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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 330, Mars 2003

Cas no 2212 (Grèce) - Date de la plainte: 11-JUIL.-02 - Clos

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  1. 721. Dans une communication datée du 11 juillet 2002, la Fédération des marins grecs (PNO) a présenté une plainte pour violation de liberté syndicale contre le gouvernement de la Grèce. La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) et la Fédération internationale des travailleurs des transports (FITT) se sont associées à cette plainte dans leurs communications datées respectivement du 16 et du 30 juillet 2002.
  2. 722. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans des communications datées du 27 août et du 12 novembre 2002.
  3. 723. La Grèce a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations du plaignant

A. Allégations du plaignant
  1. 724. Dans sa communication du 11 juillet 2002, la Fédération des marins grecs (PNO) qui se situe au plus haut niveau hiérarchique de l’organisation syndicale des gens de mer avec 14 syndicats affiliés, allègue que le gouvernement a violé ses droits syndicaux en proclamant un ordre de mobilisation civile pour mettre fin à une grève légale.
  2. 725. La fédération (PNO) fait valoir qu’à la date du 11 décembre 2001 son conseil général (qui est, dans l’ordre hiérarchique, le deuxième organe constitutionnel de la fédération, après le congrès et avant le conseil exécutif) avait donné pour mandat au conseil exécutif de déclencher une grève nationale s’il n’était pas fait droit aux revendications justes et équitables des marins, reçues comme telles par le gouvernement, dans un délai de six mois. La fédération ajoute que les revendications portaient sur l’augmentation des pensions et des allocations perçues au titre des fonds de prévoyance et incluaient plus spécifiquement: a) l’établissement d’un calendrier précis de réajustement des pensions des marins retraités afin que le montant principal représente 80 pour cent du salaire d’un actif (au lieu de 60 pour cent actuellement), calculé sur la base de toutes les prestations et allocations donnant lieu à déductions en faveur du Fonds de retraite des gens de mer; b) une augmentation de 1,5 pour cent par an du montant de la retraite complémentaire afin qu’il atteigne 30 pour cent du montant principal; c) le doublement des allocations forfaitaires perçues au titre des fonds de prévoyance pour tous les officiers et matelots; et d) la création d’un fonds de chômage indépendant.
  3. 726. La fédération (PNO) précise qu’aucune solution n’ayant été apportée aux revendications précitées dans le délai de six mois qu’elle avait fixé, son conseil exécutif avait lancé un ordre de grève nationale tournante de 48 heures à partir de 6 heures du matin le 11 juin 2002 jusqu’à 6 heures du matin le 13 juin 2002. D’après elle, suite à l’annonce de grève, une série de réunions avaient eu lieu entre des représentants du ministère de la Marine marchande et des membres de son conseil exécutif. Le 6 juin 2002, le ministre envoyait un texte à la fédération, accompagné de notes explicatives, sur les dispositions législatives devant être incorporées dans un projet de loi sur la sécurité sociale (concernant la réforme du régime des retraites pour les travailleurs à terre) qui faisait l’objet d’un débat au Parlement à l’époque. Les deux premières revendications présentées par la fédération avaient été prises en compte dans ces propositions législatives qui prévoyaient notamment qu’à partir du 1er janvier 2003 le montant principal de la retraite des gens de mer atteindrait 70 pour cent du salaire d’un actif, y compris l’allocation du dimanche, et que la retraite complémentaire augmenterait de 1,5 pour cent par an pour atteindre 30 pour cent du montant principal. Dans les notes explicatives, il était précisé, entre autres, que ces propositions législatives seraient incorporées dans un additif au projet de loi sur la sécurité sociale et que l’augmentation des pensions des gens de mer serait financée sur le budget de l’Etat en raison des conditions particulières attachées à la profession de marin et de la grande contribution de cette activité au développement de l’économie nationale. La Fédération (PNO) joint à sa plainte les deux documents qui ont été signés par le ministre de la Marine marchande et le ministre du Travail et de la Sécurité sociale mais non par le ministre des Finances et de l’Economie nationale.
