358. La plainte figure dans des communications en date du 6 juillet, 29 novembre 2010 et 3 mai 2011 de la Centrale syndicale du secteur public du Cameroun (CSP).
- 358. La plainte figure dans des communications en date du 6 juillet, 29 novembre 2010 et 3 mai 2011 de la Centrale syndicale du secteur public du Cameroun (CSP).
- 359. La Confédération des travailleurs unis du Cameroun (CTUC) a fait parvenir ses observations dans une communication datée du 7 mars 2011.
- 360. Le gouvernement a envoyé des observations partielles dans des communications en date du 15 février, 29 mars, 28 juin et 1er août 2011.
- 361. Le Cameroun a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante
- 362. Refus de reconnaître la CSP. Dans une communication en date du 6 juillet 2010, l’organisation plaignante indique que la CSP a été créée le 11 mars 2000. C’est la seule confédération sur les sept que compte le Cameroun en ce moment qui représente des employés dans la fonction publique. Cette centrale regroupe à ce jour 12 organisations syndicales de base sur les 17 existantes dans ce secteur et compte 60 018 membres appartenant à l’un ou l’autre de ses affiliés, soit 30 pour cent des effectifs de la fonction publique.
- 363. Après s’être constituée librement, l’organisation plaignante a déclaré son existence auprès des services de la préfecture du département du Mfoundi à Yaoundé, conformément aux dispositions réglementaires en vigueur au Cameroun (décret no 69/DF/7 du 6 janvier 1969 fixant les modalités d’application de la loi no 68/LF/19 du 18 novembre 1968 déterminant l’organisation et les conditions d’agrément des associations ou syndicats professionnels non régis par le Code du travail). Or les services de la préfecture n’ont pas délivré un récépissé de dépôt à la CSP, comme le prévoit la réglementation, et l’organisation plaignante n’a reçu aucune réaction officielle des autorités compétentes. Il a fallu des recherches plus incisives pour que la CSP, qui malgré tout s’était déjà imposée de fait, mette la main sur la copie de la lettre de transmission de sa déclaration d’existence au ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MINATD) par le préfet du Mfoundi. Malgré cela, le gouvernement refuse de reconnaître l’existence légale de la CSP.
- 364. L’organisation plaignante indique qu’elle se trouve de manière récurrente confrontée aux pouvoirs publics et aux forces de l’ordre qui n’ont cesse de perturber leurs activités, d’intimider et de persécuter les militants syndicaux, et que ces pratiques prennent de plus en plus d’ampleur et menacent la liberté syndicale au sein de la fonction publique.
- 365. L’organisation plaignante indique qu’elle est victime depuis sa création de discrimination antisyndicale de la part du ministère du Travail et de la Sécurité sociale (MINTSS). Non seulement cette centrale est à peine invitée aux réunions de concertation entre le gouvernement et les autres confédérations syndicales, mais elle a toujours été exclue de la délégation du Cameroun à la Conférence internationale du Travail qui se tient chaque année à Genève. Selon l’organisation plaignante, c’est le ministre du Travail en personne qui désigne les représentants des travailleurs qui participent à la Conférence internationale du Travail à Genève chaque année.
- 366. Manifestations du 1er mai. L’organisation plaignante ajoute que le gouvernement leur interdit chaque 1er mai d’organiser en toute autonomie, indépendance et liberté les manifestations liées à la célébration de la Journée internationale du travail. L’organisation des manifestations relatives à la célébration de la Fête internationale du travail au Cameroun est confisquée par le gouvernement qui ne permet aucune autre manifestation parallèle, même pas celles initiées par les organisations syndicales. Selon l’organisation plaignante, les pancartes revendicatives des salariés sont interdites et la participation au défilé est monnayée.
- 367. S’agissant du 1er mai 2009, après des tentatives engagées par le passé sur d’autres sites, la CSP a décidé de célébrer le 1er mai 2009 dans ses locaux à Mvog-Ada, quartier très fréquenté et populaire de Yaoundé et siège des institutions. Selon l’organisation plaignante, toutes les dispositions légales pour l’organisation d’une manifestation publique ont été prises. Il s’agit, comme le prévoit la loi, d’une lettre de déclaration de manifestation adressée au sous-préfet de Yaoundé V. Or, le 30 avril 2009, le sous-préfet a adressé à la CSP une lettre d’interdiction de la manifestation projetée stipulant: «J’ai l’honneur de vous faire connaître que ce meeting ainsi que le rallye motorisé par vos soins sont interdits au motif que la 123e édition de la Journée internationale du travail se célèbre à Yaoundé dans le cadre d’un meeting unique présidé par Monsieur le ministre du Travail et de la Sécurité sociale. C’est le seul cadre d’expression des centrales syndicales à l’occasion de cette célébration. Par conséquent, aucune manifestation publique parallèle ne saurait être autorisée.»
