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- 1037. La plainte figure dans une communication de la Fédération internationale des travailleurs des transports (FITT) et de la Fédération des marins grecs (PNO) datée du 12 juillet 2006. Dans une communication datée du 11 août 2006, la Confédération générale grecque du travail (GSEE) s’est associée à la plainte et a formulé des allégations supplémentaires.
- 1038. Le gouvernement a répondu dans des communications datées du 14 septembre et du 30 octobre 2006.
- 1039. La Grèce a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 1040. Dans leur communication conjointe du 12 juillet 2006, la FITT et la PNO, qui y est affiliée et qui se situe au plus haut niveau hiérarchique de l’organisation syndicale grecque des gens de mer avec 14 syndicats affiliés, ont indiqué que le conseil exécutif de la PNO (qui est dans l’ordre hiérarchique le troisième organe constitutionnel de la fédération après le conseil général et le congrès) a décidé, au cours de sa réunion du 1er février 2006, et en application de la décision du conseil général de la PNO du 16 décembre 2005: i) de publier un communiqué de presse indiquant l’intention de la PNO de lancer des grèves tournantes le 16 février 2006 pour appuyer les revendications exprimées depuis longtemps sur des questions relatives à l’emploi et à la sécurité sociale; ii) d’écrire au ministère de la Marine marchande et à ses services ainsi qu’aux organisations d’employeurs et de travailleurs pour notifier le début et la durée de la grève en indiquant la possibilité d’une escalade de celle-ci. Les revendications de la PNO portaient notamment sur la nécessité: d’assurer le droit, sauvegardé par la Constitution, au travail et à l’intégration immédiate de tous les marins au chômage; d’équiper en personnel les navires côtiers de passagers pour des périodes de dix mois; d’abroger les lois dites «lois d’approbation» de l’immatriculation des navires; de doubler les prestations du Fonds de prévoyance des officiers et des matelots; de créer un fonds spécial indépendant de chômage; d’accorder aux gens de mer grecs (officiers et matelots) des exonérations par rapport à l’impôt sur le revenu ou tout au moins de rétablir le régime spécial d’imposition des gens de mer grecs (loi no 3323/55) et d’abroger la loi no 2214/94 concernant aussi bien les marins en activité que les marins retraités; de compenser à partir du budget de l’Etat tous les déficits du Fonds de retraite des gens de mer (NAT) en vue d’assurer le paiement des pensions principales accordées par le NAT ainsi que le paiement des prestations du Fonds de prévoyance des officiers et des matelots et des pensions complémentaires; d’engager des négociations collectives avec effet immédiat en vue de la conclusion de conventions nationales collectives pour 2006 conformément aux réclamations de la PNO en matière de rémunérations; et de retirer immédiatement le projet de loi sur «l’amélioration et la restructuration de l’enseignement maritime et autres dispositions».
- 1041. Une fois ces revendications présentées et les délais expirés conformément à la législation grecque pertinente, le conseil exécutif de la PNO s’est réuni le 1er février 2006 et a décidé au scrutin secret de lancer une grève d’avertissement de 48 heures sur toutes les catégories de navires à partir du jeudi, 16 février 2006 à 6 heures du matin, jusqu’au samedi, 18 février à 6 heures du matin, avec la possibilité d’une escalade de la grève. Une réunion s’est tenue le 16 février 2006, entre le ministre de la Marine marchande et le conseil exécutif de la PNO, laquelle a confirmé en principe la position négative et défavorable du ministère par rapport aux revendications de la fédération. Par décision du conseil exécutif de la PNO, la grève a été reconduite du 18 au 20 février 2006 et ensuite du 20 au 22 février 2006. Dans une requête déposée le 20 février 2006 devant le tribunal de première instance du Pirée (procédure de mesures d’injonction provisoire), l’Association des navires côtiers de passagers a prétendu que la grève était illégale et abusive et a demandé au tribunal de l’interdire ou de la suspendre. Le tribunal a rejeté cette requête.
- 1042. Le 21 février 2006, le Premier ministre, sur proposition du ministre de la Marine marchande, a proclamé «l’ordre de mobilisation civile» (réquisition des services des travailleurs) des gens de mer grecs, lequel a pris effet le 22 février 2006 à 6 heures du matin jusqu’à nouvel ordre (c’est-à-dire pour une période indéterminée), et s’applique aux équipages des navires de passagers et de marchandises de la marine marchande. La grève s’est poursuivie pendant 36 heures, en dépit de l’ordre de mobilisation civile, et le conseil exécutif de la PNO a décidé, le jeudi 23 février 2006, de suspendre la grève à partir de 18 heures ce jour.
- 1043. Selon les organisations plaignantes, l’ordre de mobilisation civile du gouvernement constitue en évidence une violation de la convention no 87 ratifiée par la Grèce, ainsi que d’autres dispositions, nationales, de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe qui prévoient l’exercice de la liberté syndicale, à l’abri de toute entrave. Il représente également une atteinte au droit à la liberté personnelle reconnu à l’article 5 de la Constitution grecque et est contraire à la convention du travail maritime de l’OIT, 2006. Les organisations plaignantes rappellent également le cas no 2212, examiné par le comité en mars 2003 (330e rapport), lequel concernait les mêmes parties et portait sur des faits similaires. Les organisations plaignantes ont mis l’accent sur le fait que le comité avait notamment souligné, dans ses recommandations, que «l’adoption de mesures unilatérales n’est pas de nature à favoriser le développement de relations professionnelles harmonieuses et que ces mesures sont contraires aux conventions nos 87 et 98» et avait prié le gouvernement «de ne pas recourir à de telles mesures à l’avenir». Enfin, les organisations plaignantes rappellent que, selon le comité, les transports ne constituent pas un service essentiel au sens strict du terme et que le droit de grève dans ce secteur ne devrait donc pas être interdit. Elles concluent en notant qu’à ce jour l’ordre de mobilisation civile était toujours en vigueur.