  4. 727. La fédération déclare s’être fondée sur la fiabilité des signatures apposées et des assurances fournies par les ministres pour décider ce même jour (le 6 juin 2002) d’annuler provisoirement l’ordre de grève du 11 juin 2002. Toutefois, elle observe qu’en attendant la signature du projet de texte législatif mentionné ci-dessus par le ministre des Finances et de l’Economie nationale, le ministre de la Marine marchande faisait une déclaration à la presse dans laquelle il s’écartait du texte convenu et en reportait l’application sine die. Au vu de l’évolution de la situation, la fédération décidait de lancer un ordre de grève tournante de 48 heures du 18 au 20 juin 2002 pour tous les types de navires. Le 20 juin, la grève était reconduite pour 48 heures mais le gouvernement y mettait fin le 21 juin en proclamant la mobilisation civile, mesure généralement réservée aux situations d’urgence nationale. La fédération ajoute que ses membres n’ont pas eu d’autre choix que d’obtempérer, le refus d’obéir entraînant effectivement des sanctions pénales (emprisonnement) et/ou fiscales (amende) pour les marins qui ne reprendraient pas le travail.
  5. 728. La fédération joint à sa plainte le texte de l’ordre de mobilisation civile qui allègue l’impérieuse nécessité de prévenir les conséquences défavorables de la grève prolongée ayant gravement perturbé la vie économique et sociale du pays et de ne pas mettre en danger la santé des habitants des îles isolées. Elle soutient que la mobilisation civile proclamée par le gouvernement trois jours et demi après une grève syndicale légalement organisée, bénéficiant de l’appui de la totalité des marins grecs, constitue une mesure excessivement rigoureuse qui contrevient aux principes de la liberté d’association et à la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Elle joint aussi une déclaration de soutien du Centre des travailleurs du Pirée qui est une branche de la Confédération générale des travailleurs grecs. Dans sa déclaration, le centre condamne l’ordre de mobilisation qu’il qualifie de mesure antidémocratique et restrictive peu propice à la recherche d’une véritable solution.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 729. Dans sa réponse datée du 27 août 2002, le gouvernement déclare avoir répondu de façon positive et en temps opportun à toutes les revendications émises par la fédération (PNO). Il joint en annexe à sa réponse une brochure intitulée «Décisions du gouvernement relatives aux marins grecs», spécialement publiée par le ministère de la Marine marchande et distribuée aux marins après la proclamation de la mobilisation civile en juin 2002. S’agissant de la première revendication de la fédération, à savoir l’établissement d’un calendrier précis de réajustement des pensions des marins retraités à concurrence de 80 pour cent des salaires versés aux actifs, le gouvernement indique dans la brochure qu’il a traité la question en faisant passer le montant des retraites de 60 pour cent du salaire nominal à 70 pour cent du salaire réel (salaire de base augmenté de l’allocation du dimanche). S’agissant de la deuxième revendication, à savoir l’augmentation de la retraite complémentaire selon un taux annuel de 1,5 pour cent jusqu’à ce qu’elle atteigne un montant équivalent à 30 pour cent de celui de la retraite principale, le gouvernement fait observer qu’il a accepté cette revendication. S’agissant de la troisième revendication, à savoir le doublement des montants de la somme forfaitaire, le gouvernement note qu’il a été décidé, compte tenu du fait que les institutions compétentes constituent des entités juridiques de droit privé, que la fédération (PNO) et le ministère de la Marine marchande coopèreraient pour réorganiser de façon radicale, réformer et rationaliser le système du paiement d’une somme forfaitaire. S’agissant de la quatrième revendication, à savoir la création d’un Fonds spécial de chômage indépendant, le gouvernement déclare qu’elle a été acceptée et qu’un comité composé de membres de la fédération (PNO), du ministère de la Marine marchande, du ministère du Travail, de l’Organisation pour l’emploi de la main-d’œuvre, de la Confédération générale des travailleurs grecs, etc., a été constitué en vue de créer un Fonds spécial de chômage pour les gens de mer. Le gouvernement précise qu’une revendication supplémentaire a été satisfaite afin que le Fonds de retraite des gens de mer ne fasse pas partie de la Caisse générale de sécurité sociale. En conséquence, la disposition pertinente qui en prévoyait l’intégration n’a pas été incluse dans la loi sur la sécurité sociale qui traitait de la réforme du régime des retraites pour les travailleurs à terre.
