Allégations: Les organisations plaignantes allèguent des actes de violence
(meurtres, tentatives de meurtre et menaces de mort) contre des dirigeants syndicaux et des
travailleurs syndiqués
- 244. Le comité a examiné le cas no 2761 quant au fond à deux reprises
[voir 363e et 367e rapports], la dernière fois à sa réunion de mars 2013 à l’occasion de
laquelle il a présenté un rapport intérimaire au Conseil d’administration. [Voir
367e rapport, paragr. 420 à 453, approuvé par le Conseil d’administration à sa
317e session.]
- 245. Dans une communication en date du 4 mars 2014, le Syndicat des
travailleurs de l’énergie de Colombie (SINTRAELECOL) a présenté, dans le cadre du cas
no 3063 relatif au droit de la négociation collective, des allégations dénonçant des
actes de violence. Dans une communication en date du 30 mai 2014, le Syndicat des
travailleurs des entreprises municipales de Cali (SINTRAEMCALI) a présenté une plainte
pour actes de violence résultant de l’ouverture du cas no 3074 devant le Comité de la
liberté syndicale. Dans la mesure où le cas no 2761 couvre toutes les allégations
d’actes de violence antisyndicale commis en Colombie depuis l’année 2010, les
allégations du cas no 3063 relatives à des actes de violence ainsi que l’ensemble des
allégations du cas no 3074 seront examinées dans le cadre du cas no 2761, tel que
demandé par le gouvernement de Colombie dans des communications en date du 8 juillet et
du 28 octobre 2014.
- 246. Le gouvernement a envoyé ses observations dans des communications en
date du 30 septembre 2013, du 28 octobre 2014, ainsi que du 13 avril et du 7 septembre
2016.
- 247. La Colombie a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (nº 151) sur les
relations de travail dans la fonction publique, 1978, et la convention (nº 154) sur la
négociation collective, 1981.
A. Examen antérieur du cas
A. Examen antérieur du cas- 248. A sa réunion de mars 2013, le comité a formulé les recommandations
intérimaires suivantes concernant les allégations présentées par les organisations
plaignantes [voir 367e rapport, paragr. 453]:
- a) Déplorant
profondément les actes de violence contre des dirigeants syndicaux et des
syndicalistes dénoncés dans le présent cas, le comité exprime le ferme espoir que la
nouvelle politique adoptée par le ministère public en matière d’investigation –
politique au titre de laquelle il a été décidé d’accorder la priorité à toutes les
affaires de meurtre de syndicalistes mentionnées dans le présent cas et de créer un
mécanisme de concertation tripartite sous forme de réunions mensuelles dans le cadre
desquelles seront abordées les préoccupations ou remarques concernant la conduite
des enquêtes – aboutira à une conclusion rapide des affaires signalées, y compris de
celles visées dans les nouvelles allégations de la FSM et de la CUT, de sorte que
tous les auteurs d’actes de violence commis contre des dirigeants syndicaux et des
syndicalistes soient découverts, traduits en justice et condamnés. Le comité prie le
gouvernement de le tenir informé du résultat des enquêtes sur les actes de violence
allégués dans le présent cas, en particulier sur le fonctionnement du mécanisme
tripartite mis en place pour la collaboration aux enquêtes relatives aux actes de
violence commis contre des syndicalistes. En ce qui concerne la recommandation
c) formulée lors de son précédent examen du cas, le comité prie les organisations
plaignantes de fournir au ministère public toutes les informations nécessaires pour
qu’il puisse diligenter les enquêtes correspondantes.
- b)
Le comité attire spécialement l’attention du Conseil d’administration sur le
caractère extrêmement grave et urgent du présent cas.
B. Nouvelles allégations
B. Nouvelles allégations- 249. Dans une communication en date du 4 mars 2014, le SINTRAELECOL
dénonce en premier lieu l’agression brutale dont aurait été victime M. Oscar Arturo
Orozco, président de la section Caldas du SINTRAELECOL et président de la CUT-Caldas,
par un escadron mobile antiémeute (ESMAD) le 10 janvier 2014. L’organisation plaignante
déclare que: i) les faits se sont produits au cours d’une manifestation publique contre
la restructuration de la centrale hydroélectrique de Caldas S.A. ESP (CHEC); ii) les
manifestants, y compris les épouses et les enfants des travailleurs, ont été renversés
par quelque 50 policiers de l’ESMAD; iii) afin de protéger les membres de leur famille
et de se protéger eux-mêmes, les manifestants ont tenté d’empêcher avec leurs propres
mains l’assaut brutal de la police; iv) ils ont été violemment frappés à coups de bâtons
et plusieurs d’entre eux sont tombés au sol; v) après être parvenu à se relever,
M. Oscar Arturo Orozco s’est servi de son mégaphone pour demander aux policiers de
mettre un terme à leur attaque; vi) à cet instant, un membre de l’ESMAD a lancé un engin
explosif vers le sol; et vii) les éclats de l’engin explosif ont atteint M. Oscar Arturo
Orozco qui a perdu l’usage de son œil gauche (destruction du plancher de l’orbite).
