procureur, les syndicats enregistrés en tant que personnes morales devaient préciser dans leur nom – ou au moins dans le texte de leurs statuts – leur forme juridique en tant qu’«organisation publique», le tribunal a conclu que, conformément à la législation en vigueur, les organisations syndicales n’étaient pas tenues de le faire et devaient simplement préciser que la personne morale était un «syndicat». En outre, alors que le bureau du procureur a fait valoir que les activités du MPRA en faveur de la modification de l’article 134 du Code du travail régissant l’indexation des salaires étaient de nature politique et sortaient du cadre de ses statuts, le tribunal a estimé que les activités que le syndicat menait pour faire évoluer la législation dans la sphère socio-économique (y compris en soutenant la modification de l’article 134 du Code du travail) étaient légales et conformes aux objectifs statutaires du MPRA.
  13. 544. Selon les allégations de la KTR, les entreprises au sein desquelles les sections locales du MPRA étaient actives ont immédiatement appliqué la décision de justice alors qu’elle n’était pas encore officiellement entrée en vigueur. Par exemple, les fonctions du président du Comité des travailleurs de Ford Motor de la section locale du MPRA de SaintPétersbourg et dans la province de Leningrad ont été limitées. L’organisation plaignante explique que, en application de l’article 373 du Code du travail, l’employeur est obligé d’obtenir le consentement du syndicat avant de licencier le président. Le 17 mai 2017, le MPRA a refusé de consentir à son licenciement. Le 25 mai 2017, l’entreprise a présenté une requête au tribunal du district de Krasnogvardeïski à SaintPétersbourg, affirmant que le refus d’accepter le licenciement d’un membre d’une section locale d’une organisation syndicale n’était pas raisonnable. Le 22 janvier 2018, le cas a été réexaminé par le tribunal. Les représentants de la société se sont appuyés sur la décision du tribunal de Saint-Pétersbourg de dissoudre le MPRA pour prouver que son refus de consentir au licenciement susmentionné n’était pas raisonnable, alors que cette décision n’était pas encore officiellement entrée en vigueur.
  14. 545. La KTR précise que, le 22 mai 2018, les juges administratifs de la Cour suprême ont rendu une décision en appel de la plainte déposée par le MPRA, annulant la décision du 10 janvier 2018 du tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg (une copie de la décision a été fournie). La cour a estimé qu’il n’y avait pas lieu de dissoudre le MPRA puisque les infractions à la loi n’étaient ni graves ni irrémédiables.
  15. 546. La KTR estime cependant que les conclusions de la Cour suprême, reconnaissant que plusieurs dispositions des statuts du MPRA enfreignent la législation en vigueur, créent des obstacles non seulement aux activités du MPRA, mais également à la libre création de syndicats et à leurs activités dans le pays. À cet égard, la KTR indique que la Cour suprême a estimé que le paragraphe 3.1 des statuts du MPRA, autorisant l’adhésion des personnes temporairement sans activité, des retraités, des étudiants et des travailleurs de différentes professions, contrevenait à la loi sur les syndicats du 12 janvier 1996. Ainsi, du point de vue de l’organisation plaignante, la Cour suprême interprète les dispositions de la loi sur les syndicats comme restreignant le droit d’une organisation syndicale de définir de façon indépendante les catégories de personnes qui peuvent y adhérer.
  16. 547. En outre, la KTR signale que la Cour suprême et le tribunal de la ville de SaintPétersbourg ont estimé que les statuts du syndicat, un syndicat interrégional, ne pouvaient pas contenir une liste ouverte de lieux géographiques sur le territoire duquel une organisation syndicale mène ses activités et devaient énumérer tous les territoires de la Fédération de Russie où une organisation syndicale est active. Selon la KTR, ce genre d’approche rendrait donc nécessaire la modification des statuts dès qu’une organisation syndicale se crée sur un autre territoire de la Fédération de Russie, compliquant davantage tout élargissement des membres du syndicat.
  17. 548. La KTR fait également savoir que la Cour suprême a aussi examiné la publication de deux articles sur le site Web du MPRA et a confirmé les conclusions du tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg, à savoir que ces publications étaient contraires aux statuts de l’organisation.
  18. 549. Elle souligne par ailleurs que la Cour suprême et le tribunal de la ville de SaintPétersbourg ont estimé que le paragraphe 6 de l’article 2 de la loi sur les organisations non commerciales du 12 janvier 1996 s’appliquait aux syndicats. Le MPRA considère que la règle sur les organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger contenue dans cette loi ne devrait pas s’appliquer aux syndicats et fait remarquer que les associations d’employeurs en sont exemptées; il souligne à cet égard que les syndicats et les associations d’employeurs devraient être soumis aux mêmes obligations. La KTR indique que la Cour suprême n’a pas souscrit à l’argument du MPRA à ce propos et a estimé que le statut d’un agent étranger ne faisait pas obstacle à la coopération internationale des syndicats et à la conduite d’activités politiques. Dans le même temps, la Cour suprême ne s’est pas rangée à l’avis du tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg selon lequel le défaut d’enregistrement du MPRA au registre des organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger constituait une infraction grave et devrait mener à la dissolution du syndicat.
  19. 550. La Cour suprême a annulé la décision de dissoudre le MPRA simplement parce qu’elle n’a pas estimé que tous les motifs susmentionnés constituaient des violations graves et irrémédiables justifiant une décision de dissolution.
  20. 551. La KTR allègue qu’en conséquence la Cour suprême a confirmé l’obligation pour les syndicats de demander le statut d’organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger lorsqu’ils reçoivent des fonds de sources étrangères. Elle fournit des exemples de cas de syndicats recevant des fonds qui peuvent provenir de leurs membres qui sont des citoyens étrangers ou qui travaillent à l’étranger, d’autres organisations syndicales – dont des syndicats internationaux – et d’employeurs qui sont des personnes morales étrangères. La KTR estime que l’établissement de règles différentes pour les organisations de travailleurs et les associations d’employeurs crée des conditions inégales pour la conduite de leurs activités respectives.
  21. 552. La KTR signale qu’elle a soulevé le problème au niveau de la Commission tripartite russe pour la réglementation des relations sociales et du travail (RTK) et a proposé d’envisager l’exclusion des syndicats et de leurs associations du champ d’application des règles sur les organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger (par exemple, en modifiant le paragraphe 7 de l’article 1 de la loi sur les organisations non commerciales). Le 22 mars 2018, ce point a été examiné lors d’une réunion d’un groupe de travail de la RTK. À la suite de cette réunion, il a été suggéré que le ministère du Travail amplifie les activités du groupe de travail (mis en place par l’ordonnance no 676 du ministère du Travail du 18 novembre 2013 pour examiner les recommandations émises par le Conseil d’administration du BIT [cas nos 2758, 2216 et 2251] et formuler des propositions pour renforcer les règles et règlements actuels, ainsi que les procédures d’application de la loi), qu’une réunion du groupe de travail se tienne d’ici au 15 mai 2018 et qu’un compte rendu des résultats soit transmis au secrétariat de la RTK. Selon la KTR, si la première réunion de la RTK a eu lieu le 12 mai 2018, pour l’heure, le ministère du Travail n’a adopté aucune mesure pour modifier les dispositions législatives qui régissent l’application du statut d’organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger aux syndicats.
