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- 89. La plainte figure dans une communication de la Centrale des travailleurs argentins (CTA) et de l'Association des travailleurs de l'Etat (ATE) datée de juin 1999. Le gouvernement a fourni sa réponse dans une communication du 11 mai 2000.
- 90. L'Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 91. Dans leur communication de juin 1999, la Centrale des travailleurs argentins (CTA) et l'Association des travailleurs de l'Etat (ATE) déclarent qu'à partir de 1995 il y a eu une escalade de tentatives du gouvernement de la province de la Terre de Feu, de l'Antarctide et des îles de l'Atlantique Sud visant à limiter la liberté syndicale. Les organisations plaignantes ajoutent que c'est dans ce contexte qu'a été promulguée la loi provinciale no 278 portant sur la transformation de l'Etat provincial et qu'ont été édictés par la suite les décrets nos 1865/98 et 2441/98; concrètement, les organisations plaignantes critiquent le dernier décret, qui abroge le précédent.
- 92. Les organisations plaignantes déclarent que le décret provincial no 2441/98 viole la liberté syndicale et que l'ATE a interjeté recours en inconstitutionnalité devant les autorités judiciaires, mais que celles-ci ne se sont pas encore prononcées. Concrètement, les organisations plaignantes font valoir que le décret en question contient des dispositions qui réglementent la tenue de réunions sur les lieux et durant les heures de travail. Elles relèvent qu'en vertu de l'article 5 de l'annexe I du décret le droit de tenir des réunions ou des assemblées énoncé dans la loi sur les associations syndicales no 23551 pourra être exercé exclusivement quand la journée de travail sera terminée et dans un lieu désigné par l'employeur. Ce n'est que dans des circonstances extraordinaires qu'une autorisation pourra être demandée pour la tenue de réunions durant la journée de travail, et dans un tel cas, si les motifs peuvent être retenus, un acte administratif autorisant la tenue des réunions sera édicté. Les organisations plaignantes estiment que cette disposition interdit l'exercice du droit de réunion durant la journée de travail et porte atteinte au droit du syndicat de communiquer avec les travailleurs. Les organisations plaignantes sont également d'avis que la disposition critiquée implique une ingérence injustifiée dans la vie de l'association syndicale, étant donné que ladite disposition exige l'obtention d'une autorisation pour tenir des réunions durant la journée de travail.
- 93. Les organisations plaignantes se réfèrent ensuite au conflit qui a conduit à la déclaration d'une grève pour une durée encore indéterminée à la date de la présentation de la plainte et que ce conflit concerne les travailleurs de l'intendance et des services employés par l'administration publique de la province de la Terre de Feu, de l'Antarctide et des îles de l'Atlantique Sud. Les organisations plaignantes indiquent que ce personnel a pour fonctions principales, en vertu des conventions collectives en vigueur, de procéder au nettoyage complet des établissements scolaires, d'assumer les tâches spécifiques de la préparation du menu quotidien, de superviser et diriger les tâches des aides de cuisine, de distribuer correctement la nourriture au réfectoire, de servir le petit-déjeuner et/ou le goûter des élèves, de superviser et diriger les tâches visant à assurer l'hygiène des installations de cuisine, du réfectoire et des travaux généraux de cuisine, de veiller à la livraison des marchandises nécessaires pour le menu de la semaine, de collaborer à la préparation des ingrédients nécessaires pour les repas, de procéder au nettoyage des installations de lavage de la vaisselle, de maintenir dans un état d'hygiène absolue les équipements de la cuisine et du réfectoire, etc. La majeure partie du personnel concerné est chargé de la prestation de services dans les établissements scolaires dépendant de l'administration publique de la province de la Terre de Feu, de l'Antarctide et des îles de l'Atlantique Sud.
