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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 311, Novembre 1998

Cas no 1954 (Côte d'Ivoire) - Date de la plainte: 19-FÉVR.-98 - Clos

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366. Le comité a été saisi d'une plainte en violation du droit syndical contre le gouvernement de la Côte d'Ivoire par une communication du 19 février 1998 présentée par la Confédération des syndicats libres de Côte d'Ivoire Dignité.

  1. 366. Le comité a été saisi d'une plainte en violation du droit syndical contre le gouvernement de la Côte d'Ivoire par une communication du 19 février 1998 présentée par la Confédération des syndicats libres de Côte d'Ivoire Dignité.
  2. 367. Le gouvernement a envoyé ses commentaires et observations sur cette plainte dans une communication du 26 mai 1998.
  3. 368. La Côte d'Ivoire a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de la confédération plaignante

A. Allégations de la confédération plaignante
  1. 369. Dans sa communication du 19 février 1998, la confédération plaignante Dignité allègue des violations des conventions nos 87 et 98 par le gouvernement de la Côte d'Ivoire. D'après la confédération plaignante, il s'agit d'attaques du siège de la centrale Dignité (vitres brisées, occupation des locaux par les forces de l'ordre pendant une semaine); d'atteintes au droit des syndicats d'exercer leurs activités, notamment au droit de manifester; de sévices et voies de faits à l'encontre de deux travailleurs de la Compagnie abidjanaise de réparation navale et de travaux industriels (CARENA), M. Blaise Tapé Blé, blessé à la suite d'une bastonnade, et M. Laurent Djoro, légèrement blessé; et d'interpellation de travailleurs de la CARENA, à savoir MM. Doh Kouassi, Kafalo Coulibaly, Alphonse Sehi, Blaize Goué Assomoi, Bi Tené et Mme Coulibaly Nagata D'après les allégations, ces travailleurs, arrêtés le 4 février 1998, ont été libérés à 23 heures après avoir subi des sévices.
  2. 370. Selon la confédération plaignante, ces violations font suite à une marche de protestation pacifique appelée par les travailleurs de la société CARENA, le 4 février 1998, pour dénoncer l'attitude passive des autorités à trouver une solution au conflit collectif qui les opposait à la direction de ladite société. Pour être tôt sur les lieux de la manifestation, les travailleurs avaient décidé de passer la nuit au siège de la confédération Dignité, à laquelle ils sont affiliés. Pour empêcher la tenue de cette marche, des unités de la police nationale, sous le commandement du commissaire du 3e arrondissement de la ville d'Abidjan, ont pris d'assaut les locaux de la confédération à 3 heures du matin. Usant de matraques et de bombes lacrymogènes, ils ont brisé les portes vitrées. La charge des policiers, en plus des dommages causés au siège, a fait quelques blessés légers et un grave. Les forces de police, voulant coûte que coûte déloger les travailleurs, ont fait irruption dans les locaux du siège de la confédération où se trouvaient ces derniers ainsi que M. Basile Mahan Gahé, secrétaire général de la confédération Dignité, accompagnés de certains permanents. Durant la semaine, les forces de police, qui se sont relayées, ont continué d'occuper le siège de la confédération Dignité.
  3. 371. Puis, brossant un historique de la situation, la confédération plaignante envoie un mémorandum accompagné d'annexes expliquant que les travailleurs de la CARENA ont déclenché une grève le 5 mars 1997 pour obtenir l'application du barème de la construction et de la réparation navales en lieu et place du barème de l'industrie mécanique. Les travailleurs voulaient qu'il soit mis fin à la discrimination salariale dont ils étaient victimes depuis 1952, date de la création de l'entreprise. Ils demandaient à être traités comme leurs collègues européens, quitte à ce que soit attribuée à ces derniers leur prime d'expatriés que les travailleurs abidjanais trouvaient juste et légitime.
  4. 372. Dans les années précédentes, les travailleurs avaient déclenché en vain des grèves pour obtenir satisfaction sur ce point en 1978, 1986, 1990, 1996 et 1997.
