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- 79. Les plaintes qui font l'objet du présent cas figurent dans des communications de la Confédération générale du travail (CGT) et de l'Union des conducteurs de tramways et d'autocars (UTA), datées du 6 novembre 1992, et dans une communication conjointe de l'Association du personnel aéronautique (APA), de l'Union du personnel d'encadrement des entreprises de transport aérien (UPSA), de l'Association du personnel technique aéronautique (APTA) et de l'Association des mécaniciens navigants des lignes aériennes (ATVLA), datée de février 1993. Ultérieurement, dans des communications de décembre 1992 et du 6 avril 1993, l'Union des conducteurs de tramways et d'autocars a fourni des informations complémentaires et formulé de nouvelles allégations. Dans une communication du 7 janvier 1993, la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) s'est associée à la plainte présentée par l'UTA.
- 80. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication datée du 23 novembre 1993.
- 81. L'Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants
- 82. Dans sa communication du 6 novembre 1992, la Confédération générale du travail (CGT) allègue que le mouvement syndical se heurtant à de multiples difficultés la centrale ouvrière a décidé une grève générale de 24 heures pour le 9 novembre; le gouvernement a alors tenté d'appliquer à diverses organisations syndicales du secteur des services le décret no 2184/90 ("portant réglementation des procédures destinées à prévenir ou, si nécessaire, à encadrer les conflits du travail"), en les menaçant de prendre des sanctions et des mesures de rétorsion.
- 83. Ultérieurement, dans leurs communications du 6 novembre 1992, de décembre 1992 et de février 1993, l'Union des conducteurs de tramways et d'autocars (UTA), l'Association du personnel aéronautique (APA), l'Union du personnel d'encadrement des entreprises de transport aérien (UPSA), l'Association du personnel technique aéronautique (APTA) et l'Association des mécaniciens navigants des lignes aériennes (ATVLA) ajoutent que, eu égard aux divers conflits d'intérêts manifestes dans le secteur des transports (transport par route et transport aérien) et à l'éventualité de la grève générale, le gouvernement, par le biais de divers arrêtés ministériels, a appliqué de manière arbitraire le décret no 2184/90, en décrétant que le transport est un service essentiel portant ainsi atteinte au droit des organisations de travailleurs d'organiser leur activité et de formuler leur programme d'action.
- 84. Concrètement, outre l'assimilation du transport à un service essentiel (paragraphe 1 de l'article 1), les organisations plaignantes critiquent l'imposition unilatérale par les pouvoirs publics d'un service minimum et la fixation à un niveau trop élevé du service minimum obligatoire pour le transport aérien (100 pour cent des vols pour les liaisons entre les villes du sud, 70 pour cent dans le reste du pays et 100 pour cent sur les lignes internationales) ainsi que pour le transport par route (70 et 90 pour cent sur les parcours urbains, et 90 pour cent sur les longs parcours). Les organisations plaignantes se préoccupent également des mesures que les services responsables de l'administration du travail sont habilités à prendre en cas de non-respect du service minimum convenu ou imposé par le ministère du Travail: arbitrage obligatoire, déclaration d'illégalité de la grève, suspension ou annulation du statut syndical, etc. (articles 9, 10 et 11 du décret).
- 85. Enfin, dans sa communication du 6 avril 1993, l'UTA indique qu'un conflit ayant éclaté entre le personnel et la direction de l'entreprise du Metropolitan de Buenos Aires, le ministère du Travail a décidé d'assujettir le transport de voyageurs assuré par l'entreprise au décret no 2184/90, en imposant un service minimum à garantir pendant toute la durée du conflit. L'organisation plaignante allègue qu'en avril 1993 le ministère du Travail, invoquant le non-respect du service minimum (qu'il avait établi en l'absence d'un accord entre les parties), a déclaré l'illégalité de la grève entreprise et menacé l'organisation syndicale de suspendre ou d'annuler son statut syndical.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 86. Dans sa communication du 23 novembre 1993, le gouvernement déclare que le décret no 2184/90, qui réglemente le droit de grève, a été pris en vertu des pouvoirs réglementaires que la Constitution nationale confère au pouvoir exécutif, que le droit de grève a rang constitutionnel et qu'il a été réglementé successivement par la loi no 14786 (sur les normes de règlement des conflits), la loi no 16936 (sur l'arbitrage obligatoire), le décret-loi no 879/57 (sur le règlement des conflits collectifs entre les entreprises d'Etat et leur personnel), et enfin par le décret incriminé. Le gouvernement indique que la réglementation de la grève met en relief sa nature juridique et l'importance qu'elle revêt dans la législation nationale et que, par ailleurs, la grève étant régie par les lois précitées, le pouvoir exécutif est habilité par la Constitution à en réglementer l'exercice.
