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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 320, Mars 2000

Cas no 2027 (Zimbabwe) - Date de la plainte: 28-MAI -99 - Clos

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  1. 852. Le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU) a présenté, dans une communication datée du 28 mai 1999, une plainte contre le gouvernement de Zimbabwe pour violations de la liberté syndicale.
  2. 853. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication datée du 31 août 1999.
  3. 854. Le Zimbabwe n'a ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l'organisation plaignante

A. Allégations de l'organisation plaignante
  1. 855. Dans sa communication du 28 mai 1999, le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU) se plaint de violations des droits syndicaux et humains dont il a été victime en décembre 1997 ainsi qu'en mars et en novembre 1998.
  2. 856. Tout d'abord, le ZCTU indique qu'il a organisé des manifestations de masse le 9 décembre 1997 pour protester contre le projet d'impôt en faveur des anciens combattants envisagé par le gouvernement (proposition qui a été finalement abandonnée). Bien que le ZCTU et l'Association des droits de l'homme du Zimbabwe aient obtenu une ordonnance en référé de la Haute Cour, interdisant au préfet de police d'intervenir lors des manifestations, la police de la République du Zimbabwe s'est livrée à des provocations et a ensuite fait usage de gaz lacrymogènes et de matraques contre des manifestants pacifiques. De très nombreuses personnes ont été blessées dans les désordres et les bousculades qui s'en sont suivis. Le ministre de l'Intérieur et le préfet de police ont été tenus pour responsables de cette situation, mais l'affaire n'a pas été portée devant les tribunaux.
  3. 857. Par ailleurs, le 11 décembre, le secrétaire général du ZCTU, M. Morgan Tsvangirai, a été violemment agressé dans son bureau de Chester House par un groupe de personnes, alors inconnues de lui. Les faits se sont produits deux jours après les manifestations de masse du 9 décembre très suivies dans le pays. Il convient d'ajouter que le ZCTU avait reçu des menaces avant cet incident.
  4. 858. Peu de temps après son agression, le secrétaire général a décrit ses assaillants à la police et fait remarquer que cette tentative d'assassinat avait un fondement politique. Cependant, la police a informé le ZCTU en mars 1998 qu'elle allait clore le dossier en l'absence de progrès dans l'enquête. Une enquête indépendante a été menée pour le compte du ZCTU, qui a permis d'identifier trois des agresseurs probables. En juin 1998, le ZCTU, par le biais de ses avocats, a fait parvenir une lettre au bureau du procureur général demandant d'instruire le préfet de police de rouvrir l'enquête sur la tentative d'homicide de M. Tsvangirai. A ce jour, la police s'est contentée de répondre qu'elle reprendrait le dossier pour déterminer si l'enquête initiale avait été menée de manière intègre.
  5. 859. Un autre incident s'est produit le 5 mars 1998, au cours duquel les bureaux régionaux du ZCTU dans l'ouest du pays ont été détruits dans un incendie. Les faits ont eu lieu exactement deux jours après que la centrale syndicale eu donné la consigne de faire grève pendant deux jours pour inciter le gouvernement à abandonner, entre autres, l'augmentation de 2,5 pour cent de la taxe sur les ventes, l'impôt impopulaire de 5 pour cent sur le développement et le nouvel impôt de 15 pour cent sur les pensions de retraite. L'enquête sur cet incendie a été entravée, notamment par les communiqués des médias sous contrôle gouvernemental qui ont tenté d'en attribuer la responsabilité à un employé du ZCTU. Pour l'heure, l'enquête n'a pas abouti et il n'y a pas de suspects.
  6. 860. Enfin, le ZCTU indique qu'il a organisé des actions nationales jusqu'en novembre 1998 afin d'amener le gouvernement à négocier pour trouver une solution. Bien que certains résultats aient été obtenus, l'augmentation unilatérale du prix des carburants a érodé les avantages acquis jusque-là. Le vendredi 27 novembre, en réponse à ces actions de masse très suivies, le président Mugabe a amendé la loi sur les relations professionnelles en vertu des pouvoirs dont il est investi au titre de la loi (mesures temporaires). Il a également déclaré illégal tout mouvement de grève, contournant ainsi le parlement qui est censé promulguer les lois du pays.