  5. 373. En décembre 1996, toutefois, ils avaient obtenu à l'issue de la grève un protocole d'accord aux termes duquel, selon eux, la CARENA devait être classée dans son vrai secteur d'activité. La confédération plaignante joint le texte du protocole en question signé le 20 décembre 1996 par le secrétaire général de la centrale Dignité, les délégués du personnel et l'employeur, le directeur général de l'entreprise, en présence du directeur du cabinet du ministre de l'Emploi. Le directeur général de la CARENA y a confirmé que l'activité principale de la CARENA est la construction et la réparation navales. Cependant, étant donné que la convention collective interprofessionnelle de la République de Côte d'Ivoire n'a pas prévu une branche d'activité construction et réparation navales, les travailleurs ont demandé que la commission consultative de travail soit saisie en vue de l'étude de sa création. A l'issue de la réunion, il a été décidé que la commission consultative se réunisse le 15 janvier 1997 au plus tard, et que le travail reprenne le lundi 23 décembre 1996 à 9 heures.
  6. 374. Selon la confédération plaignante, ce protocole d'accord est resté lettre-morte et n'a pas été mis en application par le patronat, alors que les travailleurs avaient repris leurs activités dès le 23 décembre 1996.
  7. 375. En effet, poursuit la confédération plaignante, le 14 janvier 1997, la commission consultative du travail a tenu une réunion au cours de laquelle elle a choisi de saisir la Commission indépendante permanente de concertation (CIPC) composée du Conseil national du patronat ivoirien (CNPI), de l'Union générale des travailleurs de Côte d'Ivoire (GTCI), de la Fédération des syndicats autonomes de Côte d'Ivoire (FESACI) et de Dignité. Or la confédération Dignité a toujours demandé que le dossier soit étudié par une commission paritaire composée des travailleurs et des employeurs concernés sous la supervision des techniciens du ministère de l'Emploi.
  8. 376. Au cours de la première réunion de la CIPC, le secrétaire permanent de la CIPC qui est le secrétaire général du patronat (CNPI) a demandé aux travailleurs de lui accorder du temps pour chercher conseil auprès du bureau régional du Bureau international du Travail à Abidjan, dans l'intérêt des travailleurs et de l'entreprise.
  9. 377. Le 26 février 1997, le secrétaire permanent de la CIPC s'est rendu en personne à la société CARENA où il a rencontré le directeur général de l'entreprise et les délégués du personnel, tous affiliés à Dignité. Il leur a expliqué que le barème des chantiers navals auquel les travailleurs aspiraient était utopique, qu'il n'existait nulle part dans le monde et qu'au cours de la première réunion il n'avait été question que de quelques avantages qui pourraient être accordés aux travailleurs, et non d'un barème des chantiers navals. Ce jour-là, les travailleurs ont donc décidé de déposer un nouveau préavis de grève afin de prévenir les autorités de leur mécontentement. La loi prévoit, en effet, six jours de préavis pour le déclenchement d'une grève, pour permettre aux employeurs et aux autorités d'appeler le syndicat à la table de négociation. Cependant, d'après la confédération plaignante, l'employeur et les autorités n'ont pas réagi et, le 5 mars 1997, les travailleurs sont entrés en grève pacifique; chacun occupant son poste de travail avec un bandeau rouge sur la tête du 5 au 7 mars.
  10. 378. Le 10 mars, l'employeur a utilisé le lock-out, a fermé l'entreprise et a fait appel à une centaine de policiers armés. Il a en outre convoqué les délégués du personnel.
  11. 379. Les travailleurs ont refusé que les délégués du personnel assistent à une réunion tant que l'entreprise serait occupée par la police et que le personnel ferait l'objet d'un lock-out, estimant qu'il ne s'agissait pas d'une affaire de police mais d'une affaire relevant de l'employeur et du syndicat auquel ils sont affiliés, avec l'assistance du ministère de l'Emploi.
