Allégations: L’organisation plaignante allègue qu’en promulguant le projet de loi C-6, visant à assurer la reprise et le maintien des services postaux, qui a mis un terme à la grève, le gouvernement fédéral canadien a interrompu la négociation collective entre le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) et la Société canadienne des postes et a soumis le différend à un arbitrage obligatoire et contraignant, portant ainsi atteinte à l’exercice de la liberté syndicale et établissant un dangereux précédent d’intervention gouvernementale dans des différends du travail qui ne mettent pas en cause des services essentiels
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270. La plainte figure dans une communication du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) en date du 15 août 2011. Dans des communications datées des 19 et 26 août et du 8 septembre 2011, respectivement, le Congrès du travail du Canada (CTC), l’UNI Global Union et la Confédération syndicale internationale (CSI) s’associent à la plainte.
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271. Le gouvernement a répondu aux allégations dans des communications en date du 28 septembre 2012 et des 23 et 31 janvier 2013.
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272. Le Canada a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, mais pas la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes
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273. Dans une communication en date du 15 août 2011, l’organisation plaignante allègue que le gouvernement fédéral du Canada a enfreint la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, en promulguant le projet de loi C-6, visant à assurer la reprise et le maintien des services postaux.
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274. Selon l’organisation plaignante, le projet de loi C-6, visant à assurer la reprise et le maintien des services postaux, a empêché les travailleurs et travailleuses des postes employés par la Société canadienne des postes (ci-après dénommée «la Société») et représentés par le STTP d’exercer leur droit fondamental à la liberté syndicale en rendant plus difficiles leurs possibilités de s’affilier à des syndicats, d’entreprendre librement des négociations collectives et d’exercer leur droit de grève. L’organisation plaignante affirme qu’en interrompant la négociation collective entre les parties, en soumettant le différend à un arbitrage obligatoire et contraignant des dernières offres, et en établissant un dangereux précédent d’intervention gouvernementale prématurée dans un différend du travail, aux termes duquel les parties étaient convenues de protocoles visant à assurer la poursuite de services essentiels, le gouvernement fédéral a enfreint les dispositions de la convention no 87. L’organisation plaignante considère que le projet de loi C-6 contrevient effectivement aux dispositions de la convention no 87, qui protège la liberté d’association, et établit un dangereux précédent d’intervention gouvernementale dans des différends du travail qui ne mettent pas en cause des entreprises de services essentiels.
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275. Le projet de loi C-6 prévoit notamment ce qui suit:
- ■ Extension de la convention collective: La convention collective est rétablie jusqu’à ce qu’un nouvel accord ait été défini par l’arbitre. Ce nouvel accord expirera le 31 janvier 2015.
- ■ Baisse des salaires imposée par voie législative: Le projet de loi prévoit des augmentations de salaire nettement inférieures à la dernière offre de l’employeur, soit une hausse de 1,9 pour cent en 2011, 2012 et 2013, et de 2 pour cent en 2014. La loi prévoit des augmentations de 1,75 pour cent en 2011, de 1,5 pour cent en 2012, de 2 pour cent en 2013 et de 2 pour cent en 2014. Cela amputera le salaire moyen d’un travailleur ou d’une travailleuse à plein temps du secteur des postes de 875,50 dollars canadiens durant les quatre années de validité de l’accord. Cela signifie que les travailleurs et travailleuses des postes et leur famille seront indument privés de 35 millions de dollars canadiens.
- ■ Arbitrage des dernières offres: La nouvelle convention collective sera décidée par un arbitre nommé par le gouvernement. Les parties présenteront chacune un projet de convention collective et l’arbitre devra en choisir un, dans son intégralité.
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276. L’organisation plaignante considère que le projet de loi C-6 est inutile. Début juin 2011, alors que le syndicat avait organisé une série de grèves tournantes, il a officiellement proposé de reprendre le travail, à la condition expresse que la convention collective qui venait d’expirer soit pleinement rétablie. L’entreprise a refusé cette offre et, le 14 juin 2011, a soumis à un lock-out les négociateurs de l’unité de l’exploitation postale urbaine. L’employeur aurait pu annuler le lock-out mais a refusé de laisser les négociateurs en question travailler dans des enceintes non grévistes. Ironiquement, la législation imposant la reprise du travail a exigé rétroactivement le rétablissement de la convention collective qui venait d’expirer.
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277. L’organisation plaignante indique que le syndicat a organisé une opération de piquets de grève à l’intention des autres unités de négociation et travailleurs syndiqués dans l’entreprise, ce qui permettait expressément aux facteurs ruraux et suburbains syndiqués de travailler pendant toute la durée de la grève et du lock-out. Le protocole d’accord relatif aux piquets de grève instituait un mécanisme permettant aux membres du Syndicat des employés des postes et des communications de poursuivre le travail pendant cette période. En outre, le protocole autorisait les agents du nettoyage et employés de cafétéria des postes à travailler pendant toute la durée de la grève et du lock-out. Des dispositions avaient été prises pour permettre l’accès et la sortie des bureaux de poste en installations partagées.
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278. L’organisation plaignante indique que le syndicat a également conclu un protocole d’accord avec l’employeur et les autorités provinciales, fédérales et territoriales concernant le traitement et la distribution des chèques de prestations d’aide sociale, dont les chèques de pensions de retraite du gouvernement fédéral canadien, les chèques de la sécurité de la vieillesse et les chèques d’allocations familiales. Les provinces du Québec, de l’Ontario, de la Saskatchewan, de l’Alberta et les Territoires du Nord-Ouest se sont appuyés sur ce protocole d’accord pour assurer la distribution des chèques de prestations d’aide sociale. Les provinces de Terre-Neuve-et-Labrador, de l’Ile-du-Prince-Edouard, de la Nouvelle-Ecosse, du Nouveau-Brunswick, du Manitoba et de la Colombie-Britannique ainsi que les territoires du Yukon et du Nunavut ont décidé de ne pas recourir à la Société pour assurer l’acheminement des chèques de prestations d’aide sociale.
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279. Selon l’organisation plaignante, le syndicat a participé à 11 négociations successives depuis 1978. De 1978 à 1989, le certificat du syndicat lui reconnaissant la qualité d’organe représentatif couvrait les travailleurs et travailleuses internes au service des postes. A partir de 1989, le certificat acquis par le syndicat lui permettait de représenter les employés des services des postes, les facteurs et factrices, les employés des bureaux de poste, et les employés technico-commerciaux. Sur les 11 négociations successives menées depuis 1978, le gouvernement fédéral a imposé la reprise du travail par voie législative à cinq reprises.
- ■ Le STTP a reçu l’ordre de reprendre le travail en 1978.
- ■ Le STTP a négocié une convention collective en 1980.
- ■ Le STTP a conclu une convention collective après 42 jours de grève en 1981.
- ■ Le STTP a négocié une convention collective en 1984.
- ■ Le STTP a reçu l’ordre de reprendre le travail en 1987.
- ■ Le STTP a reçu l’ordre de reprendre le travail en 1991.
- ■ Le STTP a négocié une convention collective en 1994.
- ■ Le STTP a reçu l’ordre de reprendre le travail en 1997.
- ■ Le STTP a négocié une convention collective en 2003.
- ■ Le STTP a négocié une convention collective en 2007.
- ■ Le STTP a reçu l’ordre de reprendre le travail en 2011.
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280. L’organisation plaignante fournit une brève chronologie des événements récents:
- ■ Le syndicat et l’entreprise ont entamé des négociations en vue de la conclusion d’un accord collectif le ou aux alentours du 21 octobre 2010.
- ■ Conformément au Code canadien du travail, le syndicat a fait une demande de conciliation le 21 janvier 2011.
- ■ La convention collective de l’unité de l’exploitation postale urbaine a expiré le 31 janvier 2011.
- ■ Les parties ont poursuivi les négociations.
- ■ Le 11 avril 2011, le syndicat a annoncé que les membres du syndicat avaient approuvé par 94,5 pour cent des voix la tenue d’une grève et enregistré la plus forte participation électorale de son histoire.
- ■ La conciliation a été prorogée jusqu’au 3 mai 2011.
- ■ La médiation a débuté le 4 mai 2011.
- ■ Les parties ont continué à négocier.
- ■ Le syndicat a signifié un préavis de grève le 30 mai 2011.
- ■ A 10 heures, le 30 mai 2011, l’entreprise a annoncé que la convention collective sur l’exploitation postale urbaine n’était pas en vigueur. La prise en charge des soins dentaires, ORL et ophtalmologiques et d’importants plans de santé a été immédiatement interrompue, empêchant ainsi les membres du syndicat de se procurer les médicaments sur ordonnance dont ils avaient besoin. L’entreprise a également entrepris de licencier immédiatement les employés temporaires.
- ■ Le 10 juin 2011, le syndicat a proposé de reprendre le travail si l’entreprise rétablissait la convention collective qui venait d’expirer. L’entreprise a refusé.
- ■ Le syndicat a lancé une grève tournante, le 2 juin 2011 à 23 h 59.
