Afficher en : Anglais - Espagnol
Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent l’incapacité du gouvernement
à prévenir des entraves et des ingérences dans l’élection des représentants du Conseil
national du patronat du Togo (CNP)
- 492. La plainte figure dans des communications en date des 26 septembre
et 12 décembre 2014 de l’Organisation internationale des employeurs (OIE) et du Conseil
national du patronat du Togo (CNP).
- 493. Le gouvernement a indiqué dans une communication en date du
8 janvier 2015 que l’examen de la plainte était en cours et que les réponses appropriées
seraient apportées dans les meilleurs délais. A ce jour, aucune information n’a encore
été reçue du gouvernement.
- 494. Le gouvernement n’ayant pas répondu, le comité a dû ajourner
l’examen du cas à deux reprises. A sa réunion de mars 2015 [voir 374e rapport,
paragr. 6], le comité a lancé un appel pressant au gouvernement indiquant que,
conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport,
approuvé par le Conseil d’administration, il pourrait présenter un rapport sur le fond
de l’affaire à sa prochaine session, même si les informations ou observations demandées
n’étaient pas reçues à temps.
- 495. Le Togo a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et
la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 496. Dans une communication en date du 26 septembre 2014, les
organisations plaignantes indiquent que le CNP a été constitué en 1963 pour représenter
le secteur privé au Togo mais aussi au niveau international. Il s’agit d’une fédération
regroupant 16 associations professionnelles qui représentent des entreprises
industrielles, commerciales, de services, du bâtiment et des travaux publics, des
PME/PMI et tous les autres secteurs de l’activité économique du pays. Le CNP est aussi
un organisme de lobbying pour les thèmes de politique économique et sociale, ainsi
qu’une structure de coordination, de formation, d’information et d’action, au profit du
secteur privé. Le CNP est membre de l’OIE depuis 1997. Enfin, le CNP est aussi membre de
la Fédération des organisations patronales de l’Afrique de l’Ouest (FOPAO) qui est une
organisation d’employeurs régionale ayant pour mission de défendre et promouvoir les
intérêts de ses membres. Les organisations plaignantes précisent que la FOPAO a été
impliquée dans le présent cas et a essayé d’opérer en tant que médiateur du litige, sans
succès.
- 497. Les organisations plaignantes dénoncent l’incapacité du gouvernement
à prévenir des entraves au droit des membres du CNP à élire librement leurs
représentants, ce qui a pour conséquence d’empêcher l’organisation d’organiser ses
activités et de formuler son programme d’action. Les organisations plaignantes décrivent
les faits suivants.
- 498. Le 20 septembre 2013, les membres du CNP ont été appelés à élire un
nouveau conseil d’administration, pour un mandat de cinq ans, au cours d’une assemblée
générale ordinaire. En vue de ces élections et dans un souci de transparence et
d’impartialité, le conseil d’administration avait décidé, le 10 juillet 2013, de mettre
en place une commission ad hoc chargée de l’organisation et de la supervision des
élections du nouveau conseil. Lors de l’assemblée générale, après vérification du
quorum, les élections se sont déroulées en présence de la commission ad hoc, constituée
d’un président et de trois membres. Les élections se sont tenues en présence d’un
huissier de justice près de la Cour d’appel de Lomé, dont la présence durant les travaux
– du dépouillement des dossiers de candidatures à la proclamation des résultats – a
garanti la transparence des élections. L’huissier de justice a établi les procès-verbaux
des travaux de la commission électorale.
- 499. L’assemblée générale a démocratiquement réélu M. Kossivi Naku à la
présidence du CNP; le deuxième candidat à ce poste était M. Ahlonko Bruce, qui a reçu au
deuxième tour de scrutin six voix contre huit pour M. Naku. M. Bruce a félicité M. Naku
pour cette victoire. L’assemblée générale a aussi démocratiquement élu les autres
membres du conseil d’administration, le vice-président et le trésorier.