- 250. L’organisation plaignante allègue également que M. Oscar Lema,
président de la sous direction de Magdalena du SINTRAELECOL, a fait l’objet de menaces
de mort et n’a pas reçu la protection qu’il avait sollicitée auprès des autorités
publiques. A cet égard, l’organisation plaignante déclare que: i) suite aux nouvelles
menaces reçues le 13 janvier 2014, il a été demandé aux organes compétents d’évaluer les
risques encourus ainsi que de mettre en place différentes mesures de sécurité; ii) si
une réponse a bien été reçue, dans laquelle il était indiqué que la mise en place
d’inspections préventives dans les locaux du siège syndical avait été demandée, le
dispositif de protection sollicité n’a toutefois pas été mis en œuvre dans la pratique;
iii) pour sa sécurité, M. Lema a dû changer de domicile sans que cessent pour autant les
menaces de mort proférées; et iv) par le passé, M. Lema avait déjà fait l’objet de
menaces de mort au même titre que M. Eduardo Vásquez, trésorier du syndicat, qui a été
assassiné par les membres d’un mouvement paramilitaire.
- 251. Dans une communication en date du 30 mai 2014, le SINTRAEMCALI
dénonce des actes de violence commis à l’encontre du siège de l’organisation ainsi que
du véhicule de l’un de ses dirigeants. A cet égard, l’organisation plaignante indique
spécifiquement ce qui suit: i) tôt le matin du 16 avril 2014, quatre individus ont
aspergé d’essence la porte du siège du syndicat avant de lancer des bombes incendiaires
contre celle-ci, causant d’importants dégâts au bâtiment; ii) le 20 mai 2014, plusieurs
individus ont mis le feu à l’automobile de M. José Ernesto Reyes, vice-président du
SINTRAEMCALI, et celui-ci a eu les jambes brûlées en tentant d’éteindre l’incendie; et
iii) ces faits ont eu lieu après que le SINTRAEMCALI a demandé à l’Unité nationale de
protection (UNP) de mettre en place des mesures de protection urgentes à l’égard de tous
les membres du comité exécutif.
- 252. L’organisation plaignante ajoute que les actes de violence
susmentionnés se sont produits: i) quatre jours après que la 29e chambre du Tribunal
pénal municipal compétent de Bogotá a ordonné que l’ancien Président de la République,
M. Álvaro Uribe Vélez, et l’ancien Vice président de la République, M. Francisco Santos
Calderón, présentent des excuses symboliques concernant les déclarations diffamatoires
qu’ils avaient prononcées en 2007 à l’encontre du SINTRAEMCALI, du SINTRAUNICOL et du
SINTRATELEFONOS; et ii) trois jours avant l’ouverture du procès de «l’opération dragon»,
nom donné à un projet dont le but était de persécuter et d’éliminer des organisations
syndicales, de défense des droits de l’homme et d’opposition politique.
C. Réponse du gouvernement
C. Réponse du gouvernementPolitique en matière d’investigation concernant les actes de violence antisyndicale
- 253. Tout en reconnaissant les lacunes existant sur le plan de l’impunité
et en soulignant l’indépendance des différents pouvoirs de l’Etat, le gouvernement
déclare avoir collaboré avec le ministère public auquel il a alloué des ressources, de
sorte que l’entité dispose des outils nécessaires pour que les enquêtes progressent.
Dans des communications en date du 30 septembre 2013 et du 28 octobre 2014, le
gouvernement indique que la sous-unité de commissaires chargés exclusivement des
affaires de violence antisyndicale, constituée au sein de l’Unité nationale des droits
de l’homme du bureau du commissaire général, compte 25 commissaires spécialisés répartis
dans différentes villes du pays. Une unité spéciale de plus de 100 enquêteurs
judiciaires formée par le corps technique des enquêtes (CTI – «Cuerpo Técnico de
Investigaciones») et des enquêteurs de la police nationale se consacrent également à ces
affaires. En outre, trois juges spécialisés connaissent uniquement des affaires de
violence antisyndicale.
