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Rapport intérimaire - Rapport No. 284, Novembre 1992

Cas no 1628 (Cuba) - Date de la plainte: 28-FÉVR.-92 - Clos

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  1. 1011. La Confédération internationale des syndicats libres a présenté cette plainte dans une communication en date du 28 février 1992. Le gouvernement a répondu dans une communication du 23 avril 1992.
  2. 1012. Cuba a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l'organisation plaignante

A. Allégations de l'organisation plaignante
  1. 1013. La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) allègue dans sa communication du 28 février 1992 que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations et la Commission de l'application des normes de la Conférence ont vivement critiqué, à plusieurs reprises, le statut de monopole syndical conféré par la législation cubaine à la Centrale des travailleurs de Cuba (CTC).
  2. 1014. La CISL ajoute que, conformément au droit des travailleurs de constituer des organisations de leur choix, garanti par l'article 2 de la convention no 87, par l'article 13 du Code du travail cubain et par l'article 8 de la Constitution de la République de Cuba, un groupe de travailleurs a fondé, le 4 octobre 1991, l'Union générale des travailleurs de Cuba (UGTC). La CISL joint en annexe à sa communication une copie des statuts de l'UGTC. Le contenu des statuts confirme explicitement que l'UGTC est un syndicat indépendant (paragraphe 1), qu'il est ouvert à tous les travailleurs de Cuba sans aucune distinction (paragraphe 8), que son seul objectif est la défense des intérêts et des droits des travailleurs de Cuba, et qu'elle refuse énergiquement toute forme d'ingérence extérieure de tout individu, pouvoir ou organisme (paragraphe 5).
  3. 1015. La CISL indique que lors de sa création l'UGTC avait décidé de demander son enregistrement auprès du ministère de la Justice, puis la reconnaissance de sa personnalité juridique, nécessaire pour exercer légitimement ses activités syndicales. Cette demande a été présentée au Département des associations du ministère de la Justice, conformément aux normes en vigueur selon lesquelles toutes les organisations doivent présenter une demande à cet effet, laquelle doit recevoir une réponse dans un délai de soixante jours. Or, malgré le temps écoulé, l'UGTC n'a reçu aucune réponse des autorités. Ce manquement constitue une violation non seulement des lois cubaines, mais aussi du droit des travailleurs de constituer sans autorisation préalable des organisations de leur choix.
  4. 1016. La CISL est également préoccupée par le fait que les autorités cubaines ont agi de façon à créer un climat d'intimidation visant à décourager et à empêcher l'établissement de l'UGTC et ses activités de recrutement. En particulier, le 11 janvier 1992, le président de l'UGTC, Rafael Gutiérrez, a été violemment attaqué par une "brigade d'intervention rapide" qui prenait part à une "action de répudiation" organisée par le gouvernement. M. Gutiérrez a été d'abord retenu et attaqué par la foule, qui a essayé de lui faire avaler des documents de l'UGTC. Ensuite, il a été emmené dans une voiture non immatriculée dans un poste de police de la municipalité du 10 octobre de La Havane, où il a été mis au secret. On a refusé à ses proches l'autorisation de le voir et on leur a dit qu'il serait détenu longtemps. Toutefois, quarante-huit heures plus tard, M. Gutiérrez a été libéré sans que des charges aient été retenues contre lui et sans qu'aucune explication ait été fournie sur les motifs de sa détention.
  5. 1017. La CISL conclut en indiquant que la situation décrite prouve bien que l'on refuse toujours aux travailleurs cubains le droit fondamental de s'organiser et que, dans la pratique, le syndicalisme libre reste soumis à la répression généralisée du gouvernement.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 1018. Dans sa communication du 23 avril 1992, le gouvernement déclare qu'en ce qui concerne les allégations de la CISL relatives à l'existence de la Centrale des travailleurs de Cuba (CTC) et à sa reconnaissance dans le cadre législatif, des réponses fondées ont déjà été apportées dans les rapports annuels du gouvernement sur l'application de la convention no 87 présentés à la commission d'experts et dans les explications fournies à la Commission de l'application des normes de la Conférence. Le gouvernement reconnaît les considérations d'ordre historique et juridique ainsi que celles relatives à la pratique syndicale au moyen de larges formes de participation des syndicats nationaux de branche, qui regroupent 96,7 pour cent de la main-d'oeuvre du pays.
  2. 1019. S'agissant de la prétendue organisation syndicale indépendante dont la CISL se fait l'ardent défenseur, le gouvernement affirme qu'elle n'est connue ni des travailleurs, ni de la population, ni des interlocuteurs sociaux qui représentent les différentes instances de prise de décisions dans le système de relations professionnelles. En particulier, le gouvernement souligne que cette organisation n'est pas du tout représentative des travailleurs pour justifier la propagande internationale considérable faite dans le cadre des actions menées contre Cuba par le gouvernement des Etats-Unis.
