Allégations: Les organisations plaignantes allèguent le licenciement par Turkish
Airlines de 316 travailleurs au motif de leur participation à une grève de protestation, le
29 mai 2012, des mesures entravant l’exercice du droit de grève prises lors de l’action
revendicative engagée le 15 mai 2013, ainsi que des failles dans la législation nationale
dans le domaine de l’action revendicative
- 619. La plainte figure dans des communications du Syndicat de l’aviation
civile turque (Hava İş) et de la Fédération internationale des ouvriers du transport
(ITF) en date des 4 mars et 25 juillet 2013.
- 620. Le gouvernement a envoyé ses observations dans des communications en
date des 6 septembre 2013 et 5 mai 2014.
- 621. La Turquie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 622. Dans une communication en date du 4 mars 2013, les organisations
plaignantes, Hava-İş et ITF, présentent une plainte officielle contre le gouvernement de
la Turquie pour violation des conventions nos 87 et 98 et des principes de la liberté
syndicale. Les organisations plaignantes estiment que la conduite de Turkish Airlines
(ci-après désignée «l’entreprise») dans le conflit qui est à l’origine de la présente
plainte révèle plusieurs failles dans la législation turque quant à la protection des
droits des travailleurs et des syndicats, dont le gouvernement est responsable en tant
qu’Etat Membre de l’OIT et partie aux conventions nos 87 et 98. Selon elles, de graves
questions de conformité se posent au sujet de la nécessité d’adopter des mesures visant
à permettre aux syndicats d’organiser librement leurs activités et de formuler leurs
programmes sans restrictions ni obstacles à l’exercice légitime de ces droits; à
protéger les syndicats dans leurs efforts en vue de promouvoir et de défendre les
intérêts des travailleurs; et à protéger les travailleurs contre des actes de
discrimination antisyndicale.
- 623. Les organisations plaignantes précisent que l’entreprise est le
transporteur aérien national de la Turquie, assurant des liaisons régulières vers
163 destinations à l’étranger et 41 villes turques, desservant un total de 204 aéroports
d’Europe, d’Asie, d’Afrique et des Amériques. En juin 2011, la compagnie aérienne
comptait 18 188 employés et une flotte de 200 appareils. La compagnie aérienne est basée
à l’aéroport international d’Atatürk (Istanbul). Actuellement, l’Agence de privatisation
du Premier ministre détient une participation de 49,12 pour cent dans l’entreprise
(50,88 pour cent des actions sont négociées en bourse); selon les organisations
plaignantes, cela signifie probablement que le gouvernement est étroitement associé à la
nomination des cadres supérieurs de la compagnie aérienne.
- 624. Les organisations plaignantes indiquent également qu’Hava-İş a été
établi en 1962 en vue de relever les nouveaux défis auxquels étaient confrontés les
travailleurs d’une industrie aérienne naissante. Depuis plus de deux décennies, ce
syndicat défend activement et de façon démocratique les droits des travailleurs de
l’aviation et se bat pour l’égalité. Hava-İş compte 17 000 membres, soit environ 93 pour
cent de l’effectif de l’entreprise. L’organisation a des sections à Ankara, Izmir,
Antalya et du côté asiatique d’Istanbul, et a des bureaux de représentation à Adana et
Dalaman. Depuis 1964, elle fait partie de la Confédération syndicale nationale
(Türk-Iş); elle est également affiliée à l’ITF et à sa branche européenne, la Fédération
européenne des travailleurs des transports.
- 625. Les organisations plaignantes allèguent les faits suivants: i) en
février 2012, le gouvernement turc a déposé un projet de loi prévoyant une disposition
qui semblait viser délibérément Hava-İş (le seul syndicat de l’aviation) dans la mesure
où elle donnait aux compagnies aériennes le droit de forcer le retour au travail de
40 pour cent de leur effectif pendant une grève; ii) lors des procédures parlementaires
d’examen du projet de loi qui ont suivi, le comité principal a retiré la disposition
concernant la grève et l’a renvoyée devant le Parlement; iii) le 10 mai 2012, le parti
au pouvoir aurait introduit, à la demande de l’entreprise, une modification à
l’article 29 de la loi existante sur les conventions collectives, les grèves et les
lock-out (loi no 2822), visant à ajouter le secteur de l’aviation à la liste des
services où l’action revendicative est interdite; iv) à la fin de mai 2012, cette
modification a été présentée à la hâte devant le Parlement et approuvée sans délai par
le Président, qui avait refusé de rencontrer la direction d’Hava-İş pour discuter de la
tentative de déclarer illégal le droit de grève dans le secteur de l’aviation; v) le
23 mai 2012, 3 000 membres d’Hava-İş se sont rendus à une manifestation organisée par le
syndicat devant les locaux de la direction générale de l’entreprise, et le président du
syndicat s’est adressé à la foule, exhortant les travailleurs à débrayer dans
l’éventualité où l’interdiction des grève entrerait en vigueur dans le secteur de
l’aviation; vi) le soir du 28 mai 2012, le syndicat a envoyé des SMS à ses membres en
les invitant à prendre un jour de congé de maladie, la seule action revendicative
possible en l’occurrence, pour protester contre la décision du gouvernement d’imposer
une interdiction de grève dans le secteur de l’aviation; vii) le 29 mai 2012, environ
80 pour cent des équipages de cabine et des techniciens se sont déclarés malades et ne
se sont pas présentés au travail; viii) la compagnie a réagi en licenciant
316 travailleurs (nommés dans la plainte) en envoyant par SMS, courrier électronique et
téléphone ce message: «Vous êtes licencié pour avoir participé à une action illégale»;
ix) les travailleurs licenciés n’ont pas été condamnés à payer la lourde amende imposée
au motif de leur participation à une action revendicative illégale comme le prescrit la
loi nationale, mais la possibilité de se voir également infliger une telle amende a
affecté leur moral; x) immédiatement après avoir licencié les travailleurs, l’entreprise
a affecté au service en vol des membres d’équipage de cabine nouvellement embauchés,
supposément avant qu’ils n’aient terminé leur formation, et a affiché sur son site Web
des annonces d’emploi dans les équipages de cabine; xi) Hava-İş a aidé par la suite tous
ses membres licenciés à engager une procédure de réintégration auprès des tribunaux du
travail turcs et, au 1er mars 2013, 99 des 316 travailleurs licenciés avaient été
réintégrés après que les tribunaux du travail turcs ont jugé les licenciements abusifs;
xii) l’entreprise a engagé une procédure pénale contre Hava-İş pour avoir organisé une
grève présumée illégale et a exigé des dommages-intérêts d’un montant estimé à
4 millions de dollars E.-U., mais le procureur a transmis le cas au ministère du Travail
et de la Sécurité sociale qui, le 18 janvier 2013, a statué que rien ne justifiait une
procédure pénale; et xiii) les travailleurs licenciés et leurs sympathisants poursuivent
un mouvement de protestation ouvert à l’aéroport international d’Atatürk depuis le
30 mai 2012.