- 254. Dans les communications susmentionnées, le gouvernement rappelle que
le ministère public avait relevé que les faits relatifs aux actes de violence commis
contre des travailleurs et des syndicalistes étaient examinés de manière isolée. A la
lumière de cette analyse, le ministère public a adopté la directive no 001 du 4 octobre
2012, portant adoption de certains critères de détermination des priorités selon les
situations et les cas et instaurant un nouveau système d’investigation pénale et de
traitement des affaires dans les services du ministère public, afin de lutter plus
efficacement contre le crime organisé et de déterminer si des politiques et des projets
criminels visant à entraver le droit d’association des travailleurs ont existé ou
existent toujours. Le gouvernement déclare que, dans le cadre de la mise en œuvre de
cette politique, l’Unité d’analyse et de contextes (UNAC) a été créée pour coordonner
les informations actuellement réparties dans différentes unités des services du
ministère public. Cette unité accorde la priorité à la problématique de la violence
contre les syndicalistes et dispose déjà d’une équipe composée de cinq commissaires, six
analystes et quatre enquêteurs. L’UNAC a accordé la priorité à quatre situations clés
correspondant aux violations du droit d’association les plus graves que la Colombie ait
connues depuis les années quatre-vingt-dix. Ces situations, qui ont donné lieu au
transfert de 44 enquêtes à l’UNAC, concernent: i) différents syndicats du Valle del
Cauca, parmi lesquels figurent le SINTRAEMCALI, le Syndicat unitaire des travailleurs de
l’éducation du Valle (SUTEV) et les syndicats des employés à la récolte de la canne à
sucre; ii) les syndicats des universités de la région Caraïbes; iii) les syndicats de
travailleurs des secteurs minier et de l’énergie; et iv) les syndicats du secteur
bananier actifs dans les années quatre-vingt-dix. Le gouvernement ajoute par ailleurs
que la Commission interinstitutionnelle chargée des droits de l’homme examine dans un
cadre tripartite les progrès accomplis en matière de lutte contre l’impunité et les
actes de violence contre des organisations syndicales.
- 255. Dans une communication en date du 13 avril 2016, le gouvernement
indique qu’une modernisation et qu’une réorganisation de la structure interne du
ministère public ont été menées. Les affaires de violence à l’encontre d’organisations
syndicales sont désormais examinées principalement par les quatre directions du
ministère public ci-après: i) la Direction nationale chargée de l’analyse et des
contextes; ii) la Direction nationale chargée de la coordination des bureaux du
commissaire; iii) la Direction chargée des droits de l’homme; et iv) la Direction
nationale chargée des sections et de la sécurité des citoyens. En outre, le ministère
public a mis en place une stratégie visant à accorder la priorité à certains cas ainsi
qu’une stratégie de décongestion. Dans ce cadre, l’Unité nationale des droits de l’homme
et du droit humanitaire international du ministère public a créé un groupe chargé du
suivi des enquêtes sur chaque thème au niveau national, ce qui a permis de mettre en
évidence les enquêtes sur lesquelles peu de progrès ont été accomplis, afin que les
bureaux prennent les mesures nécessaires pour faire avancer les procédures. Un contrôle
et un suivi des enquêtes sur les affaires dans lesquelles les victimes sont des
syndicalistes sont effectués; en outre, des comités techniques juridiques se réunissent
chaque mois et des réunions de travail sont menées afin d’examiner, de contrôler et
d’évaluer si les enquêtes sont diligentées de manière efficiente. Le gouvernement
déclare que ces travaux ont permis de réaliser des progrès significatifs, notamment de
faire la lumière sur la véracité et le fondement de l’hypothèse principale dans une
procédure et de pouvoir déterminer le lien de causalité comme base de la responsabilité
pénale.
- 256. Le gouvernement se réfère également aux enquêtes sur les menaces
proférées à l’encontre de membres du mouvement syndical au sujet desquelles seules deux
condamnations ont été prononcées. La création de la sous-unité de procureurs est allée
de pair avec la mise en œuvre d’une stratégie conjointe d’analyse des informations à
disposition, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale, sur les menaces de mort
enregistrées depuis 2005 à ce jour faisant actuellement l’objet d’une enquête. Au total,
192 cas relatifs à des menaces font l’objet d’une enquête et deux sont en cours de
jugement, deux personnes ayant été imputées.
