Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent divers actes antisyndicaux
au sein du service intégré de nettoyage et des services généraux du district de Bogotá dans
le cadre d’entreprises sous-traitantes, notamment des restrictions à la liberté d’accès des
dirigeantes syndicales aux entreprises en question, le non-renouvellement discriminatoire
des contrats de travail de plusieurs dirigeants syndicaux, ainsi que l’usage généralisé de
contrats de travail de courte durée qui empêcherait le libre exercice du droit syndical des
travailleuses du service concerné
- 195. La plainte figure dans une communication en date du 15 novembre 2012
présentée par la Centrale unitaire des travailleurs de Colombie (CUT) et le Syndicat des
travailleurs des services généraux et connexes (SINTRASEGA).
- 196. Le gouvernement a envoyé ses observations dans des communications en
date des 6 et 25 mars 2014.
- 197. La Colombie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 151) sur les
relations de travail dans la fonction publique, 1978, et la convention (no 154) sur la
négociation collective, 1981.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 198. Les organisations plaignantes allèguent que le droit à la liberté
syndicale des travailleuses du service intégré de nettoyage et des services généraux du
district de Bogotá est actuellement violé par les entreprises sous-traitantes dudit
district. A cet égard, les organisations plaignantes déclarent que: i) en 2010 et 2011,
la mairie de Bogotá a signé un contrat de prestation de services avec l’entreprise
Internacional de Negocios S.A. pour le service du nettoyage dans les collèges publics,
pour lequel ladite entreprise a recruté 3 884 travailleuses et travailleurs; ii) en
septembre 2011, l’entreprise ayant commencé à présenter des retards dans le paiement des
traitements, il a été demandé au secrétariat de l’éducation du district de Bogotá de
prendre des mesures pour obliger ladite entreprise à respecter ses obligations
professionnelles; iii) le 24 novembre 2011, les travailleuses du nettoyage et des
services généraux, qui travaillaient principalement dans des collèges des communautés
d’Usme, Ciudad Bolívar et Sumapaz, ont fondé le Syndicat national des travailleurs
d’Internacional de Negocios S.A.; iv) les travailleuses d’Usme ont entamé des
protestations le 29 décembre 2011 pour le non-paiement de leurs salaires, à la suite
desquelles des actes de stigmatisation ont débuté à l’encontre des membres du syndicat;
v) fin janvier 2012, l’entreprise Internacional de Negocios S.A. a demandé au
secrétariat de l’éducation du district la cession du contrat, lequel a été cédé le
7 février 2012 pour une part à l’Unión Temporal Asepclean et pour l’autre part à l’Unión
Temporal Mr. Clean S.A. y Mantenimiento Aseo Servicios S.A.; vi) les entreprises
précitées n’ont renouvelé les contrats ni des femmes enceintes ni des travailleuses
atteintes de tout type de handicap résultant de maladies professionnelles, ce qui a
donné lieu à une plainte de la CUT auprès du ministère du Travail le 30 janvier 2012;
vii) le 9 février 2012, les travailleuses du nettoyage ont fondé un nouveau syndicat
professionnel, le Syndicat des travailleurs des services généraux et connexes
(SINTRASEGA); viii) depuis février 2012, la présidente du SINTRASEGA, Mme Yamila
Guerrero García, et la secrétaire générale de l’organisation ont cessé d’être embauchées
par Internacional de Negocios S.A. ainsi que par les entreprises auxquelles a été cédé
le contrat de prestation de services. La présidente du SINTRASEGA a également dû
abandonner son travail de documentation sur la situation professionnelle des
travailleuses du secteur, mené conjointement avec une avocate de la Commission
colombienne de juristes, en se voyant refuser l’entrée dans les lieux de travail où
opéraient les travailleuses de l’entreprise et des syndicats temporaires susmentionnés;
ix) depuis lors, l’exercice de la liberté syndicale dans les entreprises et syndicats
temporaires en question demeure limité du fait de l’existence d’actes de harcèlement et
de persécution antisyndicale, notamment de menaces de licenciement dans le cas où les
travailleuses se réuniraient avec les dirigeantes du syndicat; x) en mars et mai 2012,
le SINTRASEGA, avec l’appui de la CUT, a dénoncé les violations susmentionnées devant le
ministère du Travail, la mairie de Bogotá et le bureau du Procureur général de la nation
sans que la situation ne soit réglée, par manque de volonté politique et juridique;
xi) par suite de la crainte généralisée de représailles antisyndicales, le SINTRASEGA
n’a pas demandé la déduction de la cotisation syndicale et la majorité de ses
500 membres préfèrent garder secrète leur affiliation.