  12. 380. Le 20 mars 1997, l'employeur a apposé une note de service sur les murs de l'entreprise dans laquelle il a considéré que tout le personnel de la CARENA était démissionnaire, inscrivant le nom des 300 travailleurs licenciés. Le 24 mars, les forces de police ont été renforcées et les travailleurs, assis à l'extérieur de l'entreprise, ont été chassés à coups de grenades lacrymogènes, la direction ayant l'intention de faire rentrer les ouvriers de la sous-traitance pour remplacer les grévistes. Or, d'après la confédération plaignante, les ouvriers de la société de sous-traitance Friedlander ont par solidarité refusé de prendre la place des grévistes et demandé, d'une part, à l'entreprise de négocier et, d'autre part, aux travailleurs grévistes d'être souples dans la négociation.
  13. 381. Les 25 et 26 mars, les travailleurs grévistes ont été à nouveau attaqués à coups de gaz lacrymogènes et chassés des abords de l'entreprise. Le 26 mars au soir, ils ont été convoqués au Cabinet du ministre de l'Emploi pour une réunion au cours de laquelle le ministre leur aurait indiqué que le ministre de l'Economie et des Finances lui avait confirmé que la CARENA relevait effectivement de la construction navale, qu'ils avaient raison de réclamer le barème de la construction navale et qu'il souhaitait régler définitivement le conflit le lendemain.
  14. 382. Toutefois, toujours selon la confédération plaignante, le 27 mars, à 9 heures du matin, le ministre s'est rendu à la CARENA, puis, à 18 heures, il a convoqué l'ensemble des protagonistes, y compris l'UGTCI, la FESACI et le patronat ivoirien, pour demander aux travailleurs de reprendre le travail avant toute négociation, au prétexte que la Côte d'Ivoire s'efforçait d'obtenir des investissements, que les pays africains se disputaient les entreprises et qu'il n'était pas possible de négocier pendant qu'une entreprise était fermée. Le directeur de la CARENA a indiqué que les 14 délégués du personnel, de même que l'ensemble du personnel, étaient licenciés d'office pour abandon de poste, à l'exception des meilleurs techniciens. Le secrétaire général de Dignité a regretté la demande de reprise du travail avant les négociations et l'annonce du licenciement pour abandon de poste des travailleurs et des délégués des travailleurs. Il a souhaité que la question des salaires, primes et indemnités dans le nouveau barème de la construction et de la réparation navales soit examinée en tenant compte des réalités économiques et sociales du pays. D'après la confédération plaignante, le ministre de l'Emploi a alors menacé Dignité de déclarer le caractère sauvage et illégal de la grève si les militants ne reprenaient pas le travail le lendemain. L'UGTCI et la FESACI se sont ralliées à l'avis du ministre sur la reprise du travail sans condition. Le ministre a exigé une réponse sur la reprise du travail dès 21 heures. Toutefois, le secrétaire général de Dignité a demandé au ministre un délai jusqu'au lendemain pour pouvoir consulter les travailleurs.
  15. 383. Le 28 mars 1997, le secrétaire général de Dignité a reçu une lettre du ministre de l'Emploi que la confédération plaignante joint à sa plainte. Le ministre y reconnaît, premièrement, que la CARENA est classée dans la "branche construction et réparation de matériel de transport", ce point, dit-il, représentant la principale revendication de la centrale Dignité; deuxièmement, qu'il s'agit d'un conflit du travail qui doit être examiné par la commission consultative du travail, à la demande du secrétaire général de Dignité; troisièmement, que ladite commission est convoquée le 1er avril 1997, à 16 heures, à la condition que les travailleurs de la CARENA en grève reprennent le travail le jour indiqué. La lettre ajoute: "Dignité a demandé un délai de consultation de sa base et promis de donner sa réponse le 28 mars au matin. A midi, aucune réponse n'est encore parvenue contrairement aux engagements pris." Le ministre insiste pour avoir une réponse immédiate; dans le cas contraire, écrit-il, il se verrait dans l'obligation de donner des instructions à l'employeur, à sa demande, pour reprendre de façon normale ses activités "et les implications sur la carence manifestée par Dignité devraient alors être analysées pour dégager les responsabilités". Le 29 mars 1997, les travailleurs de la CARENA ont adressé une lettre au ministre de l'Emploi dont la confédération plaignante joint, en annexe à sa plainte, un extrait. Il ressort de cette lettre que les travailleurs estiment que l'expression "construction et réparation de matériel de transport" est très floue et très imprécise; ils rappellent que le protocole d'accord du 20 décembre 1996 faisait état du fait que le directeur de la CARENA avait confirmé que son activité principale était la construction et la réparation navales. Le 3 avril 1997, tous les délégués du personnel sans exception ont reçu leur lettre de licenciement, après que l'employeur eut obtenu l'autorisation du ministre de l'Emploi, qui a déclaré que la grève était sauvage et illégale et donné l'ordre de licencier les 300 travailleurs.