  22. 553. Dans sa communication datée du 4 juillet 2019, la KTR, faisant référence à un processus de négociation avec le gouvernement sur les points soulevés dans la présente plainte, a demandé le report de l’examen du présent cas.
  23. 554. Dans sa communication datée du 18 novembre 2020, la KTR a demandé à ce que l’examen du cas reprenne, car les autorités n’avaient entrepris aucune action concernant les questions soulevées dans la présente plainte et surtout en ce qui concerne le statut d’agent étranger que les syndicats doivent demander s’ils reçoivent des fonds de sources étrangères. Plus précisément, la KTR rappelle que tout syndicat qui a reçu un financement étranger (par le biais, par exemple, de cotisations de travailleurs étrangers, d’un soutien matériel d’une organisation syndicale internationale, de fonds d’un employeur qui est une entreprise étrangère, etc.) peut être reconnu comme une organisation exerçant les fonctions d’un agent étranger si les autorités de réglementation considèrent que les activités du syndicat sont dans une certaine mesure de nature politique. La KTR affirme que la reconnaissance d’un syndicat en tant qu’organisation exerçant les fonctions d’un agent étranger l’obligera non seulement à préciser ce statut sur tous les matériels d’information, mais impliquera également: son inscription dans le registre public des organisations exerçant les fonctions d’un agent étranger; l’obligation pour le syndicat de présenter tous les trimestres aux autorités de supervision un rapport sur les objectifs auxquels les fonds reçus de sources étrangères ont été alloués; la présentation tous les six mois d’un rapport sur les activités des instances dirigeantes du syndicat et leur composition; et la soumission aux autorités de l’audit financier annuel obligatoire du syndicat. Elle précise également que la majorité de la population russe associe les termes «agent étranger» et «espion étranger».
  24. 555. En outre, selon les allégations de la KTR, en application de l’article 19.34 du Code des infractions administratives, toute violation de la législation, notamment un défaut d’enregistrement d’une organisation non commerciale en tant qu’organisation exerçant les fonctions d’un agent étranger, est passible d’une amende administrative dont le montant peut aller jusqu’à 500 000 roubles russes (environ 5 500 euros) pour l’organisation et jusqu’à 300 000 roubles russes (environ 3 300 euros) pour le responsable de l’organisation. Selon la KTR, une telle réglementation législative peut conduire à une ingérence injustifiée de la part des organes de l’État dans les affaires internes des syndicats. L’organisation plaignante souligne que, conformément au paragraphe 7 de l’article 1 de la loi sur les organisations non commerciales, les associations d’employeurs sont toujours exemptées de l’obligation de s’enregistrer en tant qu’organisations exerçant les fonctions d’un agent étranger, ce qui signifie que l’État a créé des conditions inégales pour la conduite des activités des syndicats et des associations d’employeurs.
  25. 556. Par ailleurs, la KTR signale que le gouvernement a présenté à la Douma d’État le projet de loi no 10525237 qui prévoit d’imposer aux organisations reconnues en tant qu’agents étrangers les obligations supplémentaires suivantes: l’obligation de présenter un rapport sur les programmes en cours et l’obligation de fournir d’autres documents qui sous-tendent l’organisation d’événements. Le projet de loi prévoit également des motifs supplémentaires pour liquider une organisation non commerciale exerçant les fonctions d’un agent étranger.
  26. 557. De plus, la KTR craint que le bureau du procureur effectue un nouvel audit du MPRA, y compris sur la question de sa conformité avec la législation sur les organisations exerçant les fonctions d’un agent étranger. Ces inquiétudes se fondent sur une série d’articles récents qui ont été publiés sur Internet véhiculant des informations négatives et des avis diffamatoires sur les activités du MPRA. La KTR fait notamment référence à un article de l’Agence fédérale de presse, une agence de presse russe, publié en novembre 2020 et contenant des informations sur l’enquête que le procureur a menée sur le MPRA et à l’issue de laquelle la décision de dissoudre le syndicat a été prise en 2018. La décision de la Cour suprême annulant la décision de la juridiction inférieure de liquider le MPRA y est également critiquée, car elle lui a permis de poursuivre ses activités. L’article indique également qu’en 2009 plusieurs tracts syndicaux de l’organisation ont été considérés comme des documents à caractère extrémiste et précise que certaines des organisations publiques qui soutiennent le MPRA ont été dissoutes par décision de justice. La KTR et le MPRA pensent qu’une autre enquête pourrait faire suite aux informations diffusées dans les médias.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 558. Dans ses communications datées du 20 août 2018 et du 26 février 2021, le gouvernement fournit les informations suivantes. En ce qui concerne la dissolution du MPRA ordonnée par le tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg, le gouvernement fait référence aux motifs cités dans la décision de dissolution: les statuts n’étaient pas conformes aux prescriptions législatives; le syndicat a mené des activités contraires à ses statuts, notamment des activités de nature politique; et le syndicat a agi comme un agent étranger sans en informer les autorités compétentes. Il a été fait appel de la décision qui a été examinée par la Cour suprême. Cette dernière a établi que les statuts ne contenaient aucune indication du type d’activités ou d’intérêts professionnels unissant les membres du syndicat et a estimé que la non-conformité des dispositions statutaires avec la législation ne pouvait être considérée comme une infraction grave ou irrémédiable, les dispositions en question ayant été acceptées au moment de l’enregistrement du syndicat.
  2. 559. Le gouvernement explique que comme la loi ne contient pas une liste d’infractions graves, il revient au tribunal d’apprécier si une violation à la loi commise par une association de citoyens constitue une infraction grave et peut conduire à la dissolution de l’association ou à l’interdiction de ses activités. Les violations graves de la Constitution, des lois constitutionnelles fédérales, des lois fédérales et autres législations que commettent les associations de citoyens comprennent notamment des actes visant à renier les libertés, principes ou droits démocratiques fondamentaux reconnus par la Constitution, les normes et principes généralement reconnus du droit international, les accords internationaux de la Fédération de Russie, les lois fédérales et autres législations; à promouvoir la guerre ou à inciter à la haine contre une nation, une race ou une religion; et à engendrer de la discrimination, de l’hostilité ou de la violence. Toute violation qui fait naître une réelle menace, nuit à la vie ou à la santé des citoyens, ou est préjudiciable à l’environnement, à la sécurité et à l’ordre publics, aux biens, aux intérêts économiques légitimes de personnes morales et/ou physiques, à la société et à l’État est aussi considérée comme grave. Les infractions graves sont des violations auxquelles il ne peut être légalement remédié, par exemple, une situation où une décision ne peut pas être prise conformément à la procédure établie dans les documents fondateurs.