- 626. Les organisations plaignantes rappellent que la Turquie a ratifié
les conventions nos 87, 98 et 151 de l’OIT; qu’elle s’est engagée en vertu de son
appartenance à l’OIT à respecter la Constitution de l’OIT, la Déclaration de
Philadelphie et la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail
de 1998; qu’elle a ratifié la Convention européenne des droits de l’homme (en
particulier l’article 11), le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels (en particulier l’article 8), le Pacte international relatif aux
droits civils et politiques (en particulier l’article 22). Les organisations plaignantes
mentionnent également la Convention de Vienne sur le droit des traités
(article 31(1)).
- 627. Concernant la législation nationale, les organisations plaignantes
rappellent que la Constitution turque de 1982 confère un droit positif de grève comme
corollaire au droit de négociation collective. L’article 54(1) de la Constitution donne
aux travailleurs le droit de faire grève en cas de conflit résultant du processus de
négociation collective. L’article 54(7), qui prévoyait une interdiction des grèves
«politiques», entre autres, a été abrogé en 2010 à la suite d’un référendum populaire
sur les amendements constitutionnels envisagés. Toutefois, comme l’article 54(1)
continue d’associer le droit positif de grève au processus de négociation collective,
les organisations plaignantes estiment que l’interdiction des grèves politiques et, par
le fait même, des grèves de protestation semble être toujours de rigueur. Elles
allèguent également que, même aux termes de l’article 90(5) de la Constitution, en cas
de conflit entre les traités internationaux que la Turquie a ratifiés (présumés inclure
les conventions de l’OIT) et le droit national, le droit international prévaut, et il
est de notoriété publique que les juges turcs sont réticents à l’appliquer.
- 628. Rappelant que le mouvement de protestation organisé par Hava-İş a
été déclenché par suite de la proposition du gouvernement d’interdire les grèves dans le
secteur de l’aviation, les organisations plaignantes indiquent que l’interdiction a été
introduite par une modification à la loi sur les conventions collectives, les grèves et
les lock-out (loi no 2822). Par ailleurs, à l’article 25(3), cette loi interdisait
expressément les grèves politiques, les grèves de solidarité et d’autres formes d’action
revendicative non liées au processus de négociation collective. L’expression «grève
illégale» désigne toute grève déclenchée sans que les conditions d’une grève légale ne
soient remplies. Une grève déclenchée pour des raisons politiques, une grève générale ou
toute grève de solidarité est jugée illégale. Les dispositions pénales concernant les
grèves illégales s’appliquent à l’occupation des locaux, au ralentissement du travail, à
la réduction délibérée de la production et à toute autre forme de résistance.
L’article 73 prévoyait des sanctions, dont de lourdes amendes et des peines
d’emprisonnement, au motif du déclenchement d’une grève illégale en vue d’influer sur
les «décisions de l’Etat» ou d’y prendre part.
- 629. Les organisations plaignantes ajoutent que la loi no 2822 a été
abrogée et remplacée par la loi sur les syndicats et les conventions collectives (loi
no 6356), qui est entrée en vigueur le 7 novembre 2012. L’interdiction des grèves dans
le secteur de l’aviation a été levée. De plus, l’interdiction expresse des grèves dites
«politiques» figurant à l’article 25 de la loi no 2822 n’a pas été transposée dans la
loi no 6356. Toutefois, selon les organisations plaignantes, l’article 58(2) de la
nouvelle loi interdit toujours implicitement les grèves qui ne sont pas liées au
processus de négociation collective, en déclarant légale toute grève déclenchée par les
travailleurs conformément aux dispositions de cette loi, en vue du maintien ou de
l’amélioration de leur situation économique et sociale et de leurs conditions de
travail, dans l’éventualité d’un conflit en cours de négociations visant à conclure une
convention collective. Selon les organisations plaignantes, la formulation de cet
article cadre avec l’approche adoptée pour la révision de la Constitution turque, selon
laquelle l’interdiction expresse des grèves politiques a été abrogée et l’interdiction
implicite maintenue afin d’aboutir au même résultat. Sans reprendre les lourdes
sanctions (amendes ou peines d’emprisonnement) prévues à l’article 73 de la loi no 2822,
la loi no 6356 a introduit aux alinéas 78(1)(e) et (f) des amendes administratives
forfaitaires pour appel ou participation à une grève illégale, d’un montant de 5 000 ou
700 livres turques (TRY), respectivement.