- 94. Les organisations plaignantes déclarent qu'à partir de 1997 le gouvernement provincial a cherché à plusieurs reprises à privatiser le secteur mentionné. De plus, dans ledit secteur travaillent des personnes qui n'ont pas vraiment un contrat de travail mais qui sont employées dans le cadre d'autres arrangements (appelés plans de travail ou plans d'emploi) et qui effectuent les mêmes tâches que les travailleurs de l'intendance et des services généraux; ce type de recrutement aurait fait l'objet de nombreuses critiques. Les organisations plaignantes ajoutent qu'en novembre 1998 l'ATE a signalé dans une communication qu'elle avait décidé de déclarer un arrêt des activités, de réclamer une amélioration salariale pour l'ensemble de l'administration centrale, l'abrogation de toute disposition limitant la liberté syndicale ainsi que l'introduction d'une procédure de conciliation obligatoire. Après diverses négociations, le 20 mai 1999, il a été décidé de lancer une grève et une mobilisation durant toute la journée de travail de toutes les équipes de travail à partir du 21 mai 1999 pour une période indéterminée. Selon les organisations plaignantes, dès le début de l'action, les autorités ont annoncé qu'elles chargeraient des coopératives de remplacer les grévistes, et le 25 mai elles ont commencé à notifier aux grévistes l'ordre d'assumer à nouveau leurs tâches en les avertissant que dans le cas contraire elles prendraient les sanctions jugées appropriées. Les organisations plaignantes indiquent en outre que le 26 mai des agents de la police de la province de la Terre de Feu, de l'Antarctide et des îles de l'Atlantique Sud sont arrivés dans une école d'Ushuaia, ont essayé d'arrêter le personnel en grève et ont exigé des autorités de l'établissement de leur remettre la liste du personnel en grève. Comme les autorités voulaient charger des coopératives d'effectuer le travail à la place des grévistes, ces derniers ont essayé d'empêcher des membres de coopératives d'assumer leurs tâches en leur expliquant les raisons de l'action syndicale. Les organisations plaignantes indiquent que des actions judiciaires ont été engagées et que le personnel de l'ATE a été accusé d'avoir commis une infraction pénale en s'opposant à l'accès des membres de la coopérative de travail de la Terre de Feu et que, au moment de la présentation de la plainte, une enquête avait été ouverte sur les agissements de 12 grévistes cités nommément auxquels on reprochait d'avoir commis le délit susmentionné. Aucune décision n'a encore été prise dans le cadre des procédures engagées contre les personnes inculpées. Les organisations plaignantes allèguent également que le gouvernement de la province, au motif de l'action syndicale, a recouru aux "plans de travail" pour faire effectuer les tâches des grévistes.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 95. Dans sa communication du 11 mai 2000, le gouvernement déclare au sujet du décret provincial no 2441/98 critiqué par les organisations plaignantes qu'on ne saurait considérer comme une violation de la liberté syndicale l'exigence que des motifs recevables soient invoqués et qu'une autorisation préalable soit obtenue pour tenir des réunions sur les lieux et durant l'horaire de travail.
- 96. Quant au conflit avec le personnel chargé de l'intendance et des services généraux, le gouvernement déclare qu'à aucun moment il n'y a eu restriction du droit de grève; le concept de services essentiels n'a pas été invoqué pour assurer des services minimaux; l'action n'a pas été déclarée illégale et aucune sanction n'a été prise contre les organisateurs de la grève pour une durée indéterminée. Le gouvernement ajoute que, comme le signalent les organisations plaignantes, le personnel qui a suivi la grève de durée indéterminée a - notamment - pour fonctions principales d'assurer le nettoyage intégral des établissements scolaires, de distribuer des aliments dans les réfectoires scolaires, et de veiller à l'hygiène des installations de cuisine, d'assumer les tâches de préparation de la "tasse de lait", de servir le petit-déjeuner et le goûter aux enfants, etc.; toutes ces tâches doivent être assumées dans des établissements scolaires publics dépendant de l'administration provinciale. A cet égard, le gouvernement relève que, conformément au critère fixé tant par le Comité de la liberté syndicale que par la commission d'experts, les services essentiels sont ceux dont l'interruption pourrait mettre en danger la vie, la sécurité ou la santé de la personne. A cet égard, le gouvernement signale que