- 368. Malgré cette interdiction, non fondée selon l’organisation plaignante, la CSP continue les préparatifs, adopte un programme de manifestation et des dispositions pour le bon déroulement de la cérémonie. Ainsi, très tôt le matin du 1er mai, aux environs de 6 heures, le siège de la centrale est pris d’assaut par plus d’une centaine de policiers et de gendarmes armés; une dizaine d’officiers supérieurs coordonne l’opération et le sous-préfet veille au grain. L’entrée du siège est bloquée et on interdit l’entrée aux manifestants et responsables syndicaux. L’espace de manifestation (le stationnement de l’immeuble) est quadrillé. Les véhicules des hommes en uniforme bloquent la circulation aux alentours du siège. Plusieurs altercations avec les forces de l’ordre ont lieu. La confrontation durera jusqu’à 14 heures, le temps, d’après les autorités administratives, de laisser la manifestation officielle se dérouler sans concurrence.
- 369. S’agissant du 1er mai 2010, l’organisation plaignante indique que le scénario décrit précédemment s’est répété exactement de la même manière que l’année précédente. Cette fois, en réaction à la distribution d’un tract de la CSP appelant à la mobilisation des fonctionnaires le 1er mai 2010, le sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé V a réagi par une lettre d’interdiction datée du 26 avril 2010, et cela dans les mêmes termes que l’année précédente. Sans céder à la provocation, la CSP a déclaré sa manifestation le 27 avril 2010, conformément aux dispositions de la loi «sur les manifestations publiques» qui prescrivent un délai de 72 heures avant l’événement. Sans explications, les services du sous-préfet ont refusé de décharger la lettre de déclaration de ladite manifestation, en toute illégalité. Le 28 avril 2010, étant toujours dans les délais, la CSP a récidivé cette fois à travers notification-lettre de l’huissier. La réaction du sous-préfet a été immédiate. Par lettre datée du 26 avril 2010, le sous-préfet a accusé réception de la notification-lettre de l’huissier, datée elle du 28 avril 2010, et a réitéré l’interdiction de la manifestation publique indiquant l’irrespect des délais. Le 1er mai 2010, le même dispositif sécuritaire que le 1er mai 2009 a été mis en place dès 6 heures. Mêmes bras de fer et altercations iront jusqu’à 13 heures, moment où les syndicalistes exacerbés ont décidé d’occuper de force l’espace de manifestation à travers un sit-in. Les activités (sketches, chants et messages) programmées se sont déroulées dans des conditions pratiquement d’insurrection. Les artistes engagés et invités ont dû se débrouiller sans sonorisation, à cause de l’impossibilité de déployer la logistique générale prévue pour l’événement.
- 370. S’agissant du 1er mai 2011, l’organisation plaignante s’est à nouveau vu refuser l’organisation de ses propres activités par le sous-préfet invoquant à nouveau qu’«il ne saurait avoir dans la même ville à la même heure deux sites différents pour l’organisation de la même manifestation; toute chose qui n’est que de nature à troubler l’ordre public».
- 371. Grève et manifestation du 28 novembre 2007. L’organisation plaignante indique que, au cours du Conseil confédéral tenu à Yaoundé le 23 décembre 2006, pouvoir avait été donné au Bureau exécutif confédéral d’engager toute action nécessaire en vue de la revalorisation des salaires dans la fonction publique. C’est dans ce cadre et à ce titre que le Bureau exécutif confédéral, dans un premier temps, a siégé et décidé d’un arrêt de travail de 72 heures, qui devait être ponctué par un sit-in le 28 novembre 2007 devant l’Assemblée nationale siégeant en session ordinaire pour l’examen du budget 2008 du Cameroun. Pour ce faire, et dans le respect de la législation nationale en vigueur, un préavis de grève a été déposé auprès du gouvernement. Nonobstant ce préavis de grève, pour l’organisation du sit-in, la CSP a adressé au sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé III, qui est compétent sur le territoire où devait se dérouler la manifestation, une déclaration de manifestation publique en bonne et due forme. En réponse, le sous-préfet a émis un arrêté d’interdiction.