- 630. Les organisations plaignantes dénoncent le fait que, malgré la
modification récente de la législation nationale régissant les relations
professionnelles, les grèves politiques ou grèves de protestation sont toujours
considérées implicitement comme étant illégales. C’est cette interdiction qui a
finalement conduit au licenciement des 316 employés de l’entreprise qui ont participé à
l’action revendicative déclenchée pour protester contre un projet de loi qui aurait
restreint leur pouvoir de négociation collective en interdisant les grèves dans le
secteur de l’aviation. Tout en soulignant que l’interdiction globale des grèves dans le
secteur de l’aviation civile ayant déclenché le mouvement de protestation contrevenait
aux principes de la liberté syndicale, les organisations plaignantes déclarent qu’elles
ne souhaitent pas aborder la question, l’interdiction ayant été levée par suite de
l’adoption de la loi no 6356.
- 631. Selon les organisations plaignantes, à moins qu’un intérêt
économique manifeste justifie le recours à la grève dans le cadre du processus de
négociation collective, les grèves qui vont plus loin sont également protégées par la
convention no 87. Ainsi, l’article 10 de la convention définit une organisation de
travailleurs comme ayant pour mission de promouvoir et de défendre les intérêts des
travailleurs, impliquant ainsi que les enjeux du processus de négociation collective
vont au-delà des simples intérêts économiques. Les organisations plaignantes croient que
le droit de grève ne peut se limiter à l’employeur avec lequel les travailleurs et/ou
leurs représentants syndicaux sont en conflit, et que les grèves de solidarité comme les
grèves de protestation sont manifestement permises en vertu des principes de la liberté
syndicale.
- 632. Les organisations plaignantes ajoutent que les sanctions pénales
excessives infligées aux travailleurs au motif de leur participation à une action
revendicative et aux syndicats au motif du déclenchement d’une action revendicative
constituent une violation de la liberté syndicale. Tout en convenant que les lourdes
sanctions pénales pour participation à une grève illégale prévues dans la loi no 2822
ont été révoquées, elles estiment toutefois que les amendes prescrites par
l’article 78(1) de la loi no 6356 sont excessives. Comme les grèves sont interdites dans
un large éventail de secteurs assimilés à des «services essentiels» – de même que les
grèves de solidarité, les grèves générales, les grèves politiques et les grèves de
protestation –, le champ d’imposition de ces amendes est étendu. Les organisations
plaignantes soulignent que l’amende d’un montant de 700 TRY infligée à un travailleur au
motif de sa participation à une grève illégale équivaut à environ la moitié du salaire
mensuel moyen en Turquie. Elles affirment, en outre, que les 316 travailleurs licenciés
n’ont pas été passibles d’une sanction pénale ni d’une amende, mais les autorités
auraient pu en décider autrement en vertu de la loi no 2822 et de la loi no 6356. De
plus, selon les organisations plaignantes, aucune loi n’empêchait l’entreprise d’engager
une procédure pénale contre Hava-İş pour avoir organisé une grève présumée illégale et
d’exiger des dommages-intérêts d’un montant estimé à 4 millions de dollars E.-U., amende
qui a conduit à la dissolution du syndicat. Les organisations plaignantes estiment que
des amendes de cette nature contreviennent à la convention no 87.
- 633. Les organisations plaignantes allèguent en outre que le gouvernement
a manqué à son obligation de protéger les travailleurs contre des actes de
discrimination antisyndicale; elles dénoncent le fait que, indépendamment des questions
relatives à la légalité de la grève de protestation qui a mené au licenciement de
316 employés, la législation turque permettait et permet encore des licenciements
massifs de ce genre.
- 634. Les organisations plaignantes concluent que la conduite de
l’entreprise n’est pas conforme aux principes de la liberté syndicale ni aux
dispositions des conventions nos 87 et 98, et que la législation nationale qui autorise
de telles actions n’est pas non plus en conformité avec les principes et conventions
applicables. Selon les organisations plaignantes, la nouvelle loi no 6356 ne répond pas
aux exigences des deux conventions du fait du maintien de l’interdiction des grèves de
protestation, des amendes excessives imposées aux travailleurs et aux syndicats pour
avoir mené une action revendicative contre une interdiction de grève dans le secteur de
l’aviation (qui n’était pas non plus en conformité avec les normes de l’OIT) et d’une
tolérance face aux licenciements massifs de travailleurs pour fait de grève. Vu la
gravité des allégations de violation des droits syndicaux énoncées dans la présente
plainte, les organisations plaignantes demandent au comité de déclarer que le
gouvernement de la Turquie a manqué à ses obligations en vertu des conventions nos 87 et
98, de prier ainsi ce dernier de modifier la loi no 6356 pour la rendre pleinement
conforme aux principes de la liberté syndicale et de faire le nécessaire en vue de la
réintégration des travailleurs licenciés restants, du versement rétroactif de
l’intégralité de leur salaire et de leur indemnisation adéquate.