- 500. Or, le 6 janvier 2014, plus de trois mois après l’élection de
M. Naku et sans avoir protesté d’aucune manière, ni avant, ni pendant les élections,
M. Bruce a saisi le juge des référés du Tribunal de première instance de Lomé dans le
but d’invalider les élections du 20 septembre 2013 qui, d’après lui, se seraient
déroulées de manière irrégulière. Le 10 janvier 2014, le juge des référés prononce une
ordonnance d’annulation des élections contestées et ordonne la mise en place d’une
administration provisoire du CNP.
- 501. Le 10 janvier 2014, M. Naku fait appel de l’ordonnance du juge des
référés et demande un sursis à exécution. Il obtient gain de cause. Le 12 mars 2014, la
Cour d’appel de Lomé rend un arrêt dans lequel elle reconnaît l’incompétence du tribunal
de première instance en la matière et infirme son jugement.
- 502. Le 12 mars 2014, M. Bruce saisit le Tribunal de première instance de
première classe de Lomé pour faire annuler les élections qu’il considère entachées
d’irrégularités et demander la désignation d’une administration provisoire avec pour
mission de convoquer une nouvelle assemblée générale élective. Dans son jugement du
4 avril 2014, l’examen quant au fond de l’affaire par le tribunal a fait ressortir des
irrégularités dans l’élection du conseil d’administration. Le tribunal a ainsi prononcé
la nullité des élections du 20 septembre 2013 et désigné un administrateur provisoire du
CNP (M. Papaly) ayant pour mission d’organiser une nouvelle assemblée générale dans un
délai de dix-huit mois. Le tribunal ordonne l’exécution provisoire de son jugement. Le
14 avril 2014, une ordonnance d’apposition des scellés sur les bureaux du CNP est ainsi
notifiée à M. Naku, avec exécution immédiate.
- 503. Selon les organisations plaignantes, aucune des organisations
membres du CNP n’a remis en cause les résultats des élections du 20 septembre 2013 ni
n’a engagé de recours auprès d’une autorité judiciaire à cet égard. Par ailleurs, les
16 associations professionnelles membres du CNP ont signé, le 30 avril 2014, une
déclaration certifiant que les élections du 20 septembre 2013 ont été régulières,
transparentes et acceptées par tous les membres du CNP et demandant le respect de leur
résultat, soit l’élection de M. Naku à la présidence du CNP.
- 504. Les organisations plaignantes ajoutent que la FOPAO, représentée par
son secrétaire exécutif, s’est rendue à Lomé du 6 au 8 mai 2014 pour écouter toutes les
parties en conflit et a finalement rendu un rapport dans lequel elle considère que le
jugement du 4 avril 2014 prononçant la nullité des élections est «fortement
préjudiciable au fonctionnement du CNP et constitue même clairement un empêchement de
fonctionner pour le CNP».
- 505. Les organisations plaignantes dénoncent le fait que, suite à la
désignation de M. Papaly en tant qu’administrateur provisoire, celui-ci a été accrédité
par le gouvernement comme délégué des employeurs à la place de M. Naku à la Conférence
internationale du Travail (CIT) en mai-juin 2014. M. Naku n’a donc pas pu représenter le
CNP à ladite Conférence et a saisi la Commission de vérification des pouvoirs de la CIT
d’une protestation à cet égard. En vue de sa participation en tant que représentant du
CNP au conseil général de l’OIE, où sa présence est fondamentale afin de permettre que
les besoins du CNP soient pris en compte dans l’élaboration du programme d’action annuel
de l’OIE, M. Naku s’est rendu à Genève le 27 mai 2014. Il a ensuite pu assister aux
travaux de la CIT, à ses propres frais, en tant qu’observateur accrédité par l’OIE, mais
sans droit de vote.
