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Rapport intérimaire - Rapport No. 392, Octobre 2020

Cas no 3210 (Algérie) - Date de la plainte: 26-AVR. -16 - En suivi

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Allégations: L’organisation plaignante dénonce une campagne de harcèlement et les intimidations d’une entreprise du secteur de l’énergie à l’encontre de ses dirigeants et adhérents, le refus d’exécuter des décisions de justice de réintégration de travailleurs licenciés abusivement, ainsi que le refus des pouvoirs publics de faire cesser les violations des droits syndicaux

  1. 179. Le Syndicat national autonome des travailleurs d’électricité et du gaz (SNATEG) a transmis des informations additionnelles dans des communications en date des 4 juin et 27 août 2018, des 9 et 25 février, 22 mai et 12 juin 2019. La Confédération syndicale des forces productives (COSYFOP), organisation faîtière à laquelle le SNATEG est affilié, a appuyé la plainte et fourni des informations complémentaires dans des communications en date des 27 août, 25 septembre, 11 et 15 octobre 2019, et du 31 janvier 2020.
  2. 180. Le gouvernement a fourni ses observations dans des communications en date du 15 mai 2018, et des 7 janvier, 25 juin et 19 novembre 2019.
  3. 181. L’Algérie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.

A. Examen antérieur du cas

A. Examen antérieur du cas
  1. 182. Lors de son examen antérieur du cas, le comité avait formulé les recommandations suivantes [voir 386e rapport, paragr. 120]:
    • a) Le comité attend du gouvernement qu’il veille au respect de ses décisions en application des principes de la liberté syndicale en ce qui concerne le droit des organisations minoritaires à exercer leurs activités et représenter leurs membres. En outre, le comité s’attend à ce que le gouvernement prenne toutes les mesures adéquates pour s’assurer du respect des dispositions de la loi pour le SNATEG s’il s’avère qu’il satisfait aux conditions prévues pour être considéré comme représentatif.
    • b) Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de la décision de la Cour suprême concernant l’affaire entre M. Abdallah Boukhalfa et l’entreprise suite au recours contre la décision du 15 décembre 2014 du tribunal d’El-Harrouch.
    • c) Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de l’issue du recours que M. Abdallah Boukhalfa aurait intenté contre M. Mellal pour usurpation de fonction. Entre-temps, le comité prie instamment le gouvernement d’adopter une attitude de neutralité dans cette affaire, notamment de s’abstenir de toute déclaration pouvant être perçue comme une forme d’ingérence dans le fonctionnement du SNATEG.
    • d) Le comité prie instamment le gouvernement d’indiquer sans délai si Mme Benmaiche a été réintégrée à son poste conformément à la décision de justice rendue et si cette dernière continue d’exercer des activités syndicales.
    • e) Notant avec préoccupation le nombre particulièrement élevé de délégués qui, selon l’organisation plaignante, ont été licenciés abusivement et rappelant que le gouvernement dispose d’une liste complète des délégués licenciés, le comité le prie instamment de faire procéder à des enquêtes afin d’établir les motifs de ces licenciements et, s’il s’avère que des licenciements ont été prononcés en raison d’activités syndicales légitimes, de prendre les mesures nécessaires pour permettre aux travailleurs licenciés d’obtenir leur réintégration dans leur poste de travail sans perte de rémunération, et d’appliquer à l’entreprise les sanctions légales pertinentes. Si la réintégration n’est pas possible pour des raisons objectives et impérieuses, les travailleurs concernés devraient être dûment indemnisés, cela de manière à constituer une sanction suffisamment dissuasive contre les licenciements antisyndicaux. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé sans délai des résultats des enquêtes.
    • f) Le comité exhorte le gouvernement à adopter toutes les mesures nécessaires pour assurer des relations professionnelles apaisées au sein de l’entreprise et pour apporter une réponse aux faits graves de discrimination antisyndicale rapportés. À cette fin, le comité prie instamment le gouvernement de diligenter rapidement des enquêtes sur toutes les allégations de discrimination dont il est saisi et de le tenir informé. Le comité attend également du gouvernement qu’il veille à la bonne application des décisions de justice rendues en la matière. De telles mesures doivent contribuer à garantir un environnement à même de permettre au SNATEG de développer ses activités sans ingérence ni intimidation.
    • g) Notant que la mission de contacts directs demandée par la Commission de l’application des normes en juin 2017 n’a pas encore eu lieu, le comité s’attend à ce que le gouvernement accepte cette mission afin de permettre de constater, pour les éléments qui concernent la présente plainte, les mesures prises et les progrès accomplis pour garantir un climat exempt d’intimidation et sans violence contre le SNATEG et ses membres.

B. Nouvelles allégations de l’organisation plaignante

B. Nouvelles allégations de l’organisation plaignante
  1. 183. Dans ses communications successives, le SNATEG dénonce la persistance du harcèlement judiciaire de l’entreprise SONELGAZ (ci-après l’«entreprise») et du gouvernement à l’encontre des dirigeants syndicaux, et en particulier plusieurs recours ayant abouti à la condamnation de M. Mellal, président de l’organisation syndicale, à des peines d’emprisonnement et des amendes. Le SNATEG se réfère notamment à sa condamnation pour diffamation à six mois de prison ferme et à une amende équivalant à 2 000 euros par une décision du 2 janvier 2017 alors qu’il dénonçait le harcèlement sexuel et le licenciement d’une travailleuse dans une filiale de l’entreprise. M. Mellal a également été condamné pour diffamation à deux mois de prison ferme et à une amende équivalant à 5 000 euros par une décision du 17 novembre 2017 rendue par contumace et, selon le SNATEG, entachée de vice de procédure suite à une déclaration faite contre un ancien ministre de l’Énergie. Par ailleurs, M. Mellal a aussi été condamné pour détention illégale de documents à six mois de prison ferme par une décision du 15 décembre 2016 de la Cour de Guelma. Il s’agit, pour le SNATEG, de représailles de l’entreprise suite à la dénonciation d’une pratique de tarification excessive. De manière générale, le SNATEG s’interroge sur la manière dont la justice a utilisé certains éléments de preuve à charge de M. Mellal (usage de faux validé par la cour, condamnation d’une dénonciation faite dans le cadre de l’action syndicale). Enfin, le SNATEG s’étonne par exemple d’une condamnation de M. Mellal à deux mois de prison ferme pour diffamation alors que, dans les faits, il avait fait parvenir à l’entreprise, sous forme de document interne confidentiel, une mise en demeure signalant une affaire de corruption.
