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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 305, Novembre 1996

Cas no 1858 (France) - Date de la plainte: 11-OCT. -95 - Clos

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289. Par une communication du 11 octobre 1995, l'Union internationale des travailleurs de l'alimentation, de l'agriculture, de l'hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA) a présenté une plainte en violation des droits syndicaux contre le gouvernement de la France/Polynésie française. L'UITA a soumis des informations complémentaires dans une communication du 24 octobre 1995.

  1. 289. Par une communication du 11 octobre 1995, l'Union internationale des travailleurs de l'alimentation, de l'agriculture, de l'hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA) a présenté une plainte en violation des droits syndicaux contre le gouvernement de la France/Polynésie française. L'UITA a soumis des informations complémentaires dans une communication du 24 octobre 1995.
  2. 290. Le gouvernement a fourni ses observations par une communication du 23 mai 1996.
  3. 291. La France a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949. Ces deux conventions ont été déclarées applicables sans modification à la Polynésie française.

A. Allégations de l'organisation plaignante

A. Allégations de l'organisation plaignante
  1. 292. Dans sa plainte du 11 octobre 1995, l'UITA explique que son organisation affiliée à Tahiti, A Tia I Mua, a appelé à la grève générale le 6 septembre 1995. Au cours de cette journée, des débordements ont eu lieu sur le site de l'aéroport de Tahiti-Faaa ainsi que dans la ville de Papeete. L'affiliée de l'UITA nie toute responsabilité dans ces débordements.
  2. 293. Le samedi 9 septembre, poursuit l'organisation plaignante, un puissant détachement de gendarmes en tenue de combat et de gardes mobiles armés a envahi le siège de la Confédération A Tia I Mua, à Papeete, où les dirigeants du syndicat s'apprêtaient à tenir une conférence de presse sur les événements du 6 septembre. Le secrétaire général, Hirohiti Tefaarere et une quinzaine de membres de la confédération, dont huit membres du secrétariat exécutif, furent interpellés avec violence et arrêtés.
  3. 294. Selon des informations complémentaires, plusieurs dirigeants syndicaux présents au siège d'A Tia I Mua, dont Hirohiti Tefaarere, auraient reçu des coups de pied et de poing dans les locaux du syndicat. Un représentant du Syndicat de l'office des postes et télécommunications, Henri Temaititahio, aurait reçu un coup de matraque à la tempe gauche, à la suite duquel il aurait perdu connaissance. Par la suite, les détenus, dont Cyril Lagayic, secrétaire général de la Confédération des syndicats indépendants de Polynésie (CSIP), furent menottés et entassés, face au plancher, dans un camion militaire et emmenés vers une caserne de gendarmerie.
  4. 295. Selon l'UITA, les syndicalistes détenus furent forcés de se mettre à genoux dans l'enceinte de cette caserne, mains dans le dos, menottes aux poings et face contre terre, dans des conditions humiliantes. Henri Temaititahio fut apparemment relâché le soir même, mais s'écroula à sa sortie de la caserne de gendarmerie. Selon l'UITA, il aurait été transporté dans un état grave à l'hôpital territorial le 11 septembre, souffrant d'une paralysie progressive du côté gauche. Cinq détenus, dont Cyril Lagayic, furent relâchés après un interrogatoire de police. Les autres furent déférés devant un juge d'instruction. Selon le procureur, ils étaient passibles de vingt ans de réclusion criminelle. Trois syndicalistes auraient été relâchés sous caution et huit autres, dont Hirohiti Tefaarere, mis en examen et écroués à la maison d'arrêt de Nuutania.
  5. 296. Dans sa communication du 24 octobre 1995, l'UITA indique qu'à la date du 23 octobre six personnes étaient toujours incarcérées à la maison d'arrêt de Nuutania. Il s'agissait de Hirohiti Tefaarere, secrétaire général, Ronald Terorotua, Irving Paro, secrétaires généraux adjoints, Albert Tematahotoa, délégué du personnel de la CEGELEC (service hôtelier), Henri Temaititahio, délégué suppléant A Tia I Mua (poste), et Emile Teuahau, adhérent de la SMPP/SOGEBA (bâtiment). Selon l'UITA, ils auraient subi des mauvais traitements pour lesquels ils ont déposé plainte au tribunal de Papeete. Plus précisément, l'UITA indique qu'Henri Temaititahio a été hospitalisé du 11 au 20 septembre puis, de nouveau, du 2 au 16 octobre, date à laquelle il a été incarcéré. Le 11 septembre, il avait été admis aux urgences de l'hôpital Mamao après avoir vu son médecin privé pour une paralysie progressive du côté droit, due à de violents coups reçus sur la tête et la nuque. A la date du 23 octobre, il n'est plus paralysé, mais il porte une minerve et a toujours des pertes de mémoire. L'UITA ajoute que, le 12 septembre, trois fourgons de gardes mobiles se sont rendus au domicile d'Henri Temaititahio et ont investi sa maison avant l'heure légale en présence de sa femme et de ses quatre enfants.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 297. Dans sa communication du 23 mai 1996, le gouvernement explique que le syndicat A Tia I Mua a lancé un mot d'ordre de grève générale pour le 6 septembre 1995. Le mouvement de grève a pris la forme d'un envahissement de la piste de l'aéroport international de Tahita Faaa, suivi de violences à l'encontre des forces de l'ordre présentes, de dégradations sur les aéronefs en instance de départ et d'incendies volontaires allumés.