- 1044. Dans sa communication du 11 août 2006, la GSEE s’est associée à la plainte et a ajouté qu’au cours des 32 dernières années les gouvernements en Grèce, sans avoir épuisé les mesures et les procédures plus adaptées, ont recouru à la mobilisation civile qui, sous la menace de sanctions sévères, obligeait les travailleurs à mettre fin à une grève et à réintégrer leur travail. La base légale de la mobilisation civile des travailleurs en grève était le décret législatif (DL) 17/1974 sur «l’organisation de l’urgence civile» dont la validité était contestée par l’écrasante majorité des juristes du pays. Le DL 17/1974 a été adopté en septembre 1974, quelques semaines après la chute de la dictature militaire de sept ans en Grèce (1967-1974), avant les élections parlementaires et avant l’adoption de la Constitution de 1975 actuellement en vigueur. Dans une période de transition en Grèce entre un régime dictatorial autoritaire et la démocratie, le DL 17/1974 visait à réglementer des questions cruciales d’une extrême urgence. Cependant, ce DL n’autorisait le recours à l’état d’urgence que dans les cas «d’évènements naturels ou autres, technologiques ou liés à une guerre qui entraînent ou risquent d’entraîner des pertes ou des dommages importants ou la destruction des ressources humaines et matérielles du pays ou d’entraver ou de perturber la vie sociale et économique du pays». Vu que le DL 17/1974 ne mentionne pas la grève comme une cause de perturbation de la vie sociale et économique, comme le gouvernement – et les gouvernements antérieurs – le prétend, la mobilisation civile imposée aux travailleurs grévistes, en l’occurrence les travailleurs maritimes, est injustifiée et non fondée. Par ailleurs, l’adoption du DL 17/1974 a été suivie par la promulgation de la Constitution grecque en juin 1975. Le droit de grève a été pour la première fois reconnu à l’article 23 de la Constitution. La réquisition des services personnels était autorisée, de manière exceptionnelle, en cas de guerre ou de conscription, pour répondre aux besoins de défense du pays, dans les cas de nécessité sociale résultant de catastrophes naturelles ou dans des situations susceptibles de mettre en danger la santé publique (art. 22, paragr. 4). Les gouvernements en Grèce ont depuis eu recours à la mobilisation civile en vue de mettre un terme à des grèves «agaçantes», en invoquant l’article 22, paragraphe 4, de la Constitution, même lorsque les conditions préalablement nécessaires à une telle mobilisation n’étaient pas remplies et que la mobilisation civile (réquisition des services personnels) des grévistes ne pouvait être admise. Une grève ne peut, en tant que telle, être assimilée à un cas d’urgence, même si un tribunal l’a déclarée illégale et abusive. D’ailleurs, la grève lancée par la PNO a été déclarée légale par le tribunal de première instance du Pirée (décision 1701/2006). Celle-ci représente une décision exceptionnelle dans les annales judiciaires grecques car, dans leur écrasante majorité, les grèves étaient déclarées illégales et/ou abusives par les tribunaux.
- 1045. Les organisations plaignantes ajoutent que l’ordre de mobilisation civile – destiné aux marins et membres d’équipage de tous les navires battant pavillon grec, comprenant les navires de passagers, les navires de transport et les transbordeurs – a été proclamé le 22 février 2006 et, dans l’attente d’une nouvelle décision devant régir cette question, son application s’est prolongée indéfiniment et il était toujours en vigueur au moment du dépôt de la plainte. Cinq mois représentent une longue période que ne justifie pas une situation d’urgence nationale (par exemple risques pour la santé publique, particulièrement dans les îles). Les organisations plaignantes reconnaissent qu’en Grèce, pays comprenant un grand nombre d’îles habitées, le transport maritime joue un rôle important dans le fonctionnement régulier de la vie sociale et économique des habitants des îles. Cependant, étant donné que d’importants travaux d’infrastructure ont été entrepris et que d’autres moyens de transport ont été établis (par exemple plusieurs aéroports dans les îles) pour fournir de manière régulière aux insulaires produits alimentaires et soins de santé, l’interdiction de la grève et la réintégration obligatoire des marins dans leur travail constituent une violation de leurs droits fondamentaux manifestement disproportionnée. Il était donc évident que, sous la menace de sanctions et par l’imposition de la conscription civile, les gens de mer n’étaient pas en mesure d’exercer de manière effective le droit de négocier collectivement avec leurs employeurs et qu’il a été sérieusement porté atteinte à leur droit à la liberté syndicale.
- B. Réponse du gouvernement
- 1046. Dans une communication datée du 14 septembre 2006, le gouvernement indique que les principes, droits et prescriptions établis dans les conventions nos 87 et 98, ratifiées par la Grèce, sont exprimés dans la Constitution de la Grèce qui comporte également un principe démocratique fondamental selon lequel «tous les individus ont le droit de développer librement leur personnalité et de participer à la vie sociale, économique et politique du pays, dans la mesure où ils ne portent pas atteinte aux droits des autres et n’enfreignent pas la Constitution ou les valeurs morales» (art. 5, paragr. 1). De tels droits comprennent le droit à la protection de la santé (art. 5, paragr. 5, de la Constitution) lequel, comme tous les autres droits de la personne, en tant qu’individu ou membre de la société, est sauvegardé par l’Etat (art. 25, paragr. 1, de la Constitution). Ce dernier est habilité à exiger de tous les citoyens d’accomplir leur devoir de solidarité sociale et nationale (art. 25, paragr. 4, de la Constitution). Il est généralement reconnu que la possession et l’exercice d’un droit n’impliquent pas qu’on soit déchargé des obligations fondamentales, la Constitution de la Grèce rejetant l’exercice abusif d’un droit. Comme détaillé plus loin, la décision du gouvernement de recourir à la mobilisation civile des gens de mer a exclusivement pour objectif et effet la protection de la santé publique, aux fins de laquelle la Constitution prévoit la réquisition des services personnels.
- 1047. Compte tenu des antécédents du cas, le gouvernement indique que la PNO a appelé par écrit à une grève d’avertissement de 48 heures des gens de mer dans toute la Grèce sur toutes les catégories de navires, à partir du 16 février 2006 à 6 heures du matin jusqu’au 18 février à 6 heures du matin, avec possibilité d’une escalade. Au cours de cette grève, la PNO a annoncé, par des documents successifs, la reconduction de la grève du 18 au 20 février 2006, puis du 20 au 22 février 2006, et enfin du 22 au 24 février 2006.
