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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 388, Mars 2019

Cas no 3285 (Bolivie (Etat plurinational de)) - Date de la plainte: 28-AVR. -17 - En suivi

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Allégations: Les organisations plaignantes allèguent des restrictions au droit de grève dans le secteur de la santé publique, l’élaboration de normes sur des questions relatives à la sécurité sociale sans que les organisations syndicales intéressées n’aient été préalablement consultées, et un acte d’ingérence des autorités publiques

  1. 205. La plainte qui fait l’objet du cas no 3285 est contenue dans des communications en date des 28 avril, 19 mai et 14 juillet 2017 de la Fédération des syndicats du secteur médical et activités connexes de la Caisse nationale de santé (FESIMRAS). La plainte qui fait l’objet du cas no 3288 est contenue dans des communications en date des 1er et 2 juin 2017 de la Centrale ouvrière bolivienne (COB). Dans la mesure où les plaintes portent sur des problématiques identiques, les cas nos 3285 et 3288 seront examinés conjointement par le Comité de la liberté syndicale.
  2. 206. Le gouvernement a envoyé ses observations dans deux communications en date du 25 mai 2018.
  3. 207. L’Etat plurinational de Bolivie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes

    Cas no 3285

  1. 208. Dans sa communication du 28 avril 2017, la FESIMRAS indique que, le 21 décembre 2015, un cahier de revendications contenant 14 points, dont l’un concerne l’institutionnalisation des postes de base, aurait été présenté au ministre de la Santé. La fédération plaignante déclare que, en vertu de l’article 151 du décret réglementaire de la loi générale du travail, l’employeur dispose d’un délai de dix jours pour formuler sa réponse et que, en l’absence de réponse du ministère de la Santé, la FESIMRAS a communiqué son cahier de revendications au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale le 4 avril 2016, en demandant qu’une commission de conciliation soit formée. Cette demande aurait été réitérée le 10 août 2016 et aucune réponse n’aurait été communiquée par ce ministère.
  2. 209. La fédération plaignante indique que c’est l’absence de réponse du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale à son cahier de revendications et le mécontentement suscité par la nomination d’un nouveau directeur général de la Caisse nationale de santé, qui ne remplirait pas les critères professionnels exigés pour ce poste, qui sont à l’origine des pressions sociales exercées par ladite fédération, sous forme d’une série de grèves échelonnées de 24 à 48 et 72 heures, ainsi que d’une grève illimitée, entre décembre 2016 et février 2017, au cours desquelles les services d’urgence auraient été renforcés. L’organisation plaignante indique que le ministère de la Santé a demandé au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale de déclarer l’illégalité de chacune de ces grèves et que celles-ci ont donc été déclarées illégales au motif que les services de santé doivent être assurés de manière ininterrompue (art. 38 de la Constitution), que la loi générale du travail interdit l’arrêt de travail dans les services publics (art. 118), que le décret suprême no 1958 du 16 mars 1950 interdit les grèves dans les services de santé, et que tous les moyens de conciliation et d’arbitrage n’ont pas été épuisés.
  3. 210. La fédération plaignante souligne que toutes les décisions administratives ont été successivement contestées par des recours en révocation et hiérarchiques, mais que ses arguments n’auraient pas été pris en considération, car le gouvernement aurait confirmé l’illégalité des grèves dans un objectif politique, et remet en question l’impartialité de l’autorité administrative qui, selon elle, s’est constituée juge et partie. En outre, la fédération plaignante estime que ces décisions seraient incompatibles avec le contexte constitutionnel bolivien actuel, dans la mesure où la Constitution garantit la grève en tant que moyen de défense des droits des travailleurs et que l’autorité administrative a fondé ses décisions sur une ancienne Constitution désormais abrogée, qui subordonnait le droit de grève au «respect préalable des procédures légales». Enfin, la fédération plaignante souligne qu’à ce jour aucune suite n’a été donnée à son cahier de revendications.
