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Rapport intérimaire - Rapport No. 278, Juin 1991

Cas no 1534 (Pakistan) - Date de la plainte: 24-AVR. -90 - Clos

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  1. 451. Par une communication du 24 avril 1990, la Fédération nationale des syndicats du Pakistan (PNFTU) a présenté une plainte en violation des droits syndicaux contre le gouvernement du Pakistan. Par la suite, elle a fourni des informations supplémentaires pour étayer sa plainte dans des communications en date du 25 avril et du 14 juin 1990. La Fédération internationale des employés, techniciens et cadres (FIET) et la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) ont toutes deux appuyé la plainte susmentionnée dans des communications datées du 23 mai et du 7 juin 1990.
  2. 452. Lors de sa réunion de février 1991, le comité a adressé un appel pressant au gouvernement pour qu'il lui présente ses observations sur ce cas. (Voir 277e rapport, paragr. 11.) Le comité notait plus spécialement qu'en dépit du temps écoulé depuis le dépôt des plaintes sur ces affaires et de la gravité des allégations formulées il n'avait pas reçu les observations et informations demandées. Le comité avait appelé l'attention du gouvernement sur le fait que, conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport approuvé par le Conseil d'administration, il pourrait présenter un rapport sur le fond de l'affaire en instance à sa prochaine session, même si les observations demandées n'étaient pas reçues à temps. En conséquence, il avait instamment prié le gouvernement de transmettre d'urgence ses observations.
  3. 453. Le comité n'a toujours pas reçu les observations et informations requises de la part du gouvernement.
  4. 454. Le Pakistan a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 455. Dans sa plainte initiale, la PNFTU fait référence aux commentaires qu'elle avait formulés dans des communications en date du 21 décembre 1989 et du 24 février 1990, adressés aux organes de contrôle de l'OIT dans le cadre de l'application de la convention no 87 par le Pakistan et mentionnés dans le rapport de 1990 de la commission d'experts, pages 206-207 de la version française.
  2. 456. Selon ces communications, la plupart des entreprises multinationales implantées au Pakistan s'efforcent de limiter les affiliations syndicales en offrant des "promotions" aux travailleurs syndiqués et aux militants sans, en fait, leur confier de responsabilités de gestion. Cette manoeuvre a pour conséquence de faire passer les travailleurs dans la catégorie des "employeurs", telle que définie par l'ordonnance de 1969 sur les relations professionnelles, et les contraint à renoncer à leur affiliation syndicale.
  3. 457. Selon la PNFTU, diverses directions d'entreprise offrent des augmentations de salaire à leurs travailleurs afin de les persuader d'entrer dans la catégorie "employeurs" et de pouvoir ainsi changer leur désignation professionnelle pour celle de "cadre", "responsable" ou "cadre supérieur", sans pour autant leur conférer l'autorité ou les pouvoirs correspondants. De fait, les travailleurs ainsi "promus" continuent à effectuer le même travail que celui qu'ils faisaient avant leur changement de statut. Il est à noter également que ces sociétés font pression sur les employés pour qu'ils acceptent ces promotions.
  4. 458. La PNFTU cite le cas du syndicat des salariés de la Deutsche Bank (Asie) de Karachi dont le secrétaire général, M. Rafiq Khan, a été promu et dont le président, M. Mohammad Izhar Alam, a fait l'objet de pressions pour qu'il accepte une promotion. De telles situations se retrouvent également à la Grindlays Bank NZ, à la Bank of America et à l'American Express où la proportion de personnel d'encadrement par rapport au personnel administratif s'est accrue au point d'atteindre le taux de 50/50, voire de 60/40. Cette politique a eu pour résultat, toujours selon la PNFTU, qu'il n'existe plus aucun personnel administratif à la National Cash Register Ltd. et à la Royal Insurance Company. Quant à l'entreprise Gestetner, sa tentative de déstabilisation du syndicat l'a conduite à promouvoir un simple mécanicien, à demi-illettré, qui était secrétaire général du syndicat, au poste d'"ingénieur" de direction. Enfin, la PNFTU affirme que la NCR Corporation, à Karachi, après avoir déstabilisé le syndicat, a modifié les contrats d'emploi permanent en contrats d'emploi de durée déterminée, et cela en violation de l'ordonnance de 1968 concernant l'emploi industriel et commercial au Pakistan occidental; si bien qu'aucun salarié n'ose plus intenter de procès en violation de ladite ordonnance de peur de voir son contrat de durée déterminée résilié. La PNFTU fournit des copies de lettres de la NCR à un salarié comme preuve de cette pratique.
  5. 459. L'organisation plaignante joint des extraits de l'ordonnance de 1969 sur les relations professionnelles définissant les termes "employeur" et "travailleur/ouvrier". De plus, elle demande qu'une mission de l'OIT enquête sur ces agissements des entreprises multinationales.