- 257. Le gouvernement indique en outre que la coopération de l’OIT a joué
un rôle fondamental en faveur de la formation de juges et de procureurs dans le cadre du
projet intitulé «Promouvoir la conformité avec les normes internationales du travail» et
souligne, entre autres résultats, la création du diplôme spécialisé en investigation et
procédure judiciaire concernant des délits commis contre des syndicalistes.
Progrès réalisés dans les enquêtes
- 258. Le gouvernement indique que des progrès significatifs ont été
réalisés dans les enquêtes sur les meurtres et autres actes de violence examinés dans le
présent cas et souligne les résultats suivants:
- – En 2014, la police nationale a
contribué à faire la lumière sur 54 cas, a arrêté 66 personnes et a permis
d’identifier 61 auteurs présumés. En 2015, elle a arrêté cinq personnes impliquées
dans des meurtres commis cette même année, 48 impliquées dans des meurtres commis
avant 2015 et a permis d’établir un lien avec 73 personnes en vue de les traduire en
justice.
- – En 2014, le ministère public a émis 63 mandats d’arrêt, a
présenté 25 actes d’accusation et instruisait 14 cas; en 2015, des charges ont été
retenues contre 62 personnes, trois actes d’accusation ont été présentés et
19 personnes ont été arrêtées, parmi lesquelles 15 sont actuellement privées de
liberté, et 20 mesures de sûreté ont été requises.
- – Grâce aux travaux
réalisés en amont par la police et le ministère public, les juges ont prononcé
22 condamnations en 2015; ainsi, à ce jour, 700 condamnations ont été prononcées
pour des actes de violence commis contre des syndicalistes et 569 personnes ont été
condamnées.
- 259. Dans ses communications d’avril et de septembre 2016, le
gouvernement fournit les informations suivantes sur les progrès réalisés spécifiquement
en lien avec le cas no 2761: i) 78 cas sont actifs; ii) sur ces 78 cas, 51 font l’objet
d’une enquête; iii) deux cas ont débouché sur une condamnation tandis que certains
aspects font toujours l’objet d’une enquête; iv) un cas est en cours d’investigation;
v) sept sont en phase préliminaire; vi) un mandat d’arrêt a été émis dans un cas;
vii) un cas est en cours d’instruction; viii) 13 cas sont en instance; ix) deux cas ont
débouché sur des condamnations définitives; et x) au total, 12 condamnations
(définitives ou non) ont été prononcées au sujet des cas mentionnés et 21 personnes
impliquées dans ces cas ont été identifiées.
Informations concernant les mesures de protection
- 260. Dans sa communication du 13 avril 2016, le gouvernement déclare
qu’il reste résolument déterminé à protéger les dirigeants et militants syndicaux et
qu’il poursuivra ainsi ses efforts pour attribuer des ressources au programme de
protection (dans le cadre de l’Unité nationale de protection (UNP)). Le budget de l’UNP
alloué à la protection des dirigeants syndicaux s’élevait en 2015 à 18,5 millions de
dollars des Etats-Unis. Le gouvernement indique en outre que: i) depuis 2012, l’UNP a
conduit 2 782 évaluations des risques encourus par des dirigeants ou des militants
syndicaux; ii) une évaluation des risques est menée dans tous les cas où des membres de
syndicats sollicitent des mesures de protection; iii) à l’heure actuelle,
589 syndicalistes bénéficient de différentes mesures de protection, parmi lesquelles
figure la mise à disposition de moyens de communication, de gilets pare-balles, de
moyens de transport, d’une aide pour le transfert, de véhicules blindés, de véhicules
conventionnels, et de fonctionnaires chargés de la protection; iv) plus de
400 syndicalistes bénéficient de dispositifs de protection au titre desquels des
véhicules blindés, des véhicules conventionnels et des gardes du corps ont été mis à
disposition; v) aucun cas d’homicide de syndicaliste bénéficiaire de ce programme ou de
syndicaliste dont la protection a été suspendue à la suite d’une actualisation de
l’évaluation des risques n’a été présenté; vi) en 2014, 11 demandes de syndicalistes ont
été traitées au titre d’une procédure d’urgence, parmi lesquelles huit demandes
émanaient de dirigeants syndicaux et trois de militants syndicaux et, sur ces
11 demandes, six ont donné lieu à l’ouverture d’une procédure d’urgence; vii) en 2015,
28 demandes de syndicalistes ont été traitées au titre d’une procédure d’urgence, parmi
lesquelles 25 demandes émanaient de dirigeants syndicaux et trois de militants syndicaux
et, sur ces 28 demandes, 24 ont donné lieu à l’ouverture d’une procédure d’urgence; et
viii) au vu de l’urgence de ces cas, ces derniers ont été traités à titre prioritaire et
des mesures urgentes ont été mises en place.