- 87. Le gouvernement fait remarquer que la législation ne se borne pas à reconnaître le droit de grève, mais qu'elle favorise l'existence de mécanismes de prévention et de règlement des conflits du travail et qu'elle part du principe que les parties elles-mêmes devraient établir les mécanismes de règlement des conflits. Il rappelle qu'en raison de la crise économique, de l'inflation et du déficit budgétaire auxquels le pays a été en proie pendant les années quatre-vingt des mesures économiques d'exception et une loi de réforme de l'Etat ont été adoptées; partant de là, des mécanismes appropriés ont été mis en place pour garantir que ne soient pas interrompus de façon prolongée ou total les services jugés indispensables, de manière à concilier l'intérêt général et les droits des parties en conflit.
- 88. Le gouvernement déclare que le décret incriminé contient une définition indicative, conceptuelle et générique de service essentiel, à l'effet de permettre le maintien d'un service minimum en cas de grève; ledit décret dispose que, lorsque le ministère du Travail a pris connaissance de l'existence d'un conflit du travail pour lequel il a compétence en vertu de la loi no 14786, il s'applique à déterminer si ce conflit affecte l'ensemble ou une partie des services mentionnés dans le décret. Le gouvernement explique que, conformément aux dispositions de l'article 5 du décret, les parties doivent convenir des modalités de prestation du service minimum qui devra être maintenu pendant toute la durée du conflit, et qu'en l'absence d'un accord ces modalités sont fixées par le ministère du Travail, non pas sur la base d'un rapport établi par le ministère ou l'organisme compétent de manière discrétionnaire. Le décret dispose également que, dans le cas des activités ou des entreprises où la prestation d'un service minimum a été convenue à l'avance par le biais d'une convention collective ou d'un accord à l'échelon de l'entreprise, il y a lieu de respecter ce qui a été arrêté et que, si tel n'est pas le cas, les services chargés de faire respecter les lois et règlements agiront. Le gouvernement insiste sur le fait que le droit de grève n'est pas supprimé dans les services essentiels, mais qu'une procédure à laquelle les parties en cause sont associées a été établie pour le réglementer.
- 89. Pour ce qui est de la disposition selon laquelle, lorsqu'une action directe est engagée sans que l'obligation d'assurer le service minimum convenu ou fixé soit respectée, la question est soumise à l'arbitrage obligatoire, le gouvernement indique qu'il en est ainsi en vertu des dispositions de la loi no 16936, qui n'a jamais été mise en cause par les organisations syndicales et a toujours été appliquée sans heurt.
- 90. Le gouvernement déclare, par ailleurs, que les transports ont été inclus dans des services dont l'interruption totale ou partielle pourrait mettre en danger la vie, la santé, la liberté ou la sécurité des personnes dans tout ou partie de la population, parce qu'ils remplissent une fonction primordiale dans le pays en reliant des points géographiques éloignés, et qu'il faut tenir compte des graves conséquences que pourrait avoir une interruption des transports pour le ravitaillement en vivres, le transport des malades, etc. Enfin, en ce qui concerne la fréquence des services à assurer, le gouvernement répète qu'elle est déterminée après consultation de l'organisme compétent, en l'occurrence la direction des Transports du ministère de l'Economie et des Travaux et Services publics, et que cette fréquence minimum n'empêche pas l'exercice du droit de grève, mais qu'elle ne fait que le limiter dans les cas ponctuels où elle constitue une prestation indispensable à la collectivité.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 91. Le comité observe que les allégations formulées dans le présent cas ont trait à la teneur et à l'application du décret no 2184/90 ("portant réglementation des procédures destinées à prévenir ou, si nécessaire, à encadrer les conflits du travail"), en ce qui touche l'établissement d'un service minimum dans le secteur des transports.