  2. 184. Dans leurs communications de février et septembre 2019, le SNATEG et la COSYFOP dénoncent également les recours pour diffamation de l’entreprise ayant abouti en 2018 à des condamnations à des peines de prison ferme et à des amendes à l’encontre de M. Abdelkader Kouafi, secrétaire général du syndicat, et de M. Benzine Slimane, président de la section des travailleurs de la sûreté de l’entreprise, alors que ces derniers dénonçaient, dans le cadre de leur mandat, les conditions de travail dans l’entreprise. L’organisation plaignante fait également état de plusieurs nouvelles condamnations de M. Mellal, l’une prononcée le 8 mai 2019 pour diffamation suite à un recours de l’entreprise et l’autre prononcée le 9 mai 2019 pour usurpation d’identité suite à un recours du ministère du Travail. Chacun des jugements a condamné M. Mellal à six mois de prison ferme. De manière générale, la COSYFOP dénonce non seulement le recours désormais systématique à la justice, y compris par le gouvernement, pour entraver l’action syndicale de ses dirigeants, mais aussi le durcissement des peines prononcées, comme moyen supplémentaire d’intimidation.
  3. 185. Par ailleurs, l’organisation plaignante dénonce une justice à sens unique qui n’a donné suite à aucun des nombreux recours qu’elle a introduits devant la justice. Il s’agit notamment d’une plainte contre l’entreprise pour faux et usage de faux devant une dizaine de juridictions du pays, car l’entreprise arguerait d’une décision administrative de retrait du récépissé d’enregistrement du SNATEG. Il s’agit également de plusieurs plaintes contre les directeurs de l’entreprise pour diffamation et entrave à l’exercice de la liberté syndicale, ainsi que de plaintes pour adhésion forcée à un syndicat (prélèvement à la source de cotisations syndicales en faveur d’un autre syndicat dans l’entreprise). Enfin le SNATEG dénonce l’inaction de l’Office national de la corruption qu’il a saisi d’une plainte contre l’entreprise pour dilapidation de biens publics.
  4. 186. Dans ses communications successives d’août 2018 à juin 2019, le SNATEG dénonce une ingérence du gouvernement dans son fonctionnement interne en prétendant sa dissolution volontaire. Le SNATEG dément l’indication fournie par le gouvernement aux organes de contrôle de l’OIT selon laquelle l’organisation aurait volontairement décidé de sa dissolution lors d’une assemblée générale tenue en octobre 2017. Selon l’organisation plaignante, contrairement à la déclaration du représentant gouvernemental à la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail (107e session, mai juin 2018) faisant état de cette présumée assemblée générale tenue le 7 octobre, un congrès national du SNATEG a été tenu les 6 et 7 décembre 2017 à son siège avec la participation de l’ensemble des délégués des wilayas pour décider à l’unanimité de ne pas dissoudre le syndicat. Les délibérations du congrès et les décisions prises, notamment celle de ne pas dissoudre le syndicat, ont fait l’objet d’un procès-verbal rédigé par un huissier de justice, qui a été transmis au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale (pièce fournie dans la plainte).
  5. 187. Par ailleurs, le SNATEG dénonce une décision administrative de retrait de son enregistrement prise par le gouvernement le 16 mai 2017 (décision no 297) dont le gouvernement et l’entreprise se prévalent devant les instances judiciaires alors que le représentant du gouvernement en a nié l’existence devant la Commission de l’application des normes en juin 2017. Outre qu’il rappelle l’impossibilité d’une dissolution administrative des syndicats en vertu des principes de la liberté syndicale, le SNATEG dénonce le rejet des recours qu’il a intentés devant la justice pour contester une telle décision administrative. Il informe avoir saisi le Conseil d’État en appel des décisions de rejet et que son recours a été rejeté en juillet 2019, cela en contradiction de la recommandation explicite, formulée en juin 2019 par la Commission de l’application des normes, que le gouvernement revoie la décision de dissolution du syndicat.
  6. 188. Par ailleurs, le SNATEG rappelle plusieurs décisions de justice qui ont reconnu M. Mellal comme le président légitime du syndicat. Il se réfère notamment à l’ordonnance du juge d’instruction du tribunal d’El-Harrouch du 23 janvier 2017 déboutant M. Abdallah Boukhalfa de son recours intenté contre M. Mellal pour usurpation de fonction de président du syndicat, à la décision de la chambre d’accusation de la Cour de Guelma du 6 février 2017, ainsi qu’à la décision de la même cour du 27 novembre 2017 ordonnant la réintégration de M. Mellal à son poste de travail, en sa qualité de délégué et dirigeant syndical. À cet égard, le SNATEG dénonce le refus de l’entreprise d’exécuter la décision de justice au motif qu’elle a interjeté appel. Cette situation constitue une grave entrave à son action et une violation de la loi no 90-14 de 1990 relative aux modalités d’exercice du droit syndical. Le SNATEG dénonce le fait que l’inspection du travail refuse de constater cette violation.