malheureusement dans plusieurs provinces de la République argentine les réfectoires scolaires sont la principale source d'alimentation pour des enfants en âge scolaire souffrant de carence nutritionnelle. Aussi, la non-exécution des tâches de nettoyage dans les écoles (aulas, toilettes, cuisines, etc.), surtout pendant une durée indéterminée, est en elle-même une source d'infection qui met en danger la santé des enfants et des autres membres de la communauté d'éducation. Dans de telles circonstances, la non-exécution des travaux de nettoyage dans les réfectoires des établissements met en danger la santé et la sécurité d'un très grand nombre d'enfants. En dépit de ce qui précède, ces circonstances n'ont jamais été invoquées pour limiter le droit de grève. En raison des arguments susmentionnés, et de la prolongation de l'action, les tâches du personnel en grève ont été assumées, sous leurs aspects les plus indispensables, par des membres de coopératives de travail ou des bénéficiaires de plans publics d'emploi. Le motif de leur emploi était indubitablement la nécessité de rétablir - mais pas à titre de remplacement - un service d'importance vitale pour la communauté (surtout pour les secteurs disposant de moins de ressources), tel que les réfectoires susmentionnés, et d'assurer le respect du principe fondamental de santé publique, tel que la nécessité d'assurer des conditions d'hygiène dans les toilettes, les cuisines et les autres installations des établissements scolaires publics où se rendent chaque jour des centaines d'enfants. Il s'agit tout simplement de concilier l'exercice du droit de grève et les besoins les plus fondamentaux de la communauté. En tenant compte de la situation exposée ci-devant, on ne saurait considérer l'emploi de main-d'œuvre externe dans le présent cas comme une tentative de "casser" la grève déclarée pour une durée indéterminée.
- 97. Le gouvernement signale, en ce qui concerne les plaintes déposées contre des personnes qui se sont opposées à l'accès d'autres travailleurs dans les établissements scolaires et l'application de l'article 158 du Code pénal cité par les organisations plaignantes, que les arguments avancés dans la plainte sont faibles, puisqu'un travailleur d'une coopérative ouvrière est de toute évidence un travailleur, indépendamment du fait qu'il y ait un rapport de dépendance ou non. Il s'ensuit que le gouvernement estime que dans le cas en question les principes de la liberté syndicale n'ont pas été violés, et qu'au contraire on s'est efforcé de concilier l'exercice légitime du droit de grève (sans limitation ou restriction aucune) et les besoins les plus fondamentaux de la communauté pour garantir la protection de la vie, de la santé et de la sécurité.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 98. Le comité note que dans le présent cas les organisations plaignantes: 1) s'opposent au décret provincial no 2441/98 de la province de la Terre de Feu, de l'Antarctide et des îles de l'Atlantique Sud, qui ne permet pas - sauf dans des cas exceptionnels et après obtention d'une autorisation - aux organisations syndicales d'exercer le droit de réunion des organisations syndicales durant les heures de travail dans l'administration publique de la province; et 2) allèguent que, dans le cadre d'une grève déclarée par les travailleurs de l'intendance et des services généraux employés par l'administration publique provinciale de la Terre de Feu, de l'Antarctide et des îles de l'Atlantique Sud, les autorités ont engagé des travailleurs de coopératives ou de plans de travail pour remplacer les grévistes, et que certains grévistes sont accusés d'avoir commis un délit prévu par le Code pénal en recourant à la violence contre des tiers pour les contraindre à prendre part à une grève.
- 99. En ce qui concerne le décret provincial no 2441/98, auquel s'opposent les organisations plaignantes, le gouvernement relève que le décret ne limite pas le droit de réunion si les réunions sont tenues en dehors des heures de travail et qu'on ne peut pas considérer comme une violation de la liberté syndicale l'exigence d'obtenir une autorisation préalable pour tenir des réunions sur les lieux ou durant les heures de travail. Le gouvernement est d'avis que le décret n'interdit pas la tenue de réunions sur les lieux et durant les heures de travail mais qu'il réglemente la tenue de ces réunions, car il s'agit de services publics qui seraient gravement perturbés si l'on autorisait, sans exigence aucune, la tenue de telles réunions sur les lieux et durant les heures de travail.