- 506. Les organisations plaignantes dénoncent le fait que la désignation
d’un administrateur provisoire chargé d’organiser une nouvelle assemblée générale
élective dans un délai de dix-huit mois ait pour conséquence de paralyser totalement
l’activité du CNP, qui n’assure plus l’exécution de son programme ni la protection et la
promotion des intérêts de ses membres.
- 507. Les organisations plaignantes affirment que M. Bruce a présenté sa
candidature au poste de président du CNP malgré le conflit d’intérêts entre la fonction
publique qu’il occupe et la nécessité d’assurer l’indépendance du CNP vis-à-vis des
pouvoirs publics. Or ce type de conflit d’intérêts ne fait pas l’objet d’une
réglementation spécifique au niveau national et permettrait donc à l’Etat de s’ingérer
dans les affaires des organisations professionnelles.
- 508. M. Bruce est depuis 2012 le chef traditionnel de la ville d’Aného,
titre et poste qui, selon l’article 1 de la loi no 2007-002 du 8 janvier 2007, dépendent
directement du ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des
Collectivités locales et qui impliquent un émargement au budget de l’Etat. En exerçant
ses fonctions, M. Bruce doit se comporter «en digne représentant de sa population et
être loyal envers l’Etat» (art. 24 de la loi no 2007-002). Selon les organisations
plaignantes, ces dispositions montrent clairement que les fonctions de chef traditionnel
et le poste de président du CNP sont incompatibles.
- 509. Malgré le fait que le ministre de l’Administration territoriale ait
affirmé que, «en l’état actuel de la législation, il n’existe aucune incompatibilité ou
interdiction pouvant empêcher un chef traditionnel d’exercer une quelconque
responsabilité fut-elle élective, dans une organisation patronale ou syndicale», ladite
incompatibilité a été soulignée par la commission ad hoc chargée de l’organisation et de
la supervision des élections du nouveau conseil d’administration qui, en date du
9 septembre 2013, en a informé par lettre M. Bruce. Cette lettre reprend la position
exprimée, le 2 septembre 2013, par la chargée des activités des employeurs de l’Equipe
technique d’appui au travail décent du bureau de l’OIT à Dakar dont la teneur est: «la
crédibilité d’une organisation d’employeurs et sa capacité à jouer son rôle reposent sur
son indépendance vis-à-vis des autorités nationales avec lesquelles elle est appelée à
négocier. Il est donc essentiel d’éviter tout conflit d’intérêts de la part de son
équipe dirigeante. Certaines fonctions comme celle d’être de fait un agent de l’Etat
sont donc incompatibles avec la fonction de président et même de membre du conseil
d’administration.»
- 510. Les organisations plaignantes regrettent que le juge du Tribunal de
première instance de première classe de Lomé n’ait fait aucune référence à la question
d’incompatibilité entre la fonction publique exercée par M. Bruce et sa candidature au
poste de président du CNP, qui est pourtant d’importance fondamentale pour la solution
du litige.
- 511. Les organisations plaignantes observent que M. Bruce accuse la
commission ad hoc chargée de l’organisation et de la supervision des élections du
nouveau conseil d’administration d’avoir été gérée par M. Naku, d’avoir été ni
impartiale ni indépendante et d’avoir «créé l’inégalité et un déséquilibre total entre
les candidats et les électeurs». Cependant, elles constatent qu’aucune des organisations
membres du CNP ne s’est plainte ni formellement, ni informellement, du déroulement des
élections, ce qui tend à montrer que la commission a travaillé de manière
irréprochable.
- 512. Enfin, les organisations plaignantes s’étonnent de l’analyse du
Tribunal de première instance de première classe de Lomé concernant la présence de
l’huissier de justice qui a sanctionné par des procès-verbaux les travaux de la
commission électorale et le déroulement des élections que le tribunal considère dans son
jugement comme ayant «joué un rôle d’auxiliaire de justice ayant compétence pour, entre
autres, dresser constat de certaines situations ou événements». Sa présence avait pour
but de faire constater le déroulement desdites opérations, qu’elles soient régulières ou
pas. Selon les organisations plaignantes, ce raisonnement enlève toute importance et
toute valeur à la présence d’un huissier de justice pendant les travaux de la commission
électorale.
