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Rapport intérimaire - Rapport No. 336, Mars 2005

Cas no 2321 (Haïti) - Date de la plainte: 28-JANV.-04 - Clos

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  1. 479. La plainte figure dans des communications de la Coordination syndicale haïtienne (CSH), en date du 28 janvier 2004, et de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), en date du 31 janvier 2004. La CISL a fait parvenir des informations supplémentaires dans une communication datée du 1er mars 2004.
  2. 480. Bien que, au paragraphe 9 de son 335e rapport, le comité ait attiré l’attention du gouvernement sur le fait que, conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport approuvée par le Conseil d’administration, il pourra présenter un rapport sur le fond de cette affaire, même si ses informations et observations n’étaient pas envoyées à temps, aucune observation du gouvernement n’a encore été reçue.
  3. 481. Haïti a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 482. Dans leurs communications des 28 et 31 janvier 2004, respectivement, la CSH et la CISL ont présenté une plainte dans laquelle elles allèguent que de nombreuses violations aux conventions nos 87 et 98 ont été perpétrées en Haïti.
    • Incident du 24 janvier 2004
  2. 483. Dans leurs communications des 28 et 31 janvier 2004, respectivement, la CSH et la CISL allèguent que, le 24 janvier 2004 vers 14 heures, un groupe de policiers en uniforme et munis d’armes de guerre a fait irruption, sans mandat de perquisition, dans le local de la CSH où se tenait une réunion syndicale. Ces policiers ont ensuite procédé à la perquisition du local en affirmant qu’ils étaient à la recherche d’armes et du secrétaire général de la CSH, M. Charles Fritz, et ont proféré des menaces de mort à toutes les personnes présentes ainsi que contre le secrétaire général, qui était absent. N’ayant pas trouvé ce qu’ils cherchaient, les policiers ont ensuite arrêté dix hommes et une femme, parmi lesquels plusieurs militants syndicaux, et les ont emmenés au commissariat de Port-au-Prince, où ils ont été détenus sans avoir été entendus par un juge ou inculpés d’une quelconque infraction. La CISL fait également état d’atteintes sérieuses à l’intégrité physique des onze personnes arrêtées durant leur détention au commissariat de Port-au-Prince et au fait qu’aucun contact avec l’extérieur, y compris avec des avocats ou autres syndicalistes, ne leur a été permis.
  3. 484. Selon la CISL, les onze personnes qui ont été arrêtées par les policiers sont: David Dorme, Ludy Lapointe, Ernst Toncheau, Riginal Saint-Jean, Eloi Weche, Roselere Louis, Cédieu Dorvil, Jean Douleau Joseph, Stephen Guerrier, André Saurel et Norval Fleurant. La CISL indique que seul M. Norval Fleurant a été libéré avant le 31 janvier 2004.
  4. 485. La CISL indique que, le 28 janvier 2004, les dix personnes toujours détenues ont été transférées au pénitencier national, où sont normalement détenus les délinquants de droit commun déjà condamnés, toujours sans avoir été présentées devant un juge ni inculpées d’aucune manière. Ces dix personnes auraient seulement été accusées verbalement par la police de «complot contre la sécurité de l’Etat». Le 30 janvier 2004, les dix personnes détenues auraient comparu devant un tribunal.
  5. 486. Dans sa communication du 1er mars 2004, la CISL indique que, à partir du 29 février 2004, les dix personnes toujours détenues depuis le 24 janvier 2004 ont été libérées, après une détention arbitraire de plus d’un mois.
    • Incident du 27 janvier 2004
  6. 487. Dans sa communication du 31 janvier 2004, la CISL indique que, suite à une manifestation pacifique qui s’est déroulée sans incidents à Port-au-Prince le 27 janvier 2004, deux syndicalistes (MM. Timothée Faduel, secrétaire général de la section «Jeunes» de la Centrale autonome des travailleurs haïtiens (CATH) et Jean-Luc Toussaint, militant de la CATH) ont été arrêtés par des policiers de l’Unité de sécurité générale du Palais national et détenus sans inculpation. Selon la CISL, ces deux syndicalistes auraient été sévèrement battus par les policiers au cours de leur détention. Les deux syndicalistes ont été relâchés avant le 31 janvier 2004.