- 372. Le jour prévu, les manifestants se sont retrouvés face à des escouades des forces de police. Malgré la présence de cette force dissuasive, le regroupement de plus de 300 participants, à 11 heures précises, a engagé la manifestation. Cette manifestation a été violemment dispersée par les policiers qui ont chargé et frappé les manifestants à coups de matraque, faisant de nombreux blessés graves et légers. Toutes les pancartes ont été arrachées et déchirées. Le président de la CSP et des membres de son bureau exécutif ont été gardés à vue pendant plus de dix heures dans les locaux de la gendarmerie du Secrétariat d’Etat à la Défense, avant d’être libérés tard dans la soirée. L’organisation plaignante indique que, suite à cette manifestation, le MINTSS n’a eu de cesse de clamer que la CSP n’avait pas d’existence légale et que la manifestation publique de revendication d’une hausse des salaires dans la fonction publique était illégale, exposant par ce fait même les manifestants aux sanctions.
- 373. Grève et manifestation du 1er octobre 2010. En application d’une des résolutions de son deuxième Congrès ordinaire, tenu à Yaoundé les 25, 26 et 27 août 2010, un préavis de grève daté du 1er octobre 2010 a été adressé à Monsieur le Président de la République, sous le couvert de son Premier ministre. Ce préavis devait prendre effet du 11 au 13 novembre 2010, en cas de non-réaction du gouvernement.
- 374. Face au silence du gouvernement, un plan d’action fut adopté pour matérialiser le mot d’ordre de grève. L’organisation plaignante a ainsi organisé un sit-in pacifique devant les services du Premier ministre le 11 novembre 2010, de 10 heures à midi, sit-in au terme duquel un mémorandum devait être remis à l’attention du Président de la République.
- 375. En respect des procédures en vigueur en matière de manifestation publique, une déclaration à cet effet a été adressée au sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé III, autorité administrative de la circonscription territoriale du lieu de la manifestation. En réaction, ledit sous-préfet a répondu par une interdiction de manifestation datée du 8 novembre 2010 sous prétexte que le délai de déclaration était dépassé. Selon l’organisation plaignante, le délai n’était pas dépassé, du fait que le délai légal de déclaration est de 72 heures avant l’événement et que la déclaration de l’organisation plaignante avait été déposée le 5 novembre 2010, soit six jours avant le sit-in. L’interdiction du sous-préfet était donc non fondée.
- 376. Le 11 novembre 2010, jour de grève, les services du Premier ministre et tout l’espace administratif, un environnement de plus de 500 mètres à la ronde, furent quadrillés par plusieurs centaines de policiers et de gendarmes lourdement armés, perturbant les activités économiques et autres du secteur. Malgré ce dispositif, une dizaine de leaders syndicaux a réussi à s’infiltrer au cœur du dispositif et à se rapprocher des services du Premier ministre.
- 377. Vers 10 h 40, alors que les représentants syndicaux accordaient des entrevues aux journalistes, les forces de l’ordre ont décidé d’attaquer violemment les syndicalistes qui ont ensuite été embarqués et conduits manu militari dans les locaux du commissariat central no 1 de Yaoundé. Un journaliste et un militaire en civil ont aussi été arrêtés par inadvertance. Identifiés comme tels, ils ont été libérés. Sept syndicalistes, soit Bikoko Jean-Marc, président confédéral de la CSP, Phouet Foé Maurice, secrétaire général du SNAEF (affilié de la CSP), Mbassi Ondoa Thobie, directeur général de la FECASE (affilié de la CSP), Nla’a Eric, comptable de la CSP, Ze Joseph, secrétaire général du SNUIPEN (objet du cas no 2382), Felein Clause Charles, membre du SNUIPEN, et Nkili Effoa, membre du SNUIPEN, ont été arrêtés.