  2. 730. Le gouvernement précise que la seule question restant à débattre et pouvant constituer un point de friction était celle du mode de paiement de l’augmentation de 70 pour cent des retraites ou, selon la formulation de la fédération (PNO), du «calendrier d’exécution» de ladite augmentation. Dans la brochure du ministère de la Marine marchande, le gouvernement précise que le déficit du Fonds de retraite des gens de mer qui s’élevait à 188 milliards de drachmes en 2002 a été couvert par le budget de l’Etat à hauteur de 161 milliards de drachmes. Pour répondre aux revendications de la fédération (PNO), le gouvernement devrait dégager 40 milliards de drachmes supplémentaires par an et épuiserait ainsi toute possibilité de contribuer davantage à ce fonds. Il ajoute que les coûts de financement du Fonds de retraite des gens de mer sont élevés parce que les augmentations s’appliquent à tous les retraités (ce qui n’est pas le cas des autres fonds) et non pas seulement à ceux qui prennent leur retraite après que le nouveau droit ait été conféré. Le gouvernement fait observer qu’une possibilité initialement reconnue avait été de ne commencer à verser la totalité de l’augmentation en pourcentage qu’à partir de 2003. A l’époque, le coût avait été évalué entre 9 et 15 milliards de drachmes mais le rapport établi par le Service de la comptabilité générale de l’Etat avait montré qu’il avait été sous-estimé et qu’il se monterait en fait à 40 milliards de drachmes par an. Le gouvernement déclare donc, au vu de cette situation, qu’il avait décidé et proposé de procéder à des versements échelonnés sur une période de cinq ans. Il fait observer qu’en dépit du fait qu’elle avait annoncé qu’elle ferait une contre-proposition la fédération (PNO) a décidé de prolonger la grève sans même répondre à cette proposition. Le gouvernement annonce des augmentations en pourcentage sans précédent du montant des retraites pour la période 2003-2007.
  3. 731. Le gouvernement relève aussi que, même si les trois ministres (de l’Economie nationale, du Travail, de la Marine marchande), comme il est mentionné dans la brochure, ont accepté de faire droit aux revendications de la fédération (PNO), le ministre des Finances et de l’Economie nationale n’a pas signé le projet de texte législatif convenu pour les raisons énumérées ci-après. Bien que le ministre de la Marine marchande ait insisté pendant quatre mois auprès de la fédération (PNO) pour faire figurer un article séparé sur la question dans le projet de loi sur la sécurité sociale, la réponse a toujours été négative jusqu’au jour précédant la présentation dudit projet de loi au Parlement. A ce stade, une tentative a été faite pour insérer un addendum qui n’a toutefois pas pu être présenté en raison de l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions réglementaires au Parlement et de l’absence du rapport établi par le Service de la comptabilité générale de l’Etat. Seules les signatures des deux rapporteurs étaient apposées au bas du projet de texte qui n’était donc pas signé par le ministre des Finances et de l’Economie nationale. Ce dernier a toutefois déclaré, lors de la session parlementaire qui s’était tenue à cette époque, que les retraites passeraient de 60 à 70 pour cent (du salaire des actifs) en vertu d’un autre projet de loi.
  4. 732. Le gouvernement a joint à la brochure distribuée aux marins un appendice intitulé «Augmentation des retraites [des gens de mer] sur la base des décisions du gouvernement» avec des tableaux indiquant les montants des augmentations accordées chaque année de 2003 à 2007. D’après ces tableaux, les retraites augmenteront de 2 pour cent par année pour atteindre 62 pour cent du salaire réel (salaire de base augmenté de l’allocation du dimanche) en 2003, 64 pour cent en 2004, 66 pour cent en 2005, 68 pour cent en 2006 et 70 pour cent en 2007. Le gouvernement indique en outre dans la brochure que ses décisions sont valides, qu’il appuiera les mesures annoncées qui sont essentielles à sa politique des transports maritimes, et qu’il appliquera les décisions adoptées par voie de négociation parce qu’il est convaincu que les revendications présentées sont justes et aident les marins et l’industrie grecque des transports maritimes. Il fait aussi valoir que les transports maritimes n’appartiennent en propre ni aux armateurs, ni aux syndicalistes, ni aux services de l’Etat mais à la population et à l’économie nationale qui financent cette activité.
  5. 733. Le gouvernement relève aussi que, même si les montants correspondant au réajustement des retraites devaient être versés, comme le demandait la fédération (PNO), sous forme d’une somme forfaitaire en 2003, ceci ne représenterait, par rapport à la totalité des augmentations, qu’une faible différence qui n’aurait pas dû engendrer de manière abusive des conséquence aussi dommageables pour les citoyens, l’activité touristique du pays, les producteurs, les affaires et les îles. Il est politiquement et socialement inacceptable que d’aussi faibles divergences, indiscernables par la société, entre les syndicats et le gouvernement puissent aboutir à un tel désastre et à un tel isolement.