- ■ La grève a été observée aux dates et dans les localités suivantes: 3 juin 2011 (Winnipeg), 4 et 5 juin (Hamilton), 6 juin (Montréal), 7 juin (Victoria, Moncton), 8 juin (Edmonton, Calgary), 9 juin (Labrador City, Acadie-Bathurst, Summerside, Sainte Thérèse, Saint-Jérôme, Thunder Bay, Hearst, Brantford, St. Thomas, Flin Flon, Yellowknife, Whitehorse, Vernon), 10 juin (Québec, Kitchener), 11 et 12 juin (Red Deer), 13 juin (Cornerbrook, Fredericton, Sydney, Nouvelle-Ecosse, Mauricie, Sherbrooke, Windsor-Ontario, Chutes du Niagara, Regina, Nanaimo, Cornouailles) et 14 juin (Toronto, Montréal).
- ■ Le 8 juin 2011 ou aux alentours de cette date, l’entreprise a fait part de sa décision de cesser la distribution de plis postaux les mardis et jeudis. Entre-temps, les volumes de courrier accumulés dans de nombreux bureaux de poste étaient demeurés inchangés, voire avaient augmenté.
- ■ Le 14 juin 2011, aux environs de 23 h 30, l’entreprise a annoncé un lock-out dans tout le pays. Les travailleurs et travailleuses de tous les bureaux de poste ont été escortés hors du lieu de travail par la direction.
- ■ Les membres du Syndicat ont entamé une opération de piquets de grève dans tous les lieux où les négociateurs de l’unité de l’exploitation postale urbaine travaillaient depuis la déclaration du lock-out.
- ■ Le 15 juin 2011 au matin, la ministre fédérale du Travail a déclaré qu’elle avait reçu très peu de plaintes au sujet de ce conflit professionnel.
- ■ Dans l’après-midi du 15 juin 2011, la ministre fédérale du Travail a fait part de son intention de recourir à la loi pour imposer une reprise des activités.
- ■ Le 16 juin 2011, le syndicat a rencontré le dirigeant de l’entreprise afin de trouver une issue au conflit.
- ■ Le syndicat a continué de s’entretenir avec l’entreprise et le médiateur tout au long de cette période afin d’élaborer un nouvel accord collectif applicable aux membres de l’unité d’exploitation postale urbaine.
- ■ Le 20 juin 2011, le gouvernement fédéral a transmis le projet de loi C-6 au Parlement.
- ■ Du 20 au 25 juin 2011, le syndicat a déployé des efforts considérables pour trouver une issue au conflit.
- ■ Le projet de loi C-6 a été adopté par la Chambre des communes le 25 juin 2011 et par le Sénat le 26 juin 2011.
- ■ Les membres du syndicat ont repris le travail dans l’après-midi du 27 juin 2011.
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281. L’organisation plaignante en conclut que, en promulguant le projet de loi C-6, le gouvernement fédéral a mis fin au droit de grève, interrompu la négociation collective entre le syndicat et l’entreprise et soumis le différend à l’arbitrage obligatoire et contraignant des dernières offres, violant ainsi les principes de liberté syndicale énoncés dans la convention no 87.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
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282. Dans une communication en date du 28 septembre 2012, le gouvernement indique que le document qu’il transmet au comité fait suite au recours formé par le STTP alléguant que le projet de loi C-6, visant à assurer la reprise et le maintien des services postaux, a été promulgué en violation de la convention no 87. Le gouvernement récuse respectueusement ces allégations et, compte tenu de la nature de son intervention, demande respectueusement au comité de rejeter la plainte.
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283. En ce qui concerne le régime juridique canadien de négociation collective, le gouvernement indique que la majorité de la population active canadienne est assujettie à tout un ensemble de normes provinciales en matière de travail. Bien que seulement 6 pour cent de la population active relèvent de la juridiction fédérale, la nature essentielle de l’infrastructure et des autres entreprises relevant de la compétence fédérale a une importance capitale pour l’économie canadienne. Les entreprises soumises à la législation fédérale sur les relations professionnelles comprennent des sociétés de l’Etat fédéral, telle la Société. La Partie 1 du Code canadien du travail (modifié pour la dernière fois en 1998) est le cadre législatif régissant les travailleurs employés par ces entreprises (soit, actuellement, près de 800 000 personnes).
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284. Le gouvernement souligne que, compte tenu du principe constitutionnel fondamental en vertu duquel seul le Parlement canadien peut légiférer au niveau fédéral, les parties à la négociation collective ne peuvent lier le Parlement dans la modification ou l’adoption d’une nouvelle législation. Pour ce qui est de l’article 8 de la convention no 87, le gouvernement rappelle que tant le mandat du Comité de la liberté syndicale que les conventions de l’OIT prévoient que la négociation collective fonctionne dans un cadre législatif et que le comité est compétent pour déterminer si la législation ou un projet de loi est conforme aux principes de la liberté syndicale et de négociation collective énoncés dans les conventions.
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285. Le gouvernement indique en outre que le ministre du Travail est responsable devant le Parlement de la mise en œuvre du Code canadien du travail. Le Service fédéral de médiation et de conciliation (SFMC) du Programme canadien de développement des ressources humaines et des compétences gère les dispositions relatives au règlement des différends énoncées dans ledit Code, et effectue notamment toutes les fonctions qui lui sont dévolues par la loi en matière de conciliation et de médiation. Un conciliateur est un fonctionnaire du gouvernement qui est chargé d’encourager les syndicats et les employeurs à entretenir des relations harmonieuses en leur apportant son concours pour négocier des conventions collectives et les reconduire, et pour gérer les relations professionnelles découlant de la mise en œuvre des accords. En outre, le SFMC mène des programmes non statutaires de médiation préventive et de règlement des différends. Le Conseil canadien des relations professionnelles est chargé des aspects quasi judiciaires de l’application des dispositions du code.
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286. La Partie 1 du Code canadien du travail définit le cadre général de la négociation collective dans le secteur privé sous réglementation fédérale et prévoit en particulier ce qui suit: i) les droits de négociation exclusifs sont accordés aux agents négociateurs représentant les employés d’une unité de négociation donnée, généralement sur la base du soutien de la majorité, ii) les agents négociateurs et les employeurs ont le devoir de se rencontrer et de négocier de bonne foi et de faire des efforts raisonnables pour conclure une convention collective; iii) les grèves et les lock-out sont interdits durant la durée de validité de l’accord; iv) l’avis de négocier la reconduction et la révision de la convention collective peut être délivré par l’une des parties à la négociation dans un délai de quatre mois précédant immédiatement la date d’expiration de la validité de la convention collective; v) si les parties ne parviennent pas à conclure ou à reconduire la convention collective, chacune peut adresser au ministre un avis de différend, lequel peut alors nommer un conciliateur, un commissaire ou une commission de conciliation; et vi) le ministre peut à tout moment nommer un médiateur pour aider les parties à régler un différend (généralement un représentant du gouvernement membre du SFMC, mais ce peut parfois être une partie tierce indépendante appartenant au secteur privé); cela n’influe en rien sur l’acquisition de droits de grève ou de lock-out. Le gouvernement affirme que, en 2011-12, chaque fois qu’un avis de différend a été reçu par la ministre du Travail et que le SFMC a aidé les parties, plus de 93 pour cent des différends en matière de négociation collective ont été résolus sans recours à la grève.
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287. S’agissant du rôle joué par la Société canadienne des postes (ci-après dénommée «la Société»), le gouvernement indique que le Canada est le deuxième plus grand pays du monde, avec une superficie totale de 9 984 670 de kilomètres carrés. Le pays compte quelque 34 millions d’habitants. Bien que la majorité vive en milieu urbain, près de 9 millions de Canadiens vivent en zone rurale et dans des régions reculées, réparties sur 9,5 millions de kilomètres carrés (soit 95 pour cent du territoire canadien). La Société fournit des services postaux de qualité à tous les Canadiens vivant en zone rurale et en zone urbaine de manière sure et financièrement autonome. Elle a été établie en vertu de la loi canadienne qui en portait création et le gouvernement en est le seul actionnaire. Le premier opérateur postal canadien est une société d’Etat qui fait rapport au ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités et distribue plus de 10 milliards de lettres, de colis et de messages chaque année à plus de 15 millions d’usagers répartis dans tout le pays.
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288. Selon le gouvernement, au Canada, la poste est le moyen le plus commode et le moins coûteux utilisé par les personnes âgées ou handicapées pour accéder à des services essentiels; la Société est également un moyen indispensable pour les Canadiens qui vivent en zone rurale et dans les régions reculées de recevoir des biens, tels que des médicaments délivrés sur ordonnance. Les personnes qui reçoivent des chèques de prestations d’aide sociale, de pension de retraite ou d’autres aides publiques par la poste sont donc très vulnérables à toute interruption de ce service. Les petites et moyennes entreprises dépendent fortement des services postaux pour contacter et servir leurs clients et usagers.
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289. Pour ce qui est de la relation entre la Société et le syndicat, le gouvernement indique que la Société est l’un des plus importants employeurs du Canada. Elle emploie quelque 69 000 personnes, dont 59 000 sont syndiquées. La plus importante unité de négociation de la Société est le STTP – l’unité d’exploitation postale urbaine compte 50 000 membres et représente les employés des centres de tri postal et des bureaux de poste, les facteurs et factrices et les employés affectés aux services postaux.