- 635. Dans une communication en date du 27 juillet 2013, les organisations
plaignantes ajoutent que les tribunaux avaient jusqu’alors émis des ordonnances de
réintégration ou d’indemnisation en faveur de 200 des 316 travailleurs licenciés de
manière illégale. Devant le refus de Turkish Airlines de réintégrer ou d’indemniser les
travailleurs licenciés, comme le lui avaient ordonné les tribunaux, et l’échec des
négociations en vue d’une nouvelle convention collective, les membres d’Hava-İş sont
restés en grève depuis le 15 mai 2013. Selon les organisations plaignantes, au lieu
d’exécuter les ordonnances judiciaires, l’entreprise a choisi de faire appel des
décisions. Jusqu’à présent, 74 décisions déclarant un licenciement illégal ont été
confirmées en cour d’appel.
- 636. Les organisations plaignantes ajoutent qu’Hava-İş a invité
l’entreprise à entreprendre des négociations collectives conformément à l’article 46(1)
de la loi no 6356. L’entreprise a rejeté en bloc toutes les revendications du syndicat
et, au quinzième jour des négociations collectives, a mis fin unilatéralement au
processus qui devait normalement durer soixante jours à compter de la première rencontre
aux termes de l’article 47(3). Conformément à l’article 50, un médiateur nommé par
l’Etat est intervenu pour aider à sortir de l’impasse mais a stoppé le processus après
une seule rencontre entre les parties. Face à l’impossibilité de conclure un accord,
Hava-İş a eu recours à une action revendicative conformément aux articles 60 et 61.
- 637. Les organisations plaignantes présentent les allégations suivantes:
i) à la suite de l’annonce de la grève, le gouvernement a déclaré que la suspension des
vols était «inacceptable» et qu’il «prendrait toutes les dispositions nécessaires»,
l’entreprise étant une institution importante pour «la sécurité nationale et le
tourisme»; ii) cette menace était sans doute une allusion à l’article 63 de la loi
no 6356, qui donne au Conseil des ministres la possibilité de suspendre une grève
susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale; iii) dès le premier jour de la
grève, des policiers antiémeute brandissant des gaz lacrymogènes ont été dépêchés à
l’aéroport Atatürk d’Istanbul où se trouvait le principal piquet de grève; iv) la
présence policière était excessive, exerçant de fortes pressions psychologiques sur les
travailleurs grévistes; v) dès le déclenchement de la grève, il s’est avéré que
l’entreprise embauchait de nouveaux travailleurs et utilisait du personnel provenant
d’une compagnie aérienne sœur pour remplacer les grévistes; et vi) la direction de la
compagnie aérienne a commencé à affecter de force près de 700 travailleurs syndiqués à
des tâches qui n’étaient pas les leurs, les privant ainsi du droit de prendre part à
cette grève.
- 638. Selon les organisations plaignantes, Hava-İş a écrit à quatre
reprises à la direction générale de l’Agence turque pour l’emploi entre le 15 et le
31 mai 2013 pour dénoncer les pratiques précitées de l’entreprise lors de la grève comme
contrevenant aux articles 65 et 68 de la loi no 6356, et pour lui demander de prier
l’entreprise de cesser ces pratiques illégales. Le syndicat n’a reçu qu’une réponse, le
17 juin 2013, dans laquelle l’agence indiquait qu’elle ne pouvait rien faire, le
syndicat ayant engagé une poursuite judiciaire. Les organisations plaignantes estiment
que l’agence avait largement le temps de répondre au syndicat avant que ce dernier ne
saisisse le tribunal. Le 8 juillet 2013, le tribunal du travail d’Istanbul a statué en
faveur du syndicat, jugeant que la compagnie aérienne avait illégalement embauché du
personnel temporaire et avait privé des travailleurs syndiqués du droit de prendre part
à la grève en les affectant de force à des tâches qui n’étaient pas les leurs.
- 639. En conclusion, les organisations plaignantes présentent les
allégations suivantes: i) bien que le gouvernement n’ait pas encore exercé son pouvoir
de suspendre la grève, une telle menace et la capacité même des gouvernements de
suspendre les grèves pour des raisons de sécurité nationale constituent une violation
flagrante des principes de la liberté syndicale; ii) la présence et l’intervention
agressives de la police étaient totalement disproportionnées vu le nombre et la nature
pacifique des piquets de grève (photos jointes à la plainte); iii) le fait que l’Agence
turque pour l’emploi ait omis d’enquêter sur les mesures prises par l’entreprise, que le
syndicat a dénoncées comme étant illégales, n’est pas conforme aux principes de la
liberté syndicale.
- 640. Les organisations plaignantes estiment que la conduite précitée de
l’entreprise est également contraire aux principes de la liberté syndicale et aux
conventions nos 87 et 98, et que la législation nationale autorisant une telle conduite
contrevient en conséquence aux exigences de ces conventions du fait de la capacité du
gouvernement de suspendre les grèves pour des raisons de sécurité nationale, du recours
à des tactiques policières agressives et de l’incapacité de l’appareil d’Etat de contrer
les activités antisyndicales des employeurs pendant les grèves. Elles soulignent
également que leurs allégations démontrent clairement l’accueil défavorable réservé à
l’action revendicative en Turquie. Les organisations plaignantes demandent au comité de
déclarer que le gouvernement de la Turquie a manqué à ses obligations en vertu des
conventions nos 87 et 98, de prier ce dernier de modifier la loi no 6356 pour la rendre
pleinement conforme aux principes de la liberté syndicale, et de réitérer leur requête
en vue de la réintégration des travailleurs licenciés.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 641. Dans une brève communication en date du 6 septembre 2013, le
gouvernement déclare qu’un désaccord est survenu entre Hava-İş et Turkish Airlines
concernant le licenciement de 305 travailleurs. Selon le gouvernement, l’organisation
plaignante Hava-İş réclame: i) l’application de la décision judiciaire en faveur de la
réintégration des 305 travailleurs licenciés; ii) le paiement d’indemnités de départ aux
employés concernés; iii) l’approbation du syndicat sur la question des droits
individuels des employés au titre de la procédure en matière de liberté syndicale; et
iv) d’éviter l’épuisement en vol et de prolonger les périodes de repos des employés dans
le domaine de la sécurité au travail.