  3. 1020. Le gouvernement indique qu'il a des informations relatives au financement encouragé par le gouvernement des Etats-Unis de la formation de syndicats parallèles à Cuba, en utilisant notamment pour ce faire les structures et les mécanismes de la Fédération américaine du travail et du Congrès des organisations industrielles (AFL-CIO) et de la CISL. Les projets d'ingérence dans le syndicalisme cubain de l'AFL-CIO et de la CISL comprennent des plans de création d'organisations satellites des intérêts des Etats-Unis à Cuba, de sabotage du travail et des tentatives de corruption de dirigeants syndicaux. Le gouvernement joint à sa communication une copie d'un article publié dans le New Herald du 19 janvier 1991 (Miami) en déclarant qu'il confirme les faits exposés.
  4. 1021. Le gouvernement déclare également que dans la présente plainte soumise par la CISL il ne s'agit pas d'un acte légitime de solidarité syndicale; si tel était le cas, elle devrait être prise en considération et même appuyée dans la mesure où la création d'organisations syndicales est le résultat et l'expression du libre choix des travailleurs. Au contraire, cette plainte constitue un acte d'ingérence syndicale de la part de la CISL, qui fait l'objet d'une propagande internationale. Dans le présent cas, les actions de la CISL, loin d'être motivées par la solidarité, constituent une violation de la liberté syndicale des travailleurs cubains, qui n'ont rencontré aucun obstacle et aucune opposition pour créer des organisations de leur choix, pour rédiger eux-mêmes leurs statuts et résolutions, ainsi que pour adopter la structure syndicale qu'ils ont jugée le mieux à même de défendre leurs intérêts, conformément aux dispositions de l'article 13 du Code du travail.
  5. 1022. Le gouvernement souligne qu'il y a plus de trois millions et demi de travailleurs à Cuba, dont 96,7 pour cent appartiennent à des organisations syndicales de leur choix. La prétendue organisation syndicale mentionnée par la CISL n'existe pas dans le pays et ne jouit d'aucune représentativité auprès des travailleurs cubains. Essayer d'imposer dans le cadre des actions anticubaines encouragées par les Etats-Unis aux fins de déstabilisation politique, comme il a été ouvertement déclaré et publié dans la presse internationale, une prétendue organisation dont on prétend donner l'image d'une organisation syndicale constitue non seulement une violation des normes et principes du droit international, mais aussi une violation de la liberté syndicale de la part de l'AFL-CIO et de la CISL et de leurs promoteurs, dans la mesure où ladite organisation ne traduit pas l'expression authentique de la volonté des travailleurs de Cuba.
  6. 1023. Quant à M. Rafael Gutiérrez, prétendu dirigeant élu uniquement par la CISL, le gouvernement indique que ce dernier n'est pas détenu et qu'il n'existe aucune charge contre lui dans le cadre de la juridiction pénale.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 1024. Le comité observe que dans le présent cas l'organisation plaignante a soulevé les questions suivantes: 1) l'absence de réponse du ministère de la Justice à la demande d'enregistrement et de reconnaissance de la personnalité juridique de l'Union générale des travailleurs de Cuba (UGTC), et ce après l'écoulement du délai légal de soixante jours; 2) l'attaque violente contre la personne de M. Rafael Gutiérrez, président de l'UGTC, perpétrée par une "brigade d'intervention rapide" qui prenait part à une "action de répudiation" organisée par le gouvernement et la détention du dirigeant susnommé pendant quarante-huit heures sans que des charges aient été retenues contre lui et sans qu'aucune explication ait été donnée sur les motifs de sa détention.
  2. 1025. Le comité prend note des observations du gouvernement selon lesquelles: 1) l'UGTC n'est connue ni par des travailleurs, ni de la population, ni des interlocuteurs sociaux qui représentent les différentes instances de prise de décisions dans le système de relations professionnelles; 2) il y a plus de trois millions et demi de travailleurs à Cuba, dont 96,7 pour cent appartiennent à des organisations syndicales de leur choix; la prétendue organisation syndicale mentionnée par la CISL n'existe pas dans le pays et n'a aucune représentativité auprès des travailleurs cubains; 3) Rafael Gutiérrez n'est pas détenu et il n'existe aucune charge contre lui dans le cadre de la juridiction pénale; 4) il existe des projets d'ingérence dans le syndicalisme cubain de la part de l'AFL-CIO et de la CISL visant à fomenter des sabotages du travail et des tentatives de corruption de dirigeants syndicaux; il s'agit d'actions anticubaines entreprises à des fins de déstabilisation politique.