  4. 211. Dans sa communication en date du 19 mai 2017, la fédération plaignante fait savoir que, en représailles à ses précédentes actions, le gouvernement a fait appliquer les décrets suprêmes nos 3091 et 3092 (du 15 février 2017) et promulgué la loi no 922 (du 29 mars 2017). Selon l’organisation plaignante, ces normes seraient discriminatoires vis-à-vis du droit de grève et contraires à la convention (no 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952, en ce qu’elles mettraient en péril le droit fondamental à la sécurité sociale à court terme, modifieraient les modalités de libre affiliation, radiation et nouvelle affiliation aux entités gestionnaires de la sécurité sociale, et pourraient entraîner une précarisation des services médicaux. L’organisation plaignante souligne, en outre, que le gouvernement n’a pas consulté préalablement les organisations syndicales à propos des normes susmentionnées et indique que, en l’absence de garanties d’un dialogue de bonne foi, le Collège médical de Bolivie et la Commission nationale de santé ont organisé de nouvelles grèves, les 17 et 18 mai 2017, pour exiger l’abrogation des normes susmentionnées.
  5. 212. Selon la FESIMRAS, après l’annonce d’un troisième arrêt de travail de 72 heures, le Défenseur du peuple a entamé une action populaire (action comparable au recours constitutionnel en amparo) dans le but d’obtenir une interdiction judiciaire du droit de grève. L’organisation plaignante dénonce l’action du Défenseur du peuple car, selon elle, cette action judiciaire avait un caractère politique alors que le Défenseur du peuple est indépendant des pouvoirs publics, et elle remet en cause la décision rendue en première instance par le Tribunal des garanties constitutionnelles, accordant partiellement la protection constitutionnelle au Défenseur du peuple. La fédération plaignante allègue à ce propos que: i) le Défenseur du peuple s’est contenté de convoquer à l’audience le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale et le ministère de la Santé en tant que tiers concernés, en excluant les organisations syndicales qui avaient un intérêt particulier dans cette affaire; ii) cette instance n’a pas reconnu que les grèves n’avaient fait courir aucun risque pour la vie des personnes, car tous les services d’urgence avaient été renforcés, conformément au principe relatif aux services minimums en cas de grève prôné par le Comité de la liberté syndicale; iii) le Tribunal des garanties constitutionnelles comme le Défenseur du peuple n’ont pas tenu compte du caractère indispensable du droit de grève, puisque c’est en exerçant ce droit que l’on peut parvenir à un meilleur exercice du droit à la santé; iv) si, dans le cadre du réexamen de l’action populaire actuellement en instance, la restriction au droit de grève demandée par le Collège médical de Bolivie est confirmée, cela pourrait créer un précédent en matière de criminalisation des grèves, laquelle pourrait s’étendre à d’autres secteurs et exposer les dirigeants syndicaux à des risques de poursuites pénales; v) lors de l’examen d’un autre cas, le Comité de la liberté syndicale avait demandé au gouvernement bolivien de prendre les mesures nécessaires pour que la décision de déclarer une grève illégale revienne à un organe indépendant des parties et jouissant de leur confiance; et vi) le tribunal de première instance s’est fondé en partie sur des dispositions infraconstitutionnelles, puisqu’il a invoqué des dispositions de la Constitution de 1967, désormais abrogée, qui prévoient le respect préalable des procédures légales, et a également considéré à tort comme applicables les dispositions infraconstitutionnelles de l’article 118 de la loi générale du travail, du décret suprême no 1958 et du décret-loi no 2565 promulgué par une junte militaire.