- 199. Sur la base des faits signalés, les organisations plaignantes
allèguent l’existence des violations ci-après des conventions nos 87 et 98 de l’OIT:
i) fortes restrictions à la diffusion de l’information syndicale et à la liberté d’accès
des dirigeantes syndicales aux entreprises susmentionnées, ce qui a une influence
négative sur le droit de syndicalisation des travailleuses du service intégré de
nettoyage et des services généraux du district de Bogotá, sans qu’aient été prévus de
mécanismes appropriés pour dénoncer lesdites irrégularités; ii) actes de discrimination
antisyndicale contre les dirigeantes et les membres du SINTRASEGA, en particulier le
non-renouvellement de leurs contrats de travail, sans qu’aient été prévues des voies de
recours efficaces permettant de faire face à ces situations, dans la mesure où les
inspecteurs du travail ne remplissent pas les conditions requises pour garantir et faire
appliquer les droits des travailleurs; et iii) usage généralisé du recrutement sous
contrat d’ouvrage, de très courte durée (3, 6 ou 9 mois), qui réduit la capacité
d’association des travailleuses du service de nettoyage par crainte de voir leurs
contrats de travail non renouvelés.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 200. Par une communication en date du 6 mars 2014, le gouvernement
transmet la réponse de l’entreprise Unión Temporal Mr Clean S.A. y Mantenimiento Aseo
Servicios S.A., qui signale que: i) les contrats de nettoyage des localités d’Usme et de
Ciudad Bolívar lui ont été cédés par le secrétariat de l’éducation du district de Bogotá
le 7 février 2012, par suite de l’incapacité de l’entreprise Internacional de Negocios
S.A. de les exécuter; ii) en vertu de ladite cession, le secrétariat de l’éducation
n’assume aucune responsabilité professionnelle vis-à-vis des travailleurs affectés à la
prestation du service, l’entreprise sous-traitante gardant une indépendance totale à cet
égard; iii) la précédente entreprise sous-traitante a conservé la responsabilité du
paiement des créances salariales dues jusqu’à la date de cession du contrat; iv) à la
suite de la cession, 98 pour cent du personnel ont été maintenus en place; v) les rares
cas de non-renouvellement de contrats de travail ont résulté des visites médicales
d’embauche non concluantes et en aucun cas de l’appartenance des travailleuses à une
organisation syndicale dont l’entreprise n’avait pas connaissance au cours du processus
de recrutement du personnel; vi) les recours en tutelle présentés par certaines
travailleuses ont donné lieu à la condamnation de la précédente entreprise
sous-traitante; vii) les dénonciations de discrimination ne sont pas fondées.
- 201. A la suite des informations fournies par l’entreprise susmentionnée,
le gouvernement indique que: i) le ministère du Travail a ordonné à l’Internacional de
Negocios S.A. de se conformer aux dispositions légales en matière de demande de
résiliation de contrats de travailleurs handicapés; ii) les procédures administratives
du travail introduites en janvier 2013 contre l’entreprise en question et le secrétariat
de l’éducation de la mairie de Bogotá (SED) sont actuellement menées et les informations
pertinentes seront transmises au comité à l’issue des enquêtes appropriées; iii) par
contre, le 10 décembre 2012, aucune procédure administrative du travail n’avait été
entamée par le SINTRASEGA contre les entreprises Asepclean et Mr. Clean y Mantenimiento
Aseo Servicios S.A.; iv) les organisations plaignantes n’ont pas démontré l’existence
d’actes antisyndicaux lors du processus d’intégration des travailleurs dans les
nouvelles entreprises sous-traitantes et le Comité de la liberté syndicale n’a par
conséquent pas compétence pour examiner le présent cas.