  6. 734. Le gouvernement indique en outre qu’en dépit de sa réponse positive en temps opportun aux revendications présentées par la fédération cette dernière avait émis un avis par écrit confirmant le déclenchement, avec durcissement éventuel de cette action, d’une grève nationale tournante de 48 heures pour tous les équipages de toutes les catégories de navires à partir de 6 heures du matin le 18 juin 2002 jusqu’à 6 heures du matin le 20 juin 2002. Pendant cette première période de grève, la fédération lançait un nouveau mot d’ordre visant à la poursuite de l’action de 6 heures du matin le 20 juin jusqu’à 6 heures du matin le 22 juin 2002. Puis elle annonçait, au cours de ce nouvel épisode, qu’elle reconduirait la grève de 6 heures du matin le 22 juin à 6 heures du matin le 24 juin 2002. A ce stade, en vertu des décisions no Y369 et no Y370/20.6.2002, le Premier ministre plaçait les équipages des navires de la marine marchande en état de mobilisation civile générale et autorisait le ministre de la Marine marchande à proclamer la mobilisation et à prendre toutes les dispositions nécessaires pour garantir le fonctionnement sans heurts de la vie sociale et politique de l’Etat et prévenir tout risque de mise en danger de la santé des habitants des îles isolées. En vertu de la décision no 199/21.06.2002, le ministre de la Marine marchande déclarait la mobilisation civile générale des équipages des navires de la marine marchande dès 16 heures le 21 juin 2002.
  7. 735. Dans sa réponse, le gouvernement déclare que sa décision de procéder à la mobilisation civile des marins n’avait pour unique objet que la nécessité de protéger la santé publique. Comme tout le monde le sait, la Grèce est composée d’un grand nombre d’îles habitées et, pendant la saison estivale qui englobe indubitablement aussi, selon le gouvernement, les dix derniers jours de juin, le nombre d’habitants augmente dans ces îles en raison de l’afflux des touristes qui s’ajoutent à la population locale. Le transport maritime est un facteur direct, voire crucial dans certaines îles, du déroulement harmonieux et ordonné de la vie insulaire. Le gouvernement fait observer que les navires marchands sont le mode de transport prédominant, voire exclusif dans certains cas, pour approvisionner les îles en nourriture, en eau, en produits pharmaceutiques et autres, comme les combustibles par exemple, et que l’absence de toutes ces marchandises comporte des risques pour la santé publique. En outre, les navires marchands contribuent aussi de façon substantielle à l’acheminement des malades et du personnel médical et à leur transfert dans les centres de soins primaires et secondaires du système national de santé. Le recours à ce type de transport est quasi quotidien aussi bien dans les îles qu’entre celles-ci et le continent. Le gouvernement ajoute qu’avant l’adoption et la mise en œuvre des décisions en question presque quatre jours s’étaient écoulés sans transport maritime dans le pays, posant des risques évidents en matière de santé publique.
  8. 736. Le gouvernement fait aussi observer qu’avant d’adopter et de faire appliquer ces décisions, il avait été informé d’un grand nombre de cas de pénurie de fournitures de base et de produits pharmaceutiques dans les îles. Il joint à sa réponse huit lettres écrites par des autorités administratives locales, des fondations universitaires et des associations privées qui font toutes référence à un état de pénurie, y compris pour des articles de première nécessité, et à l’incapacité de fournir des soins médicaux.
  9. 737. Le gouvernement joint aussi en annexe une lettre adressée par le ministère de la Marine marchande et, plus spécifiquement, par le directeur de l’autorité portuaire, à la fédération (PNO) après confirmation par celle-ci, le 16 juin 2002, de son ordre de grève. Dans cette lettre, le directeur de l’autorité portuaire invite la fédération à permettre l’exploitation d’au moins une route maritime entre les ports du Pirée et de Rafina et chacune de leurs destinations insulaires (îles septentrionales de la mer Egée, Cyclades, Dodécanèse, Crète, îles du Golfe d’Argosaronikos), en vue d’assurer le niveau minimal absolument indispensable de desserte maritime et de garantir et promouvoir des conditions de vie satisfaisantes, compte tenu de la nécessité de faire parvenir dans ces îles les produits acheminés principalement par voie maritime pour satisfaire aux besoins réellement essentiels de la population. Il y est aussi signalé qu’indépendamment du fait que la législation en vigueur énonce les procédures relatives au déclenchement des grèves l’exercice du droit de grève garanti par la constitution ne doit pas porter atteinte aux droits des citoyens à l’ordre public et au transport, et que la pratique, en ce domaine, est bien connue et appliquée à tous les moyens de transport. Le gouvernement ajoute que la fédération n’a pas réagi de façon positive à cette tentative de compromis.