- 378. Après identification, ces sept syndicalistes ont été dépouillés de leurs téléphones portables et de leurs cartes nationales d’identité, et chacun a été confié à un enquêteur pour une séance d’audition qui a duré plus d’une heure. Après ces interrogatoires, en l’absence de leur avocat qui a été éconduit, ces syndicalistes ont été amenés dans une cellule collective délabrée avec d’autres détenus, sans toilettes ni eau, dans des conditions de déni du respect de la dignité humaine. Ils ont été détenus dans ces conditions du jeudi 11 novembre 2010 à 12 heures et quelques minutes au vendredi 12 novembre 2010 à 9 heures pour ensuite être menottés et transportés par la police vers le Cabinet du Procureur de la République. Après toute une journée d’attente, enfermés avec 50 autres personnes dans la chambre de sûreté du parquet dans de mauvaises conditions, ces syndicalistes ont été conduits devant le procureur vers 20 heures. C’est uniquement à ce moment que ce dernier leur a signifié le motif de leur accusation, soit «manifestation illégale et troubles à l’ordre public». Les syndicalistes n’ont pas reconnu les faits et ont alors été libérés vers 21 h 30 pour comparaître libres devant le juge le lundi 15 novembre 2010, dès 8 heures. C’est seulement le 13 novembre 2010, autour de 15 heures, qu’ils ont pu reprendre possession de leurs cartes d’identité et téléphones.
- 379. Le 15 novembre 2010, ces sept syndicalistes ont comparu libres devant le tribunal de première instance du Mfoundi, Yaoundé-administratif, et ont plaidé non coupables. A la demande de leur avocat qui voulait connaître le fond du dossier, l’affaire a été reportée au 20 décembre 2010, ensuite au 7 février 2011 puis au 21 mars 2011. En l’absence de juge à cette date, l’affaire a été renvoyée au 16 mai 2011.
- 380. Dans une communication en date du 7 mars 2011, la CTUC indique qu’il existe une dissonance législative ainsi qu’un dysfonctionnement entre les syndicats du secteur privé régis par le Code du travail relevant de la compétence du greffier des syndicats et ceux du secteur public régis par la loi no 68/LF/19 du 18 novembre 1968 et son décret d’application no 69/DF/7 du 6 janvier 1969 relevant de la compétence du MINATD, et réitère les observations plusieurs fois répétées des organisations syndicales des travailleurs du Cameroun au sujet de la nécessité d’abroger la loi no 68/LF/19 du 18 novembre 1968 et son décret d’application no 69/DF/7 du 6 janvier 1969 et la mise en conformité de la législation nationale, notamment par la révision du Code du travail et l’adoption d’une loi unique sur les syndicats, avec les normes internationales du travail de l’OIT.
- 381. Par ailleurs, la CTUC, prenant acte des notes d’interdiction des manifestations par les autorités administratives, regrette le caractère répressif des forces de maintien de l’ordre, les violences physiques et les arrestations arbitraires et souligne la différence entre une grève et une manifestation publique qui sont, selon elle, régies par des dispositions légales et réglementaires différentes.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 382. Dans une communication en date du 15 février 2011, le gouvernement indique, au sujet du sit-in pacifique du 11 novembre 2010 de la CSP devant la Primature, que la CSP est un syndicat qui n’a pas d’existence légale au Cameroun et, par-delà, quand bien même la CSP était reconnue comme un syndicat légal, le sit-in qu’elle a organisé n’a pas été autorisé par l’autorité administrative, car un arrêté préfectoral avait interdit toute manifestation publique à caractère revendicatif sur toute l’étendue du département du Mfoundi, et que c’est pour cette raison que les manifestants de la CSP ont été traduits devant la justice, pour manifestation illégale et troubles à l’ordre public. Le gouvernement souligne que, en vertu du principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire, il ne saurait s’immiscer dans cette affaire.
- 383. Le gouvernement ajoute que les forces de l’ordre ont effectivement dispersé les manifestants à la Primature et que les membres de la CSP ont été embarqués au commissariat central no 1 de Yaoundé, pour manifestation illégale et troubles à l’ordre public. Le gouvernement précise que l’affaire est pendante devant le tribunal de première instance du Mfoundi (Yaoundé-administratif) et que, par conséquent, le gouvernement doit surseoir à statuer jusqu’à ce que verdict soit rendu sur ce procès. Le gouvernement a réitéré sa position dans une communication en date du 28 juin 2011.
- 384. Dans une communication en date du 29 mars 2011, le gouvernement indique que la problématique de l’existence légale de la CSP sera évacuée avec la révision amorcée du Code du travail camerounais et l’adoption d’une loi sur les syndicats et que, par conséquent, l’interdiction de manifestations publiques qui frappe ce syndicat n’est que le corollaire de son inexistence légale. Le gouvernement a réitéré sa position dans une communication en date du 1er août 2011. Il a ajouté qu’un avant-projet de loi portant création et fonctionnement des organisations sociales était à l’étude par le ministère.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 385. Le comité rappelle que le présent cas porte sur des allégations de répression violente d’une grève pacifique par les forces de l’ordre, d’arrestation de dirigeants syndicaux, de refus des autorités de reconnaître l’existence de l’organisation plaignante, la CSP, ainsi que l’occupation de ses locaux par les forces de l’ordre pour l’empêcher de célébrer le 1er mai.