- 261. Le gouvernement ajoute que l’UNP met en œuvre des dispositifs de
protection collectifs en faveur des syndicats. Ces dispositifs sont attribués par le
Comité d’évaluation des risques et de recommandation des mesures (CERREM) au sein duquel
les centrales ouvrières sont représentées. Ils sont soumis au CERREM à la suite d’une
évaluation des risques encourus par chacun des membres des comités exécutifs nationaux
et des sous-directions régionales et locales; dans le cadre de ces évaluations, les
syndicalistes peuvent faire part de leurs observations non seulement sur les menaces,
les risques et vulnérabilités, mais aussi sur les mesures de protection qu’ils
considèrent nécessaires de mettre en œuvre. Ces observations sont ensuite mises en
regard des résultats techniques des évaluations des risques et les conclusions sont
soumises au CERREM.
- 262. Dans sa communication du 7 septembre 2016, le gouvernement déclare
que, dans le cadre du processus de paix en cours, un accord relatif aux garanties en
matière de sécurité et à la lutte contre les organisations criminelles a été établi. Cet
accord prévoit différentes mesures parmi lesquelles figurent entre autres: i) la
création d’une unité spéciale d’investigation aux fins du démantèlement des
organisations criminelles qui attentent à la vie de défenseurs des droits de l’homme et
de membres de mouvements sociaux ou politiques; et ii) la création d’un programme de
sécurité et de protection des communautés et des organisations dans les différents
territoires. Les organisations sociales et les différentes communautés prendront part à
ce programme et un protocole spécial de protection des groupes touchés par le conflit
sera établi à ce titre.
Mesures de réparation collective à l’intention du mouvement syndical
- 263. Le gouvernement déclare qu’il a reconnu que le mouvement syndical
était victime d’actes de violence et qu’il est tenu de fournir au mouvement syndical des
mesures de réparation à titre collectif, devoir qui lui incombe non seulement sur le
plan juridique en vertu de la loi no 1448 de 2011, mais aussi sur les plans politique et
éthique. Le gouvernement ajoute que: i) le 10 juillet 2012 a eu lieu la première réunion
visant à établir le contact avec les centrales CTC, CUT, CGT et la FECODE, qui ont
répondu à l’appel de l’Etat; ii) depuis lors, plusieurs réunions ont eu lieu avec des
délégués du mouvement syndical, l’unité chargée de la prise en charge et de la
réparation intégrale des victimes du conflit armé et le ministère du Travail afin de
définir le déroulement du processus et en particulier d’entendre le mouvement syndical
qui, depuis le début, a fait preuve de réserves vis-à-vis de ce processus; iii) dans le
cadre du programme de réparation collective à l’intention du mouvement syndical, des
réunions ont été menées en avril 2014 et 2015 avec le Président de la République qui a
confirmé la détermination de l’Etat à l’égard de ce processus; et iv) parallèlement, une
instance de haut niveau a été créée afin de définir les mesures de réparation collective
qui seront mises en œuvre.
Nouvelles allégations de violence
- 264. Dans une communication en date du 28 octobre 2014, le gouvernement
communique ses observations quant aux allégations d’actes de violence commis à
l’encontre du siège du SINTRAEMCALI ainsi que du véhicule de l’un de ses dirigeants. Le
gouvernement transmet tout d’abord les observations de l’entreprise EMCALI, selon
lesquelles: i) elle ne sait ni qui sont les auteurs matériels et les commanditaires de
ces actes, ni quels étaient leurs motifs; ii) elle prête toujours attention aux demandes
des autorités publiques relatives à la sécurité des dirigeants du SINTRAEMCALI et aux
dirigeants des autres organisations existant au sein de l’entreprise; et iii) la
politique qu’elle mène respecte pleinement la liberté syndicale et le droit de
négociation collective. Le gouvernement transmet ensuite les réponses du ministère
public et de l’UNP ainsi que ses propres observations, et indique que: i) l’unité
déléguée devant les juges pénaux de circuit spécialisés du ministère public mène
actuellement une enquête pénale pour terrorisme en lien avec les faits survenus en avril
2014; ii) le 12 juin 2014, une enquêtrice judiciaire s’est rendue dans les locaux de
l’entreprise et s’est entretenue avec M. Jorge Iván Vélez Calvo, président du
SINTRAEMCALI; iii) cette affaire a été portée devant le procureur provincial de Cali, la
direction du programme de la Présidence pour les droits de l’homme et le droit
international humanitaire, le Conseil de la vice-présidence de la nation et le procureur
régional du Valle del Cauca; iv) M. José Ernesto Reyes Mosquera bénéficie des mesures de
protection offertes par l’unité, au même titre que les autres dirigeants du comité
exécutif du SINTRAEMCALI; v) l’«opération dragon» renvoie à des faits survenus en 2004
qui ont fait l’objet d’une enquête diligentée à la fois par le Procureur général de la
nation et par le ministère public, les résultats ayant été communiqués au Comité de la
liberté syndicale; et vi) il incombera aux autorités judiciaires de déterminer s’il
existe un lien entre les faits survenus en avril 2014 et ceux survenus en 2004.