  6. 460. L'organisation plaignante fournit des informations sur les tactiques qu'elle estime antisyndicales de la société Singer. Au Pakistan, cette société a fonctionné sous différents noms, soit Singer Ltd. (Pakistan), Singer Industries Ltd. (Pakistan), Société Singer Sewing Machine, mais sous une direction commune. Cependant, pendant une courte période de deux ans (juin 1985 à juin 1987), la Singer Ltd. (Pakistan) a modifié son nom en Regnis Ltd. (Pakistan) et a mis fin aux fonctions de tous ses employés avant de les réengager à des conditions moins avantageuses. En 1987, elle a de nouveau modifié son nom en "Singer", mais cette fois-ci les contrats d'emploi des salariés de "Regnis" n'ont pas été interrompus. Depuis janvier 1986, les requêtes du syndicat des salariés de Singer sont en instance devant les tribunaux du travail. La société a tenté de déstabiliser le syndicat mais n'a pas réussi. Cette même société considère qu'elle n'a que 12 salariés pouvant être membres du syndicat; les quelque 200 salariés restants sont considérés comme personnel de direction. La PNFTU cite le cas d'un salarié qui a été nommé "administrateur" avant d'être congédié le 18 février 1988. Toutefois, le 12 février 1990, le tribunal du travail a ordonné sa réintégration ainsi que le paiement rétroactif de toutes les prestations qui lui étaient dues. La société qui l'employait a l'intention de faire appel de ce jugement.
  7. 461. La lettre du 25 avril 1990 de l'organisation plaignante détaille les pratiques antisyndicales en vigueur à la Deutsche Bank et à la ANZ Grindlays Bank, toutes deux situées à Karachi. Il ressort des copies de lettres fournies par la PNFTU que les syndicats de ces différentes banques n'ont jamais été consultés lorsqu'il s'est agi de faire passer des travailleurs du statut d'"employé" à celui de "cadre". De même, il semble qu'à l'époque la direction de la Grindlays Bank ait refusé de répondre aux lettres du syndicat se plaignant de ces promotions artificielles et, lorsque la direction a enfin répondu au syndicat, elle a prétendu que celui-ci ne pouvait plus lui opposer cet argument en vertu d'un accord signé le 9 avril 1989. Le syndicat concerné a nié cette irrecevabilité. Dans sa réponse, la Deutsche Bank oppose un démenti catégorique à l'allégation selon laquelle elle aurait contraint les travailleurs promus à quitter leur syndicat.
  8. 462. Avec sa lettre du 14 juin 1990 la PNFTU fournit une liste des 69 salariés de la Bank of America NT and SA, succursale de Karachi, qui ont été promus dans la catégorie "cadres" et des 53 salariés qui continuent de travailler comme personnel administratif et membres du syndicat. L'organisation plaignante ajoute que le même déséquilibre existe à la succursale de la banque à Lahore où 22 cadres contrôlent 18 travailleurs. En réalité, toujours selon la PNFTU, seul un nombre restreint de cadres supérieurs exercent réellement lesdites fonctions de direction, les autres continuent d'exécuter les mêmes tâches qu'auparavant, mais ils n'ont plus le droit de s'affilier au syndicat.

B. Conclusions du comité

B. Conclusions du comité
  1. 463. A sa session de février 1991, le comité a attiré l'attention du gouvernement sur le fait que, conformément à la procédure, il pourrait présenter un rapport sur le fond de l'affaire à sa prochaine session, même si les observations du gouvernement n'étaient pas reçues à temps. Le comité n'a toujours pas reçu ces observations.
  2. 464. Dans ces conditions, et avant de procéder à un examen quant au fond de l'affaire, le comité estime nécessaire d'appeler, une fois encore, l'attention du gouvernement sur les commentaires qu'il avait formulés dans son premier rapport (paragr. 31, approuvé par le Conseil d'administration en mars 1952) et qu'il a renouvelés à plusieurs reprises, à savoir: que le but de l'ensemble de la procédure est d'assurer le respect des libertés syndicales en droit et en fait; et que la procédure protège les gouvernements contre des accusations déraisonnables et que ceux-ci doivent reconnaître à leur tour l'importance qu'il y a à ce qu'ils présentent en vue d'un examen objectif des réponses détaillées aux allégations formulées à leur encontre.
  3. 465. Le comité regrette que le gouvernement n'ait pas envoyé d'observations concernant cette plainte; il se trouve donc dans l'obligation, vu le temps écoulé et la gravité des accusations, d'examiner le cas présent sans connaître les observations du gouvernement.
  4. 466. En résumé, l'organisation plaignante prétend que la plupart des entreprises multinationales implantées au Pakistan tentent de s'attaquer à l'affiliation syndicale en transférant les travailleurs dans la catégorie des "employeurs" grâce à des promotions artificielles et à des augmentations de salaire qui sont parfois accompagnées de pressions.
  5. 467. Les articles pertinents de l'ordonnance de 1969 sur les relations professionnelles disposent:
  6. 2) Définitions. Dans la présente ordonnance ...
  7. v) "agent négociateur" utilisé relativement à un établissement ou une industrie désigne le syndicat de travailleurs qui, aux termes de l'article 22, est l'agent des travailleurs pour les questions de négociation collective, dans l'établissement ou l'industrie.