- 513. Dans une communication en date du 12 décembre 2014, les
organisations plaignantes dénoncent une nouvelle entrave des autorités au droit des
membres du CNP d’élire librement leurs représentants et de voir respectés les statuts et
règlements adoptés par l’organisation. Les organisations plaignantes dénoncent ainsi
l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lomé (no 232/2014) le 8 octobre 2014, dans lequel
la cour considère que le jugement de première instance «n’a pas justifié
[l’administration provisoire par M. Papaly] tant dans la désignation de ses membres que
dans la durée a elle impartie; qu’aucun support juridique ne sous-tend cette
désignation, de sorte que celle-ci manque de base légale; que sa présence à la tête du
CNP Togo ne se justifie». C’est ainsi que la cour reçoit partiellement l’appel interjeté
par M. Naku en désignant: «le doyen d’âge des présidents d’association de base composant
le CNP Togo pour assurer l’administration provisoire à la tête du patronat»; «le plus
jeune en âge des présidents d’associations de base composant le CNP Togo comme
secrétaire général provisoire»; et «le vice-président de la Cour d’appel de Lomé pour
mettre en place le bureau de l’administration provisoire dans un délai de douze jours à
compter du prononcé de la décision». La cour prévoit que le bureau provisoire constitué
a pour mission d’organiser une assemblée générale élective dans un délai de trois mois à
compter de sa mise en place.
- 514. Le 17 octobre 2014, le vice-président de la cour d’appel a
effectivement réuni les présidents des 16 associations professionnelles composant le CNP
comme le lui demandait la cour. A l’issue de la réunion, un président de
l’administration provisoire et un secrétaire général de l’administration provisoire ont
été désignés. Cependant, de l’avis des organisations plaignantes, cette action
représente une nouvelle tentative d’ingérence des pouvoirs publics dans la gestion du
CNP.
- 515. Suite à cet arrêt et dans le but d’apporter une solution à la
délicate situation dans laquelle se trouve le CNP, une assemblée générale
extraordinaire, convoquée le 22 octobre 2014, à laquelle ont participé 15 des
16 présidents des associations professionnelles qui composent le CNP, a adopté les
résolutions suivantes:
- ■ la mise en place d’un comité de pilotage et
d’organisation des élections qui a pour mission d’actualiser les textes et
d’organiser les élections dans un délai maximum de trois mois;
- ■ la gestion
des affaires courantes reste la compétence du conseil d’administration qui s’engage
à faire la passation dès la mise en place des nouveaux élus. Son mandat prend fin le
jour même des élections;
- ■ tous les participants ont remercié vivement
M. Naku pour sa sagesse et son savoir-faire pour avoir mené à bien l’assemblée
générale extraordinaire qui s’est déroulée dans de très bonnes conditions;
- ■
tout pouvoir est donné au porteur des présentes résolutions pour en faire bon
usage.
- 516. Les organisations plaignantes précisent que, à l’occasion de cette
assemblée générale extraordinaire, M. Naku a publiquement déclaré qu’il ne présentera
pas sa candidature à l’élection des organes dirigeants du CNP.
- 517. En conclusion, les organisations plaignantes demandent au Comité de
la liberté syndicale d’enjoindre le gouvernement à prendre les mesures nécessaires
pour:
- ■ faire respecter les résultats des élections du 20 septembre 2013 et
toutes les demandes des membres du CNP;
- ■ retirer les scellés des bureaux du
CNP afin de permettre au conseil d’administration et à son président élu de pouvoir
exercer leurs fonctions;
- ■ rembourser les dépenses que M. Naku a dû
supporter pour participer à la CIT de 2014 du 26 mai au 12 juin;
- ■ éviter
qu’une nouvelle situation de ce type – qui entrave gravement la conduite des
activités et la formulation du programme d’action du CNP – ne puisse se répéter à
l’avenir.