- 92. S'agissant tout d'abord de l'obligation imposée par la législation d'assurer un service minimum (article 5 du décret) durant les grèves dans le secteur des transports - qu'il s'agisse du transport terrestre, aérien ou ferroviaire -, le comité convient avec le gouvernement qu'il est nécessaire de tenir compte de l'intérêt général et souligne la fonction primordiale que le transport remplit dans le pays en reliant des points géographiques éloignés, ainsi que sur les conséquences négatives qui résulteraient pour la population de l'absence d'un service minimum (ravitaillement en vivres, transport des malades, etc.). Le comité considère que le transport de voyageurs et de marchandises ne constitue pas un service essentiel au sens strict du terme (ceux dont l'interrruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la santé ou la sécurité de la personne); il s'agit toutefois d'un service public d'une importance primordiale, dans le pays où l'imposition d'un service minimum en cas de grève peut se justifier. Dans ces conditions, le comité estime que, dans le cas présent, le fait de soumettre le secteur des transports à un service minimum en cas de grève ne viole pas les principes de la liberté syndicale.
- 93. Pour ce qui est de l'allégation relative à l'imposition unilatérale d'un service minimum par le ministère du Travail, le comité observe que, conformément à l'article 5 du décret, cela ne se produit qu'en l'absence d'un accord entre les parties, lesquelles sont dans tous les cas consultées. A cet égard, le comité a déjà eu l'occasion de se prononcer sur des allégations similaires concernant l'imposition d'un service minimum dans les services publics, et il réitère les conclusions qu'il avait alors formulées, à savoir que, dans le secteur public, en cas de divergence de vues entre les parties quant à la composition du service minimum, "la législation devrait prévoir le règlement de pareille divergence par un organe indépendant" (voir 291e rapport du comité, cas nos 1648 et 1650 (Pérou), paragr. 467) et non par le ministère du Travail ou le ministère ou l'entreprise publique intéressé.
- 94. En ce qui concerne le pouvoir du ministère du Travail de déclarer une grève illégale si le service minimum n'est pas assuré (art. 10 du décret), de soumettre le conflit à l'arbitrage obligatoire (art. 9 du décret) et, le cas échéant, de demander à l'autorité judiciaire de suspendre ou d'annuler le statut syndical de l'organisation visée (art. 11 du décret), le comité prend note de la déclaration du gouvernement selon laquelle la loi no 16936, qui autorise l'arbitrage obligatoire, n'a jamais été mise en cause par les organisations syndicales. A cet égard, le comité a signalé antérieurement que le recours à l'arbitrage obligatoire en cas de grève ne devrait pouvoir s'utiliser que dans les services essentiels au sens strict du terme (ceux dont l'interruption pourrait mettre en danger la vie, la santé ou la sécurité de la personne dans tout ou partie de la population) (voir 286e rapport du comité, cas no 1620 (Colombie), paragr. 384), le transport ne faisant pas partie de ces services.
- 95. Le comité relève, par ailleurs, qu'une grève peut être déclarée illégale par voie administrative lorsque le service minimum convenu par les parties n'est pas assuré, mais que le décret no 2184/90 permet aussi de déclarer par voie administrative l'illégalité d'une grève pour des motifs allant au-delà de cette hypothèse, en particulier en cas de violation d'autres prescriptions légales. A cet égard, le comité a jugé antérieurement qu'en cas de grève "les décisions en dernier ressort d'illégalité des grèves ne devraient pas être prononcées par le gouvernement, notamment dans les cas où ce dernier est partie au conflit". (Voir 284e rapport du comité, cas no 1586 (Nicaragua), paragr. 942.)