  7. 189. S’agissant des mesures de licenciement abusif de syndicalistes et de dirigeants syndicaux, le SNATEG et la COSYFOP indiquent que les travailleurs, qui ont été réintégrés par l’entreprise sans aucune indemnité pour licenciement abusif, ont été contraints de se désaffilier et d’adhérer à un autre syndicat présent dans l’entreprise. Les syndicalistes refusant ce chantage de l’entreprise n’ont toujours pas été réintégrés. Il s’agit de syndicalistes qui bénéficient d’une décision judiciaire de réintégration mais que l’entreprise refuse d’exécuter (M. Raouf Mellal, président du syndicat; M. Kouafi Abdelkader, secrétaire général; M. Benarfa Wahid, président du bureau national de l’est; M. Araf Imad, président du bureau national du sud; et M. Djeha Makhfi, président de la section syndicale MPVE). Il s’agit aussi de syndicalistes pour lesquels l’inspection a appliqué l’article 56 de la loi no 90 14 pour demander leur réintégration. Cependant l’inspection n’a pas accompli les procédures de réintégration sur instruction du ministère du Travail (M. Benhadad Zakaria, membre du bureau national; M. Slimani Mohamed Amine Zakaria, président du Comité national des jeunes travailleurs; et M. Chertioua Tarek, président de comité de communication). Il s’agit enfin de syndicalistes qui ont saisi la justice mais qui attendent toujours un jugement (M. Mekki Mohamed, membre du bureau national; M. Benzine Slimane, président de la Fédération nationale des travailleurs de sécurité et prévention; M. Guebli Samir, président du bureau national du centre; et M. Meziani Moussa, président de la Fédération nationale des travailleurs de la distribution d’électricité et du gaz). Ces dirigeants ont tous été licenciés en 2017, à l’exception de M. Mellal, licencié en 2015. Le syndicat dénonce à cet égard le refus de l’entreprise d’exécuter la décision de justice de novembre 2017 ordonnant la réintégration de M. Mellal à son poste de travail, le pourvoi en cassation n’étant pas un motif de suspension d’exécution de la décision de justice en vertu du Code de procédure civile et administrative. Le syndicat indique en outre que plusieurs dirigeants licenciés ne disposent plus des revenus nécessaires pour engager des actions en justice pour assurer le suivi des recours en justice ou faire appliquer les décisions de réintégration.
  8. 190. S’agissant du licenciement abusif de M. Mellal, la COSYFOP s’est référée à une décision du 3 octobre 2019 de la Cour suprême annulant la décision du 27 novembre 2017 de la Cour d’appel de Guelma. La COSYFOP dénonce le fait que ni M. Mellal ni le SNATEG n’ont été notifiés de la décision de la Cour suprême, comme l’exige la loi. Outre qu’elle dénonce l’administration dilatoire de la justice sur un cas de licenciement intervenu en 2015, la COSYFOP dénonce une justice complaisante qui rend des décisions contraires aux conventions internationales et aux recommandations réitérées depuis plusieurs années par les organes de contrôle de l’OIT.
  9. 191. Le SNATEG rappelle que, au-delà de la situation de ses dirigeants syndicaux licenciés et harcelés, les autorités ont recours à une répression policière particulièrement violente à l’encontre de ses activités, comme à l’occasion d’une manifestation pacifique organisée le 3 février 2019 devant le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale afin d’exiger la réintégration des syndicalistes révoqués depuis deux années et la mise en œuvre des recommandations de la Commission de l’application des normes. À cette occasion, l’ensemble des dirigeants syndicaux ont été retenus pendant sept heures au poste de police, leurs téléphones portables ont été confisqués et certains ont été détenus.
  10. 192. Le SNATEG exhorte le comité à contraindre le gouvernement à se conformer aux normes internationales en matière de liberté syndicale, à mettre en œuvre sans délai supplémentaire les décisions de justice de réintégration de ses dirigeants, à revoir la décision de dissolution du syndicat comme demandé par les organes de contrôle de l’OIT, et ainsi à reconnaître le droit des travailleurs d’adhérer à l’organisation syndicale de leur choix et à permettre au syndicat de mener ses activités sans entrave ni ingérence.

C. Réponse du gouvernement

C. Réponse du gouvernement
  1. 193. Dans ses communications du 15 mai 2018 et du 7 janvier 2019, le gouvernement conteste une nouvelle fois la qualité de représentant syndical de M. Raouf Mellal, signataire de la plainte en tant que président de l’organisation plaignante, et maintient que le SNATEG a procédé à sa dissolution volontaire par vote unanime des membres présents à une assemblée générale convoquée le 7 octobre 2017. Le gouvernement rappelle que la dissolution volontaire d’une organisation syndicale est effectivement prévue en vertu de l’article 29 de la loi no 90-14 du 2 juin 1990 relative aux modalités d’exercice du droit syndical, qui dispose que la dissolution volontaire est prononcée par les membres de l’organisation syndicale ou les délégués régulièrement désignés, et ce conformément aux dispositions statutaires. Il indique que les statuts du SNATEG prévoient effectivement la dissolution volontaire. Les autorités ont simplement pris acte de cette dissolution en procédant à l’annulation du numéro de référence du syndicat dans le registre des organisations syndicales. Le gouvernement ajoute que M. Mellal a introduit un recours pour demander l’annulation de la dissolution volontaire du SNATEG et qu’il a été débouté par le Conseil d’État dans une décision rendue le 19 juillet 2018.
  2. 194. S’agissant des licenciements abusifs présumés de 46 dirigeants syndicaux dont l’organisation plaignante avait fourni une liste précédemment, le gouvernement s’est référé aux informations fournies par écrit à la Commission de l’application des normes (mai-juin 2018) et à la déclaration du représentant gouvernemental indiquant que, sur les cas répertoriés, une grande majorité a été réglée par une réintégration au poste de travail, par une réaffectation ou encore par un départ à la retraite à l’initiative du travailleur concerné. Un certain nombre de travailleurs demeuraient cependant licenciés et deux syndicalistes répertoriés ne faisaient pas partie de l’effectif de l’entreprise.