- 202. Par une communication en date du 25 mars 2014, le gouvernement
transmet la réponse du SED, qui signale que: i) les allégations de violations des
principes de la liberté syndicale correspondent à des comportements d’entreprises
sous-traitantes et non de la mairie elle-même; ii) l’entreprise Internacional de
Negocios S.A. a été sanctionnée pour le non-respect des lois du travail dénoncé par la
CUT; iii) l’obligation des entreprises sous-traitantes d’établir une relation de travail
avec leurs travailleurs ne se prolonge pas au-delà de la fin du contrat de prestation de
services; iv) le SED a été témoin des accords signés entre les dirigeants syndicaux et
l’entreprise Internacional de Negocios S.A., qui incluaient le paiement des créances
salariales et l’engagement de ne prendre aucune mesure de représailles à l’encontre des
travailleurs ayant fait des réclamations; v) le SED sera attentif aux actes d’ingérence
visant à affaiblir la liberté syndicale des travailleurs liés par des contrats de
travail signés avec des entreprises prestataires de services.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 203. Le comité observe que le présent cas se réfère à des allégations de
violations du droit à la liberté syndicale au sein du service intégré de nettoyage et
des services généraux du district de Bogotá dans le cadre d’entreprises sous-traitantes.
Les violations alléguées consistent, d’une part, en une série d’actes antisyndicaux, qui
comprennent de fortes restrictions à la diffusion de l’information syndicale et à la
liberté d’accès des dirigeantes syndicales aux entreprises en question, ainsi que le
non-renouvellement discriminatoire des contrats de travail des dirigeantes du
SINTRASEGA, sans qu’aient été prévus des mécanismes appropriés et efficaces pour mettre
fin aux actes antisyndicaux susmentionnés et, d’autre part, en un usage généralisé de
contrats de travail de courte durée, qui empêcherait le libre exercice du droit de
syndicalisation par les travailleuses du service de nettoyage, dans la crainte d’un
non-renouvellement de leurs contrats de travail.
- 204. Le comité prend note des réponses du gouvernement, du SED et de
l’entreprise Unión Temporal Mr. Clean S.A. y Mantenimiento Aseo Servicios S.A., selon
lesquelles les pouvoirs publics ont pris des mesures face aux violations de ses
obligations professionnelles (paiement des salaires) par l’entreprise sous-traitante
initiale (Internacional de Negocios S.A.), et selon lesquelles il n’existe pas de preuve
d’actes antisyndicaux commis par les différentes entreprises dans le cadre de
l’exécution du contrat de prestation de services signé par le SED.
- 205. En ce qui concerne les allégations relatives à une série d’actes
antisyndicaux commis par les entreprises sous-traitantes du SED, en particulier à partir
de la création du SINTRASEGA en février 2012 et de la cession du contrat de prestation
du service de nettoyage à de nouvelles entreprises, le comité prend note de la réponse
du gouvernement selon lequel les organisations plaignantes n’ont pas démontré
l’existence d’actes antisyndicaux lors du processus d’intégration des travailleuses dans
les nouvelles entreprises sous-traitantes et l’on n’a pas enregistré de procédures
administratives du travail lancées par le SINTRASEGA contre les entreprises auxquelles a
été cédé le contrat de prestation du service de nettoyage, seules existant les
procédures administratives du travail en cours à l’encontre de l’entreprise
sous-traitante initiale et du SED. A cet égard, le comité prend note de ce que, les 5 et
8 mars 2012, la CUT et le SINTRASEGA ont présenté deux communications identiques au
ministère du Travail et à la mairie de Bogotá pour dénoncer, entre autres éléments, des
actes de persécution antisyndicale de la part des différentes entreprises
sous-traitantes susmentionnées, comprenant le licenciement discriminatoire de la
présidente du SINTRASEGA, Mme Yamila Guerrero García, et de deux autres dirigeants
syndicaux, et pour demander l’intervention immédiate des pouvoirs publics en vue de
mettre fin à la situation de violation de la liberté syndicale.
- 206. Le comité observe que le gouvernement n’évoque pas dans sa réponse
le traitement réservé aux deux plaintes susmentionnées de mars 2012 et qu’il ne précise
pas si les procédures administratives du travail en cours relatives à l’entreprise
Internacional de Negocios S.A. et au SED incluent des dénonciations de violation de la
liberté syndicale. Rappelant que, lorsqu’elles sont saisies de plaintes en
discrimination antisyndicale, les instances compétentes doivent mener immédiatement une
enquête et prendre les mesures nécessaires pour remédier aux conséquences des actes de
discrimination antisyndicale qui auront été constatés [voir Recueil de décisions et de
principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 835], le
comité prie le gouvernement de veiller à ce que tous les actes antisyndicaux dénoncés
dans le cadre de la présente plainte donnent lieu dans les plus brefs délais à des
enquêtes indépendantes. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de la
réalisation des enquêtes en question et de leurs résultats.