  3. 1026. Le comité déplore que le gouvernement n'ait pas fourni d'informations précises sur l'absence de réponse du ministère de la Justice à la demande d'enregistrement et de reconnaissance de la personnalité juridique de l'Union générale des travailleurs de Cuba. En effet, le gouvernement s'est contenté de déclarer que cette organisation "n'existe pas", alors que copie des statuts de cette organisation a été communiquée par l'organisation plaignante et qu'il y figure le nom de six personnes. De même, le comité déplore que le gouvernement n'ait pas communiqué d'informations sur les allégations relatives à l'attaque violente contre la personne de M. Rafael Gutiérrez, fondateur et président de l'UGTC. Dans ces conditions, le comité doit signaler que le droit des travailleurs de constituer les organisations de leur choix implique notamment la possibilité de créer, dans un climat de pleine sécurité, des organisations qui sont indépendantes de celles qui existent déjà et de tout parti politique. (Voir 197e rapport, cas no 905 (URSS), paragr. 635, et 270e rapport, cas no 1500 (Chine), paragr. 324.) Le comité prie instamment le gouvernement d'envoyer des informations précises sur les allégations auxquelles il n'a pas répondu de façon spécifique et de se prononcer sans délai sur la demande d'enregistrement présentée par l'UGTC, en tenant pleinement compte du fait que, conformément à l'article 2 de la convention no 87, les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations.
  4. 1027. En ce qui concerne la détention du président de l'UGTC pendant quarante-huit heures, le comité déplore que le gouvernement n'ait pas communiqué d'informations précises sur ce point et qu'il se soit contenté d'indiquer que Rafael Gutiérrez "n'est pas" détenu et qu'il n'existe aucune charge contre lui dans le cadre de la juridiction pénale. Le comité prie donc le gouvernement de fournir de toute urgence ses observations à cet égard et indique à son intention que l'arrestation par les autorités de syndicalistes sans mandat d'arrestation, ou sans que soit prouvé qu'un chef d'inculpation existe, constitue une violation manifeste de la liberté syndicale. Les gouvernements devraient prendre des dispositions afin que les autorités intéressées reçoivent des instructions appropriées pour prévenir le risque que comportent pour les activités syndicales les mesures d'arrestation." (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 97.)
  5. 1028. Enfin, en ce qui concerne les déclarations du gouvernement relatives aux projets d'ingérence de l'organisation plaignante dans le mouvement syndical cubain, le comité souligne que l'assistance ou l'appui que peut apporter toute organisation syndicale internationale à la constitution, à la défense ou au développement d'organisations syndicales nationales est une activité syndicale légitime, même lorsque l'orientation syndicale recherchée ne correspond pas à celle(s) existant dans le pays. Le comité indique par ailleurs que les récriminations et les jugements de valeur exprimés par le gouvernement d'une façon générale au sujet de l'organisation plaignante ne sont pas admissibles et ne peuvent pas être pris en considération dans le cadre de la procédure engagée auprès du comité, selon laquelle seules peuvent être examinées les plaintes contre les gouvernements et non contre les organisations de travailleurs ou d'employeurs.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 1029. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité demande au gouvernement d'envoyer de toute urgence des observations précises sur l'allégation relative à l'attaque violente contre la personne de Rafael Gutiérrez, fondateur et président de l'UGTC. Le comité souligne que le droit des travailleurs de constituer des organisations de leur choix implique notamment la possibilité effective de créer, dans un climat de pleine sécurité, des organisations indépendantes tant de celles qui existent déjà que de tout parti politique.
    • b) Le comité prie instamment le gouvernement de communiquer sans tarder ses observations sur la détention de M. Rafael Gutiérrez (président de l'UGTC) pendant quarante-huit heures et signale à l'intention du gouvernement que l'arrestation par les autorités de syndicalistes sans mandat d'arrestation, ou sans que soit prouvé qu'un chef d'inculpation existe, constitue une violation manifeste de la liberté syndicale.
    • c) Le comité demande au gouvernement d'envoyer des informations précises sur l'absence de réponse du ministère de la Justice à la demande d'enregistrement et de reconnaissance de la personnalité juridique de l'Union générale des travailleurs de Cuba (UGTC) et de se prononcer sans délai sur ce point, en tenant pleinement compte du fait que, conformément à l'article 2 de la convention no 87, les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations.
    • d) Le comité signale à l'attention du gouvernement que l'assistance ou l'appui que peut apporter toute organisation syndicale internationale pour la constitution, la défense ou le développement d'organisations syndicales nationales est une activité syndicale légitime.
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