  3. 195. En outre, le gouvernement conteste l’allégation de l’organisation plaignante selon laquelle M. Mellal a été confirmé en tant que président légitime par décision de justice. Au contraire, le gouvernement fournit copie d’un courrier du ministère de la Justice indiquant que le tribunal d’El-Harrouch n’a rendu aucun jugement portant la référence avancée par l’organisation plaignante qui reconnaîtrait M. Mellal comme président du SNATEG. Le gouvernement confirme l’existence d’un conflit interne entre M. Boukhalfa et M. Mellal sur la présidence du syndicat et d’un recours en justice intenté à cet égard par M. Boukhalfa pour usurpation de fonction.
  4. 196. S’agissant de la situation de M. Mellal, le gouvernement fournit, dans sa communication de novembre 2019, copie d’une décision du 3 octobre 2019 de la Cour suprême annulant l’arrêt de la Cour d’appel de Guelma du 27 novembre 2017, sans renvoi. Le gouvernement rappelle que la décision de la Cour de Guelma avait annulé le jugement du 21 septembre 2016 du tribunal de Guelma déboutant M. Mellal de son recours contre son licenciement pour faute professionnelle du troisième degré. Le gouvernement indique que M. Mellal a usé de tous les droits de recours disponibles en vertu de la loi en ce qui concerne son licenciement de l’entreprise.
  5. 197. Le gouvernement affirme que son rôle s’est borné dans le présent cas à veiller au respect des dispositions légales et réglementaires en matière de liberté syndicale. Il considère que toutes les allégations de l’organisation plaignante sont dépourvues de preuves et demande au comité de considérer le cas comme clos au vu des dernières informations qu’il fournit.

D. Conclusions du comité

D. Conclusions du comité
  1. 198. Le comité rappelle que le présent cas porte sur des allégations de refus d’une entreprise du secteur de l’énergie de permettre à un syndicat officiellement enregistré de développer des activités, d’une campagne de harcèlement et d’intimidation à l’encontre des dirigeants et adhérents de ce syndicat par l’entreprise, de refus des pouvoirs publics de faire cesser les violations des droits syndicaux et de faire appliquer des décisions de justice en faveur du syndicat.
  2. 199. Le comité a procédé à l’examen du présent cas en tenant compte des informations fournies dans le cadre de la plainte, mais également des informations des autres organes de contrôle de l’OIT qui ont été amenés à examiner l’affaire depuis son dernier examen en juin 2018, en particulier la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (CEACR), et des conclusions de la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail sur la base des commentaires de la CEACR. Le comité a aussi bénéficié des informations fournies à la mission de haut niveau demandée par la Commission de l’application des normes qui s’est rendue sur place en mai 2019 et dont certaines conclusions et recommandations portent sur la situation du SNATEG.
  3. 200. Lors de son précédent examen du cas, le comité avait noté avec préoccupation le nombre particulièrement élevé de délégués syndicaux (membres du bureau national, des comités nationaux, des fédérations nationales et des sections syndicales des wilayas) qui, selon l’organisation plaignante, avaient fait l’objet de licenciements abusifs de la part de l’entreprise. Observant que le gouvernement disposait d’une liste des délégués licenciés fournie par le SNATEG, le comité l’avait prié de procéder à des enquêtes afin d’établir les motifs de ces licenciements et de le tenir informé des résultats et des mesures prises. À cette occasion, le comité avait rappelé la nécessité de prendre les mesures nécessaires, s’il était avéré que des licenciements avaient été prononcés en raison d’activités syndicales légitimes, pour permettre aux travailleurs licenciés d’obtenir leur réintégration dans leur poste de travail sans perte de rémunération, et d’appliquer à l’entreprise les sanctions légales pertinentes. Si la réintégration n’était pas possible pour des raisons objectives et impérieuses, les travailleurs concernés devaient être dûment indemnisés, cela de manière à constituer une sanction suffisamment dissuasive contre les licenciements antisyndicaux. Le comité note que, selon le SNATEG, la plupart des travailleurs ont été réintégrés par l’entreprise, cependant sans aucune indemnité pour licenciement abusif. Par ailleurs, ces derniers auraient été contraints de se désaffilier et d’adhérer à un autre syndicat présent dans l’entreprise. À cet égard, le comité rappelle que toute pression ayant pour but que des travailleurs ou des dirigeants syndicaux renoncent à leur affiliation syndicale constitue une violation du principe de libre affiliation syndicale énoncé dans la convention no 87. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 1198.] Le comité prie le gouvernement de fournir des informations à cet égard.
  4. 201. Selon le SNATEG, les dirigeants syndicaux refusant ce chantage de l’entreprise n’auraient toujours pas été réintégrés. Il s’agit de syndicalistes qui bénéficient d’une décision judiciaire de réintégration mais que l’entreprise refuse d’exécuter (M. Raouf Mellal, président du syndicat; M. Kouafi Abdelkader, secrétaire général; M. Benarfa Wahid, président du bureau national de l’est; M. Araf Imad, président du bureau national du sud; et M. Djeha Makhfi, président de la section syndicale MPVE). Il s’agit aussi de syndicalistes pour lesquels l’inspection du travail demande la réintégration en vertu de l’article 56 de la loi n°90-14. Cependant, selon l’organisation plaignante, l’inspection n’aurait pas mis à exécution les procédures de réintégration sur instruction du ministère du Travail (M. Benhadad Zakaria, membre du bureau national; M. Slimani Mohamed Amine Zakaria, président du Comité national des jeunes travailleurs; et M. Chertioua Tarek, président de comité de communication). Il s’agit enfin de syndicalistes qui ont saisi la justice mais qui attendent toujours un jugement (M. Mekki Mohamed, membre du bureau national; M. Benzine Slimane, président de la Fédération nationale des travailleurs de sécurité et prévention; M. Guebli Samir, président du bureau national du centre; et M. Meziani Moussa, président de la Fédération nationale des travailleurs de la distribution d’électricité et du gaz). Ces dirigeants ont tous été licenciés en 2017, à l’exception de M. Mellal, licencié en 2015.
