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- 360. Les plaintes qui font l'objet du présent cas figurent dans des communications de la Confédération générale du travail (CGT) du 3 janvier 1992 et de la Centrale latino-américaine des travailleurs (CLAT) du 10 janvier 1992. La CLAT a envoyé de nouvelles allégations dans une communication du 30 janvier 1992. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication du 7 juillet 1992.
- 361. La Colombie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants
- 362. Dans sa communication du 3 janvier 1992, la Confédération générale du travail (CGT) dénonce la grave situation que connaissent les travailleurs de l'hôtel San Diego SA, hôtel Tequendama, affiliés à l'Organisation syndicale d'industrie: Syndicat national des travailleurs des industries gastronomique, hôtelière et apparentées de Colombie (HOCAR), victimes de répression rigoureuse pour avoir fait usage du droit de grève prévu par la Constitution et le Code du travail du pays.
- 363. L'organisation plaignante signale que les travailleurs de l'hôtel Tequendama ont entamé la négociation de leur cahier de revendications et que, l'étape légale s'étant achevée sans parvenir à un accord, ils n'ont eu d'autre choix que de décréter la grève le 12 décembre 1991, grève qui a eu lieu jusqu'au 19 décembre de la même année. En la circonstance, le ministère du Travail a refusé de mettre les scellés, ce qu'il était tenu de faire selon la loi, de l'avis du plaignant, et, à la demande de l'entreprise, le ministère du Travail a envoyé des fonctionnaires le jour où la grève a été déclenchée pour vérifier, selon les termes du plaignant, "une cessation illégale d'activités". L'organisation plaignante (CGT) et le syndicat HOCAR ont été témoins d'une tentative de briser la grève: du personnel a voulu pénétrer dans l'hôtel avec l'appui des forces du régime, mais il en a été empêché par les grévistes.
- 364. Le ministère du Travail a adopté la résolution no 006495 du 20 décembre 1991 ordonnant la constitution d'un tribunal d'arbitrage obligatoire; or, selon le plaignant, la loi prévoit une durée de la grève de soixante jours. Dans ces circonstances, les travailleurs ont contesté la résolution et ont poursuivi la grève malgré l'absence de garanties concernant le déroulement de cette dernière.
- 365. Le 26 décembre 1991, le ministère du Travail a adopté la résolution no 006539 par laquelle il déclarait illégale la grève en alléguant que, conformément à l'article 416 du Code du travail, les travailleurs du secteur public n'ont pas le droit de grève.
- 366. A cet égard, le plaignant signale que l'article 56 de la nouvelle Constitution politique de la Colombie, promulguée en 1991, prévoit que "le droit de grève est garanti sauf dans les services publics essentiels définis par le législateur"; compte tenu de ce qui précède, déclare le plaignant, l'hôtellerie, la vente de liqueurs et la vente de services d'alimentation ne peuvent en aucun cas être considérées comme un service public essentiel et le gouvernement, par son attitude, restreint le libre droit d'association, de négociation collective et de grève.
- 367. Etant donné que la résolution susmentionnée donnait à l'employeur le pouvoir arbitraire de licencier ceux qui persistaient dans la grève, les travailleurs se sont vus obligés de mettre fin à la grève, après avoir reçu auparavant l'assurance du ministère du Travail que la sécurité de l'emploi des travailleurs serait assurée et que l'employeur n'exercerait pas de représailles contre les grévistes.
- 368. Bien que la résolution susmentionnée du ministère ait été respectée, l'entreprise a licencié les dirigeants et militants du syndicat (24 travailleurs jusqu'à la date de la note) dont certains avaient quinze, vingt et trente années d'ancienneté et qui sont les suivants: Carlos Fonseca Ríos, María Mery Garzón, Ezequeil Holguín, Mario Salamanca, Teresa Gómez de Casas, Leonardo Vacca, Beatriz Ayala, Rubén Dario Zapata, José Ernesto Robles, Guillermo Pacheco Páez, Rosa Sierra E., José Hugo Ramírez, Jesús Nieves, Carlos Iván Lizcano, Orfa Legro, Adonay Sierra Parra, Héctor Manuel Aldana CH., Luis Enrique Russi Paéz, Ramón Agudelo, María Hilda Díaz, Elvira Hernández, María Elsa Poveda, Fernando Barceló Nieto, Salvador Gamba Amaya.
- 369. Le plaignant souligne que la grève avait pour objectif principal de défendre la sécurité d'emploi des travailleurs, étant donné qu'ils sont souvent licenciés sans juste motif et sans être indemnisés en fonction de leur ancienneté.