  8. vi) "unité de négociation" désigne les travailleurs ou catégories de travailleurs d'un employeur dans un ou plusieurs établissements d'une même industrie dont les conditions d'emploi font ou pourraient faire l'objet de négociations collectives.
  9. viii) Le terme "employeur", utilisé relativement à un établissement, désigne toute personne ou tout groupe de personnes constituant une société commerciale ou non, qui emploie des travailleurs dans l'établissement aux termes d'un contrat d'emploi et comprend:
  10. ...
  11. b) toute personne responsable de la gestion, de la supervision et du contrôle de l'établissement;
  12. ...
  13. e) s'agissant d'un autre établissement, le propriétaire de l'établissement et tout directeur, cadre, secrétaire, agent ou responsable participant à la gestion de l'établissement en question; ...
  14. vi) Le terme "syndicat" désigne tout groupement de travailleurs ou d'employeurs principalement constitué dans le but de régir les relations entre travailleurs et employeurs, entre travailleurs ou entre employeurs ...
  15. ...
  16. viii) Les termes "travailleur" et "ouvrier" désignent toute personne qui ne répond pas à la définition d'"employeur" ... à l'exception de toute personne:
  17. a) qui est occupée principalement à des fonctions de direction ou d'administration; ou
  18. b) qui, étant employée à un poste d'encadrement, exerce essentiellement des fonctions de direction en raison soit de la nature des tâches qui lui sont assignées, soit des pouvoirs dont elle est investie.
  19. 3) Syndicats et liberté syndicale. Sous réserve des dispositions de la présente Ordonnance
  20. a) Les travailleurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières.
  21. ...
  22. b) Les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières.
  23. 468. Il résulte des dispositions ci-dessus que, même si les employeurs tels que définis à l'alinéa 2 (viii) peuvent constituer leurs propres organisations et s'y affilier, les travailleurs passant dans la catégorie des employeurs ne peuvent négocier collectivement leurs conditions de travail et sont ainsi privés des droits habituellement associés au statut de travailleur.
  24. 469. Bien que l'alinéa 2 (viii) de l'Ordonnance dispose que les salariés sont exclus de la définition de "travailleur" seulement si leurs fonctions sont principalement celles dévolues à des cadres, les informations disponibles montrent que, dans la pratique, la loi peut être et a été appliquée selon une interprétation large. Le gouvernement n'ayant pas envoyé d'observations, le comité ne peut déterminer si ces pratiques antisyndicales, reprochées à certains employeurs, sont isolées ou si elles constituent une politique commune à "presque toutes les entreprises multinationales", comme l'a prétendu l'organisation plaignante devant ce comité et devant la commission d'experts. (Rapport III, partie 4A, Conférence internationale du Travail, 77e session, 1990, p. 206 de la version française.)
  25. 470. Néanmoins, le comité peut d'ores et déjà constater, sur la base des informations disponibles, que les banques et les sociétés citées dans la plainte semblent avoir adopté une politique de promotion qui a eu pour conséquence de mettre en place une proportion inhabituelle de cadres par rapport aux travailleurs avec même, dans certains cas, davantage de cadres que de travailleurs. Ce déséquilibre est particulièrement frappant chez Singer où 200 des 212 employés sont considérés comme personnel d'encadrement, et chez NCR et Royal Insurance où il n'existe plus du tout de personnel administratif. En outre, le comité note que, si les employés "promus" ont bénéficié d'augmentations salariales, ils continuent d'accomplir les mêmes tâches qu'auparavant et n'ont obtenu aucune responsabilité ou autorité de gestion supplémentaire. Ces "promotions" visaient de toute évidence à saper les effectifs des syndicats, dont certains ont été sérieusement affectés et d'autres réduits à néant. Le comité peut seulement conclure que les actions faisant l'objet de la plainte constituaient une violation des principes de la liberté syndicale.
  26. 471. Le comité demande au gouvermement de prendre les mesures appropriées pour modifier l'ordonnance de 1969 sur les relations professionnelles afin d'empêcher les employeurs de déstabiliser les syndicats de travailleurs par le biais de promotions artificielles. Il attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et des recommandations sur les aspects législatifs de ce cas, d'autant plus que celle-ci a initialement soulevé ce problème dans son rapport de 1990.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 472. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité regrette que, depuis mai 1990, le gouvernement n'ait fourni aucune des informations demandées sur ce cas et il regrette également qu'il n'ait pas coopéré à la procédure. Il demande instamment au gouvernement de fournir le plus rapidement possible, à l'avenir, des réponses détaillées sur les allégations portées contre lui.
    • b) Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures appropriées pour modifier l'ordonnance de 1969 sur les relations professionnelles afin d'empêcher les employeurs de déstabiliser les syndicats au moyen de promotions artificielles de travailleurs.
    • c) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de la situation des syndicats dans les sociétés en cause.
    • d) Le comité attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur l'aspect législatif du cas.
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