  3. 560. Le gouvernement indique que la Cour suprême a estimé que le jugement du tribunal de première instance était correct en ce qui concerne la non-conformité de certaines dispositions des statuts avec la législation en vigueur, mais erroné en ce qu’il estime qu’il s’agit d’infractions graves et irrémédiables.
  4. 561. Quant au fait que le syndicat a agi comme un agent étranger à la suite de la réception de fonds de la part d’une source étrangère – IndustriALL Global Union (Suisse) – la Cour suprême a fondé sa décision sur le principe selon lequel le défaut d’enregistrement d’une organisation non commerciale en tant qu’agent étranger ne peut être considéré comment une violation grave justifiant sa dissolution, car le non-respect de cette obligation ne constitue pas une menace réelle à la sécurité ou à l’ordre public.
  5. 562. Pour ce qui est des activités contraires aux statuts du syndicat, le tribunal a noté que, selon les statuts du MPRA, ses activités visent à protéger les intérêts et les droits sociaux et du travail de ses membres. L’un des motifs de dissolution invoqués était la publication sur le site Web du MPRA de trois articles critiquant les autorités pour la mise en place du système de péage électronique «Platon» et d’une pétition en faveur d’une campagne pour modifier l’article 134 du Code du travail. La Cour suprême a noté que, conformément à la législation en vigueur, les syndicats ont le droit de formuler des propositions relatives à l’adoption de législations sur des questions sociales et du travail.
  6. 563. En ce qui concerne le statut d’agent étranger qu’un syndicat doit demander dans certaines circonstances, le gouvernement fait d’emblée référence à la facilité avec laquelle une organisation syndicale peut être créée au sein de la Fédération de Russie; à la garantie qui est offerte aux syndicats de jouir d’indépendance et de ne pas avoir à rendre des comptes ni à se soumettre à des contrôles; et aux vastes pouvoirs des syndicats. Plus spécifiquement, il indique que trois personnes suffisent pour créer un syndicat, sans aucune obligation d’enregistrement auprès de l’État même si le syndicat peut choisir de s’enregistrer grâce à une procédure de notification. Le gouvernement signale que les organisations syndicales bénéficient de nombreux droits et garanties, dont: l’indépendance vis-à-vis des organes de l’État et des employeurs et le fait de ne pas devoir leur rendre des comptes ni se soumettre à leur contrôle; la protection des membres et des dirigeants syndicaux contre les licenciements abusifs de la part de l’employeur; l’obligation pour les employeurs de mettre en place les conditions permettant à un comité élu d’une section locale d’un syndicat de mener ses activités, dont la mise à disposition de locaux appropriés, de matériels de bureau, de moyens de communication, etc.; le droit prioritaire de représenter les intérêts des travailleurs dans les partenariats sociaux au niveau local (au niveau des employeurs individuels); le droit exclusif de représenter les intérêts des travailleurs aux niveaux supérieurs (régional, sectoriel, etc.), notamment au niveau de la RTK qui participe à l’élaboration de législations; le droit de contrôler le respect de la législation du travail et des autres lois et règlements contenant des normes relatives au droit du travail, ainsi que des conventions collectives en vigueur; des garanties relatives aux activités des inspecteurs du travail des syndicats; et le droit de grève (article 409 du Code du travail).
  7. 564. Le gouvernement explique que le concept de l’agent étranger est exposé au paragraphe 6 de l’article 2 de la loi fédérale du 12 janvier 1996 sur les organisations non commerciales. Pour être considérée comme un agent étranger, une organisation non commerciale doit recevoir des fonds et d’autres actifs d’États étrangers, d’organes d’État étrangers, d’organisations internationales ou étrangères, de personnes étrangères, apatrides ou agissant pour le compte de ces personnes ou entités, et/ou de personnes morales russes qui reçoivent des fonds ou d’autres actifs des sources précitées. Dans le même temps, l’organisation doit aussi mener des activités politiques sur le territoire de la Fédération de Russie. La législation énumère également les critères ciaprès pour considérer que les activités d’une organisation non commerciale sont politiques: activités menées dans le domaine de l’édification de l’État; la protection du cadre constitutionnel et de la structure fédérale; la protection de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Fédération de Russie; la garantie de l’état de droit, de l’ordre public, de la sécurité de l’État et de la population, de la défense nationale, de la politique étrangère et du développement socio-économique et national de la Fédération de Russie; l’élaboration du système politique et des activités de l’État et des autorités locales; ou la réglementation des libertés et droits civils et de l’homme dans l’intention d’influencer l’élaboration ou l’application de politiques publiques, la mise en place d’autorités nationales et locales ou leurs décisions et actions.
  8. 565. Selon le gouvernement, la loi sur les organisations non commerciales énumère les activités qui suivent en tant que formes de participation à des activités politiques:
    • participation à l’organisation et à la célébration d’événements publics sous forme de réunions, de rassemblements, de manifestations, de défilés, de piquets ou à une combinaison de plusieurs de ces événements, ou encore de débats publics, de discussions ou de présentations;
    • traiter avec l’État, les autorités locales ou leurs fonctionnaires et autres actions qui peuvent influencer leurs activités, y compris celles visant à adopter, modifier ou abroger des lois et d’autres instruments législatifs;
    • diffusion d’opinions sur les décisions ou les politiques des autorités, y compris en utilisant les technologies modernes de l’information;
    • invitation à faire participer d’autres citoyens, dont des mineurs, aux activités susmentionnées;
    • financement de telles activités.
  9. 566. Le gouvernement souligne que, en application de la loi sur les syndicats, les syndicats ont le droit de participer à toutes les formes d’activité politique susmentionnées. Les syndicats constituent les plus grandes organisations non commerciales du pays et comptent 21 millions de membres (sur une population totale de 146,7 millions de personnes, dont 70,4 millions de salariés). Des membres de la KTR représentent les syndicats dans le cadre de la RTK. Les organisations syndicales de la Fédération de Russie participent donc entièrement à la vie politique nationale.