B. Conclusions du comité
B. Conclusions du comité- 518. Le comité regrette que, malgré le temps écoulé depuis la
présentation de la plainte, le gouvernement n’ait pas répondu aux allégations des
organisations plaignantes, alors qu’il a été invité à plusieurs reprises, y compris par
un appel pressant, à présenter ses commentaires et observations sur ce cas. Le comité
regrette vivement que le gouvernement se soit contenté d’indiquer en janvier 2015 son
intention de répondre rapidement à la présente plainte sans y avoir donné suite, cela
compte tenu de la gravité des allégations qui concernent la capacité des organisations
d’employeurs de fonctionner et de mener leurs activités au nom de leurs membres. Le
comité prie instamment le gouvernement de faire preuve de plus de coopération à
l’avenir.
- 519. Dans ces conditions, conformément à la règle de procédure applicable
[voir 127e rapport, paragr. 17, approuvé par le Conseil d’administration à sa
184e session], le comité se voit dans l’obligation de présenter un rapport sur le fond
de l’affaire sans pouvoir tenir compte des informations qu’il espérait recevoir du
gouvernement.
- 520. Le comité rappelle au gouvernement que l’ensemble de la procédure
instituée par l’Organisation internationale du Travail pour l’examen d’allégations en
violation de la liberté syndicale vise à assurer le respect de cette liberté en droit
comme en fait. Le comité demeure convaincu que, si la procédure protège les
gouvernements contre les accusations déraisonnables, ceux-ci doivent à leur tour
reconnaître l’importance de présenter, en vue d’un examen objectif, des réponses
détaillées aux allégations formulées à leur encontre. [Voir premier rapport du comité,
paragr. 31.]
- 521. Le comité note que le présent cas a trait à l’ingérence présumée des
pouvoirs publics dans les élections des représentants du Conseil national du patronat du
Togo (CNP). Il ressort des informations fournies par les organisations plaignantes que
le CNP a organisé l’élection d’un nouveau conseil d’administration au cours d’une
assemblée générale ordinaire le 20 septembre 2013. Une commission ad hoc chargée de
l’organisation et du contrôle des élections du nouveau conseil a été mise en place à cet
effet et un huissier de justice a établi les procès-verbaux des travaux de l’assemblée
générale et du déroulement des élections. Ainsi, selon les organisations plaignantes,
l’assemblée générale a démocratiquement élu tous les membres du conseil
d’administration, dont M. Kossivi Naku à la présidence du CNP. Le comité note toutefois
que, trois mois après ces élections, le deuxième candidat à la présidence du CNP,
M. Ahlonko Bruce, qui a échoué au deuxième tour de scrutin et qui n’a pas manifesté à
cette occasion d’opposition aux résultats, a saisi un juge des référés le 6 janvier 2014
pour faire invalider les élections du 20 septembre 2013 qu’il considère comme entachées
d’irrégularités. Le juge des référés a fait droit à la demande de M. Bruce et ordonné
l’invalidation des élections par ordonnance du 10 janvier 2014. Cependant, cette
ordonnance sera annulée au motif de l’incompétence du juge des référés par la Cour
d’appel de Lomé saisie par le CNP. La cour renvoie donc les parties devant le Tribunal
de première instance de Lomé. M. Bruce décide ainsi de saisir le juge de première
instance de première classe de Lomé d’une requête en annulation des élections et
demandent la désignation d’une administration provisoire ayant pour mission d’organiser
une nouvelle assemblée générale élective. Le comité observe que par un jugement du
4 avril 2014, le tribunal a constaté des irrégularités graves contraires aux statuts
mêmes de l’organisation dans le déroulement des élections du 20 septembre 2013, a annulé
lesdites élections et a désigné un administrateur provisoire (M. Papaly) ainsi qu’un
secrétaire général (M. Adjogah) et un trésorier (M. Aziabu) dont la mission est
d’organiser un nouveau scrutin dans un délai de dix-huit mois à compter de la date du
jugement.