  7. 861. Le ZCTU a présenté une déclaration écrite sous serment concernant son intervention auprès de la Haute Cour du Zimbabwe en décembre 1998, mettant en cause le président de la République du Zimbabwe, le ministre du Service public, du Travail et des Affaires sociales ainsi que le procureur général du Zimbabwe. L'affaire est toujours en instance et n'a pas fait l'objet d'un référé.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 862. Dans une communication datée du 3 août 1999, le gouvernement indique tout d'abord que la manifestation organisée par le ZCTU le 9 décembre 1997 a eu lieu au moment où il avait déjà renoncé à lever l'impôt projeté pour financer les prestations dues aux anciens combattants. La police a dû intervenir car certains travailleurs, et d'autres éléments incontrôlés qui s'étaient joints à la manifestation, ont commencé à se livrer à des pillages. Dans ce contexte, l'intervention des pouvoirs publics était nécessaire pour faire respecter l'ordre public. Les pilleurs ont endommagé plusieurs bâtiments et des biens, notamment à Harare.
  2. 863. La police ne serait pas intervenue si la manifestation avait été pacifique. Il est normal que la police intervienne, dans quelque pays que ce soit, lorsque des actes de violence, de pillage ou de destruction délibérée sont perpétrés sous couvert d'une manifestation. Les biens privés et publics doivent être protégés et il incombait aux pouvoirs publics d'y veiller.
  3. 864. En ce qui concerne l'agression subie le 11 décembre 1998 par le secrétaire général du ZCTU, Morgan Tsvangirai, le gouvernement souligne que la plainte est fondée sur le fait que la police aurait failli à sa tâche en n'enquêtant pas sur cette agression. Or, selon le gouvernement, la police, avec la coopération du ZCTU, a déféré au tribunal la personne reconnue par M. Tsvangirai, lors d'une séance d'identification, comme étant son agresseur. L'affaire a été traitée en première instance et un non-lieu a été prononcé le 24 août 1999. Le gouvernement joint copie du jugement à sa réponse et il déclare ignorer si M. Tsvangirai souhaite faire appel de ce verdict.
  4. 865. Quant à l'incendie qui a détruit les bureaux du ZCTU dans l'ouest du pays le 5 mars 1999, le gouvernement relève que les allégations portent sur le retard mis par la police pour enquêter sur les circonstances de l'incident. Les informations fournies par la police indiquent qu'un dossier (DR 3/3/98) a été ouvert peu après les faits et qu'aucune arrestation n'a eu lieu à ce jour. L'affaire est considérée comme "classée pour faute de preuves", ce qui signifie que l'enquête sera reprise et menée à terme si des preuves sont trouvées.
  5. 866. L'agression dont a été victime le secrétaire général est considérée par l'Etat comme un délit et l'incendie des bureaux comme un incendie criminel volontaire.
  6. 867. S'agissant de l'interdiction présidentielle du 27 novembre 1998, portant sur les consignes de grève, prononcée en vertu de la loi sur les pouvoirs présidentiels (mesures temporaires), il s'agissait d'une réponse aux actions entreprises par le ZCTU qui paralysaient l'économie au moment où les trois partenaires sociaux étaient convenus de mesures pour surmonter les problèmes économiques frappant le pays. Le ZCTU connaissait le mandat du Forum tripartite de négociation (TNF) et les résultats obtenus lorsqu'il a appelé les travailleurs à faire grève les 11 et 18 novembre 1998, ce qui a déclenché l'interdiction.
  7. 868. Le gouvernement ajoute que l'interdiction présidentielle est arrivée à terme le 27 mai 1999 et n'a jamais été reconduite.
  8. 869. Enfin, le gouvernement affirme que le sabotage économique auquel certains membres du mouvement des travailleurs et leurs alliés continuent de se livrer est révélateur de leur programme politique, la majorité de leurs exigences dépassant le cadre des simples questions de travail. Le mouvement politique formé par le ZCTU, connu sous le nom de Mouvement pour le changement démocratique (MDC), en est clairement la preuve: son dirigeant est le président actuel du ZCTU, M. G. Sibanda. Le MDC est devenu un parti politique à part entière le 11 septembre 1999.