- 96. Eu égard à l'éventuelle suspension ou annulation du statut syndical d'une organisation pour ne pas avoir observé le service minimum pendant la grève, le comité est d'avis que de telles mesures ne sont pas admissibles. A cet égard, le comité note que le décret incriminé dispose à l'article 11 que "lorsque des associations syndicales organisent, encouragent ou soutiennent des mesures d'action directe jugées illégales, les services chargés de faire respecter les lois et règlements sont habilités à mettre en oeuvre les procédures prévues aux alinéas 2 et 3 de l'article 56 de la loi no 23551 (sur les associations syndicales)". Le comité relève à ce sujet, à l'alinéa 2 de la loi no 23551, qu'il est prévu que le ministère du Travail enjoigne aux associations syndicales de renoncer à des mesures impliquant la violation de dispositions juridiques ou statutaires ou le non-respect de dispositions prises par l'autorité compétente dans le cadre de ses attributions légales; il note également, à l'alinéa 3, que le ministère pourra s'adresser à une instance judiciaire pour faire prononcer la suspension ou l'annulation du statut syndical d'une association ou demander son intervention en cas de non-exécution de l'injonction évoquée à l'alinéa 2, ou s'il a été prouvé que de graves irrégularités administratives ont été commises par cette association. Dans ces conditions, le comité, tout en observant que la décision en dernier ressort de suspendre ou d'annuler le statut syndical est prise par un organe judiciaire indépendant, réaffirme que de telles mesures ne devraient pas être adoptées en cas de non-observation du service minimum.
- 97. Quant à l'allégation relative à la fréquence élevée des services à assurer dans le cadre du service minimum, le comité observe que, dans sa réponse, le gouvernement se borne à indiquer d'une manière générale que cette fréquence est déterminée après consultation de l'organisme compétent, en l'occurrence la direction des Transports du ministère de l'Economie et des Travaux et Services publics, et que cette fréquence minimum n'empêche pas l'exercice du droit de grève, mais qu'elle ne fait que le limiter dans les cas ponctuels où elle constitue une prestation indispensable à la collectivité. A cet égard, le comité constate que le gouvernement n'a pas fait de commentaires sur les pourcentages - à première vue élevés - des prestations imposées signalés par les organisations plaignantes, qui auraient dans certains cas atteint 90 et 100 pour cent, ce qui revient en pratique à interdire la grève. Le comité n'exclut donc pas que les services minima aient été fixés à un niveau excessif, même si la grève en question n'a pas eu lieu. Le comité souligne, néanmoins, comme il a déjà eu l'occasion de le faire, qu'"une opinion définitive fondée sur tous les éléments d'appréciation pour savoir si le niveau des services minima a été ou non le niveau indispensable ne peut être émise que par l'autorité judiciaire, étant donné que pour la formuler cela suppose en particulier une connaissance approfondie de la structure et du fonctionnement des entreprises et des établissements concernés, ainsi que des répercussions effectives des actions de grève". (Voir 254e rapport du comité, cas no 1403 (Uruguay), paragr. 447.)
- 98. En ce qui concerne l'allégation de l'UTA relative à la déclaration d'illégalité de l'action directe menée par les travailleurs de l'entreprise du Metropolitain de Buenos Aires et la menace de suspension ou d'annulation du statut syndical de l'association, le comité relève que le gouvernement n'a pas fourni de précisions à ce sujet. Il ressort, cependant, de la documentation transmise par l'organisation plaignante que les parties n'étant pas parvenues à un accord les services responsables de l'administration du travail ont fixé le pourcentage de services minima à respecter pendant toute la durée du conflit, que l'UTA ainsi que l'Association du personnel d'encadrement de ladite entreprise ont reçu une injonction de renoncer à toute mesure pouvant affecter la prestation minimale, et qu'en fin de compte l'action directe a été déclarée illégale en raison du non-respect du service minimum imposé. Le comité observe que, depuis la présentation de ses allégations en avril 1993, l'organisation plaignante n'a pas envoyé de nouvelles informations indiquant que la menace de suspension ou d'annulation du statut syndical par voie judiciaire a été mise à exécution. Dans ces conditions, le comité en revient à ses conclusions antérieures quant au fait qu'il importe de confier à un organe indépendant la tâche de déclarer l'illégalité des grèves dans les services publics et d'établir le service minimum en l'absence d'un accord entre les parties.
- 99. Compte tenu des conclusions qui précèdent, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour modifier la législation afin qu'en dernier ressort la décision d'illégalité de la grève et l'établissement d'un service minimum en l'absence d'un accord entre les parties dépendent d'un organe indépendant. Le comité attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur le présent cas.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 100. Vu les conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour modifier la législation afin qu'en dernier ressort la décision d'illégalité de la grève et l'établissement d'un service minimum en l'absence d'un accord entre les parties dépendent d'un organe indépendant.
- b) Le comité attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur le présent cas.