  2. 298. Suite à ces événements, une information judiciaire était ouverte. Le juge d'instruction chargé du dossier a lancé un mandat d'amener puis de dépôt pour les motifs suivants: entrave à la circulation aérienne; destruction d'immeubles et d'installations de circulation aérienne; dégradation d'un aéronef dans l'emprise d'un aérodrome; voies de fait, avec ou sans arme sur agents de la force publique ayant entraîné une incapacité temporaire de travail inférieure ou supérieure à huit jours; destruction d'objets mobiliers et immobiliers appartenant à autrui par effet d'une substance incendiaire ou d'un incendie commis en bande organisée; vols et vols à l'aide d'effraction; non-assistance à personne en péril; omission d'empêcher un délit contre l'intégrité corporelle des personnes; dégradation de bâtiments d'utilité publique par l'effet d'un incendie commis en bande organisée. Ces faits sont prévus et réprimés par les articles L.282-1 et L.282-4 du Code de l'aviation civile et par les articles 309, 434, 435, 379, 381, 382, 63 alinéas 1 et 2, 257 et 257-3 du Code pénal.
  3. 299. Le gouvernement observe donc que c'est sur décision judiciaire et pour des motifs de droit commun que certaines personnes appartenant au syndicat A Tia I Mua ont été inculpées et placées en détention provisoire à la maison d'arrêt de Nuutania.
  4. 300. S'agissant de l'accusation de violences commises par des forces de gendarmerie lors de l'arrestation des personnes concernées, le gouvernement déclare que le juge d'instruction chargé du dossier a ouvert une enquête dont les conclusions ne sont pas encore connues. D'après le gouvernement, il semble, à ce jour, qu'aucun élément ne vienne conforter cette accusation. Le gouvernement ajoute que, lors de leur garde à vue, les personnes interpellées ont fait l'objet d'un contrôle médical qui n'a rien révélé de particulier.
  5. 301. La Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Papeete a décidé le 12 décembre 1995 la remise en liberté des personnes concernées détenues provisoirement depuis le 10 septembre 1995, dont M. Hirohiti Tefaarere qui a été placé sous contrôle judiciaire avec assignation à résidence en Polynésie française et interdiction d'intervention publique liée aux causes de sa détention.
  6. 302. Le gouvernement conclut en déclarant que les droits d'expression et d'opinion ont toujours été respectés en Polynésie française. Le gouvernement continuera à veiller à ce que les libertés d'expression et d'opinion restent garanties aussi bien à l'occasion de la prochaine consultation électorale pour le renouvellement général de l'assemblée territoriale qu'en toute autre circonstance.
  7. 303. Le gouvernement joint en annexe à sa communication divers documents dont des coupures de presse faisant état des motivations essentiellement politiques de la grève générale (arrêt des essais nucléaires) et des actes de violence commis lors des événements du 6 septembre 1995 ainsi que des déclarations de la gendarmerie démentant catégoriquement les accusations de tortures et de sévices commis sur la personne de syndicalistes.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 304. Le comité note que le présent cas concerne diverses mesures prises par les autorités à la suite de violents incidents survenus lors d'une journée de grève générale organisée par le syndicat A Tia I Mua. L'organisation plaignante fait état de l'assaut donné par les forces de gendarmerie au siège du syndicat, d'arrestations, de mises en examen et d'incarcérations de dirigeants syndicaux, ainsi que de sévices exercés lors de l'interpellation de syndicalistes.
  2. 305. Pour justifier ces mesures, le gouvernement a fait état de violences exercées lors du mouvement de grève tant sur les biens publics et privés, notamment à l'aéroport international de Tahiti que sur des agents de la force publique. Il a également fourni dans sa réponse des pièces tendant à établir que la grève générale avait essentiellement des motivations d'ordre politique, à savoir une protestation contre la reprise des essais nucléaires français.
  3. 306. Il appartient au comité, conformément à ses principes et à sa pratique, de déterminer en particulier si les mesures prises ou les actions commises par les autorités étaient motivées par des activités d'ordre syndical ou au contraire par des actes dépassant le cadre syndical et qui étaient soit préjudiciables à l'ordre public, soit de nature politique. (Voir à cet égard Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 115.)
  4. 307. En analysant la documentation à sa disposition, le comité a relevé que, dans son appel à la grève générale, l'organisation A Tia I Mua avait mis en avant la question des essais nucléaires. Toutefois, d'autres revendications étaient également présentées, notamment la revalorisation du salaire minimum et la réduction du déficit du régime d'assurance maladie. Il apparaît ainsi que cette grève générale répondait à la fois à des motivations qui ressortissaient plus du domaine strictement politique que syndical et à d'autres objectifs qui entraient en revanche dans le cadre normal des activités d'une organisation de travailleurs.