- 642. Concernant la situation des travailleurs licenciés, le gouvernement
indique que le ministère du Travail et de la Sécurité sociale a tenu plusieurs réunions
avec les deux parties pour les aider à aboutir à un accord et a tout fait pour mettre un
terme au conflit. Les travailleurs licenciés ont engagé une procédure de réintégration.
Les cas de 47 travailleurs ont été approuvés par la Cour d’appel suprême et clos, tandis
que les cas des travailleurs restants sont encore en instance. Dans sa communication en
date du 5 mai 2014, le gouvernement ajoute que les négociations relatives à une
convention collective pour la 24e période pour les entreprises, qui ont débuté le
6 janvier 2013 entre Hava İş et la direction, ont abouti à un différend le 23 janvier
2013. Suite à ce différend lors des négociations en vue de la convention collective, la
décision de faire grève prise le 10 avril 2013 sur la base de l’article 58 de la loi
no 6356 a été appliquée le 5 mai 2013 conformément à l’article 60 de ladite loi. Le
gouvernement indique que Hava İş s’est adressé à la direction provinciale de l’Agence du
travail et de l’emploi, en tant qu’autorité compétente, pour lui demander de diligenter
une enquête alléguant que l’entreprise employait des travailleurs qui ne participaient
pas à la grève mais qui appartenaient à une autre compagnie aérienne ayant un lien
direct avec l’entreprise en question, et ces travailleurs effectuent des travaux de
façon permanente ou temporaire à la place de ceux qui ont participé à la grève. Dans la
mesure où aucune enquête n’a été diligentée, le syndicat a déposé une plainte contre
l’autorité compétente auprès de l’inspection publique et a porté l’affaire devant la
justice alléguant que l’employeur a enfreint les articles 65 («travailleurs exclus de la
participation à une grève légale ou à un lock-out») et 68 («Interdiction de recruter ou
d’user d’un autre emploi») de la loi no 6356. Suite à une inspection réalisée par les
inspecteurs du travail du ministère, il a été convenu d’attendre la décision judiciaire.
Le gouvernement déclare que, suite à l’examen du rapport d’activité montrant que des
travailleurs ont été employés à la place de ceux participant à la grève, le tribunal a
décidé de mettre fin à l’emploi de ces autres travailleurs par mesure de précaution,
cependant cette décision a fait l’objet d’un appel et a par la suite été infirmée. La
grève a pris fin le 19 décembre 2013 via un accord, et la convention collective pour la
24e période a été signée pour la période du 1er janvier 2013 au 1er décembre 2015. En ce
qui concerne les 305 travailleurs licenciés, le gouvernement indique qu’une commission
comprenant trois représentants syndicaux et trois représentants de la direction mise en
place par le protocole signé en même temps que la convention collective de travail a
estimé approprié de rétablir 256 travailleurs licenciés et a par la suite considéré
approprié de réintégrer 33 travailleurs sur 39 qui étaient membres syndicaux travaillant
dans la coopération technique au cours des négociations entre le syndicat et la
direction de la coopération technique. Par ailleurs, un accord a été conclu entre les
parties concernant certains travailleurs membres syndicaux qui ne pouvaient être
réintégrés en raison de mesures disciplinaires.
- 643. Par ailleurs, le gouvernement se réfère, en ce qui concerne la
législation, à l’article 51 de la Constitution (droit de constituer des syndicats et des
organisations de niveau supérieur sans autorisation préalable; droit d’adhérer ou de se
retirer d’un syndicat; liberté d’adhérer ou de ne pas adhérer et de se retirer d’un
syndicat) et à l’article 54 (droit de grève au cours du processus de négociation
collective en cas de différend; suppression de l’interdiction des grèves à caractère
politique, des grèves de solidarité, des grèves perlées et autres formes d’obstruction).
Le gouvernement relève également les dispositions suivantes de la loi no 6356 comme
étant particulièrement pertinentes pour la liberté syndicale: l’article 17(3) – relatif
à la liberté d’adhérer ou de ne pas adhérer à un syndicat (avec la sanction
correspondante à l’article 78(1)(c)); l’article 19 – relatif à la liberté de conserver
ou de résilier son appartenance syndicale (avec la sanction correspondante à
l’article 78(1)(c)); l’article 25 – relatif à l’interdiction des actes de discrimination
antisyndicale en matière d’emploi en raison de l’appartenance ou de l’activité
syndicale, et inversion de la charge de la preuve; l’article 26 – relatif à la liberté
d’action des syndicats; l’article 58 – déterminant la grève, la légalité d’une grève
conformément à la loi; la suppression de l’interdiction des grèves à caractère
politique, les grèves générales et de solidarité, les grèves perlées et autres formes
d’obstruction; l’article 62 – relatif à l’interdiction de la grève dans certains
services et la suppression de la liste des services suivants: services de notaire; les
lieux de travail produisant des vaccins et des sérums; les lieux de travail de la santé
tels que les cliniques, sanatoriums, les dispensaires et les pharmacies, à l’exception
des hôpitaux; les institutions d’éducation; les garderies; les maisons de retraite et
les services aériens.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 644. Le comité note que, dans le présent cas, les organisations
plaignantes allèguent le licenciement par Turkish Airlines de 316 travailleurs au motif
de leur participation à une grève de protestation, le 29 mai 2012, des mesures entravant
l’exercice du droit de grève prises lors de l’action revendicative engagée le 15 mai
2013, ainsi que des failles dans la législation nationale dans le domaine de l’action
revendicative.