  5. 202. Le comité note que le gouvernement a transmis à la Commission de l’application des normes à la 107e session de la Conférence internationale du Travail (mai-juin 2018) une liste répertoriant la situation des dirigeants syndicaux licenciés. Une majorité de cas a été réglée par une réintégration au poste de travail. Le gouvernement ne précise pas si cette réintégration a été accompagnée du versement d’une indemnité pour licenciement abusif. La liste fournie par le gouvernement confirme en outre qu’un certain nombre de travailleurs n’ont pas été réintégrés et fait état de deux syndicalistes répertoriés ne faisant pas partie de l’effectif de l’entreprise, notamment M. Abdelkader Kouafi, secrétaire général du SNATEG. Le comité note également que la liste du gouvernement ne répertorie pas la situation de M. Mellal, président du syndicat, ni celle de Mme Sarah Benmaiche, déléguée syndicale et membre du comité des femmes du SNATEG, qui aurait été harcelée puis licenciée et dont la réintégration ordonnée par la justice dès 2015 n’aurait jamais été exécutée par l’entreprise en l’absence de mesures de contrainte de la part des pouvoirs publics.
  6. 203. Le comité note avec regret que, malgré le laps de temps écoulé, les pouvoirs publics ne semblent pas avoir pris de mesures tangibles pour faire exécuter par l’entreprise les décisions de justice et de l’inspection du travail ordonnant la réintégration des syndicalistes. La commission rappelle que la liste des cas non résolus a été précédemment transmise au gouvernement pour qu’il enquête et prenne action. En outre, le comité note que la mission de haut niveau, en référence à la situation du SNATEG, s’est déclarée préoccupée par la non-exécution des décisions mais aussi par la judiciarisation excessive des procédures qui peuvent créer un climat d’impunité et mettre en doute l’impartialité de la justice. Le comité note avec préoccupation que cette judiciarisation excessive pourrait avoir pour effet que plusieurs dirigeants licenciés ne peuvent plus, faute de ressources, engager des actions en justice pour demander leur réintégration, comme le rapporte le SNATEG. Le comité rappelle que les affaires soulevant des questions de discrimination antisyndicale devraient être examinées promptement afin que les mesures correctives nécessaires puissent être réellement efficaces, et qu’une lenteur excessive dans le traitement de tels cas constitue une violation grave des droits syndicaux des intéressés. [Voir Compilation, paragr. 1139.] Compte tenu de ce qui précède, le comité attend du gouvernement qu’il prenne toutes les mesures nécessaires pour l’exécution sans délai supplémentaire des décisions de justice ou de l’inspection du travail, dont certaines remontent à 2017, concernant la réintégration des membres du SNATEG sans perte de rémunération. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de tout fait nouveau à cet égard. Le comité attend aussi du gouvernement qu’il prenne toutes les mesures nécessaires pour que les recours toujours en instance soient traités sans délai supplémentaire. Le comité prie le gouvernement ainsi que l’organisation plaignante de le tenir informé de tout fait nouveau concernant l’état des recours.
  7. 204. S’agissant de la situation de Mme Sarah Benmaiche, le comité note avec préoccupation l’indication figurant dans le rapport de la mission de haut niveau que cette dernière, comme sa famille, a fait l’objet d’intimidations qui l’ont conduite à se retirer de l’action syndicale. Notant que Mme Sarah Benmaiche ne figure pas dans la liste de cas de licenciement non résolus fournie par l’organisation plaignante, le comité prie instamment le gouvernement de l’informer sans délai sur sa situation professionnelle et de préciser si cette dernière a été réintégrée par l’entreprise.
  8. 205. Le comité rappelle aussi sa recommandation précédente concernant la situation de M. Abdallah Boukhalfa dont le licenciement a été annulé par une décision du 15 décembre 2014 du tribunal d’El-Harrouch qui a en outre condamné l’entreprise au versement de dommages et intérêts et à la prise en charge des frais judiciaires. Tout en notant que M. Boukhalfa ne figure pas dans la liste de cas de licenciement non résolus fournie par l’organisation plaignante, mais afin de faire le suivi de sa recommandation, le comité prie instamment le gouvernement d’indiquer si la Cour suprême, saisie par l’entreprise, a rendu sa décision dans cette affaire et de préciser la situation professionnelle de M. Boukhalfa.