  10. 567. En ce qui concerne les allégations de la KTR relatives aux conditions inégales offertes aux syndicats et aux associations d’employeurs pour mener leurs activités, les associations d’employeurs étant exclues de la législation qui régit les activités des organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger, le gouvernement indique que l’un des principes fondamentaux du partenariat social énoncés à l’article 24 du Code du travail est l’égalité des parties. La loi sur les syndicats et la loi sur les associations d’employeurs du 27 novembre 2002 imposent presque les mêmes normes aux deux partenaires sociaux. Toutefois, les syndicats, qui s’appuient sur l’adhésion d’individus, constituent des organisations communautaires contrairement aux associations d’employeurs. Ainsi, par rapport aux associations d’employeurs, les syndicats disposent de droits supplémentaires pour organiser et célébrer des événements sous la forme de réunions, de rassemblements, de manifestations, de défilés ou de piquets, ou de combinaisons de plusieurs de ces activités. L’organisation et la célébration de tels événements sont les formes d’activité politique les plus efficaces dont disposent les syndicats, y compris la KTR. Les possibilités de financement étranger pour les syndicats – qui sont les plus grandes organisations communautaires du pays, disposent de pouvoirs immenses et jouent véritablement un rôle dans la vie politique nationale, notamment par l’organisation de rassemblements – ont naturellement mené à l’imposition de certaines limites à l’immunité dont ils jouissent pour ce qui est des comptes qu’ils doivent rendre aux autorités publiques et au contrôle auquel ces dernières peuvent les soumettre. En outre, les membres des syndicats et le public ont parfaitement le droit d’être informés du financement étranger d’organisations communautaires qui jouent un rôle essentiel dans la société civile.
  11. 568. En ce qui concerne les allégations de la KTR selon lesquelles tout syndicat qui reçoit des cotisations de sources étrangères, un soutien matériel d’une organisation syndicale internationale ou des fonds d’un employeur qui est une entreprise étrangère peut être reconnu comme un agent étranger, le gouvernement indique que les syndicats ont légalement le droit de définir leurs propres activités de manière indépendante, y compris celui de définir leurs sources de financement et la façon dont ils dépensent leurs revenus. Les organisations syndicales déterminent elles-mêmes les membres qui peuvent adhérer et le montant de leurs cotisations. De plus, le ministère du Travail ne dispose d’aucune information quant à une quelconque adhésion massive de ressortissants étrangers à des syndicats russes. Le transfert de fonds d’un employeur à un syndicat auquel la KTR fait référence suppose qu’un employeur peut allouer des fonds à une section locale d’un syndicat pour la conduite d’activités d’éducation culturelle et physique et de santé dans les cas précisés dans la convention collective; et que les salaires du dirigeant du comité élu de la section locale sont payés par l’employeur dans les montants établis par la convention collective. Le gouvernement signale que la loi n’impose pas de telles sources de financement; bien que possibles, elles ne sont pas obligatoires. Quant à la question du soutien matériel des syndicats de la part d’organisations syndicales internationales, il convient de noter que les syndicats ont le droit de définir de façon indépendante s’ils souhaitent recevoir ce type de soutien et, dans l’affirmative, les mécanismes légaux au travers desquels ils en bénéficient.
  12. 569. À propos de l’allégation de la KTR selon laquelle, pour la majorité de la population de Russie, le terme «agent étranger» est synonyme d’«espion étranger», le gouvernement indique qu’il n’encourage pas l’association de ces deux termes dans la conscience publique. Le terme «agent étranger» est employé depuis des décennies dans la législation de pays présentés comme des archétypes de sociétés démocratiques. Il convient aussi de noter que la Cour constitutionnelle, dans sa décision no 10-P du 8 avril 2014, a déclaré que l’établissement d’organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger ne signifie pas forcément que toutes les organisations non commerciales sont négativement perçues par le gouvernement ni que cette mesure est destinée à encourager un jugement négatif des activités politiques qu’elles mènent; par conséquent, elle ne doit pas être interprétée comme une expression de méfiance ni comme une volonté de discréditer les organisations non commerciales ou leurs objectifs.
  13. 570. Quant à l’allégation de la KTR sur les risques que le bureau du procureur mène une enquête sur le MPRA à la suite d’une série de publications de l’Agence fédérale de presse à son sujet, le gouvernement indique que cette agence de presse n’est pas la voie d’information officielle du bureau du procureur, du gouvernement ou de tout autre organe de l’État. Il ne lui est donc pas possible de commenter ses publications.
  14. 571. Compte tenu de tout ce qui précède, le gouvernement estime que la plainte de la KTR n’est pas fondée.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 572. Le comité note que les allégations dont il est question dans le présent cas découlent de la décision du tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg du 10 janvier 2018 de liquider le MPRA, un syndicat affilié à l’organisation plaignante. Il constate que le tribunal a ordonné la dissolution du syndicat ayant conclu qu’il avait enfreint les dispositions de la loi sur les syndicats, de la loi sur les organisations non commerciales et des statuts du MPRA. En ce qui concerne la violation de la loi sur les syndicats, le comité prend note du raisonnement du tribunal:
    • Conformément au paragraphe 1 de l’article 2 de la loi sur les syndicats, un syndicat est une association publique volontaire de citoyens liés par des intérêts professionnels communs en raison de leurs activités professionnelles; elle est constituée dans le but de représenter et de protéger leurs intérêts et droits sociaux et du travail. […]
    • Les statuts du syndicat doivent préciser: le nom officiel du syndicat, ses objectifs et tâches; les catégories de personnes ou les groupes professionnels qui peuvent y adhérer; le territoire sur lequel le syndicat mène ses activités; et l’adresse de l’organe syndical (paragraphe 2 de l’article 7).
    • Contrairement aux prescriptions du paragraphe 1 de l’article 2 et du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les syndicats, les statuts du MPRA ne précisent pas les catégories de personnes ou les groupes professionnels qui peuvent y adhérer.
    • Au contraire, le paragraphe 3.1 [des statuts] précise que toute personne d’au moins 14 ans qui exerce un métier ou une profession, temporairement sans activité, retraitée ou étudiant dans un établissement d’enseignement secondaire ou supérieur peut adhérer au syndicat; les membres du syndicat peuvent inclure des ouvriers, des techniciens et des personnes exerçant d’autres métiers. Par conséquent, la liste n’étant pas restrictive, on ne peut pas considérer qu’elle définit des catégories de personnes ou des groupes professionnels spécifiques pouvant adhérer au syndicat. […]
    • Cette infraction peut être qualifiée de grave et irrémédiable. En outre, une modification des statuts ne peut y remédier puisque l’infraction porte sur la façon dont le défendeur organise une association publique qui, en acceptant en son sein non seulement des personnes exerçant différents métiers, mais aussi des personnes sans métier, dont celles temporairement sans activité – qui ne peuvent donc pas être considérées comme unies par un intérêt professionnel commun en raison de leur activité professionnelle pour représenter et protéger leurs intérêts et leurs droits sociaux et du travail – n’est en fait pas un syndicat. […]
    • Comme indiqué précédemment, les statuts d’un syndicat doivent préciser l’adresse de l’organe syndical [... à savoir] le conseil exécutif permanent du syndicat. […] Il convient de noter que les statuts du MPRA prévoient la mise en place des organes syndicaux ci-après, en plus de son président et du comité exécutif: un congrès, un conseil d’administration et une commission d’audit, qui peuvent tous, compte tenu du territoire sur lequel le syndicat mène ses activités, exercer leurs pouvoirs dans l’une des 42 entités constitutives de la Fédération de Russie. Une indication de la localisation de ces organes ne constitue pas une information fiable quant à la localisation du syndicat. [… Le paragraphe 1.7 des statuts porte sur les domaines dans lesquels le syndicat mène des activités]. Les statuts précisent également que la liste susmentionnée n’est pas exhaustive et peut être modifiée sur décision du conseil d’administration pour inclure de nouvelles sections locales du syndicat.