- 1048. Selon le gouvernement, le Premier ministre a proclamé, en vertu de la décision no Y180/21-02-2006 édictée conformément à la loi, l’ordre de mobilisation civile applicable à tous les équipages des navires de passagers et de marchandises de la marine marchande. Par la décision no Y181/21-02-2006 prise conformément à la loi, le Premier ministre a autorisé le ministre de la Marine marchande à ordonner la mobilisation civile générale des équipages des navires de passagers et de marchandises de la marine marchande et à prendre toute autre mesure nécessaire en vue d’assurer le fonctionnement régulier de la vie sociale et économique du pays et de prévenir les risques en matière de santé des insulaires qui sont isolés. En vertu de la décision no 39/21-02-2006, prise conformément à la loi, le ministre de la Marine marchande a ordonné la mobilisation civile générale des membres d’équipage sur les navires de passagers et de marchandises de la marine marchande; la mobilisation civile a pris effet le 22 février 2006.
- 1049. En ce qui concerne les motifs de ces décisions, le gouvernement indique que, comme tout le monde le sait, la Grèce possède un grand nombre d’îles habitées. Le déroulement harmonieux et ordonné de la vie insulaire est directement, et sur certaines îles, indiscutablement, lié au transport maritime et ce, quelle que soit la saison. Les navires marchands sont les principaux et, dans certains cas, les seuls moyens de transport des produits alimentaires, de l’eau, des produits pharmaceutiques et autres articles tels que les carburants, dont le manque représente un risque pour la santé publique et entraîne d’autres effets sociaux négatifs. En outre, les navires marchands contribuent de manière importante au transport des patients et du personnel médical vers les centres de soins primaires et secondaires du système national de santé dans les îles. Le recours à ce type de transport est quasi quotidien aussi bien entre les îles qu’entre celles-ci et le continent. Avant l’adoption des décisions en question, aucun transport maritime n’a été assuré pendant presque six jours, avec ce que cela comporte de conséquences et de risques évidents pour la santé publique. Le gouvernement avait, avant d’adopter et de mettre en œuvre ses décisions, reçu des informations à propos de nombreux cas de pénurie de produits de première nécessité et de produits pharmaceutiques dans les îles. Le gouvernement joint copies de neuf lettres envoyées par divers organismes de l’administration publique centrale et locale, ainsi que d’organismes fournissant des soins médicaux et d’associations privées, lesquelles signalaient une pénurie de produits de première nécessité et l’incapacité de fournir les soins médicaux.
- 1050. Le gouvernement souligne qu’aussitôt que la PNO eut annoncé sa décision de recourir à la grève: i) le ministre de la Marine marchande s’est réuni avec les représentants de la PNO et a engagé avec eux des discussions au sujet des revendications de leur fédération qui avaient été à l’origine de la grève; ii) le 16 février 2006, le ministre de la Marine marchande a transmis au secrétaire général de la PNO une lettre présentant en détail la position du ministère au sujet des revendications de la PNO et demandant que les membres de la PNO et les syndicats de gens de mer en soient informés; iii) les ministères de l’Economie, des Finances et de la Marine marchande ont publié un communiqué de presse au sujet de leur examen conjoint des revendications économiques de la PNO; iv) le 21 février 2006, le ministre de la Marine marchande a invité les représentants de la PNO à des discussions sur les revendications des gens de mer. Il a aussi demandé à la PNO de prévoir le personnel nécessaire pour assurer un service minimum, de manière que les navires puissent reprendre la mer afin de répondre aux besoins fondamentaux des insulaires et, en particulier, des personnes appartenant aux groupes sociaux vulnérables; la PNO n’a pas répondu de manière positive à l’invitation du ministre. Le gouvernement joint copies des communiqués de presse et de la correspondance du ministre. Le gouvernement ajoute que la législation nationale applicable prévoit qu’au cours d’une grève lancée par des travailleurs fournissant des services d’importance vitale – le transport maritime des personnes étant expressément défini comme service d’importance vitale en raison des caractéristiques géographiques particulières de la Grèce –, et afin de répondre aux besoins de la société, l’organisation syndicale concernée doit prévoir le personnel nécessaire pour assurer un service minimum, en vue de répondre à l’urgence ou aux besoins fondamentaux de la société. Le gouvernement souligne qu’aucun service minimum n’a été prévu.
- 1051. En résumé, le gouvernement affirme qu’il a recherché toutes sortes de dialogue avec la PNO qui a finalement rejeté toutes les initiatives du gouvernement; c’est pour cette raison que le gouvernement a pris la décision de rechercher des solutions aux troubles sérieux affectant la vie sociale du pays et de mettre fin à la menace directe pesant sur la santé des insulaires du fait de la pénurie de produits alimentaires, de carburants, de médicaments et d’articles de première nécessité, causée par l’interruption du transport entre les îles et la Grèce continentale en raison de la grève des gens de mer.
- 1052. Le gouvernement estime que les décisions concernées sont tout à fait légales et conformes à la Constitution, et ne peuvent en aucun cas être considérées comme contraires aux obligations qui incombent au pays du fait de la ratification des conventions nos 87 et 98. L’usage excessif du droit de grève par les travailleurs dans le transport maritime (compte tenu de ses conséquences préjudiciables sur une large catégorie de la population vivant dans les îles grecques, et notamment les hommes, les femmes, les personnes âgées, les enfants et un grand nombre de travailleurs) entraîne une grave perturbation de la vie sociale du pays, menaçant la sécurité et la santé des insulaires et notamment des personnes engagées dans d’autres domaines de l’activité économique dans les sociétés locales.
- 1053. En ce qui concerne les recommandations formulées par le comité dans le cas no 2212 qui sont citées en partie par les organisations plaignantes, le gouvernement souligne que, dans ses recommandations, le comité note également que «la mise en œuvre d’un service minimum dans les circonstances particulières de ce cas ne serait pas contraire aux principes de la liberté syndicale». Ainsi, compte tenu de la situation géographique de la Grèce et notamment du fait que la Grèce comporte un grand nombre d’îles et que les insulaires dépendent de plus en plus du fonctionnement régulier du transport maritime, il est évident que dans ce cas le gouvernement, en voulant garantir un service minimum dans le transport maritime, n’a pas enfreint les principes de la liberté syndicale. Le gouvernement note par ailleurs que, conformément au paragraphe cinq du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, «l’individu a des devoirs envers autrui et envers la collectivité à laquelle il appartient et est tenu de s’efforcer de promouvoir et de respecter les droits reconnus dans le présent Pacte». En ce qui concerne la référence des organisations plaignantes à la Convention du travail maritime, 2006, le gouvernement souligne qu’il a participé activement à l’élaboration et à l’adoption de la convention et que sa contribution positive a été reconnue, entre autres, par 37 organisations étrangères de gens de mer et notamment par la Fédération européenne des travailleurs du transport et par la Confédération internationale des syndicats libres.