    • Menaces à l’encontre de syndicalistes
  7. 488. Dans sa communication du 28 janvier 2004, la CSH indique que, outre les menaces qui ont été proférées par les policiers lors de l’incident du 24 janvier 2004 au sein du local de la CSH, une forte intimidation émanant de groupes violents proches du gouvernement à l’encontre de M. Charles Fritz, secrétaire général de la CSH, force ce dernier à vivre caché depuis le mois de novembre 2003. La CSH indique en outre que, bien qu’elle ait dénoncé à maintes reprises cette intimidation, aucune mesure n’a été mise en œuvre afin de protéger l’intégrité physique de M. Fritz ou d’amener les coupables devant la justice.
  8. 489. Dans sa communication du 1er mars 2004, la CISL indique également que, avant l’incident du 24 janvier 2004, des menaces pesaient déjà sur les onze personnes arrêtées à cette occasion et leurs familles ainsi que sur d’autres dirigeants syndicaux. Selon la CISL, plusieurs syndicalistes haïtiens ont choisi, le 29 février 2004, de vivre en clandestinité par crainte de représailles de la part des «Chimères» et autres éléments «criminels» armés.

B. Conclusions du comité

B. Conclusions du comité
  1. 490. Le comité déplore que, malgré le temps écoulé depuis la présentation de la plainte, le gouvernement n’ait pas répondu aux allégations de l’organisation plaignante, bien qu’il lui ait été instamment prié à plusieurs reprises de faire part de ses observations et des informations en sa possession. Le comité lui a notamment adressé à cette fin un appel pressant lors de sa réunion de juin 2004. Dans ces conditions, et conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport, approuvé par le Conseil d’administration, le comité a déclaré qu’il présenterait lors de sa prochaine réunion un rapport sur le fond de ce cas, même si les informations demandées ou les observations du gouvernement ne lui étaient toujours pas parvenues.
  2. 491. Le comité rappelle tout d’abord au gouvernement que le but de l’ensemble de la procédure établie par l’Organisation internationale du Travail en ce qui concerne l’examen des allégations relatives à des violations de la liberté syndicale est de garantir le respect de la liberté syndicale des employeurs et des travailleurs, en droit comme en fait. Le comité est convaincu que, même si la procédure protège les gouvernements contre des accusations déraisonnables, ceux-ci doivent reconnaître à leur tour l’importance qu’il y a, pour leur propre réputation, à ce qu’ils présentent, en vue d’un examen objectif, des réponses détaillées et précises aux allégations formulées à leur encontre. [Voir premier rapport du comité, paragr. 31.]
  3. 492. Le comité observe que, dans le présent cas, les allégations des organisations plaignantes concernent plusieurs violations des principes fondamentaux de la liberté syndicale, tels qu’ils sont énoncés par les conventions nos 87 et 98 de l’OIT. Le comité considère que ces violations peuvent être regroupées en quatre groupes principaux.
  4. 493. En premier lieu, le comité note l’allégation des organisations plaignantes selon laquelle, lors de l’incident du 24 janvier 2004, le groupe de policiers qui a procédé à la perquisition du local de la CSH n’était pas muni d’un mandat judiciaire. A cet égard, le comité rappelle que, en dehors des perquisitions effectuées sur mandat judiciaire, l’intrusion de la force publique dans les locaux syndicaux constitue une grave et injustifiable ingérence dans les activités syndicales. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 176.] Le comité demande donc au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que, à l’avenir, les perquisitions effectuées au sein d’un local syndical ne le soient pas sans qu’un mandat judiciaire approprié ait été délivré et soient limitées aux objets qui ont motivé la délivrance du mandat.
