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Rapport intérimaire - Rapport No. 279, Novembre 1991

Cas no 1572 (Philippines) - Date de la plainte: 23-JANV.-91 - Clos

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  1. 563. Le Kilusang Mayo Uno (KMU) a présenté une plainte en violation des droits syndicaux contre le gouvernement des Philippines dans une communication en date du 23 janvier 1991. Le gouvernement a adressé ses observations dans une lettre en date du 12 août 1991.
  2. 564. Les Philippines ont ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations du syndicat plaignant

A. Allégations du syndicat plaignant
  1. 565. Dans sa lettre du 23 janvier 1991, le plaignant allègue que le gouvernement des Philippines a menacé de le déclarer illégal ou de "l'interdire"; cette menace a été suivie d'arrestations arbitraires, de harcèlements et de meurtres visant ses dirigeants et ses adhérents, à la suite d'incidents survenus pendant une grève générale de quatre jours, déclenchée le 24 octobre 1990, qui a touché 744 entreprises dans l'ensemble du pays.
  2. 566. Le KMU décrit ainsi le contexte de cette grève. Les syndicats qui s'étaient rassemblés il y a quelques années au sein du Conseil consultatif du travail (LACC) demandaient une baisse du prix des produits pétroliers (qui avaient augmenté suite à une promesse faite au Fonds monétaire international de combler le déficit budgétaire au moyen de taxes sur les produits pétroliers), une augmentation générale des salaires journaliers de 1,40 dollar des Etats-Unis et une augmentation de 35,70 dollars des salaires de la fonction publique. Le gouvernement ayant refusé de discuter des augmentations de salaires, qui auraient été contraires à sa politique visant à attirer les investisseurs étrangers, le LACC a limité ses revendications à une augmentation générale des salaires journaliers de 0,89 dollar. Toutefois, le gouvernement s'est encore refusé à ouvrir le dialogue et, en dernier ressort, une grève a été déclenchée. Le KMU prétend que cette grève a bénéficié d'un large soutien de la part des organisations de travailleurs, des organisations populaires, des sénateurs et des membres du Congrès ainsi que des travailleurs non syndiqués qui ont manifesté leur sympathie en ne se rendant pas à leur travail. L'action menée à travers le pays s'est traduite par un arrêt des transports, des manifestations, des rassemblements, des occupations pacifiques (comme l'ont fait les agents de l'Etat à Cebu City) et, malheureusement, par le meurtre d'un responsable syndical à Bataan, des arrestations arbitraires de manifestants et la dispersion des grévistes par la force armée. Selon le KMU, le gouvernement a exploité un incident violent qui s'est produit lorsque 16 passagers d'un autobus (le chiffre s'est ultérieurement élevé à 23) furent brûlés par des hommes non identifiés qui tentaient de discréditer le mouvement de grève, et en particulier le rôle joué par le KMU. Bien que le KMU ait réprouvé ces actes de violence et ait déclaré que l'incendie d'autobus ne faisait pas partie de l'action de protestation, les porte-parole militaires et gouvernementaux l'ont exploitée publiquement accusant les organisateurs de la grève d'avoir "fomenté la violence" et répandant des rumeurs de participation communiste à la grève.
  3. 567. Le KMU allègue que les autorités ont utilisé ce conditionnement psychologique pour justifier la violente répression exercée contre les militants syndicaux. Il souligne que, depuis le début de 1988, divers militaires de haut rang ont décrit le KMU comme une "association illégale", et qu'après la grève d'octobre la politique anti-KMU a pris la forme d'agressions armées contre les fédérations affiliées au KMU. Par exemple, dans la province de Negros, on a tenté de rendre illégale la Fédération nationale des travailleurs du sucre (NFSW) en raison de ses prétendus liens avec le mouvement clandestin. Le KMU craint qu'une telle attitude des pouvoirs publics contribue à l'aggravation de la violence des groupes armés anticommunistes de vigiles et des unités géographiques des forces armées civiles (CAFGU). Une autre tactique utilisée par le gouvernement pour isoler le KMU a consisté à lui dénier toute participation au dialogue entre la Présidente et les syndicats et à ternir la réputation de ses dirigeants en lançant contre eux de nombreuses poursuites judiciaires, des accusations allant de la fraude et de la diffamation à l'incendie volontaire et à l'incitation à la sédition. Ce dernier harcèlement a atteint un point culminant décrit par le KMU comme "une comédie à l'évidence montée de toutes pièces"; cela s'est traduit, par exemple, par l'arrestation de plusieurs membres présumés du KMU qui furent accusés du meurtre d'un policier et de tentatives d'attentat à la bombe contre l'Hôtel de ville de Quezon City, parce qu'ils avaient sur eux des tracts et des drapeaux du KMU lorsqu'ils ont été appréhendés.