    Cas no 3288

  1. 213. Dans ses communications en date des 1er et 2 juin 2017, la COB déclare que l’entrée en vigueur des décrets suprêmes nos 3091 et 3092 et la promulgation de la loi no 922 auraient donné lieu à une contestation du secteur médical et à des grèves organisées pour demander l’abrogation de ces normes, au motif qu’elles risquaient de mettre en péril les caisses de santé. L’organisation plaignante indique que, en ce qui concerne l’entrée en vigueur et la promulgation des normes susmentionnées: i) la création de l’Autorité de surveillance et de contrôle du système national de santé, par le décret suprême no 3091, permet au gouvernement de décider de manière arbitraire de la disparition des caisses de santé, en laissant la possibilité aux employeurs de radier leurs travailleurs, sans les consulter et sans être obligés de les réaffilier à une entité appropriée; ii) après l’annonce d’un arrêt de travail de 72 heures dans le secteur médical, le Défenseur du peuple a entamé une action populaire dans le but d’obtenir une interdiction judiciaire de l’exercice de droit de grève au Collège médical de Bolivie; iii) dans le cadre de l’action populaire entamée par le Défenseur du peuple, la Cour constitutionnelle a accordé partiellement la protection constitutionnelle à celui-ci et a interdit au Collège médical de Bolivie l’exercice du droit de grève au motif simpliste de la primauté du droit à la santé sur le droit de grève; iv) les grèves du Collège médical de Bolivie n’auraient pas mis en danger la vie des personnes puisque les services médicaux ont été renforcés conformément au principe relatif aux services minimums prôné par le Comité de la liberté syndicale; v) le Défenseur du peuple comme la Cour constitutionnelle ont délibérément ignoré que le Collège médical de Bolivie ne cherchait qu’à défendre les caisses de santé de la sécurité sociale à court terme, et le droit à la santé des travailleurs affiliés et de leurs familles à ces entités gestionnaires, lesquels représenteraient 30 pour cent de la population bolivienne; et vi) la confirmation de cette décision pourrait créer un précédent juridique néfaste en matière de criminalisation des grèves, en particulier pour les travailleurs manuels des caisses de santé.
  2. 214. En outre, la COB formule des allégations d’ingérence, de favoritisme et de parallélisme syndical. L’organisation plaignante déclare que le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale reconnaît des organisations syndicales parallèles qui seraient affiliées à la centrale, et que le processus de reconnaissance de ces organisations mené par ce ministère aurait été beaucoup plus rapide qu’il ne le serait pour les organisations légitimes affiliées à la COB. L’organisation plaignante se réfère en particulier au cas d’un ex-dirigeant de la Centrale ouvrière départementale de La Paz qui a été expulsé de cette organisation au motif qu’il avait organisé des congrès ordinaires sans l’autorisation de la centrale. L’organisation plaignante dénonce la décision du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale reconnaissant le comité exécutif parallèle, rendue six heures après la réception de la demande, sans que les conditions nécessaires à sa reconnaissance n’aient été remplies, y compris en ce qui concerne l’approbation de la COB. Cette dernière fait néanmoins observer que, lorsque le nouveau comité exécutif de la Centrale ouvrière départementale de la Paz, légitimement élu lors d’un congrès ordinaire tenu les 29 et 30 mars 2017, a demandé sa reconnaissance au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale et l’annulation du comité exécutif parallèle, le ministère n’aurait pas agi en faveur du syndicat légitime.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement

    Cas no 3285

  1. 215. Dans sa communication du 25 mai 2018, le gouvernement fait savoir que, en ce qui concerne les allégations formulées par la FESIMRAS relatives aux violations présumées du droit de grève: i) la liberté syndicale est un droit des travailleurs et des organisations syndicales leur permettant de se regrouper et de défendre leurs intérêts communs; ii) s’il est vrai que la Constitution politique de l’Etat garantit le droit de grève en tant que faculté légale prévue par la loi, elle garantit également le droit à la santé et prévoit que les services de santé «seront assurés de manière ininterrompue»; iii) la procédure régulière relative à l’exercice du droit de grève est inscrite dans le chapitre I du titre X de la loi générale du travail, ainsi que dans le chapitre X du décret réglementaire de la loi générale du travail; iv) la décision constitutionnelle no 04/2001 du 5 janvier 2001 établit que «les droits fondamentaux ne sont pas absolus; il y a certaines limites et restrictions aux droits d’autrui puisque prévalent l’intérêt général, l’ordre juridique et les facteurs de sécurité publique, de moralité et de santé, qui ne sauraient être sacrifiés au nom d’un exercice arbitraire ou abusif des prérogatives individuelles; autrement dit, les droits fondamentaux peuvent être limités dans l’intérêt social»; v) la décision constitutionnelle no 429/2002-R du 15 avril 2002 établit que «les personnes ne peuvent exercer leurs droits sans restriction et de manière arbitraire au détriment des droits d’autrui, l’exercice de ces droits doit donc être réglementé»; vi) dans le présent cas, en l’absence de réponse du ministère compétent pour répondre à son cahier de revendications et mettre en place une commission de conciliation, la FESIMRAS aurait pris des mesures de pression, sans chercher à savoir si d’autres moyens appropriés existaient pour contester le fait que les fonctionnaires n’avaient pas répondu en temps voulu aux demandes, y compris pour les sanctionner; vii) la Direction départementale du travail de La Paz et la Direction générale du travail, de l’hygiène et de la sécurité au travail, qui relèvent du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale, ont déclaré les grèves illégales au motif qu’elles ne respectaient pas les procédures légales; et viii) la FESIMRAS a ensuite fait usage une fois de plus de mesures de pression sociale, au motif que les décrets suprêmes nos 3091 et 3092 et la loi no 922 seraient discriminatoires vis-à-vis du droit de grève et porteraient atteinte au droit à la santé, et ces mesures ont été déclarées encore une fois illégales, la procédure régulière n’ayant pas été respectée.
  2. 216. Par conséquent, le gouvernement considère que les instruments internationaux relatifs à la protection des droits humains, qui font partie du bloc de constitutionnalité, ne se limitent pas à énoncer l’ensemble des droits, libertés et garanties dans ce domaine, mais servent aussi à établir les conditions particulières dans lesquelles l’Etat peut restreindre ou limiter les droits et violations, et considère, dans le cas présent, que le droit à la santé et à la vie de la population bolivienne devrait l’emporter sur le droit de grève de la fédération plaignante.