  9. 870. Le gouvernement déclare toutefois qu'il n'entend pas abandonner le dialogue social auquel il attache la plus grande importance. Le ministère continuera à consulter le ZCTU sur les questions relatives au bien-être des travailleurs à condition que le mouvement des travailleurs ait des structures transparentes et apolitiques.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 871. Le comité note que ce cas porte sur de graves allégations concernant: l'intervention violente de la police lors de manifestations de masse; des voies de fait sur la personne d'un dirigeant syndical; l'incendie de locaux syndicaux à la suite d'actions nationales de protestation; ainsi que l'utilisation faite par le président des pouvoirs qui lui sont conférés au titre de la loi sur les pouvoirs présidentiels (mesures temporaires) pour amender la loi sur les relations professionnelles en déclarant illégal tout mouvement de grève.
  2. 872. S'agissant de l'allégation relative à l'intervention de la police lors d'une manifestation de masse organisée par le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU) le 9 décembre 1997 et à l'utilisation de gaz lacrymogènes et de matraques contre des manifestants pacifiques, le comité note que, selon le gouvernement, ladite intervention a été rendue nécessaire en raison des pillages auxquels se sont livrés certains travailleurs et d'autres éléments incontrôlés qui s'étaient joints à la manifestation. A cet égard, le comité rappelle de manière générale que les travailleurs doivent pouvoir jouir du droit de manifestation pacifique pour défendre leurs intérêts professionnels et que les autorités ne devraient avoir recours à la force publique que dans des situations où l'ordre public serait sérieusement menacé. L'intervention de la force publique devrait rester proportionnée à la menace pour l'ordre public qu'il convient de contrôler, et les gouvernements devraient donner les instructions appropriées aux autorités compétentes en vue d'éliminer le danger qu'impliquent les excès de violence lorsqu'il s'agit de contrôler des manifestations qui pourraient troubler l'ordre public. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 132 et 137.) Quant à l'affirmation générale de la partie plaignante portant sur l'usage de gaz lacrymogènes et de matraques contre des manifestants pacifiques, le comité veut croire que le gouvernement prendra à l'avenir toutes les mesures nécessaires pour donner des instructions appropriées aux autorités compétentes en vue d'éliminer le danger qu'impliquent les excès de violence.
  3. 873. En ce qui concerne l'agression dont a été victime le secrétaire général du ZCTU, Morgan Tsvangirai, ainsi que la plainte relative à la clôture du dossier par la police, le comité prend note des informations fournies par le gouvernement selon lesquelles un homme identifié par M. Tsvangirai comme étant l'un des agresseurs a été jugé mais acquitté. Lors d'atteintes à l'intégrité physique ou morale, le comité a considéré qu'"une enquête judiciaire indépendante devrait être effectuée sans retard, car cette méthode est particulièrement appropriée pour éclaircir pleinement les faits, déterminer les responsabilités, sanctionner les coupables et prévenir la répétition de telles actions" et que "l'absence de jugements contre les coupables entraîne une impunité de fait qui renforce le climat de violence et d'insécurité, et qui est donc extrêmement dommageable pour l'exercice des activités syndicales". (Voir Recueil, op. cit., paragr. 53 et 55.) L'organisation plaignante ayant indiqué que plusieurs autres personnes ont été identifiées comme étant membres du groupe d'agresseurs lors d'investigations indépendantes effectuées pour son compte, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour qu'une enquête judiciaire indépendante soit menée, qui tienne compte des renseignements fournis par le ZCTU, détermine les responsabilités et sanctionne les coupables. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé des mesures prises à cet égard ainsi que des résultats de l'enquête.
  4. 874. Au sujet de l'incendie des locaux du ZCTU dans l'ouest du pays en mars 1998, le comité, après avoir examiné les allégations d'atteintes aux locaux syndicaux et de menaces contre des syndicalistes, rappelle que de tels agissements créent un climat de crainte fort préjudiciable à l'exercice des activités syndicales et que les autorités, lorsqu'elles sont informées de tels faits, devraient sans tarder faire procéder à une enquête pour déterminer les responsabilités afin que les coupables soient sanctionnés. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 179.) Le comité observe que la réponse du gouvernement relative aux mesures prises pour enquêter sur l'incendie criminel se limite à mentionner qu'un dossier a été ouvert mais qu'il a été "classé faute de preuves". Le comité invite donc le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour diligenter une enquête indépendante sur les causes de l'incendie volontaire des locaux du ZCTU et à le tenir informé de l'évolution de la situation ainsi que des résultats de l'enquête.