  4. 568. Le non-enregistrement du KMU au département du Travail et de l'Emploi sert également de prétexte pour justifier des attaques contre ses membres. Cependant le KMU souligne que cette déclaration n'est pas obligatoire aux Philippines et que cette situation ne l'empêche pas de défendre avec efficacité les intérêts de ses adhérents. En tout cas, il fait remarquer que toutes les organisations qui lui sont affiliées sont déclarées. Le KMU remarque, entre parenthèses, que la question de son non-enregistrement n'a été soulevée que ces derniers temps, lorsque la centrale des travailleurs a commencé à critiquer la politique gouvernementale.
  5. 569. Sous le prétexte de la guerre du Golfe, une nouvelle menace antisyndicale a été agitée dans la presse le 7 janvier 1991, lorsque le nouveau chef d'état-major a demandé que la Présidente Aquino dispose de pouvoirs d'exception pour interdire les grèves. Le LACC a immédiatement dénoncé toute décision de ce type comme une violation flagrante des droits des travailleurs. Des parlementaires et d'autres organisations populaires se sont associés à cette protestation. Bien que la Présidente ait publiquement rejeté cette idée, une fuite dans la presse a révélé que l'administration Aquino entendait "décréter un moratoire sur les grèves et les lock-out ... si une guerre ouverte éclatait au Moyen-Orient". Le KMU allègue que, pour faire face à une telle situation d'urgence, un projet de législation avait été préparé, qui conférait à la Présidente le pouvoir, entre autres, de prendre le contrôle des entreprises privées assurant des services publics, de suspendre la législation du travail susceptible de faire obstacle à la production et à la distribution de denrées alimentaires et d'autres biens de première nécessité, d'étaler les horaires de travail dans les secteurs public et privé, d'obliger les moyens d'information à réserver aux messages présidentiels un "horaire de faveur" et de prendre toutes "autres mesures nécessaires". Bien que ce projet n'ait pas été adopté, le KMU exprime des craintes, surtout depuis la récente augmentation de l'effectif des forces armées stationnées dans l'agglomération de Manille et la coordination entre les militaires et les responsables des gouvernements locaux pour mettre en place un système d'identification des citoyens. Un couvre-feu de 1 heure à 5 heures du matin a même été décrété, pour une courte période (du 18 au 22 janvier), par certaines municipalités de l'agglomération de Manille.