    Cas no 3288

  1. 217. En ce qui concerne les allégations de la COB relatives aux dispositions des décrets suprêmes nos 3091 et 3092, et à la loi no 922, le gouvernement fait savoir que l’objet de ces normes n’est pas de faire disparaître les caisses de santé mais vise à la reconnaissance constitutionnelle du droit à la santé que l’Etat a l’obligation de garantir. En outre, selon le gouvernement, l’objet du décret suprême no 3091 était d’améliorer les services de santé, mais un processus de modification dudit décret aurait été engagé à la suite d’observations formulées par différents partenaires et serait en instance devant l’Unité d’analyse des politiques sociales et économiques.
  2. 218. En ce qui concerne les allégations de l’organisation plaignante relatives aux restrictions présumées au droit de grève dans le secteur de la santé publique, le gouvernement fait savoir que: i) l’article 118 de la loi générale du travail interdit l’arrêt de travail dans les services à caractère public; ii) l’article 1 du décret suprême no 1958 dispose que les services de santé font partie des services à caractère public au sens de l’article 118 de la loi générale du travail; iii) la décision constitutionnelle no 004/2001 établit que les droits fondamentaux peuvent être limités dans l’intérêt social; iv) les services essentiels sont définis par la commission d’experts de l’OIT comme étant «les services dont l’interruption risquerait de mettre en danger la vie, la sécurité ou la santé de la personne, dans une partie ou dans l’ensemble de la population»; v) selon le rapport la Direction générale de la santé, lors de la grève menée dans ce secteur les 17 et 18 mai 2017, le droit à la santé d’au moins 6 000 personnes a été violé au niveau national, 850 opérations chirurgicales programmées ont été suspendues et 2 100 consultations externes ont été reportées dans des hôpitaux de troisième niveau (hôpitaux de référence ou hôpitaux hautement spécialisés); vi) selon les termes de la décision administrative no 097-17 du 19 mai 2017 de la Direction générale du travail, de l’hygiène et de la sécurité au travail du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale, les moyens de conciliation n’auraient pas été épuisés; et vii) le Tribunal des garanties constitutionnelles a statué sur l’action populaire et a accordé partiellement la protection constitutionnelle au Défenseur du peuple, considérant que le Collège médical de Bolivie avait le devoir de garantir le droit à la santé dans des conditions normales à tous les usagers et que ces conditions devaient être garanties par le ministère de la Santé et le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale, en vertu des pouvoirs que leur confèrent la Constitution et la loi.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 219. Le comité observe que, dans le présent cas, la Fédération des syndicats du secteur médical et activités connexes de la Caisse nationale de santé (FESIMRAS) et la Centrale ouvrière bolivienne (COB) dénoncent des restrictions au droit de grève dans le secteur de la santé publique. Le comité observe également que la FESIMRAS allègue que les organisations syndicales n’ont pas été consultées préalablement à l’adoption de normes législatives touchant à leurs intérêts et que la COB dénonce un favoritisme syndical et un parallélisme, ainsi qu’une ingérence du ministère du Travail.
  2. 220. Le comité constate que, selon la FESIMRAS, après une première série de grèves menées dans le secteur de la santé publique pour dénoncer l’inaction du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale, en ce qui concerne la formation d’une commission de conciliation et la nomination controversée du directeur général de la Caisse nationale de santé, le ministère de la Santé a entamé plusieurs procédures administratives pour déclarer la grève illégale, procédures qui ont débouché sur des décisions favorables à ce ministère, comme c’est le cas pour les recours en révocation et hiérarchiques formés ultérieurement par la fédération plaignante. En outre, les deux organisations plaignantes indiquent que de nouvelles grèves ont été organisées pour contester l’entrée en vigueur des décrets suprêmes nos 3091 et 3092 et la promulgation de la loi no 922 et que, après l’annonce d’une troisième grève de 72 heures, le Défenseur du peuple a entamé une action populaire (action comparable au recours constitutionnel en amparo) devant le Tribunal des garanties constitutionnelles, lequel a statué partiellement en faveur du requérant, en interdisant la poursuite des grèves.