  10. 738. Le gouvernement précise que les décisions du Premier ministre et du ministre de la Marine marchande sont tout à fait légales, qu’elles ont été émises suivant les formalités requises et rentrent dans les limites des pouvoirs constitutionnels, et qu’elles ne peuvent en aucun cas être réputées contraires aux obligations contractées par le pays en vertu des conventions internationales ratifiées par la Grèce et, en particulier, la convention no 87. Il ajoute que les décisions en cause n’ont été adoptées que lorsque le gouvernement s’est trouvé confronté à une situation de crise nationale aiguë en vue de préserver les biens collectifs les plus importants et de ne pas mettre en danger la santé des habitants des îles isolées, toutes les autres voies disponibles ayant été épuisées et compte tenu de l’urgente nécessité de prévenir les conséquences néfastes pouvant résulter de la prolongation d’une grève qui avait déjà gravement perturbé la vie sociale et économique de l’Etat. Selon le gouvernement, l’application desdites décisions avait permis de restaurer et de maintenir les conditions nécessaires pour prévenir et éviter, en particulier pendant la période estivale, tout risque grave susceptible de menacer la santé publique. Ces décisions sont donc directement et substantiellement liées à des raisons d’intérêt général et n’ont en aucune façon porté atteinte aux droits des gens de mer en matière d’assurance, de travail ou d’association.
  11. 739. Dans une communication datée du 12 novembre 2002, le gouvernement déclare que la mobilisation civile des équipages des navires de la marine marchande a été levée le 25 septembre 2002 en vertu des décisions no 491/2002 du Premier ministre et no 283/2002 du ministre de la Marine marchande, les raisons qui en avaient entraîné l’imposition n’étant plus réunies.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 740. Le comité observe que le présent cas porte sur des allégations de violation de la liberté syndicale suscitées par la proclamation d’un ordre de mobilisation civile pour mettre fin à une grève légale.
  2. 741. Le comité note que la fédération (PNO) avait annoncé, en décembre 2001 déjà, son intention d’appeler à la grève si ses revendications n’étaient pas satisfaites et, en particulier, sa demande d’établissement d’un calendrier de réajustement du montant principal des pensions des marins retraités à concurrence de 80 pour cent (au lieu de 60 pour cent) du salaire des actifs. Le comité note aussi qu’aucun accord n’avait été conclu début juin quant aux revendications de la fédération et que celle-ci avait donc décidé de déclencher une grève tournante de 48 heures le 11 juin 2002. Il observe que, suite à cette annonce, des négociations avaient eu lieu entre le ministre de la Marine marchande et le conseil exécutif de la fédération et qu’un accord avait été conclu le 6 juin 2002, lorsque le ministre de la Marine marchande avait adressé deux documents à la fédération dans lesquels il répondait à certaines des revendications présentées par cette dernière en disposant, entre autres, que le montant principal des pensions des marins retraités passerait à 70 pour cent du salaire des actifs, y compris l’allocation du dimanche, dès le 1er janvier 2003. Faisaient partie des documents en question un projet de texte législatif devant être incorporé dans le projet de loi sur la sécurité sociale qui devait faire l’objet d’un débat au Parlement à l’époque, et un mémoire explicatif qui avait été signé par le ministre de la Marine marchande et le ministre du Travail et de la Sécurité sociale mais non par le ministre des Finances et de l’Economie nationale. Le comité note que la fédération allègue qu’elle avait décidé, ce même jour, d’annuler provisoirement l’ordre de grève sur la base des signatures apposées et des garanties fournies.
  3. 742. Le comité observe que les deux parties, le plaignant comme le gouvernement, signalent que l’accord conclu entre elles n’avait pas été mis en œuvre comme prévu. La fédération, quant à elle, allègue avoir entendu le ministre de la Marine marchande déclarer à la presse, pendant la période où était attendue la signature du ministre des Finances et de l’Economie nationale, que la mise en œuvre d’une partie de l’accord était reportée sine die. De son côté, le gouvernement déclare avoir été informé par le Service de la comptabilité générale de l’Etat, après la conclusion de l’accord, que le coût de réajustement du montant des retraites, tel qu’il avait été convenu au titre de l’accord, serait beaucoup plus élevé que prévu dans l’évaluation initiale. En conséquence, il avait décidé et proposé à la fédération (PNO) de modifier l’accord pour procéder à un réajustement progressif des retraites sur une période de cinq ans. Le gouvernement ajoute qu’il était impossible d’exécuter cet accord, en présentant le projet de texte législatif convenu au Parlement pour la raison, entre autres, que le rapport du Service de la comptabilité générale de l’Etat, requis pour cette présentation, n’était pas versé au dossier. Le comité note que le projet de texte n’avait pas été signé par le ministre de l’Economie et des Finances et que ce dernier avait déclaré au Parlement que les retraites seraient augmentées en vertu d’un autre projet de loi.