- 645. Le comité note en particulier les allégations suivantes des
organisations plaignantes: i) le 10 mai 2012, une modification a été introduite à la loi
existante sur les conventions collectives, les grèves et les lock-out (loi no 2822),
visant à ajouter le secteur de l’aviation à la liste des services où l’action
revendicative est interdite, modification approuvée en hâte par le Président, qui aurait
refusé de rencontrer la direction d’Hava-İş pour discuter de la question; ii) après
l’appel à l’action revendicative lancé par le syndicat pour protester contre la décision
du gouvernement, environ 80 pour cent des membres du personnel de l’entreprise ne se
sont pas présentés au travail le 29 mai 2012; iii) l’entreprise a réagi en licenciant
316 travailleurs au motif de leur «participation à une action illégale»; iv) en juillet
2013, les tribunaux avaient jusqu’alors émis des ordonnances de réintégration ou
d’indemnisation en faveur de 200 des 316 travailleurs licenciés de manière illégale,
mais l’entreprise a omis de les appliquer et a engagé une procédure de recours
judiciaire auprès de la cour d’appel qui a confirmé jusqu’à maintenant 74 décisions
déclarant un licenciement illégal; et v) l’entreprise a engagé une procédure pénale
contre Hava-İş pour avoir organisé une grève présumée illégale et a exigé des
dommages-intérêts d’un montant estimé à 4 millions de dollars E.-U., mais le procureur a
transmis le cas au ministère qui l’a rejeté comme étant infondé. Le comité prend note
des observations du gouvernement sur les points suivants: i) le ministère du Travail et
de la Sécurité sociale a eu plusieurs réunions avec les deux parties pour les aider à
mettre un terme au conflit; ii) le gouvernement ne conteste pas les allégations des
organisations plaignantes, à l’exception du nombre de travailleurs licenciés, qu’il
évalue à 305; et iii) les tribunaux du travail ont ordonné la réintégration des
305 travailleurs licenciés et la procédure d’appel est toujours en instance; iv) une
commission bipartite (trois représentants syndicaux et trois représentants de la
direction) a été créée par le protocole signé le 19 décembre 2013 à la conclusion de la
convention collective pour la 24e période entre le syndicat et l’entreprise pour la
période du 1er janvier 2013 au 1er décembre 2015, avec le mandat de s’occuper de la
question des 305 travailleurs licenciés; et v) la commission en question a estimé
opportun de réintégrer 256 travailleurs licenciés, ensuite elle a considéré approprié de
réintégrer 33 travailleurs sur 39 qui étaient membres syndicaux travaillant dans la
coopération technique; par ailleurs, un accord a été conclu entre les parties concernant
certains travailleurs membres syndicaux qui ne pouvaient être réintégrés en raison de
mesures disciplinaires.
- 646. Le comité note que plus de 300 licenciements sont survenus
immédiatement après l’action revendicative du 29 mai 2012, l’entreprise indiquant que la
décision a été prise au motif de «la participation à une action illégale». L’hypothèse
de l’illégalité de l’arrêt de travail avancée par l’entreprise est fondée sur
l’article 25 de la loi no 2822 (alors en vigueur), selon laquelle une grève déclenchée
pour des raisons politiques, une grève générale ou toute grève de solidarité est jugée
illégale. Le comité constate toutefois que, au moment des licenciements, aucune décision
concernant l’illégalité de l’action revendicative, qui serait du ressort d’un organe
indépendant comme un tribunal, n’avait été émise. Quoi qu’il en soit, le comité rappelle
que, si les grèves de nature purement politique n’entrent pas dans le champ
d’application des principes de la liberté syndicale, les syndicats devraient avoir la
possibilité de recourir aux grèves de protestation, notamment en vue de critiquer la
politique économique et sociale du gouvernement. [Voir Recueil de décisions et de
principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 529.] Il
se réfère également aux commentaires formulés antérieurement par la Commission d’experts
pour l’application des conventions et recommandations (CEACR), critiquant cette
interdiction prévue à l’article 25 de la loi no 2822 et à l’article 54(7) de la
Constitution turque et notant par la suite avec intérêt l’abrogation de la disposition
constitutionnelle.