  3. 221. En ce qui concerne la première série de grèves déclarées illégales par l’autorité administrative, le comité observe que l’organisation plaignante concernée allègue que: i) des normes infraconstitutionnelles ont été invoquées, notamment les dispositions d’une ancienne Constitution; ii) les décisions administratives susmentionnées déclarant la grève illégale sont incompatibles avec le contexte constitutionnel bolivien; iii) ces décisions administratives pourraient entraîner des poursuites pénales contre les dirigeants des organisations grévistes; et iv) le gouvernement s’est constitué juge et partie dans le processus de déclaration d’illégalité des grèves ainsi que dans les recours en révocation et hiérarchiques ultérieurs.
  4. 222. En ce qui concerne la deuxième série de grèves ainsi que l’action populaire entamée par le Défenseur du peuple, le comité note que les deux organisations plaignantes font savoir que: i) l’action populaire entamée par le Défenseur du peuple aurait un caractère politique; ii) les services d’urgence ont été renforcés, conformément au principe relatif aux services minimums; iii) la décision de la Cour constitutionnelle a été contestée et, dans le cas où elle serait confirmée, cela constituerait un précédent important pour l’exercice du droit de grève; iv) lors de l’examen d’un précédent cas concernant la déclaration d’illégalité d’une grève par l’autorité administrative, le comité avait demandé au gouvernement de s’assurer que la déclaration d’illégalité de la grève revienne à un organe indépendant et impartial; et v) dans le présent cas, le gouvernement a privilégié le droit à la santé au détriment du droit de grève.
  5. 223. En ce qui concerne les restrictions présumées à l’exercice de la grève, alléguées par les deux organisations plaignantes, le comité prend note des déclarations du gouvernement selon lesquelles: i) il incombe à la Direction générale du travail, de l’hygiène et de la sécurité au travail de déclarer, par décision administrative, la légalité ou l’illégalité des grèves au niveau national; ii) la procédure régulière relative à l’exercice de la grève, notamment en ce qui concerne les moyens de conciliation, n’a pas été suivie; iii) il existait d’autres moyens appropriés pour contester l’absence de réponse à la demande des organisations plaignantes; iv) en vertu de la Constitution politique de l’Etat, les services de santé doivent être assurés de manière ininterrompue; v) le Tribunal des garanties constitutionnelles a considéré que les droits fondamentaux ne sont pas absolus et que certaines limites et restrictions s’imposent dans l’intérêt général et en raison de facteurs liés à la santé; vi) l’article 118 de la loi générale du travail interdit l’arrêt de travail dans les services à caractère public, comprenant les services de santé; et vii) le service de santé est un service essentiel.
  6. 224. Le comité souligne que le droit de grève n’est pas un droit absolu et, dans des circonstances spécifiques, peut être restreint voire interdit. Le comité rappelle que le droit de grève peut être restreint ou interdit: 1) dans la fonction publique uniquement pour les fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’Etat; ou 2) dans les services essentiels au sens strict du terme (c’est-à-dire les services dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne). [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 830.] Par ailleurs, le comité rappelle que ce que l’on entend par service essentiel au sens strict du terme dépend largement des conditions spécifiques de chaque pays. En outre, ce concept ne revêt pas un caractère absolu dans la mesure où un service non essentiel peut devenir essentiel si la grève dépasse une certaine durée ou une certaine étendue, mettant ainsi en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population. Le comité a déjà précédemment indiqué que le secteur hospitalier peut être considéré comme un service essentiel. [Voir Compilation, op. cit., paragr. 837 et 840.]