  5. 494. En deuxième lieu, le comité note que, selon les organisations plaignantes, tant lors de l’incident du 24 janvier 2004 que de celui du 27 janvier 2004, les forces policières ont procédé à l’arrestation et à la détention arbitraire de plusieurs syndicalistes, sans que ces derniers soient amenés devant un juge ou inculpés de quelque infraction. A cet égard, le comité doit rappeler que les mesures privatives de liberté prises à l’encontre de dirigeants syndicaux ou de syndicalistes impliquent un grave risque d’ingérence dans les activités syndicales et, lorsqu’elles obéissent à des motifs syndicaux, constituent une violation des principes de la liberté syndicale. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 74.] Bien que le comité note que tous les syndicalistes impliqués par la présente plainte ont aujourd’hui été relâchés, il demande au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que, à l’avenir, aucun syndicaliste ne soit arrêté ou détenu sans bénéficier d’une procédure judiciaire régulière et avoir le droit à une bonne administration de la justice, à savoir notamment être informés des accusations qui pèsent contre eux, communiquer sans entrave avec le conseil de leur choix et être jugés sans retard par une autorité judiciaire impartiale et indépendante.
  6. 495. Troisièmement, le comité note l’allégation de la CISL selon laquelle, lors de leur détention, les syndicalistes impliqués lors des incidents des 24 et 27 janvier 2004 ont été victimes de mauvais traitements portant atteinte à leur intégrité physique. Le comité se doit de rappeler à cet égard que, en relation avec les allégations de mauvais traitements physiques infligés à des syndicalistes, les gouvernements devraient donner les instructions nécessaires pour qu’aucun détenu ne fasse l’objet de mauvais traitements et imposer des sanctions efficaces dans les cas où de tels actes auraient été commis. De même, le comité a souligné l’importance qu’il convient d’attribuer au principe consacré par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, selon lequel toute personne privée de liberté doit être traitée avec humanité et dans le respect dû à un être humain. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 59.] En conséquence, le comité demande au gouvernement de lui préciser quelle mesure il entend prendre pour identifier et sanctionner les responsables des mauvais traitements qui, tel qu’il ressort des allégations de la CISL, ont été infligés à plusieurs syndicalistes lors de leur détention par les forces policières.
  7. 496. En dernier lieu, le comité note que, selon les organisations plaignantes, de nombreux syndicalistes font l’objet de menaces et intimidation constantes de la part de certains groupes violents et ont choisi, pour certains, de vivre en clandestinité de peur que ces mêmes groupes ne mettent leurs menaces à exécution. A cet égard, le comité rappelle que les droits des organisations de travailleurs et d’employeurs ne peuvent s’exercer que dans un climat exempt de violence, de pressions ou de menaces de toutes sortes à l’encontre des dirigeants et des membres de ces organisations, et qu’il appartient aux gouvernements de garantir le respect de ce principe. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 47.] Le comité demande donc au gouvernement de lui indiquer les mesures qu’il entend prendre pour assurer que les dirigeants et membres des organisations de travailleurs puissent exercer librement leurs activités, sans faire l’objet de violence, pressions ou menaces de toutes sortes.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 497. Compte tenu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité déplore que, malgré le temps écoulé depuis la présentation de la plainte, le gouvernement n’ait pas répondu aux allégations de l’organisation plaignante.
    • b) Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que, à l’avenir, les perquisitions effectuées au sein d’un local syndical ne le soient pas sans qu’un mandat judiciaire approprié ait été délivré et soient limitées aux objets qui ont motivé la délivrance du mandat.
    • c) Le comité demande au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que, à l’avenir, aucun syndicaliste ne soit arrêté ou détenu sans bénéficier d’une procédure judiciaire régulière et avoir le droit à une bonne administration de la justice, à savoir notamment être informés des accusations qui pèsent contre eux, communiquer sans entrave avec le conseil de leur choix et être jugés sans retard par une autorité judiciaire impartiale et indépendante.
    • d) Le comité demande au gouvernement de lui préciser quelle mesure il entend prendre pour identifier et sanctionner les responsables des mauvais traitements qui, tel qu’il ressort des allégations de la CISL, ont été infligés à plusieurs syndicalistes lors de leur détention par les forces policières.
    • e) Le comité demande au gouvernement de lui indiquer les mesures qu’il entend prendre pour assurer que les dirigeants et membres des organisations de travailleurs puissent exercer librement leurs activités, sans faire l’objet de violence, pressions ou menaces de toutes sortes.
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