  6. 570. Le plaignant allègue également que des arrestations sans mandat - approuvées par la Cour suprême le 9 juillet 1990 - suscitent des appréhensions parmi les organisations de travailleurs. Ces craintes se sont révélées justifiées pendant la grève d'octobre 1990 et les grèves de protestation du 16 novembre et du 10 au 15 décembre 1990. Le président du KMU, M. Crispin Beltran, s'est laissé convaincre par un colonel du district Ouest de la police de l'accompagner au commissariat après qu'ils aient tous deux participé à une émission de télévision le 30 octobre. Mais, après un interrogatoire, des charges ont été retenues contre lui pour incitation à la sédition et à un rassemblement illégal lors de son discours du 24 octobre aux manifestants pour expliquer la grève des travailleurs. D'autres accusations qui avaient été lancées contre M. Beltran il y a de nombreuses années (fraude, diffamation, association illégale) ont été exhumées dans une tentative pour le réduire complètement au silence en l'emprisonnant. Il a été libéré sous caution et a pu déposer, pour sa défense, une contre-déclaration, mais il a immédiatement été à nouveau inculpé, cette fois pour incendie volontaire à cause de l'incendie de l'autobus. Le LACC a condamné cette arrestation de même que les organisations de travailleurs de plusieurs autres pays. Selon le KMU, 67 arrestations sans mandat ont été effectuées le premier jour de la grève. A propos de la manifestation du 16 novembre, le KMU déclare que la loi sur les rassemblements publics de 1985 (qui exige qu'une autorisation écrite soit délivrée pour tout rassemblement dans les lieux publics) viole le droit de rassemblement pacifique des citoyens et a justifié l'utilisation par le gouvernement de canons à eau, de matraques, de gaz, sans parler de l'arrestation de travailleurs à Manille et au Tagalog-Sud. Des actes de violence et de répression antisyndicale se seraient également produits, le même jour, lorsque des adhérents du Syndicat authentique des travailleurs de l'hôtellerie, de la restauration et des activités annexes (GLOWHRAIN-KMU) se mirent en grève au Silahis International Hotel pour protester contre le renvoi de 180 membres du syndicat. Après une nouvelle augmentation du prix des produits pétroliers en décembre dernier, les travailleurs sont descendus dans la rue et ont été violemment dispersés au nom de la politique "pas d'autorisation, pas de manifestation". Le KMU explique que, lorsqu'il a formellement demandé une autorisation de manifester en novembre dernier, l'Hôtel de ville de Manille a refusé, faisant référence à "la violente grève nationale et la manifestation de protestation des 24 octobre et 16 novembre derniers", et affirmant que la manifestation serait infiltrée par les communistes. Le KMU souligne qu'une telle affirmation n'a jamais pu être prouvée pour ses rassemblements. Le KMU a déposé une plainte auprès de la Commission philippine pour les droits de l'homme contre la dispersion des manifestations, à la suite de laquelle la commission a déclaré que cette politique violait le droit constitutionnel des Philippins à se rassembler pacifiquement.
  7. 571. En dernier lieu, le plaignant cite les cas de 11 meurtres de dirigeants et de militants affiliés au KMU:
    • - Ferdinand Pelaro, Reynaldo de la Fuente et Aguinaldo Marfil ont été abattus par des membres du CAFGU le 22 novembre 1990 à Hacienda Azcuna, Barangay Minnoyan, Murcia, Negros occidental; Mme Ruby Sioco, une organisatrice du Mouvement des travailleuses, a été témoin de l'incident et a identifié l'assassin comme étant Kuring Nunilon de la Torre;
    • - Rey Olano, trésorier de l'Association des syndicats démocratiques (ADLO-KMU) et porte-parole de l'équipe de négociation qui manifestait à Mariveles, ville de Bataan, a été tué par deux hommes non identifiés le 29 octobre 1990 dans Lakandula Street, à Mariveles; certains témoins ont affirmé que l'assassin avait ensuite trouvé refuge dans les locaux du commissariat de police;
    • - Perlito "Boy" Lisondra, un des organisateurs du "Transport Mindanao for Solidarity, Independence and Nationalism/TRANSMISSION-KMU", qui avait déjà fait l'objet de menaces de la part des groupes de vigilants, Apolonio Alecanio et Ike Hernandez ont été tués séparément les 17 et 18 décembre 1990 à Davao à l'issue de la grève populaire contre l'augmentation du prix des produits pétroliers;
    • - Roger Magbujos, président du syndicat local du KMU de la Bavaria Woodcraft Exports Inc. à Laguna, Tagalog-Sud, a été tué le 14 septembre 1990 après avoir signé une nouvelle convention collective;
    • - Oscar Lazaro, président du Pasang Masda, une organisation de conducteurs de taxis collectifs, a été tué par des jeunes non identifiés, le 22 octobre 1990 à Manille; le 18 janvier 1991, un journal a déclaré que la police avait arrêté l'un de ses assassins présumés, un ancien militaire qui a reconnu appartenir à l'Association militaire de vigilance.