  7. 225. Le comité rappelle au gouvernement que la décision de déclarer la grève illégale ne devrait pas appartenir au gouvernement mais à un organe indépendant et impartial [Voir Compilation, op. cit., paragr. 909.] Tout en notant que, même s’il appartient à l’autorité administrative de déterminer la légalité de la grève, le comité estime que, s’il peut y avoir des restrictions à l’exercice de la grève dans les cas susmentionnés, il conviendrait qu’un organe indépendant détermine préalablement la portée de ces restrictions. Le comité demande donc à nouveau au gouvernement de prendre des mesures, notamment législatives, pour faire en sorte que, si une grève est déclarée illégale, elle soit déclarée par un organe indépendant et impartial.
  8. 226. En ce qui concerne le fonctionnement inapproprié présumé des garanties compensatoires, le comité rappelle, en ce qui concerne la nature des «garanties appropriées» en cas de restriction de la grève dans les services essentiels et dans la fonction publique, que la limitation du droit de grève devrait s’accompagner de procédures de conciliation et d’arbitrage appropriées, impartiales et expéditives, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer, et dans lesquelles les sentences rendues devraient être appliquées entièrement et rapidement. [Voir Compilation, op. cit., paragr. 856.] Tout en notant que les versions des plaignants et du gouvernement concernant l’accès effectif à la conciliation et à l’arbitrage sont contradictoires, le comité veut croire que le gouvernement veillera au déroulement approprié, impartial et expéditif des procédures de conciliation et d’arbitrage afin de rétablir la confiance des organisations syndicales dans les garanties compensatoires, et en conséquence le comité ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.
  9. 227. En ce qui concerne l’adoption alléguée de normes relatives à la sécurité sociale sans consultation préalable des organisations syndicales ainsi que l’absence de garanties d’un dialogue de bonne foi, le comité prend note des indications du gouvernement selon lesquelles, en ce qui concerne le décret suprême no 3091, une procédure visant à modifier celui-ci a été entamée, suite à certaines observations formulées par plusieurs partenaires. A cet égard, le comité a tenu à souligner l’intérêt d’une consultation des organisations d’employeurs et de travailleurs lors de la préparation et de la mise en œuvre d’une législation touchant leurs intérêts, et à rappeler au gouvernement l’importance d’une consultation préalable des organisations d’employeurs et de travailleurs avant l’adoption de toute loi dans le domaine du droit du travail. [Voir Compilation, op. cit., paragr. 1536 et 1540.] Notant que, dans le présent cas, les décrets nos 3091 et 3092 ont été abrogés par le décret suprême no 3453 du 10 janvier 2018, le comité espère qu’à l’avenir des consultations complètes seront réalisées avec les organisations d’employeurs et de travailleurs les plus représentatives sur les projets de loi d’ordre professionnel ou social touchant leurs intérêts et ceux de leurs membres, et en conséquence le comité ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.
  10. 228. En ce qui concerne les actes présumés de favoritisme, de parallélisme syndical et d’ingérence des autorités publiques allégués par la COB, et en particulier le cas de la Centrale ouvrière départementale de La Paz, dans lequel le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale aurait reconnu un comité exécutif qui n’avait pas été démocratiquement élu, le comité rappelle que, lorsque deux comités directeurs se déclarent légitimes, le conflit devrait être tranché par l’autorité judiciaire ou un médiateur indépendant, et non par l’autorité administrative. [Voir Compilation, op. cit., paragr. 1620.] Observant que le gouvernement ne communique pas ses observations concernant ces allégations, le comité demande au gouvernement de communiquer des informations détaillées à cet égard.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 229. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité prie une fois encore le gouvernement de prendre toutes dispositions utiles, y compris législatives, afin que, dans les circonstances où il y a lieu de déclarer une grève illégale, cette décision revienne à un organe indépendant et impartial.
    • b) En ce qui concerne les actes présumés de favoritisme, de parallélisme syndical et d’ingérence allégués par la Centrale ouvrière bolivienne, le comité demande au gouvernement de communiquer des informations détaillées à cet égard.
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