- 522. Le comité note que, suite au jugement du Tribunal de première
instance de première classe de Lomé, les 16 associations professionnelles membres du CNP
ont organisé une réunion extraordinaire le 30 avril 2014 à l’issue de laquelle elles ont
signé une déclaration certifiant que les élections du 20 septembre 2013 ont été
régulières, transparentes et acceptées par tous les membres du CNP et demandant le
respect de leur résultat.
- 523. Enfin, le comité prend note de la communication du 12 décembre 2014
des organisations plaignantes selon laquelle l’arrêt rendu le 8 octobre 2014 par la Cour
d’appel de Lomé saisie par le CNP a considéré la décision de première instance d’une
administration provisoire du CNP comme manquant de base légale et a décidé de désigner
une administration provisoire émanant de l’organisation. Compte tenu du silence des
statuts de l’organisation en cas d’annulation des élections, la cour a décidé
d’appliquer le critère du doyen d’âge des présidents d’associations composant le CNP en
qualité d’administrateur provisoire et le plus jeune en âge des présidents en qualité de
secrétaire général. Le comité note que les organisations plaignantes sont insatisfaites
de cette décision qu’elles considèrent comme une nouvelle entrave des autorités au droit
du CNP d’élire ses propres dirigeants et d’organiser sa gestion selon ses statuts. Suite
à cet arrêt, le CNP a organisé une assemblée générale extraordinaire à l’issue de
laquelle les résolutions suivantes concernant l’organisation de nouvelles élections ont
été adoptées: i) la mise en place d’un comité de pilotage et d’organisation des
élections qui a pour mission d’actualiser les textes et d’organiser les élections dans
un délai maximum de trois mois; et ii) la gestion des affaires courantes reste la
compétence du conseil d’administration qui s’engage à faire la passation dès la mise en
place des nouveaux élus. Son mandat prend fin le jour même des élections.
- 524. S’agissant des différends au sein d’une organisation
professionnelle, le comité rappelle qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur des
conflits internes d’une organisation syndicale ou patronale, sauf si le gouvernement est
intervenu d’une manière qui pourrait affecter l’exercice des droits syndicaux et le
fonctionnement normal de l’organisation en question. A cet égard, le comité rappelle
fréquemment le principe selon lequel, dans le cas de dissensions intérieures au sein
d’une même fédération syndicale, un gouvernement n’est lié, en vertu de l’article 3 de
la convention no 87, que par l’obligation de s’abstenir de toute intervention de nature
à limiter le droit des organisations professionnelles d’élaborer leurs statuts et
règlements administratifs, d’élire librement leurs représentants, d’organiser leur
gestion et leur activité, et de formuler leur programme d’action, ou de toute
intervention de nature à entraver l’exercice légal de ce droit. Enfin, le comité
souligne régulièrement le principe selon lequel, dans les cas de conflits internes,
l’intervention de la justice permettait de clarifier la situation d’un point de vue
légal et de normaliser la gestion et la représentation de l’organisation en cause. [Voir
Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième
édition, 2006, paragr. 1116 et 1117.]
- 525. Dans le présent cas, le comité constate que la juridiction de
première instance saisie a prononcé le 4 avril 2014 l’annulation des élections du
20 septembre 2013 au motif de violations de certaines règles établies dans les statuts
de l’organisation concernant l’élection des membres du conseil d’administration, sans
lien avec l’élection du président. Le comité note en outre que la juridiction d’appel
n’a pas remis en cause les motifs d’annulation des élections, mais seulement la base
légale de la nomination d’une administration provisoire du CNP pendant la période
transitoire devant mener à l’organisation de nouvelles élections.