  9. 206. Le comité prend note des informations concernant le recours judiciaire intenté par M. Mellal, président du SNATEG, suite à son licenciement en 2015. Il note que le tribunal de Guelma, dans une décision du 21 septembre 2016, a rejeté la plainte en annulation de la décision de licenciement. Le tribunal a reconnu la violation des dispositions légales imposant un délai de sept jours pour toute convocation à un conseil de discipline, alors que M. Mellal a été notifié de sa convocation le jour même de la convocation. Le tribunal a aussi reconnu la violation des articles 54 et 55 de la loi no 90-14 qui exigent l’information préalable du syndicat dans les cas de mesures disciplinaires à l’encontre d’un délégué syndical. Cependant, le tribunal a rejeté la plainte sur la base de sa lecture de l’article 73-4 de la loi no 90-11 sur les relations de travail (conditions d’annulation d’un licenciement pour non-respect des procédures). La Cour de Guelma (chambre sociale), saisie en appel par M. Mellal, a rendu sa décision le 27 novembre 2017. À cet égard, la cour a reconnu la qualité de délégué syndical de M. Mellal et retenu la violation par l’entreprise de l’obligation d’information du syndicat avant toute mesure disciplinaire à son encontre. Ainsi, la cour a annulé le jugement du tribunal de Guelma qui «n’a pas convenablement estimé les faits et n’a pas appliqué la loi de manière appropriée». Le comité note que l’entreprise s’est pourvue en cassation devant la Cour suprême le 4 avril 2018. La cour a rendu un arrêt le 3 octobre 2019 par lequel elle a annulé la décision du 27 novembre 2017 de la Cour de Guelma en estimant que cette dernière a accepté à tort de se prononcer en appel du jugement du 21 septembre 2016 du tribunal de Guelma qui était saisi en premier et dernier ressort en vertu de l’article 73-4 de la loi no 90-11.
  10. 207. Le comité note l’indication selon laquelle ni M. Mellal ni le SNATEG n’ont été notifiés de la décision de la Cour suprême, comme l’exige le Code de procédure civile et administrative. Outre qu’elle dénonce en l’espèce l’administration dilatoire de la justice sur un cas de licenciement intervenu en 2015, la COSYFOP dénonce une justice complaisante qui a rendu des décisions contraires aux conventions internationales et aux recommandations réitérées depuis plusieurs années par les organes de contrôle de l’OIT. De son côté, le gouvernement indique que M. Mellal a usé de tous les droits de recours disponibles en vertu de la loi en ce qui concerne son licenciement de l’entreprise. Le comité note avec une profonde préoccupation le temps particulièrement long pour la justice de se prononcer en dernier ressort sur le licenciement de M. Mellal, intervenu en 2015. Le comité rappelle qu’il a toujours considéré que le gouvernement a la responsabilité de prévenir tous actes de discrimination antisyndicale et doit veiller à ce que les plaintes pour des pratiques discriminatoires de cette nature soient examinées dans le cadre d’une procédure qui doit être prompte, impartiale et considérée comme telle par les parties intéressées. [Voir Compilation, paragr. 1138.] Le comité regrette qu’une procédure prompte et considérée comme impartiale ne semble pas avoir été assurée en l’espèce. Le comité note avec préoccupation que les instances ayant examiné l’affaire quant au fond ont relevé des manquements graves de l’entreprise en matière de respect des obligations légales de notification qui, selon elles, n’ont pas donné la possibilité à M. Mellal de prendre connaissance des griefs à son encontre, ni de préparer sa défense alors que la sanction prévue était le licenciement, mais que le jugement du tribunal de Guelma n’a pas pris en compte de manière plus conséquente de tels manquements graves au droit à la défense de M. Mellal pour remettre en question la mesure de licenciement.
  11. 208. Par ailleurs le comité note avec préoccupation les allégations du SNATEG faisant état d’un harcèlement judiciaire à l’encontre de ses dirigeants, en particulier de son président. Le comité note les nombreux recours intentés entre 2017 et 2018, pour certains à l’initiative même des autorités gouvernementales, à l’encontre des dirigeants du SNATEG, MM. Mellal, Kouafi et Slimane, et les condamnations pour diffamation prononcées par les tribunaux imposant des peines de prison et des amendes. Enfin, le comité est préoccupé par l’indication de la COSYFOP selon laquelle il est désormais systématiquement fait recours à la justice, notamment par le gouvernement, pour entraver l’action syndicale, mais aussi par le fait que les peines prononcées sont de plus en plus sévères, comme moyen supplémentaire d’intimidation. Le comité, ne souhaitant pas rentrer dans la substance des décisions de justice prononcées, tient à rappeler que le plein exercice des droits syndicaux exige la libre circulation des informations, des opinions et des idées, de sorte que les travailleurs et les employeurs, tout comme leurs organisations, devraient jouir de la liberté d’opinion et d’expression dans leurs réunions, publications et autres activités syndicales. Néanmoins, dans l’expression de leurs opinions, lesdites organisations ne devraient pas dépasser les limites convenables de la polémique et devraient s’abstenir d’excès de langage. Le comité attire aussi l’attention du gouvernement sur le fait que la menace de poursuites pénales systématiques en réponse à des opinions légitimes de représentants syndicaux peut avoir un effet d’intimidation et est préjudiciable à l’exercice des droits syndicaux. [Voir Compilation, paragr. 236 et 237.] Le comité attend du gouvernement qu’il établisse un climat de relations professionnelles harmonieux et stable où les dirigeants syndicaux peuvent exercer leurs activités de défense des intérêts de leurs membres sans crainte de poursuites pénales et de d’emprisonnement.