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290. Le gouvernement donne ensuite un bref aperçu de la longue et acrimonieuse histoire de la Société et du STTP en matière de négociation collective qui s’est souvent soldée par des cessations d’activité. Le STTP a commencé à représenter les employés de la Société en janvier 1975. Le gouvernement du Canada a fourni une aide considérable aux parties ces trente-sept dernières années, en établissant de multiples commissions de conciliation et en désignant de nombreux conciliateurs et médiateurs afin d’aider les parties à parvenir à des accords collectifs mutuellement acceptables. Plusieurs ministres du travail ont contacté les parties au fil des ans afin de les inciter à régler leurs différends. Or une profonde méfiance réciproque s’est instaurée au fil du temps entre le STTP et la Société, qui a nui aux négociations. Le gouvernement estime que le passé montre que les parties ont été incapables de conclure des conventions collectives et ont échoué à maintes reprises à renouveler les conventions sans l’intervention du gouvernement.
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291. Compte tenu de la relation difficile de la Société et du STTP en matière de négociation collective, le gouvernement affirme qu’il était déterminé, lors du conflit collectif de 2011, à apporter tout le soutien possible aux parties pendant cette dernière session de négociation.
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292. En octobre 2010, les parties ont entamé des négociations directes en vue du renouvellement de la convention collective qui les liait (dont l’échéance était fixée au 31 janvier 2011), couvrant les employés représentés par le STTP. Suite à l’impasse des négociations directes, un avis de différend a été déposé le 21 janvier 2011. Le 31 janvier, la ministre du Travail a nommé un agent de conciliation pour aider les parties à parvenir à un accord, qui a rencontré les parties les 2, 9 et 10 février, puis du 22 au 25 février et enfin le 28 février 2011 et, plus souvent encore, durant le mois de mars (chaque jour du 1er au 15 mars, du 21 au 24 mars et du 28 au 31 mars 2011).
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293. Le gouvernement indique que, le 11 mars 2011, la Société et le STTP ont signé l’Accord sur le traitement et la distribution des chèques publics en cas d’interruption du service postal du fait d’une grève ou d’un lock-out (accord joint à la plainte) qui garantissait la distribution des chèques de prestations d’aide sociale et de pensions de retraite en cas de cessation d’activité. L’accord prévoyait jusqu’à deux journées nationales de distribution de courrier chaque mois. Du 29 mars au 17 avril 2011, le STTP a organisé des élections nationales pour statuer sur la conduite d’une grève et a annoncé, le 18 avril, que 94,5 pour cent de ses membres avaient voté en faveur de la grève.
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294. La procédure de conciliation, qui devait prendre fin le 31 mars 2011, a été prorogée par la ministre du Travail jusqu’au 3 mai afin de donner toutes les chances aux parties de conclure une convention collective. L’agent de conciliation s’est à nouveau longuement entretenu avec les parties le 1er avril, du 4 au 8 avril, du 11 au 15 avril, du 18 au 21 avril et du 25 au 29 avril et les 2 et 3 mai 2011, date à laquelle la procédure de conciliation a été déclarée infructueuse.
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295. La ministre du Travail a nommé un médiateur le 5 mai, de sorte que les parties puissent poursuivre leurs discussions et parvenir à un accord. Le médiateur s’est entretenu avec les parties tous les jours du 5 au 31 mai 2011. De nombreuses offres et contre-offres ont été présentées pendant les négociations, 11 au total (le 15 mai 2011, l’employeur a présenté une offre initiale; le 17 mai, l’employeur a présenté une offre de règlement au syndicat; le 22 mai, le syndicat a présenté une offre de règlement à l’employeur; le 24 mai, l’employeur a rejeté l’offre du syndicat et fait une nouvelle offre; le 30 mai, le syndicat a présenté une offre globale à l’employeur; ce dernier, après l’avoir rejetée, a présenté de nouvelles propositions les 1er, 6 et 9 juin; d’autres ont été par la suite faites par le syndicat, les 3 et 9 juin; la dernière offre proposée par les parties le 16 juin 2011 émanait du syndicat).
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296. Malgré les efforts considérables déployés par le gouvernement pour aider les parties à résoudre leur différend, celles-ci ne sont toujours pas parvenues à un accord et leurs positions sont restées très éloignées sur un certain nombre de points. Sur la seule question des salaires, les propositions des parties accusaient un différentiel de 4 pour cent. Depuis le début des négociations, en octobre 2010, les parties ne sont parvenues à faire évoluer leur position que de 1,7 pour cent.
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297. Le 25 mai 2011, les parties ont acquis le droit légal de grève ou de lock-out conformément au Code canadien du travail. Le 2 juin, le syndicat a entamé le mouvement de grève (moyennant des grèves tournantes), alors que les parties continuaient d’échanger des offres. Les grèves ont débuté à Winnipeg et se sont étendues à plusieurs villes, dont Montréal et Toronto.
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298. Les grèves tournantes, qui ont provoqué le ralentissement des opérations postales à l’échelle nationale, ont commencé à avoir des effets néfastes sur les Canadiens vulnérables et les entreprises dépendant de la Société. Le 8 juin 2011, cette dernière a annoncé que le service de livraison de courrier serait réduit et passerait à trois jours par semaine à compter du 13 juin. Deux jours plus tard, le 15 juin, la Société a déclaré un lock-out national. Tous les centres de tri et les dépôts postaux exploités par les membres du STTP ont été fermés. Dans son discours vidéo, le PDG de la Société a expliqué aux employés que le lock-out avait pour but de précipiter le conflit. Selon le PDG, la Société avait subi 12 jours de grèves tournantes et perdu 100 millions de dollars canadiens de recettes, dont les deux tiers étaient destinés à financer les coûts de main-d’œuvre tels que les avantages sociaux et les pensions de retraite. Le lock-out a été déclaré conformément à la Partie 1 du Code canadien du travail, qui prévoit qu’un lock-out peut être déclaré sans préavis si une grève est en cours, ce qui était le cas en l’espèce.
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299. A ce stade, la ministre du Travail avait rencontré personnellement et à plusieurs reprises les parties. Le 31 mai 2011, elle avait insisté sur l’importance d’assurer la distribution de courrier à la population canadienne et avait de nouveau proposé l’assistance du ministère et demandé instamment aux parties de parvenir à un règlement de leur différend. La ministre a rencontré à nouveau les parties les 1er, 2 et 10 juin. Le 10 juin, elle a demandé la suspension de toutes les mesures prises par les parties.
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300. Outre les efforts déployés par la ministre pour apporter un soutien direct aux parties, l’agent de conciliation et de médiation nommé par le gouvernement s’est entretenu de manière approfondie avec les parties de février jusqu’à fin mai 2011, et presque tous les jours en avril et en mai, sans succès. A la date du 15 juin, y compris durant tout le mouvement de grève, cela faisait neuf mois que les parties étaient en négociation et bénéficiaient du concours d’un agent de conciliation et de médiation nommé par le ministère, sans succès. Les positions des parties étaient toujours très éloignées sur les questions des salaires et il semblait peu probable qu’une solution soit négociée sans interruption d’une grève longue, coûteuse et très perturbante. Du fait de l’impasse dans laquelle se trouvaient les négociations, la ministre du Travail a publié un communiqué le 15 juin informant les parties et la population que le gouvernement comptait intervenir dans le conflit si aucun accord n’était trouvé dans un proche avenir.
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301. Le 20 juin 2011, la ministre du Travail a présenté le projet de loi C-6, visant à assurer la reprise et le maintien des services postaux. Le médiateur nommé par le gouvernement est resté en contact avec les parties et s’est tenu à leur disposition pour faire avancer les négociations. Les parties disposaient de cinq jours entre la présentation du projet de loi au Parlement et la sanction royale de celui-ci pour tenter de résoudre leur différend. Aidées par la ministre du Travail et les fonctionnaires du ministère, les parties ont poursuivi les discussions et les négociations sur les dispositions litigieuses. Elles ont rencontré la ministre, le directeur général du SFMC, et d’autres hauts fonctionnaires afin de clarifier la situation et de déterminer si un accord global pouvait être atteint avant que le projet de loi soit adopté par la Chambre des communes. Malheureusement, les parties ne sont pas parvenues à un accord et il est devenu évident que le différend ne serait pas résolu sans recours à la voie législative. La Chambre des communes a adopté le projet de loi quelques heures plus tard et le texte a été transmis au Sénat. La loi a reçu la sanction royale le 26 juin 2011 et est entrée en vigueur le lendemain. Les membres du STTP ont progressivement repris le travail dès le 27 juin 2011.
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302. En outre, le gouvernement juge important de replacer la loi dans le contexte économique et social approprié et, en particulier, de la fragilité de l’économie canadienne et mondiale due aux événements de 2007-2009. L’économie mondiale a connu une crise financière massive qui a provoqué la plus grave récession mondiale depuis la Grande Dépression.