  5. 875. Enfin, le comité note les allégations de la partie plaignante selon lesquelles, à la suite d'une action nationale de protestation en novembre 1998, le président a déclaré illégal tout mouvement de grève. Le ZCTU a fait appel de cette décision devant la Haute Cour en décembre 1998, mais l'affaire est toujours en instance. Le comité note en outre que le gouvernement indique que cette interdiction a été prise en réaction contre le mot d'ordre de grève donné par le ZCTU, qui avait paralysé l'économie alors que les partenaires sociaux étaient convenus de mesures pour affronter les problèmes économiques du pays. Le gouvernement ajoute qu'à son terme, le 27 mai 1999, l'interdiction présidentielle n'a pas été reconduite. Enfin, le gouvernement affirme que pour l'essentiel les revendications de certains membres du mouvement des travailleurs dépassent le cadre des questions ordinaires de travail, et il indique que le ZCTU a formé un mouvement politique connu sous le nom de Mouvement pour le changement démocratique (MDC) qui est devenu un parti politique à part entière en septembre 1999.
  6. 876. Le comité constate avec regret que le gouvernement a réagi aux actions de masse de novembre 1998 en se servant des pouvoirs présidentiels spéciaux pour déclarer illégal tout mouvement de grève. Il doit rappeler que "le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et pour défendre leurs intérêts économiques et sociaux". En outre, en ce qui concerne la grève largement suivie en novembre 1998 pour protester contre l'augmentation du prix des carburants, le comité rappelle que "les organisations chargées de défendre les intérêts socio-économiques et professionnels des travailleurs devraient en principe pouvoir utiliser la grève pour appuyer leur position dans la recherche de solutions aux problèmes posés par les grandes orientations de politique économique et sociale, qui ont des répercussions immédiates pour leurs membres, et plus généralement pour les travailleurs, notamment en matière d'emploi, de protection sociale et de niveau de vie". (Voir Recueil, op. cit., paragr. 475 et 480.) Constatant que l'interdiction temporaire frappant tout mouvement de grève est maintenant levée, le comité demande au gouvernement de lui fournir une copie de l'arrêt rendu par la Haute Cour concernant l'affaire dont l'a saisi le ZCTU, et veut croire qu'il s'abstiendra à l'avenir de restreindre le droit des organisations de travailleurs d'entreprendre des actions de protestation contre les politiques sociales et économiques qui les affectent.
  7. 877. A cet égard, le comité note qu'un projet de loi de 1999 amendant les relations de travail a été porté à son attention qui stipule qu'"une action professionnelle illégale" s'entend, entre autres, de "toute grève, boycott, grève patronale, grève avec occupation des locaux, grève avec occupation de l'extérieur de l'entreprise, abstention du travail ou toute action concertée de la part des employeurs ou des salariés menée pleinement ou partiellement dans le but de - i) s'opposer à toute loi ou mesure légale du gouvernement; ii) d'inciter ou de forcer le gouvernement à modifier toute loi ou mesure légale; et qui constitue ou implique la violation d'un contrat de travail". Le comité se déclare préoccupé par la démarche retenue pour ce projet de loi qui semble interdire les actions de protestation contre la politique sociale et économique. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'état d'avancement du projet de loi et rappelle que le Bureau international du Travail est à la disposition du gouvernement pour lui fournir toute assistance ou tout conseil concernant la conformité de ce projet de loi avec les principes de la liberté syndicale.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 878. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que soit menée une enquête judiciaire indépendante et complète sur l'agression contre M. Morgan Tsvangirai, qui tiendra compte des informations fournies par le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU), afin de déterminer les responsabilités et de sanctionner les coupables. Le gouvernement est prié de tenir le comité informé des mesures prises à cet égard ainsi que des résultats de l'enquête.
    • b) Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour ouvrir une enquête indépendante sur l'incendie criminel des locaux du ZCTU, et de le tenir informé des résultats de l'enquête.
    • c) Constatant que l'interdiction temporaire frappant les mouvements de grève décrétée en novembre 1998 est maintenant levée, le comité demande au gouvernement de lui fournir une copie de l'arrêt de la Haute Cour concernant l'affaire dont l'a saisi le ZCTU; il veut croire que le gouvernement s'abstiendra à l'avenir de restreindre le droit des organisations de travailleurs d'entreprendre des actions de protestation contre des politiques sociales et économiques qui les concernent.
    • d) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'état d'avancement du projet d'amendement de la loi sur les relations professionnelles de 1999, et il rappelle que le Bureau international du Travail est à sa disposition pour lui fournir toute assistance ou conseil concernant la conformité de ce projet de loi avec les principes de la liberté syndicale.
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