  4. 743. Le comité note la déclaration du gouvernement selon laquelle la fédération avait décidé de lancer son action de grève sans faire de contre-proposition, appelant à une grève nationale tournante de 48 heures du 18 au 20 juin 2002 et durcissant cette action le 20 juin en la prolongeant de 48 heures. Dès 16 heures le 21 juin 2002, c’est-à-dire trois jours et demi après le début de la grève, les équipages des navires de la marine marchande étaient déclarés en état de mobilisation civile générale, en vertu des décisions arrêtées par le Premier ministre et le ministre de la Marine marchande, en date des 20 et 21 juin respectivement. Le comité note la déclaration de la fédération selon laquelle ses membres n’avaient eu le choix que d’obtempérer ou d’être passibles de peines d’emprisonnement ou d’amende.
  5. 744. Le comité note aussi qu’après la proclamation de la mobilisation civile le gouvernement avait publié et distribué une brochure à l’intention des marins dans laquelle il indiquait ses décisions en matière de réajustement des pensions dont le paiement était échelonné sur une période de cinq ans et soulignait qu’il était fermement déterminé à les appliquer. Le comité observe que l’accord initialement conclu prévoyait d’accorder une augmentation de 10 pour cent dès le 1er janvier 2003 alors que le gouvernement annonçait sa décision de procéder à un réajustement progressif en accordant des augmentations de 2 pour cent par an sur une période échelonnée de 2003 à 2007.
  6. 745. Le comité a considéré par le passé que les accords doivent être obligatoires pour les parties [voir Recueil de décisions et de principes du comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 818] et que les pouvoirs budgétaires dont est investie l’autorité législative ne devraient pas avoir pour conséquence d’empêcher l’application des accords conclus par une autorité publique locale ou en son nom. Il considère aussi que, pour que les négociations aient un sens, les parties doivent avoir accès à toutes les données financières, budgétaires et autres qui leur permettent d’évaluer la situation en fonction des faits. Il estime donc que, dans la mesure où le fonds de retraite des marins dépend du budget de l’Etat, le gouvernement ne pourrait faire l’objet de critiques s’il avait demandé que lui soit remis, à un moment ou à un autre du déroulement de négociations qui avaient duré six mois, le rapport du Service de la comptabilité générale de l’Etat afin que les parties puissent en prendre connaissance et exprimer leur point de vue sur son contenu.
  7. 746. Le comité note en outre que, dès lors qu’il serait clairement apparu qu’il était pratiquement impossible de mettre en œuvre l’accord en question et après que tous les efforts aient été épurés de bonne foi en vue de cette mise en œuvre, il ne pourrait être élevé d’objection à ce que le gouvernement déploie des efforts concrets en vue de la renégociation de l’accord afin de trouver une solution mutuellement acceptable par les parties. A cet égard, le comité observe que le gouvernement ne fournit pas de précisions sur les modalités de sa nouvelle proposition à la fédération (PNO) en vue de renégocier l’accord et n’indique pas non plus si le projet de loi auquel s’était référé le ministre des Finances et de l’Economie nationale, lors de la session parlementaire, comme une autre façon de mettre en œuvre l’accord intervenu, existait déjà ou serait élaboré ultérieurement. Le comité considère que le fait que la fédération ait déclenché une grève n’empêchait pas les négociations d’avoir lieu et rappelle que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et pour défendre leurs intérêts économiques et sociaux. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 475.]
  8. 747. Le comité observe que les augmentations accordées aux retraités sur la base des décisions du gouvernement ne correspondent pas à celles qui avaient été convenues initialement avec la fédération et prend tout particulièrement note de la déclaration du gouvernement annonçant qu’il appuierait les mesures annoncées. Le comité est d’avis que l’intention déclarée du gouvernement de procéder à la mise en œuvre des mesures annoncées sans chercher l’accord de la fédération constitue une modification unilatérale de l’accord, en violation de l’article 4 de la convention no 98. Tout en notant la déclaration du gouvernement selon laquelle les divergences n’étaient plus que minimes avec la fédération, le comité observe que le caractère volontaire des négociations collectives exige que de telles divergences soient résolues d’un commun accord plutôt que par décision unilatérale. Le comité demande au gouvernement d’engager dès que possible des négociations avec l’organisation plaignante, en pleine connaissance des faits pertinents, en vue d’aboutir à un accord entre les parties sur un calendrier spécifique de versement des rajustements des pensions aux marins retraités, et de le tenir informé de l’évolution de la situation.