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303. La récession mondiale a nui à l’économie canadienne. Le produit intérieur brut (PIB) a chuté de 3,7 pour cent au quatrième trimestre 2008 – marquant le début de la récession au Canada – car la faible demande extérieure a entraîné une baisse des exportations canadiennes et la détérioration des conditions financières et de la confiance a conduit à une baisse pure et simple des dépenses de consommation et des investissements commerciaux. Le PIB réel a encore reculé de 5,4 pour cent au premier trimestre 2009. Outre la forte contraction de l’activité économique réelle, la baisse rapide et brutale du prix mondial des ressources énergétiques et des produits de base a fait reculer le prix moyen de la production canadienne, selon l’indice des prix du PIB, qui a baissé de 11 pour cent au quatrième trimestre 2008 et de 6,5 pour cent au premier trimestre 2009. Le PIB a connu une chute sans précédent de 14,4 pour cent au quatrième trimestre 2008 et de 11,5 pour cent au premier trimestre 2009. En outre, en raison de la suppression d’emplois dans le secteur manufacturier (qui était particulièrement importante dans les secteurs de l’automobile et de la fabrication de pièces automobiles) et d’un ralentissement majeur dans le secteur de la construction, le taux de chômage est passé à 8,4 pour cent en mai 2009, son plus haut niveau en onze ans.
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304. A l’instar du Directeur général du BIT qui prônait le 10 octobre 2008 une intervention des pouvoirs publics pour éviter une crise financière internationale susceptible d’avoir de graves conséquences sur les entreprises, les travailleurs et les familles du monde entier, le gouvernement indique qu’il a mobilisé toutes les ressources disponibles et s’est employé avec tous ses partenaires, aux niveaux international et national, à mettre en place un plan de relance économique sans précédent (62 milliards de dollars canadiens). Ce plan, qui a été présenté le 27 janvier 2009, était le programme conçu par le gouvernement pour faire face à la pire récession qu’ait connue le pays depuis des générations. Les objectifs du Plan étaient les suivants: i) offrir aux Canadiens une réduction d’impôt significative et permanente et aux entreprises canadiennes le plus faible taux global d’imposition sur les nouveaux investissements commerciaux de tous les grands pays industrialisés; ii) permettre aux chômeurs de bénéficier d’une meilleure assurance-emploi et de programmes de formation améliorés; iii) éviter les licenciements en améliorant l’assurance-emploi du programme de travail partagé; iv) créer des emplois grâce à des dépenses infrastructurelles massives; v) contribuer à l’économie de demain en améliorant l’infrastructure des collèges et des universités et en soutenant la recherche et la technologie; vi) aider les entreprises et les communautés les plus touchées par la récession mondiale; et vii) améliorer l’accès au financement et le coût de celui-ci pour les ménages et les entreprises canadiennes.
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305. Bien que l’économie canadienne se porte relativement bien comparée aux autres pays industrialisés, les effets de la crise financière de 2007-2009 se font toujours sentir. L’économie canadienne étant fondée sur les échanges commerciaux, la reprise économique est fortement tributaire d’une relance économique mondiale soutenue, en particulier de celle des Etats-Unis. L’économie de pays développés tels que le Canada ne devrait croître que de 2,5 pour cent.
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306. Le gouvernement affirme que la situation économique du pays lors de la grève était donc toujours très préoccupante et cite des sources indiquant que ni le PIB ni la croissance de l’emploi n’ont permis de regagner le terrain perdu au cours de la récession des années 2008-09 (moins d’un cinquième des dommages causés par la récession ont été réparés).
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307. Par conséquent, le gouvernement du Canada a dû veiller tout particulièrement à assurer un équilibre entre le droit légal des parties à la grève et au lock-out et la fragilité économique du pays et l’incidence de celle-ci sur la population canadienne. On avait estimé que la cessation d’activité au sein de la Société en 2011 entraînerait des pertes pour l’économie nationale comprises entre 9 et 31 millions de dollars canadiens par semaine et que les coûts d’exploitation pour les petites et moyennes entreprises (totalisant 6,8 millions de salariés, soit 64 pour cent des employés du secteur privé) augmenteraient de 250 dollars canadiens par jour en raison d’une perte d’exploitation et de la nécessité de trouver d’autres modes d’expédition et de livraison.
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308. Etant donné que le gouvernement s’efforce de promouvoir et d’encourager la reprise économique par le biais de mesures politiques et législatives, il considère qu’il était approprié et raisonnable de faire passer une loi pour contrer la grève, ce qui permettait non seulement de régler le différend entre le STTP et la Société, mais aussi de faire face aux réalités et difficultés économiques auxquelles les Canadiens étaient confrontés.
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309. En ce qui concerne l’impact de la grève sur la Société, le gouvernement indique que la Société a des obligations internationales en matière de distribution de courrier au Canada, attendu que seul un service national peut s’acquitter de l’obligation contractée par le Canada en vertu d’un instrument international de satisfaire aux normes de services postaux établies par l’Union postale universelle (UPU).
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310. En outre, conformément à la loi portant création de la Société, la Société a une obligation de service universel, qui est au cœur de l’activité postale du Canada et est implicite au regard des efforts que le gouvernement continue de déployer en vue de l’établissement d’une Société postale d’Etat. La Société est tenue d’être financièrement autonome et de verser des dividendes annuels à l’actionnaire, tout en s’acquittant de ses obligations de service universel. La Société ne perçoit pas de subventions publiques pour l’aider à respecter ses obligations. Elle est tenue de financer les opérations qu’elle mène et les investissements requis moyennant son bénéfice net d’activités. Si la Société est incapable de générer et d’exploiter les fonds dont elle a besoin à long terme, elle rencontrera de plus en plus de difficultés pour assurer le respect de son obligation de service universel. De plus, la Société a entrepris de moderniser ses équipements, qui étaient obsolètes et dépassés. La Société a déjà emprunté un milliard de dollars canadiens pour financer ce projet. Si la situation financière de la Société est menacée par les pertes financières causées par une grève, sa capacité de remboursement dudit emprunt et la réalisation de son objectif de modernisation risquent de s’en trouver affectées.
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311. La Société dépense environ 3 milliards de dollars canadiens par an en biens et services, contribuant ainsi à près de 30 000 autres emplois dans l’économie canadienne. La Société alimente plus de 100 000 emplois directs et indirects et apporte 6,6 milliards de dollars canadiens au PIB national. Avant la grève, la Société estimait qu’un arrêt de travail coûterait à l’entreprise 100 millions de dollars canadiens par semaine et craignait que les consommateurs ne se tournent définitivement vers d’autres dispositifs électroniques de distribution. Bien que l’on ne mesure pas encore l’incidence exacte de la grève de juin 2011, la Société a estimé que, pour 2011, la cessation d’activité a eu un impact financier immédiat et une incidence sur la concurrence évalués à au moins 200 millions de dollars canadiens.
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312. Le gouvernement décrit ensuite les répercussions que la grève a eues sur les Canadiens en situation vulnérable. Le gouvernement se réfère à des statistiques qui indiquent que, en 2010, les personnes âgées de 65 ans et plus représentaient 14,1 pour cent de la population canadienne (soit plus de 4 800 000 individus) et que 60 pour cent d’entre eux n’utilisaient pas Internet et dépendaient donc exclusivement du service postal pour se procurer certains produits essentiels. Le service postal est aussi un support vital pour les personnes handicapées dépendantes et pour les habitants des régions rurales et reculées. Les personnes handicapées et les résidents ruraux effectuent aussi des achats en ligne et sur catalogue pour obtenir des produits de première nécessité et dépendent donc des services postaux qui en assurent la livraison. En outre, la Société envoie gratuitement des matériels aux malvoyants (comme des livres audio). Cette population est donc fortement touchée par toute perturbation du service postal.
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313. Les autorités fédérales, provinciales et territoriales recourent aux services postaux pour distribuer les chèques de prestations d’aide sociale, telles que les prestations mensuelles, libres d’impôt, versées aux familles à revenus modestes pour les aider à subvenir aux besoins de leurs enfants. Le gouvernement fédéral envoie quelque 32 054 000 chèques par an dans le cadre de ses seuls programmes d’assurance-emploi et de régime de retraites. Les gouvernements provinciaux et territoriaux envoient également par la poste des chèques de prestations d’aide sociale et de pensions d’invalidité. Lors du mouvement de grève et des mesures de lock-out adoptées par la suite, il a été signalé que l’accord conclu par la Société et le STTP pour assurer la distribution des chèques de pension de retraite et des prestations d’aide sociale n’avait pas été respecté dans certaines régions du pays.
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314. La plupart des citoyens utilisent d’autres services que ceux offerts par la Société et ont par exemple recours aux services de messagerie électronique ou à des entreprises privées de transport. Celles-ci dépendent, cependant, des prestations offertes par la Société pour livrer des colis dans les zones rurales reculées et isolées. Or, au cours du lock-out, aucun courrier n’a été ni trié ni acheminé des centres de tri postaux aux bureaux de poste ruraux, y compris les envois confiés à des entreprises privées. Cela a provoqué une paralysie quasi totale de tous les services postaux du pays, même si les factrices et facteurs ruraux n’étaient pas parties au conflit opposant la Société et le STTP. Les habitants des zones concernées n’avaient donc aucun autre moyen de se procurer des produits et des biens tels que des médicaments délivrés sur ordonnance, des lunettes, des prothèses dentaires ou des documents juridiques nécessitant signature.