- 386. Le comité note qu’après s’être constituée librement en 2000 la CSP a déclaré son existence auprès des services de la préfecture du département du Mfoundi à Yaoundé, conformément aux dispositions réglementaires en vigueur. Les services de la préfecture n’ont pas délivré, comme le prévoit la réglementation, un récépissé de dépôt et la CSP n’a jamais officiellement reçu de réponse à sa demande d’agrément.
- 387. Le comité note que, selon le gouvernement, la problématique de l’existence légale de la CSP sera évacuée avec la révision amorcée du Code du travail et l’adoption d’une loi sur les syndicats. Le comité note toutefois que, selon la CSP, bien que des travaux préliminaires relatifs à la révision du Code du travail aient connu un début de discussion, sans raison officielle et depuis plusieurs années, il n’y aurait plus aucune discussion. En ce qui concerne la loi sur les syndicats, selon la CSP, il n’y aurait tout simplement jamais eu de discussion et aucun signe ne permet de voir une volonté de la part du gouvernement de faire évoluer la situation.
- 388. Le comité note également que, depuis de nombreuses années, la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations prie le gouvernement de prendre les mesures qui s’imposent en vue de modifier la loi no 68/LF/19 du 18 novembre 1968 qui soumet l’existence juridique d’un syndicat ou d’une association professionnelle de fonctionnaires à l’agrément préalable du ministre en charge de l’administration territoriale, ainsi que de modifier l’article 6(2) du Code du travail de 1992 qui dispose que les promoteurs d’un syndicat non encore enregistré qui se comporteraient comme si ledit syndicat avait été enregistré sont passibles de poursuites judiciaires et l’article 166 du code qui prévoit de lourdes amendes contre les membres d’un syndicat auteurs de cette infraction. Concernant ce dernier point, la commission avait noté que le gouvernement avait fait savoir que le projet de loi modifiant et complémentant certaines dispositions du code avait été adopté par la Commission nationale consultative du travail et qu’il impliquait la disparition des peines et/ou amendes en cas de violation de la loi. Le comité rappelle que les fonctionnaires doivent bénéficier, comme tous les travailleurs, sans distinction d’aucune sorte, du droit de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier, sans autorisation préalable, afin de promouvoir et de défendre leurs intérêts. Ainsi, une disposition législative prévoyant que le droit d’association est soumis à une autorisation donnée d’une manière purement discrétionnaire par un département ministériel est incompatible avec le principe de la liberté syndicale. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 219 et 273.] Le comité prie instamment le gouvernement, en consultation avec les organisations de travailleurs et d’employeurs les plus représentatives, d’accélérer le processus de réforme de la législation, en s’assurant qu’il garantit pleinement le respect des principes de la liberté syndicale des fonctionnaires publics, et il s’attend à ce que, dans un avenir très proche, la CSP puisse représenter légalement ses membres avec tous les droits qui en découlent. Le comité prie instamment le gouvernement de le tenir informé de l’état de cette réforme et de lui communiquer dans les plus brefs délais les mesures concrètes prises à cette fin. Le comité invite le gouvernement à se prévaloir à cet effet de l’assistance technique du Bureau.
- 389. D’une manière générale, le comité rappelle que l’autorisation administrative de tenir des réunions et manifestations publiques n’est pas en soi une exigence abusive du point de vue des principes de la liberté syndicale. Le maintien de l’ordre public n’est pas incompatible avec le droit de manifestation dès lors que les autorités qui l’exercent peuvent s’entendre avec les organisateurs de la manifestation sur les lieux de celle-ci et les conditions dans lesquelles elle est appelée à se dérouler. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 141.] S’agissant de la célébration de la Fête internationale du 1er mai, le comité note que l’organisation plaignante indique que le gouvernement leur interdit, au 1er mai de chaque année, d’organiser en toute autonomie, indépendance et liberté les manifestations liées à la célébration de la Journée internationale du travail et que l’organisation des manifestations relatives à la célébration de la Fête internationale du travail est confisquée par le gouvernement, qui ne permet aucune autre manifestation parallèle. Plus précisément, le comité note qu’à au moins trois reprises, soit les 1er mai 2009, 2010 et 2011, la CSP s’est vue interdite d’organiser une manifestation publique à son siège malgré sa déclaration de manifestation émise conformément aux dispositions de la loi et au motif que «la Journée internationale du travail se célèbre à Yaoundé dans le cadre d’un meeting unique présidé par le ministre du Travail et de la Sécurité sociale et qu’il s’agit du seul cadre d’expression des centrales syndicales à l’occasion de cette célébration». Organisant tout de même les célébrations, son siège a été pris d’assaut par la police et l’entrée a été bloquée aux manifestants et responsables syndicaux. Le comité note que, selon le gouvernement, l’interdiction de manifestations publiques qui frappe ce syndicat n’est que le corollaire de son inexistence légale et que cela sera réglé par la révision amorcée du Code du travail camerounais et l’adoption d’une loi sur les syndicats.