- 526. Sans devoir rentrer dans une analyse de fond des décisions rendues,
le comité note qu’en l’espèce le conflit a été tranché par l’autorité judiciaire qui
s’est efforcée de désigner une autorité provisoire en vue de procéder rapidement à de
nouvelles élections. A cet égard, le comité rappelle qu’il a toujours signalé que
l’intervention de la justice permettrait de clarifier la situation du point de vue légal
et de normaliser la gestion et la représentation de la centrale syndicale en cause. Un
autre moyen de procéder à cette normalisation consisterait à désigner un médiateur
indépendant, en accord avec les parties intéressées, en vue de chercher conjointement la
solution des problèmes existants et, le cas échéant, de procéder à de nouvelles
élections. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 1124.] Dans la mesure où l’issue proposée
par la justice ne convient pas aux parties en conflit, le comité les invite à s’efforcer
de s’entendre sur la désignation d’un médiateur indépendant qui les assisterait pour
mettre en œuvre une procédure acceptée par tous afin de permettre aux membres du CNP de
choisir librement et rapidement leurs représentants, conformément aux principes de la
liberté syndicale rappelés ci-dessus.
- 527. S’agissant des allégations des organisations plaignantes selon
lesquelles M. Bruce a présenté sa candidature au poste de président du CNP malgré le
conflit d’intérêts entre sa fonction publique de chef traditionnel de la ville d’Aného
depuis 2012 et la nécessité d’assurer l’indépendance du CNP vis-à-vis des pouvoirs
publics, le comité note que les organisations plaignantes estiment que le titre de chef
traditionnel de la ville d’Aného dépend directement du ministère de l’Administration
territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales et implique un
émargement au budget de l’Etat, en vertu de l’article 1 de la loi no 2007-002 du
8 janvier 2007. En vertu de l’article 24 de la loi no 2007-002, en exerçant ses
fonctions, M. Bruce doit se comporter «en digne représentant de sa population et être
loyal envers l’Etat». Cette obligation rend sa fonction incompatible avec celle de
président du CNP selon les organisations plaignantes. Les organisations plaignantes
regrettent que le juge du Tribunal de première instance de première classe de Lomé n’ait
fait aucune référence à la question d’incompatibilité entre la fonction publique exercée
par M. Bruce et sa candidature au poste de président du CNP, qui est pourtant
d’importance fondamentale pour la solution du litige.
- 528. Le Comité reconnaît la nécessité pour une organisation d’employeurs
de préserver sa crédibilité et son indépendance vis-à-vis des autorités nationales avec
lesquelles elle doit négocier en s’assurant qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts dans
sa direction, en particulier entre certaines fonctions dans l’équipe dirigeante et
celles au sein de l’Etat. A cet égard, tout en notant que, selon les autorités, il
n’existe aucune incompatibilité ou interdiction dans l’état actuel de la législation
pouvant empêcher un chef traditionnel d’exercer une quelconque responsabilité fut-elle
élective, dans une organisation patronale ou syndicale, le comité est d’avis que, si une
organisation estime qu’une charge ou une fonction publique est incompatible avec un
poste électif ou non à sa direction, elle a toute latitude pour intégrer cette question
dans ses statuts, conformément au droit des organisations professionnelles d’élaborer
leurs statuts et règlements en toute liberté sans ingérence des autorités, notamment en
ce qui concerne les procédures électorales.
- 529. Le comité note avec préoccupation l’indication selon laquelle
M. Naku s’est vu notifier, dès le 14 avril 2014, l’apposition de scellés sur les bureaux
du CNP et que, depuis cette date, l’accès au siège du CNP lui est interdit ainsi qu’aux
autres membres du CNP, paralysant totalement les activités de l’organisation. Malgré le
fait que la mise sous scellés des locaux du CNP soit issue d’une décision judiciaire, le
comité ne peut que regretter le fait que, depuis maintenant une année, l’organisation en
question ne peut organiser ses activités ni protéger les intérêts de ses membres de
manière adéquate. Le comité prie instamment le gouvernement de l’informer de la levée de
la mise sous scellés des locaux du CNP et, entre-temps, de prendre toutes les mesures
nécessaires pour que le CNP puisse développer sans entrave ses activités de défense et
de promotion des intérêts de ses membres dans l’intervalle menant à l’organisation de
nouvelles élections de son conseil d’administration.