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315. Il est évident que la santé et la sécurité d’un segment de la population canadienne étaient menacées. L’accord visant à assurer la distribution des chèques de prestations d’aide sociale n’a pas été pleinement respecté partout, privant ainsi certains Canadiens des ressources nécessaires à l’achat de produits de première nécessité. Par ailleurs, d’autres Canadiens n’ont pas reçu les médicaments délivrés sur ordonnance dont ils avaient besoin. La ministre du Travail a reçu près de 19 000 lettres au sujet de la grève. Une grande majorité émanait de citoyens, d’employés de la Société, d’organisations caritatives et d’entreprises qui demandaient au gouvernement d’intervenir pour mettre fin à la cessation d’activité. Le syndicat a exercé son droit de grève et, par la suite, l’employeur a soumis ses employés à un lock-out. La grève avait une incidence trop importante sur la fragile reprise économique du Canada et sur la population canadienne, en particulier les personnes vulnérables, pour que les autorités permettent qu’elle se poursuive indéfiniment.
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316. Le gouvernement considère qu’une convention collective découlant de la libre négociation collective est le meilleur moyen de résoudre les différends. Or, lorsque la procédure échoue et que les parties sont incapables de s’entendre et recourent à la grève ou à un lock-out susceptible d’avoir un impact significatif sur l’économie nationale ou l’intérêt public, le droit des employeurs et des syndicats de régler leurs différends au moyen de grèves et de lock-out doit être pondéré au regard de l’intérêt public. Le gouvernement du Canada est convaincu qu’il devait intervenir par voie législative compte tenu de la situation économique difficile dans laquelle se trouvait le pays et que les mesures adoptées étaient compatibles avec les principes établis par l’OIT.
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317. La voie législative n’a été choisie qu’en dernier recours, une fois toutes les autres options épuisées. En répondant par voie législative à la situation tout à fait exceptionnelle dans laquelle se trouvaient les parties, le gouvernement a prorogé la durée de validité de la convention collective précédente afin de veiller à ce que la Société et le syndicat soient régis par la dernière convention collective négociée. Les travailleurs étaient ainsi protégés, y compris leur droit de recourir à une procédure de plaintes et d’arbitrage.
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318. Citant le cas no 2821, le gouvernement rappelle que le comité a reconnu que, lorsque, pour des raisons impérieuses relevant de l’intérêt économique national et dans le cadre de sa politique de stabilisation, un gouvernement considère que le taux des salaires ne peut être fixé librement par voie de négociations collectives, une telle restriction devrait être appliquée comme une mesure d’exception, limitée à l’indispensable, et ne devrait pas excéder une période raisonnable et qu’elle devrait être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs. Le gouvernement considère que l’intervention législative était circonscrite dans le temps puisqu’elle n’a eu lieu que dans le cadre du cycle de négociations de 2010, qu’elle était adéquate et répondait aux besoins des deux parties concernées ainsi qu’aux circonstances particulières qui les avaient conduites à l’impasse, et sauvegardait le niveau de vie des travailleurs en imposant un plafond sur les augmentations de salaire plutôt que de geler les salaires ou de couper des emplois (les membres du STTP ont bénéficié d’une augmentation de salaire qui était supérieure au taux d’inflation de l’époque).
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319. La procédure d’arbitrage était considérée comme le meilleur moyen de faire face à l’échec de la négociation collective, cette procédure étant fréquemment utilisée pour faire aboutir les négociations et ayant fait preuve de son efficacité par le passé. La loi adoptée prévoit que la procédure d’arbitrage doit être basée sur l’arbitrage des dernières offres. L’arbitrage des dernières offres encourage les parties à faire des propositions raisonnables devant arbitre et garantit qu’une décision sera rendue sur le conflit. Le gouvernement a également donné des orientations à l’arbitre pour l’aider dans le processus de prise de décisions et établir un processus transparent et accepté par la Société et le STTP.
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320. Le gouvernement a veillé, en promulguant ladite loi, à ce que les parties aient la possibilité de reprendre les négociations et de parvenir à un accord mutuellement acceptable. La loi prévoit ainsi que si les parties parviennent à négocier une convention collective avant que l’arbitre n’ait rendu sa décision c’est l’accord négocié qui prévaut. Le 19 juillet 2012, les employeurs ont présenté au syndicat une nouvelle proposition. Le 24 août 2012, le syndicat a fait savoir que les deux parties étaient convenues d’entamer des négociations. Le gouvernement a continué d’encourager les parties à négocier et à conclure une convention collective. Dans des communications en date des 23 et 31 janvier 2013, le gouvernement indique que, le 20 décembre 2012, les membres du STTP ont approuvé, par 57 pour cent des voix, les nouveaux accords conclus avec la Société pour le compte des travailleurs de l’exploitation postale urbaine comme des facteurs ruraux et suburbains. Les nouvelles conventions collectives sont entrées en vigueur le 21 décembre 2012 jusqu’en 2016. Le mandat de l’arbitre sous la loi a cessé à la date d’entrée en vigueur des conventions collectives.
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321. En conclusion, le gouvernement réitère son attachement aux principes de l’OIT en matière de liberté syndicale et de droit de négociation collective. Il souligne qu’il a largement appuyé les parties et les a aidées à régler leur différend dans le cadre juridique bien établi de la Partie 1 du Code canadien du travail, notamment en leur donnant accès aux services d’un agent de conciliation et de médiation qui s’est entretenu de manière approfondie avec elles plus d’une centaine de fois, y compris quasiment quotidiennement durant les mois d’avril et mai 2011, et également grâce à l’intervention personnelle de la ministre du Travail qui a encouragé la Société et le STTP à conclure un accord négocié. Le gouvernement du Canada a manifestement voulu privilégier la négociation collective en consultant le STTP et la Société.
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322. Ces quatre dernières années, 94 pour cent des procédures de négociation collective menées avec le soutien d’une instance de conciliation et/ou de médiation désignée par le gouvernement ont débouché sur un accord sans recours à la grève. Conscient que le fait de recourir à la loi pour imposer la reprise des activités n’est pas une mesure anodine, le gouvernement n’a eu recours à cette mesure exceptionnelle que quatre fois au cours des douze dernières années. Durant cette période, 34 lock-out légaux et 122 grèves légales relevant de la compétence du gouvernement fédéral ont eu lieu.
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323. Le gouvernement a réaffirmé qu’il demeurait résolu à apporter son soutien aux travailleurs et aux employeurs dans les efforts de coopération qu’ils déploient pour établir de bonnes relations et des pratiques constructives de négociation collective, en élargissant la prestation de services préventifs de médiation, et ce, en premier lieu, en réalisant un investissement d’un million de dollars canadiens sur deux ans dans le cadre du budget 2011 et, en deuxième lieu, en pérennisant cet investissement dans le cadre de la loi portant affectation de crédit. Ce nouvel investissement permettra à davantage d’employeurs et de syndicats de se prévaloir de ces services gratuits.
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324. Les services préventifs de médiation comprennent tout un éventail de dispositifs permettant d’améliorer les relations entre employeurs et syndicats et de maintenir une communication harmonieuse entre eux. Cet objectif est atteint grâce à des ateliers de formation consacrés aux outils de négociation privilégiant la collaboration à la confrontation, la négociation collective et la résolution conjointe des conflits. Les services préventifs de médiation permettent aux employeurs et aux syndicats d’éviter ou d’améliorer les relations professionnelles malsaines susceptibles d’aboutir à des mouvements de grève. Ces services sont proposés aux employeurs aussi bien qu’aux syndicats par des médiateurs expérimentés tant dans les approches traditionnelles qu’alternatives des relations professionnelles. Ces services sont gratuits et peuvent être personnalisés pour répondre aux besoins spécifiques d’un lieu de travail particulier.
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325. Des services préventifs de médiation ont été offerts à la Société par le passé et continuent d’être mis à la disposition de l’entreprise d’Etat et à ses employés représentés par le STTP. Conscient que les parties privilégient actuellement le processus d’arbitrage, le gouvernement a l’intention de les contacter pour leur offrir des services préventifs de médiation en temps opportun. Le gouvernement sera alors en mesure de proposer aux parties un diagnostic de leurs besoins et un plan pour améliorer leurs relations.
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326. Le gouvernement est fermement convaincu que toutes les parties prenantes à la négociation collective devraient et doivent avoir la possibilité de régler leurs différends de manière consensuelle et indique que le fait d’intervenir par voie législative pour imposer la reprise du travail n’est pas une mesure anodine et qu’il n’y recourt que dans des circonstances exceptionnelles. Le gouvernement reste fermement attaché au processus de libre négociation collective, qu’il considère comme le meilleur moyen de parvenir à une convention collective. En réalité, la grande majorité des conventions collectives relevant de la compétence fédérale sont renouvelées par libre négociation. Par exemple, en 2011, près de 407 négociations collectives ont eu lieu dans des lieux de travail soumis à la compétence fédérale et, dans la plupart des cas, les parties ont mené les négociations à bien et sont parvenues à un accord. La seule législation ayant dû être adoptée pour résoudre un conflit de travail en 2011 était le projet de loi C-6, visant à assurer la reprise et le maintien des services postaux.