D. Conclusions du comité
D. Conclusions du comité- 265. Le comité rappelle que les présents cas concernent des allégations
de nombreux meurtres de dirigeants syndicaux et de membres du mouvement syndical ainsi
que d’autres actes de violence antisyndicale. Lors de son examen précédent du cas
no 2761, le comité avait noté que tous les cas dénoncés dans le cadre de la présente
plainte faisaient l’objet d’une enquête, que le ministère public mettait en place une
nouvelle politique en matière d’investigation et que des ressources importantes étaient
consacrées à la lutte contre l’impunité ainsi qu’à la protection des dirigeants
syndicaux et des syndicalistes dont la sécurité est menacée. Le comité avait
spécialement prié le gouvernement de le tenir informé du résultat des enquêtes sur les
actes de violence allégués dans le présent cas et sur le fonctionnement du mécanisme
tripartite mis en place pour appuyer les enquêtes relatives aux actes de violence commis
contre des syndicalistes.
Mesures prises concernant les enquêtes et résultats obtenus
- 266. Le comité prend note en premier lieu des informations fournies par
le gouvernement sur les efforts tant quantitatifs que qualitatifs déployés par les
autorités publiques pour faire la lumière sur les actes de violence antisyndicale et
sanctionner les coupables. A cet égard, le comité note en particulier que: i) la police
nationale, le ministère public et le pouvoir judiciaire disposent d’unités et de
personnel chargés exclusivement des actes de violence antisyndicale; ii) dans le cadre
de la nouvelle politique en matière d’investigation mise en place en 2012 par le
ministère public, l’Unité d’analyse et de contextes (UNAC) a accordé la priorité à
quatre situations clés correspondant aux violations du droit d’association les plus
graves que la Colombie ait connues depuis les années quatre-vingt-dix; iii) l’Unité
nationale des droits de l’homme et du droit humanitaire international du ministère
public a créé un groupe chargé du suivi des enquêtes sur chaque thème au niveau national
afin de mettre en évidence les enquêtes sur lesquelles peu de progrès ont été accomplis,
afin que les bureaux prennent les mesures nécessaires pour faire avancer les procédures.
Cette mesure s’applique aux affaires dans lesquelles les victimes sont des
syndicalistes; iv) une stratégie conjointe a été mise en place en matière d’analyse des
informations à disposition, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale, sur les
menaces de mort proférées contre des syndicalistes enregistrées depuis 2005 à ce jour
faisant actuellement l’objet d’une enquête; et v) la Commission interinstitutionnelle
chargée des droits de l’homme examine dans un cadre tripartite les progrès accomplis en
matière de lutte contre l’impunité et les actes de violence à l’encontre des
organisations syndicales.
- 267. Le comité prend également note des informations fournies par le
gouvernement au sujet des progrès accomplis en vue d’élucider et de sanctionner la
totalité des acte de violence antisyndicale commis dans le pays, en soulignant à cet
égard que: i) grâce aux travaux réalisés par la police et le ministère public, les
tribunaux ont prononcé 22 condamnations en 2015; ii) au total, 700 condamnations ont été
prononcées pour des actes de violence commis contre des membres du mouvement syndical;
et iii) les enquêtes relatives aux nombreuses plaintes pour menaces de mort ont donné
lieu à deux condamnations uniquement. En outre, le comité prend note des informations
communiquées par le gouvernement concernant les enquêtes sur les actes de violence
dénoncés dans le présent cas au sujet desquelles il indique que: i) sur les 83 cas
d’homicide dont est saisi le ministère public, qui portent sur 105 victimes, 78 cas sont
actifs; ii) sur ces 78 cas, 51 font l’objet d’une enquête; iii) deux cas ont débouché
sur une condamnation tandis que certains des aspects font toujours l’objet d’une
enquête; iv) un cas est en cours d’investigation; v) sept sont en phase préliminaire;
vi) un mandat d’arrêt a été émis dans un cas; vii) un cas est en cours d’instruction;
viii) 13 cas sont en instance; ix) deux cas ont débouché sur des condamnations
définitives; et x) au total 12 condamnations (définitives ou non) ont été prononcées au
sujet des cas mentionnés et 21 personnes impliquées dans ces cas ont été
identifiées.