  9. 748. Le comité prend acte des déclarations du gouvernement selon lesquelles l’ordre de mobilisation civile visait exclusivement la protection de la santé publique et n’a été proclamé qu’au motif d’une situation de crise nationale aiguë, dans le souci de préserver la santé des habitants des îles, toutes les autres voies possibles de recherche d’une solution ayant été préalablement épuisées. Le comité note que, selon le gouvernement, le nombre d’habitants augmente dans les îles pendant l’été en raison de l’afflux des touristes qui viennent grossir les chiffres de la population locale, et que les navires de la marine marchande sont le moyen de transport prédominant, voire exclusif dans certains cas, pour acheminer la nourriture, l’eau et les produits pharmaceutiques et qu’ils contribuent aussi substantiellement au transfert des malades et du personnel médical entre les centres de soins de santé primaires et secondaires du système de santé national. Le comité note en outre que, selon le gouvernement, le fait que presque quatre jours se soient écoulés sans transport maritime dans le pays entraînait des risques évidents pour la santé publique. Il prend acte des huit lettres jointes à la réponse du gouvernement et écrites par des autorités locales (les Préfets des îles de Samos et Lesbos, les Présidents de communautés de la Préfecture des Cyclades, les maires des îles de Milos, Paros et Ios, le Conseil municipal de l’île de Paros), des centres médicaux (le Président du centre médical de Milos et l’hôpital général universitaire de district de Héraklion, Crète) et une association d’hôteliers (l’association des hôteliers de Milos) qui font référence, entre autres, au fait que la grève entraînait des pénuries d’articles de première nécessité et de produits frais et qu’elle empêchait une équipe de médecins bénévoles de mener à bien une visite prévue dans un centre de soins primaires et un centre de soins secondaires dans les îles. Le comité note aussi la déclaration de la fédération que la portée de la grève a dû être importante puisqu’elle a concerné tous les types de navires et a été suivie par 100 pour cent des marins. Toutefois, le comité observe que la grève n’a duré que trois jours et demi et que la plupart des lettres citées ci-dessus font principalement état des effets économiques de la grève en pleine saison touristique et ne se réfèrent à la santé publique qu’à titre secondaire. Le comité estime donc que les preuves apportées font état de risques potentiels pour la population des îles mais qu’elles n’indiquent pas l’existence d’une situation de crise nationale aiguë.
  10. 749. Le comité rappelle que le droit de grève peut être restreint, voire interdit: 1) dans la fonction publique, uniquement pour les fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’Etat; ou 2) dans les services essentiels au sens strict du terme, c’est-à-dire les services dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 526.] S’agissant de la fonction publique, le comité considère que le fait que le fonds de retraite soit financé par le budget de l’Etat ne place pas les marins dans la catégorie des fonctionnaires. S’agissant des services essentiels au sens strict du terme, le comité a noté dans le passé que le service des transbordeurs et le transport de voyageurs et de marchandises ne sont pas des services essentiels. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 563 et 566.] Toutefois, le comité a aussi noté que ce que l’on entend par service essentiel au sens strict du terme dépend largement des conditions spécifiques de chaque pays et que ce concept ne revêt pas un caractère absolu dans la mesure où un service non essentiel peut devenir essentiel si la grève dépasse une certaine durée ou une certaine étendue, mettant ainsi en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 541.] Ainsi le comité a estimé que, compte tenu des difficultés et des inconvénients que pourrait entraîner pour la population installée dans les îles le long de la côte une interruption des services de transbordeurs, un service minimum peut être maintenu en cas de grève [voir Recueil, op. cit., paragr. 563] et a noté, en outre, que le transport de voyageurs et de marchandises est un service public d’une importance primordiale dans le pays où l’imposition d’un service minimum en cas de grève peut se justifier. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 566.] Le comité estime donc que l’imposition d’un service minimum dans les circonstances propres au cas présent ne serait pas contraire aux principes de la liberté syndicale.