  16. 384. La confédération plaignante ajoute que, lors du 1er mai 1997, le secrétaire général de Dignité a soulevé le problème de la CARENA devant le Premier ministre. Celui-ci a demandé au ministre de l'Emploi de remettre le dossier sur la table de négociation pour trouver une solution. La réunion de conciliation s'est tenue au ministère de l'Emploi, le 1er octobre 1997. D'après la confédération plaignante, l'employeur a rouvert ses portes en utilisant la sous-traitance. Il a indiqué que le chantier occupait 200 travailleurs dont 80 personnes nouvellement recrutées pour honorer ses commandes. L'employeur a proposé de reprendre 20 travailleurs sur 300 licenciés. Le secrétaire général de Dignité a exigé la reprise de tous les travailleurs licenciés lors de la grève et le réexamen de la question du barème. La réunion s'étant terminée par un échec, la confédération plaignante a, par la suite, organisé une marche de solidarité qui a été réprimée par les forces de l'ordre le 4 février 1998. Cette marche visait à attirer l'attention du Président de la République et du Premier ministre sur ce conflit du travail qui n'est toujours pas résolu.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 385. Le gouvernement rétorque, dans sa réponse, que son souci constant pendant les conflits sociaux a toujours été d'amener les partenaires aux relations professionnelles à la table de négociation, conformément aux conventions nos 87 et 98. Ainsi, dès le début du conflit à la CARENA, les autorités ivoiriennes ont entamé des négociations afin de lui trouver une issue heureuse. Malheureusement, ces appels incessants à l'apaisement n'ont pas connu d'écho favorable auprès de la centrale syndicale Dignité qui prétend pourtant défendre les intérêts matériels et moraux des travailleurs. La centrale Dignité a ainsi organisé, le 4 février 1998, une marche de protestation contre la direction de l'entreprise et contre le gouvernement ivoirien. Cette marche, loin d'être pacifique, a été un appel pressant à des troubles sociaux comme l'attestent les déclarations de ladite centrale qui ont précédé et suivi la marche de protestation.
  2. 386. Le gouvernement rappelle d'ailleurs que, dans un cas antérieur, une grève dite "pacifique", organisée par les travailleurs membres de la centrale Dignité, a eu pour résultat qu'un cadre d'une entreprise a été l'objet d'une incapacité permanente due à la perte d'un oeil. Il rappelle aussi les nombreux blessés graves à la suite de l'agression préméditée à Irho-lamé par les travailleurs affiliés à Dignité sur leurs collègues qui se rendaient au travail. Pour lui, ces précédents graves justifiaient l'intervention des unités de la police nationale qui ont évité des débordements de nature à troubler l'ordre public.
  3. 387. S'agissant de la prétendue arrestation des travailleurs à la suite de la marche de protestation, le gouvernement précise qu'il n'en a pas été saisi.