- 390. Le comité considère que l’inexistence légale de la CSP due à des manquements dans le cadre législatif national et l’absence de réponse du gouvernement à sa demande de constitution sous la loi no 68/LF/19 du 18 novembre 1968 ne devraient pas mettre en péril les garanties des droits fondamentaux de la liberté syndicale. Le comité rappelle que l’adhésion d’un Etat à l’OIT lui impose de respecter dans sa législation les principes de la liberté syndicale et les conventions qu’il a librement ratifiées, en l’occurrence les conventions nos 87, 98 et 135. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 16.] Le comité note d’ailleurs que la loi no 96-06 du 18 janvier 1996 portant Constitution de la République du Cameroun, en son préambule, prévoit: «Le peuple camerounais affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations Unies, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et toutes les convention internationales y relatives dûment ratifiées et notamment aux principes suivants (…): la liberté de communication, la liberté de presse, la liberté de réunion, la liberté d’association, la liberté syndicale et le droit de grève sont garantis dans les conditions fixées par la loi», et que son article 45 spécifie expressément que «les traités ou accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité suprême à celle des lois nationales».
- 391. Le comité rappelle que le droit d’organiser des réunions publiques et des cortèges à l’occasion du 1er mai constitue un aspect important des droits syndicaux. La tenue de réunions publiques et la présentation de revendications d’ordre social et économique à l’occasion du 1er mai sont des manifestations traditionnelles de l’action syndicale. Les syndicats devraient avoir le droit d’organiser librement les réunions qu’ils désirent pour célébrer le 1er mai, pourvu qu’ils respectent les dispositions prises par les autorités pour assurer l’ordre public. Il ne faut pas non plus que l’autorisation de tenir des réunions et des manifestations publiques, ce qui constitue un droit syndical important, soit arbitrairement refusée. Enfin, l’inviolabilité des locaux et des biens syndicaux constitue l’une des libertés civiles essentielles pour l’exercice des droits syndicaux, et l’accès des membres d’un syndicat aux locaux de leur organisation ne devrait pas être restreint par les autorités de l’Etat. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 136, 137, 142, 178 et 192.] Le comité prie le gouvernement de s’assurer à l’avenir du plein respect de ces principes et s’attend à ce que la nouvelle législation garantisse pleinement le respect de ces principes.
- 392. S’agissant de l’organisation de grèves, de manifestations publiques et de l’arrestation des dirigeants syndicaux, le comité note que l’organisation plaignante a organisé une première grève ponctuée d’un sit-in le 28 novembre 2007 devant l’Assemblée nationale siégeant en session ordinaire pour l’examen du budget 2008 du Cameroun. Pour ce faire, et dans le respect de la législation nationale en vigueur, un préavis de grève a été déposé auprès du gouvernement. Nonobstant ce préavis de grève, la CSP a adressé au sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé III, compétent pour ce territoire, une déclaration de manifestation publique en bonne et due forme. En réponse, le sous-préfet a émis un arrêté d’interdiction. Le jour prévu, la manifestation pacifique a été violemment dispersée par les policiers qui ont chargé et frappé les manifestants à coups de matraque, faisant de nombreux blessés, dont plusieurs blessés graves. Le comité note aussi que le président de la CSP ainsi que des membres de son bureau exécutif ont été gardés à vue pendant plus de dix heures dans les locaux du Secrétariat d’Etat à la Défense, avant d’être libérés tard dans la soirée.