- 1054. Le gouvernement note que, selon la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, le droit à une grève pacifique doit être reconnu de manière générale pour les syndicats, les fédérations et les confédérations dans les secteurs public et privé. Un tel droit ne peut être interdit ou soumis à des restrictions importantes que pour les catégories suivantes de travailleurs ou dans les situations suivantes: les membres des forces armées et de la police; les agents publics exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’Etat; les travailleurs dans les services essentiels au sens strict du terme (dont l’interruption risque de mettre en danger dans l’ensemble ou une partie de la population la vie, la sécurité ou la santé de la personne); et en cas de crise nationale aiguë. En Grèce, tout comme dans tout autre pays comprenant un grand nombre d’îles habitées, la sécurité, la santé et la survie des insulaires sont liées directement et indiscutablement au transport maritime qui assure la liaison entre les îles et entre celles-ci et la Grèce continentale. Il est donc évident que les personnes employées dans un tel transport fournissent des services essentiels dont l’interruption représente un risque direct pour la vie, la sécurité personnelle et la santé de la majeure partie des insulaires.
- 1055. Compte tenu de ce qui précède, il est clair que les décisions nos Y180/21-02-06 et Y181/21-02-06 du Premier ministre et la décision no 39/21-02-06 du ministre de la Marine marchande n’ont été adoptées que lorsque le gouvernement grec, ayant épuisé tous les autres moyens, a dû faire face à une situation qui représente une crise nationale aiguë. La mise en œuvre de ces décisions a eu pour effet de rétablir et maintenir les conditions nécessaires pour prévenir les risques en matière de santé publique; elle est donc liée, directement et en grande partie, à des motifs d’intérêt général, et ne porte pas atteinte aux droits des gens de mer en matière de travail et de liberté syndicale. Le gouvernement a agi dans le cadre de ses obligations internationales en prenant en considération la totalité des recommandations du comité dans le cas no 2212.
- 1056. Dans une communication datée du 30 octobre 2006, le gouvernement répond aux allégations formulées par la GSEE. Le gouvernement reconnaît que les grèves ne peuvent être assimilées à une situation d’urgence. Cependant, les conséquences d’une grève qui se prolonge dans le cabotage maritime, dans un pays qui comporte un grand nombre d’îles habitées, entraînent indubitablement une situation d’urgence et obligent l’Etat à remplir les obligations qui lui incombent pour protéger les droits des citoyens, notamment en matière de santé. La grande majorité des îles est rattachée à la Grèce continentale exclusivement au moyen des bateaux, très peu d’îles y étant rattachées par avion. C’est pour cette raison qu’il est évident qu’une grève prolongée n’a pas seulement pour conséquence d’isoler les habitants des îles mais également d’interrompre leurs activités économiques. C’est ce qui s’est effectivement produit en raison du fait que le transport des marchandises à destination et à partir des îles a été interrompu et que la plupart des marchandises ont été endommagées ou abîmées. Ainsi les produits locaux des îles n’ont pu être acheminés vers la Grèce continentale et il était absolument impossible de répondre même à la partie la plus infime des besoins importants des milliers d’habitants des îles en produits d’alimentation, carburants, matériel médical et pharmaceutique destiné aux centres de soins médicaux et autres produits de première nécessité; cette situation a affecté aussi bien la santé publique que l’économie non seulement dans les îles mais également dans le pays dans son ensemble.
- 1057. Le gouvernement ajoute que les décisions du Premier ministre et du ministre de la Marine marchande n’ont en aucun cas restreint les droits de la PNO de négocier collectivement avec les armateurs ou ses droits en matière de liberté syndicale. Le gouvernement joint à ce propos six documents par lesquels la PNO et les associations concernées d’armateurs soumettent au ministère de la Marine marchande des conventions collectives relatives à différentes catégories de navires. En outre, il transmet une récente décision du ministre de la Marine marchande prévoyant la constitution d’une commission à laquelle la PNO a été invitée à participer en même temps que les syndicats d’armateurs.
- 1058. Enfin, le gouvernement indique que le ministère de la Défense nationale élabore un projet de loi visant à abroger totalement ou partiellement le décret législatif no 17/74.
- 1059. Dans une communication datée du 7 mars 2007, le gouvernement ajoute que l’ordre de mobilisation civile des équipages des navires de la marine marchande a été suspendu par décision ministérielle no 209/01.02.2007 (Journal officiel B’ 120). Cette décision ministérielle fait suite à la décision du Conseil juridique de l’Etat en vertu de laquelle la phrase «l’ordre de mobilisation civile est valable jusqu’à nouvel ordre» contenue dans cet ordre signifie que le ministre de la Marine marchande qui a proclamé la mobilisation civile se réserve le droit de déterminer si la suspension de l’ordre de mobilisation civile avant même la fin de la grève est justifiée, mais pas que cet ordre continue de s’appliquer pour une durée indéterminée après échéance de la période prévue pour la grève. La décision ministérielle qui a été abrogée officiellement le 1er février 2007 a donc cessé de s’appliquer à compter du 23 février 2006 à 18 heures, avec la fin de la grève.