- 207. S’agissant des allégations spécifiques de non-renouvellement
discriminatoire des contrats de travail de plusieurs dirigeants du SINTRASEGA, et en
particulier de sa présidente Mme Yamila Guerrero García, à l’occasion de la cession du
contrat de prestation du service de nettoyage, rappelant que le non-renouvellement d’un
contrat d’emploi pour des raisons de discrimination antisyndicale constitue un préjudice
au sens de l’article 1 de la convention no 98 [voir Recueil, op. cit., paragr. 785], le
comité prie le gouvernement de s’assurer que les enquêtes mentionnées dans le précédent
paragraphe portent également sur la situation contractuelle de Mme Guerrero García.
Rappelant le principe général selon lequel, dans les cas où une réintégration s’avère
impossible, le gouvernement devrait veiller à ce que soit versée aux travailleurs
concernés une indemnisation adéquate qui constituerait une sanction suffisamment
dissuasive contre les licenciements antisyndicaux [voir Recueil, op. cit., paragr. 845],
le comité prie le gouvernement, dans le cas où le caractère antisyndical du
non-renouvellement de son contrat de travail serait avéré, de s’assurer que cette
dernière se voie proposer un nouveau contrat de travail ou, si cela n’est pas possible,
qu’elle reçoive une indemnisation appropriée de manière à constituer une sanction
suffisamment dissuasive.
- 208. En ce qui concerne les allégations relatives à l’usage généralisé de
contrats de courte durée dans le service intégré de nettoyage et les services généraux
du district de Bogotá, qui empêcherait le libre exercice du droit de syndicalisation
dans le service en question, le comité rappelle le principe selon lequel il n’a pas de
compétence et n’entend pas se prononcer sur le bien-fondé du recours à des contrats à
durée indéterminée ou à durée déterminée; toutefois, le comité souhaite attirer
l’attention sur le fait que dans certaines circonstances le renouvellement de contrats à
durée déterminée pendant plusieurs années pourrait avoir des incidences sur l’exercice
effectif des droits syndicaux. [Voir 368e rapport, cas no 2884 (Chili), paragr. 213.] Le
comité prie le gouvernement de prêter attention à ce principe dans les enquêtes qu’il
diligente et, en vérifiant l’effet dissuasif invoqué, de prendre, si nécessaire et en
consultation avec les partenaires sociaux concernés, les mesures appropriées pour que
les travailleurs du secteur puissent exercer librement leurs droits syndicaux. Le comité
prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 209. Au vu des conclusions qui précédent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité prie le
gouvernement de veiller à ce que tous les actes antisyndicaux dénoncés dans le cadre
de la présente plainte donnent lieu dans les plus brefs délais à des enquêtes
indépendantes. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de la réalisation
des enquêtes en question et de leurs résultats.
- b) Le comité prie le
gouvernement de s’assurer que les enquêtes invoquées au point a) portent également
sur la situation contractuelle de Mme Guerrero García et que, dans le cas où le
caractère antisyndical du non-renouvellement de son contrat de travail serait avéré,
elle se voie proposer un nouveau contrat ou, si cela n’est pas possible, elle
reçoive une indemnisation appropriée de manière à constituer une sanction
suffisamment dissuasive. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet
égard.
- c) En ce qui concerne les allégations relatives à l’usage généralisé
de contrats de courte durée dans le service intégré de nettoyage et les services
généraux du district de Bogotá, qui empêcherait le libre exercice du droit de
syndicalisation dans le service en question, tout en rappelant le principe selon
lequel il n’a pas de compétence et n’entend pas se prononcer sur le bien-fondé du
recours à des contrats à durée déterminée ou à durée indéterminée, le comité prie le
gouvernement de prêter attention à cette question dans les enquêtes qu’il diligente
sur l’effet dissuasif invoqué et, si cet effet dissuasif est constaté, de prendre,
si nécessaire et en consultation avec les partenaires sociaux concernés, les mesures
appropriées pour que les travailleurs du secteur puissent exercer librement leurs
droits syndicaux. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet
égard.