- 100. A cet égard, le comité rappelle que la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, - ratifiée par l'Argentine - prévoit à l'article 6 que "des facilités doivent être accordées aux représentants des organisations d'agents publics reconnues, de manière à leur permettre de remplir rapidement et efficacement leurs fonctions aussi bien pendant leurs heures de travail qu'en dehors de celles-ci" et que "l'octroi de telles facilités ne doit pas entraver le fonctionnement efficace de l'administration ou du service intéressé". Dans ces circonstances, le comité est d'avis que le décret provincial auquel s'opposent les organisations plaignantes ne viole ni les dispositions de la convention no 151 ni les principes de la liberté syndicale en ce qui concerne le droit des organisations de travailleurs à tenir des réunions syndicales.
- 101. Quant à l'allégation selon laquelle des travailleurs de coopératives ou de plans de travail ont été engagés pour remplacer les travailleurs de l'intendance et des services employés par l'administration publique de la province de la Terre de Feu, de l'Antarctide et des îles de l'Atlantique Sud qui s'étaient déclarés en grève pour une durée indéterminée, le comité prend note que le gouvernement déclare que: i) à aucun moment le droit de grève n'a été limité, l'action n'a été déclarée illégale, aucune sanction n'a été prise contre les grévistes, et le concept de services essentiels n'a pas été invoqué pour établir les services minimaux; ii) le personnel qui s'est déclaré en grève a pour fonctions principales de procéder au nettoyage des établissements scolaires (aulas, toilettes et cuisines), de distribuer des aliments dans les réfectoires scolaires (petit-déjeuner et goûter des élèves); iii) dans plusieurs provinces de l'Argentine les réfectoires scolaires sont la principale source d'alimentation des enfants en âge scolaire souffrant de carence nutritionnelle; iv) l'absence de prestation de services de nettoyage et de restauration scolaires met en danger la santé et la sécurité d'un très grand nombre d'enfants; et v) en raison de la prolongation de la grève, les tâches du personnel ont été assumées, sous leurs aspects les plus indispensables, par des membres de coopératives de travail ou des bénéficiaires de plans publics d'emploi.
- 102. A cet égard, le comité est d'avis que les activités assumées par les travailleurs de l'intendance et des services employés par l'administration publique de la province de la Terre de Feu, de l'Antarctide et des îles de l'Atlantique Sud, qui ont été décrites en termes analogues par les organisations plaignantes et le gouvernement, entrent dans le cadre des services essentiels. En effet, la fourniture d'aliments aux élèves en âge scolaire - surtout dans des endroits éloignés des grands centres urbains - et le nettoyage des établissements scolaires sont des services dont l'interruption pourrait mettre en danger la vie, la sécurité ou la santé des élèves. Il s'ensuit que l'emploi d'un groupe de personnes pour assumer les fonctions des travailleurs en grève dans le secteur en question, qui a le caractère de service essentiel, ne viole pas les principes de la liberté syndicale. A cet égard, le comité ne s'est opposé par le passé qu'à l'embauche de travailleurs pour briser une grève dans les secteurs non essentiels. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 570.]
- 103. Pour ce qui est de l'allégation selon laquelle certains grévistes - cités nommément par les organisations plaignantes - qui font partie des travailleurs de l'intendance et des services employés par l'administration publique de la province de la Terre de Feu, de l'Antarctide et des îles de l'Atlantique Sud et auxquels, dans le cadre de procédures judiciaires, on reproche d'avoir commis le délit, prévu par le Code pénal de la nation argentine, de recourir à la force envers des tiers pour les contraindre à prendre part à une grève, le comité prend note que le gouvernement n'a pas communiqué d'observations précises à ce sujet. Dans ces circonstances, le comité demande au gouvernement de le tenir au courant des procédures judiciaires en cours, ainsi que de la situation des travailleurs accusés (s'ils ont été jugés ou s'il y a eu une décision de non-lieu, etc.). Le comité demande également au gouvernement de lui envoyer une copie de toute décision prise à cet égard.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 104. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver la recommandation suivante:
- Le comité demande au gouvernement de le tenir informé des procédures pénales engagées au motif que des actes de violence ont été commis contre des tiers dans le but de les contraindre à participer à une grève, ainsi que de la situation des travailleurs accusés (s'ils ont été jugés ou si un non-lieu a été prononcé, etc.). Le comité demande également au gouvernement de lui envoyer une copie de toute décision judiciaire prise à cet égard.