    • S’appuyant sur le fait que le syndicat peut mener des activités non seulement dans les zones énumérées, mais également dans d’autres entités constitutives de la Fédération de Russie, il est possible de conclure que les statuts ne définissent pas le territoire sur lequel le syndicat opère. […]
    • Par conséquent, le MPRA a enfreint les prescriptions de la loi sur les syndicats relatives au contenu des statuts syndicaux, en particulier l’obligation de préciser le territoire sur lequel le syndicat est actif et l’adresse de l’organe syndical.
  2. 573. Le comité note que le paragraphe 6 de l’article 2 de la loi sur les organisations non commerciales, dont l’application aux syndicats est la question centrale à la présente plainte et que le tribunal de première instance a examinée lors de son jugement, est libellé comme suit:
    • Par organisation non commerciale exerçant les fonctions d’un agent étranger, on entend une organisation russe non commerciale qui reçoit des fonds et d’autres actifs d’États étrangers ou d’organes d’État étrangers, d’organisations internationales ou étrangères, de personnes étrangères, apatrides ou qui agissent pour le compte de ces personnes ou entités, et/ou des personnes morales russes qui reçoivent des fonds et d’autres actifs des sources précitées [...] et qui participe à des activités politiques menées sur le territoire de la Fédération de Russie, y compris dans l’intérêt de ces sources étrangères.
    • Par organisation non commerciale (à l’exception des partis politiques), on entend une organisation non commerciale participant à des activités menées sur le territoire de la Fédération de Russie si, indépendamment des objectifs et des tâches cités dans ses documents constitutifs, elle mène des activités dans le domaine de: l’édification de l’État; la protection du cadre constitutionnel et de la structure fédérale de la Fédération de Russie; la protection de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Fédération de Russie; la garantie de l’ordre public, de la sécurité de l’État et de la population, de la défense nationale, de la politique étrangère et du développement socio-économique et national de la Fédération de Russie; l’élaboration du système politique et des activités de l’État et des autorités locales; ou la réglementation des libertés et droits civils et de l’homme dans l’intention d’influencer l’élaboration ou l’application de politiques publiques, la mise en place d’autorités nationales et locales ou leurs décisions et actions.
    • Ces activités peuvent prendre les formes suivantes:
    • participation à l’organisation et à la célébration d’événements publics sous forme de réunions, de rassemblements, de manifestations, de défilés, de piquets ou à une combinaison de plusieurs de ces événements, ou encore de débats publics, de discussions ou de présentations;
    • participation à des activités visant à produire un résultat précis lors d’une élection ou d’un référendum, à la surveillance d’une élection ou d’un référendum, à la création de comités électoraux ou référendaires ou aux activités de partis politiques;
    • traiter avec l’État, les autorités locales ou leurs fonctionnaires et autres actions qui peuvent influencer leurs activités, y compris celles visant à adopter, modifier ou abroger des lois et d’autres instruments législatifs;
    • diffusion d’opinions sur les décisions ou les politiques des autorités publiques, y compris en utilisant les technologies modernes de l’information;
    • influence sur les opinions et les croyances sociopolitiques, notamment en réalisant des sondages d’opinion et en publiant leurs résultats ou en menant d’autres études sociologiques;
    • invitation à faire participer d’autres citoyens, dont des mineurs, aux activités susmentionnées;
    • financement d’activités susmentionnées.
    • Ne sont pas considérées comme des activités politiques les activités menées dans les domaines de la science, de la culture, de l’art, des soins de santé, de la prévention des maladies et de la protection de la santé publique, des services sociaux, de l’assistance et de la protection sociales, de la protection de la maternité et de l’enfance, de l’aide sociale aux personnes handicapées, de la promotion de modes de vie sains, des exercices physiques et du sport, de la protection de la flore et de la faune, et des activités caritatives.
  3. 574. Le comité observe que le tribunal a pris note du fait qu’en 2015 et 2016 le MPRA a reçu et dépensé des fonds provenant d’une source étrangère – IndustriALL Global Union (Suisse) – sur la base d’accords de financement à des fins spéciales. Il a ensuite examiné les activités du MPRA et notamment plusieurs publications mises en ligne sur le site Web de l’organisation et ses comptes sur les réseaux sociaux:
    • Un examen du site Web mpra.su effectué le 21 juillet 2017 a montré que deux publications («Platon n’est pas notre ami» et «La substitution aux importations devient une mascarade») avaient été mises en ligne sur le site en 2015, et un examen de la communauté en ligne du syndicat MPRA sur le réseau social VKontakte a montré qu’un article invitant les lecteurs à soutenir une campagne en faveur de la modification de l’article 134 du Code du travail russe avait été publié en 2016, accompagné d’un hyperlien vers la pétition de la campagne en question.
    • Dans l’article «Platon n’est pas notre ami», l’organisation syndicale soutient les manifestations massives de camionneurs contre l’introduction d’une nouvelle taxe routière.
    • L’article «La substitution aux importations devient une mascarade» étrille une politique des autorités publiques en vue de la faire modifier en influençant l’opinion politique et déclenchant des critiques. […]
    • Le contenu de l’article [sur la campagne en faveur de la modification de l’article 134 du Code] a une motivation politique et vise à influencer l’élaboration et l’application des politiques de l’État dans les domaines du développement socio-économique national, des activités des autorités publiques et de la réglementation législative des libertés et des droits civils et de l’homme.
    • Étant donné que la diffusion, notamment par le biais de technologies de l’information, d’opinions relatives à des décisions et à des politiques d’organes de l’État et la conduite d’activités visant à faire adopter, modifier ou abroger des lois et d’autres instruments législatifs, et à influencer des opinions et des croyances sociopolitiques constituent des formes d’activité politique, les publications précitées que le syndicat a mises en ligne répondent clairement aux critères énoncés au paragraphe 6 de l’article 2 de la loi sur les organisations non commerciales. Le tribunal estime donc qu’il s’agit d’activités politiques.
    • Conformément à l’alinéa 2 du paragraphe 7 de l’article 32 de la loi sur les organisations non commerciales et du paragraphe 6 de l’article 29 de la loi sur les associations publiques, une organisation non commerciale ou une association publique qui entend recevoir des fonds et d’autres actifs de la part de sources étrangères et participe à des activités politiques sur le territoire de la Fédération de Russie en étant officiellement enregistrée en tant que personne morale doit immédiatement demander au service compétent à être inscrite dans le registre des organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger.