    • - Lino Arog, président du Syndicat de la plantation de bananes STANFILCO, a été victime de tireurs non identifiés le 24 décembre 1990 à la General Santos Plantation, Cotabato City, Mindanao;
    • - Ronelo Gionolos, militant de la Fédération nationale des travailleurs, affiliée au KMU, a été abattu par Oroy Diego, un membre des CAFGU, le 23 décembre 1990, et deux autres responsables syndicaux (Mcreynold Ginolos et Bong Frias) ont été grièvement blessés lors de la même agression.
      • Le plaignant mentionne d'autres assassinats et événements qui ont déjà été examinés par le comité dans le cadre d'autres plaintes formulées contre le gouvernement des Philippines.
    • 572. En conclusion, le KMU souhaite que l'OIT demande au gouvernement de la Présidente Aquino de mettre fin au climat de violence antisyndicale, de lever sa menace d'interdiction du KMU, d'en finir avec sa politique d'arrestations sans mandat, de démanteler les groupes de vigilants et les CAFGU et de prendre les sanctions appropriées pour obliger les autorités à respecter les conventions de l'OIT sur la liberté syndicale et la Déclaration universelle des droits de l'homme.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 573. Dans sa lettre du 12 août 1991, le gouvernement observe que cette plainte fait suite aux opinions exprimées par certains responsables militaires et gouvernementaux, qui demandaient l'interdiction du KMU, après que celui-ci se fut livré à des actes de violence condamnables à l'occasion de sa "Welga ng Bayan" (protestation nationale). Il s'agissait, cependant, d'opinions strictement personnelles qui n'avaient reçu aucune sanction officielle. Aucune interdiction n'a jamais été prononcée contre le KMU, et aucun de ses adhérents n'a été arrêté pour son appartenance à cette organisation. Cependant, certains responsables du KMU ont été invités par la police à faire la lumière sur les actes de violence commis à l'occasion de la grève nationale, et certains d'entre eux ont été inculpés de sédition pour leurs propos et leurs actes subversifs.
  2. 574. Le gouvernement note que le plaignant fait également mention des prix élevés des produits pétroliers, de la modicité des salaires et de la volonté du gouvernement de rembourser ses dettes auprès de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. A ce propos, il ajoute que la Présidente a annoncé le 19 juillet 1991 une réduction du prix des produits pétroliers, et le 8 janvier une augmentation du salaire minimum (qui fait suite à une augmentation des salaires de novembre 1990). A propos de l'accent mis par le KMU sur le soutien populaire à sa grève, le gouvernement se félicite de la participation populaire à la vie publique, qui a toujours fait partie de la politique gouvernementale actuelle et qui est consacrée par la Constitution. Cependant, le gouvernement ne peut comprendre que le KMU insiste sur la répression violente contre les travailleurs militants ("comme si le militantisme était le monopole du KMU"). Il déclare que le militantisme est inhérent au mouvement syndical, et que seul le KMU semble atteint de paranoïa à l'encontre du gouvernement. Bien que le KMU l'accuse de mener une chasse aux sorcières à son encontre, le gouvernement déclare qu'aucun dirigeant ou membre du KMU n'a été arrêté ou inculpé sous prétexte qu'il était un militant ou un dirigeant de cette organisation. L'enregistrement du KMU n'est ni demandé ni refusé par les autorités, et il est libre d'agir à sa guise dans les limites de la légalité.
  3. 575. A propos de la menace d'interdiction des grèves, le gouvernement fait remarquer qu'aucune interdiction de cette sorte n'a jamais été décrétée depuis le dépôt de la plainte en janvier 1991. En fait, il indique qu'une autre grève nationale a eu lieu entre le moment où la plainte a été déposée et la rédaction de la réponse du gouvernement. Les inquiétudes du KMU sont donc clairement dépourvues de fondement: le texte conférant des pouvoirs extraordinaires à la Présidente, le couvre-feu, le système d'identification ne sont jamais entrés en vigueur, à l'exception du couvre-feu qu'un responsable local trop zélé a imposé dans sa juridiction pendant deux nuits et qu'il a été d'ailleurs incapable de faire respecter. Le gouvernement réfute les allégations du plaignant relatives à la politique de guerre totale qui serait menée à son encontre et serait étayée par des cas précis de violence antisyndicale, et il déclare n'avoir jamais mis en oeuvre une politique d'action psychologique, de restriction de la législation du travail ou de militarisation.