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327. Suite à l’échec total des négociations et à l’incapacité des parties à parvenir à un accord, le gouvernement ne pouvait plus tolérer que les graves conséquences de la grève continuent d’affecter l’économie du pays et de porter préjudice aux citoyens canadiens, y compris aux plus vulnérables. Confronté à la menace d’une grève prolongée qui aurait eu des effets négatifs importants sur la reprise économique fragile et sur les Canadiens en situation précaire, le gouvernement a opté pour une réponse motivée, mesurée et limitée dans le temps qui permettait aux parties de formuler des propositions devant un arbitre indépendant. Le projet de loi C-6 prévoit d’élargir la protection instituée par l’accord précédemment négocié. Le texte du projet de loi est libellé de sorte à respecter le processus de négociation collective. Le projet de loi C-6 n’empêche pas l’employeur et le syndicat de conclure une nouvelle convention collective avant que l’arbitre ait rendu sa décision. Dix huit mois après l’adoption du projet de loi C-6, les parties ont finalement négocié et signé une nouvelle convention collective.
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328. Compte tenu du caractère exceptionnel de la situation des deux parties, le gouvernement demande respectueusement au comité de rejeter la présente plainte.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
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329. Le comité note que, dans le présent cas, l’organisation plaignante allègue qu’en promulguant le projet de loi C-6, visant à assurer la reprise et le maintien des services postaux, qui a mis fin à la grève, le gouvernement fédéral canadien a interrompu la négociation collective entre le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) et la Société canadienne des postes (ci-après dénommée «la Société») et a soumis le différend à un arbitrage obligatoire et contraignant, portant ainsi atteinte à l’exercice de la liberté syndicale et établissant un dangereux précédent d’intervention gouvernementale dans des différends du travail qui ne mettent pas en cause des services essentiels.
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330. Le comité note que l’organisation plaignante considère qu’en faisant passer le projet de loi C-6, qui a empêché les travailleurs et travailleuses des postes employés par la Société et représentés par le STTP d’entreprendre librement des négociations collectives et d’exercer leur droit de grève, le gouvernement a violé la convention no 87 en soumettant le différend à un arbitrage obligatoire et contraignant des dernières offres et en mettant fin au mouvement de grève, alors que les parties étaient convenues de protocoles d’accord assurant la poursuite de services essentiels. En particulier, le comité prend note du fait que l’organisation plaignante indique que le projet de loi C-6: i) rétablit la convention collective jusqu’à ce qu’un nouvel accord ait été établi; ii) impose par voie législative une baisse des salaires nettement inférieure à la dernière offre de l’employeur qui, selon l’organisation plaignante, privera indument les travailleurs et travailleuses des postes et leurs familles de 35 millions de dollars canadiens; et iii) prévoit que la nouvelle convention collective sera décidée par un arbitre nommé par le gouvernement moyennant l’arbitrage des dernières offres (les parties présenteront chacune un projet de convention collective et l’arbitre en choisira un, dans son intégralité).
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331. Le comité prend note de la brève chronologie fournie par l’organisation plaignante, en particulier des événements suivants: le syndicat et la Société ont entamé les négociations en vue de la conclusion d’un accord collectif applicable à l’unité de l’exploitation postale urbaine le ou aux alentours du 21 octobre 2010. Le syndicat a fait une demande de conciliation le 21 janvier 2011. La convention collective a expiré le 31 janvier. Le 11 avril 2011, le syndicat a annoncé que les membres du syndicat avaient approuvé par 94,5 pour cent des voix la tenue d’une grève. La conciliation a été prolongée jusqu’au 3 mai 2011 et la médiation a débuté le 4 mai 2011. Le syndicat a signifié un préavis de grève le 30 mai 2011. Le même jour, la Société a annoncé que la convention collective applicable à l’unité d’exploitation postale urbaine n’était pas en vigueur et que la prise en charge des soins dentaires, ORL et ophtalmologiques et d’importants plans de santé était immédiatement interrompue. La Société a également commencé à licencier immédiatement les employés temporaires. Le syndicat a lancé une grève tournante à 23 h 59. Le 10 juin 2011, le syndicat a proposé de reprendre le travail si l’entreprise rétablissait la convention collective qui venait d’expirer, offre que l’entreprise a refusée. Le 14 juin 2011, aux environs de 23 h 30, la Société a déclaré un lock-out dans tout le pays et les travailleurs et travailleuses de tous les bureaux de poste ont été escortés hors du lieu de travail par la direction. Les membres du syndicat ont entamé une opération de piquets de grève dans tous les lieux où les négociateurs de l’unité de l’exploitation postale urbaine travaillaient lors de l’imposition du lock-out. Le 15 juin 2011 au matin, la ministre fédérale du Travail a déclaré qu’elle avait reçu très peu de plaintes au sujet de ce conflit professionnel. Dans l’après-midi de ce même jour, elle a fait part de son intention d’imposer une reprise des activités par voie législative. Le syndicat a continué de rencontrer la Société et le médiateur afin de parvenir à un nouvel accord collectif applicable aux membres de l’unité de l’exploitation postale urbaine. Le 20 juin 2011, le gouvernement fédéral a transmis le projet de loi C-6 au Parlement. Le syndicat a continué de déployer des efforts considérables pour trouver une issue au conflit. Le projet de loi C-6 a été adopté par la Chambre des communes le 25 juin 2011 et par le Sénat le 26 juin 2011. Les membres du syndicat ont repris le travail dans l’après-midi du 27 juin 2011.
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332. Le comité note que le gouvernement récuse respectueusement les allégations de l’organisation plaignante et demande au comité de rejeter la plainte. Le comité prend note de ce que le gouvernement indique, de manière générale, que: i) la Société, une entreprise d’Etat soumise à la législation fédérale sur les relations professionnelles, est un moyen essentiel pour les personnes âgées ou handicapées ou celles qui vivent en zone rurale et dans des régions reculées de se procurer des produits et des biens de première nécessité, tels que des médicaments délivrés sur ordonnance, et de recevoir les chèques de prestations d’aide sociale, de pension de retraite ou d’autres aides publiques envoyés par la poste par les autorités fédérales, provinciales et territoriales; ii) la Société et le STTP ont une longue et acrimonieuse histoire en matière de négociation collective qui a souvent donné lieu à des cessations d’activité; iii) la situation économique du pays au moment de la grève était toujours très préoccupante étant donné que les effets de la crise financière se faisaient toujours sentir; et iv) le gouvernement réitère son attachement aux principes de l’OIT en matière de liberté syndicale et de droit de négociation collective.
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333. Le comité prend note en outre de l’aperçu donné par le gouvernement du déroulement du cycle de négociations de 2011 entre la Société et le STTP, et en particulier de ce qui suit: en octobre 2010, les parties ont entamé des négociations directes en vue de la reconduction de la convention collective (dont l’échéance était fixée au 31 janvier 2011). Suite à l’impasse des négociations directes, un avis de différend a été déposé le 21 janvier 2011. Le 31 janvier, la ministre du Travail a nommé un agent de conciliation qui a rencontré les parties les 2, 9 et 10 février, du 22 au 25 février, et enfin le 28 février 2011, et chaque jour du 1er au 15 mars, du 21 au 24 mars et du 28 au 31 mars 2011. Le 11 mars 2011, la Société et le STTP ont signé l’Accord sur le traitement et la distribution des chèques publics en cas d’interruption du service postal du fait d’une grève ou d’un lock-out (accord joint à la plainte). Le 18 avril, le STTP a annoncé que 94,5 pour cent de ses membres avaient voté en faveur de la grève. La procédure de conciliation qui devait prendre fin le 31 mars 2011 a été prorogée par la ministre du Travail jusqu’au 3 mai. L’agent de conciliation s’est à nouveau longuement entretenu avec les parties le 1er avril, du 4 au 8 avril, du 11 au 15 avril, du 18 au 21 avril et du 25 au 29 avril, et les 2 et 3 mai 2011, date à laquelle la procédure de conciliation a été déclarée infructueuse. La ministre du Travail a nommé un médiateur le 5 mai qui s’est entretenu avec les parties tous les jours du 5 au 31 mai 2011. De nombreuses offres et contre-offres ont été formulées durant les négociations, 11 au total. Les positions des parties restaient très éloignées sur un certain nombre de points. Le 2 juin, le syndicat a lancé le mouvement de grève moyennant des grèves tournantes dans plusieurs villes du pays, qui ont commencé à avoir des répercussions sur les Canadiens en situation précaire et les entreprises dépendant de la Société. Le 15 juin, la Société a déclaré un lock-out national, conformément au Code canadien du travail. A ce stade, la ministre du Travail avait rencontré personnellement et à plusieurs reprises les parties (le 31 mai et les 1er, 2 et 10 juin 2011). Le 20 juin 2011, la ministre du Travail a présenté le projet de loi C-6, visant à assurer la reprise et le maintien des services postaux. Les parties disposaient de cinq jours entre la soumission du projet de loi au Parlement et la sanction royale de celui-ci pour tenter de résoudre leur différend. Soutenues par le médiateur nommé par le gouvernement, les parties ont rencontré la ministre du Travail, le directeur général du SFMC, et d’autres hauts fonctionnaires et poursuivi les discussions et les négociations sur les dispositions en suspens. Malheureusement, les parties ne sont pas parvenues à un accord. La Chambre des communes a adopté le projet de loi quelques heures plus tard et le texte a été transmis au Sénat. La loi a reçu la sanction royale le 26 juin 2011 et est entrée en vigueur le lendemain. Les membres du STTP ont progressivement repris le travail dès le 27 juin 2011.