- 268. Tout en prenant dûment note des efforts significatifs déployés par
les autorités publiques et des différentes mesures prises par ces dernières pour que les
enquêtes relatives à des actes de violence commis contre des dirigeants syndicaux et des
syndicalistes gagnent en efficacité, le comité constate avec préoccupation que, tout du
moins pour ce qui est des actes dénoncés dans le présent cas, les progrès réalisés dans
les enquêtes ont été limités. Le comité observe en particulier que, depuis le dernier
examen du cas no 2761 en mars 2013, le nombre de condamnations prononcées est passé de
11 à 12 et que, plusieurs années après les faits, la grande majorité des homicides et
autres actes de violence dénoncés dans le présent cas restent impunis. A cet égard, le
comité rappelle que l’absence de jugements contre les coupables entraîne une impunité de
fait qui renforce le climat de violence et d’insécurité, ce qui est donc extrêmement
dommageable pour l’exercice des activités syndicales, et, dans un cas où les enquêtes
judiciaires relatives à la mort de syndicalistes semblent tarder à aboutir, le comité
souligne la nécessité d’activer la procédure pour que les affaires parviennent à une
conclusion rapide. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté
syndicale, cinquième édition (révisée), 2006, paragr. 52 et 53.]
- 269. Au vu de ce qui précède, et compte tenu des mesures importantes que
les autorités publiques ont adoptées par le passé à ce sujet, le comité prie instamment
le gouvernement de continuer de prendre toutes les mesures nécessaires, de sorte que
tous les actes de violence antisyndicale dénoncés dans le présent cas soient élucidés et
que les auteurs matériels et les commanditaires de ces actes soient déférés devant la
justice. A cet égard, le comité prie le gouvernement de faciliter la conduite d’une
évaluation interinstitutionnelle des stratégies d’investigation mises en œuvre par les
autorités publiques dans les cas d’actes de violence commis contre des dirigeants
syndicaux et des syndicalistes et qu’il le tienne informé des résultats de cette
évaluation. Constatant qu’il dispose de peu d’éléments sur le fonctionnement concret du
mécanisme tripartite mis en place en 2012 pour appuyer les enquêtes relatives aux actes
de violence commis contre des syndicalistes, le comité prie le gouvernement de lui
communiquer des informations à cet égard. Le comité prie également le gouvernement de
fournir davantage d’informations sur le type de crimes commis contre des dirigeants
syndicaux ou des syndicalistes, qui semblent ne pas être dénoncés dans le présent cas,
ayant donné lieu à des condamnations récentes.
Nouvelles allégations de violence
- 270. Le comité note les allégations du SINTRAELECOL, selon lesquelles:
i) en janvier 2014, le dirigeant syndical M. Oscar Arturo Orozco a perdu un œil suite à
la violente répression d’une manifestation par la police antiémeute; et ii) le dirigeant
syndical M. Oscar Lema est victime de menaces de mort qui l’ont contraint à changer de
domicile sans que le dispositif de sécurité sollicité lui soit accordé.
- 271. Le comité constate avec regret que le gouvernement n’a pas transmis
ses observations quant aux allégations en question et le prie de le faire dans les
meilleurs délais. S’agissant du premier fait dénoncé par le SINTRAELECOL, le comité
rappelle le principe selon lequel les autorités ne devraient avoir recours à la force
publique que dans des situations où l’ordre public serait sérieusement menacé.
L’intervention de la force publique devrait rester proportionnée à la menace pour
l’ordre public qu’il convient de contrôler, et les gouvernements devraient prendre des
dispositions pour que les autorités compétentes reçoivent des instructions appropriées
en vue d’éliminer le danger qu’impliquent les excès de violence lorsqu’il s’agit de
contrôler des manifestations qui pourraient troubler l’ordre public. [Voir Recueil,
op. cit., paragr. 140.] S’agissant du deuxième fait dénoncé par le SINTRAELECOL, le
comité prie le gouvernement de veiller à ce que les risques encourus par M. Oscar Lema
aient été correctement évalués, de sorte que les mesures de protection qui pourraient
s’avérer nécessaires puissent lui être fournies.