  4. 388. Concernant le mémorandum de la confédération plaignante sur la grève de la CARENA, le gouvernement fait observer qu'il méconnaît totalement la réalité des faits survenus depuis le début du conflit et qu'il s'apparente à un tissu de contrevérités dont l'objectif est de porter atteinte à la réputation de la Côte d'Ivoire au plan international. Il souhaite rétablir la vérité en mentionnant que, les 18 et 20 décembre 1996, des réunions présidées par les services techniques du ministère de l'Emploi ont permis aux parties en conflit de signer un protocole d'accord sur les points suivants: reconnaissance par le directeur général de la CARENA que l'activité principale de l'entreprise est la construction et la réparation navales, convocation d'une réunion de la commission consultative du travail le 15 janvier 1997 au plus tard, reprise des activités par les travailleurs en grève le lundi 23 décembre 1996 à 8 heures. Conformément au protocole d'accord susmentionné, la commission consultative du travail a décidé, après examen, de confier l'étude du dossier à la Commission indépendante permanente de concertation (CIPC) créée par un commun accord entre employeurs et travailleurs. Les conclusions de cette commission devaient être soumises à la commission consultative du travail pour approbation.
  5. 389. Contrairement aux informations fournies par la centrale Dignité, le dossier ne pouvait être discuté par une commission paritaire technique, puisqu'il n'existe pas de branche d'activité du secteur construction et réparation navales. La commission paritaire présidée par l'inspecteur du travail et composée de l'employeur et des représentants des travailleurs n'est compétente qu'en matière de classification d'un salarié.
  6. 390. Cependant, alors que les discussions se poursuivaient pour la recherche d'une solution, les responsables de la centrale Dignité se sont rétractés et ont mis un terme à leur participation aux discussions aux motifs que les travaux de la CIPC n'avançaient pas au rythme voulu et que les représentants du patronat au sein de cette structure n'étaient pas qualifiés pour débattre du secteur de la construction et de la réparation navales. C'est la raison pour laquelle, sans avoir demandé une autre réunion de la commission consultative du travail, la centrale Dignité a déposé, au nom des travailleurs de la CARENA, un nouveau préavis de grève le 27 janvier 1997 et a effectivement déclenché la grève le 5 mars 1997.
  7. 391. A la suite de ce préavis, une réunion tenue le 27 mars 1997 a été sanctionnée par les points d'accord suivants: l'employeur renonce aux licenciements qu'il a envisagés; la convocation, le 1er avril, d'une commission consultative du travail qui devait être saisie des nouveaux éléments du dossier; la reprise du travail le 1er avril 1997 par les travailleurs en grève, la centrale Dignité étant invitée à communiquer sa position définitive au Cabinet du ministre au plus tard le 28 mars.
  8. 392. Par correspondance datée du 28 mars 1997, le ministre de l'Emploi a confirmé ces dispositions au secrétaire général de Dignité en l'invitant à lever le mot d'ordre de grève, qui viole le protocole d'accord susmentionné, faute de quoi il se verrait dans l'obligation de permettre à l'employeur de reprendre de façon normale ses activités.
  9. 393. Cette attitude d'apaisement du ministre de l'Emploi n'a pas connu d'écho favorable auprès de la centrale Dignité puisque, contre toute attente, le secrétaire général de Dignité a adressé en réponse, le 29 mars 1997, une lettre outrageante dans laquelle il a posé comme préalable à la levée du mot d'ordre de grève plusieurs conditions, notamment la réunion de la commission consultative. Ce faisant, il a bloqué tout le processus de négociation.
  10. 394. Au cours de la cérémonie des fêtes du 1er mai 1997, le secrétaire général de Dignité a effectivement formulé une requête auprès du Premier ministre en vue de relancer les négociations, conformément aux instructions du Premier ministre et dans le but de réunir à nouveau les deux parties en conflit; les consultations faites par le Cabinet du ministre n'ont pas permis de traiter avec célérité le dossier pour les raisons suivantes: difficultés de contact avec le secrétaire général de la centrale Dignité pour raison de déplacement pendant les mois de juin et juillet 1997; difficultés de contact avec le directeur général de la CARENA pour raison de départ en congé en juillet et en août 1997. Finalement, une réunion, présidée par le directeur de Cabinet du ministre, qui visait à rapprocher les positions de l'employeur et des représentants des travailleurs de la CARENA, a pu avoir lieu le 1er octobre 1997.