  4. 576. Au contraire, la pierre angulaire de la politique gouvernementale est l'amélioration de la qualité de la vie et la protection des libertés et droits fondamentaux, la Constitution elle-même contenant des dispositions relatives aux droits politiques et sociaux et aux droits de l'homme. Selon le gouvernement, si le KMU considère toutes les mesures gouvernementales - telles que l'augmentation progressive du salaire minimum et la révision de la législation du travail en collaboration avec les organisations de travailleurs et d'employeurs - comme une politique de guerre totale, il s'agit d'une manière de voir qui lui est propre.
  5. 577. A propos des allégations portant précisément sur la violence antisyndicale, le gouvernement déclare que les organismes compétents mèneront des enquêtes et que des procédures légales sont à la disposition de ceux qui veulent déposer des plaintes. Il ajoute qu'il comprend que le comité trouve ces procédures insuffisantes, mais que, compte tenu des difficultés économiques qui sont les siennes, "l'administration de la justice, quel que soit son état, est la seule disponible pour l'instant".

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 578. Le comité note que ce cas fait état de menaces émanant des autorités à la suite d'une grève nationale de quatre jours qui a débuté le 24 octobre 1990 et qu'il concerne également l'allégation d'une série d'actions antisyndicales décrites avec précision et comprenant l'arrestation sans mandat du président du KMU et de 67 personnes pendant une grève, la menace de suspension des grèves, des restrictions légales touchant les réunions publiques et le meurtre de 11 responsables et adhérents du syndicat plaignant nommément cités.
  2. 579. Le comité note que le KMU estime que les autorités l'ont désigné comme cible en le harcelant, en l'isolant et en utilisant la presse dans une campagne psychologique hostile. Cependant, le gouvernement nie vigoureusement avoir eu de telles intentions. Le comité se félicite des informations du gouvernement suivant lesquelles les menaces (de déclaration d'illégalité, d'interdiction des grèves) qui inquiétaient le KMU ne se sont pas concrétisées, mais il observe que c'est la quatrième plainte déposée par le KMU contre le gouvernement des Philippines depuis l'entrée en fonctions de la Présidente Aquino et que la plupart des allégations mentionnées dans les diverses plaintes ont été retenues. (Voir le cas no 1353, examiné dans le 246e rapport du comité, novembre 1986; le cas no 1444, encore en instance, examiné plus récemment dans le 277e rapport du comité, février-mars 1991, ainsi que dans le présent rapport; et le cas no 1529, également examiné dans le 277e rapport; voir également le cas no 1426, présenté par l'Union internationale des travailleurs de l'alimentation et des branches connexes (UITA), qui concernait des membres affiliés appartenant également au KMU et qui a été clos dans le 278e rapport, mai-juin 1991.)
  3. 580. Pour en revenir aux allégations particulières du cas présent, le comité prend note de la réponse du gouvernement, suivant laquelle la menace d'interdiction du KMU n'était qu'une opinion personnelle exprimée par quelques responsables gouvernementaux ou militaires et n'avait pas de valeur officielle. Tout en notant que la menace n'a jamais été mise à exécution, le comité souhaiterait néanmoins observer que de telles déclarations ne peuvent qu'engendrer des situations d'incertitude et de crainte, particulièrement quand elles sont largement diffusées par la presse. Le comité a déclaré à plusieurs reprises (Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 70) que les droits syndicaux ne peuvent s'exercer que dans un climat dénué de violence, de pression ou de menaces de toutes sortes à l'encontre des syndicalistes, et qu'il appartient au gouvernement d'assurer le respect de ce principe. Le comité veut croire que les mesures appropriées ont été prises pour assurer que les membres du gouvernement et les militaires de haut rang s'abstiennent de faire toute déclaration publique susceptible d'entraver les principes de la liberté syndicale.