  4. 575. Le comité note que le tribunal a rejeté l’argument du MPRA selon lequel la législation régissant la classification des organisations non commerciales en tant qu’agents étrangers ne s’applique pas aux syndicats du fait des obligations découlant de la convention no 87 et de la législation nationale pertinente. Il a estimé que l’argumentation du MPRA n’avait aucun fondement national ou international. Sur le plan international en particulier, le tribunal a estimé que les droits prévus par l’article 5 de la convention no 87 n’étaient pas absolus. En outre, il a déclaré que «les dispositions législatives relatives aux organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger n’empêchent pas la coopération internationale, dont la réception de fonds de sources étrangères ou la conduite d’activités politiques, mais visent simplement à identifier les associations publiques en tant que personnes morales particulières et à informer en conséquence toutes les parties intéressées». Le tribunal a estimé que la loi sur les organisations non commerciales s’appliquait à toutes les organisations non commerciales établies dans la Fédération de Russie, sauf si des dispositions législatives les en excluent expressément, et a souligné que les syndicats ne figuraient pas au nombre de ces exclusions. Il a conclu que le non-respect du MPRA de l’obligation prévue dans la loi sur les organisations non commerciales de s’inscrire au registre des organisations exerçant les fonctions d’un agent étranger constituait une violation grave de la législation.
  5. 576. En ce qui concerne l’affirmation du bureau du procureur selon laquelle la diffusion des publications susmentionnées est contraire aux objectifs statutaires du MPRA, le tribunal a conclu ce qui suit:
    • [...] les activités du syndicat visant à soutenir l’initiative en faveur de l’amendement de l’article 134 du Code du travail peuvent être qualifiées de statutaires et conformes à la législation sur les syndicats.
    • En revanche, la publication des articles «Platon n’est pas notre ami» et «La substitution aux importations devient une mascarade» n’était pas destinée à représenter ou à protéger des droits sociaux ou du travail des travailleurs comme le prétend le défendeur, mais bien à orienter l’opinion publique à propos d’une politique publique et à influencer cette politique dans d’autres domaines, ce qui est incompatible avec les activités des syndicats telles que définies par la loi et les statuts du MPRA.
  6. 577. Le comité note que le syndicat a fait appel de cette décision et, le 22 mai 2018, la Cour suprême l’a annulée et a rendu un nouvel arrêt dans cette affaire. Il note notamment qu’en ce qui concerne la conformité des statuts du MPRA avec la loi sur les syndicats, la cour a confirmé les conclusions du tribunal de première instance selon lesquelles les dispositions concernées des statuts du syndicat ne respectaient pas ladite loi, mais elle a estimé que le tribunal avait erronément considéré que ces infractions à la loi étaient graves et irrémédiables. À cet égard, la Cour suprême a souligné qu’il était légalement possible de remédier au non-respect des statuts du MPRA de la loi sur les syndicats en les modifiant.
  7. 578. Le comité note ensuite que la Cour suprême s’est ralliée au point de vue du tribunal de première instance selon lequel l’article 1 de la loi sur les organisations non commerciales, qui énumère les organisations et les institutions exemptées du paragraphe 6 de l’article 2 de ladite loi, ne reprend pas les syndicats et la législation en question ne fait pas obstacle à la coopération internationale, dont la réception de fonds de sources étrangères, ni à l’exercice d’activités politiques. Dans le même temps, la Cour suprême a estimé que «l’infraction résultant du défaut d’enregistrement d’une organisation non commerciale exerçant les fonctions d’un agent étranger ne peut être considérée comme une violation grave justifiant la liquidation de l’organisation».
  8. 579. En ce qui concerne les activités du MPRA (deux publications) que le tribunal de première instance a jugées contraires aux statuts du syndicat, le comité note que la Cour suprême a estimé que l’infraction n’avait pas un caractère systématique.
  9. 580. Le comité note que, malgré des tentatives pour résoudre les questions en suspens dans cette affaire dans le cadre de la RTK, elles n’ont pas abouti aux résultats auxquels aspirait l’organisation plaignante. Il note que dans sa communication datée du 18 novembre 2020, la KTR a demandé au comité de reprendre l’examen du cas.
  10. 581. Le comité va donc procéder à l’examen des allégations de l’organisation plaignante à la suite des décisions de justice: 1) l’interprétation restrictive par les tribunaux des prescriptions de la loi sur les syndicats relatives à l’adhésion syndicale et à l’indication dans les statuts du syndicat du territoire sur lequel il mène ses activités fait obstacle à la liberté de création et de fonctionnement des syndicats; et 2) l’application aux syndicats des dispositions législatives qui régissent les organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger entrave davantage l’exercice des droits des organisations syndicales. Le comité constate également que, d’après les décisions de justice, les deux articles dans lesquels le MPRA critique les politiques de l’État ont été jugés incompatibles avec les activités syndicales telles que définies dans le droit et les statuts du MPRA. Il rappelle à cet égard que dans le cas no 2758, toujours en cours, il a noté avec une grave préoccupation que des tracts de l’organisation, contenant des slogans comme «Faisons payer la crise à ceux qui l’ont causée!», «Contre les emplois de mauvaise qualité» ou encore «Nous exigeons d’être payés pour notre travail de nuit», avaient été qualifiés de publications extrémistes par un tribunal local estimant que ces documents visaient à inciter à la discorde et à l’hostilité sociales. Le comité a alors estimé que le fait d’inscrire des publications contenant de tels slogans ou des slogans similaires sur la liste des documents à caractère extrémiste entravait considérablement le droit des syndicats d’exprimer des opinions et constituait une restriction inacceptable aux activités des syndicats et, en cela, le comité a considéré qu’il s’agissait d’une grave violation de la liberté syndicale. Il a rappelé à cet égard que le droit d’exprimer des opinions, y compris des opinions critiques à l’égard de la politique économique et sociale du gouvernement, est l’un des éléments essentiels des droits syndicaux. Le comité a donc prié instamment le gouvernement de prendre sans délai les mesures nécessaires pour que les tracts syndicaux en question soient retirés de la liste des documents à caractère extrémiste et pour empêcher que cela ne se reproduise. [Voir paragr. 1399, rapport no 365, novembre 2012.] Le dernier examen du cas no 2758 a eu lieu en juin 2015 et, à cette occasion, le comité a déploré qu’en dépit de ses demandes répétées le gouvernement n’ait pris aucune mesure pour que les tracts syndicaux en question soient retirés de la liste des documents à caractère extrémiste. [Voir paragr. 69, rapport no 375.] Le comité regrette de noter que les publications du MPRA critiquant la politique de l’État aient été déclarées contraires au droit et aux statuts du syndicat et rappelle à ce propos que le droit d’exprimer des opinions par la voie de la presse ou autrement est l’un des éléments essentiels des droits syndicaux, et le plein exercice des droits syndicaux exige la libre circulation des informations, des opinions et des idées dans les limites de ce qui est convenable et dans le respect des principes de la non-violence. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 241.] Il rappelle par ailleurs que la liberté d’expression dont devraient jouir les organisations syndicales et leurs dirigeants devrait également être garantie lorsque ceux-ci veulent formuler des critiques à l’égard de la politique économique et sociale du gouvernement. [Voir Compilation, paragr. 244.] Le comité prie le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que le droit des syndicats d’exprimer des opinions, y compris de formuler des critiques à l’égard de la politique économique et sociale du gouvernement, soit dûment protégé en droit et dans la pratique. Il le prie de lui faire part de toutes les mesures adoptées en ce sens.