- 647. Le comité observe que l’action engagée par Hava-İş le 29 mai 2012
pour protester contre une initiative législative visant à interdire les grèves dans le
secteur de l’aviation s’apparente à un arrêt de travail de protestation contre une
question de politique socio-économique ayant une incidence directe sur les membres du
syndicat de l’aviation et sur les travailleurs du secteur de l’aviation en général, et
constitue par conséquent une grève de protestation tombant sous la protection des
principes de la liberté syndicale. Rappelant que le licenciement de syndicalistes ne
peut s’appuyer sur l’interdiction d’une grève qui ne porte pas en soi atteinte aux
principes de la liberté syndicale, le comité conclut, comme il l’a déjà fait dans un cas
semblable concernant la Turquie qui impliquait les parties à la présente plainte [voir
cas no 1755, paragr. 343], la décision de licencier les travailleurs grévistes a été
adoptée pour sanctionner les activités syndicales légitimes des travailleurs concernés
et, plus concrètement, leur participation à l’arrêt de travail du 29 mai 2012. Dans ces
conditions, le comité rappelle à nouveau au gouvernement que le recours à des mesures
extrêmement graves comme le licenciement de travailleurs du fait de leur participation à
une grève et le refus de les réembaucher impliquent de graves risques d’abus et
constituent une violation de la liberté syndicale. [Voir Recueil, op. cit.,
paragr. 666.] Le comité accueille favorablement l’information du gouvernement selon
laquelle une commission, constituée pour traiter la question, a décidé de la
réintégration d’une grande majorité des travailleurs et a conclu un accord concernant
certains travailleurs qui ne pouvaient être réintégrés à cause de mesures
disciplinaires. Le comité prie le gouvernement de continuer de tout mettre en œuvre, si
ce n’est déjà le cas, conformément à l’accord bipartite, pour que les travailleurs
licenciés soient réintégrés effectivement et sans délai à leur poste aux mêmes
conditions que celles qui existaient avant la grève, et qu’ils soient indemnisés pour
les salaires et prestations non versés.
- 648. Par ailleurs, le comité note que, selon les organisations
plaignantes: i) comme l’article 54(1) continue d’associer le droit positif de grève au
processus de négociation collective, l’interdiction des grèves politiques et, par le
fait même, des grèves de protestation semble être toujours en vigueur; ii) même si la
loi no 2822 a été abrogée et remplacée par la loi sur les syndicats et les conventions
collectives (loi no 6356), l’interdiction expresse des grèves déclenchées pour des
raisons politiques, des grèves générales ou des grèves de solidarité (art. 25(3) de la
loi no 2822) n’a pas été transposée dans la loi no 6356. Toutefois, selon les
organisations plaignantes, la nouvelle loi continue toujours de considérer implicitement
comme illégales les grèves de protestation ou les grèves politiques; et iii) la
Constitution turque et la loi no 6356 vont dans le même sens – l’interdiction expresse
des grèves politiques est abrogée mais l’interdiction implicite est maintenue afin
d’aboutir au même résultat. Le comité se félicite du fait que la loi no 6356 ne prévoit
plus l’interdiction des grèves dans le secteur de l’aviation envisagée précédemment ni
ne contient d’interdiction explicite des grèves déclenchées pour des raisons politiques,
des grèves générales ou des grèves de solidarité. Il note, toutefois, que
l’article 54(1) de la Constitution turque prévoit que le droit de grève des travailleurs
est lié à un différend survenu pendant le processus de négociation collective, et que
l’article 58(2) de la loi no 6356 stipule qu’une grève légale s’entend de toute grève
déclenchée par les travailleurs conformément aux dispositions de cette loi en vue du
maintien ou de l’amélioration de leur situation économique et sociale et de leurs
conditions de travail, dans l’éventualité d’un conflit en cours de négociations visant à
conclure une convention collective. Le comité a toujours considéré que le droit de grève
ne devrait pas être restreint aux seuls différends du travail susceptibles de déboucher
sur une convention collective particulière; les travailleurs et leurs organisations
doivent pouvoir manifester, le cas échéant, dans un cadre plus large, leur
mécontentement éventuel sur des questions économiques et sociales touchant aux intérêts
de leurs membres. Le comité rappelle que l’interdiction des grèves non liées à un
conflit collectif auquel les travailleurs ou le syndicat seraient parties est contraire
aux principes de la liberté syndicale. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 531 et 538.] Il
prie par conséquent le gouvernement de revoir avec les partenaires sociaux concernés les
dispositions législatives et constitutionnelles pertinentes en vue de les mettre en
conformité avec les principes de la liberté syndicale.
- 649. Le comité note également que, tout en convenant que les lourdes
sanctions pénales pour participation à une grève illégale prévues dans la loi no 2822
ont été révoquées, les organisations plaignantes estiment toutefois que les amendes
prescrites par l’article 78(1) de la loi no 6356 sont excessives (amende de 700 TRY)
pour un travailleur participant à une grève illégale, soit la moitié du salaire mensuel
moyen, et une amende de 5 000 TRY pour un syndicat ayant déclenché une grève illégale),
et que le champ d’imposition de ces amendes est trop étendu. Le comité se félicite du
fait que les sanctions pénales excessives (peines d’emprisonnement et lourdes amendes,
notamment) pour avoir déclenché ou avoir participé à une grève illégale prévues dans la
loi no 2822, qui avaient été dénoncées antérieurement, n’ont pas été reprises dans la
loi no 6356. Compte tenu des allégations des organisations plaignantes concernant le
maintien d’amendes excessives, et en l’absence d’observations du gouvernement à cet
égard, le comité, rappelant que de telles sanctions ne devraient pouvoir être infligées
pour faits de grève que dans les cas d’infraction à des interdictions de la grève
conformes aux principes de la liberté syndicale, prie le gouvernement d’étudier la
possibilité de réviser ces dispositions avec les partenaires sociaux concernés.