- 370. Enfin, le plaignant demande à l'OIT d'envoyer une commission pour établir le bien-fondé de ses plaintes et constater d'autres irrégularités dans le domaine du travail.
- 371. Dans sa communication du 10 janvier 1992, la CLAT allègue de graves violations des conventions de l'OIT de la part des autorités et des organismes de Colombie. Après un examen approfondi des faits vérifiés "in situ" par des représentants de la CLAT et appuyés par des documents du syndicat HOCAR et de la CGT, la CLAT demande à l'OIT d'intervenir auprès du gouvernement de la Colombie pour lui demander de respecter pleinement les droits des travailleurs établis dans les normes fondamentales de l'OIT.
- 372. Dans la communication du 30 janvier 1992, la CLAT dénonce de nouvelles situations de violations des droits et libertés des travailleurs et de leurs organisations dans les entreprises suivantes: Empresa Aceitalera SA: les travailleurs du syndicat SINTRACEITALES, pour défendre le droit de négociation collective, n'ont pas reconnu le nouveau régime de travail établi par la loi no 50 de 1990. Avec l'autorisation de l'autorité de surveillance des sociétés et du ministère du Travail, l'entreprise Aceitalera SA a créé six filiales et elle s'est déclarée en dissolution pour pouvoir licencier plus de 800 travailleurs de ce syndicat; Caisse de crédit agricole, industriel et minier; Chemins de fer nationaux; Banque de la République; Télécom (entreprise de télécommunications); Entreprise de téléphones de Bogotá; Institut de crédit territorial; Colpuertos. Toutes les entreprises qui dépendent de l'Etat et qui appliquent des politiques d'ajustement et de privatisation, selon les informations de la CLAT, restreignent l'activité syndicale et pratiquent la tactique de la "terre brûlée" avec les organisations de travailleurs.
- 373. Le cas le plus flagrant, selon la CLAT, est celui de l'entreprise Colpuertos où, en vertu du décret no 035, le gouvernement fait fi des dispositions de la convention collective conclue récemment, violant la législation colombienne qui garantit le droit de négociation collective. Cette situation concerne plus de 2.000 travailleurs qui approchent l'âge de la retraite et qui, en raison du décret gouvernemental susmentionné, n'auront droit qu'à des indemnités. La CLAT signale aussi qu'à l'hôpital Saint-Jean de Dieu de Santa Marta plus de 500 travailleurs ont déclaré la grève parce que le gouvernement a essayé de licencier des travailleurs qui avaient plus de dix ans d'ancienneté sans leur reconnaître le droit à des indemnités prévues dans les conventions collectives respectives. La CLAT signale en outre que conformément à une décision du gouvernement le Fonds national des chemins vicinaux doit cesser ses activités en 1993, ce qui se traduira par le licenciement de plus de 1.500 travailleurs qui iront grossir les rangs des 150.000 travailleurs que l'Etat colombien menace de licencier pour "assainir le déficit budgétaire".
- 374. La CLAT mentionne aussi la plainte présentée par la Centrale nationale des travailleurs de l'Etat qui regroupe toutes les organisations de travailleurs de l'Etat et exprime l'angoisse des travailleurs de ce secteur devant les politiques suivies par le gouvernement. Dans la plupart des entreprises d'Etat, des pressions sont exercées sur les travailleurs pour les obliger à accepter la loi no 50 de 1990 sous peine d'être licenciés. Accepter cette loi, explique la CLAT, signifie notamment la liquidation des organisations syndicales, l'élimination de la négociation collective, etc.
- 375. Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, la CLAT demande à l'OIT de désigner une commission spéciale de médiation afin d'établir le bien-fondé des plaintes présentées et de proposer des solutions de dialogue en vue d'éviter les mesures que les organisations de travailleurs devront prendre pour défendre leurs droits et libertés légitimes consacrés par la législation nationale et les conventions de l'OIT.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 376. Dans sa communication du 7 juillet 1992, le gouvernement de la Colombie signale que la cessation totale des activités des travailleurs de l'hôtel San Diego SA, hôtel Tequendama, a été dûment vérifiée par les fonctionnaires du ministère du Travail et de la Sécurité sociale, et que l'hôtel Tequendama est une société d'économie mixte, donc soumise au régime légal des entreprises industrielles et commerciales de l'Etat.