  11. 395. Le gouvernement confirme l'échec des négociations: pour le directeur de la CARENA, les salariés qui avaient refusé de reprendre le travail au terme de cette grève illégale étaient considérés comme étant en abandon de poste; toutefois, les anciens travailleurs de la CARENA pouvaient postuler aux vingt postes qui restaient à pourvoir; pour le secrétaire général de la centrale syndicale Dignité, les négociations devaient reprendre, d'une part, pour poursuivre l'examen des revendications des travailleurs et, d'autre part, pour permettre de réintégrer tous les travailleurs ayant participé à la grève.
  12. 396. Le gouvernement relève, dans cette affaire, le manque de sérieux des dirigeants de la centrale Dignité qui prétendent que leurs membres ont aperçu le ministre de l'Emploi à l'entreprise CARENA. D'après le gouvernement, le ministre ne s'est jamais rendu dans cette entreprise. Toutes les procédures de négociation des conflits collectifs présidées par le ministre se tiennent dans les locaux du ministère de l'Emploi, sauf lorsque l'entreprise est située dans une région autre que celle d'Abidjan. Le gouvernement ajoute que le directeur de l'emploi et de la réglementation du travail, M. N'Dri, n'était pas présent à la réunion du 26 mars 1997, comme l'indique de manière erronée la confédération plaignante, puisqu'il se trouvait à Genève pour participer à la 268e session du Conseil d'administration du Bureau international du Travail.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 397. Le comité note que le présent cas concerne des allégations de licenciement de 14 délégués du personnel et de licenciement massif de travailleurs (300 personnes) nommément désignés au cours d'une grève de revendication professionnelle, en mars 1997, des allégations d'atteinte au droit de manifestation syndicale, à l'inviolabilité des locaux syndicaux, et des allégations de voies de faits, interpellations et sévices à l'encontre de syndicalistes, en avril 1998.
  2. 398. Le comité observe que les appréciations de la confédération plaignante et du gouvernement sur cette affaire diffèrent sur plusieurs points.
  3. 399. Pour la confédération plaignante, les travailleurs de la Compagnie abidjanaise de réparation navale et de travaux industriels (CARENA) ont déclenché des mouvements de grève à plusieurs reprises pour amener le patronat à leur appliquer le barème des salaires de la construction navale et non le barème de l'industrie mécanique. La confédération plaignante admet qu'un protocole d'accord avait été signé le 20 décembre 1996, dans lequel l'employeur reconnaît que la CARENA a pour activité principale la construction et la réparation navales. Cependant, le protocole d'accord est, selon les plaignants, resté lettre-morte. Les travailleurs ont alors déclenché une grève qualifiée par le plaignant de pacifique, ce qui a entraîné l'occupation de l'entreprise par la police et un lock-out par l'employeur. Celui-ci a alors licencié 300 grévistes au motif qu'ils seraient démissionnaires et, pendant trois jours, fait chasser les travailleurs des abords de l'entreprise par des tirs de gaz lacrymogènes de la police.
  4. 400. Les réunions de conciliation qui ont eu lieu par la suite n'ont pas eu de résultat positif, les travailleurs maintenant leur mot d'ordre de grève et l'employeur le licenciement massif de 300 travailleurs et des 14 délégués du personnel avec l'autorisation du ministre de l'Emploi. De même, la nouvelle tentative de conciliation du 1er octobre 1997 s'est soldée par un échec puisque l'employeur a rouvert ses portes en utilisant la sous-traitance. Dignité demandait la réintégration dans leur poste de travail des 300 grévistes et le réexamen des salaires et indemnités résultant de la classification de CARENA dans le secteur de la construction et de la réparation navales, alors que l'employeur n'acceptait de ne réengager que 20 travailleurs.
  5. 401. La marche de protestation du 4 février 1998 visait à attirer l'attention des autorités, le Premier ministre et le Président de la République, sur le conflit social à la CARENA et elle a été durement réprimée par les forces de l'ordre qui ont à nouveau fait usage des gaz lacrymogènes (voies de faits, blessures, interpellations, sévices, occupation du siège de Dignité pendant dix jours).