- 1060. Le gouvernement ajoute que la loi, à paraître bientôt dans le Journal officiel, concernant «la réglementation spéciale des questions de migrations et d’autres questions relevant du ministère de l’Intérieur, de l’Administration publique et de la Décentralisation», et en particulier l’article 41, concernant la réglementation des situations d’urgence en temps de paix (joint à la réponse), réglemente les questions de réquisition des services et des biens personnels face à une situation d’urgence en temps de paix. Les dispositions du décret législatif no 17/1974 ne s’appliqueront donc dorénavant qu’en temps de guerre. Selon l’alinéa 2 de l’article 41 de cette nouvelle loi, «on entend par situation d’urgence en temps de paix exigeant la réquisition des services personnels toute situation soudaine qui nécessite l’adoption de mesures immédiates pour répondre aux besoins de défense du pays, tout cas de nécessité sociale résultant de catastrophes naturelles ou toute situation de nature à mettre en danger la santé publique». L’institution de la mobilisation civile en temps de paix a donc été réformée et modernisée afin de mieux protéger les droits humains garantis par la Constitution. De plus, en vertu de ce même article, c’est désormais le Premier ministre qui ordonne la mobilisation civile, sur proposition du ministre compétent pour traiter le problème qui est à l’origine de la situation d’urgence. Jusqu’ici, en temps de paix comme en temps de guerre, la mobilisation civile devait être ordonnée sur proposition du ministre de la Défense nationale. Cette disposition s’appuie sur le principe de proportionnalité, qui veut que cette mesure rigoureuse appliquée par voie administrative soit proportionnelle à l’intérêt public ou privé à protéger.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 1061. Le comité note que le présent cas porte sur des allégations selon lesquelles le gouvernement a proclamé l’«ordre de mobilisation civile» (réquisition des services des travailleurs) d’une durée indéterminée afin de mettre un terme à une grève légale des gens de mer sur les navires de passagers et de marchandises, qui ne constituent pas des services essentiels.
- 1062. Le comité note, selon les organisations plaignantes, que la PNO a annoncé, le 1er février 2006, son intention d’organiser des grèves tournantes à partir du 16 février 2006 sur toutes les catégories de navires, en vue d’appuyer des revendications exprimées depuis longtemps sur des questions relatives à l’emploi et à la sécurité sociale. Le comité constate que ces revendications étaient adressées au gouvernement puisqu’elles portent entre autres sur la promotion de l’emploi des gens de mer (notamment la création d’un Fonds spécial indépendant de chômage destiné aux gens de mer), des questions relatives à la sécurité sociale (notamment la compensation de tous déficits du Fonds de retraite des gens de mer par le budget de l’Etat) ainsi que les modalités et les conditions d’emploi qui relèvent du gouvernement (réclamations en matière de rémunérations). Une réunion organisée entre le ministre de la Marine marchande et la PNO le 16 février n’ayant pas abouti, la grève a été reconduite du 18 au 20 février 2006 et ensuite du 20 au 22 février 2006. Une requête déposée le 20 février 2006 par l’Association des navires côtiers de passagers (qui, semble-t-il, est une organisation d’armateurs), au motif que la grève était illégale et abusive, a été rejetée par le tribunal de première instance du Pirée. Le 21 février 2006, le Premier ministre, sur proposition du ministre de la Marine marchande, a proclamé l’ordre de mobilisation civile de tous les gens de mer (les équipages sur les navires de passagers et de marchandises de la marine marchande) à partir du 22 février 2006 à 6 heures du matin et jusqu’à nouvel ordre, c’est-à-dire pour une période indéterminée. La grève s’est poursuivie encore pendant 36 heures malgré l’ordre de mobilisation civile et n’a été finalement suspendue que le 23 février 2006 à 18 heures.
- 1063. Le comité note par ailleurs que, selon les organisations plaignantes, les gouvernements successifs ont, au cours des 32 dernières années, recouru à des mesures de mobilisation civile sans avoir épuisé des mesures plus adaptées. La mobilisation civile a obligé les travailleurs à mettre un terme à la grève et à réintégrer leur travail sous la menace de sanctions sévères. La base légale de la mobilisation civile est le décret législatif 17/1974 sur «l’organisation de l’urgence civile», adopté au cours d’une période de transition entre un régime dictatorial autoritaire et la démocratie et visant à réglementer des questions cruciales d’une extrême urgence. Ce décret législatif n’autorise pourtant le recours à une situation d’urgence que dans les cas d’«évènements naturels ou autres, technologiques ou liés à une guerre qui entraînent ou risquent d’entraîner des pertes ou des dommages ainsi que la destruction des ressources humaines et matérielles du pays ou d’entraver ou de perturber la vie sociale et économique du pays». Cependant, le décret législatif en question ne mentionne pas la grève comme une cause de perturbation de la vie sociale et économique, comme le gouvernement (et les gouvernements antérieurs) l’ont affirmé. Ainsi, selon les organisations plaignantes, la mobilisation civile imposée aux travailleurs grévistes, en l’occurrence les travailleurs maritimes, était injustifiée et non fondée. D’ailleurs, le décret législatif a été suivi par la promulgation de la Constitution grecque qui reconnaît, dans son article 23, le droit de grève. La Constitution autorise, de manière exceptionnelle, la réquisition des services personnels en cas de guerre ou de conscription, pour répondre aux besoins de défense du pays, en cas de nécessité sociale résultant de catastrophes naturelles ou dans des situations de nature à mettre en danger la santé publique (art. 22, paragr. 4). Les gouvernements ont eu recours depuis à la mobilisation civile dans le but de mettre un terme à des grèves «agaçantes» sur la base de l’article 22, paragraphe 4, de la Constitution, malgré le fait qu’une grève ne peut en tant que telle être assimilée à un cas d’urgence et même si un tribunal a conclu à son caractère illégal et abusif. Les organisations plaignantes soulignent que, vu que, dans leur écrasante majorité, les grèves ont été déclarées illégales et/ou abusives par les tribunaux, le fait que le tribunal de première instance du Pirée ait estimé que la grève en question était légale est d’une grande importance.
- 1064. Enfin, le comité note que, d’après les organisations plaignantes, l’ordre de mobilisation civile est resté indéfiniment en vigueur depuis le 22 février 2006, dans l’attente d’une nouvelle décision devant régir cette question. Selon les organisations plaignantes, cette longue période au cours de laquelle les gens de mer ne peuvent exercer leur droit de grève ne se justifie pas par une situation d’urgence nationale, bien que les organisations plaignantes reconnaissent qu’en Grèce, qui comporte un grand nombre d’îles, le transport maritime joue un rôle important pour assurer une vie sociale et économique régulière. Néanmoins, d’importants travaux d’infrastructure ont été entrepris et d’autres moyens de transport mis au point (par exemple plusieurs aéroports dans les îles) afin de fournir, de manière régulière, les produits alimentaires et les soins médicaux aux habitants. Ainsi, l’interdiction de la grève représente une mesure manifestement exagérée qui porte atteinte aux droits fondamentaux des gens de mer. Sans compter que, dans une telle situation, les gens de mer ne sont pas en mesure d’exercer de manière effective le droit de négocier collectivement avec leurs employeurs et qu’il est sérieusement porté atteinte à leur droit à la liberté syndicale.