  11. 582. Le comité rappelle que dans le cas no 2758, qui porte sur des allégations de nombreuses violations des droits syndicaux, dont des violations de la liberté d’opinion et d’expression, l’ingérence du gouvernement dans les activités des syndicats et le refus par les autorités d’enregistrer des syndicats, il a pris note d’une proposition datant d’avril 2012 pour surmonter les difficultés soulevées par l’application de la liberté syndicale dans la législation et la pratique que les partenaires sociaux et le gouvernement avaient accepté d’examiner dans le cadre de la RTK. Le comité a noté en particulier que la proposition faisait référence à des mesures législatives, des activités de formation, l’adoption de directives et de notes explicatives pour régler les problèmes soulevés par l’application de la liberté syndicale dans la législation et la pratique, et s’attendait à ce que la proposition fasse rapidement l’objet de discussions dans le cadre de la RTK. [Voir rapport no 365, paragr. 1397 et 1398.] Le comité constate que les points dont il est question dans le présent cas, examinés ci-dessous, sont étroitement liés à ceux abordés dans la proposition et regrette qu’aucune solution n’y ait encore été apportée malgré la création d’un groupe de travail dans le cadre de la RTK comme le mentionne l’organisation plaignante.
  12. 583. À cet égard et faisant référence au cas du président du MPRA, condamné à une amende pour ne pas avoir présenté au procureur certains documents du syndicat, le comité note que le point 4.1 de la proposition porte sur l’établissement, dans la législation, d’une liste précise des cas où les syndicats peuvent être tenus de fournir des informations et des documents, et de la liste des documents que peuvent réclamer les différentes autorités étatiques chargées du contrôle des activités syndicales.
  13. 584. Le comité rappelle que tous les travailleurs, sans distinction d’aucune sorte, y compris sans discrimination tenant à l’occupation, devraient avoir le droit de constituer les organisations de leur choix et de s’y affilier. [Voir Compilation, paragr. 332.] Il rappelle également qu’il incombe à chaque syndicat, en vertu de son autonomie interne, de déterminer s’il doit ou non représenter les travailleurs à la retraite afin de défendre leurs intérêts propres [voir Compilation, paragr. 413] et que, en règle générale, il revient aux syndicats de décider dans leurs statuts de leurs conditions d’adhésion. En ce qui concerne une liste non exhaustive de territoires sur lesquels le syndicat, dans le présent cas un syndicat interrégional, peut fonctionner, le comité rappelle que les prescriptions en matière de compétence territoriale ou d’effectifs devraient relever des statuts élaborés par les syndicats eux-mêmes. En fait, toutes les dispositions législatives qui vont au-delà des exigences de forme risquent d’entraver la constitution et le développement des organisations et constituer une intervention contraire à l’article 3, paragraphe 2, de la convention no 87. [Voir Compilation, paragr. 566.]
  14. 585. En outre, le comité note que le point 1.1 de la proposition invite à exclure les syndicats du champ des règles administratives prévues pour l’enregistrement des organisations non commerciales. C’est un point central de la présente plainte puisqu’en vertu de la loi sur les organisations non commerciales, les syndicats qui, par nature et comme l’a indiqué le gouvernement, participent à des activités politiques, doivent s’enregistrer en tant qu’organisation exerçant les fonctions d’un agent étranger s’ils reçoivent des fonds de sources étrangères.
  15. 586. Le comité observe par ailleurs que, conformément à la loi sur les organisations non commerciales (compte tenu des modifications de décembre 2020 et de mars 2021, c’est-à-dire du projet de loi auquel la KTR fait référence), le statut d’agent étranger implique des obligations supplémentaires pour un syndicat enregistré en tant que tel.
  16. 587. Premièrement, en vertu de l’article 24 de la loi:
    • Tout matériel produit par une organisation non commerciale inscrite au registre des organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger et/ou qu’elle distribue, y compris dans les médias généraux et/ou sur Internet; tout matériel qu’elle envoie aux organes de l’État, aux autorités locales, aux établissements d’éducation et aux autres organisations; et toute information relative aux activités d’une telle organisation qu’elle diffuse dans les médias doivent être accompagnés de l’indication que ce matériel ou cette information a été produit, diffusé et/ou envoyé par une organisation non commerciale exerçant les fonctions d’un agent étranger ou est lié à ses activités.
    • Tout matériel produit et/ou distribué par un fondateur, membre, participant ou responsable d’une organisation non commerciale inscrite au registre des organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger ou par une personne qui est membre d’un organe d’une telle organisation non commerciale, lors d’activités politiques sur le territoire de la Fédération de Russie; tout matériel que de telles personnes envoient aux organes de l’État, aux autorités locales, aux établissements d’éducation et aux autres organisations en lien avec la tenue d’activités politiques sur le territoire de la Fédération de Russie; et toute information relative aux activités politiques que mènent ces personnes qu’elles diffusent dans les médias doivent être accompagnés de l’indication que ce matériel ou cette information a été produit, diffusé et/ou envoyé par un fondateur, membre, participant ou responsable d’une organisation non commerciale exerçant les fonctions d’un agent étranger ou par une personne qui est membre d’un organe d’une telle organisation non commerciale.
  17. 588. Deuxièmement, le comité note que les obligations supplémentaires de faire rapport ci-après sont imposées aux «agents étrangers» (article 32 de la loi):
    • Audit annuel obligatoire des comptes (financiers) du syndicat.
    • Obligation de présenter une déclaration d’audit, des informations sur les programmes prévus ou en cours, d’autres documents sur lesquels se basent l’organisation d’événements, leur déroulement ou des informations indiquant qu’ils n’ont pas eu lieu. Les documents doivent contenir des informations sur les objectifs poursuivis en dépensant les fonds et d’autres actifs reçus de sources étrangères; les informations sur les programmes qu’il est prévu de mettre en œuvre et d’autres documents sur lesquels se fonde l’organisation d’événements doivent être présentés avant leur célébration; les informations sur les programmes mis en œuvre et d’autres documents sur lesquels se fonde l’organisation d’événements – tous les ans; et un rapport sur la mise en œuvre de programmes ou des informations indiquant que les événements en question n’ont pas eu lieu – tous les ans.