- 393. Le comité note qu’environ trois ans plus tard, soit le 11 novembre 2010, une nouvelle grève, à nouveau ponctuée d’un sit-in au terme duquel un mémorandum devait être remis à l’attention du Président de la République, a été votée et organisée par la CSP. Un préavis de grève avait au préalable été adressé le 1er octobre 2010 au Président de la République, sous le couvert de son Premier ministre. A nouveau, une déclaration de manifestation a été adressée dans le délai légal de déclaration à l’autorité administrative de la circonscription territoriale du lieu de la manifestation. A nouveau, le sous-préfet a répondu par une interdiction de manifestation.
- 394. Le jour prévu, la manifestation pacifique a de nouveau été violemment dispersée par les forces de l’ordre, et les syndicalistes ont été embarqués et conduits manu militari dans les locaux du commissariat central no 1 de Yaoundé. Sept syndicalistes, soit Bikoko Jean-Marc, président confédéral de la CSP, Phouet Foé Maurice, secrétaire général du SNAEF (affilié de la CSP), Mbassi Ondoa Thobie, directeur général de la FECASE (affilié de la CSP), Nla’a Eric, comptable de la CSP, Ze Joseph, secrétaire général du SNUIPEN (objet du cas no 2382), Felein Clause Charles, membre du SNUIPEN, et Nkili Effoa, membre du SNUIPEN, ont été arrêtés, interrogés et détenus pendant plus de 24 heures dans de très mauvaises conditions. Ils ont pu reprendre possession de leurs cartes d’identité et affaires personnelles le 13 novembre. Le comité note que ces sept syndicalistes ont comparu devant le tribunal de première instance du Mfoundi, Yaoundé-administratif, le 15 novembre 2010, ont plaidé non coupables et que l’affaire a alors été renvoyée au 20 décembre 2010, ensuite au 7 février 2011 puis au 21 mars 2011. En l’absence du juge à cette date, l’affaire a été renvoyée au 16 mai 2011. Le comité observe qu’aucune nouvelle information sur la saisine de cette affaire n’a été portée à son attention.
- 395. A ce sujet, le comité note que, dans sa réponse, le gouvernement se borne à répéter que la CSP est un syndicat qui n’a pas d’existence légale au Cameroun et que le sit-in qu’elle a organisé le 11 novembre 2010 était illégal puisqu’il n’avait pas reçu l’autorisation des autorités. C’est pour cette raison que les manifestants de la CSP on été traduits devant la justice, pour manifestation illégale et troubles à l’ordre public. Le gouvernement précise que l’affaire est toujours pendante devant le tribunal de première instance du Mfoundi (Yaoundé-administratif) et que, par conséquent, il doit surseoir à statuer jusqu’à ce que verdict soit rendu dans cette affaire. Le comité rappelle que, d’une manière générale, le recours à la force publique dans les manifestations syndicales devrait être limité aux cas réellement nécessaires. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 150.] Le comité rappelle en outre que les autorités ne devraient pas recourir aux mesures d’arrestation et d’emprisonnement en cas d’organisation ou de participation à une grève pacifique, et de telles mesures comportent de graves risques d’abus et de sérieux dangers pour la liberté syndicale. Nul ne devrait être privé de liberté ni faire l’objet de sanctions pénales pour le simple fait d’avoir organisé une grève pacifique ou d’y avoir participé. De plus, l’arrestation et la condamnation de syndicalistes à des peines de prison sévères pour des motifs de «perturbation de l’ordre public» pourraient permettre, vu le caractère général du chef d’inculpation, de réprimer des activités de nature syndicale. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 93, 671 et 672.] Le comité prie le gouvernement de respecter les manifestations ayant un objet syndical et de garantir que ce type de manifestation puisse se dérouler à l’avenir. Notant que l’affaire concernant les sept syndicalistes arrêtés lors du sit-in du 11 novembre 2010 est toujours pendante devant le tribunal de première instance du Mfoundi (Yaoundé-administratif), le comité s’attend à ce que cette affaire soit résolue rapidement. Il prie le gouvernement de le tenir informé de la suite donnée à cette affaire et de communiquer une copie de toutes les décisions judiciaires qui auront été rendues.