  4. 581. Le comité prend également note du fait que le projet de législation conférant à la Présidente le pouvoir, entre autres, de limiter les actions de grèves n'a pas été soumis au Parlement, et rappelle à ce propos que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et pour défendre leurs intérêts économiques et sociaux (Recueil, op. cit., paragr. 363). Quand un gouvernement fait valoir qu'une restriction de ce droit est imposée par un état d'urgence, le comité estime que la suspension du droit de grève devrait être limitée dans sa durée et sa portée à la période d'urgence immédiate (Recueil, op. cit., paragr. 391)
  5. 582. A propos des incidents particuliers relatifs au harcèlement antisyndical de la part des autorités à l'encontre des membres et des responsables du KMU, le comité note avec préoccupation l'arrestation sans mandat du président du KMU, M. Crispin Beltran, le 30 octobre 1990, qui a été ensuite inculpé d'incitation à la sédition, de rassemblement illégal, d'incendie volontaire et accusé d'un certain nombre de charges qui avaient été lancées contre lui plusieurs années auparavant. Le comité a déjà examiné une allégation d'arrestation sans mandat dans son 277e rapport, à propos du cas no 1444 (voir paragr. 313 et 332, approuvés par le Conseil d'administration en février-mars 1991), et il avait alors noté que la Cour suprême des Philippines avait approuvé cette pratique dans la mesure où elle se limitait aux cas de subversion. Cependant, le comité avait tenu à rappeler qu'étant donné l'importance qu'il avait toujours attachée à l'exercice du syndicalisme dans un climat libre de toute insécurité et de toute crainte, certaines garanties fondamentales d'une procédure judiciaire régulière devaient toujours être respectées dans le cas des syndicalistes détenus. En outre, le comité considère que, si un gouvernement est fondé à penser que des personnes arrêtées sont impliquées dans des actions de nature subversive, elles doivent être mises rapidement à la disposition de la justice pour être jugées, tout en bénéficiant des garanties d'une procédure judiciaire normale (Recueil, paragr. 114). Dans le présent cas, il note que M. Beltran été libéré sous caution et a pu déposer des conclusions pour sa défense. Il demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la procédure intentée contre ce dirigeant syndical, à propos duquel sa réponse, dont la teneur est que les organismes concernés enquêteront sur la question, est étrangement brève.
  6. 583. A propos des allégations de restriction du droit de rassemblement public pacifique en vertu de la loi sur les rassemblements publics de 1985, le comité prend note de la description faite par le KMU de la dispersion par la police et l'armée des rassemblements du 16 novembre et plus récemment de décembre 1990, ainsi que du refus par les autorités de satisfaire une demande du KMU pour organiser un rassemblement public en novembre 1990. Il note également que la Commission des droits de l'homme des Philippines a examiné une plainte du KMU et déclaré que la politique "pas d'autorisation, pas de manifestation" violait le droit de se rassembler pacifiquement inscrit dans la Constitution des Philippines. Le comité souhaite rappeler que, si le droit de tenir des réunions syndicales est un élément essentiel de la liberté syndicale, les organisations sont toutefois tenues de respecter les dispositions générales relatives aux réunions publiques applicables à tous; ce principe est énoncé par l'article 8 de la convention no 87 d'après lequel les travailleurs et leurs organisations sont tenus, comme les autres personnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité (Recueil, op. cit., paragr. 158). Cependant, le comité a aussi reconnu que l'autorisation de tenir des réunions et des manifestations publiques, ce qui constitue un droit syndical important, ne devait pas être arbitrairement refusée (Recueil, op. cit., paragr. 157). Ne disposant pas de la loi sur les rassemblements publics, le comité demande au gouvernement de lui envoyer le texte de cette loi afin qu'il puisse évaluer si les dispositions qu'elle contient fixent des limites raisonnables, applicables à tous; il note, entre-temps, à propos du refus de l'Hôtel de ville de Manille, rapporté par le plaignant, que dans ce cas particulier le refus semble être fondé sur un souhait d'éviter des troubles violents tels que ceux qui s'étaient récemment produits lors de manifestations de masse. Dans un cas antérieur, le comité avait observé que les organisations syndicales devaient respecter les dispositions générales relatives aux réunions publiques applicables à tous et se conformer aux limites raisonnables que pourraient fixer les autorités en vue d'éviter les désordres sur la voie publique (Recueil, op. cit., paragr. 159); il considère donc, sur la base des informations dont il dispose, que cet aspect du cas n'appelle pas, de sa part, d'examen plus approfondi.