- 1065. Le comité note que, selon le gouvernement, la décision de recourir à la mobilisation civile des gens de mer avait exclusivement pour objectif et pour effet d’assurer la protection de la santé publique aux fins de laquelle la Constitution permet la réquisition des services personnels. Le gouvernement ajoute que la PNO a annoncé dans des documents successifs son intention de lancer une grève du 16 au 18 février 2006 et ensuite de reconduire la grève du 18 au 20 février, du 20 au 22 février et du 22 au 24 février 2006. Le 21 février 2006, le Premier ministre, par ses décisions nos Y180/21-02-2006 et Y181/21-02-2006, a proclamé l’ordre de mobilisation civile des membres d’équipage sur les navires de passagers et de marchandises de la marine marchande et a autorisé le ministre de la Marine marchande à ordonner la mobilisation civile et à prendre toute autre mesure jugée nécessaire en vue d’assurer le fonctionnement régulier de la vie sociale et économique et de prévenir les risques en matière de santé pour les insulaires qui sont isolés. En vertu de la décision no 39/21-02-2006, le ministre de la Marine marchande a ordonné la mobilisation civile générale qui a pris effet le 22 février 2006. Selon le gouvernement, le ministre de la Marine marchande avait au préalable recherché le dialogue avec la PNO en rencontrant les représentants de la PNO, en échangeant une correspondance avec eux afin de clarifier la position du ministère, en publiant des communiqués de presse conjointement avec les ministères de l’Economie et des Finances au sujet de l’examen conjoint des revendications économiques de la PNO et en engageant avec les représentants de la PNO des discussions au sujet de leurs revendications (la correspondance et les communiqués de presse sont joints à la réponse du gouvernement). Cependant, selon le gouvernement, la PNO a rejeté totalement les initiatives du gouvernement.
- 1066. En ce qui concerne les motifs qui ont été à l’origine de la décision de proclamer la mobilisation civile, le comité note que, selon le gouvernement, le transport maritime est un facteur direct, voire crucial dans certaines îles, du déroulement harmonieux et ordonné de la vie des nombreux habitants des îles grecques. La grande majorité des îles est reliée à la Grèce continentale exclusivement par bateau alors que très peu d’entre elles le sont par avion. Les navires marchands sont le principal et dans certains cas le seul moyen de transport de l’eau, des produits pharmaceutiques et autres tels que les carburants. La pénurie de tels articles comporte des risques pour la santé publique et a d’autres conséquences sociales négatives. Par ailleurs, les navires marchands contribuent en grande partie au transport des patients ainsi que du personnel médical aux centres primaires et secondaires du système national de santé entre les îles et entre celles-ci et la Grèce continentale de manière quasi quotidienne. Avant l’adoption des décisions en question, le transport maritime s’était arrêté pendant presque six jours avec les conséquences et les risques évidents que cela comporte pour la santé publique. Avant d’adopter sa décision, le gouvernement avait reçu des informations à propos de nombreux cas de pénurie de produits alimentaires de base et de produits pharmaceutiques dans les îles. Le gouvernement joint neuf lettres transmises par des organismes de l’administration publique centrale et locale ainsi que des établissements de soins médicaux et des associations privées (un syndicat local), qui soulignaient la pénurie des produits de première nécessité et l’incapacité d’assurer les soins médicaux.
- 1067. Le comité note que, d’après le gouvernement, les décisions du Premier ministre et du ministre de la Marine marchande n’ont été prises qu’après épuisement de tous les autres moyens, et dans le contexte d’une situation assimilée à une crise nationale aiguë. La grève qui s’est prolongée a créé indubitablement une situation d’urgence dans laquelle l’Etat devait remplir son obligation de protéger les droits des citoyens, en particulier le droit à la santé qui est garanti par la Constitution. La mise en œuvre de ces décisions a eu pour conséquence de rétablir les conditions nécessaires pour prévenir les risques en matière de santé publique et n’a pas enfreint les droits des gens de mer en matière de travail et de droit syndical. C’est ainsi que la PNO a continué à négocier collectivement avec les associations d’armateurs (le gouvernement joint six documents en vertu desquels des conventions collectives étaient soumises au ministère de la Marine marchande concernant différentes catégories de navires).
- 1068. Par ailleurs, le gouvernement soutient que, dans un pays comprenant un grand nombre d’îles habitées, la sécurité, la santé et la survie des insulaires sont liées directement et indiscutablement au transport maritime qui constitue, compte tenu de cette situation, un service essentiel dont l’interruption est susceptible d’entraîner des risques pour la vie, la sécurité personnelle et la santé de la plus grande partie des insulaires.
- 1069. Enfin, le comité note que, suite à une décision du Conseil juridique de l’Etat, l’ordre de mobilisation civile a été suspendu officiellement le 1er février 2007 par décision ministérielle no 209, et qu’il est considéré rétroactivement comme n’étant plus valable à compter du 23 février 2006, date à laquelle la grève des gens de mer a pris fin.
- 1070. Le comité rappelle les conclusions et recommandations formulées dans le cas no 2212 qui concerne les mêmes parties et porte sur des faits similaires. [Voir 330e rapport approuvé par le Conseil d’administration au cours de sa 286e session, mars 2003, paragr. 721-755.] A cette occasion, le comité, prenant acte du fait que la mobilisation civile a été levée, souligne que l’adoption de mesures unilatérales n’est pas de nature à favoriser le développement de relations professionnelles harmonieuses, et que ces mesures sont contraires aux conventions nos 87 et 98, et avait demandé au gouvernement de ne pas recourir à de telles mesures à l’avenir. Il avait également noté que la mise en œuvre d’un service minimum dans les circonstances particulières de ce cas ne serait pas contraire aux principes de la liberté syndicale.