- 396. S’agissant des allégations d’intervention violente des forces policières lors des manifestations, le comité rappelle que les autorités ne devraient avoir recours à la force publique que dans des situations où l’ordre public serait sérieusement menacé. L’intervention de la force publique devrait rester proportionnée à la menace pour l’ordre public qu’il convient de contrôler, et les gouvernements devraient prendre des dispositions pour que les autorités compétentes reçoivent des instructions appropriées en vue d’éliminer le danger qu’impliquent les excès de violence lorsqu’il s’agit de contrôler des manifestations qui pourraient troubler l’ordre public. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 140.] Le comité prie le gouvernement de diligenter une enquête à cet égard et de donner des instructions afin de prévenir la répétition de telles actions.
- 397. Le comité rappelle qu’au cours de leur détention les syndicalistes, comme toute autre personne, devraient bénéficier des garanties prévues dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, selon lequel toute personne privée de liberté doit être traitée avec humanité et avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine. [Voir Recueil, paragr. 54.] En ce qui concerne les conditions de détention et les mauvais traitements allégués par la CSP, le comité prie le gouvernement d’indiquer si une enquête indépendante a été effectuée à cet effet afin d’éclaircir les faits, déterminer les responsabilités, sanctionner les coupables et prévenir la répétition de telles actions.
- 398. Enfin, le comité note que la CSP serait à peine invitée aux réunions de concertation entre le gouvernement et les autres confédérations syndicales et aurait toujours été exclue de la délégation du Cameroun à la Conférence internationale du Travail qui se tient chaque année à Genève. Selon l’organisation plaignante, ce serait le ministre du Travail en personne qui désigne les représentants des travailleurs qui participent à la Conférence internationale du Travail à Genève chaque année. Tout en rappelant que la question de la représentation à la Conférence relève de la compétence de la Commission de vérification des pouvoirs de la Conférence, le comité réaffirme l’importance particulière qu’il attache au droit des représentants des organisations de travailleurs comme à celui des organisations d’employeurs d’assister et de participer aux réunions de l’OIT. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 766.] Il s’attend à ce que le gouvernement consulte la CSP sur des sujets touchant les intérêts de ses membres et prie instamment le gouvernement de fournir ses observations à cet égard.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 399. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité prie instamment le gouvernement, en consultation avec les organisations de travailleurs et d’employeurs les plus représentatives, d’accélérer le processus de réforme de la législation, en s’assurant qu’il garantit pleinement le respect des principes de la liberté syndicale des fonctionnaires publics, et il s’attend à ce que, dans un avenir très proche, la CSP puisse représenter légalement ses membres avec tous les droits qui en découlent. Le comité prie instamment le gouvernement de le tenir informé de l’état de cette réforme et de lui communiquer dans les plus brefs délais les mesures concrètes prises à cette fin. Le comité invite le gouvernement à se prévaloir à cet effet de l’assistance technique du Bureau.
- b) Estimant que le gouvernement n’a pas respecté de façon appropriée le droit à manifester pour célébrer le 1er mai, le comité prie le gouvernement de respecter à l’avenir les principes mentionnés dans les conclusions et s’attend à ce que la nouvelle législation garantisse pleinement le respect de ces principes.
- c) Le comité prie le gouvernement de respecter les manifestations ayant un objet syndical et de garantir que ce type de manifestation puisse se dérouler à l’avenir. Notant que l’affaire concernant les sept syndicalistes arrêtés lors du sit-in du 11 novembre 2010 est toujours pendante devant le tribunal de première instance du Mfoundi (Yaoundé-administratif), le comité s’attend à ce que cette affaire soit résolue rapidement. Il prie le gouvernement de le tenir informé de la suite donnée à cette affaire et de communiquer une copie de toutes les décisions judiciaires qui auront été rendues. S’agissant des allégations d’intervention violente des forces policières lors de la grève, le comité prie le gouvernement de diligenter une enquête à cet égard et de donner des instructions afin de prévenir la répétition de telles actions.
- d) En ce qui concerne les conditions de détention et les mauvais traitements allégués par la CSP, le comité prie le gouvernement d’indiquer si une enquête indépendante a été effectuée à cet effet afin d’éclaircir les faits, déterminer les responsabilités, sanctionner les coupables et prévenir la répétition de telles actions.
- e) Tout en rappelant que la question de la représentation à la Conférence relève de la compétence de la Commission de vérification des pouvoirs de la Conférence, le comité réaffirme l’importance particulière qu’il attache au droit des représentants des organisations de travailleurs comme à celui des organisations d’employeurs d’assister et de participer aux réunions de l’OIT. Il s’attend à ce que le gouvernement consulte la CSP sur des sujets touchant les intérêts de ses membres et prie instamment le gouvernement de fournir ses observations à cet égard.