  12. 209. Le comité note les positions divergentes de l’organisation plaignante et du gouvernement concernant la dissolution volontaire du SNATEG. Le comité note que, selon le gouvernement, le SNATEG a procédé à sa dissolution volontaire par vote unanime des membres présents à cette assemblée générale convoquée le 7 octobre 2017. Cette dissolution a été notifiée au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, par un procès-verbal du même jour dressé par huissier de justice. Le gouvernement, rappelant que la dissolution volontaire d’une organisation syndicale se fait conformément à la loi no 90-14 du 2 juin 1990 et aux dispositions statutaires de l’organisation concernée, déclare avoir simplement pris acte de cette dissolution en accusant réception du procès-verbal dans un courrier adressé à M. Abdallah Boukhalfa et en procédant à l’annulation du numéro de référence du syndicat dans le registre des organisations syndicales. Le gouvernement ajoute que M. Mellal a introduit un recours pour demander l’annulation de la dissolution volontaire du SNATEG mais que ce dernier a été débouté par le Conseil d’État dans une décision définitive rendue le 19 juillet 2019. Le comité note que, de son côté, le SNATEG dénonce cette dissolution comme une ingérence du gouvernement dans son fonctionnement interne. Selon le SNATEG, une décision d’annulation de l’enregistrement administratif du syndicat (décision administrative no 297 du 16 mai 2017) est utilisée par l’entreprise, notamment devant les instances judiciaires, pour empêcher le syndicat de mener ses activités. Le gouvernement a nié devant la Commission de l’application des normes en juin 2017 avoir pris cette décision administrative. Par la suite, le gouvernement a publié un communiqué du 3 décembre 2017 qui annonçait la dissolution volontaire du SNATEG en vertu de la loi no 90-14, suite à la réception d’un procès-verbal d’huissier de justice. Or le SNATEG rappelle que, en vertu de l’article 29 de ladite loi, la dissolution volontaire est prononcée par les membres de l’organisation syndicale ou leurs délégués régulièrement désignés conformément aux dispositions statutaires. Le SNATEG fait valoir que ses statuts prévoient que la dissolution est décidée lors d’un congrès national. L’assemblée générale à laquelle fait référence le gouvernement dans son communiqué de presse n’avait donc ni la compétence ni l’autorité pour décider de la dissolution. Le SNATEG ajoute que, contrairement aux déclarations du gouvernement, un congrès national s’est tenu les 6 et 7 décembre 2017 à son siège avec la participation de l’ensemble des délégués des wilayas et a décidé à l’unanimité de ne pas dissoudre le syndicat. Les délibérations du congrès et les décisions prises, notamment celle de ne pas dissoudre le syndicat, ont fait l’objet d’un procès verbal rédigé, par un huissier de justice, qui a été transmis au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale. Le SNATEG dénonce les décisions de justice qui ont rejeté les recours en annulation de sa dissolution administrative comme une violation grave des principes de la liberté syndicale reconnus dans les conventions ratifiées par l’Algérie.
  13. 210. Le comité note que tant l’organisation plaignante que le gouvernement indiquent que la justice a été saisie sur la question de la direction du SNATEG. Le comité relève que l’organisation plaignante fait état de plusieurs décisions de justice qui reconnaissent M. Mellal comme le président légitime du syndicat. Il s’agirait notamment d’une ordonnance du juge d’instruction du tribunal d’El-Harrouch du 23 janvier 2017 déboutant M. Boukhalfa de son recours contre M. Mellal, ou de la décision de la Cour de Guelma du 27 novembre 2017 ordonnant la réintégration de M. Mellal à son poste de travail, en sa qualité de dirigeant du SNATEG. Le comité note cependant que le gouvernement conteste l’allégation de ce que M. Mellal a été confirmé en tant que président légitime par la justice. Le gouvernement fournit à cet effet copie d’un courrier du ministère de la Justice indiquant que le tribunal d’El-Harrouch n’a rendu aucun jugement portant la référence avancée par l’organisation plaignante qui reconnaîtrait M. Mellal comme président du SNATEG.
  14. 211. Le comité observe que la dissolution du SNATEG a été évoquée pour la première fois devant la Commission de l’application des normes en juin 2017 où le gouvernement a nié l’existence d’une décision administrative de dissolution du syndicat. Cependant, le comité note que, peu après, le gouvernement a publié un communiqué annonçant la dissolution du SNATEG, vraisemblablement suite à une assemblée générale du syndicat convoquée par M. Boukhalfa qui a décidé de la dissolution. Le comité observe à cet égard que les statuts du SNATEG ne prévoient la possibilité de décider de sa dissolution que par le biais d’un congrès national. L’assemblée générale convoquée en octobre 2017 et évoquée par le gouvernement n’apparaît pas comme l’organe compétent pour décider de la dissolution du SNATEG en vertu des textes qui régissent le fonctionnement du syndicat. En outre, le comité note que, alors que le SNATEG se prévaut d’un congrès tenu en décembre 2017 confirmant la non-dissolution du syndicat et que le procès-verbal de ce congrès a été communiqué au gouvernement, les autorités ne semblent pas en avoir tenu compte en maintenant la décision de dissolution du syndicat. Cette situation est de nature à soulever des interrogations sur une possible ingérence des autorités. En outre, le comité note que, mis à part les représentants gouvernementaux, aucun interlocuteur n’a souhaité rencontrer la mission de haut niveau pour contredire la position de M. Mellal et des représentants du SNATEG contestant la mesure de dissolution du syndicat.
  15. 212. À la lumière de ce qui précède, le comité estime nécessaire de déterminer les circonstances ayant abouti à la décision administrative entérinant la dissolution du SNATEG malgré des éléments contraires présentés aux autorités. Le comité prie instamment le gouvernement de diligenter une enquête indépendante à cet effet. En outre, le comité, se référant aux recommandations formulées par la Commission de l’application des normes en juin 2019, s’attend à ce que le gouvernement revoie sans délai la décision de dissoudre le SNATEG et le prie instamment de le tenir informé de toute action entreprise dans ce sens.