  11. 750. Toutefois, le comité note que l’exposé des faits ne donne pas une idée claire du régime juridique appliqué en matière de service minimum. Le comité observe, en particulier, dans un document joint en annexe à la réponse du gouvernement, que le directeur de l’autorité portuaire avait immédiatement pris contact avec la fédération dès que cette dernière avait annoncé sa décision de lancer son mot d’ordre de grève pour la deuxième fois, le 16 juin 2002 et qu’il lui avait demandé de concéder le maintien d’au moins une route maritime entre les deux principaux ports d’Athènes, le Pirée et Rafina, et chaque île desservie. Le comité note qu’au lieu de fonder sa demande sur des dispositions juridiques spécifiques le directeur de l’autorité portuaire fait référence à une pratique qualifiée d’habituelle qui serait largement appliquée dans le secteur des transports, toutes catégories confondues. En conséquence, le comité note qu’il ne semble pas y avoir de règles ni de procédures juridiquement contraignantes en matière de service minimum. Il observe de plus que le message en question ne constituait pas une invitation à négocier mais plutôt une invitation à accepter une définition spécifique du service minimum sans avoir consulté au préalable ni la fédération ni l’organisation d’employeurs concernée, et il note aussi qu’aucune négociation sur la définition d’un service minimum n’avait eu lieu au cours des six mois de négociations entre la fédération et le ministère de la Marine marchande, bien que la fédération ait annoncé son intention de déclencher une grève si ses revendications n’étaient pas satisfaites. Enfin, le comité note que la Commission d’experts pour l’application des conventions et des recommandations, depuis de nombreuses années, se déclare préoccupée par la situation des marins qui sont exclus de la législation généralement applicable en matière de liberté syndicale.
  12. 751. Le comité rappelle l’importance d’assurer que les dispositions relatives au service minimum à appliquer en cas de grève dans un service essentiel soient déterminées avec clarté, appliquées strictement et connues en temps utile par les intéressés. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 559.] Un service minimum devrait se limiter aux opérations strictement nécessaires pour ne pas compromettre la vie ou les conditions normales d’existence de tout ou partie de la population, et les organisations de travailleurs devraient pouvoir participer à sa définition tout comme les employeurs et les autorités publiques. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 558.] En cas de divergence, la législation devrait prévoir le règlement de pareille divergence par un organe indépendant et non par le ministère concerné. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 561.]
  13. 752. S’agissant de la proclamation de l’ordre de mobilisation civile qui a mis fin à la grève déclenchée par la Fédération (PNO), le comité note que la sévérité de cette mesure qui a imposé l’interdiction pure et simple d’une grève, en l’accompagnant de sanctions pénales, a dépassé l’objectif énoncé, à savoir la protection de la santé publique dans les îles. Le comité rappelle à cet égard la déclaration du gouvernement selon laquelle le maintien d’une route maritime entre les deux principaux ports d’Athènes et chaque île desservie aurait suffi à satisfaire les besoins essentiels couverts par le transport maritime. Il considère donc que la proclamation de la mobilisation civile a constitué une restriction disproportionnée du droit de grève en violation de l’article 3 de la convention no 87.
  14. 753. En outre, le comité rappelle que les restrictions au droit de grève devraient s’accompagner de procédures de conciliation et d’arbitrage appropriées, impartiales et expéditives, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer, et dans lesquelles les sentences rendues devraient être appliquées entièrement et rapidement. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 547.] Le comité note que la proclamation de l’ordre de mobilisation civile n’a fourni aucune garantie compensatoire à cet égard. Au contraire, dès que le texte en a été promulgué, le gouvernement a annoncé son intention d’appliquer ses décisions sans rechercher l’accord de la fédération. Dans ce contexte, le comité observe que l’ordre de mobilisation civile a permis à l’une des parties d’imposer une solution unilatérale à un différend, en violation de l’article 4 de la convention no 98.
  15. 754. Le comité souligne que l’adoption de mesures unilatérales n’est pas de nature à favoriser le développement de relations professionnelles harmonieuses. Il prend acte des décisions du Premier ministre et du ministre de la Marine marchande en date du 25 septembre mettant fin à la mobilisation civile et invite le gouvernement à ne pas recourir à de pareilles mesures à l’avenir.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 755. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité demande au gouvernement d’engager dès que possible des négociations avec l’organisation plaignante, en pleine connaissance de tous les faits pertinents, en vue d’aboutir à un accord entre les parties sur un calendrier de réajustement du montant des retraites versées aux marins et de le tenir informé de l’évolution de la situation.
    • b) Prenant acte du fait que la mobilisation civile a été levée, le comité souligne que l’adoption de mesures unilatérales n’est pas de nature à favoriser le développement de relations professionnelles harmonieuses et que ces mesures sont contraires aux conventions nos 87 et 98, et prie le gouvernement de ne pas recourir à de telles mesures à l’avenir. Le comité note toutefois que la mise en œuvre d’un service minimum dans les circonstances particulières de ce cas ne serait pas contraire aux principes de la liberté syndicale.
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