- 530. Enfin, le comité note que les organisations plaignantes dénoncent le
fait que, suite à la désignation d’un administrateur provisoire, celui-ci a été
accrédité par le gouvernement comme délégué des employeurs à la place de M. Naku à la
Conférence internationale du Travail (CIT) en mai-juin 2014. M. Naku a participé, à ses
frais, à la CIT comme observateur accrédité par l’OIE sans droit de vote et a saisi la
Commission de vérification des pouvoirs de la CIT d’une protestation à cet égard.
Rappelant que les questions ayant trait à la participation à la Conférence
internationale du Travail sont du ressort de la Commission de vérification des pouvoirs,
le comité note cependant que, dans son analyse de la protestation de M. Naku, la
commission a indiqué que les prérogatives conférées à un administrateur provisoire par
une décision de justice ne devraient pas être de nature à empêcher que le représentant
choisi par les employeurs exerce ses fonctions à la Conférence. La commission a rappelé
en outre que l’intervention des organisations professionnelles dans la désignation des
délégués et des conseillers techniques n’a d’autre but que de garantir que les
gouvernements désigneront des personnes dont les opinions seront en harmonie avec les
opinions respectives des employeurs et des travailleurs. En conclusion, la commission
observe que le gouvernement aurait dû procéder à de nouvelles consultations pour
garantir pleinement la représentation des employeurs à la Conférence. Le comité s’attend
à ce que le gouvernement garantisse que la désignation du délégué des employeurs aux
futures sessions de la Conférence internationale du Travail s’effectuera d’une manière
pleinement conforme à la Constitution de l’OIT.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 531. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité regrette
que, malgré le temps écoulé depuis la présentation de la plainte, le gouvernement
n’ait pas répondu aux allégations des organisations plaignantes, alors qu’il a été
invité à plusieurs reprises, y compris par un appel pressant, à présenter ses
commentaires et observations sur ce cas. Le comité regrette vivement que le
gouvernement se soit contenté d’indiquer en janvier 2015 son intention de répondre
rapidement à la présente plainte sans y avoir donné suite, cela compte tenu de la
gravité des allégations qui concernent la capacité des organisations d’employeurs de
fonctionner et de mener leurs activités au nom de leurs membres. Le comité prie
instamment le gouvernement de faire preuve de plus de coopération à
l’avenir.
- b) Dans la mesure où l’issue proposée par la justice ne convient
pas aux parties en conflit, le comité les invite à s’efforcer de s’entendre sur la
désignation d’un médiateur indépendant qui les assisterait pour mettre en œuvre une
procédure acceptée par tous afin de permettre aux membres du CNP de choisir
librement et rapidement leurs représentants.
- c) Le comité prie instamment le
gouvernement de l’informer de la levée de la mise sous scellés des locaux du CNP et,
entre-temps, de prendre toutes les mesures nécessaires pour que le CNP puisse
développer sans entrave ses activités de défense et de promotion des intérêts de ses
membres dans l’intervalle menant à l’organisation de nouvelles élections de son
conseil d’administration. Le comité, rappelant que les organisations d’employeurs et
de travailleurs devraient exercer leur droit d’élaborer leurs propres statuts et
règles de fonctionnement en toute liberté sans ingérence de la part des autorités,
en particulier en ce qui concerne les procédures d’élection, prie le gouvernement de
respecter ce principe dans le traitement du présent cas et à l’avenir.
- d) Le
comité s’attend à ce que le gouvernement garantisse que la désignation du délégué
des employeurs aux futures sessions de la Conférence internationale du Travail
s’effectuera d’une manière pleinement conforme à la Constitution de
l’OIT.