- 1071. En ce qui concerne le point de vue du gouvernement selon lequel le transport maritime peut être considéré comme un service essentiel dans les circonstances particulières de ce cas, (la Grèce possédant un grand nombre d’îles habitées), le comité rappelle que le service des transbordeurs n’est pas un service essentiel. Toutefois, compte tenu des difficultés et des inconvénients que pourrait entraîner pour la population installée dans les îles le long de la côte une interruption des services de transbordeurs, un service minimum peut être maintenu en cas de grève. De même, le transport de voyageurs et de marchandises ne constitue pas un service essentiel au sens strict du terme; il s’agit toutefois d’un service public d’une importance primordiale où l’imposition d’un service minimum en cas de grève peut se justifier. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 615 et 621.] En général, le maintien de services minima en cas de grève devrait être possible dans les services qui ne sont pas essentiels au sens strict du terme mais où les grèves d’une certaine ampleur et durée pourraient provoquer une crise nationale aiguë menaçant les conditions normales d’existence de la population. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 606.]
- 1072. Le comité note à ce propos, d’après la réponse du gouvernement ainsi que la correspondance et les communiqués de presse qui y sont annexés que, le 21 février 2006, le gouvernement a demandé à la PNO de prévoir «le personnel nécessaire» de manière qu’un service minimum puisse être assuré et que les navires puissent se rendre dans les îles habitées en vue de répondre aux besoins fondamentaux des insulaires; cependant, aucun service minimum n’a été prévu. Le comité note par ailleurs, selon la législation nationale applicable, qu’au cours d’une grève dans les services d’importance vitale – le transport maritime des passagers étant expressément défini comme un service d’importance vitale en raison des caractéristiques géographiques particulières de la Grèce – le syndicat concerné devrait prévoir le personnel nécessaire pour assurer un service minimum en vue de répondre à des situations d’urgence ou aux besoins fondamentaux de la société. Le comité rappelle que des faits similaires ont été communiqués par le gouvernement dans le cas no 2212. Cependant, le comité avait alors noté qu’aucune négociation sur la définition du «service minimum» n’avait eu lieu (par exemple le nombre de traversées par jour/semaine, le personnel de bord nécessaire, etc.). [Voir 330e rapport, paragr. 750.]
- 1073. Le comité souligne que, dans la détermination des services minima et du nombre de travailleurs qui en garantissent le maintien, il importe que participent non seulement les pouvoirs publics, mais aussi les organisations d’employeurs et de travailleurs concernées. En effet, outre que cela permettrait un échange de vues réfléchi sur ce que doivent être en situation réelle les services minima strictement nécessaires, cela contribuerait aussi à garantir que les services minima ne soient pas étendus au point de rendre la grève inopérante en raison de son peu d’impact et à éviter de donner aux organisations syndicales l’impression que l’échec de la grève tient à ce que le service minimum a été prévu d’une manière trop large et fixé unilatéralement. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 612.] Le comité estime que des négociations sur cette question devraient en principe se tenir avant un différend du travail, de manière que toutes les parties puissent examiner la question avec l’objectivité et le détachement nécessaires. Tout désaccord devrait être réglé par un organisme indépendant, comme par exemple les autorités judiciaires, et non par le ministère concerné. Le comité invite donc le gouvernement et la PNO à engager le plus rapidement possible des négociations sur la détermination d’un service minimum devant être disponible en cas de grève dans le secteur maritime, conformément à la législation nationale relative au service minimum et aux principes de la liberté syndicale. Le comité demande à être tenu informé à ce propos.
- 1074. En ce qui concerne en particulier l’ordre de mobilisation civile, le comité prend note de neuf lettres communiquées par le gouvernement dans lesquelles divers organismes publics et privés présentent les répercussions de la grève sur les communautés locales dans les îles. Les lettres font état notamment d’une pénurie d’oxygène dans 14 hôpitaux (un hôpital disposant d’oxygène pour un jour et demi, sept autres pour deux à cinq jours, trois autres pour six jours, un pour dix jours et un pour moins de vingt jours). Les lettres font également mention de problèmes dans les îles qui ne possèdent pas d’aéroport, en matière de transport des patients, de biens de première nécessité, de carburants, de médicaments et de produits alimentaires, et même dans les îles qui disposent d’un aéroport, la capacité des avions n’étant pas suffisante pour couvrir les besoins de l’île. Deux lettres émanant des préfectures de Lasithion et d’Heraklion en Crète avaient même réclamé que les préfectures soient placées en état d’urgence.
- 1075. Le comité note que, lorsque, dans un secteur important de l’économie, un arrêt total et prolongé du travail peut provoquer une situation telle que la vie, la santé ou la sécurité de la population peuvent être mises en danger, il semble légitime qu’un ordre de reprise du travail soit applicable à une catégorie de personnel déterminée en cas de grève dont l’étendue et la durée pourraient provoquer une telle situation. Par contre, exiger la reprise du travail en dehors de tels cas est contraire aux principes de la liberté syndicale. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 634.] Compte tenu des informations fournies par le gouvernement, le comité considère que l’ordre de mobilisation civile était justifié en relation avec la protection de la santé publique, mais que celui-ci doit être limité au nombre de marins strictement nécessaire pour assurer un service minimum.
- 1076. Néanmoins, le comité note que l’ordre de mobilisation civile est resté en vigueur près d’une année après sa proclamation, l’affaire étant alors en instance devant les tribunaux, même s’il a été ensuite considéré rétroactivement comme n’étant plus valable à compter de la date à laquelle la grève avait pris fin. Le comité estime, ce que confirme apparemment la décision du Conseil juridique de l’Etat, que cette durée prolongée est sans commune mesure avec l’objectif de l’ordre de mobilisation civile (protection de la santé publique) et représente un rejet du droit de grève des gens de mer, ce qui est contraire à la convention no 87 ratifiée par la Grèce. Le comité souligne à cet égard que le droit de grève est un corollaire indissociable du droit syndical protégé par la convention no 87 et que les organisations chargées de défendre les intérêts socio-économiques et professionnels des travailleurs devraient en principe pouvoir utiliser la grève pour appuyer leur position dans la recherche de solutions aux problèmes posés par les grandes orientations de politique économique et sociale, qui ont des répercussions immédiates pour leurs membres, et plus généralement pour les travailleurs, notamment en matière d’emploi, de protection sociale et de niveau de vie. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 523 et 527.] Notant avec regret que la proclamation d’un ordre de mobilisation civile dans ce cas a eu pour effet d’empêcher les gens de mer d’exercer le droit de grève pendant plus d’une année, l’affaire étant alors en instance devant les tribunaux, le comité s’attend à ce que le gouvernement s’assure que toute restriction apportée au droit de grève est en conformité avec les principes de la liberté syndicale et la convention no 87, ratifiée par la Grèce.