  16. 213. Par ailleurs, le comité note avec préoccupation les allégations du SNATEG dénonçant une répression policière particulièrement violente à l’encontre d’une manifestation pacifique organisée par les membres du syndicat le 3 février 2019 devant le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale afin d’exiger la réintégration des syndicalistes et la mise en œuvre des recommandations de la Commission de l’application des normes. À cette occasion, l’ensemble des dirigeants syndicaux manifestants auraient été arrêtés et retenus au poste de police pendant sept heures, se seraient vu confisquer leurs téléphones portables, et deux membres auraient été détenus. Notant que le gouvernement n’a pas fourni d’observations concernant ces allégations, le comité rappelle que, à l’occasion de manifestations syndicales, les autorités ne devraient avoir recours à la force publique que dans des situations où l’ordre public serait sérieusement menacé. L’intervention de la force publique devrait rester proportionnée à la menace pour l’ordre public qu’il convient de contrôler, et les gouvernements devraient prendre des dispositions pour que les autorités compétentes reçoivent des instructions appropriées en vue d’éliminer le danger qu’impliquent les excès de violence lorsqu’il s’agit de contrôler des manifestations qui pourraient troubler l’ordre public. De leur côté, les organisations de travailleurs devraient respecter les dispositions légales ou l’ordre public et s’abstenir de tout acte de violence pendant les manifestations. Le comité souhaite également rappeler que l’arrestation de dirigeants syndicaux et de syndicalistes ainsi que de dirigeants d’organisations d’employeurs dans l’exercice d’activités syndicales légitimes en rapport avec leur droit d’association, même si c’est pour une courte période, constitue une violation des principes de la liberté syndicale, et il attire l’attention du gouvernement sur le fait qu’il n’y a aucune chance qu’un système de relations professionnelles stables fonctionne harmonieusement dans un pays tant que des syndicalistes y seront soumis à des mesures d’arrestation et de détention. [Voir Compilation, paragr. 217, 221, 121 et 127.] Le comité attend du gouvernement qu’il veille au respect de ce qui précède.
  17. 214. De manière générale, le comité tient à exprimer sa profonde préoccupation devant le cumul de difficultés rencontrées par les dirigeants du SNATEG pour exercer leurs droits syndicaux légitimes dans le présent cas. Ces difficultés comprennent une campagne de répression dirigée par une entreprise contre les dirigeants et membres d’un syndicat légalement enregistré, les mesures de licenciement massif et le refus de l’entreprise d’exécuter des décisions de réintégration en toute impunité, l’administration dilatoire de la justice, les difficultés d’application de la loi qui aboutissent à la mise en cause de la qualité de responsable syndical, l’ingérence dans les activités syndicales, le harcèlement judiciaire, et les actes de violence policière et d’intimidation lors de manifestations pacifiques. Le comité observe en particulier que le présent cas révèle l’absence de protection juridique et dans la pratique contre les actes de discrimination antisyndicale à l’encontre des dirigeants et membres du SNATEG. Le comité note avec regret que ces difficultés ont sans aucune doute porté préjudice à la conduite des activités du syndicat mais aussi constitué une intimidation entravant le libre exercice de la liberté syndicale. En conséquence, le comité exhorte le gouvernement à mettre en œuvre sans délai ses recommandations afin d’assurer au sein de l’entreprise un environnement où les droits syndicaux sont respectés et garantis pour toutes les organisations syndicales, et où les travailleurs ont la possibilité d’adhérer au syndicat de leur choix, d’élire leurs représentants et d’exercer leurs droits syndicaux sans crainte de représailles et d’intimidation.
  18. 215. Le comité rappelle au gouvernement qu’il peut se prévaloir, s’il le souhaite, de l’assistance technique du Bureau.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 216. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité attend du gouvernement qu’il prenne toutes les mesures nécessaires pour l’exécution sans délai supplémentaire des décisions de justice ou de l’inspection du travail concernant la réintégration des membres du SNATEG sans perte de rémunération. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de tout fait nouveau à cet égard.
    • b) Le comité attend aussi du gouvernement qu’il prenne toutes les mesures nécessaires pour que les recours toujours en instance soient traités sans délai supplémentaire. Le comité prie le gouvernement ainsi que le plaignant de le tenir informé de tout fait nouveau concernant l’état des recours.
    • c) Le comité, notant avec préoccupation l’indication que Mme Sarah Benmaiche, comme sa famille, a fait l’objet d’intimidations qui l’ont conduite à se retirer de l’action syndicale, prie instamment le gouvernement de l’informer sans délai sur la situation professionnelle de cette dernière, notamment de préciser si elle a été réintégrée par l’entreprise. Par ailleurs, le comité prie le gouvernement d’indiquer si la Cour suprême a rendu sa décision dans l’affaire de licenciement de M. Abdallah Boukhalfa et de préciser la situation professionnelle de ce dernier. Enfin, le comité prie le gouvernement de fournir des informations en relation avec les allégations selon lesquelles la plupart des travailleurs réintégrés dans l’entreprise auraient été contraints de se désaffilier du SNATEG et d’adhérer à un autre syndicat présent dans l’entreprise.
    • d) Le comité attend du gouvernement qu’il établisse un climat de relations professionnelles harmonieux et stable où les dirigeants syndicaux peuvent exercer leurs activités de défense des intérêts de leurs membres sans crainte de poursuites pénales et d’emprisonnement.
    • e) Le comité prie instamment le gouvernement de diligenter une enquête indépendante pour déterminer les circonstances ayant abouti à la décision administrative entérinant la dissolution du SNATEG malgré des éléments contraires présentés aux autorités. En outre, le comité, se référant aux recommandations formulées par la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail en juin 2019, s’attend à ce que le gouvernement revoie sans délai la décision de dissoudre le SNATEG et le prie instamment de le tenir informé de toute action entreprise dans ce sens.
    • f) Le comité attend du gouvernement qu’il veille au respect de la liberté syndicale durant l’intervention des forces de police lors de manifestations pacifiques.
    • g) Le comité exhorte le gouvernement à mettre en œuvre sans délai ses recommandations afin d’assurer au sein de l’entreprise un environnement où les droits syndicaux sont respectés et garantis pour toutes les organisations syndicales, et où les travailleurs ont la possibilité d’adhérer au syndicat de leur choix, d’élire leurs représentants et d’exercer leurs droits syndicaux sans crainte de représailles et d’intimidation.
    • h) Le comité rappelle au gouvernement qu’il peut se prévaloir, s’il le souhaite, de l’assistance technique du Bureau.
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