    • Obligation de présenter tous les six mois un rapport sur les activités et sur la composition des instances dirigeantes et les effectifs du syndicat.
    • Obligation de présenter tous les trimestres des documents relatifs aux objectifs pour lesquels les fonds et autres actifs, y compris reçus de sources étrangères, ont été dépensés.
    • Obligation de présenter une fois par an le rapport d’un vérificateur des comptes.
    • Obligation tous les six mois de publier sur Internet ou de fournir aux médias généraux pour publication un rapport sur les activités.
  18. 589. Troisièmement, le comité note que le même article prévoit des inspections planifiées et inopinées (une fois par an) des organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger. Il constate qu’un contrôle inopiné peut être motivé par la réception d’informations de la part des autorités publiques, des autorités locales, de citoyens ou d’organisations relatives à une infraction à la législation d’une organisation non commerciale exerçant les fonctions d’un agent étranger ou de ses statuts; au défaut d’enregistrement en tant qu’agent étranger; ou à la participation à des événements menés par une organisation non gouvernementale étrangère ou internationale dont les activités ont été déclarées indésirables sur le territoire de la Fédération de Russie. Si au cours d’une enquête, il s’avère nécessaire d’obtenir des documents et/ou des informations par l’échange d’informations entre agences, d’entreprendre des recherches complexes et/ou longues ou des analyses et des recherches spécialisées, le délai pour effectuer cet examen peut aller jusqu’à quarante-cinq jours ouvrables. Le comité considère qu’une loi qui entrave gravement les activités d’un syndicat ou d’une organisation d’employeurs au motif qu’ils acceptent une aide financière d’une organisation internationale de travailleurs ou d’employeurs à laquelle ils sont affiliés porte atteinte aux principes relatifs au droit de s’affilier aux organisations internationales.
  19. 590. Enfin, le comité note que, conformément à l’article 32 de la loi, un organe autorisé peut interdire à une organisation non commerciale exerçant les fonctions d’un agent étranger de mettre en œuvre un programme (ou une partie d’un programme); il doit rendre une décision motivée à cet égard. Le non-respect d’une telle décision entraîne la liquidation de l’organisation par décision de justice.
  20. 591. Le comité note que conformément à l’article 19.34 du Code des infractions administratives auquel la KTR renvoie:
    • le défaut de s’enregistrer en tant qu’organisation non commerciale exerçant les fonctions d’un agent étranger est passible d’une amende administrative dont le montant peut aller jusqu’à 300 000 roubles russes pour les responsables de l’organisation et de 300 000 à 500 000 roubles russes pour les personnes morales;
    • la production de matériels ou leur distribution, y compris dans les médias généraux et/ou sur Internet, ou leur envoi par ces organisations aux organes de l’État, etc. sans indiquer qu’ils ont été produits, distribués ou envoyés par une organisation non commerciale exerçant les fonctions d’un agent étranger est passible d’une amende administrative dont le montant peut aller jusqu’à 300 000 roubles russes pour les responsables de l’organisation, accompagnée ou pas de la confiscation de l’objet de l’infraction administrative, et de 300 000 à 500 000 roubles russes pour les personnes morales, accompagnée ou pas de la confiscation de l’objet de l’infraction administrative;
    • la même infraction commise par un fondateur, membre, participant ou responsable d’une telle organisation est passible d’une amende administrative dont le montant peut aller jusqu’à 5 000 roubles russes, accompagnée ou pas de la confiscation de l’objet de l’infraction administrative.
  21. 592. Compte tenu de ce qui précède, le comité estime qu’il est difficile de concilier la charge bureaucratique supplémentaire imposée aux syndicats qui reçoivent une aide financière de l’étranger, y compris d’une organisation syndicale internationale dont ils sont membres, et les fortes amendes dont sont passibles les organisations, leurs dirigeants et membres, avec le droit des syndicats d’organiser leur gestion, d’organiser librement leurs activités et de formuler leur programme d’action, de même qu’avec le droit de bénéficier d’une affiliation internationale. Il rappelle que le contrôle exercé par les autorités publiques sur les finances syndicales ne devrait pas aller au-delà de l’obligation de soumettre des rapports périodiques. Si les autorités sont entièrement libres de mener des inspections et de demander des renseignements à n’importe quel moment, il existe un risque d’intervention dans la gestion des syndicats. [Voir Compilation, paragr. 711.]
  22. 593. Le comité estime que la réglementation relative aux «agents étrangers» telle qu’elle s’applique aux syndicats est d’une lourdeur injustifiée; de même, la possibilité de subir des inspections longues et répétées et de se voir imposer de lourdes sanctions risque de paralyser le fonctionnement des syndicats concernés. En outre, le comité s’inquiète que l’obligation de le mentionner sur tout matériel produit et distribué par une organisation exerçant les fonctions d’un agent étranger nuise à l’image des syndicats et au rôle qu’ils jouent dans la société. Le comité prie donc le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour trouver une solution appropriée, en recourant au dialogue social, afin de garantir que la réglementation sur les organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger est compatible avec le principe de la liberté syndicale. Il le prie de communiquer des informations sur toutes les mesures prises en ce sens. Le comité s’attend également à ce que la discussion relative à la proposition susmentionnée se poursuive dans le cadre de la RTK afin de discuter de tous les points soulevés dans le présent cas et les cas précédents, et de les résoudre conformément aux recommandations du comité. Il prie le gouvernement de l’informer de tout fait nouveau à cet égard.
  23. 594. Le comité porte à l’attention de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations les aspects législatifs de ce cas.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 595. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité prie le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que le droit des syndicats d’exprimer des opinions, y compris de formuler des critiques à l’égard de la politique économique et sociale du gouvernement, soit dûment protégé en droit et dans la pratique. Il le prie de lui faire part de toutes les mesures adoptées en ce sens.
    • b) Le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour trouver une solution appropriée en recourant au dialogue social afin de garantir que la réglementation sur les organisations non commerciales exerçant les fonctions d’un agent étranger est compatible avec le principe de la liberté syndicale. Il le prie de communiquer des informations sur toutes les mesures prises en ce sens.
    • c) Le comité s’attend à ce que la discussion relative à la proposition d’avril 2010 susmentionnée se poursuive dans le cadre de la RTK afin de discuter de tous les points soulevés dans le présent cas et les cas précédents, et de les résoudre conformément aux recommandations du comité. Il prie le gouvernement de l’informer de tout fait nouveau à cet égard.
    • d) Le comité porte à l’attention de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations les aspects législatifs de ce cas.
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