S’agissant de la procédure pénale engagée par l’entreprise, qui est dénoncée par les
organisations plaignantes, prévoyant l’imposition à Hava-İş de dommages-intérêts d’un
montant de 4 millions de dollars E.-U. pour avoir organisé une grève présumée illégale,
le comité, tout en notant qu’une telle procédure a été jugée infondée par le ministère,
rappelle que la CEACR a constaté antérieurement avec intérêt que l’article 54(3)
imputant aux syndicats la responsabilité de tout dommage matériel causé pendant une
grève a été abrogé. Le comité s’attend à ce que les amendes qui pourraient être
infligées à l’endroit de syndicats pour faits de grève illégale ne soient pas d’un
montant susceptible de mener à la dissolution du syndicat ni d’avoir un effet
d’intimidation sur les syndicats et d’inhiber leurs légitimes actions de revendication
syndicale, et veut croire que le gouvernement s’efforcera de résoudre de telles
situations au moyen d’un dialogue social franc et effectif.
- 650. Le comité prend note des allégations supplémentaires des
organisations plaignantes présentées dans la communication en date du 25 juillet 2013
concernant les mesures prises par le gouvernement et l’entreprise par suite de l’appel à
la grève d’Hava-İş, le 15 mai 2013, devant l’incapacité de l’entreprise de réintégrer ou
d’indemniser les travailleurs licenciés, comme le lui avaient ordonné les tribunaux, et
l’échec des négociations en vue d’une nouvelle convention collective. Regrettant
profondément que le gouvernement n’ait pas répondu à l’allégation concernant la présence
policière excessive lors de la grève, le comité le prie instamment de fournir sans délai
ses observations à cet égard. Le comité souligne que les autorités ne devraient recourir
à la force publique en cas de grève que si l’ordre public est réellement menacé;
l’intervention de la force publique devrait être proportionnée à la menace pour l’ordre
public qu’il convient de contrôler, et les gouvernements devraient prendre des
dispositions pour que les autorités compétentes reçoivent des instructions en vue de
supprimer le danger qu’impliquent les excès de violence lorsqu’il s’agit de contrôler
des manifestations qui pourraient troubler l’ordre public. [Voir Recueil, op. cit.,
paragr. 647.] En ce qui concerne l’utilisation d’une main-d’œuvre étrangère à
l’entreprise au cours de la grève, le comité note l’indication du gouvernement selon
laquelle: i) le syndicat a porté l’affaire devant la justice alléguant que l’employeur
avait violé l’article 65 (travailleurs exclus de la participation à une grève légale ou
à un lock-out) et l’article 68 (interdiction de recruter ou d’user d’un autre emploi) de
la loi no 6356; ii) suite à l’examen du rapport d’activité montrant que des travailleurs
ont été employés à la place de ceux participant à la grève, le tribunal a décidé de
mettre fin à l’emploi de ces autres travailleurs par mesure de précaution, cependant
cette décision a fait l’objet d’un appel et a par la suite été infirmée. Rappelant que
l’embauche de travailleurs pour briser une grève dans un secteur qui ne saurait être
considéré comme un secteur essentiel au sens strict du terme, où la grève pourrait être
interdite, constitue une violation grave de la liberté syndicale [voir Recueil,
op. cit., paragr. 632], le comité prie le gouvernement de fournir copie de la décision
de la cour d’appel ainsi que des information sur les motifs avancés pour renverser la
décision rendue par le tribunal du travail d’Istanbul à cet égard. Il prie le
gouvernement de veiller, à l’avenir, au respect du principe énoncé ci-dessus.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 651. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité demande au Conseil
d’administration d’approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité
accueille favorablement l’accord conclu par une commission bipartite composée de
représentants de Hava-İş et de Turkish Airlines le 19 décembre 2013, selon lequel la
grande majorité des travailleurs licenciés au motif de leur participation à une
grève de protestation le 29 mai 2012 sont réintégrés dans l’entreprise, et prie le
gouvernement de tout mettre en œuvre, si ce n’est déjà le cas, pour que,
conformément à cet accord bipartite, les travailleurs licenciés soient réintégrés
effectivement et sans délai à leur poste aux mêmes conditions que celles qui
existaient avant la grève et qu’ils soient indemnisés pour les salaires et
prestations non versés.
- b) Le comité prie le gouvernement de revoir avec les
partenaires sociaux concernés l’article 58(2) de la loi no 6356 et l’article 54(1)
de la Constitution turque pour que l’action revendicative légale ne soit plus
limitée aux grèves liées à un différend survenu pendant le processus de négociation
collective, en vue de mettre les dispositions pertinentes en conformité avec les
principes de la liberté syndicale.
- c) Compte tenu du montant toujours jugé
excessif des amendes prévues à l’article 78(1) de la loi no 6356 à l’encontre de
travailleurs ayant participé à une grève illégale ou des syndicats l’ayant
organisée, et rappelant que de telles sanctions ne devraient pouvoir être infligées
pour faits de grève que dans les cas d’infraction à des interdictions de la grève
conformes aux principes de la liberté syndicale, le comité prie le gouvernement
d’étudier la possibilité de réviser le système des amendes avec les partenaires
sociaux concernés, conformément aux principes énoncés dans ses
conclusions.
- d) Regrettant profondément que le gouvernement n’ait pas
répondu aux allégations concernant une présence policière excessive pendant la grève
à l’appel d’Hava-İş le 15 mai 2013, le comité le prie instamment de fournir sans
délai ses observations à cet égard. En ce qui concerne l’utilisation d’une main
d’œuvre étrangère à l’entreprise, le comité prie le gouvernement de fournir copie de
la décision de la cour d’appel ainsi que des informations sur les motifs avancés
pour confirmer la décision rendue par le tribunal du travail d’Istanbul. Le comité
demande également au gouvernement de veiller à l’avenir au respect des principes
énoncés dans ses conclusions sur ces questions.