  6. 402. Pour le gouvernement, en revanche, le mémorandum de la confédération plaignante contient des contrevérités. En réalité, les réunions présidées par les conseillers du ministère de l'Emploi ont permis aux parties de signer un protocole d'accord le 20 décembre 1996. Cependant, la centrale Dignité, aux motifs que les travaux de la Commission indépendante permanente de concertation n'avançaient pas et que les représentants du patronat au sein de cette structure n'étaient pas qualifiés pour débattre du secteur de la construction et de la réparation navales, a déclenché une nouvelle grève.
  7. 403. Selon le gouvernement, une réunion de conciliation s'est tenue le 27 mars 1997 au ministère de l'Emploi, qui a été sanctionnée par les points d'accord suivants: l'employeur a renoncé aux licenciements envisagés, une commission consultative du travail devait être convoquée le 1er avril et les travailleurs devaient reprendre le travail le 1er avril 1997. Toutefois, le secrétaire général de Dignité, dans une lettre adressée au ministre de l'Emploi, a posé comme préalable à la levée du mot d'ordre de grève la réunion de la commission consultative, bloquant ainsi le processus de négociation.
  8. 404. La réunion de conciliation du 1er octobre 1997, qui s'est effectivement tenue après que le secrétaire général de Dignité eut formulé, le 1er mai 1997, une requête auprès du Premier ministre en vue de relancer les négociations, n'a pas non plus permis d'aboutir, les positions des parties étant restées divergentes.
  9. 405. Le comité rappelle tout d'abord l'importance qu'il attache au respect du droit de grève qui est un corollaire indissociable du droit syndical protégé par la convention no 87. Dans le cas d'espèce, le comité observe que la déclaration du caractère illégal de la grève par le ministre a été utilisée par l'employeur pour licencier massivement 300 travailleurs grévistes et 14 délégués du personnel. Le comité regrette que la déclaration d'illégalité de la grève ait été prononcée par le gouvernement et rappelle que la décision de déclarer une grève illégale ne devrait pas appartenir au gouvernement mais à un organe indépendant des parties et jouissant de leur confiance. (Voir Recueil, op. cit., quatrième édition, 1996, paragr. 522.)
  10. 406. Le comité rappelle que le recours à des mesures extrêmement graves, comme le licenciement des travailleurs et, a fortiori, des délégués du personnel du fait de leur participation à une grève et le refus de les réembaucher, implique de graves risques d'abus et constitue une violation de la liberté syndicale. (Voir Recueil, op. cit., quatrième édition, 1996, paragr. 597.) Par ailleurs, le comité souhaite réitérer que l'embauche de travailleurs pour briser une grève et l'exigence de la reprise du travail en dehors des cas où la grève risque de provoquer une situation telle que la vie, la santé ou la sécurité des populations peuvent être mises en danger sont contraires aux principes de la liberté syndicale. (Voir Recueil, op. cit. paragr. 570 et 572.) Le comité prie donc instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour obtenir la réintégration dans leur poste de travail de tous les travailleurs et de tous les délégués des travailleurs, victimes de discrimination antisyndicale, qui ont été licenciés à la suite de la grève qui a été déclenchée à partir du 6 mars 1997 à la CARENA.
  11. 407. En outre, s'agissant de l'intervention des forces de l'ordre pour chasser les grévistes des abords de l'entreprise pendant trois jours, du 25 au 27 mars 1997, et de l'usage de gaz lacrymogènes, le comité note que le gouvernement n'a pas réfuté cette allégation. Le comité rappelle que les autorités publiques ne devraient avoir recours à la force publique dans des mouvements de grève que dans des situations présentant un caractère de gravité où l'ordre public serait sérieusement menacé. De l'avis du comité, l'emploi de la police pour briser une grève constitue une atteinte aux droits syndicaux. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 580 et 579.) Dans le cas d'espèce, le comité considère qu'il y a eu manifestement atteinte aux droits syndicaux pendant les trois jours où les grévistes ont été chassés des abords de l'entreprise par les forces de l'ordre, sur la demande de l'employeur.