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334. Le comité relève en outre que le gouvernement explique ce qui suit: i) le gouvernement reste fermement attaché au processus de libre négociation collective, qu’il considère comme le meilleur moyen de parvenir à une convention collective, et ne considère pas que le recours à la loi pour imposer la reprise des activités est une mesure anodine et n’y a eu recours qu’à titre exceptionnel; or, à la date du 15 juin, y compris durant tout le mouvement de grève, les parties étaient en négociation depuis neuf mois, elles avaient bénéficié, sans succès, du concours d’un agent de conciliation et de médiation nommé par le ministère, et avaient des positions toujours très éloignées sur les questions des salaires; la voie législative n’a été choisie qu’en dernier recours, une fois toutes les autres options épuisées; ii) on avait estimé que la cessation d’activité au sein de la Société en 2011 aurait entraîné des pertes pour l’économie canadienne comprises entre 9 et 31 millions de dollars canadiens par semaine; iii) bien que l’on ne mesure pas encore l’incidence exacte qu’a eue la grève de juin 2011, la Société a estimé que, pour 2011, la cessation d’activité a eu un impact financier immédiat et une incidence sur la concurrence évalués à au moins 200 millions de dollars canadiens; iv) la grève a aussi eu de graves répercussions sur les personnes en position précaire, telles que les personnes âgées, les personnes handicapées, les habitants des régions rurales et reculées et les familles à revenu modeste. Durant le lock-out, aucun courrier n’a été ni trié ni acheminé des centres de tri postaux aux bureaux de poste ruraux, de sorte que les usagers de ces régions ne pouvaient même pas avoir recours à une entreprise privée de distribution pour recevoir des médicaments délivrés sur ordonnance, des lunettes, des prothèses dentaires, des documents juridiques nécessitant signature ou autres. Durant la grève et le lock-out, l’accord conclu par la Société et le STTP pour assurer la distribution des chèques de pensions de retraite et de prestations d’aide sociale n’a pas été respecté dans certaines régions du pays, privant ainsi certains Canadiens des ressources nécessaires à l’achat de produits de première nécessité. Il était évident que la santé et la sécurité d’un segment de la population canadienne étaient menacées; v) la décision du gouvernement de présenter un projet de loi, qui prorogeait la durée de validité de la convention collective précédente pour veiller à ce que les travailleurs soient protégés (y compris leur droit de recourir à une procédure de plaintes et d’arbitrage), était circonscrite au cycle des négociations de 2010, répondait aux besoins des deux parties concernées ainsi qu’aux circonstances particulières qui les avaient conduites à l’impasse, et sauvegardait le niveau de vie des travailleurs en imposant un plafond sur les augmentations de salaire plutôt que de geler les salaires ou de couper des emplois (les membres du STTP ont bénéficié d’une augmentation de salaire qui était supérieure au taux d’inflation de l’époque); et vi) la loi prévoit que, si les parties parviennent à négocier une convention collective avant que l’arbitre n’ait rendu sa décision, l’accord négocié prévaudra afin que les parties aient la possibilité de reprendre les négociations et de parvenir à un accord mutuellement acceptable; dix-huit mois après la promulgation de la loi en 2011, les parties ont conclu deux conventions collectives. Le comité note également que le gouvernement indique qu’il contactera les parties pour leur offrir des services préventifs de médiation en temps opportun et qu’il sera dès lors en mesure de leur proposer un diagnostic de leurs besoins et un plan d’amélioration de leurs relations.
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335. S’agissant du projet de loi C-6 imposant aux travailleurs et travailleuses des postes de reprendre le travail et mettant ainsi fin au mouvement de grève dans le secteur postal, le comité ne peut que rappeler qu’il a toujours reconnu que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et défendre leurs intérêts économiques et sociaux et que le droit de grève peut être restreint, voire interdit: 1) dans la fonction publique, uniquement pour les fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’Etat; ou 2) dans les services essentiels au sens strict du terme, c’est-à-dire les services dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 521 et 576.] A cet égard, le comité rappelle qu’il a toujours considéré que les services postaux ne constituent pas des services essentiels au sens strict du terme.
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336. En outre, le comité a été saisi précédemment de plaintes concernant le maintien obligatoire des services postaux au détriment du droit de grève dûment exercé. A ces deux occasions, lesquelles concernent le Canada, le comité a conclu qu’il serait difficile d’admettre que l’arrêt de tels services soit susceptible d’engendrer des conséquences caractérisant les services essentiels au sens strict du terme. [Voir cas no 1451 (Canada), 268e rapport, paragr. 98; et cas no 1985 (Canada), 316e rapport, paragr. 321.] Bien qu’il ait toujours été sensible au fait que l’interruption prolongée des services postaux est susceptible d’affecter des tiers totalement étrangers aux différends opposant les parties et qu’elle peut par exemple avoir de graves répercussions pour les entreprises et affecter directement les individus (en particulier les allocataires des indemnités chômage ou d’aide sociale et les personnes âgées qui dépendent du versement de leur pension de retraite), le comité a néanmoins considéré que, quoi qu’il en soit, pour aussi regrettables que soient ces conséquences, elles ne sauraient justifier une limitation des droits fondamentaux à la négociation collective, à moins qu’elles n’atteignent une telle gravité qu’elles mettent en danger la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population. [Voir cas no 1985 (Canada), 316e rapport, paragr. 322.]
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337. Le comité prend note avec préoccupation des effets négatifs que la grève a eus, selon les dires du gouvernement, sur des tiers, tels que les personnes âgées ou handicapées vivant dans des régions reculées ou rurales, qui n’ont pu se procurer des médicaments délivrés par ordonnance ou des produits de première nécessité. Pour remédier à cette situation, le comité a suggéré au gouvernement, dans un cas précédent, d’étudier la possibilité d’introduire, en accord avec le syndicat concerné, un accord de service minimal. [Voir cas no 1985 (Canada), 316e rapport, paragr. 324.] Le comité se félicite des mesures prises depuis lors pour adopter un protocole de service minimal avec l’assentiment des parties sous la forme d’un protocole d’accord élaboré par le syndicat et les autorités provinciales, fédérales et territoriales concernant le traitement et la distribution des chèques d’aide socio économique (situation déjà évoquée dans le précédent cas). Attendu que le protocole de service minimal a été négocié par la Société, qui est une entreprise d’Etat, et le syndicat dans le but exprès d’éviter que la grève n’ait des répercussions négatives sur des tiers et de veiller à ce que les besoins fondamentaux des usagers en situation précaire soient respectés en cas de grève, le comité exprime sa préoccupation face à la décision du gouvernement d’imposer la reprise du travail par voie législative plutôt que de s’être limité à prendre les mesures nécessaires pour veiller au plein respect du protocole de service minimal.
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338. Le comité note à cet égard que l’organisation plaignante affirme avoir respecté ledit protocole. Le gouvernement indique, dans ses communications, qu’il a été signalé que l’accord conclu par la Société et le STTP pour assurer la distribution des chèques de pension de retraite et des prestations d’aide sociale n’avait pas été respecté dans certaines régions du pays, mais qu’il ne donne pas plus de détails sur ce point et qu’il ne précise pas de quelle manière le protocole n’a pas été respecté. Le comité relève que le mouvement de grève a été suivi par un lock-out. Notant que le lock-out total et généralisé qui a entraîné la fermeture de toutes les entités en charge du traitement et de la distribution de courrier aurait rendu impossible le respect du protocole de service minimal, et rappelant que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et pour défendre leurs intérêts économiques et sociaux, le comité considère que le gouvernement aurait dû se contenter de veiller au respect des services minima négociés.
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339. Concernant l’information communiquée par le gouvernement selon laquelle la grève a fait subir des pertes importantes à la fragile économie canadienne, en général, et à la Société, en particulier, au lendemain de la crise économique et financière mondiale, le comité rappelle qu’il a par le passé souligné que les considérations économiques ne devraient pas être invoquées pour justifier des restrictions au droit de grève mais que, cependant, en cas de paralysie d’un service non essentiel au sens strict du terme dans un secteur de très haute importance dans le pays, l’imposition d’un service minimum peut se justifier. [Voir cas no 2841, 362e rapport, paragr. 1041.] Compte tenu de ce qui précède, le comité demande une nouvelle fois au gouvernement de déployer tous les efforts possibles pour ne pas recourir à la loi pour imposer la reprise du travail dans le secteur postal et de n’intervenir que pour veiller au respect de tout protocole de service minimal convenu par les parties.