  7. 584. En dernier lieu, à propos du décès de 11 militants ou dirigeants du KMU nommément désignés, le comité regrette que le gouvernement se contente de déclarer que les organismes compétents mèneront une enquête sur ces incidents et que des procédures permettent de porter plainte au niveau national pour obtenir réparation. Il rappelle que ce type d'allégation est extrêmement fréquent dans les plaintes contre le gouvernement des Philippines et qu'il devrait faire l'objet d'enquêtes diligentes de la part des autorités nationales étant donné que ces décès sont souvent imputés à des groupes armés que l'actuel gouvernement s'est engagé à démanteler et à combattre. Le comité note, en outre, que certains des attentats cités dans le présent cas ont fait l'objet de témoignages oculaires permettant d'identifier les suspects. Il demande en conséquence au gouvernement de fournir d'urgence des informations précises sur toutes les enquêtes policières, judiciaires, ou menées par la Commission philippine des droits de l'homme sur les meurtres des syndicalistes suivants (dont les détails figurent dans les allégations du plaignant): Ferdinand Pelaro, Reynaldo de la Fuente et Aguinaldo Marfil; Rey Olano, trésorier de l'Association des syndicats démocratiques (ADLO-KMU); Perlito "Boy" Lisondra, un des organisateurs de "Transport Mindanao for Solidarity, Independence and Nationalism/TRANSMISSION-KMU", Apolonio Alecanio et Ike Hernandez; Roger Magbujos, président du syndicat local du KMU de la Bavaria Woodcraft Experts Inc. à Laguna, Tagalog-Sud; Oscar Lazaro, président du Pasang Masda, une organisation de conducteurs de taxis collectifs; Lino Arog, président du syndicat de la plantation de bananes STANFILCO; Ronelo Gionolos, militant de la Fédération nationale du travail affiliée au KMU.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 585. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à adopter les recommandations suivantes:
    • a) Rappelant que les droits syndicaux ne peuvent s'exercer que dans un climat exempt de violence, de pression ou de menaces de toutes sortes à l'encontre des syndicalistes, et qu'il appartient aux gouvernements d'assurer le respect de ce principe, le comité veut croire que les mesures appropriées ont été prises pour demander aux membres du gouvernement et aux militaires de haut rang de s'abstenir de faire toute déclaration publique susceptible d'entraver les principes de la liberté syndicale.
    • b) Le comité rappelle que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et pour défendre leurs intérêts économiques et sociaux et que, si les gouvernements estiment qu'une restriction de ce droit est imposée par un état d'urgence, les mesures de suspension du droit de grève devraient être limitées dans leur durée et leur portée à la période d'urgence immédiate.
    • c) Notant avec préoccupation que le président du KMU, M. Crispin Beltran, a été arrêté sans mandat le 30 octobre 1990, puis inculpé sous de nombreux chefs d'accusation dont celui de sédition et qu'il est actuellement en liberté sous caution, le comité demande au gouvernement de le tenir informé de la suite de la procédure intentée contre ce dirigeant syndical
    • d) Le comité considère que les allégations relatives aux restrictions du droit de rassemblement public pacifique en vertu de la loi de 1985 sur les rassemblements publics n'appellent pas, de sa part, d'examen plus approfondi.
    • e) Le comité demande au gouvernement de lui fournir d'urgence des informations précises sur toutes les enquêtes policières, judiciaires ou menées par la Commission philippine des droits de l'homme sur les meurtres des onze syndicalistes suivants: Ferdinand Pelaro, Reynaldo de la Fuente et Aguinaldo Marfil; Rey Olano; Perlito "Boy" Lisondra, Apolonio Alecanio et Ike Hernandez; Roger Magbujos; Oscar Lazaro; Lino Arog; et Ronelo Gionolos.
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