  5. 308. Quoi qu'il en soit, la manifestation qui s'est tenue à l'aéroport international et les violences qui en ont résulté ont amené les autorités à prendre diverses mesures. Ainsi, les gendarmes ont pénétré à l'intérieur des locaux du syndicat A Tia I Mua et ont procédé à l'interpellation de dirigeants syndicaux qui y étaient réunis. A cet égard, le comité rappelle que l'inviolabilité des locaux syndicaux a comme corollaire indispensable que les autorités publiques ne peuvent exiger de pénétrer dans ces locaux sans l'autorisation préalable des occupants ou sans être en possession d'un mandat judiciaire les y autorisant. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 175.)
  6. 309. Dans le cas présent, le comité a relevé que, dans le dossier fourni par le gouvernement, il est fait référence à un communiqué du colonel commandant le groupement de gendarmerie de Polynésie française indiquant que les interpellations effectuées le 9 septembre sur la personne de syndicalistes l'ont été "dans le cadre de l'enquête sur commission rogatoire ouverte après les émeutes des 6 et 7 septembre". En outre, "les arrestations ont été exécutées selon les prescriptions de sécurité fixées par les textes réglementaires sous la conduite des officiers de police judiciaire et le contrôle des magistrats". Le gouvernement fait également état dans sa réponse de l'émission d'un mandat d'amener par le juge d'instruction chargé du dossier. Il apparaît donc que l'intervention des forces de gendarmerie dans les locaux du syndicat a été effectuée sur ordre judiciaire dans le cadre de l'enquête sur les événements survenus lors de la grève générale.
  7. 310. L'organisation plaignante s'est référée à des sévices et mauvais traitements exercés par les forces de l'ordre lors de l'interpellation des syndicalistes. Le comité note que, pour sa part, la gendarmerie par la voix de son commandant a démenti catégoriquement les accusations ainsi formulées et a déclaré que les personnes interpellées ont, lors de leur garde à vue, fait l'objet d'un contrôle médical qui n'a rien révélé de particulier.
  8. 311. Le comité exprime sa préoccupation face aux graves allégations de mauvais traitements de syndicalistes et rappelle que, dans les cas allégués de mauvais traitements ou lorsque se sont produites des atteintes à l'intégrité physique ou morale, il a considéré qu'une enquête judiciaire devrait être effectuée sans retard, car cette méthode est particulièrement appropriée pour éclaircir pleinement les faits, déterminer les responsabilités, sanctionner les coupables et prévenir la répétition de telles actions. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 53.) Dans le cas présent, le comité note que le juge d'instruction chargé du dossier a ouvert une enquête dont les conclusions ne sont pas encore connues. Compte tenu de l'importance d'un climat exempt de violences, de pressions ou menaces de toutes sortes pour le libre exercice des droits syndicaux ainsi que des informations contradictoires contenues dans les déclarations du plaignant et du gouvernement sur la véracité de ces allégations, le comité prie le gouvernement de le tenir informé des résultats de l'enquête engagée.
  9. 312. Enfin, l'organisation plaignante a allégué que les autorités ont procédé à l'arrestation, la mise en examen et l'incarcération de plusieurs dirigeants syndicaux. Ces mesures ont été confirmées par le gouvernement. Le comité note que le gouvernement a dressé une liste des motifs à l'origine des arrestations et des poursuites. Tous ces motifs se rattachent à des actes de violence commis lors de la manifestation. Le comité relève à cet égard que l'organisation plaignante elle-même ne nie pas ces violences puisqu'elle fait référence à des débordements dont, selon elle, le syndicat ne serait pas responsable.
  10. 313. Dans ces conditions, le comité estime que les autorités étaient fondées à ouvrir une enquête judiciaire sur les événements liés à la grève générale et qu'il était légitime que, dans le cadre de cette enquête, les dirigeants du syndicat organisateur de la grève soient interpellés pour interrogatoire. Le comité constate par ailleurs que certains de ces dirigeants ont été déférés devant un juge d'instruction et mis en détention. Par la suite, ils ont été remis en liberté sur décision judiciaire, le secrétaire général du syndicat étant toutefois placé sous contrôle judiciaire avec assignation à résidence en Polynésie française. Il apparaît donc au comité que les dirigeants syndicaux concernés ont bénéficié après leur garde à vue des garanties d'une procédure judiciaire régulière dans le cadre d'une enquête justifiée par des actes dépassant le cadre normal et légitime des activités syndicales.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 314. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver la recommandation suivante:
    • Le comité prie le gouvernement de le tenir informé des résultats de l'enquête judiciaire engagée sur les allégations relatives aux sévices dont auraient été victimes des syndicalistes lors de leur interpellation.
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