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340. S’agissant du fait que le projet de loi C-6 impose aux parties un arbitre nommé par le gouvernement qui devra décider d’une nouvelle convention collective moyennant l’arbitrage de la dernière offre, le comité tient tout d’abord à reconnaître les efforts importants consentis par le gouvernement pour appuyer les parties et les aider à régler leur différend, notamment en leur donnant accès aux services d’un agent de conciliation et de médiation nommé par le gouvernement qui s’est entretenu de manière approfondie avec les parties plus d’une centaine de fois (quasiment quotidiennement durant les mois d’avril et de mai 2011), mais aussi grâce aux interventions personnelles de la ministre du Travail qui s’est employée à faciliter la conclusion d’un accord négocié. A l’exception de cas concernant les services essentiels, le comité rappelle que l’arbitrage obligatoire pour mettre fin à un conflit collectif du travail est acceptable soit s’il s’intervient à la demande des deux parties, soit dans les cas où la grève peut être limitée, voire interdite, à savoir dans les cas de conflit dans la fonction publique à l’égard des fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’Etat ou dans les services essentiels au sens strict du terme, c’est-à-dire les services dont l’interruption risquerait de mettre en danger dans tout ou partie de la population la vie, la santé ou la sécurité de la personne. Le comité estime qu’un système d’arbitrage obligatoire par les soins de l’administration du travail, lorsqu’un différend n’a pas été réglé par d’autres moyens, peut avoir pour résultat de restreindre considérablement le droit des organisations de travailleurs d’organiser leur activité et risque même d’imposer une interdiction absolue de la grève, contrairement aux principes de la liberté syndicale. En outre, le comité souligne que les dispositions selon lesquelles, à défaut d’accord entre les parties, les points de la négociation collective restés en litige seront réglés par l’arbitrage de l’autorité ne sont pas conformes au principe de la négociation volontaire énoncé à l’article 4 de la convention no 98. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 564, 568 et 993.]
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341. Le comité observe que la procédure d’arbitrage imposée par la loi a été retardée du fait que les deux décisions du gouvernement concernant la nomination d’un arbitre ont été invalidées par la Cour fédérale dans deux jugements, l’un en date du 27 janvier 2012 pour insuffisance de qualifications, et l’autre en date du 8 août 2012 pour défaut de partialité. A cet égard, le comité tient à rappeler que, en cas de médiation et d’arbitrage de conflits collectifs, l’essentiel réside dans le fait que tous les membres des organes chargés de telles fonctions doivent non seulement être strictement impartiaux, mais doivent apparaître comme tels aussi bien aux employeurs qu’aux travailleurs, afin que la confiance dont ils jouissent de la part des deux parties et dont dépend le succès de l’action, même s’il s’agit d’arbitrage obligatoire, soit maintenue. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 598.] Le comité suggère au gouvernement et aux partenaires sociaux d’envisager de dresser une liste d’arbitres jouissant de la confiance des parties pour le cas où celles-ci solliciteraient un arbitrage à l’avenir.
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342. En outre, le comité comprend qu’aux dires du gouvernement, l’article 13(1) de la loi prévoit qu’aucune disposition de celle-ci n’empêche l’employeur et le syndicat de conclure une nouvelle convention collective à tout moment avant que l’arbitre rende une décision, et que l’arbitre cesse d’être compétent, conformément à la loi, à compter de la date à laquelle la nouvelle convention collective est conclue. Le comité tient également à prendre note de l’attachement du gouvernement au processus de libre négociation collective, considéré par celui-ci comme le meilleur moyen de parvenir à une convention collective, ainsi que de sa détermination et des efforts qu’il a déployés après l’adoption de ladite loi pour encourager les parties à reprendre les négociations et à parvenir à un accord mutuellement acceptable avant l’arbitrage des dernières offres. Tout en regrettant que le gouvernement ait jugé nécessaire de recourir à l’arbitrage obligatoire dans le conflit en question, qui aurait pu restreindre le droit de négociation collective, pour réglementer les conditions d’emploi dans un service non essentiel, le comité note que, dans l’intervalle, après d’intenses négociations entre les parties d’août à octobre 2012, deux nouvelles conventions collectives ont été conclues et signées le 20 décembre 2012 pour les travailleurs de l’exploitation postale urbaine et les facteurs ruraux et suburbains. Le comité prend note de cette évolution mais demeure néanmoins fermement convaincu qu’il serait davantage propice à la création d’un climat de relations professionnelles harmonieux que le gouvernement évite de recourir à l’avenir à de telles interventions législatives et encourage plutôt des négociations collectives véritablement libres et volontaires et veille à ce qu’elles ne se déroulent pas sous la menace qu’un accord soit imposé au titre d’une procédure d’arbitrage obligatoire des dernières offres mais soumette plutôt les conflits professionnels à un arbitrage impartial et indépendant susceptible de les résoudre à la satisfaction des parties concernées.
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343. S’agissant de l’effet du projet de loi C-6, qui a imposé par voie législative des conditions de travail (augmentation de salaires), effet qui demeure pertinent même en cas de signature par les parties de conventions collectives (art. 13(3) de la loi), le comité prend dûment note de ce que le gouvernement indique que l’intervention législative était dictée par la situation économique difficile dans laquelle se trouvait toujours le Canada à l’époque et était due au fait que le pays peinait toujours à se remettre de la récession provoquée par la crise économique et financière mondiale. Le comité rappelle qu’il avait précédemment indiqué que si, au nom d’une politique de stabilisation, un gouvernement considère que le taux des salaires ne peut pas être fixé librement par voie de négociations collectives, une telle restriction devrait être appliquée comme une mesure d’exception, limitée à l’indispensable, elle ne devrait pas excéder une période raisonnable et elle devrait être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 1024.] En outre, bien que les faits de chaque cas doivent être considérés, le comité a toujours souligné qu’une période de trois ans de limitation de la négociation collective en matière de rémunérations dans le cadre d’une politique de stabilisation économique constitue une restriction considérable et que la législation qui l’impose devrait cesser de produire ses effets au plus tard aux dates mentionnées dans la loi ou même avant en cas d’amélioration de la situation financière et économique. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 1025.] De plus, ayant par le passé considéré que la limitation de la négociation collective pour une période de trois ans et neuf mois était excessive (voir 330e rapport, cas no 2166, paragr. 293), le comité note que, en l’espèce, une augmentation de salaire inférieure à la dernière offre de l’employeur mais supérieure au taux d’inflation de l’époque aurait été imposée par ladite loi pour les années 2011, 2012, 2013 et 2014. Tout en notant que la loi en question sauvegarde le niveau de vie des travailleurs, le comité considère, dans le présent cas, que l’augmentation des salaires imposée par voie législative pendant une période de quatre ans restreint considérablement le champ de la négociation collective sur la rémunération et limite, de ce fait, l’autonomie des parties à la négociation. Le comité demande donc instamment au gouvernement d’encourager la négociation collective entre les parties sur les augmentations de salaire imposées unilatéralement par la loi, le cas échéant en recourant à la conciliation ou à l’arbitrage volontaire sous l’égide de personnes jouissant de la confiance des parties concernées. Le comité demande à être tenu informé des faits nouveaux à cet égard.
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344. Plus généralement, le comité accueille favorablement l’information selon laquelle le gouvernement a élargi l’offre de services préventifs de médiation et s’est engagé à contacter les parties pour leur proposer des services préventifs de médiation en temps opportun ainsi qu’un diagnostic de leurs besoins et un plan pour améliorer leurs relations, et espère que ces mesures tendant à promouvoir, d’une manière générale, la négociation collective entre les parties seront prochainement adoptées. Le comité demande à être tenu informé des faits nouveaux à cet égard.
Recommandations du comité
Recommandations du comité
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345. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité prie le gouvernement de mettre tout en œuvre à l’avenir pour éviter de recourir à la législation sur le retour au travail dans le secteur postal et de n’intervenir que pour veiller au respect de tout protocole d’accord sur le service minimum.
- b) Le comité prie instamment le gouvernement de faire des efforts supplémentaires afin de promouvoir la négociation collective entre les parties concernant l’augmentation des salaires imposée unilatéralement par voie législative, si nécessaire à l’aide d’une conciliation ou d’un arbitrage volontaire sous l’égide de personnes jouissant de la confiance des parties concernées. Le comité demande à être tenu informé des faits nouveaux à cet égard.
- c) Le comité accueille favorablement l’engagement pris par le gouvernement de contacter les parties pour mettre à leur disposition, en temps opportun, les services préventifs de médiation récemment élargis et leur proposer un diagnostic de leurs besoins et un plan pour améliorer leurs relations, et espère que ces mesures tendant à promouvoir d’une manière générale la négociation collective entre les parties seront prochainement adoptées. Le comité demande à être tenu informé des faits nouveaux à cet égard.