- 1077. Par ailleurs, le comité note qu’il ne dispose pas d’informations sur l’issue des négociations au sujet de la liste des revendications présentée par la PNO au gouvernement. Le comité constate, d’après les informations dont il dispose, que la liste des revendications de la PNO n’a été apparemment discutée par le gouvernement au cours de négociations directes qu’à deux occasions: le 16 février, c’est-à-dire le jour du déclenchement de la grève, et le 21 février, c’est-à-dire le jour de la proclamation de l’ordre de mobilisation civile. Le comité constate que, dans ces circonstances, il n’est pas possible de déterminer avec précision si des négociations véritables ont eu lieu entre les parties avant ou pendant la grève. Le comité rappelle l’importance qu’il attache à l’obligation de négocier de bonne foi pour le maintien d’un développement harmonieux des relations professionnelles. Il est important que les employeurs et les syndicats négocient de bonne foi en s’efforçant d’arriver à un accord; des négociations véritables et constructives sont un élément nécessaire pour établir et maintenir une relation de confiance entre les parties; des relations professionnelles satisfaisantes dépendent essentiellement de l’attitude qu’adoptent les parties l’une à l’égard de l’autre et de leur confiance réciproque. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 934-936.] Le comité demande donc au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la reprise dès que possible des négociations avec la PNO – négociations qui devraient être effectuées conformément aux accords et procédures en vigueur en matière de liberté syndicale – au sujet des revendications soumises par le syndicat, en vue de mettre fin au différend et de parvenir à un accord portant sur les questions soulevées par le syndicat. Le comité demande à être tenu informé des développements à ce propos.
- 1078. Enfin, le comité prend note de l’allégation des organisations plaignantes selon laquelle, au cours des 32 dernières années, les gouvernements successifs ont recouru à des mesures de mobilisation civile pour mettre un terme aux grèves dans divers secteurs en s’appuyant sur le décret législatif no 17/1974. A cet égard, le comité note avec intérêt que, selon le gouvernement, en vertu des amendements législatifs récents, le décret législatif no 17/1974 ne s’appliquera qu’en temps de guerre. Pour ce qui est de la réquisition en temps de paix, l’article 41 de la loi, à paraître bientôt dans le Journal officiel, concernant «la réglementation spéciale des questions de migrations et d’autres questions relevant du ministère de l’Intérieur, de l’Administration publique et de la Décentralisation», dispose que la réquisition des services personnels n’est possible qu’en cas d’urgence, autrement dit dans «toute situation soudaine qui nécessite l’adoption de mesures immédiates pour répondre aux besoins de défense du pays, tout cas de nécessité sociale résultant de catastrophes naturelles ou toute situation de nature à mettre en danger la santé publique». Le comité note également que la décision d’ordonner la mobilisation civile sera prise par le Premier ministre sur proposition du ministre qui est compétent pour ce type d’urgence, et non du ministre de la Défense nationale, qui est compétent dans tous les cas.
- 1079. Eu égard aux allégations selon lesquelles le gouvernement a eu recours – durant les 32 dernières années – à la mobilisation pour mettre fin aux grèves dans différents secteurs, le comité – notant que la nouvelle législation autorise toujours le recours à la réquisition des services en cas de danger pour la santé publique, lequel pourrait encore être utilisé comme base pour suspendre de futures grèves – rappelle que la responsabilité de la suspension d’une grève pour des raisons de sécurité nationale ou de santé publique ne doit pas incomber au gouvernement mais à un organe indépendant qui ait la confiance de toutes les parties concernées [voir Recueil, op. cit., paragr. 571], et demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour assurer que toute suspension ou ordre de cessation ayant un caractère général est décidé en accord avec ce principe. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé des développements à cet égard.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 1080. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité invite le gouvernement et la PNO à engager le plus rapidement possible des négociations sur la détermination d’un service minimum devant être disponible en cas de grève dans le secteur maritime, conformément à la législation nationale sur le service minimum et les principes de la liberté syndicale. Le comité demande à être tenu informé à ce propos.
- b) Notant avec regret que la proclamation d’un ordre de mobilisation civile dans ce cas a eu pour effet d’empêcher les gens de mer d’exercer le droit de grève pendant plus d’un an, l’affaire étant alors en instance devant les tribunaux, le comité espère fermement que le gouvernement s’assurera, à l’avenir, que toute restriction apportée au droit de grève est en conformité avec les principes de la liberté syndicale et la convention no 87, ratifiée par la Grèce.
- c) Le comité demande au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la reprise, le plus rapidement possible, des négociations avec la PNO – négociations qui devraient être effectuées conformément aux accords et procédures en vigueur en matière de liberté syndicale – au sujet des revendications soumises par le syndicat, en vue de mettre un terme au différend et de parvenir à un accord portant sur les questions soulevées par le syndicat. Le comité demande à être tenu informé des développements à ce propos.
- d) Eu égard aux allégations selon lesquelles le gouvernement a eu recours
- – durant les 32 dernières années – à la mobilisation pour mettre fin aux grèves dans différents secteurs, le comité – notant que la nouvelle législation autorise toujours le recours à la réquisition des services en cas de danger pour la santé publique, lequel pourrait encore être utilisé comme base pour suspendre de futures grèves – rappelle que la responsabilité de la suspension d’une grève pour des raisons de sécurité nationale ou de santé publique ne doit pas incomber au gouvernement mais à un organe indépendant qui ait la confiance de toutes les parties concernées [voir Recueil, op. cit., paragr. 571], et demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour assurer que toute suspension ou ordre de cessation ayant un caractère général est décidé en accord avec ce principe. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé des développements à cet égard.