- 377. Le gouvernement déclare que l'article 416 du Code du travail dispose que les syndicats de travailleurs du secteur public peuvent présenter des cahiers de revendications et que ces derniers sont traités de la même façon que les autres syndicats, si ce n'est que les premiers ne peuvent ni déclarer ni faire la grève. Le gouvernement ajoute que la grève déclarée et effectuée par les travailleurs de l'hôtel San Diego SA, hôtel Tequendama, était contraire aux dispositions légales parce qu'elle entre dans le cadre des exceptions au droit de grève. Par conséquent, le ministère du Travail et de la Sécurité sociale ne pouvait pas en garantir le déroulement par les mesures d'autorité envisagées à l'article 63 de la loi no 50 de 1990, d'où la déclaration d'illégalité aux termes de la résolution no 006539 du 26 décembre 1991.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 378. Le comité observe que le présent cas se réfère à des conflits collectifs dans une entreprise d'économie mixte de l'industrie hôtelière et dans diverses entreprises de différentes branches d'activité (institutions bancaires et de crédit, chemins de fer, télécommunications, ports, etc.) appartenant en majorité à l'Etat.
- 379. Le comité note que, lors du conflit collectif dans l'entreprise hôtel Tequendama, une grève ayant été déclarée et effectuée en dehors du cadre légal prévu par le Code du travail, le gouvernement a adopté deux résolutions tendant d'une part à constituer un tribunal d'arbitrage obligatoire (no 006495) et de l'autre à déclarer illégale la grève (no 006539) au motif qu'il s'agit d'une société d'économie mixte soumise au régime légal des entreprises industrielles et commerciales de l'Etat.
- 380. A cet égard, le comité désire signaler à l'attention du gouvernement que le droit de grève des travailleurs et de leurs organisations est l'un des moyens essentiels dont ils disposent pour promouvoir et défendre leurs intérêts professionnels. En outre, comme le comité l'a déjà signalé à plusieurs occasions (voir 270e, 275e et 284e rapports, cas nos 1434, 1477 et 1631 (Colombie), paragr. 256, 199 et 398, respectivement), le droit de grève ne peut faire l'objet de restrictions (comme l'imposition d'un arbitrage obligatoire pour mettre fin à la grève), voire d'interdiction, que dans les services essentiels au sens strict du terme, à savoir les services dont l'interruption risquerait de mettre en danger, dans tout ou partie de la population, la vie, la santé ou la sécurité des personnes. Les services de l'hôtellerie ne constituent pas de services essentiels, au sens entendu plus haut, qui puisse justifier l'interdiction totale de la grève. En outre, le comité observe que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, lorsqu'elle a examiné l'application de la convention no 87 par la Colombie à sa réunion de mars 1992, a souligné que l'interdiction de la grève dans la législation vise non seulement les services essentiels au sens strict du terme, mais aussi une large gamme de services publics qui ne sont pas nécessairement essentiels. (Voir le rapport de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, CIT, 79e session, rapport III (Partie 4A), 1992.)
- 381. Etant donné qu'en application de la nouvelle Constitution (art. 56) de juillet 1991 une loi réglementera le droit de grève, le comité demande au gouvernement de veiller à ce que la future législation sur le droit de grève respecte pleinement les principes exposés dans le paragraphe précédent.
- 382. Par ailleurs, le comité observe qu'à la suite de la grève au moins 24 travailleurs nommément désignés par les plaignants ont été licenciés. A cet égard, le comité demande au gouvernement de s'efforcer de garantir la réintégration dans leur emploi des travailleurs dont les droits syndicaux ont été violés à la suite de la grève susmentionnée et de le tenir informé à ce sujet.
- 383. En outre, le comité demande au gouvernement d'envoyer ses observations sur les allégations présentées par la CLAT dans sa communication du 30 janvier 1992.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 384. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité demande au gouvernement de veiller à ce que la future législation respecte les principes de la liberté syndicale, en particulier ceux qui concernent le droit de grève, de façon que les cas d'interdiction ou de restrictions, comme le recours à l'arbitrage obligatoire, ne puissent s'appliquer qu'aux services essentiels au sens strict du terme (c'est-à-dire ceux dont l'interruption pourrait mettre en danger la vie, la santé ou la sécurité de la personne dans tout ou partie de la population).
- b) Le comité demande au gouvernement de s'efforcer de garantir la réintégration dans leur emploi des travailleurs de l'hôtel Tequendama qui ont été licenciés à la suite de la grève et de le tenir informé à ce sujet.
- c) Le comité demande au gouvernement d'envoyer ses observations au sujet des allégations présentées par la CLAT concernant des violations alléguées des droits syndicaux dans plusieurs entreprises.