- 272. Le comité prend note également des allégations du SINTRAEMCALI selon
lesquelles le siège de l’organisation et le véhicule de l’un de ses dirigeants ont été
incendiés en avril et mai 2014, quelques jours après qu’un tribunal pénal a ordonné que
des excuses publiques soient présentées à cette organisation au sujet des déclarations
diffamatoires prononcées à son encontre, et quelques jours avant l’ouverture du procès
relatif au projet de 2004 allégué visant à persécuter et à éliminer des organisations
syndicales. A cet égard, le comité note que le gouvernement indique que le ministère
public mène actuellement une enquête pénale pour terrorisme en lien avec l’incendie du
siège de l’organisation survenu en avril 2014 et que M. José Ernesto Reyes, le
propriétaire du véhicule incendié en mai 2014 comme tous les dirigeants du SINTRAEMCALI
bénéficient de mesures de protection. En conséquence, le comité prie le gouvernement de
s’assurer que l’incendie du véhicule de M. José Ernesto Reyes fera l’objet d’une enquête
de la part des autorités compétentes et de le tenir informé des résultats de cette
enquête comme des résultats des enquêtes diligentées par le ministère public concernant
l’incendie du siège de SINTRAEMCALI.
Mesures de protection
- 273. Le comité note que le gouvernement déclare que les points suivants
témoignent de la ferme détermination des autorités publiques à garantir la sécurité des
membres du mouvement syndical: i) l’allocation en 2015 d’un budget de 18,5 millions de
dollars des Etats-Unis à la protection des dirigeants syndicaux; ii) la conduite, depuis
2012, de 2 782 évaluations des risques encourus par des dirigeants ou des militants
syndicaux; iii) la protection fournie actuellement, à travers différentes mesures, à
589 syndicalistes; et iv) la mise en œuvre de dispositifs de protection au titre
desquels des véhicules blindés, des véhicules conventionnels et des gardes du corps ont
été mis à la disposition de plus de 400 syndicalistes. Le comité prend note en outre de
l’affirmation du gouvernement selon laquelle il ne s’est produit aucun cas d’homicide de
syndicaliste bénéficiaire du programme de protection ou de syndicaliste dont la
protection a été suspendue à la suite d’une actualisation de l’évaluation des risques
encourus. Le comité invite le gouvernement à poursuivre les efforts susmentionnés et à
continuer de le tenir informé à cet égard.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 274. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite
le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le
comité prie instamment le gouvernement de continuer de prendre toutes les mesures
nécessaires pour que tous les faits relatifs aux actes de violence antisyndicale
dénoncés dans le présent cas soient élucidés et que les auteurs matériels et les
commanditaires de ces actes soient déférés devant la justice.
- b) Le comité
prie le gouvernement de faciliter la conduite d’une évaluation interinstitutionnelle
des stratégies d’investigation mises en œuvre par les autorités publiques dans les
cas d’actes de violence commis contre des dirigeants syndicaux et des syndicalistes.
Le comité prie le gouvernement de le tenir informé des résultats obtenus.
- c)
Le comité prie le gouvernement de lui communiquer des informations sur le
fonctionnement concret du mécanisme tripartite mis en place en 2012 pour appuyer les
enquêtes sur les actes de violence antisyndicale.
- d) Le comité prie le
gouvernement de lui fournir de plus amples informations sur le type de crimes commis
contre des dirigeants syndicaux ou des syndicalistes, qui semblent ne pas être
dénoncés dans le présent cas, ayant donné lieu à des condamnations
récentes.
- e) Le comité prie le gouvernement de lui transmettre dans les
meilleurs délais ses observations sur les faits dénoncés par le SINTRAELECOL et de
veiller à ce que les risques encourus par M. Oscar Lema aient été correctement
évalués, de telle sorte que les mesures de protection qui pourraient s’avérer
nécessaires puissent lui être fournies.
- f) Le comité prie le gouvernement de
s’assurer que l’incendie du véhicule de M. José Ernesto Reyes fera l’objet d’une
enquête de la part des autorités compétentes et qu’il le tiendra informé des
résultats de cette dernière comme des résultats des enquêtes diligentées par le
ministère public concernant l’incendie du siège du SINTRAEMCALI.
- g) Le
comité invite le gouvernement à poursuivre les efforts qu’il déploie pour garantir
la sécurité des dirigeants syndicaux et des syndicalistes du pays et à continuer de
le tenir informé à cet égard.
- h) Le comité attire spécialement l’attention
du Conseil d’administration sur le caractère extrêmement grave et urgent du présent
cas.