  12. 408. S'agissant de la seconde intervention des forces de l'ordre pour empêcher la marche de solidarité visant à demander la réouverture des négociations, le 4 février 1998, où, selon la confédération plaignante, les forces de l'ordre ont fait à nouveau usage de gaz lacrymogènes et provoqué des blessures parmi les manifestants, le comité ne peut se satisfaire des explications du gouvernement selon lesquelles l'intervention des unités de la police visait à éviter les troubles de l'ordre public au prétexte que Dignité avait lancé des appels pressants à des troubles sociaux et avait réagi de même dans d'autres conflits du travail. En effet, dans le cas d'espèce, le gouvernement ne fait état concrètement d'aucun appel que ce soit à la violence de la part de Dignité. Le comité estime que cette action de la police a porté atteinte au droit de manifestation syndicale de cette organisation professionnelle visant à défendre les intérêts de ses membres. Il demande au gouvernement de faire procéder à une enquête sur ces diverses interventions de la police pour déterminer les responsabilités afin que les coupables soient sanctionnés et de s'abstenir à l'avenir de tels actes.
  13. 409. S'agissant de l'allégation relative à l'attaque et à l'occupation des locaux de Dignité pendant plusieurs jours, à partir de la manifestation syndicale du 4 février (bris de vitres, gaz lacrymogènes, occupation des locaux pendant plusieurs jours), le comité observe avec regret que le gouvernement ne formule aucun commentaire sur cette allégation. Le comité craint dans ces conditions que cette allégation ne soit pas dépourvue de fondement. Il rappelle que l'inviolabilité des locaux syndicaux a comme corollaire indispensable que les autorités publiques ne peuvent exiger de pénétrer dans les locaux sans autorisation préalable des occupants ou sans être en possession d'un mandat judiciaire les y autorisant. En conséquence, l'intrusion de la force publique dans les locaux syndicaux constitue une grave et injustifiable ingérence dans les activités syndicales qui crée un climat de crainte parmi les syndicalistes, préjudiciable à l'exercice des activités syndicales. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 175, 176 et 179.) Le comité demande en conséquence, là aussi, au gouvernement de faire procéder à une enquête pour déterminer les responsabilités afin que les coupables soient sanctionnés.
  14. 410. D'une manière générale, s'agissant du conflit du travail à la société CARENA, le comité demande au gouvernement de rouvrir les négociations à ce sujet et de le tenir informé des décisions de la commission consultative du travail composée des travailleurs et des employeurs concernés par ce conflit du travail sous la supervision des techniciens du ministère de l'Emploi.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 411. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) S'agissant du licenciement massif de 300 travailleurs et de 14 délégués du personnel à la Compagnie abidjanaise de réparation navale et de travaux industriels (CARENA), à la suite de mouvements de grève déclenchés en mars 1997, le comité rappelle que le droit de grève est un corollaire indissociable du droit d'association syndicale protégé par la convention no 87 et il prie instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour obtenir la réintégration, dans leur poste de travail, de tous les travailleurs et de tous les délégués des travailleurs victimes de discrimination antisyndicale.
    • b) S'agissant des diverses interventions des forces de l'ordre contre les grévistes, le comité demande au gouvernement de faire procéder à une enquête pour déterminer les responsabilités afin que les coupables soient sanctionnés et de garantir, à l'avenir, que de tels actes ne se renouvelleront pas.
    • c) S'agissant de l'allégation relative à l'attaque et à l'occupation des locaux de Dignité pendant plusieurs jours à partir de la manifestation syndicale du 4 février 1998, le comité rappelle que l'intrusion de la force publique dans les locaux syndicaux constitue une grave et injustifiable ingérence dans les activités syndicales, qui crée un climat de crainte parmi les syndicalistes, préjudiciable à l'exercice des activités syndicales. Il demande en conséquence, ici aussi, au gouvernement de procéder à une enquête pour déterminer les responsabilités, afin que les coupables soient sanctionnés.
    • d) D'une manière générale, s'agissant du conflit du travail à la société CARENA, le comité demande au gouvernement de rouvrir les négociations à ce sujet et de le tenir informé des décisions de la commission consultative du travail composée des travailleurs et des employeurs concernés par ce conflit du travail sous la supervision des techniciens du ministère de l'Emploi
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